Dans les semaines qui ont précédé la nomination de Michel Barnier comme nouveau premier ministre, le terme de « coalitation » est apparu au sein de l’exécutif pour évoquer la situation inédite de blocage gouvernemental dans laquelle se trouve la France.
Alors que la recherche d’équilibre entre les différentes forces politiques rappelle l’instabilité de la IVᵉ République, il est intéressant de s’interroger sur les éléments et les enjeux sémantiques, théoriques et stratégiques associés à l’utilisation de ce néologisme mélangeant les termes coalition et cohabitation.
Une configuration politique inédite sous la Vᵉ République
Comparée aux trois cohabitations de 1986-1988 (Mitterrand/Chirac), 1993-1995 (Mitterrand/Balladur) et 1997-2002 (Chirac/Jospin), la période qui s’ouvre apparaît inédite. À l’époque, ces cohabitations s’étaient structurées autour d’une opposition entre deux grands blocs de droite et de gauche clairement identifiés. Suite à des élections législatives, un président, désormais issu d’un camp minoritaire à l’Assemblée nationale, et un premier ministre, soutenu par une majorité absolue de députés, se voyaient contraints de cohabiter.
De ce point de vue, la situation actuelle est bien différente. S’il est vrai que le camp présidentiel ne possède pas de majorité, même relative, aucun parti et aucune coalition engagés dans les récentes élections législatives ne s’en rapprochent non plus. Michel Barnier devra donc s’appuyer sur une nouvelle coalition ou de nouveaux accords ponctuels pour faire voter ses propositions de loi et ne pas se faire censurer.
De ce point de vue, le terme de coalitation décrit assez bien la situation dans laquelle se trouvent Emmanuel Macron et Michel Barnier.
Une expression rappelant les néologismes utilisés en management
Cependant, ce néologisme rappelle aussi des expressions utilisées dans le monde du travail, comme télétravail et présentéisme ou management et coworking (lorsque les termes sont issus de l’anglais).
L’expression coalitation possède la caractéristique d’être ce que l’on appelle un mot-valise, c’est-à-dire mélangeant le début d’un mot et la fin d’un autre. Coalitation est aussi un terme rassemblant deux expressions ou concepts à priori opposés. Dans cette perspective, le terme de coalitation rappelle par exemple une expression comme « coopétition » qui est un mot-valise élaboré à partir des termes coopération et compétition et qui désigne les stratégies de coopération entre des organisations concurrentes. Ce type de néologisme sous-entend la nécessité de mettre en place deux actions à priori antagonistes comme le fait de cohabiter ou de former une coalition. Il se distingue notamment par la dimension paradoxale de sa signification et par les tensions qui en découlent.
Des termes qui impliquent une notion de performance
Dans les années 80, les expressions « management » et « managers » sont devenues, en France, des termes très utilisés pour décrire les enjeux d’optimisation des ressources et de gestion des personnes des organisations. Cette période a marqué le début de la multiplication des néologismes, notamment d’origine anglaise, dans le monde de l’entreprise. Elle a illustré l’importance prise par la recherche de la performance individuelle et collective pour permettre aux entreprises françaises de faire face à une compétition mondiale de plus en plus intense.
Dans les années 90, les termes de « New Public Management » ou de « New Managerialism », ont aussi fait leur apparition dans les pays anglo-saxons. L’utilisation de ces nouvelles expressions a notamment servi à mettre en place des objectifs de performance, notamment financière dans des organisations relevant originellement de l’intérêt général et dépendantes du pouvoir politique, comme la santé et l’éducation.
Une expression au service d’Emmanuel Macron ?
L’expression « coalitation » a été élaborée et employée pour la première fois par les conseillers du président de la République. La mise en avant de cette notion peut s’analyser comme un moyen de « relativiser » l’absence de majorité présidentielle à l’Assemblée nationale visant à adoucir la cohabitation qui s’annonce.
Celle-ci peut dès lors apparaître comme une séquence permettant au président de garder la main malgré la défaite de son mouvement lors des élections législatives. Elle devient ainsi un artifice sémantique offrant à Emmanuel Macron la possibilité de présenter cette cohabitation d’une façon moderne et nouvelle la différenciant des cohabitations précédentes.
Mais les liens de cette expression avec les néologismes inspirés du management renvoient aussi au profil de « politicien manager » d’Emmanuel Macron et à son approche managériale de la pratique politique.
Défenseur d’une vision du pays mettant l’accent sur la libre entreprise et l’entrepreneuriat (qui fait écho à la célèbre formule de « start-up nation »), Emmanuel Macron incarne une philosophie et une approche de la politique ouvertement inspirées du monde des affaires. Ses mandats ont ainsi été marqués par l’organisation de séminaires de team-building, par l’utilisation de consultants de cabinets privés ou par des changements de personnes justifiés officiellement par la non-atteinte d’objectifs de performance.
L’illustration d’une incapacité à se renouveler ?
Le néologisme coalitation donne aussi corps à une nouvelle forme du « en même temps » macroniste en soulignant la nécessité de trouver des terrains d’entente entre des programmes et des forces politiques opposés. Pour les partisans du président de la République, l’utilisation de cette expression éclaire ainsi la pertinence et l’actualité d’une approche élaborée par Emmanuel Macron. De ce point de vue, le profil de négociateur et de modéré de Michel Barnier peut être vu comme un moyen de réaffirmer cette stratégie.
Mais historiquement, la mise en avant de ce type de néologisme a aussi parfois servi à masquer les limites et les difficultés de stratégies inopérantes ou hasardeuses. Certains chercheurs se sont ainsi demandé si l’entrée dans le vocabulaire des expressions « management » et « manager » en France avait véritablement changé la réalité du fonctionnement des entreprises et des rapports sociaux. Ils ont généralement souligné le caractère parfois artificiel de ces approches.
La même question vaut aujourd’hui pour l’expression « coalitation » tant ce néologisme semble illustrer la difficulté d’Emmanuel Macron à proposer une nouvelle façon de faire de la politique malgré les promesses faites le soir de sa réélection.