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La mairesse de Montréal arrive à une conférence de presse à Montréal, le 20 mars 2019. Les médias font-ils une couverture juste de la première femme mairesse de la métropole? La Presse Canadienne/Paul Chiasson

« Madame Sourire » : que dit la couverture médiatique de Valérie Plante ?

Valérie Plante est devenue, en novembre 2017, la première femme élue à la tête de la métropole québécoise. À un an des prochaines élections municipales, sa lune de miel avec les citoyens, mais surtout, avec les médias, est bel et bien terminée. Si des élections avaient lieu aujourd’hui, l’ex-maire Denis Coderre serait élu, même s’il n’a toujours pas annoncé sa candidature.

Que s’est-il passé ? De nombreuses voix s’élèvent, dans les médias, pour dénoncer certaines de ses décisions politiques prises en contexte de pandémie. La reprise des nombreux chantiers, la congestion automobile et la mise en place soudaine de pistes cyclables ont bousculé les citoyens. Mais les médias traitent-ils la mairesse Plante différemment parce qu’elle est une femme ? La virulence des commentaires à son égard est-elle démesurée ?

L’éditorialiste de La Presse, François Cardinal, accuse la mairesse Plante d’être « loin de sa population », tandis que le chroniqueur du Journal de Montréal, Richard Martineau, appelle les Montréalais à se « débarrasser d’elle » lors du prochain scrutin. Commentant l’annonce de la publication de la bande dessinée Simone Simoneau : chronique d’une femme en politique, Mario Girard de La Presse souligne « la faiblesse de son instinct politique ».


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Un rapport sur les représentations des femmes aux élections municipales de 2017, publié en 2018, concluait à la présence de stéréotypes de genre dans les médias. Les femmes candidates ont reproché aux médias de s’être intéressés davantage à leur façon de concilier le travail et la famille qu’à leur vision politique. Leurs compétences et leur crédibilité étaient davantage remises en question que celles de leurs collègues masculins. Ainsi, les critiques envers la mairesse Plante reflètent-elles un biais genré ?

Pour y répondre, nous avons analysé la couverture médiatique de la mairesse depuis son assermentation, excluant de ce fait les articles concernant son administration. En tant que candidates au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, nous nous intéressons plus largement à la place des femmes dans les sphères militantes, politiques et médiatiques.

Une femme dans un monde d’hommes : la mairesse Valérie Plante est entourée du maire de Québec, Régis Labeaume, et du maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, lors d’une conférence de presse, le 18 septembre à Montréal. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Des standards plus élevés

Une analyse de contenu exploratoire des chroniques et des textes d’opinions parus dans La Presse, Le Devoir, Montreal Gazette et Le Journal de Montréal a permis d’examiner les critiques émises à l’égard de la mairesse Plante selon deux catégories.

La première renvoie aux critiques professionnelles, soit aux gages de compétence, à l’expérience et à l’engagement politiques. La seconde réfère plutôt aux critiques personnelles, notamment au sourire de la mairesse et à sa personnalité. Il est à noter que ces deux types de critiques ne sont pas mutuellement exclusives et sont au contraire fortement liées.

Les politiciennes sont souvent tenues à des standards bien plus élevés que les politiciens et les critiques à leur égard ont tendance à sortir de l’ordre professionnel. Une étude britannique révèle que les femmes chefs d’État ont tendance à être plus sévèrement punies par l’électorat. L’an dernier, la première femme première ministre du Québec, Pauline Marois, témoignait des deux poids deux mesures, qui caractérisent l’expérience des femmes en politique, soulignant « l’impression qu’il faut en savoir deux fois plus que les hommes, qu’il faut faire nos preuves deux fois plus ».

Un sourire aux interprétations multiples

Le sourire de Valérie Plante illustre, lorsque ça va bien, sa bonhomie et son exubérance, mais davantage, ces temps-ci, son hypocrisie, ou sa mauvaise gestion de dossiers politiques, balisant même les limites de ses compétences. Mentionnons entre autres cette chronique de Josée Legault parue dans le Journal de Montréal le 26 mai 2020 :

Ça ne pourra pas durer. Il en va de la sécurité, de la salubrité et de la santé des Montréalais. La mairesse Valérie Plante doit s’occuper de ce problème qui, très franchement, ne se dissuade pas avec des sourires.

La performance politique de Valérie Plante apparaît en ce sens évaluée à l’aune de son sourire, comme en témoigne un texte publié dans Le Devoir qui non seulement s’adresse à « Madame Sourire », mais invite celle-ci à devenir « enfin l’homme de la situation », faisant ici référence au slogan de Valérie Plante lors de sa campagne électorale.

La mairesse Valerie Plante s’esclaffe alors qu’elle discute avec un homme durant la visite d’un centre de sans-abri, en mai. Le sourire de Valérie Plante agit comme vecteur de canalisation et d’évaluation de sa performance politique. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Cet intérêt pour l’apparence des politiciennes a souvent été soulevé. Lors de la dernière présidentielle américaine, les choix vestimentaires de Hillary Clinton ont été critiqués et longuement décodés afin d’y trouver un sens profond. Le sourire de Valérie Plante se trouve à son tour décodé de manière similaire à l’habillement des politiciennes.

Ainsi, dans le rapport sur les représentations des femmes aux élections municipales de 2017, « la thématique de la gestuelle et des expressions faciales est de loin la plus abordée parmi les articles traitant de l’aspect physique des candidates, écrivent les auteures. Par le fait même, ces articles ont contribué à former la représentation de l’identité politique des candidates autour de leur aspect physique ».

Une bande dessinée ridicule, un brillant essai sur le hockey

Dans ce même rapport sur les candidates, on note que « la vie privée des candidates a fait l’objet d’une visibilité journalistique au sein de près du quart des articles, qui ont fait le portrait de ces femmes à travers leurs rôles traditionnels féminins de mères et d’épouses », ce qu’on retrouve aussi dans d’autres études.

Nos résultats abondent en ce sens, dans la mesure où les projets personnels de la mairesse Plante semblent teinter l’analyse de ses compétences. Dans son cas, c’est la publication annoncée d’une bande dessinée, forcément rédigée dans ses temps libres, qui suscite le ridicule des commentateurs. Et si publier demeure un acte public, ceux-ci n’hésitent pas à remettre en question sa gestion de son temps.

La mairesse de Montréal répond à des journalistes lors d’une conférence de presse à Montréal, le 20 mars 2019. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Le 2 septembre, François Cardinal écrit, concernant l’annonce de publication de cette bande dessinée :

Bref, au moment où les Montréalais sont à bout de patience, « la mairesse de la mobilité » leur impose un projet qui ne leur semble pas nécessaire dans le contexte et qui sera dur à justifier cet hiver […] Disons-le, Montréal sort traumatisé de la première vague de la pandémie, ce que la mairesse semble sous-estimer en poursuivant ses activités, ses projets littéraires et ses engagements électoraux comme si de rien n’était. »

Ou encore la réaction de la chroniqueuse Sophie Durocher, dans Le Journal de Montréal, le 21 août :

Quand j’ai entendu dire que Valérie Plante, mairesse de Montréal, sortait une bande dessinée, j’ai cru que c’était une blague. Voyons donc ! Comme si la mairesse avait le temps, en gérant la métropole, de dessiner des petits bonshommes et de faire des petits comiques […]. Sur Facebook, la mairesse a écrit que « ce processus créatif a contribué à sa santé mentale au cours des dernières années ». J’en suis fort aise. Mais nous, les Montréalais, qu’est-ce qu’on a comme « processus créatif » pour sauver notre santé mentale, nous qui vivons dans une ville qui rend fou ? »

La bande dessinée féministe de la mairesse Plante n’a pas reçu le même traitement que la publication d’un ouvrage sur le hockey signé par Stephen Harper, en 2013, alors qu’il était premier ministre du Canada. En dépit de quelques questionnements sur le temps accordé à ce projet personnel, son livre a été salué, perçu comme une contribution majeure à l’histoire de notre sport national.

Pourtant, outre l’objet et le format de leurs ouvrages, les situations sont semblables. Les deux politiciens ont rédigé un ouvrage en plein mandat, pendant leur temps libre, à l’aide de professionnels. Or, la bande dessinée de la mairesse Plante semble déranger davantage.

Davantage d’intimidation et de harcèlement

La personnalisation de la performance politique des femmes n’est malheureusement pas sans conséquence. Une étude américaine a démontré que les femmes élues à la tête de grandes villes sont davantage à risque de subir de la violence psychologique, tel que du harcèlement, que leurs collègues masculins.

Valérie Plante a d’ailleurs dénoncé plus d’une fois le cyberharcèlement dont elle a été victime. Elle a de plus fait état de menaces sexistes à son égard, visant entre autres son intégrité physique, suite à sa prise de position contre le projet de loi 21 déposé à l’Assemblée nationale.

La critique politique demeure une activité démocratique importante et nécessaire. Nous constatons toutefois que les femmes en politique font l’objet de l’éternel deux poids, deux mesures.

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