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Maladie de Lyme : vers une reconnaissance de la forme chronique ?

Les conséquences à long terme de la maladie de Lyme font encore débat au sein des communautés scientifique et médicale. Shutterstock

En août 2017, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a classé la borréliose de Lyme parmi les 30 maladies les plus menaçantes pour la santé publique. En juin 2018, la Haute autorité de santé (HAS) française a publié une recommandation de bonne pratique concernant la borréliose de Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques. Le 15 novembre de la même année, le Parlement européen a voté à l’unanimité une résolution de mobilisation contre la maladie de Lyme et les co-infections.

La conséquence positive de cette reconnaissance progressive est que la recherche dans le domaine décolle, notamment aux États-Unis. L’industrie pharmaceutique, qui avait pourtant ignoré le champ du Lyme pendant trois décennies, reconsidère la maladie. Cependant, la polémique au sujet de l’existence d’une forme chronique de la maladie de Lyme continue de diviser la communauté médicale. Pourquoi ?

Une maladie qui peut passer inaperçue

La maladie de Lyme est due à une bactérie du genre Borrelia, transmise par piqûre de tique. Souvent, la personne piquée ne remarque pas la tique. La maladie peut d’autant plus passer inaperçue que, dans un cas sur deux, la lésion cutanée rouge centrifuge qui se développe autour de la piqûre (l’érythème migrant), n’apparaît pas. Les personnes concernées ne se savent pas infectées. Elles peuvent pourtant développer des troubles variés des jours, des semaines, des mois ou des années après la piqûre.

L’érythème migrant caractéristique de la maladie de Lyme n’est pas toujours présent en cas d’infection. Shutterstock

Une méta-analyse publiée en 2005 a révélé que les patients atteints de « syndrome post-borréliose de Lyme », souffrent plus souvent que les autres d’une grande fatigue, de douleurs souvent importantes qui touchent les muscles ou les articulations, de troubles cutanés, articulaires, cardiaques, neurologiques, et/ou psychiques, etc. Les troubles de mémoire et de concentration sont fréquents.

Ces signes cliniques peuvent être très invalidants et empêcher de mener une vie professionnelle ou sociale normale. Faute de preuve du diagnostic, dans la majorité des cas le médecin et la famille considèrent que l’origine de ces troubles est purement psychique. Les patients concernés peuvent finir par se trouver rejetés par le système de soins et par leurs proches. En grande souffrance et en errance médicale, certains perdent leur emploi, voire finissent en psychiatrie.

Comment peut-on en arriver là ?

Un diagnostic difficile à établir

La maladie de Lyme est difficile à diagnostiquer car il s’agit d’une pathologie complexe, qui peut simuler beaucoup d’autres maladies. En effet, ses symptômes sont peu spécifiques. Le diagnostic se base actuellement sur la sérologie (recherche des anticorps dans le sérum). Or ces tests manquent de sensibilité. Ainsi, en 2016 une méta-analyse (c’est-à-dire une analyse de toutes les publications sur le sujet) réalisée par l’Imperial College de Londres a montré que la sensibilité des tests disponibles, soit le pourcentage de malades effectivement dépistés, était en moyenne de 59,5 %.

De plus, ces tests ne prennent en compte que trois espèces de Borrelia. Or il existe des dizaines d’espèces de Borrelia transmissibles : non seulement celles du complexe Borrelia burgdorferi sensu lato (qui donnent la maladie de Lyme), mais aussi les Borreliae qui donnent des fièvres récurrentes (relapsing fever en anglais). Or on n’a développé des tests sérologiques que pour trois espèces, celles du complexe Borrelia burgdorferi sensu lato : B. burgdorferi sensu stricto, B. afzelli et B. garinii. Il n’existe pas de test disponible pour les autres espèces du complexe Borrelia burgdorferi sensu lato, ni pour les fièvres récurrentes.

Image au microscope électronique à balayage (en fausses couleurs) d’un amas de Borrelia burgdorferi issues d’une culture pure. Cette bactérie est responsable de la maladie de Lyme, qui peut être transmise à l’être humain par piqûre de tique. CDC/Claudia Molins

Un rapport du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), a en outre montré en avril 2016 qu’il n’est pas possible de calibrer de façon fiable les tests sérologiques. En effet, il n’est pas possible de savoir avec certitude, dans une population donnée, qui a la maladie ou qui est un témoin en bonne santé, non infecté. Les raisons sont, là encore, l’absence de critère clinique spécifique (sauf quelques exceptions comme l’érythème migrant, le lymphocytome borrélien et ou l’acrodermatite chronique atrophiante), et la culture de la bactérie à partir du sang est trop souvent négative pour pouvoir servir d’étalon-or du diagnostic.

En outre, dans les formes chroniques, la Borrelia est souvent associée à d’autres infections inapparentes (ou crypto-infections) dues à des bactéries, à des parasites comme Babesia (responsable de la piroplasmose chez les animaux) et probablement, dans certains cas, à des virus.

Des traitements inadaptés

Les rares patients qui reçoivent un traitement antibiotique ne reçoivent qu’un traitement court (souvent 3 semaines). Or plusieurs articles montrent que la persistance des signes et symptômes après un traitement antibiotique court « classique » est observée chez 16 à 62 % des patients. Ces données cliniques sont confortées par des données bactériologique s.

En outre, la persistance de Borrelia est démontrée, aussi bien chez l’animal (comme la souris, le chien ou le macaque que chez l’être humain.

En outre, les études cliniques faisant appel à une bonne méthodologie font défaut. À ce jour, il n’y a eu aucune étude prospective avec tirage au sort chez des patients volontaires (étude randomisée) pour évaluer un traitement antibiotique réellement prolongé, d’une durée minimum de 4 mois, pour la maladie de Lyme chronique.

Dans ce contexte, la publication en août 2018 par la Haute Autorité de Santé (HAS) d’une recommandation de bonne pratique représente une avancée.

Audition commune sur la stratégie thérapeutique face à la borréliose de Lyme

Le SPPT : « Symptomatologie/syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique »

Après avoir pris acte de « l’absence de consensus du groupe de travail sur le choix du terme symptomatologie ou syndrome », le groupe de travail missionné par la HAS a proposé de garder les deux termes derrière l’abréviation SPPT, pour « symptomatologie/syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique ».

La HAS souligne que le groupe de travail est néanmoins en accord sur le fait que les patients doivent pouvoir « bénéficier d’un bilan étiologique et d’une prise en charge adaptée à leurs symptômes. ». Le SPPT est défini par :

  • une piqûre de tique possible ;

  • la triade clinique associant, plusieurs fois par semaine, depuis plus de six mois : un syndrome polyalgique (douleurs musculo-squelettiques et/ou d’allure neuropathique et/ou céphalées), à une fatigue persistante avec réduction des capacités physiques, et à des plaintes cognitives (troubles de la concentration et/ou de l’attention, troubles mnésiques, lenteur d’idéation) ;

  • avec ou sans antécédent d’érythème migrant.

Le diagnostic de SPPT est donc essentiellement clinique : fatigue, douleurs, troubles neuro-cognitifs associés à des signes et symptômes touchant plusieurs organes (cutanés, cardiaques, articulaires, neurologiques, etc.).

Il faut souligner que le SPPT peut être dû à la maladie de Lyme, à d’autres crypto-infections et/ou à d’autres facteurs (viraux, génétiques, immunologiques, métaboliques,carentiels, environnementaux, toxiques, psychologiques). La sérologie pour la maladie de Lyme ou les co-infections peut par ailleurs être négative. Ce SPPT est proche du « syndrome post-traitement de la maladie de Lyme » (post-treatment Lyme disease syndrome, PTLDS), reconnu aux États-Unis.

Quelle prise en charge ?

En termes de prise en charge, le médecin doit tout d’abord rechercher un autre diagnostic (comme une maladie auto-immune). En cas de suspicion de SPPT, chaque médecin généraliste peut prescrire un traitement antibiotique d’épreuve comme test diagnostique, à savoir un mois de doxycycline. Une réponse au traitement confirme l’origine bactérienne, la réponse initiale pouvant être une aggravation de l’état du patient (due à la réaction de Jarisch-Herxheimer, qui correspond à une inflammation déclenchée par la mort des bactéries).

Les soins médicaux doivent être définis par le médecin en concertation avec un centre hospitalier expert (soit les centres de compétences et les cinq centres de référence). Ces centres seront nommés par le Ministère de la Santé courant 2019. Les traitements et les résultats doivent être enregistrés afin de collecter des données pour la recherche.

Cette recherche doit nécessairement être pluridisciplinaire, étant donné l’origine de la maladie de Lyme et les facteurs environnementaux qui influencent sa propagation (répartition des tiques, dissémination par faune sauvage…). Pour la contenir, l’Organisation mondiale de la santé recommande d’ailleurs une approche « Une seule santé » (« One Health »), partant du constat que l’être humain et les animaux partagent le même environnement, notamment microbien.


Cet article reprend et développe une intervention tenue dans le cadre d’une formation sur les controverses en santé. Cette conférence sur la maladie de Lyme a été donnée lors du cycle national de formation 2018-2019 de l’IHEST, l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, par Christian Perronne.

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