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Appréhension de l’incertitude, gestion du capital humain, dirigeantes et dirigeants ont un véritable intérêt à apprendre de ce que les gradés mettent en place. Shutterstock

Managers, et si vous vous inspiriez des méthodes de l’armée ?

Les raisons d’être d’une armée et celles d’une entreprise n’ont, a priori, rien de commun. La première vise à protéger et à dissuader le déclenchement de conflits armés ; la seconde cherche à atteindre ses objectifs de profit en distribuant biens ou services sur son marché.

Que pourraient donc bien enseigner les militaires à ces acteurs du monde civil ? En quoi l’expérience d’un chef de section ou d’un escadron pourrait enrichir les réflexions et les actions d’un manager de département ou d’une responsable d’atelier ? Qu’est-ce qu’un chef de corps pourrait transmettre à la responsable d’une business unit ?

Malgré ce qui oppose ces deux mondes, les armées sont devenues, en quelques années, des sources d’apprentissage importantes pour les managers d’entreprise, aux États-Unis d’abord, et aujourd’hui en France.

Nos travaux de recherche montrent, en effet, que l’armée a une longueur d’avance dans la manière de conceptualiser l’environnement, dans la préparation des collectifs à y faire face et dans le fait de reconnaître le leadership comme facteur décisif.

Champ de bataille et gestion de l’humain

Les armées conceptualisent le champ de bataille comme un environnement mouvant et imprévisible dans lequel surviennent des situations aussi complexes qu’ambiguës. Le théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz, l’exprimait ainsi en son temps :

« L’incertitude est l’essence même de la guerre. »

Être performant en collectif relève alors du défi permanent. Un acronyme a été forgé au sein de l’armée américaine pour décrire le nouvel ordre mondial post-guerre froide, plus instable, moins prévisible, plus complexe : VUCA pour volatility, uncertainty, complexity and ambiguity (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté). Ce terme est maintenant largement répandu en entreprise pour décrire l’environnement concurrentiel, bouleversé hier par la mondialisation, aujourd’hui par la digitalisation ou la pandémie et demain par l’intelligence artificielle.

Le champ de bataille, celui de l’armée comme celui de l’entrepreneur, se caractérise ainsi de manière identique. Le monde militaire ayant conceptualisé cette instabilité permanente, il en a tiré très tôt de nombreuses leçons.

Une autre raison qui fait de l’expérience des armées une source opérationnelle de compétitivité et de performance pour les entreprises est leur rapport à l’humain. Si les entreprises ont un discours centré sur le capital humain, les armées joignent plus souvent, et depuis plus longtemps, le geste à la parole, en particulier en matière de développement du leadership. L’engagement et la résilience, l’entraînement et les compétences, le moral des troupes et l’esprit de corps sont perçus comme des facteurs essentiels à la réussite collective.

L’armée, un savoir-faire pour motiver

Dans un environnement incertain, comme pour un navire en pleine tempête, tout le monde est attendu sur le pont pour contribuer à la réussite collective. L’engagement de chacun, considéré comme une condition de survie, se manifeste par la prise d’initiative, une participation active à l’action, de l’entraide spontanée, et de la prise de risque.

Le monde militaire, en particulier les forces spéciales et autres unités d’élite, s’appuie sur les quatre leviers de la motivation intrinsèque pour susciter l’engagement des personnels. Par motivation intrinsèque, on désigne les sources de motivations propres à l’individu, lorsque l’action elle-même est sa propre récompense. On la distingue de la motivation extrinsèque comme une prime sur objectif, par exemple, ou les félicitations de son manager, qui trouve sa source à l’extérieur de l’individu.

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D’abord, l’armée a une raison d’être claire, convaincante : la défense nationale. Cette raison d’être est régulièrement rappelée au travers de multiples cérémonies. Il peut s’agir de visites d’autorités, de la commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918 ou de la Victoire du 8 mai 1945, de la célébration de la Fête nationale et du défilé le 14 juillet, ou d’autres événements spécifiques à tel ou tel régiment (Camerone le 30 avril célébré tous les ans au sein de chaque unité de la légion étrangère par exemple).

L’engagement passe aussi par un développement permanent de capacités au travers d’entraînements réguliers qui donnent aux personnels le sentiment réel d’apprendre, de davantage maîtriser techniques et méthodes et de progresser dans leur métier. Compte aussi le renforcement de l’esprit de corps au travers de rituels réguliers qui, loin de gommer les individualités, forgent des liens et structurent le collectif par-delà les différences (la marche au pas, les chants, les pots de départ ou d’arrivée, les dégagements, les compétitions internes…).

Enfin, dernier levier, est développée l’autonomie dans l’action au service de l’effet final recherché. La motivation intérieure, et la performance collective qui en découle, seront d’autant plus fortes que le ciment du collectif sera fondé sur l’exemplarité des chefs ; et ceci est vrai aussi bien dans l’armée qu’en entreprise.

De là proviennent quelques pistes de réflexion pour le manager et son équipe : quelle est la vision de l’entreprise ? De l’entité ? De l’équipe ? Est-elle partagée ? Quelles sont les marges de manœuvre des équipes dans la réalisation de la vision ? Quelles sont les opportunités individuelles et collectives de se développer, de s’améliorer ? Quels sont les rituels ? Les rendez-vous incontournables dans le mois ou dans l’année ?

L’armée, une culture du débriefing

En environnement VUCA, l’action s’effectue dans une incertitude diffuse qui rend difficile l’interprétation du réel, l’identification des bons leviers et la compréhension des liens entre les décisions et leurs effets. L’interdépendance des éléments de l’environnement, la vitesse d’évolution des situations, et le flou qui nimbe les données accessibles, toujours parcellaires, donne l’impression de « naviguer à vue ». Cette expression sied depuis longtemps au monde militaire et de plus en plus à l’entreprise. Voir plus loin est ainsi une composante de plus en plus importante du leadership. Pour accompagner la réflexion et l’action, des modèles de décision ont été développés au cœur desquels se trouve l’expérimentation ou l’exploration, c’est-à-dire l’apprentissage par l’expérience.

Sur la base de travaux en psychologie sociale et comportementale, l’armée américaine a mis au point une méthode, le débriefing (After-Action Review), qui permet à un collectif au sortir « d’un coup de feu » de se mettre en réflexivité, d’analyser la situation, l’effet final recherché et le dénouement. Il s’agit de disséquer l’expérience, puis d’en tirer des hypothèses d’action pour le futur : que doit-on conserver, renforcer ou stopper ?

Son emploi régulier, en entraînement comme en opération, et ce à tous les niveaux d’un régiment, permet aux acteurs sur le terrain de tirer les leçons de l’expérience de manière très rapide, et de se projeter dans un avenir parfois très proche avec une nouvelle grille de compréhension à mettre à l’épreuve des faits. Comme le dit l’ancien chef d’état-major de l’armée américaine, le général Gordon Sullivan :

« Toute équipe qui a une mission claire peut débriefer pour améliorer sa performance. »

Ce mode d’apprentissage on-line, forme d’antidote à l’effet fog of war, au brouillard qui plane sur le théâtre d’opérations, est l’apanage des unités de l’armée de terre américaine aujourd’hui. Il s’est répandu en France depuis les années 1990, avec adaptations, au sein des forces spéciales, du RAID, du GIGN ou des sapeurs-pompiers.

Le manager et son équipe sont ainsi invités à se questionner. Comment se déroule le débriefing ? Existe-t-il un protocole adapté au contexte des missions de l’équipe et du secteur d’activité ? Qui est concerné par le processus de débriefing ? Qui le facilite ? Dans quel esprit et avec quels objectifs le débriefing est-il mené ? Le débriefing est-il systématique ou seulement pratiqué après un échec ?

Le tout cependant n’intervient pas sans un leadership par la confiance pour orchestrer le collectif. Le chef d’état-major prussien, Helmut von Moltke, encourageait les officiers à « ne donner que les ordres qui sont strictement nécessaires » pour permettre aux subordonnés d’exprimer pleinement leur créativité et leur intelligence, avec des marges de manœuvre, au service d’une vision claire et intégrée par tous. Au fondement du principe de subsidiarité qui rend possible cette autonomie dans l’action se trouve la confiance réciproque entre les subordonnés et les chefs : « pas de leadership sans confiance, pas d’entreprise sans confiance » affirme le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de Guerre et dirigeant d’entreprise.


Philippe Horras, officier et commando Marine durant 22 ans, aujourd’hui conseiller en gestion de crise, a participé à la rédaction de cet article.

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