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Manger (un peu) moins permettrait de vivre plus vieux et en meilleure santé

Deux études menées, l'une chez l'humain, l'autre chez un petit primate, montrent qu'un régime réduit en calories augmente la longévité. Shutterstock

Manger moins pour vivre plus vieux et en meilleure santé ? Il s’agit seulement, pour l’instant, d’une piste de recherche, et non d’un précepte que chacun pourrait appliquer dans la vie de tous les jours. Mais deux nouvelles études rendent cette piste de plus en plus solide.

La restriction calorique chronique consiste, dans son principe, à manger une ration alimentaire réduite mais équilibrée à partir de l’âge adulte et tout au long de son existence. Son effet bénéfique sur la longévité est bien établi chez de nombreuses espèces à vie courte comme le ver, la mouche ou la souris. Toutefois, les effets bénéfiques sur les primates – ordre de mammifères incluant les humains – demeurent controversés.

Deux études publiées au début de cette année abordent cette question. La première a été menée sur des primates par notre équipe du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et du CNRS et publiée dans la revue Communications Biology. L’autre a été réalisée sur des humains par une équipe américaine dirigée par la biologiste Leanne Redman et publiée dans la revue Cell Metabolism. Ces travaux mettent en avant les effets bénéfiques de la restriction calorique sur la longévité et la santé.

Le microcèbe, petit primate ayant des similitudes physiologiques avec l’humain

Dans notre étude, nous avons réalisé une expérience chez un petit primate, le microcèbe ou Microcebus murinus, un lémurien qui ne vit qu’à Madagascar. Les résultats montrent qu’une restriction calorique chronique augmente fortement sa longévité. Cette espèce présente la particularité de partager de nombreuses similitudes physiologiques avec l’humain, notamment au cours du vieillissement pour lequel il représente un très bon modèle d’étude.

Deux microcèbes âgés ayant suivi, dans notre expérience, un régime normal (à gauche) et un régime restreint en calories (à droite). MNHM/CNRS, Author provided

Les photos ci-dessus présentent deux microcèbes âgés (9 ans), suivis dans notre expérience au sein de la cohorte Restrikal. L’animal de gauche, pesant environ 100 grammes, a été nourri tout au long de sa vie avec un régime normal dit « contrôle ». Il présente les caractéristiques fréquemment observées chez les microcèbes âgés : cataracte (à l’intérieur de l’œil, le cristallin s’opacifie), blanchiment de la fourrure. L’animal de droite, pesant environ 70 grammes, a été nourri depuis l’âge adulte selon un régime restreint en calories. Il a les caractéristiques morphologiques d’un animal plus jeune.

Ainsi des microcèbes ont été exposés, pour nos travaux, à une restriction calorique chronique modérée, correspondant à 30 % de calories en moins que leurs congénères. Et ce, depuis le stade jeune adulte – pas plus tôt, pour éviter des effets délétères sur la croissance des juvéniles.

Des expériences similaires avaient été réalisées chez des macaques (autre genre de primate) dans deux études américaines, l’une de 2009 et l’autre de 2012, suggérant déjà un impact positif de la restriction calorique sur la longévité. Mais notre étude apporte les données de survie les plus avancées chez un primate sous restriction calorique, compte tenu de la longévité plus faible du microcèbe, de l’ordre de 8 à 10 ans. Nous avons également étudié les effets de la restriction calorique sur l’apparition des pathologies associées à l’âge, comme les cancers, ainsi que sur l’atrophie du cerveau.

Une durée de vie augmentée de près de 50 %

Des microcèbes avec un régime normal au niveau calorique – c’est-à-dire correspondant à ce qu’ils mangent habituellement dans l’animalerie où l’accès à la nourriture n’est pas contraint comme dans la nature – ont fait office de contrôles. Par comparaison, les animaux en restriction calorique présentent une durée de vie augmentée de près de 50 %. La survie médiane passe de 6,4 ans pour les animaux contrôles à 9,6 ans pour les animaux en restriction. La longévité maximale est également augmentée : plus d’un tiers des animaux avec un régime restreint sont encore vivants lors de la mort du dernier animal contrôle, à 11,3 ans.

Cet effet très puissant s’accompagne d’une réduction de l’incidence de pathologies habituellement associées au vieillissement dans notre colonie de microcèbes, telles que les cancers ou le diabète.

Il s’accompagne aussi d’effets sur le cerveau. Les données d’imagerie cérébrale mesurées par IRM (imagerie par résonance magnétique) montrent, chez les microcèbes âgés sous restriction calorique chronique, une accélération légère de la perte de matière grise (corps cellulaires des neurones) mais en même temps un ralentissement notoire de l’atrophie de la matière blanche (ensemble des fibres des neurones). La restriction calorique présente donc certains effets contradictoires sur l’atrophie cérébrale liée à l’âge.

Ces résultats démontrent, en tout cas, que la restriction calorique chronique est le protocole actuellement le plus efficace pour allonger la durée de vie maximale et retarder le processus de vieillissement chez un primate non humain. Toutefois, les mécanismes permettant d’expliquer les puissants effets observés sont encore méconnus.

L’une des explications possibles tiendrait au principe dit d’hormèse. L’hormèse est une réponse de stimulation des défenses biologiques, généralement favorable, suite à l’exposition modérée à un phénomène générateur de stress. Ici, le stress modéré consiste à réduire le nombre de calories, à un niveau obligeant l’organisme à une réaction dont les effets seront finalement bénéfiques (supérieurs au stress initial).

L’autre hypothèse avancée est celle que notre expérience, en fait, ramènerait le nombre de calories ingérées à un niveau plus adapté. Dans cette hypothèse, qualifiée d’optimisation calorique, ce serait les animaux contrôles qui ingéreraient (un peu) trop de calories.

Chez l’humain, la restriction en calories ralentit le métabolisme

Concernant les humains jeunes et en bonne santé, l’étude américaine citée plus haut est l’une des premières et des plus concluantes sur le sujet.

Cette étude explore les mécanismes biologiques qui permettraient d’expliquer les effets bénéfiques sur la santé constatés lors de la restriction calorique. Pendant deux ans, 34 des 53 personnes incluses dans l’étude ont diminué leurs apports caloriques d’environ 15 %, sans modifier la composition de leurs repas. Elles ont perdu en moyenne neuf kilos. Les autres participants, dans le groupe « contrôle », n’ont pas modifié leur alimentation.

L’étude montre que la réduction de 15 % d’apport calorique quotidien par rapport aux apports habituels entraîne un ralentissement du métabolisme, c’est-à-dire de l’ensemble des réactions biologiques d’un organisme. Elle engendre également la diminution de la production de radicaux libres, des molécules dont l’accumulation dans les cellules est un facteur de vieillissement.

Le vieillissement, une multiplication des lésions de l’ADN ?

Ces résultats soutiennent deux théories, compatibles entre elles, qui expliqueraient les liens observés entre alimentation, métabolisme et vieillissement. La première est la théorie du taux de vie, selon laquelle la longévité des mammifères est inversement liée à leur activité métabolique par unité de masse tissulaire. Autrement dit, les mammifères vivent d’autant plus vieux qu’ils ont une activité métabolique faible, rapportée à leur corpulence.

La seconde est la théorie radicalaire du vieillissement, selon laquelle les organismes vieillissent en raison de la multiplication des lésions cellulaires liées à l’accumulation de radicaux libres dans les cellules.

Les résultats de l’étude américaine démontrent un ralentissement significatif des processus décrits dans ces deux théories après seulement deux ans de restriction calorique.

Un apport calorique optimal, mais lequel ?

Dès lors, quel pourrait être l’apport calorique optimal ? La question mérite d’être posée, pour le microcèbe mais aussi pour l’humain, au regard des résultats des expériences française et américaine. Dans ces deux études, on peut se demander si les individus contrôles ne reçoivent pas trop de calories. Toutefois, il est encore trop tôt pour dire si le niveau optimal d’apport calorique quotidien correspondrait à une diminution de 15 %, 30 % ou d’un autre pourcentage par rapport à la prise alimentaire habituelle.

En ce qui concerne l’étude américaine menée chez l’humain, les données montrent qu’au début de l’expérience, les deux groupes présentaient un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 25 – ce qui correspond à un surpoids selon les définitions de l’Organisation mondiale de la santé. Il semble donc logique qu’une restriction calorique entraîne des effets bénéfiques sur certains paramètres physiologiques, puisqu’un des premiers effets observés est la baisse de poids, faisant passer les individus du groupe restreint en calories à un IMC normal.

Pour les microcèbes, il est plus difficile de déterminer un poids idéal. À titre de repère, les animaux sauvages de la même espèce présentent un poids moyen, en été, proche de 60 grammes. Dans l’expérience, les microcèbes du groupe restreint en calories ont un poids moyen, à la même saison, compris entre 60 et 80 grammes. Les animaux contrôles ont un poids compris entre 90 et 110 grammes.

Des animaux sauvages recevant un apport calorique approprié

La longévité des animaux dans la nature est bien inférieure à celle des animaux de laboratoire, du fait notamment des prédateurs et des parasites. Cependant, on peut supposer que les premiers reçoivent les apports caloriques optimums pour leur espèce – si l’on considère qu’ils sont adaptés à l’environnement dans lequel ils évoluent. Les animaux de laboratoire restreints en calories sont donc, en terme de poids, plus proche des animaux sauvages recevant un apport calorique approprié, qui les amène à atteindre une longévité optimale pour leur espèce.

Ainsi, les animaux contrôles pourraient être considérés comme des animaux recevant un régime hypercalorique, potentiellement délétère pour leur longévité. Toutefois, puisqu’une restriction de 30 % chez nos animaux provoque aussi un effet négatif sur le cerveau (une légère atrophie cérébrale), ce niveau de restriction est peut-être trop intense.

Qu’il s’agisse du microcèbe ou de l’humain, ces études arrivent à la même conclusion : un apport calorique trop élevé est délétère pour la longévité. Que ce soit à travers le phénomène de l’hormèse ou celui de l’optimisation calorique, la réduction du nombre de calories affecte deux paramètres clés du vieillissement, le métabolisme énergétique et la production de radicaux libres.

Comme l’application d’une restriction calorique chez l’humain semble difficile à concevoir de manière généralisée dans nos sociétés modernes, des études sont en cours pour identifier des molécules qui pourraient mimer certains bienfaits de la restriction calorique, sans avoir à modifier nos pratiques alimentaires.

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