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Marathon de Paris 2023 : pourquoi un tel engouement ?

Près de 50 000 coureurs sont attendus au départ de la 47e édition. Geoffroy van der Hasselt / AFP

Le doute avait un temps plané sur sa tenue en raison du mouvement social contre la réforme des retraites : le départ du marathon de Paris sera bien donné ce dimanche 2 avril. L’édition 2023 affiche complet avec plus de 50 000 coureurs. De nombreuses inscriptions ont même dû être refusées.

En 2022 ils n’étaient pourtant que 37 000 à se présenter aux ordres du starter, une forte baisse par rapport à l’édition 2019 avant pandémie qui comptait 49 155 partants. Il s’agissait peut-être d’un effet conjoncturel lié au coronavirus, à la guerre en Ukraine et à la crise économique, là où l’on pouvait aussi voir une évolution plus structurelle de la demande, avec des aficionados tentés par des événements moins positionnés dans la démesure et davantage pensés dans une démarche écoresponsable.

Cependant il n’y a que sur le plan sanitaire que les choses ont véritablement évolué depuis un an. Le relatif retour à la normale de ce point de vue explique notamment la venue en nombre de coureurs étrangers (32 % en 2023 d’après l’organisation) qui renouent avec des formes différentes de tourisme sportif.

Pourquoi un tel intérêt ? Y répondre nécessite de croiser des facteurs macro et micro sociologiques comme nous le faisons dans nos travaux repris dans un ouvrage récent. Participer au marathon de Paris, c’est autant une manière d’échapper à son quotidien en le préparant, d’être partie prenante d’un événement aux multiples facettes et de se mettre en scène, aux yeux de la société, comme quelqu’un de performant dans un décor de rêve. Néanmoins, certains aspects pourraient bien, à l’avenir, devenir plus rebutants.

Entre performance et mise en scène

La première hypothèse est que le contexte sociétal actuel, teinté d’une grande vulnérabilité, d’une forte incertitude et d’une fragmentation des repères identitaires, est, au bout du compte, plutôt favorable à un surinvestissement des coureurs dans ce type d’épreuve. Préparer le marathon de Paris (et a fortiori le finir), permet à tout chacun d’oublier un quotidien morose, de se sentir vivant et de prendre en main son destin. Ne constituerait-il pas une des façons les plus remarquables de tracer son chemin d’existence ? Cela expliquerait en partie, et en partie seulement, son engouement renouvelé, car de nombreuses épreuves (autres marathons, triathlon, ultra-trails…) remplissent aujourd’hui aussi cette fonction.

Courir dans Paris véhicule tout un imaginaire culturel. Maïlys Henriet, CC BY

La seconde hypothèse réside selon nous dans le concept proposé par les organisateurs. En effet, d’après une enquête que nous avons menée en 2018 auprès des coureurs, organisateurs et partenaires, le marathon de Paris véhicule un imaginaire métissé à la fois culturel et sportif. Nous avons analysé les mots revenant le plus fréquemment dans les entretiens et l’exercice a mis en évidence l’importance des représentations culturelles. Le récit est souvent marqué par la construction d’une urbanité événementielle principalement structurée autour des dimensions patrimoniales, hédonistes et conviviales.

Cependant, la représentation sportive s’avérait aussi très significative. Tout se passe comme si les marathons quelle que soit leur géographie culturelle, et c’est le cas de Paris, étaient aussi pensés pour favoriser la confrontation à soi ou aux autres, en réponse à une demande de chrono chez les participants soucieux de leurs performances même en courant dans un musée à ciel ouvert. Le culte de la performance reste aujourd’hui très présent dans les pelotons, ce qui n’est pas sans influencer aussi le tracé du parcours, avec de grandes avenues, pas ou peu de dénivelé, et un kilométrage important en dehors de la zone historique au cœur de la capitale. Partout les marathons semblent s’homogénéiser ainsi.

La majorité des coureurs possède bien cette double représentation sportivo-culturelle.

« Lulu » peut dire qu'il l'a fait. Laurine Buffière, CC BY

La troisième hypothèse vise à considérer que ce marathon occupe une place à part dans l’imaginaire des coureurs attirés par la notoriété de cette épreuve et l’expérience intense proposée. C’est l’effet capitale qui jouerait à plein ici. Pour beaucoup de marathoniens et même de simples coureurs ordinaires, faire « Paris », 42,795 km dans la plus belle ville du monde, est un rêve qu’il faut transformer en réalité, quelque chose à faire au moins une fois dans sa vie. L’objectif suprême est de poster un selfie sur les réseaux sociaux, au départ sur les Champs-Élysées ou à l’arrivée avec la médaille autour du cou devant l’Arc de Triomphe. Mieux, de pouvoir dire « je l’ai fait », le lundi matin en arrivant au bureau. Le décor sublime la mise en spectacle de soi-même et garantit des profits symboliques supérieurs aux autres marathons.

Cette triple logique rend compte notamment du pourcentage de néo-participants très important, 43 % des inscrits, car ils sont plus enclins à rechercher ces profits dans un souci de reconnaissance sociale et ils en capitalisent davantage en courant Paris. Ils sont prêts pour cela à oblitérer de leur conscience les potentielles dérives économiques, environnementales et sociales de l’événement.

Un charme menacé par trop de marchandisation ?

De ce point de vue, la durabilité de l’attrait de l’événement est questionnable. Les coureurs se montrent ainsi très critiques envers Amaury Sport Organisation, l’organisateur de l’événement : « prix trop cher du dossard », « un marathon qui respire trop l’argent », qui est « trop business », « trop mercantile », qui est en train « de perdre son âme » avec « des sponsors hors sport » à l’image de Schneider Electric et un « Marathon Expo trop centré sur le fric ». Quentin, coureur venu de Bordeaux, nous l’expliquait avec ces mots :

« Le business est trop présent dans ce marathon et plus particulièrement au Marathon Expo. J’ai ressenti une sensation de dégoût presque lorsque j’ai découvert, il y a cinq ans, pour la première fois ce salon du running. J’ai eu une impression lourde et repoussante de me trouver là que pour consommer, être obligé presque d’acheter, avec la multiplicité des gros stands de marque, des vendeurs tous habillés pareils. »

L’enquêté se réfère ici également au salon « Run Expérience » qui se tient en amont de l’événement à la Porte de Versailles. Chaque année il semble accentuer son caractère marchand, visible dans l’architecture pensée avant tout pour les équipementiers qui sont les grands argentiers du marathon. Le nombre de mètres carrés occupés, leur place privilégiée à l’entrée, la signalétique affichée et le cheminement rendu obligatoire par l’organisation, ainsi que les animations proposées, tout semble pensé pour ces derniers. L’espace dédié aux organisateurs d’autres marathons s’est trouvé parqué lors des dernières éditions au fin fond du hall. Ces derniers se sont d’ailleurs plaints du sort qui leur est réservé.

Cette marchandisation du marathon de Paris risque à moyen terme de dissuader un certain nombre de personnes de s’inscrire. Il est aussi notable que l’événement ne soit pas aujourd’hui considéré comme une épreuve écoresponsable par les coureurs. Si des actions sont en train d’être initiées et des annonces faites depuis cinq ans par les organisateurs et notamment le partenaire titre Schneider Electric, elles ne sont du moins pas évoquées par les inscrits. La synergie avec Paris comme ville durable est loin d’être atteinte et l’impression de « greenwashing » domine.

Le marathon de Paris amplifie la « dramaturgie moderne » propre à l’épreuve car il est en mesure de proposer à tous les participants un rêve éveillé en harmonie avec la splendeur de l’écrin patrimonial qui le magnifie. Il contribue aussi à intensifier l’expérience urbaine en provoquant une communion nourrie par différentes animations et promesses d’innombrables relations sociales tissées sur le moment. Des participants de tout pays convoquent le monde dans la ville et contribuent à son rayonnement touristique planétaire. Tous ces éléments laissent entrevoir encore de beaux jours pour l’événement.

Néanmoins, la dérive économique semble patente et prendre au sérieux les enjeux environnementaux de plus en plus crucial. La production d’un événement plus sobre et vraiment écoresponsable sera demain une obligation. Il faudra peut-être accepter de décélérer en limitant le nombre d’inscriptions. Les temps insouciants des pelotons chamarrés semblent être derrière nous.

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