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Marketing : Benoît Hamon, le New Coke et l’avenir du PS

Benoit Hamon portant un autocollant du PS lors d'une manifestation à Paris le 16 octobre 2010. Clem/Flickr, CC BY-SA

Bien qu’existant sous de nombreuses déclinaisons, le Coca-Cola dit « Classic » demeure l’un des produits les plus connus du grand public. Cette dénomination, classic, a été apposée sur les bouteilles (pour y rester jusqu’en 1999) suite à l’introduction en 1985 d’un New Coke, nouvelle formule, censée être l’adaptation du Coca-Cola à l’air du temps. Or cette aventure du New Coke nous rappelle que si les consommateurs semblent réclamer de la nouveauté aux entreprises historiques, ils cherchent également de l’histoire et des valeurs immuables.

Même si, bien sûr, les programmes politiques ne sont pas des produits de grande consommation comme les autres, les électeurs ne sont pas des consommateurs comme les autres et les partis politiques ne sont pas des entreprises comme les autres, il n’en reste pas moins possible de tirer quelques leçons politiques de ce cas marketing.

Même le Coca-Cola n’est immuable…

Dans tout cours de marketing, on apprend que le Coca-Cola a été inventé un peu par hasard par John S. Pemberton en 1886 en s’inspirant du vin Mariani créé par le chimiste d’origine corse Angelo Mariani et que cette boisson et ses campagnes publicitaires ont eu un impact significatif sur la culture américaine. On dit souvent que l’entreprise est à l’origine de l’image moderne du Père Noël sous les traits d’un vieil homme habillé en rouge et blanc, autrefois vert et très peu en rouge.

Les campagnes publicitaires de Bradshaw Crandell et Gil Elvgren montrant des pin-ups ou les publicités véhiculant l’image d’une Amérique jeune, blanche et rurale de Norman Rockwell ont beaucoup alimenté l’imagerie américaine. Le Coca-Cola est devenu peu à peu un produit emblématique, le produit correspondant à tous, partout dans le monde devenu dans une campagne de publicité, « The real thing ».

Mais, peu à peu, son environnement de leader incontesté a évolué. Tout d’abord, lors de tests en aveugle organisés depuis 1975 et mis en scène dans des publicités par son concurrent Pepsi, l’entreprise a découvert que les consommateurs préféraient largement le goût du petit suiveur Pepsi-Cola. Par ailleurs, au niveau économique, la recherche chimique ayant progressé, l’entreprise pouvait remplacer les extraits de vanille naturelle par la vanilline, moins chère et plus puissante (Reymond, 2006). Enfin, l’entreprise souhaitait mettre un terme à certains contrats avec les embouteilleurs de la marque qui n’apparaissaient pas assez avantageux pour Coca-Cola car datant pour certains de l’époque où elle n’était pas encore à son plein essor.

Pour ses diverses raisons, la société Coca-Cola décida d’innover et lança le 23 avril 1985, _New Coke, _nouvelle recette faisant mettre un terme à 100 ans de stabilité et remplacer le Coca-Cola tel qu’on le connaissait. Le produit avait été testé dans la plus grande confidentialité de toutes les façons imaginables. L’opinion quasi-unanime du panel des consommateurs était formelle : « Le goût du New Coke est bien meilleur que celui du Coca-Cola ordinaire ». Le succès était donc garanti puisque comme l’annonçait la campagne de publicité concomitante « le meilleur le devient plus encore ».

Le Parti socialiste n’échappe pas à une volonté de renouveau

À l’instar des entreprises commerciales, les partis politiques historiques se trouvent confrontés à cette problématique de l’innovation face aux multiples évolutions de l’environnement avec lequel ils sont sensés être en phase. Comme les autres, le Parti socialiste n’a pas échappé à l’émergence de nouveaux courants et à la recherche de nouvelles voies. Son orientation sociale-démocrate, à l’instar de la plupart des partis de gauche de gouvernement en Europe, en est une illustration. Lors de la Primaire de la Belle Alliance Populaire pour le choix du candidat à l’élection de Présidentielle 2017, Manuel Valls représenter ce courant relativement récent dans le paysage socialiste français. En proposant une candidature axée sur le « réalisme » que cela soit sur une dimension économique, sécuritaire ou identitaire, Manuel Valls a introduit des thématiques encore peu mises en avant jusqu’à maintenant au sein du Parti socialiste.

Or, les résultats des primaires de La Belle Alliance Populaire témoignent d’une opposition claire entre deux positions au sein du Parti socialiste : un héritier de la position historique du fort ancrage à gauche (Benoît Hamon) et un défenseur d’une ligne plus libérale souvent présentée comme plus « moderne ».

Demeure la question de la pertinence, ou du moins de l’efficacité électorale, d’un tel changement phase à une vision plus traditionnelle.

La sous-estimation du poids du passé est une grave erreur

L’introduction du New Coke a-t-elle rencontré le succès attendu ? À la surprise générale, le lancement du New Coke s’est avéré être l’un des échecs les plus retentissants en marketing : les chiffres de vente baissèrent au lieu d’augmenter. Dès le lendemain du lancement du New Coke, les États-Unis connurent l’une de leur plus grande crise de nerf collective, provoquant un tollé général au sein de la population et des médias. Une ligne téléphonique dédiée à la nouvelle boisson (800-GET-COKE) sera inondée d’appels de consommateurs mécontents (1 500 appels le premier jour), et les appels au boycott vont se multiplier dans le pays. Certains consommateurs, effrayés par l’idée de perdre le goût du Coca-Cola, vont dévaliser les magasins et remplir leurs caves (une personne a acheté pour plus de 1 000$ de Coca-Cola dans l’épicerie près de chez lui).

Selon Roger Bailey, l’un des spécialistes qui fut consulté pour expliquer un tel échec, « le New Coke est un produit qui ne s’adresse qu’à environ 10 % de la clientèle parce que c’est une rupture radicale avec le passé ». C’est cette frange qui achetait le New Coke. Toutes les autres préféraient le produit original car au-delà du produit (qui pris hors contexte, était moins apprécié au niveau du goût du Pepsi-Cola), c’est l’histoire, l’imaginaire, les valeurs et la culture véhiculés par Coca-Cola que les consommateurs appréciaient.

« Changer le goût du Coca-Cola revient à me dire que dieu n’existe pas », « Changer le goût du Coca-Cola, c’est comme si dieu faisait le gazon violet » ou « Je ne serais pas plus choqué si quelqu’un venait brûler le drapeau américain dans mon jardin » sont quelques-unes des phrases écrites à l’entreprise après l e lancement du New Coke. L’entreprise Coca-Cola se retrouve piégée par son produit mythique, présenté dans les publicités comme the real thing. Comme l’a rappelé Donald Keough, le numéro deux de Coca-Cola lors de l’introduction du New Coke,

« tout le temps, l’argent et les compétences que nous avons consacrés à l’études des consommateurs ne permettaient pas de révéler la profondeur de l’attachement au goût original du Coca-Cola »

Don Keough explique la catastrophe New Coke.

Le fait que les consommateurs préfèrent le goût du Pepsi au Coca-Cola, qu’ils en achètent moins que par le passé et la perspective d’une éventuelle réduction du coût de production ont fait perdre de vue aux dirigeants que le plus important demeure la dimension émotionnelle liée à l’ADN de la marque dont le produit phare en est la matérialisation. Remettre en question ce produit par l’innovation, c’était toucher cet ADN et donc remettre en question cette dimension émotionnelle, chose particulièrement difficile pour les consommateurs voire même pour l’ensemble des Américains. Bien sûr, une partie des consommateurs à la recherche de nouveauté pouvait se tourner vers Pepsi-Cola ou d’autres concurrents encore comme Dr Pepper, mais la majorité restait attachée à la spécificité de Coca-Cola.

Le choix d’une nouvelle ligne politique par un parti, plus en adéquation avec l’air du temps peut relever du cadre d’analyse du New Coke. Les adhérents ou sympathisants des partis politiques risquent de ne pas accepter le reniement des valeurs centrales historiques plutôt que la volonté d’une imitation d’une ligne présente ailleurs. À l’instar des experts en étude marketing penchés sur le cas de Coca-Cola au milieu des années quatre-vingt, les sondeurs du début du XXIe siècle n’ont pas réussi à mesurer l’attachement des électeurs au « goût original » de leur parti politique. Manuel Valls, comme Alain Juppé pour Les Républicains, a échoué à faire accepter cette nouvelle ligne rendant « la victoire possible », alternative à la « défaite assurée ». Les électeurs semblent désormais préférer des candidats peut-être moins favoris pour la victoire finalement, mais des candidats plus fortement ancrés dans les valeurs fondamentales de leurs partis.

Ne pas vouloir changer est-ce refuser le succès ?

Après la victoire de Benoît Hamon aux primaires, la survenance d’une crise profonde conduisant sans doute à la disparition du parti socialiste semble irrémédiable à une majorité d’observateurs. En refusant l’expérience de gouvernement et le réalisme pour la vision d’un futur, d’un choix du futur différent (que l’on peut sans doute qualifier d’utopies), les électeurs auraient sabordé leur parti politique. Face au refus de l’innovation, point de salut donc. Un discours similaire a déjà été entendu à droite du fait de la supposée impossible cohabitation entre une ligne dite « dure » et une ligne plus « modérée ». Mais cette opposition entre « historiques » et « réformistes », entre « anciens » et « nouveaux » conduira-t-elle nécessairement à la disparition des partis ?

Face aux très fortes réactions négatives, il n’aura fallu que 79 jours pour que le Coca-Cola revienne en juillet 1985 sous sa forme traditionnelle, désormais appelé « Classic » (il faudra attendre 2002 pour le retrait définitif aux États-Unis du New Coke). Mais cette histoire n’a-t-elle été qu’un échec cuisant à oublier au plus vite pour Coca-Cola ? Sûrement pas car le retour de la formule originale du produit a conduit à un sursaut des ventes. Mais, plus important que les ventes, cette situation a rappelé aux consommateurs l’importance du produit dans leur vie, à l’imaginaire, aux valeurs, à l’histoire et à la culture qu’il véhicule et à leur attachement qui en découle. En définitive, Coca-Cola en est ressorti renforcé puisqu’il a acquis à cette époque la certitude que son avenir passait avant tout par la construction sur ses fondamentaux et non par une course derrière tel ou tel concurrent ou par une réponse à telle ou telle évolution environnementale.

Et si les positions novatrices au sein des partis politiques traditionnels permettaient, avant tout de leur rappeler l’ADN ? Et si ces positions nouvelles permettent à chacun de savoir à quoi il est fondamentalement attaché et sur quoi il est impossible de transiger. Bien sûr, de la même manière que Coca-Cola a perdu des clients fidèles en 1985, des électeurs se tournent vers le mouvement « En Marche ! » d’Emmanuel Macron, vers la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon ou vers d’autres encore. Mais l’essentiel demeure : si l’innovation a permis d’identifier vers où le public ne veut pas aller, elle a également permis de clairement décrire sur quoi (re)construire. Bien sûr, seule l’histoire nous dira si ce dimanche 29 janvier a marqué la date de la fin du Parti socialiste ou la sortie prochaine d’un Parti socialiste plus classic que jamais.

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