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Vue d'artiste de ce à quoi aurait ressemblé Mars il y a un milliard d'années.
Vue d'artiste de ce à quoi aurait ressemblé Mars il y a un milliard d'années. Stuart Rankin/Flickr

Mars : et si c’était la vie qui avait rendu la planète inhabitable ?

Il y a 4 milliards d’années, le système solaire est encore jeune. Le processus de formation des planètes qui le constituent touche à sa fin, et le bombardement d’astéroïdes auquel celles-ci sont soumises s’atténue.

Notre planète devient alors habitable puis, quelque temps plus tard (quelques dizaines ou centaines de millions d’années), habitée. La biosphère primitive est alors bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. La vie n’a pas encore inventé la photosynthèse, sa source principale d’énergie à l’heure actuelle. Les microbes primordiaux – les ancêtres communs à toute forme actuelle de vie sur Terre – doivent donc survivre dans les océans de notre planète en utilisant une autre source d’énergie : la consommation d’espèces chimiques libérées par l’intérieur de la planète (au niveau des systèmes hydrothermaux et des volcans), qui s’accumulent sous forme de gaz dans l’atmosphère.

Des micro-organismes appelés « méthanogènes hydrogénotrophes », l’une des formes de vie les plus ancienne de notre biosphère, bénéficient plus particulièrement de la composition atmosphérique de l’époque. Ils se nourrissent en effet du CO2 (dioxyde de carbone) et du H2 (dihydrogène) alors abondants dans l’atmosphère (le H2 représente alors 0,01 à 0,1 % de la composition atmosphérique contre approximativement 0,00005 % aujourd’hui), récoltant ainsi une quantité d’énergie suffisante pour coloniser la surface des océans de la planète.

Ils relâchent en échange d’importantes quantités de méthane (d’où leur nom de « méthanogènes ») dans l’atmosphère. Ce puissant gaz à effet de serre s’y accumule et réchauffe le climat, à une époque où un soleil moins brillant qu’aujourd’hui n’est pas nécessairement en mesure de maintenir à lui seul des conditions tempérées à la surface de la planète. L’apparition de la vie sur Terre à donc pu participer, par le biais des méthanogènes, à consolider l’habitabilité de notre planète et à établir les conditions favorables à l’évolution et à la complexification de la biosphère terrestre durant les milliards d’années qui suivront.

S’il s’agit du scénario le plus probable de l’évolution précoce de l’habitabilité de la Terre, qu’en est-il des autres planètes du système solaire ? Prenons l’exemple de notre voisine, Mars, la planète rouge. Les données collectées au fur et à mesure de son exploration laissent entendre de façon de plus en plus certaine que des conditions environnementales similaires à celles ayant permis aux méthanogènes de foisonner dans les océans de la planète Terre ont pu exister sur la planète rouge. Ou plutôt sous sa surface.

Les quatre premiers kilomètres de la croûte poreuse de Mars auraient en effet pu fournir à une potentielle vie microbienne martienne non seulement une protection vis-à-vis des conditions rigoureuses de la surface (en particulier un abri contre les radiations ultraviolettes délétères), mais aussi des températures favorables et compatibles avec la présence d’eau liquide, ainsi qu’une source potentiellement abondante d’énergie, sous forme de gaz atmosphériques diffusant dans la croûte.

Notre groupe de recherche s’est donc tout naturellement posé la question : ce qui s’est produit sur Terre aurait-il pu également se produire sur la planète rouge ? Nos résultats viennent d’être publiés dans la revue scientifique Nature Astronomy.

Un portrait de Mars il y a quatre milliards années

Pour répondre à cette question, nous avons couplé trois modèles. Le premier permet de prédire comment le volcanisme à la surface de Mars, la chimie interne de son atmosphère et l’échappement de certaines espèces chimiques vers l’espace déterminent la pression et la composition de l’atmosphère. Ces caractéristiques déterminent ensuite le climat.

Le second modèle décrit les caractéristiques physico-chimiques de la croûte poreuse de Mars : température, composition chimique, présence d’eau liquide. Celles-ci sont déterminées en partie par les conditions de surface (température de surface, composition atmosphérique) et en partie par les caractéristiques internes de la planète (gradient thermique interne, degré de porosité de la croûte).

Ces deux premiers modèles nous permettent de simuler l’environnement de surface et l’environnement souterrain d’une jeune planète Mars. De nombreuses incertitudes demeurent cependant sur les caractéristiques principales de cet environnement (intensité du volcanisme de l’époque, gradient thermique de la croûte). Pour remédier à ce problème, nous explorons un grand nombre de possibilités quant à ce que ces caractéristiques auraient pu être, générant ainsi un ensemble de scénarios établissant ce à quoi Mars aurait pu ressembler il y a 4 milliards d’années.

Cartes topographique de Mars il y a approximativement 4 milliards d’années (le relief est indiqué par les lignes de niveau et le gradient de couleur orange) à différents stades (initial, intermédiaire et final, de gauche à droite, la totalité de la période couvrant quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’années) de l’évolution de la couverture de glace à la surface de Mars (en blanc) au fur et à mesure du refroidissement de son climat sous l’influence de micro-organismes méthanogènes hydrogénotrophes. Boris Sauterey, Fourni par l'auteur

Le troisième et dernier modèle décrit la biologie d’hypothétiques micro-organismes méthanogènes martiens. Il repose sur l’hypothèse que ces derniers auraient été similaires aux méthanogènes terrestres, du moins du point de vue de leurs besoins énergétiques. Il nous permet d’évaluer l’habitabilité, pour nos microbes, en fonction des conditions environnementales souterraines sur Mars, pour chacun des scénarios environnementaux générés par les deux précédents modèles. Si lesdites conditions rendent la planète habitable, le modèle évalue combien de ces micro-organismes auraient alors pu subsister sous la surface de Mars.

Couplé aux modèles de croûte et de surface, il permet d’estimer l’influence de cette biosphère microbienne souterraine sur la composition chimique de la croûte, sur l’atmosphère et sur le climat. En faisant le lien entre l’échelle microscopique de la biologie des microbes méthanogènes et l’échelle globale du climat de Mars, le couplage de ces trois modèles permet donc de simuler le comportement d’un écosystème planétaire martien.

Une habitabilité souterraine passée très probable de la croûte de Mars

Un certain nombre d’indices géologiques indiquent que de l’eau liquide circulait à la surface de Mars il y a 4 milliards d’années, formant des rivières, des lacs, et même potentiellement des océans. Le climat de Mars était donc plus tempéré qu’il ne l’est aujourd’hui. Pour expliquer un tel climat, notre modèle de surface prédit que l’atmosphère de Mars était dense (à peu près autant que l’atmosphère terrestre actuelle) et particulièrement riche en CO2 et H2, plus encore que ne l’était à l’époque l’atmosphère terrestre.

Ce contexte atmosphérique particulièrement riche en CO2 aurait en effet conféré au H2 atmosphérique les caractéristiques d’un gaz à effet de serre particulièrement puissant, plus puissant que ne l’aurait été dans les mêmes conditions le CH4. Autrement dit, 1 % de H2 dans l’atmosphère réchauffe alors plus le climat de Mars que 1 % de CH4.

Dans quelques-uns des scénarios produits par notre modèle, cet effet de serre ne suffit pas à produire les conditions climatiques nécessaires au maintien d’eau liquide à la surface de Mars : la planète rouge est alors recouverte de glace. Si des températures viables existent dans les profondeurs de la croûte, celle-ci n’en demeure pas moins inhabitable : bloqués par la glace de surface, le CO2 et le H2 atmosphériques – source d’énergie indispensable à la vie méthanogène – ne peuvent pas pénétrer dans la croûte.

Dans la majorité de nos scénarios cependant, la présence d’eau liquide à la surface de Mars est possible, au moins dans les régions les plus chaudes. À ces endroits, le CO2 et le H2 atmosphériques peuvent pénétrer dans la croûte.

Notre modèle biologique prédit alors que, dans l’intégralité de ces scénarios, les micro-organismes méthanogènes auraient trouvé des températures viables et eut accès à une source d’énergie suffisante à leur survie dans les premières centaines de mètres de croûte.

Pour résumer, bien que nous n’ayons à l’heure actuelle aucune preuve factuelle d’une vie passée ou présente sur Mars, la croûte de Mars aurait très probablement pu abriter une biosphère souterraine composée de micro-organismes méthanogènes, voici 4 milliards d’années.

Un âge glaciaire déclenché par une biosphère primitive

Ces hypothétiques méthanogènes martiens auraient-ils pu, tout comme leurs homologues sur Terre, réchauffer le climat de leur planète ? Notre histoire devient ici moins optimiste. Une biosphère souterraine basée sur la méthanogénèse aurait profondément modifié l’atmosphère de Mars, consommant la grande majorité de son H2 et relâchant une quantité importante de CH4.

Or, comme nous l’avons vu, le H2 est, dans le contexte de l’atmosphère précoce de Mars, un gaz à effet de serre plus puissant que le CH4 (les effets de serre respectifs de ces gaz sont donc inversés par rapport à ceux observés dans l’atmosphère terrestre actuelle, ou par rapport à ceux que l’on aurait observés dans l’atmosphère terrestre précoce).

Alors que l’apparition de la méthanogénèse sur terre a participé à établir un climat favorable consolidant ainsi l’habitabilité terrestre, une vie méthanogène martienne aurait, en consommant la majorité du H2 atmosphérique de Mars, brutalement refroidi le climat de plusieurs dizaines de degrés et participé à l’expansion de la couverture de glace.

Dans les régions encore libres de glace en surface, nos micro-organismes auraient par ailleurs probablement eu à s’enfoncer bien plus profondément dans la croûte afin de trouver des températures viables, s’éloignant ainsi de leur source atmosphérique d’énergie. Sous l’action de la vie, Mars serait donc devenue bien moins accueillante qu’elle ne l’était initialement.

L’autodestruction, un lieu commun de la vie dans l’univers

Dans les années 70, James Lovelock et Lynn Margulis ont développé l’hypothèse Gaïa : l’habitabilité de la Terre est maintenue par une autorégulation harmonieuse et mutuelle de la biosphère terrestre et de la planète Terre. Nous, l’espèce humaine, étions dans ce cadre une fâcheuse exception.

Ce concept à conduit à l’émergence de l’idée « goulot d’étranglement Gaïen » : ce ne sont peut-être pas les conditions nécessaires à la vie qui manquent dans l’univers, mais plutôt la capacité de la vie, une fois apparue, à maintenir sur le temps long l’habitabilité de son environnement planétaire.

Ce que suggère notre étude est encore plus pessimiste. Comme le montre l’exemple de la méthanogénèse sur Mars, la vie – même très simple – peut dans certaines conditions activement compromettre l’habitabilité de son environnement planétaire. Dès lors, une question se pose : est-il possible que cette tendance à l’autodestruction limite l’abondance de la vie dans l’univers ?

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