Menu Close

Mécanismes de l’attention : les comprendre pour mieux apprendre

Entre deux tâches importantes, il faut savoir faire un choix. Shutterstock

Avec la multitude d’informations qui nous parviennent aujourd’hui par les outils numériques, les distractions se multiplient. Pour mieux comprendre cette « crise de l’attention » et mettre en place de bonnes pratiques, Jean‑Philippe Lachaux, neuroscientifique et directeur du programme ATOLE, décrypte les mécanismes cérébraux en jeu en passant en revue trente idées reçues dans son ouvrage « L’attention, ça s’apprend », publié aux Éditions MDI, en partenariat avec le Réseau Canopé. Extraits.


On ne peut pas réaliser correctement et en même temps deux tâches qui demandent de la concentration

Un professeur met sans s’en rendre compte ses élèves dans une situation de multi-tâches, très inconfortable pour eux sur le plan cognitif. Mathieu de Muizon/Éditions MDI, 2020, Author provided

En bref

C’est la raison pour laquelle il est interdit de téléphoner au volant. Et si vous n’êtes pas convaincu, essayez de compter mentalement le nombre de e de ce texte tout en cherchant sept noms de ville commençant par la lettre B. Ou bien de compter dans ce paragraphe le nombre de e, de t et de s en une seule lecture bien sûr. Bon courage !

Si on approfondit

Il existe une littérature scientifique foisonnante concernant les difficultés que pose la réalisation de deux tâches complexes en même temps. Les articles de ce domaine s’attachent principalement à identifier ce qui a été appelé le « goulot d’étranglement central » (« central bottleneck » en anglais). Ce goulot est constitué d’un ensemble de régions cérébrales impliquées dans toutes les tâches qui exigent de la concentration. Comme le goulot d’une bouteille qui limite la vitesse d’écoulement de l’eau, ce goulot cognitif – principalement situé dans le cortex préfrontal, une fois de plus – oblige les tâches qui demandent de la concentration à être réalisées les unes après les autres. Et ce n’est que lorsque certaines d’entre elles ont été suffisamment répétées pour devenir automatiques qu’il devient possible de les réaliser en même temps.

Ce que disent les neurosciences

Quand on a compris ce qu’était un task-set – cette représentation neuronale de la consigne d’une tâche –, il est facile de comprendre qu’avoir deux task-sets simultanément actifs dans le cortex préfrontal n’est pas une bonne idée, car au moment de percevoir un stimulus, les deux groupes de neurones tentent de déclencher des actions qui peuvent se contredire. Ils peuvent aussi se contredire concernant l’attention-set – ce à quoi il faut faire attention – et entrer en conflit au moment d’augmenter la sensibilité des régions sensorielles. Ce phénomène a été bien étudié dans des situations expérimentales demandant aux participants de passer rapidement d’une tâche à une autre.

Par exemple, lorsqu’une personne passe d’une tâche qui lui demandait de faire attention à des visages à une tâche de lecture, les régions de son cortex visuel sensibles aux visages restent dans un état de sensibilité accrue par un effet d’inertie, même si elles ne sont plus nécessaires. La personne continue, malgré elle, à faire attention aux visages, ce qui cause une baisse de performance dans la tâche de lecture proposée lors de l’expérience. En somme, mieux vaut avoir une seule intention claire à la fois, et un seul task-set, donc un seul groupe de neurones bien actifs.

Mais on peut nuancer

Certains élèves soutiennent mordicus qu’ils peuvent écouter un cours tout en dessinant ou en manipulant des objets, et que cela les aide même à se concentrer. D’autres disent qu’ils ont besoin d’écouter de la musique lorsqu’ils travaillent chez eux ou qu’ils peuvent rédiger un SMS tout en écoutant ce qu’on leur dit. Ce n’est pas forcément faux, car tout dépend de la continuité d’attention qui est demandée par la tâche principale.

Il est possible de comprendre ce que dit quelqu’un, s’il s’agit d’une conversation simple sur un thème familier, en reconstituant le message à partir de quelques mots saisis ici et là. La compréhension est superficielle mais possible. Et lorsqu’un élève griffonne ou joue avec son stylo, sa concentration n’est pas vraiment engagée dans cette tâche : il ne cherche pas à réaliser une prouesse artistique. Par contre, toute activité secondaire doit cesser quand le niveau de concentration exigé par la tâche principale augmente ; tous les conducteurs qui éteignent spontanément leur autoradio quand la conduite devient plus difficile ou pour faire un créneau peuvent en témoigner.

Et vous ?

Si vous avez encore du mal à vous en convaincre, multipliez mentalement 12 par 14 tout en récitant l’alphabet à l’envers… Maintenant que vous avez un ressenti clair de ce que cela fait de mener deux tâches de front qui demandent toutes les deux de se concentrer, vous pouvez réfléchir un instant pour identifier des situations de classe qui poussent vos élèves à faire deux choses à la fois qu’ils n’ont pas encore automatisées – en sachant qu’ils ont acquis bien moins d’automatismes que les adultes.

Il est fréquent d’essayer, sans s’en rendre compte, de se concentrer sur deux choses à la fois

Un adolescent marche dans la rue en écrivant un texto, mais ne regarde pas suffisamment devant lui et se heurte à un poteau, alors même qu’il l’avait vu de loin. Mathieu de Muizon/Éditions MDI, 2020, Author provided

En bref

Vous arrive-t-il parfois de ne pas réussir à avancer dans votre travail parce que vous attendez un coup de téléphone important auquel vous vous préparez, plus ou moins consciemment ? C’est une de ces situations courantes où notre attention se divise entre deux priorités, car tant que vous n’avez pas évacué cette urgence de votre esprit, vous devez régulièrement y penser pour ne pas l’oublier, ce qui vous oblige à y faire attention. Avec un peu d’introspection, vous remarquerez que la sensation de surcharge mentale est très souvent due à une tentative malheureuse de faire attention à deux choses à la fois.

Si on approfondit

Quand on est un peu timide, faire un exposé devant la classe peut être l’occasion d’un « mauvais » multi-tâches : l’élève est concentré sur ce qu’il souhaite dire tout en surveillant constamment l’attitude de son public. Il guette le moindre signe de moquerie tout en veillant à ne rien oublier d’important, jetant sans doute un œil inquiet vers son professeur. Bien qu’il semble s’agir d’une seule tâche, cet exposé mélange en réalité plusieurs tâches qui sont en compétition les unes avec les autres et qui peuvent finir par causer un réel embouteillage, sans compter l’anxiété qui parasite également la concentration : l’élève s’arrête, rougit, perd ses moyens, ne sait plus quoi dire et essaie de reprendre son exposé, qu’il a en partie oublié. Et il est aussi courant, sans s’en rendre compte, de demander aux élèves de se concentrer sur deux tâches à la fois.

Dès qu’on éprouve des difficultés dans une tâche complexe, il est bon de s’interroger sur ce qu’on cherche à faire : n’est-on pas en train de chasser plusieurs lièvres à la fois ? Et le professeur ne place-t-il pas parfois les élèves en situation de « mauvais » multi-tâches sans s’en rendre compte ? Peut-on leur demander de recopier ce qui est au tableau tout en leur expliquant autre chose ? La réponse est non, mieux vaut éviter. Pourtant, il est courant de commettre ce genre d’erreurs dans le feu de l’action.

Ce que disent les neurosciences

Nous l’avons vu, la mémoire des intentions porte un nom : la « mémoire prospective ». C’est la mémoire dans laquelle vient s’empiler tout ce qu’on a à faire plus tard (ou tout de suite après) et qu’il ne faut surtout pas oublier. C’est cette mémoire qui vous fait poser votre magazine et vous lever pour aller surveiller la cuisson des pâtes. Elle semble impliquer majoritairement le pôle frontal, qui est la région du cortex la plus en avant du cerveau, deux centimètres à peine derrière vos sourcils.

Cette région fascinante a des fonctions multiples ; et l’une d’entre elles est de nous permettre d’envisager un contexte plus large que celui, immédiat, de la tâche que nous sommes en train d’accomplir. Elle constitue donc un garde-fou contre la tentation de se laisser engloutir dans cette tâche comme si rien d’autre n’existait. On peut aussi la considérer comme une source de distraction, puisqu’être concentré sur ce qu’on fait, c’est justement oublier quelques instants tout ce qu’on doit faire d’autre. Avec le pôle frontal, l’attention peut être rapidement tiraillée entre ce qu’on est en train de faire et ce qu’on devrait aussi faire, ce qui peut laisser l’impression désagréable d’un esprit déchiré, au sens du mot latin distrahere (d’où vient d’ailleurs le verbe « distraire »).

Mais on peut nuancer

Notre attention est forcément un peu distribuée. Quand nous traversons la rue en discutant au téléphone avec un ami, nous ne sommes pas exclusivement concentrés sur cette conversation. Nous veillons aussi à ne pas nous faire renverser, à arriver de l’autre côté avant que le feu ne passe au rouge, etc. Mais ces cas de figure sont particuliers parce que ces tâches annexes demandent un niveau de concentration très faible.

Et vous ?

Un des signes distinctifs du « mauvais » multi-tâches est la sensation de surcharge mentale : l’impression d’être complètement débordé au point d’être incapable de faire quoi que ce soit d’efficace. Quand vous serez dans cette situation, ralentissez et marquez une pause, à la fois pour redonner le temps à votre cortex préfrontal de fonctionner efficacement, mais aussi pour noter très rapidement tout ce que vous avez « à faire » et désigner l’une de ces tâches comme prioritaire pour les minutes à venir.

Si vous le pouvez, fixez à l’avance la durée à consacrer à cette activité prioritaire : cinq ou dix minutes. Et si vous avez un minuteur à portée de main, il vous sera précieux car il vous permettra de tout oublier, même l’heure, pendant cette petite bulle de temps.

Présentation du MOOC « L’attention, ça s’apprend ».

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,900 academics and researchers from 4,919 institutions.

Register now