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« Médecine personnalisée » : attention à la collecte massive des données

La collecte massive de données de santé offre la perspective d’une médecine sur mesure. Shutterstock

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Pas une semaine ne passe sans que la collecte et l’analyse des données personnelles ne fasse l’objet d’un article dans la presse. Après le scandale Cambridge Analytica, c’est le sort réservé aux données personnelles collectées par la plateforme Doctolib qui s’est trouvé au cœur des débats.

Collecter des données par le biais d’un site Internet de mise en relation avec des professionnels de la santé est classique : cela permet notamment de connaître le nom ou l’adresse d’une personne. Mais via ce procédé, d’autres éléments relatifs à la prise de rendez-vous sont recueillis (spécialité du professionnel, fréquence des rendez-vous). Autant d’éléments qui peuvent informer sur l’état de santé d’une personne.

De telles données personnelles présentent une utilité pour la recherche en santé mais leur usage risque aussi d’être détourné à des fins moins nobles.

Vers une médecine personnalisée

Mieux connaître la santé d’une population ou de patients, leur environnement ou leurs habitudes de vie grâce à leurs données personnelles, doit en effet permettre de développer une médecine personnalisée.

On résume celle-ci par la classique formule des « quatre P » pour désigner une médecine de précision, prédictive, préventive et participative. Cette formule est utilisée par son promoteur le biologiste américain, Leroy Hood, qui a participé à la mise au point d’instruments de séquençage de l’ADN pour la récolte de données biologiques à haut débit. Présentée comme une véritable révolution qui changerait les pratiques médicales, elle vise à proposer des thérapies sur-mesure ciblant des sous-groupes de la population, voire, à terme, des individus en fonction de leurs caractéristiques propres.

L’idée de médecine personnalisée est née à la fin des années 1990. Les avancées en matière de séquençage du génome humain offraient alors leurs premières promesses dans le domaine médical, notamment pour prédire certaines maladies, comme le cancer. L’intérêt pour ce concept est aujourd’hui ravivé par le champ de possibilités qu’ouvre la collecte massive de données.

L’objectif est d’analyser l’ensemble de ces données à l’aide d’algorithmes sophistiqués qui peuvent opérer en intelligence artificielle afin de suivre la progression d’une maladie chronique, ou bien détecter des déterminants de pathologie, des facteurs de risque, ou les liens entre une pathologie et un comportement, par exemple un comportement alimentaire. Ces mêmes outils numériques sont aussi utilisés pour assister les médecins dans certaines pratiques, comme l’analyse des images issues des examens radiologiques.

Une myriade d’acteurs impliqués

Les acteurs impliqués dans ces projets de collecte et d’analyse des données en masse sont nombreux. Des instituts publics, tout d’abord, comme des organismes de soin et de recherche – certains centres hospitaliers ont ainsi lancé la création d’entrepôts des données de santé afin de conserver dans un seul lieu et sous format numérique toutes les informations sur leurs patients. L’État français a lui aussi investi dans le domaine avec le lancement en 2018 du Health data hub, mais aussi avec la réforme du Système national des données de santé intervenue en juillet 2019 – laquelle a remplacé l’Institut national des données de santé par la Plateforme des données de santé.

Ce programme ambitieux s’attache à regrouper l’accès à des données très diverses : par exemple celles collectées dans le cadre du soin (public ou privé) pris en charge par l’assurance maladie, les données sur les remboursements de ces soins, ou encore sur les causes de décès.

À ce mouvement de fond dans le public s’ajoute celui des acteurs privés : des plates-formes de services en ligne ont vu le jour, comme celles qui proposent d’archiver pour vous vos données personnelles de santé. Parmi ces acteurs privés émergent aussi des fabricants de dispositifs connectés en santé, parfois ludiques, dont les mesures permettent de sonder l’état de santé d’une personne. Sans oublier les hébergeurs de données de santé chargés de conserver, pour des tiers, des données de santé. Ce sont ces marchés croissants qui suscitent les inquiétudes les plus vives autour de la protection de la vie privée des individus.

Le risque d’un traitement intrusif des données

Ces données collectées et analysées sont bien souvent personnelles, c’est-à-dire qu’elles permettent d’identifier ou de rendre identifiable un individu. Comme évoqué précédemment, elles sont recueillies de diverses façons : dans le cadre des soins courants (par exemple lors de la prise en charge à l’hôpital), des tests et dépistages (notamment génétiques), ou encore par des dispositifs médicaux (tel qu’un pacemaker connecté) ou des objets plus ludiques comme la balance connectée.

Du fait de la multiplicité de ces modes de collecte, les données ne sont ni centralisées ni d’égale fiabilité. Mais elles sont surtout extrêmement variées : données de soin, de recherche en santé, sur les habitudes sportives, les comportements alimentaires, la sédentarité, la situation géographique et, plus généralement, le mode de vie.

Leur combinaison fournit aussi des informations sur d’autres personnes que les individus eux-mêmes, à l’instar de leurs proches. Le traitement de ces données personnelles peut donc s’avérer très intrusif et produire des impératifs thérapeutiques ou des formes de culpabilisation morale sur les manières de s’alimenter, de bouger, de dormir, de s’exposer à des toxiques ou encore des facteurs de stress.

Le risque du contrôle sur nos comportements

En permettant une connaissance plus précise et actualisée de l’état de santé des patients et des assurés, cette collecte massive présente également, à terme, le risque d’un contrôle des comportements qui affectent la santé.

Les données peuvent en effet devenir des instruments de preuve pour démontrer que l’hygiène de vie du patient ou de l’assuré n’est pas suffisamment saine. Plane alors la menace de leur utilisation à des fins de contrôle social et sanitaire. Certaines complémentaires santé proposent ainsi des objets connectés en santé aux assurés, et leur fournissent des bons d’achat en contrepartie de leur bonne utilisation.

Si la récupération et l’analyse des données en santé n’est pas un fait nouveau, la variété des acteurs concernés et la quantité d’informations collectées interrogent. Outre la question de l’autonomie professionnelle et de la place laissée à la décision individuelle des soignants face aux algorithmes, les risques d’atteintes à la vie privée des personnes sont réels.

Dans un système où les comportements sont soumis aux contrôles, quelle place sera laissée au principe de solidarité dans la répartition du coût des soins alors même que les individus ont inégalement accès aux « bonnes pratiques » ?

Si le traitement des données massives entend prévenir les risques sociaux et sanitaires par une médecine personnalisée, ces derniers pourraient bien être utilisés à l’encontre des individus.

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