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Même avec zéro cas, l’Afrique aurait sévèrement souffert du Covid-19

Un pêcheur décharge du poisson destiné à l'exportation sur les quais de pêche de Hann - Bel Air à Dakar le 3 avril 2020. Dans ce port d'habitude très actif, c'est désormais un bateau par jour en moyenne qui vient décharger le poisson. L'épidémie a entraîné un effondrement des exportations, ce qui a ralenti la pêche et réduit le nombre de bateaux. John Wessels/AFP

S’il peut être difficile de prévoir à ce stade les conséquences sanitaires qu’aura la pandémie de Covid-19 en Afrique subsaharienne, tout indique que l’économie de la région sera durement affectée. D’une part, les pays de cette zone dépendent largement de l’exportation des matières premières – pétrole, cacao, coton, etc. – qui voient leurs cours baisser avec la chute de la demande mondiale. Selon les données de la CNUCED, la baisse des prix des matières premières est de 37 % en glissement annuel au 25 mars 2020 dans leur globalité. Elle est de 55 % pour les hydrocarbures ; le cours du cacao subit une baisse de 11 %, celui du coton de quasiment 23 %. Des développements plus récents semblent accentuer cette tendance à la baisse.

D’autre part, les pays africains sont importateurs des denrées de première nécessité dont les chaînes d’approvisionnement sont très perturbées. La baisse du volume des exportations associée à la détérioration des termes de l’échange conduiront donc à un problème de soutenabilité des comptes extérieurs de ces pays.

En plus de cette transmission via les échanges commerciaux, un grand nombre de pays africains dépendent des transferts des migrants qui constituent pour eux une source majeure de financement externe. Ils seront vraisemblablement affectés par la baisse de ces flux due à la perturbation de l’activité économique dans les pays développés. Enfin, n’oublions pas que certains pays africains, dont le tourisme occupe une part importante dans l’économie, sont déjà pénalisés avec le coup d’arrêt des vols commerciaux.

Ce degré de prévisibilité des conséquences du Covid-19, dans un horizon d’incertitude planétaire, démontre pour ainsi dire que pour l’Afrique, au moins, cette pandémie n’est pas de l’ordre de la conjoncture – au sens d’un système qui fait face, à un moment donné, à un choc –, mais plutôt de l’ordre du structurel – au sens d’un système parti pour subir des chocs perpétuels. Et si c’est donc la structure des économies africaines qui fait problème, les réponses à la pandémie de Covid-19 en Afrique ne devraient pas s’affranchir d’intégrer la composante structurelle. Une condition essentielle pour cela réside dans la capacité des élites politiques, administratives, économiques et intellectuelles à percevoir les ressources naturelles dont dépendent les pays africains comme une opportunité de transformer leurs économies au lieu de les percevoir comme des rentes pérennes – ce qu’elles ne sont pas.

Les ressources naturelles : ce n’est pas rien mais ce n’est pas tout !

S’il y a bien un pays dont les élites ont été confrontées aux mêmes opportunités et défis associés aux ressources naturelles, et que les élites africaines devraient étudier de près à défaut de s’en inspirer, c’est la Malaisie. Les exemples des dragons d’Asie sont en réalité assez peu informatifs pour les pays africains, en raison des différences de caractéristiques initiales des économies. A contrario, la Malaisie, quant à elle, possédait une structure initiale de l’économie comparable à celle des pays africains, car dépendant des ressources naturelles – à savoir, l’étain, le caoutchouc, l’huile de palme, et le pétrole.

Lors du premier choc pétrolier de 1973, le revenu réel par habitant de la Malaisie – 2400 dollars US, en termes constants – se situait à des niveaux comparables à ceux des pays d’Afrique subsaharienne au même moment – 1460 dollars US en moyenne. En 2018, soit 45 ans plus tard, le revenu réel par habitant de la Malaisie a quintuplé – il s’élève désormais à 12 120 dollars US –, tandis que ceux de ses homologues africains n’ont quasiment pas bougé – 1660 dollars US en moyenne.

En exploitant les opportunités offertes par les ressources naturelles, et en contrecarrant les défis, les élites malaisiennes démontrent que posséder des ressources n’est pas rien, mais bien aussi que posséder des ressources n’est pas tout non plus ! À noter qu’à ce jour, la Malaisie est le pays d’Asie du Sud-Est le plus touché par le Covid-19. Mais les éléments factuels qui précèdent montrent que la Malaisie est mieux préparée que les pays africains pour affronter l’épidémie et pour protéger sa population tant du point de vue économique que sanitaire.

Les élites malaisiennes y sont arrivées en saisissant les ressources naturelles pour transformer leur économie via notamment des fondamentaux de la croissance à long terme – institutions, capital physique (infrastructures) et capital humain (éducation et santé). Une meilleure interprétation par les élites africaines de ces fondamentaux pourrait permettre d’enclencher la diversification du tissu économique, de présenter plus de résilience face aux chocs de court terme tout en plaçant les économies sur une trajectoire de long terme de développement.

Sans être exhaustif, si l’on prend le cas du capital humain, une constante en Afrique pour l’un des éléments qui permettent son accumulation – l’éducation – est de mettre l’accent sur la quantité (taux de scolarisation). En revanche, l’orientation des élèves et étudiants est passée à la trappe. Les pays africains se retrouvent donc avec des effectifs pléthoriques dans des filières de formation en lettres, sciences humaines et sociales au détriment des formations scientifiques, techniques et professionnelles.

Une orientation des élèves et étudiants vers des filières conformes aux réalités économiques – telles que de la production des cultures vivrières et l’agro-industrie – permettrait une meilleure insertion professionnelle des jeunes et serait source d’une croissance économique soutenue, à la différence d’une allocation en faveur des filières de formation en lettres, sciences humaines et sociales, dont la surreprésentation qui en découle est plutôt associée à des activités non productives de recherche et de capture de la rente publique – bref, à la corruption.

La lutte contre la corruption requiert elle-même une structuration des institutions qui doivent présenter de réels contre-pouvoirs. Ce qui est loin de la pratique usuelle consistant simplement à organiser des élections – ce qu’on appelle la démocratie des élections

Qui peut le moins pourra-t-il le plus ?

Comme il est précédemment noté, la dépendance à l’égard des exportations en matières premières, dont la baisse des cours liée au Covid-19 va impacter négativement les économies, ne date pas d’aujourd’hui. Par ailleurs, le système sanitaire qui a démontré sa déficience depuis des années dans la lutte contre les maladies diverses – notamment le paludisme – qui affectent au quotidien les citoyens des pays africains, ne peut raisonnablement pas être prêt à affronter la pandémie de Covid-19, et cela ne date pas de la présente période. La structure des activités économiques, tirées par le secteur informel, auquel une majorité des citoyens de grandes villes africaines doivent leur pain quotidien, et qui rend les mesures de confinement inopérantes pour ces populations sinon les expose même à plus de vulnérabilité – ne date pas non plus d’aujourd’hui.

De manière factuelle, le seul élément nouveau est le confinement des élites africaines dans leurs pays. De façon inédite dans la mondialisation actuelle, les élites de différents pays d’Afrique sont appelées à devoir vivre avec les populations de leurs pays et peut-être même comme ces dernières pendant quelques semaines. Ce confinement des élites – politiques, économiques, administratives ou intellectuelles – dans les pays d’Afrique va-t-il les inciter à tout faire pour mettre en œuvre dans leurs pays le bien-être qu’elles vont si souvent chercher ailleurs ?

Une réponse positive à cette question appelle d’ores et déjà, à court terme, à un redéploiement urgent des dépenses courantes non nécessaires – missions à l’étranger, bons de carburant dans la haute administration, etc. – vers les plus vulnérables. Les sociétés civiles devraient également porter plus d’attention à l’allocation des dettes contractées pour faire face aux conséquences du Covid-19. Une dette contractée aujourd’hui sera remboursable demain… pourvu qu’elle ait été allouée aux investissements productifs – notamment aux infrastructures essentielles qui manquent cruellement aux pays africains –, et non à la consommation. De tels pas à court terme peuvent ouvrir la voie à des choix plus judicieux à moyen et long termes. Dans le cas d’une réponse négative, alors, hélas pour l’Afrique, la pandémie de Covid-19 sera malheureusement de l’ordre du déjà-vu !

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