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Andrew Scheer se lève pour annoncer qu'il quitte son poste de chef du Parti conservateur à la Chambre des communes à Ottawa. La Presse Canadienne/Adrian Wyld

Même sans Andrew Scheer, les valeurs de droite sont profondément ancrées chez les conservateurs

La démission d’Andrew Scheer comme chef du Parti conservateur survient après des mois de spéculation effrénée et de frustration croissante à l’interne et à l’externe.

Les critiques de M. Scheer citent diverses raisons pour lesquelles il n’a pas réussi à battre Justin Trudeau lors des dernières élections, comme son manque de transparence concernant sa double citoyenneté et ses déclarations sur son emploi antérieur de courtier d’assurance, dont on a allégué qu’elles sont fausses.

Peter MacKay à la Chambre des communes en 2015. La Presse Canadienne/Fred Chartrand

Mais la raison la plus souvent invoquée par les critiques est le conservatisme social de M. Scheer qui, selon les termes de l’ancien ministre conservateur Peter MacKay, lui pend au cou comme un « albatros puant ».

Dans les médias, les commentateurs ont suggéré que si les conservateurs souhaitent gagner les prochaines élections, ils doivent élire un chef capable d’exprimer une position centriste plus convaincante sur des enjeux tels que l’avortement et les droits de la communauté LGBTQ.

Les commentateurs ont peut-être raison, mais l’attention qu’ils accordent souvent exclusivement aux convictions politiques de M. Scheer, plutôt qu’à celles des membres de son caucus nouvellement élus, donne l’impression qu’il est l’unique cause des problèmes du parti en matière de conservatisme social.

Cette couverture exclusive des convictions de M. Scheer pourrait laisser croire que les conservateurs n’ont qu’à le remplacer par quelqu’un dont les opinions sont mieux adaptées aux réalités sociales actuelles pour régler le problème. Dans les faits, la réalité est bien différente.

Le conservatisme social est solidement ancré dans le parti.

Un examen minutieux du caucus conservateur actuel révèle que les valeurs de la droite radicale sont solidement ancrées dans le parti.

Par exemple, la Coalition nationale pour la vie, plus important groupe contre l’avortement au Canada, affirme que 46 des 121 membres du caucus sont pro-vie, ce qui représente près de 40 % des députés actuels du parti.

RightNow, un autre groupe contre l’avortement, va encore plus loin. Il prétend que 68 membres du caucus conservateur sont pro-vie, soit 56 % des députés récemment entrés en fonction.

Dans son analyse postélectorale, RightNow est catégorique : « La Chambre des communes est plus pro-vie qu’avant, le Parti conservateur du Canada est plus pro-vie qu’avant, et certaines des députées conservatrices les plus farouchement proavortement ont été remplacées par des députées conservatrices plus jeunes, plus hétérogènes et pro-vie. »

Manifestation de militants antiavortement sur la Colline du Parlement, à Ottawa, en mai 2010. THE CANADIAN PRESS/Sean Kilpatrick

Les droits liés à la procréation ne sont pas les seules raisons de s’intéresser aux convictions antiavortement des membres du caucus conservateur. Selon une enquête nationale récemment menée aux États-Unis, « les électeurs pro-vie sont parmi les plus enclins, sinon les plus enclins, à adopter des points de vue inégalitaires. »

Autrement dit, ceux qui croient que l’avortement devrait être illégal sont moins susceptibles de prôner l’égalité, surtout entre les sexes, que les personnes favorables à la légalité de l’avortement.

Électeurs antiavortement et pro-choix

Selon cette enquête, les électeurs antiavortement ont tendance à avoir des points de vue différents de ceux des électeurs pro-choix sur la condition féminine.

Seuls 23 % des électeurs antiavortement croient que le manque de femmes au pouvoir a une incidence sur l’égalité des femmes, contre 70 % des électeurs pro-choix. Seulement 27 % des personnes contre l’avortement croient que l’accès aux méthodes contraceptives a une incidence sur l’égalité des femmes, contre 74 % des personnes qui appuient le droit à l’avortement. Finalement, seulement 19 % des électeurs antiavortement estiment que la société est intrinsèquement conçue de manière à offrir plus de chances aux hommes qu’aux femmes, chiffre qui passe à 66 % chez les électeurs pro-choix.

Les électeurs antiavortement ont aussi tendance à avoir des points de vue différents de ceux des électeurs pro-choix sur la façon de penser et d’agir des femmes. Parmi les premiers, 77 % sont d’avis que les femmes s’offusquent trop facilement, contre 38 % des électeurs pro-choix. Chez les antiavortement, 71 % des électeurs pensent que la plupart des femmes qualifient de sexistes des gestes innocents, contre 38 % des électeurs favorables au droit à l’avortement. Finalement, 54 % des électeurs contre l’avortement sont d’avis que les hommes sont en général de meilleurs leaders que les femmes. Chez les électeurs pro-choix, ce chiffre est de 24 %.

Que signifient ces statistiques pour le Parti conservateur du Canada?

Points de vue antiavortement = points de vue inégalitaires

Comme il semble y avoir un lien fort entre l’opposition à l’avortement et les points de vue inégalitaires, le nombre élevé de députés antiavortement dans le caucus conservateur devrait être préoccupant.

Ce constat devrait aussi indiquer que l’élection d’un nouveau chef ne suffira pas à régler les difficultés du Parti conservateur avec son aile droite radicale.

Le problème se trouve au cœur même du parti, et non pas en périphérie, et il ne pourra pas être résolu en un seul cycle électoral. Une toute nouvelle approche, qui défend la justice sociale pour tous et prône l’action face aux changements climatiques, s’avère nécessaire.

Rien de tout cela ne sera possible si le parti ne change pas fondamentalement sa conception de lui-même, de ses membres et de ses agents politiques.

M. Scheer n’est pas décalé par rapport à son parti

À l’échelle fédérale et provinciale, il semble peu probable que les conservateurs canadiens opèrent ce changement dans un avenir proche. Quel que soit le remplaçant de M. Scheer, la plupart des personnalités publiques conservatrices au pays sont de toute évidence dans la logique de la droite radicale.

En Ontario, Doug Ford a fait les manchettes pour avoir été photographié avec Faith Goldy, une militante d’extrême droite, ainsi que pour son retour en arrière avec le programme d’éducation sexuelle, son association constante avec l’évangéliste Charles McVety et ses rencontres privées avec Jordan Peterson, un conférencier controversé.

Jason Kenney parle avec des journalistes après un discours à Ottawa. THE CANADIAN PRESS/Adrian Wyld

En Alberta, Jason Kenney a promis de purger les sciences humaines de leurs « partis pris politiques » dans le cadre de l’examen des programmes d’études mené par son parti. Il a été encensé par des groupes épousant les valeurs du conservatisme social pour ses « prises de position antérieures sans faute sur les enjeux pro-vie et profamilles » et il a investi 30 millions de dollars dans une cellule de crise énergétique qui vise à miner la crédibilité des opposants à l’industrie pétrolière.

Même si, sur le plan stratégique, les opinions de M. Scheer ont probablement nui à sa campagne, ses convictions ne sont pas décalées par rapport à celles du parti qu’il représente. Ainsi, si le parti souhaite se débarrasser de l’étiquette de conservatisme social qui lui colle à la peau, il ne doit pas se contenter de remplacer son chef. Il doit se transformer de fond en comble.

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This article was originally published in English

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