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Mettre le bonheur au centre de l’école

Le bien-être ne serait-il pas le besoin le plus fondamental pour former des citoyens instruits, épanouis et heureux ? Shutterstock

La crise sanitaire majeure que nous vivons avec la pandémie du Covid-19 a ravivé les questionnements autour du bien-être en éducation, avec le constat que de nombreux enfants et adolescents, ont psychologiquement souffert de la situation.

Ne faut-il pas une certaine qualité de vie à l’école pour assurer les apprentissages ? N’a-t-on pas eu tort de longtemps opposer les efforts nécessaires pour apprendre et le plaisir de se rendre à l’école ? Le bien-être ne serait-il pas le besoin le plus fondamental pour former des citoyens instruits, épanouis et heureux ?

Dans la plupart des définitions qu’en donne la philosophie, le bonheur n’est pas un bien personnel, il se donne comme principe applicable au plus grand nombre possible d’individus, c’est un bien à construire ensemble. Il est social et relationnel. En cela, la construction de l’école publique, au cours du second XIXe siècle, participe de la recherche d’un bonheur commun.

Janvier 2020, manifestations des lycéens contre les nouvelles épreuves du baccalauréat (E3C). Damien Meyer/AFP

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Mais paradoxalement, en France, l’institution n’évoque le bonheur que tardivement, et de manière négative, en considérant le « climat scolaire » (lutte contre le mal-être scolaire, le harcèlement et la violence scolaire).

Dans l’école de la République qui se veut égalitaire et méritocratique, l’effort et le labeur sont de manière plus ou moins explicite considérés comme la condition de la réussite scolaire et de l’ascension sociale.

Changer de modèle scolaire

Ce n’est que très récemment que l’institution introduit dans ses textes la notion de « bien-être » à la « qualité de vie » des élèves et des personnels de l’éducation nationale. Par exemple c’est en 2015, que l’arrêté définissant les programmes de l’école maternelle aborde la notion de bien-être et le fait que « l’école maternelle est une école bienveillante ».

Pour remettre au centre cette réflexion sur le bien-être, l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation de l’Académie de Versailles, soutenu par les chercheurs du laboratoire BONHEURS de CY Cergy Paris Université, a mis en place une « journée du bien-être dans et hors la classe », qui fait suite à la semaine du bonheur à l’école qui se tient chaque année autour du 20 mars.

Pour la dernière édition de cette journée qui s’est tenue le 13 avril dernier, 150 professeurs d’école, de collège et de lycée, principaux de collège, proviseurs, conseillers principaux d’éducation, formateurs, issus de six masters différents en formation initiale ou en formation continue se sont réunis. Tous les dispositifs de bien-être que les participants ont mis en œuvre dans leurs classes ou dans leurs établissements ont été présentés. Des ingénieries du bonheur ont été mises en œuvre dans plus d’une centaine d’établissements partout en France, de Rennes à Cergy, de la Réunion à Carpentras ou encore de la Nouvelle-Calédonie à Gennevilliers.

L’empathie ne se décrète pas, elle passe par l’éducation. Shutterstock

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Sur le plan théorique, l’approche consiste à penser le bonheur par la relation à l’autre et elle s’articule au savoir, ce que nous nommons le savoir-relation.

Cette approche apparaît essentielle quand un raisonnement à courte vue oppose plaisir et apprentissage, dans un imaginaire structurant qui a tendance à opposer les savoirs académiques et la pédagogie, l’esprit et le corps, la raison et l’émotion. En effet, la question des affects et des émotions a été longtemps négligée à l’école, et ce, principalement dans l’école publique française, centrée sur la « forme scolaire ».

Notre école a privilégié la construction d’un individu rationnel par les apprentissages et le savoir académique, laissant aux pédagogies alternatives dites « nouvelles » de Montessori à Freinet le soin de penser le bonheur d’apprendre et l’épanouissement par le savoir. Cette perspective est particulièrement prégnante dans le système éducatif français, du fait d’une histoire marquée par un modèle républicain ancré sur la transmission verticale de valeurs. Ce modèle scolaire repose sur la promotion d’un individu rationnel par la « transmission » de savoirs scolaires et par un trop grand déni des affects dans le lieu scolaire.

Pourtant, de nombreux travaux de recherche ont montré que les scores de réussite scolaire et la satisfaction de vie sont significativement et positivement corrélés.

Relations sociales

Il est prouvé que la réussite scolaire de l’élève est significativement et positivement liée aux relations sociales avec la famille, les pairs et les enseignants, à la santé psychologique, au ressenti envers l’établissement scolaire et au sentiment d’appartenance à l’école. Au-delà des performances académiques, la réussite des élèves est (aussi) dépend aussi de leur bien-être dans le cadre de l’école.

Ainsi, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans sa comparaison internationale des pays, combine plusieurs indicateurs clés du bien-être des enfants, tels que la qualité de la vie scolaire, l’éducation et la santé. Dans le contexte de l’école, le bien-être est perçu au travers du climat scolaire, qui n’est pas seulement le cumul des niveaux de bien-être individuels, mais qui prend en compte la dimension relationnelle, ainsi que les résultats en matière d’apprentissage ou de sécurité.

Documentaire : Présentation du jeu pédagogique « Terre de joie », imaginé par Sandra Meunier, art-thérapeute, clown depuis 15 ans (Lea.fr).

De leur côté, les chercheurs Konu et Rimpelä font reposer le bien être à l’école sur quatre dimensions essentielles :

  • le « having » regroupe les conditions matérielles proposées aux élèves (notamment l’organisation, l’environnement, les espaces d’apprentissage) ;

  • le « being » regroupe les conditions qui permettent aux élèves d’être autonomes, de pouvoir être force de proposition, de pouvoir prendre des décisions, d’avoir confiance en eux ;

  • le « loving » concerne l’interaction entre les individus de l’établissement : la qualité de la relation entre les élèves, entre les élèves et les adultes ; la communication entre les individus ;

  • la dimension de la santé regroupe la santé physique et psychique des élèves (fatigue, stress…) ;

Initiatives de terrain

Au cours de la journée du bien-être dans et hors la classe, les dispositifs de bien-être ont porté sur de nouvelles manières d’accompagner les élèves, sur la prise en compte du corps, et des émotions dans la classe, sur l’amélioration des espaces scolaires ainsi que sur la prise en compte du collectif.

Les dispositifs déployés se sont structurés autour de 5 axes :

  • l’accompagnement de l’élève ;

  • le corps et les émotions ;

  • la vie scolaire et le collectif ;

  • les espaces ;

  • les projets dans et hors la classe.

La prise en compte du corps et des émotions a par exemple été travaillée par un dispositif de micro-siestes ou encore de yoga du visage. D’autres dispositifs encourageaient la relaxation, la respiration, de la communication non violente, la sophrologie… Ces dispositifs poursuivaient un objectif commun : apprendre aux élèves à identifier et à maîtriser leurs émotions et favoriser la mise au travail des enfants et adolescents, par la concentration et leur participation en classe.

L’axe « vie scolaire et le collectif » a été nourri par des établissements qui ont mis en œuvre, dans leur établissement, la semaine du bonheur à l’école, la Journée de la diversité, des concours d’éloquence par équipe, des dispositifs d’implication des parents à la scolarité de leurs enfants.


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L’axe relatif à l’accompagnement des élèves a permis de valoriser la journée du bonheur des mathématiques. Autre exemple : un dispositif pour déconstruire les stéréotypes ethniques relatifs à la réussite scolaire. Il a permis une rencontre entre collégiens et élèves de primaire d’un même quartier, en réussite scolaire et se destinant à des études sélectives, l’objectif étant de leur montrer que c’est possible, à l’heure où la ségrégation scolaire est le mal le plus enraciné de notre système.

Concevoir des dispositifs dans les classes et dans les établissements est nécessaire mais il faut en mesurer les effets à court, moyen et long terme, par exemple sur les trajectoires des élèves ou encore sur le climat scolaire. Un master sur le bonheur d’apprendre et d’enseigner entièrement en distantiel a d’ailleurs ouvert ses portes il y a un an destiné aux professionnels de l’éducation.

C’est à ce prix que l’éducation, affirmée régulièrement comme une priorité nationale, peut réellement devenir l’outil de transformation majeur de nos sociétés, en mesure de bâtir une société plus juste, plus égalitaire et plus heureuse.

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