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Mieux vivre avec l'eau, pour être plus résilient face aux inondations

Les inondations constituent l’aléa naturel le plus important dans plusieurs régions du monde, engendrant des coûts sociétaux considérables.

Cette réalité a rattrapé les Québécois au printemps 2019 avec d'importantes inondations. On estime que 6 681 résidences de 51 municipalités ont été inondées, faisant quelque 13 500 sinistrés.

Récemment, une cinquantaine de maisons de Sainte-Marthe-sur-lac, situées en zone inondable et déclarées perte totale lors des inondations du printemps, sont détruites. La rupture de la digue sur le lac des Deux Montagnes a forcé l'évacuation d'environ 6000 personnes.

Or, il existe des approches d’aménagement du territoire qui favorisent une meilleure résilience pour mieux « vivre avec les inondations », et qui pourraient être intégrées dans les politiques publiques au Québec.

Une équipe de démolition enlève les restes d'une maison mobile à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, le 16 août, à la suite des inondations printanières dans la région. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Vivre avec l’eau et travailler avec la nature

Il est de plus en plus reconnu dans la communauté scientifique qu’il faut accepter de vivre avec l’eau et travailler avec la nature plutôt que de se battre contre elle et d’essayer de la maîtriser en privilégiant des infrastructures grises. Il s'agit de barrages, de digues de béton ou de bassins de rétention. Elles sont en opposition aux infrastructures dites vertes, basées sur des processus naturels (par exemple des milieux humides pour atténuer les risques d'inondation, des toits verts pour favoriser plus d'infiltration, etc.).

C’est une approche prônée entre autres par les Pays-Bas avec le programme « Room for the River » pour mieux faire face aux risques d’inondation. De plus, la nécessité de trouver des solutions adaptées à l’échelle et aux contextes locaux fait consensus.

Par exemple, en Angleterre, le soutien des priorités locales représente l’un des trois principes fondamentaux du plan d’action de l’agence environnementale (« Environment Agency »), responsable de la gestion des inondations dans ce pays. Cette agence préconise une nouvelle approche qui inclut des infrastructures d’ingénierie traditionnelle telles que des barrages et des digues, mais aussi une gestion naturelle des inondations impliquant les milieux humides, des normes de construction adaptées aux inondations (e.g. boîte électrique surélevée) et, dans certains cas, des programmes de dédommagement pour déplacer des communautés.

Des exemples de résilience

Plusieurs initiatives intéressantes d’aménagement résilient ont vu le jour dans les dernières années, notamment en France où le Ministère de la Transition écologique et solidaire encourage les projets novateurs. Par exemple, le projet des Portes du Vercors (région de Grenoble), lauréat du prix d’aménagement pour mieux bâtir en terrains inondables constructibles, valorise une large trame verte et bleue. Il s’appuie sur des éléments naturels existants afin de créer une armature paysagère structurante tenant entre autres compte du risque de rupture de digue. Le projet inclut le développement d’un parc conçu pour permettre la rétention de l’eau en cas de crue ainsi que la mise à l’air libre d’un petit cours d’eau.

La France n'est pas épargnée par les inondations, comme on le voit ici à Nemours, dans le département de Seine-et-Marne, en 2016. Shutterstock

Le site Matra à Romorantin (département de Loir-et-Cher, centre de la France) constitue aussi un bel exemple de résilience à l’échelle d’un quartier. L’architecte Éric Daniel-Lacombe a redessiné le quartier Romo 1, ancienne friche industrielle située en pleine zone inondable, avec des immeubles surélevés et des stationnements ouverts permettant la circulation de l’eau. Cet ensemble de 150 logements, aménagé entre 2010 et 2016 au bord de la rivière, a en effet été pensé pour être résilient en cas de crue.

La construction s’est faite selon des choix et des conditions respectant les enjeux locaux. La conception a prévu des trottoirs et des passages surélevés pour permettre aux habitants de sortir de chez eux pendant une inondation. Résultat: en 2016, malgré une inondation dépassant de 60 cm le niveau historique de la crue de 1910, le retrait des eaux a été très rapide, dans les 24 heures qui ont suivi le pic de crue. Les dégâts ont été par ailleurs bien moins importants qu’ailleurs. Ainsi, l’autre partie du centre historique est restée noyée quinze jours sous les eaux. Le département de Loir-et-Cher a été fortement endommagé.

Refaire la ville sur elle-même, soit recréer de nouveaux espaces résilients en utilisant les forces de l’existant, est possible, en adoptant des mesures selon des critères rigoureux et adaptées localement. Il s'agit de corriger les erreurs qui ont pu éventuellement être commises en termes d’aménagement du territoire et s’adapter aux nouveaux enjeux.

Un projet pilote prometteur au Québec

Au Québec, le maire de Saint-André-d’Argenteuil, dans les Laurentides, Marc-Olivier Labelle, s’inspire de ces changements de paradigme et des plus récentes connaissances scientifiques pour proposer un projet pilote pour sa communauté. Celle-ci située au confluent de la rivière du Nord et de la rivière des Outaouais, durement touchée par les inondations de 2017 et de 2019. Avec près de 245 résidences inondées, les coûts d’interventions locaux, uniquement en 2017, ont atteint plus de 425 000 dollars (incluant infrastructures routières, mobilisation du personnel municipal, mesures de protection des biens résidentiels, etc).

Un automobiliste circule dans les rues inondées de Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, le vendredi 27 mai. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Mais le coût social se révèle déjà très élevé. Une importante partie de la population sinistrée a exprimé son désir d’être relocalisée à l’extérieur des zones inondables. Cependant, le programme actuel d’indemnisation ne leur permet pas de sortir de ces secteurs à risque, puisque leur résidence n’est pas endommagée à plus de 50% de sa valeur.

Le projet, élaboré conjointement avec la MRC d’Argenteuil, vise à redonner aux rivières leur espace de liberté en relocalisant la population de certains secteurs et à rendre un quartier résilient aux aléas hydroclimatiques tout en incluant des principes de viabilité. Ce programme cible les secteurs de Baie de Carillon et de la Terrasse Robillard, où la vulnérabilité de la population est en général élevée.

À court terme, la municipalité souhaite utiliser le programme de dédommagement mis en place par le gouvernement du Québec au printemps 2019, jusqu’à un maximum de 250 000 dollars pour la propriété et le terrain, mais en ne le limitant pas qu’aux cas où les dommages ont atteint plus de 50% de la valeur de la maison. Ces personnes seraient relocalisées au sein de projets résidentiels existants ou à mettre en œuvre proche du centre-ville de Saint-André-d’Argenteuil, ce qui favoriserait la densification de zones prioritaires du plan d’urbanisme.

À moyen terme, on prévoit la restauration des milieux humides et hydriques des secteurs délocalisés, ce qui correspond aux objectifs de la nouvelle loi 132, ainsi que la création d’un parc régional et d’un secteur de conservation. À plus long terme (d’ici 2025), on souhaite rendre le quartier du secteur de la rue Fournier plus résilient aux aléas hydroclimatiques en adaptant les infrastructures existantes et en construisant de nouveaux bâtiments qui résistent mieux aux inondations.

Comme scientifiques expertes en inondation, nous appuyons fortement ce type d’initiative qui repose sur des données scientifiques probantes sur les risques d’inondation, mais aussi sur une très bonne connaissance des enjeux socio-économiques locaux.

Il reste à espérer que les programmes gouvernementaux auront la flexibilité suffisante pour que de tels projets d’aménagement résilient voient le jour au Québec. De plus, il conviendrait de favoriser des incitatifs qui permettraient aux collectivités innovantes d’encourager les projets visant l’adaptation résiliente aux risques locaux.

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