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Migrants : plus de 10 millions de Français vivent dans une commune accueillante

Des bénévoles donnent donnent des cours à des migrants venus d'Afghanistan
De nombreuses municipalités organisées en réseaux mettent en place des politiques destinées à améliorer les conditions de vie des migrants en situation de vulnérabilité. Loic Venance / AFP

Les événements à la frontière biélorusse illustrent une nouvelle fois à quel point l’agenda des États européens sur les migrations reste guidé par des considérations sécuritaires. À contre-courant des politiques nationales, des municipalités s’efforcent, dans la mesure de leurs moyens et de leurs compétences, à développer une autre approche des migrations.

En septembre 2021, 73 maires du monde entier, de Marseille à Los Angeles, de Freetown à Mannheim, ont signé une déclaration commune affirmant que leurs villes se tiendraient prêtes à accueillir des réfugiés afghans. Le 21 octobre, le Parlement Global des Maires s’est réuni à Palerme pour discuter des migrations climatiques. Ces événements récents reflètent une tendance de fond observable partout dans le monde.

En Europe, mais aussi en Amérique du Nord et Latine, des municipalités mettent en place des politiques destinées à améliorer les conditions de vie des migrants en situation de vulnérabilité. Elles le font d’abord pour des raisons pragmatiques : on ne peut laisser dans la rue des populations sans droit, ne serait-ce que pour des raisons sanitaires, humanitaires ou de sécurité. Aux États-Unis, 12 millions de sans-papiers habitent et travaillent dans le pays sans aucun droit. En Europe, ils seraient entre 3 et 4 millions à vivre dans la marginalité. Elles le font ensuite pour faciliter à long terme une intégration dans le tissu social et économique local en favorisant l’accès au logement, à l’emploi ou encore en déconstruisant les préjugés sur l’immigration.

À Düsseldorf, une clinique associative est ouverte pour assurer un accès aux soins aux migrants en situation irrégulière ; San Francisco demande à ces fonctionnaires municipaux de ne pas demander leur titre de séjour afin de construire une relation de confiance avec ces populations ; New York délivre une carte d’identité municipale ouvrant un accès à une multiplicité de services ; Villeurbanne s’appuie sur ses associations et le centre d’action sociale pour trouver des solutions en matière de logement, d’alimentation ou de soin ; et Amsterdam développe un programme avec sa police municipale pour permettre aux sans-papiers de déposer plainte lorsqu’ils sont victimes d’une infraction… Toutes ces mesures furent initiées ou soutenues par les mairies et/ou les collectivités régionales (länders, États fédéraux, etc.).

750 villes européennes accueillantes

Pour rendre compte de ces initiatives méconnues, des ONG allemandes ont mis en ligne une carte recensant près de 750 villes européennes qui auraient pris des initiatives similaires. On en compte 123 en France : au total, plus de 10 millions de Français vivent dans une commune qui met en œuvre une politique pour l’accueil et l’intégration des migrants. Ils sont 23 millions en Allemagne et 32 millions en Grande-Bretagne.

De fait, une grande partie de la population européenne et américaine a élu un maire, un élu régional ou un député qui agit en faveur des migrants.

Carte des villes française ayant pris des mesures pour accueillir des personnes immigrées
43 villes françaises ont pris des initiatives pour accueillir dans des conditions décentes des personnes immigrées. Fourni par l'auteur

Ces idées circulent… À la Chaux-de-Fonds, en Suisse, le conseil municipal a voté en faveur de la création d’une carte d’identité municipale. Cette carte permettrait d’emprunter des livres à la bibliothèque, faire une demande de logement à la gérance de la ville, de servir de monnaie locale ou encore de titre de transport. La ville de Zurich pourrait aussi suivre cet exemple.

Ces dernières années, la constitution d’associations et de réseaux de municipalités abordant les questions d’accueil et d’intégration s’est multipliée. Ainsi, en France, l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants, fondée en 2016, propose un modèle alternatif d’accueil fondé sur le principe d’inconditionnalité. Selon ce principe, adopté dans la charte de l’organisation, les membres de l’association s’engagent sur l’accès des migrants à l’hébergement, la nourriture, l’hygiène, la santé ou l’éducation, quel que soit leur statut, y compris les personnes en situation de transit.

Vidéo réalisée et diffusée par l’ANVITA, décembre 2020.

L’association constitue un espace d’échange entre municipalités sur des thématiques aussi variées que l’hébergement d’urgence, la participation citoyenne des exilés ou encore les cartes d’identité locales.

Ailleurs en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique du Nord et Latine, d’associations similaires sont créés. Au total, on en dénombre une soixantaine de réseaux de villes dans le monde. Dans les pays du Sud, ces réseaux sont le plus souvent soutenus par des organisations internationales ou régionales, à l’image de l’Unesco qui finance le la coalition des villes africaines contre le racisme et la discrimination. Mais l’on trouve également des regroupements de villes qui se sont spontanément créés à la suite d’une situation migratoire préoccupante. C’est le cas au Brésil, où l’État et la ville de Sao Paulo sont en pointe sur l’accueil des réfugiés venus d’Haïti ou du Vénézuela depuis le début des années 2000 : la loi fédérale sur l’immigration votée en 2017 s’appuie largement sur les recommandations formulées par la mairie de Sao Paulo.

De la mer à la ville

Lors de l’incendie d’un camp sur l’île grecque de Lesbos le 9 septembre dernier, et face aux conditions de vie insalubres dans les camps surpeuplés des îles grecques, Munster, Hanovre, Amsterdam, Barcelone ou encore Düsseldorf ont invité les États à accélérer les réinstallations et se sont dites prêtes à recevoir des exilés en fonction de leur capacité d’hébergement. Dans les semaines qui suivirent, sur les 12 000 migrants dans le camp au moment de l’incendie, 4000 ont été déplacés en Europe, notamment 1 500 accueillis en Allemagne.

Le camp de Kara Tepe sur l’île grecque de Lesbos
L’île grecque de Lesbos, à proximité de la Turquie, est un lieu de passage pour les personnes désirant rejoindre l’Europe. Certains migrants sont retenus dans des camps, comme ici celui de Kara Tepe, avant que leur situation administrative ne soit traitée. Manolis Lagouratis/AFP

Un autre exemple de solidarité nous est donné par le projet « From the Sea to the City » porté par une soixantaine de villes dont font partie Palerme, Barcelone, Utrecht, Marseille ou Kiel. A l’origine de ce projet, le refus par le gouvernement italien, en juin 2018, de laisser le navire Aquarius affrété par SOS Méditerranée de débarquer les 600 migrants qu’il avait recueillis à son bord.

Cet incident a suscité une discussion entre ONGs de sauvetage en mer, villes portuaires méditerranéennes et villes allemandes prêtes à accueillir les migrants débarqués dans les ports méditerranéens. Leoluca Orlando, le maire de Palerme, a su réactiver des liens de solidarité entre la Méditerranée et l’Allemagne tissés lors de l’arrivée massive d’immigrants en 2015.

À de nombreux endroits dans le monde, les élus mettent en avant leurs capacités d’accueil et les besoins du marché du travail local pour justifier la mise en place de corridors humanitaires entre villes qui reçoivent et villes qui souhaitent accueillir des migrants.

Une source d’inspiration est notamment le programme Mediterranean Hope, initié par la communauté de San’Egidio en Italie : sur la base d’un accord avec le gouvernement italien, l’ONG protestante a fait venir plus de 2000 réfugiés depuis 2016 vivant dans les camps libanais, ensuite accueillis par différentes associations et paroisses partout en Italie (Latium, Piémont, Sicile et Toscane).

Les villes dessinent une autre politique migratoire

On le voit à travers cette diversité d’actions : les villes dessinent les contours d’une politique migratoire basée sur les capacités d’accueil locales plutôt que sur le contrôle des frontières.

D’une part, elles négocient la mise en place de corridors humanitaires mettant en relation les espaces où se trouvent les migrants et les espaces de leur accueil. D’autre part elles s’appuient sur leurs ressources propres, mais aussi sur les associations et habitants pour proposer hébergement, accès aux droits et insertion économique. Forts de cet agenda, les acteurs locaux cherchent à peser sur la formulation des politiques migratoires au niveau national et international.

En Europe, le réseau Eurocités milite pour la création d’instruments de financements de l’Union qui bénéficieraient directement aux municipalités sans passer par la médiation des États. Autre exemple, celui du programme « Urban Innovative Action » qui attribue des financements directs aux villes sous la forme de bourses, de transferts de fonds, ou de financements de partenaires locaux pour la mise en place de politiques innovantes en matière d’accueil et d’intégration.

Mais les villes reçoivent aussi le soutien de l’ONU. Ainsi, elles ont pu, grâce à l’appui de plusieurs réseaux de villes signataires de la déclaration de Mechelen qui revendique un plus grand rôle dans la gouvernance des migrations, peser sur la rédaction du Pacte de Marrakech sur les migrations : l’objectif 15 relatif à l’accès aux droits à la santé et à l’éducation intègre le principe d’inconditionnalité. Cet objectif enjoint les pouvoirs publics de garantir l’accès aux services dans discrimination de genre, d’origine ou de statut légal.

Une autre façon de gérer les migrations

Les villes possèdent aujourd’hui leurs organes de représentation dans le système onusien : le Forum des maires pour la mobilité et le développement, le Mécanisme des maires et le conseil des maires sur les migrations avec lequel l’ANVITA et ses membres collaborent régulièrement.

Loin des lumières médiatiques, les villes mettent en résonance leurs initiatives pour proposer une autre façon de gérer les migrations. Vont-elles parvenir à contrebalancer les politiques nationales en la matière ? La mise en cause judiciaire des acteurs locaux de l’accueil montre que le rapport de force avec les États a commencé.

Les multiples interpellations de Cédric Herrou, l’agriculteur militant de la Roya, ont mis en évidence la façon dont les pouvoirs publics peuvent chercher à bloquer l’action des acteurs de terrain. Il en va de même pour les maires qui s’impliquent en faveur des migrants.

En octobre, Domenico Lucano, le maire de la petite commune calabraise de Riace écope d’une peine de treize années de prison ferme, deux fois les réquisitions du procureur. Il avait été poursuivi une première fois en octobre 2018 pour aide à l’immigration clandestine alors que le leader d’extrême droite, Matteo Salvini, était au pouvoir. Son tort ? Tenter de répondre à la désertification de son village en proposant à des familles de migrants d’occuper les logements abandonnés. Après 18 mois d’assignation à domicile, puis d’exil hors de sa commune, il fut reconnu non coupable. En septembre 2021 un nouveau procès le condamne pour association de malfaiteurs visant à aider l’immigration irrégulière et mariage de convenance pour des déboutés du droit d’asile. Nul ne doute que derrière sa condamnation, c’est le « modèle de Riace » de l’accueil qui était visé.

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