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Migration africaine vers l'Europe : les retours forcés se heurtent à des résistances

Une femme tient une pancarte sur laquelle est écrit "stop aux expulsions par vol charter".
Le retour forcé des migrants africains en situation irrégulière depuis l'Europe affecte les relations politiques dans les deux régions. GettyImages

Le retour forcé des migrants de l'Union européenne (UE) vers leurs pays d'origine continue d'être une source de tension majeure dans les pays africains ainsi que dans les États membres de l'UE. En conséquence, l'UE et ses États membres se sont efforcés de trouver des moyens d'améliorer la coopération en matière de migration.

Les pays de l'UE souhaitent que les pays d'origine reprennent les migrants qui ne sont pas en mesure de vivre légalement en Europe. Mais les taux de retour de l'UE vers l'Afrique sont les plus bas par rapport aux autres régions du monde et ont même diminué au cours de la dernière décennie. Par exemple, seuls 9 % des Sénégalais ayant reçu un ordre de retour de l'UE l'ont fait entre 2015 et 2019. En d'autres termes, sur les 30 650 migrants sénégalais qui ont reçu un ordre de quitter un pays européen entre 2015 et 2019, seuls 2 805 l'ont fait. Le retour forcé nécessite la coopération des pays d'origine, par exemple pour délivrer des documents de voyage ou autoriser l'atterrissage des vols.

Sur la base de mes récents travaux et d'un projet de recherche, je soutiens que si les retours sont si faibles, c'est en partie parce que les décideurs politiques européens ignorent les questions et les intérêts concurrents auxquels les parties prenantes africaines sont confrontées.

Je montre également comment les États d'Afrique de l'Ouest résistent à la coopération en matière de retours. Leurs stratégies vont du respect à contrecoeur des expulsions de leurs citoyens à une résistance pure et dure.

Mes conclusions permettent d'expliquer pourquoi les partenariats migratoires actuels continuent d'avoir peu d'effet sur les retours.

Les partenariats migratoires ne donnent rien

À l'exception du Rwanda, qui a signé un accord avec le Royaume-Uni pour accueillir des demandeurs d'asile, qui n'a pas encore été mis en œuvre, les retours en provenance des pays européens sont extrêmement impopulaires dans la plupart des pays africains.

Le cadre de partenariat de l'UE plus large a été créé en juin 2016. Il vise à mobiliser les instruments, les ressources et l'influence de l'UE et des États membres pour établir une coopération avec les pays partenaires afin de “gérer” les flux migratoires. Il a déclaré que la priorité était de parvenir à des retours rapides. Elle a désigné cinq pays prioritaires pour cette approche : Éthiopie, Mali, Niger, Nigeria et Sénégal, en cherchant à établir avec eux des pactes migratoires sur mesure.

Jusqu'à présent, ce cadre n'a pas permis d'améliorer la coopération en matière de migration. Il en va de même pour le nouveau pacte sur les migrations et l'asile à partir de 2020, et pour un code des visas révisé qui autorise des restrictions en matière de visas pour les pays qui ne coopèrent pas de manière adéquate en matière de retour.

Les retours forcés, en particulier vers l'Afrique de l'Ouest, restent peu nombreux, comme indiqué ci-dessus.

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, les expulsions sont souvent des événements violents et traumatisants pour les personnes renvoyées et impliquent de graves violations des droits de l'homme. Par exemple, un groupe sénégalais de défense des droits des migrants a récemment documenté le cas d'une personne qui a été expulsée d'une institution psychiatrique fermée en Allemagne sans médicaments, sans dossier médical, sans téléphone et sans autres effets personnels, et qui a été laissée à elle-même à son arrivée. Les gouvernements qui veulent prendre soin de leurs citoyens voudront éviter cela.

Deuxièmement, les retours peuvent se faire au détriment d'importants transferts de fonds (souvent plus élevés que l'aide au développement). Par exemple, le Nigeria est le plus grand pays bénéficiaire net de transferts de fonds en Afrique subsaharienne. En 2017, le pays a reçu 22 milliards de dollars américains en envois de fonds officiels, ce qui représente 5,9 % du PIB du Nigeria. En comparaison, l'aide publique au développement s'est élevée à 3,36 milliards de dollars américains, soit seulement 0,89 % du PIB. Ainsi, les pays considèrent que les retours pourraient réduire les envois de fonds. De plus, la réintégration des personnes expulsées entraîne des coûts sociaux et économiques.

Troisièmement, les pays ont le sentiment d'être mal traités par leurs homologues européens. Les voies légales de migration sont limitées et l'approche de l'UE est devenue de plus en plus punitive. Les conditions d'obtention de visa sont plus strictes pour les pays qui ne coopèrent pas suffisamment en matière de retour, comme la Gambie ou le Sénégal.

Les gouvernements réagissent de diverses manières aux pressions exercées par l'UE en matière de retour.

Une panoplie de réponses

La recherche a pris en compte les intérêts des gouvernements du Nigéria, du Sénégal et de la Gambie. Elle s'est appuyée sur 129 entretiens avec des décideurs, des hommes politiques, des militants de la société civile et des experts universitaires dans ces pays et dans l'UE.

Les réponses des pays vont de la conformité réticente à la non-conformité réactive et proactive. Ils sont susceptibles d'utiliser toutes ces stratégies à différents moments, parfois simultanément. Les réponses sont influencées par les pressions souvent contradictoires auxquelles les gouvernements sont confrontés à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

On parle de conformité réticente, lorsque les pays se conforment aux expulsions, mais seulement à contrecœur. Par exemple, les accords informels de retour signalent la conformité aux partenaires internationaux, mais attirent moins l'attention des organes de contrôle parlementaires ou du grand public. Cette stratégie peut toutefois se retourner contre les autorités et susciter la méfiance et l'indignation des citoyens.

La non-conformité réactive consiste à signaler des problèmes techniques et à retarder les opérations de retour. Les États peuvent ne pas déterminer si les migrants sont leurs citoyens ou ne pas délivrer les documents de voyage des migrants en attente d'expulsion. Cette stratégie peut s'avérer moins coûteuse que le refus pur et simple des expulsions, tout en renforçant l'approbation nationale.

La non-conformité proactive est la réponse la plus extrême. Il s'agit d'un refus plus direct de la part des États de coopérer aux retours. Il s'agit, par exemple, de bloquer les négociations en vue d'un accord de retour formel. Le Sénégal et le Nigeria ont emprunté cette voie. La Gambie a même mis en place un moratoire sur tous les vols d'expulsion (affrétés) pendant quelques mois.

La non-conformité proactive offre aux gouvernements le plus grand potentiel d'amélioration de leur légitimité nationale, en particulier pendant les élections. Mais elle peut se faire au détriment du soutien international. Dans le cas de la Gambie, par exemple, l'UE a imposé des sanctions en matière de visas.

La voie à suivre

Les parties prenantes de l'UE pourraient oeuvrer davantage pour prendre en compte les intérêts des pays africains lorsqu'il s'agit d'accepter des rapatriés.

Augmenter la pression ne fera qu'accroître la résistance. L'UE devrait plutôt se concentrer sur la réparation des relations. L'un des moyens serait de proposer des voies d'immigration accessibles, visibles et crédibles. Lier cela aux pressions exercées sur les retours est peu probable, et n'améliorera pas les relations à long terme.

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