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Mobiliser dans un contexte post #MeToo : la stratégie du collectif #NousToutes

Le collectif #Noustoutes a permis l'émergence d'un renouveau de l'action féministe au tournant des années 2010. Marche contre les violences sexistes et sexuelles le 23 novembre 2019.
Le collectif #Noustoutes a permis l'émergence d'un renouveau de l'action féministe au tournant des années 2010. Marche contre les violences sexistes et sexuelles le 23 novembre 2019. Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY-NC-ND

En un peu moins de cinq années, #NousToutes est devenu l’un des acteurs hégémoniques sur la question des « violences sexistes et sexuelles » en France. Si cette position a été acquise notamment par ses usages communicationnels, son fonctionnement est-il novateur ? Dès son lancement au cours de l’été 2018, quelques mois après la diffusion massive et transnationale du hashtag #MeToo, le collectif français ambitionne de rassembler au sein du mouvement féministe. Ses revendications sont donc claires : défendre « toutes » les femmes, contre « toutes » les violences, sans se positionner sur les sujets clivants tels que le port du voile ou le travail du sexe/prostitution.

L’objectif initial du collectif consiste à « élever le niveau de conscience dans la société » sur la question des violences faites aux femmes. Dans ce cadre, il organise une première grande action à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre. La manifestation rassemble en 2018 près de 50 000 personnes sur toute la France et 150 000 l’année suivante. À côté de cet événement emblématique, #NousToutes propose des formations sur les mécanismes des violences et développe d’autres actions plus ponctuelles, à l’image de la diffusion de sac à pain dans les boulangeries sur lesquels sont imprimés des violentomètres, un outil permettant de détecter les violences.

Les réseaux sociaux, clé de voûte du collectif

Si #NousToutes s’organise autour d’une structure nationale, le collectif fonctionne aussi via des comités locaux partout en France et des pôles thématiques internes (pôles jeunesse, réseaux sociaux, etc.). L’ensemble de ces groupes communique en ligne sur des boucles WhatsApp ou des serveurs Discord.

Grâce aux outils numériques réduisant le coût d’entrée, #NousToutes propose un engagement facilité : il suffirait de quelques clics par semaines pour devenir « activiste » ou « bénévole ». Ce discours a pour objectif de convaincre des personnes n’ayant jamais eu de socialisation associative ou militante préalable de rejoindre l’organisation. Il permet de recruter largement. Dans la pratique, l’implication des militantes qui ont permis à #NousToutes de prendre une telle ampleur est loin de se limiter à un travail superficiel.

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S’inscrivant dans les pratiques de « l’internet militant » et des mobilisations féministes contemporaines, #NousToutes investit fortement ses réseaux sociaux numériques. Que ce soit sur Instagram, Twitter et plus récemment sur TikTok, le collectif produit un discours accessible sur la question des violences. Ses réseaux sociaux lui permettent également d’organiser et promouvoir ses actions, ainsi que d’interpeller les pouvoirs publics et instances médiatiques.

Par rapport à d’autres mobilisations en ligne, la particularité des discours numériques de #NousToutes ou d’autres associations féministes consiste dans la place accordée au soutien des victimes : #NousToutes utilise les réseaux sociaux dans la continuité du « féminisme de hashtag », c’est-à-dire, comme un espace de solidarité féministe entre internautes à l’image du mot dièse #JeSuisFéministe ou #BalanceTonBar.

Si #NousToutes travaille à sa visibilité en ligne, l’ensemble de ces actions s’inscrit plus largement dans un impératif de médiatisation : l’un de ses objectifs reste sa couverture par les médias dits traditionnels. L’objectif de « faire la Une » et le « buzz » a été amené par ses fondatrices dès son lancement. Selon elles, c’est par ce biais qu’il est possible de toucher une large audience et « créer un électrochoc dans la société ». Les militantes de #NousToutes sont donc formées à la rédaction d’un « bon » communiqué de presse ou encore à la prise de parole auprès de journalistes lors de media trainings.

La stratégie médiatique de #NousToutes consiste également à travailler sur le temps long à l’émergence de sujets précis sur les violences et au cadrage féministe de ceux-ci dans l’espace public. Par exemple, la publication et la circulation du décompte des féminicides lui permettent à la fois d’interpeller l’opinion publique et le gouvernement, tout en se positionnant comme source de référence auprès des journalistes.

La lutte pour la médiatisation de #NousToutes s’opère également par le biais de pétitions et tribunes où des artistes, militantes et universitaires appellent à rejoindre les événements du collectif. Ces actions, couplées à la présence de « cortèges de célébrités » dans les manifestations de novembre lui permettent même d’obtenir une médiatisation auprès de magazines people.

#NousToutes : un renouveau militant ?

Si la communication est le pilier central sur lequel repose #NousToutes, que ce soit en interne ou à destination d’une audience souhaitée, les actions du collectif prennent également place en dehors des réseaux sociaux, à l’image des diffusions de tracts devant les stations de métro, des quiz de rue ou des manifestations de novembre.

L’articulation de ces deux espaces en ligne et hors ligne est fondamentale. Elle inscrit #NousToutes dans la continuité des stratégies du mouvement féministe depuis le milieu des années 2000. Les collectifs les EffrontéEs, la Barbe ou encore Osez le Féminisme ! avaient déjà pour objectif de faire émerger médiatiquement des questions féministes au moyen de communication en ligne. On se souvient par exemple de la campagne « Osons le clito ! » en 2011.

Il n’y a pas de rupture stratégique, mais les pratiques ne sont pas identiques dans la mise en œuvre, où l’on observe une forte professionnalisation du militantisme. L’articulation des espaces en ligne et hors ligne s’observe également dans le cadre d’autres mobilisations féministes contemporaines. Les collectifs de collages contre les féminicides, par exemple, diffusent dans les rues des messages et slogans éphémères. Ceux-ci n’ont pas vocation à durer du fait de réactions hostiles ou d’intempéries. Mais ces discours sont aussi partagés de manière pérenne en ligne, sur leurs réseaux sociaux numériques, où ils peuvent être commentés, voire détournés.

Si #NousToutes peut être considéré comme ayant une position hégémonique sur la question des violences sexistes et sexuelles, ses actions s’inscrivent dans l’ensemble de celles du mouvement féministe et dans la poursuite d’une mise en mouvement déjà initiée. Mes recherches laissent penser que plutôt qu’un renouveau du militantisme, #NousToutes témoigne d’une accélération ou d’une massification du militantisme féministe en ligne.

La mise en visibilité du décompte des féminicides par #NousToutes renseigne par ailleurs sur les forces d’éclatement du mouvement féministe cinq ans après #MeToo. Le décompte des féminicides qu’il relaye était au départ issu d’un travail de revue de presse par un autre collectif « Féminicides par compagnons ou ex ». Au début de l’année 2022, le collectif #NousToutes a annoncé produire son propre décompte. Cette rupture fait suite aux prises de positions publiques sur la transidentité du collectif « Féminicides par compagnons ou ex ». Elle met en évidence les tensions et conflits qui traversent encore le mouvement féministe en France. Celles-ci n’ont pas disparu avec #NousToutes – ni à sa création, ni aujourd’hui.

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