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Un député du Parti sioniste religieux, Tzvi Sukkot (à gauche), se confronte à un manifestant palestinien à Huwara, en Cisjordanie, le 3 mars 2023, Jaafar Ashtiyeh/AFP

Moyen-Orient : la colère au cœur d’une violence inextinguible

Dans Géopolitique de la colère. De la globalisation heureuse au grand courroux, dont une seconde édition actualisée et enrichie est parue le 29 août 2024 aux éditions Le Cavalier Bleu, Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller à Paris, aborde la question des émotions dont découlent de nombreux conflits contemporains et qui contaminent toutes les interactions sociales et tous les rapports politiques. La réflexion qui suit, tirée de cet ouvrage, appréhende la colère comme un affect dominant dans le déclenchement et la prolongation d’une majorité de crises récentes au Moyen-Orient – celles à Gaza et en Syrie plus particulièrement. Comment, au sein de cet espace géopolitique singulier, des adversaires répondent-ils à des expressions réciproques de rage ?


Loin de faciliter la résolution d’un conflit, la colère produit dans la plupart des cas une inéluctable escalade de la violence. Il est en effet rare que cette émotion façonne des comportements de conciliation ; au contraire, dans sa dimension destructrice, la colère provoque et entretient les antagonismes entre groupes et communautés, conduisant à tous types d’agressions. Elle constitue une prédisposition de longue durée qui prédit le devenir des guerres, comme l’illustre notamment l’actuelle configuration au Moyen-Orient où elle a aggravé les hostilités en engendrant des conséquences toujours plus dévastatrices pour les civils et en entravant tout réel pourparlers de paix.

Plus la colère d’un ennemi désigné est perçue comme injustifiée, plus elle alimente l’appétence de représailles, conformément au pouvoir dont la partie vengeresse dispose et vice versa. Au-delà de la conflagration à Gaza, que l’on pourrait analyser sous l’angle d’un « cycle infernal de colère » rendu encore plus insoluble depuis les développements dramatiques de l’automne 2023, la Syrie, qui reste instable après une décennie de guerre civile, fournit un autre exemple édifiant. Plongée dans les méandres d’une impasse politique et humanitaire encore d’actualité, sur fond de résurgence autoritaire, elle rend compte des répercussions ravageuses de colères locales entremêlées à une succession d’ingérences étrangères.

Dans le premier cas, bien avant la tragédie du 7-Octobre et les événements qui ont suivi, à l’origine d’une séquence de colère régionale et internationale inédite, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza avaient pour habitude de se rassembler lors de « Jours de colère » pour protester contre l’occupation et la colonisation de leurs terres par Israël. Plus que tout autre conflit, la question israélo-palestinienne met à jour le poids de la colère dans l’impossibilité de parvenir à un règlement pacifique entre deux parties que tout semble opposer.

Depuis la fondation de l’État d’Israël, les affrontements se sont ainsi inlassablement succédé sans jamais aboutir à une résolution satisfaisante de part et d’autre du spectre conflictuel. Au fil du temps, et de l’échec de toutes les négociations, en particulier des accords d’Oslo de 1993, l’horizon d’une sortie de crise n’a cessé de s’éloigner en risquant aujourd’hui de disparaître purement et simplement. Historique, le conflit semble en effet avoir atteint un point de non-retour, l’optique d’une option à deux États s’étant distancée au point qu’elle n’est plus qu’une sorte d’injonction sans contenu véritable.

Israéliens et Palestiniens se battent pour un même territoire depuis des décennies et ne sont jamais parvenus à un quelconque compromis, à l’exception de quelques frêles pourparlers de paix sous tutelle américaine. D’interminables séquences de colère et de ripostes représentent la première source d’ignorance mutuelle et ont conduit à l’impasse diplomatique et militaire que l’on connaît. De la première guerre israélo-arabe de 1948 jusqu’à la conflagration de Gaza, en passant par la guerre des Six Jours de 1967, celle du Kippour en 1973 et celle dite des Raisins de la colère en 1996, le conflit ressemble au fond à une série d’explosions de fureurs que rien n’a jamais réussi à arrêter.

À chaque nouvelle provocation, chaque nouvelle phase de violence d’un côté comme de l’autre, chaque nouvelle destruction ou mort s’ensuit une exaspération immédiate qui, en retour, ne fait que nourrir les multiples désirs de vengeance. L’incompréhension est aujourd’hui d’autant plus indépassable que chaque nouvelle attaque est vécue comme gratuite, l’œuvre perverse d’un adversaire qui n’a jamais eu pour intention d’engager un quelconque dialogue.

Tous les conflits prolongés entre groupes sont saturés de colère – l’antécédent émotionnel le plus significatif de l’action agressive – et exacerbés par la perpétuation d’attaques à travers une spirale de la rétribution. La longue guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, axée autour d’incessantes réponses à des affronts ainsi qu’aux réactions emportées que ces derniers ont suscitées dans les deux camps, est la plus instructive en ce sens. Elle éclaire comment la colère ressentie dans la durée, à la fois du côté israélien et du côté palestinien, a abouti à une escalade sans précédent.

Les Palestiniens, notamment, n’ont cessé d’évoluer au prisme d’un sentiment d’injustice face à leur traitement par Israël, ce qui a conditionné beaucoup de leurs réflexes, même si rien ne saurait justifier les exactions abjectes qui ont été perpétrées par le Hamas au nom de cette cause. Suivant une dynamique pernicieuse, les attaques palestiniennes ont surtout installé une rancœur tenace parmi la population israélienne qui n’arrive plus à envisager une possibilité de paix et justifie donc la poursuite de la guerre en dépit des nombreuses réprobations externes.

Cet extrait est issu de « Géopolitique de la colère. De la globalisation heureuse au grand courroux », de Myriam Benraad, dont la deuxième édition vient de paraître. Le Cavalier Bleu

Dans le second cas, celui de la Syrie, la colère s’est révélée centrale dans les processus d’identification et de catégorisation négatives entre communautés, créant un ressentiment tout aussi palpable. Dans le dédale des acteurs de cette guerre, qui ne saurait se limiter à une classification simpliste entre le régime de Bachar Al-Assad et ses opposants, chaque Syrien a éprouvé une profonde colère dès le printemps 2011. Au fil des offensives, des sièges militaires et des destructions massives infligées aux populations, cette émotion opposée à une situation intolérable a mué en norme, y compris hors du pays où jamais les vues et positions sur cette crise n’ont paru aussi tranchées et définitives.

Une décennie plus tard, le régime syrien continue de faire face à des manifestations de colère régulières, quoique plus rares. Entretenir ce sentiment représente à l’évidence une arme de choix pour ses détracteurs qui dénoncent une entreprise de reconquête ne connaissant aucune limite et aucun frein à la brutalité. Le vent n’a certes pas tourné en faveur des forces d’opposition encore présentes sur le terrain, mais leur colère, immense, freinera durablement tout effort de pacification d’une société meurtrie.

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