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Mucoviscidose : revivre grâce au traitement qui révolutionne cette maladie génétique

Illustration d'une jeune femme qui se tient la poitrine, qui irradie en rouge, avec ses deux mains pour représenter la mucoviscidose.
Un nouveau médicament améliore la qualité de vie des personnes atteintes de mucoviscidose, maladie rare qui affecte notamment la fonction respiratoire. Une transformation existentielle complexe. Pathdoc/Shutterstock

Un nouveau médicament « révolutionne » l’état général de personnes atteintes de mucoviscidose, cette maladie génétique rare qui diminue la fonction respiratoire. Une situation qui peut bouleverser leur vécu et remettre en question leur identité.


En juillet 2021, un médicament sous forme de comprimés à prendre par voie orale à la maison, le Kaftrio, obtenait en France un accord de commercialisation et de remboursement pour les patients de plus de 12 ans porteurs d’au moins une mutation spécifique de cette maladie rare.

Cet accord – résultat de longues discussions entre le Comité économique des produits de santé et le laboratoire pharmaceutique – n’aurait pas été possible sans la forte implication des associations des patients et des professionnels de santé.


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Un nouveau médicament qui agit sur l’état général

La mucoviscidose se caractérise notamment par un encombrement des bronches qui entraîne une toux chronique, une diminution de la fonction respiratoire et des infections bactériennes fréquentes. Elle demande des soins quotidiens afin d’éviter épisodes aigus et hospitalisations.

Alors que ce traitement était présenté comme « révolutionnaire » ou « miraculeux » en raison de ses effets immédiats et profonds sur la capacité respiratoire et l’état de santé général des patients, des études en sciences humaines et sociales se sont, peu à peu, intéressées au vécu des patients.

Revivre : une évidence ?

Si la plupart des patients traités rapportent une expérience bénéfique et positive, certains soulignent aussi l’« expérience existentielle, sociale et politique » majeure que ce traitement implique. Cette dernière est au cœur de l’étude Revivre conduite à partir des récits de vie de malades.

Ils affirment « revivre » grâce au Kaftrio. Le vécu d’amélioration physique immédiate leur permet de « ne plus se sentir malades », de « se sentir sauvés », voire « guéris ».

Ils peuvent avoir le sentiment de vivre une nouvelle ou une seconde vie, en tout cas ils ont une « vie plus confortable ». Pourtant, une fois l’« euphorie de la guérison » passée, ils savent qu’ils ne sont pas guéris, ils demeurent conscients de leur vulnérabilité liée à la maladie et de leur dépendance à vie à un médicament.

Revivre apparaît comme « un changement de paradigme » porteur d’« une autre vision du monde » où il devient possible de se soucier de ce qui auparavant passait au second plan. L’attention peut se déplacer de la gestion des symptômes et de l’évolution de la maladie à des préoccupations ayant trait à la vie psychique et sociale, de la (sur) vie au vivre bien.

Cependant, ce « chamboulement » n’a rien d’évident : s’il conduit incontestablement à un mieux, il engage pour certains patients un processus complexe, parfois difficile.

L’identité mise en question

Ce sont en particulier les changements corporels (absence de la toux, prise de poids, problèmes dermatologiques, sensations nouvelles, etc.) qui conduisent à certains remaniements identitaires. Le corps est un vecteur majeur par lequel le sujet s’éprouve à la fois comme vivant et comme le même dans le temps. Les patients indiquent ressentir une énergie nouvelle, ils se sentent parfois pousser des « ailes » ou expérimenter une « mue ».

Pour certains, notamment les plus âgés, le corps évoque « une vieille voiture avec un moteur trop puissant ». Ils peuvent aussi éprouver une perte de connexion avec un corps soudainement « devenu silencieux ». Ils expérimentent un écart entre leurs capacités physiques nouvelles et les habitudes prises avec un corps contraint par la maladie. C’est donc un corps qu’il faut remettre en marche, qu’il faut se réapproprier et habiter d’une manière nouvelle.

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L’identité se trouve aussi mise en question du fait de la nette diminution des soins – médicaux, paramédicaux et comprenant le soin de soi – dans la lutte quotidienne pour protéger la vie. L’arrêt de ce combat peut laisser place à une sensation de vide. À l’enjeu essentiel – conserver la vie – se substituent des enjeux en apparence plus superficiels (avoir des loisirs, par exemple). Les personnes peuvent se trouver ainsi confrontées à un certain dénuement, une perte de sens qui les conduit à un questionnement existentiel profond.

Enfin, leur identité leur apparaît dans un entre-deux, elles se disent ni totalement guéries ni totalement malades, ou plutôt malades autrement. Certaines évoquent avoir perdu une partie constitutive d’elles-mêmes, se comparant à « un apostat qui renierait sa religion ».

De nouvelles manières d’être dans le temps

Le temps nécessaire pour s’adapter à ces changements contraste avec la temporalité quasi immédiate des effets du Kaftrio. L’euphorie du présent ouvre, peu à peu, sur un avenir inconnu, source d’interrogations sur le futur comme sur le passé.

Alors que la mucoviscidose était souvent identifiée à une espérance de vie diminuée et une « mort programmée », parfois quantifiée en années de vie par les médecins, les patients ayant une vive conscience « d’être-pour-la-mort », le Kaftrio ouvre une nouvelle échelle de temps indéfinie. C’est un passage « de la mort à la renaissance », du « court terme » au « long terme », ou encore « de la préparation à la mort » à « la préparation à la vie ».

Non seulement émergent des préoccupations inédites que l’on ne pensait pas rencontrer, concernant par exemple la vie professionnelle, le vieillissement ou la retraite, mais aussi une angoisse de vie qui peut remplacer l’angoisse de mort.

Pour autant, le passé demeure présent et peut brider le rapport à l’avenir. C’est parfois la remise en question de ce que l’on avait mis en place pour vivre avec la maladie, mais aussi la prise de conscience que le Kaftrio ne résoudra pas tout ce que la vie a amené du fait, ou non, de la maladie (relations familiales et sociales, orientation scolaire et professionnelle, etc.). Il devient alors nécessaire de revisiter le passé pour aller mieux dans le futur.

Des normes de vie déstabilisées

Le Kaftrio vient mettre en cause des manières de vivre construites pour vivre le mieux possible avec la mucoviscidose. Il n’est pas rare que les personnes affirment avoir eu une « vie normale », parce qu’elles ont eu une vie vivable et pleine de sens malgré la maladie, et parce qu’elles ont refusé d’être réduites au statut de malades qui aurait creusé un écart par rapport aux bien portants.

Pourtant, elles reconnaissent aussi que leur vie était « pathologique », marquée par la présence de la mort (vécue comme une épée de Damoclès) et par de multiples renoncements. On s’aperçoit alors que, comme dans d’autres maladies chroniques, « la maladie n’empêche ni l’équilibre ni la santé » et que cette dernière est une construction subjective.

Ainsi le Kaftrio peut déstabiliser, au moins transitoirement, cette « norme » ou « allure de vie » avec la maladie, pour reprendre les termes du philosophe Georges Canguilhem. Le traitement redéfinit le vécu avec la mucoviscidose, comme s’il s’agissait d’une nouvelle maladie.

Dès lors, se redéfinissent les manières de se rapporter à soi, à son corps, aux autres et au monde. D’autres « techniques de soi » sont à apprendre. Cette reconfiguration est indissociable d’un travail de réévaluation de ce qui importe (ou non) dans l’existence, d’une nouvelle échelle de valeurs et de priorités.

Ainsi, le Kaftrio peut avoir pour effet indirect une déconstruction psychique, sociale et existentielle. Revivre est un processus qui requiert un travail de soi et de soin.

Soin de soi et soutien des autres

Le revivre demande sans nul doute un accompagnement. Il semble essentiel de bénéficier d’espaces d’écoute où dire librement ses difficultés (y compris non médicales), sans que celles-ci ne soient minimisées au regard du « miracle » apporté par ce traitement tant attendu.

Il faut aussi avoir à l’esprit que le Kaftrio, grâce à l’amélioration physique qu’il amène, loin de supprimer les besoins de soin, les redéfinit. Ainsi, les pratiques et les relations de soin ne doivent pas nécessairement être interrompues, mais plutôt redéployées.


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Dans ces maladies de longue durée, certains soignants sont dépositaires de l’histoire médicale et personnelle des patients. De fait, il est crucial que la manière de réorganiser les soins soit anticipée, pensée et décidée ensemble, entre soignés et soignants.

Ne pas se limiter au soin médical

Enfin, le soin indispensable ne saurait être réduit au soin médical. Il importe de varier les modalités de soin et d’accompagnement pour constituer un soin global.

Celui-ci devrait inclure le soin de soi (du temps pour revenir à soi), des soins du corps (activité physique, kinésithérapie, diététique) et de la psyché, mais aussi un ensemble de soins relationnels (partages d’expériences et accompagnements entre pairs, coachings, soutien social) permettant de répondre aux besoins, toujours singuliers, des personnes engagées sur le chemin du revivre.


Le projet IDEX est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

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