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Municipales : comment expliquer cette vague abstentionniste ?

Des personnes marchent devant un panneau portant une inscription «abstention» à Paris. Les municipales 2020 détiennent le taux record d'abstention. Joël Saget/AFP

L’abstention a été particulièrement forte aux deux tours des élections municipales de 2020 : 55,3 % des citoyens inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés pour le premier tour et 58,4 % pour le second.

La progression est phénoménale par rapport à 2014, comme le montre le tableau 1, plus 18,8 points au premier tour, 20,5 au second. Alors qu’on pouvait s’attendre à une hausse limitée de l’abstention, conforme à l’évolution de long terme.

Tableau 1. Taux d’abstention aux élections municipales depuis 1947. Ministère de l’Intérieur, Author provided

Comment comprendre le sens de cette montée de l’abstention, en considérant d’abord le premier tour, seul scrutin où l’ensemble des citoyens était appelé aux urnes, puis le second, qui ne concernait qu’un tiers des électeurs ?

Commençons par tordre le cou à des idées reçues : l’abstention n’est pas signe de dépolitisation. Les citoyens ne s’intéressent pas moins aux affaires publiques. Ils trouvent autant que pour les précédentes municipales le scrutin important pour leur ville et disaient vouloir voter essentiellement en fonction des enjeux locaux. Et le potentiel d’engagement civique est toujours aussi important comme le montre le nombre de listes constituées en aussi grand nombre qu’avant.

2017 à 2020 : un contexte particulier favorisant l’abstention

Depuis 2017, le système partisan français a été profondément bouleversé avec l’émergence d’un pôle central La République en marche (LREM) et un quasi-effondrement des anciens partis de gouvernement. Beaucoup de candidats ont préféré mettre en avant leur personnalité, leur équipe, et se dire citoyens plutôt que de se référer à des partis décrédibilisés. Il est du coup plus difficile pour l’électeur de choisir un candidat qu’autrefois sur une étiquette politique bien identifiée. Devant la difficulté de choisir, la tentation de s’abstenir est toujours forte.

Depuis fin 2018, le pays a connu deux grands mouvements sociaux, la crise des « gilets jaunes », expression d’une France frustrée des bienfaits de la croissance, et la contestation de la réforme des retraites, considérée comme un abandon du système de protection sociale à la française et un renforcement du néo-libéralisme. Ces deux mouvements ont probablement conforté une abstention de mécontentement à l’égard des élites politiques.

Selon l’institut de sondage Ipsos, 60 % des personnes disant avoir du dégoût pour la politique se sont abstenues. C’est aussi le cas de 77 % de celles qui s’y disent indifférentes. Certains ne sont donc pas allés voter parce qu’ils n’attendent plus rien des hommes politiques.

Mais l’explication de la montée phénoménale de l’abstention s’explique avant tout par la peur du coronavirus. Selon l’IFOP, environ 2/3 des Français étaient opposés au maintien du premier tour le 15 mars. Selon Ipsos, la première raison invoquée par les abstentionnistes est la crainte du coronavirus (39 %). Et selon l’IFOP, 36 % des abstentionnistes disent que la seule raison de leur abstention a été l’épidémie. Les régions les plus affectées par l’épidémie (notamment le nord-est) sont plus fortement abstentionnistes.

Les jeunes et les plus modestes s’abstiennent davantage

La sociologie de l’abstention varie beaucoup selon les générations et les catégories sociales.

On observe à toutes les élections – sauf en partie à la présidentielle – d’énormes différences selon les générations. C’est le cas au premier tour de ces municipales, où, selon le même sondage IFOP, l’abstention a été de 67 % chez les 18-24 ans et de 50 % chez les 65 ans et plus. L’écart est plus faible que lors des précédents scrutins locaux, car les personnes âgées sont celles qui craignaient le plus les risques épidémiques (20 % de craintes chez les 18-24 ans, 46 % chez les 65 ans et plus).

Les enquêtes électorales montrent depuis longtemps déjà que la participation électorale a baissé pour toutes les générations nées à partir des années 1960. Le mouvement n’a fait que se développer depuis : pour les jeunes générations, le vote est considéré comme un droit et non plus un devoir.

Si l’enjeu de l’élection présidentielle reste assez clair pour les jeunes générations, celui des élections locales, législatives et européennes est plus difficile à percevoir. Les citoyens sont devenus plus critiques et moins conformistes à l’égard de représentants qu’ils contestent de plus en plus facilement. L’abstention est donc, pour certains, une façon de signifier une protestation à l’égard des élus.

On observe aussi des différences d’intensité de la participation électorale selon la position sociale. Selon l’IFOP, l’abstention a été de 48 % chez les personnes de catégorie aisée, mais de 61 % parmi les pauvres. Selon Ipsos, elle a affecté 49 % des personnes ayant un revenu mensuel de plus de 3000 euros, mais 71 % de celles disposant de moins de 1200 euros. Les catégories populaires semblent moins facilement ressentir l’utilité du vote.

Des logiques d’abstention propres aux élections municipales

On sait depuis longtemps que la participation électorale est beaucoup plus importante dans les communes de petite taille que dans les grandes villes lors des élections municipales. En 2020, le phénomène a continué et s’est même un peu amplifié. L’abstention a été, le 15 mars, de 35,6 % dans les communes de moins de 500 habitants, mais de 63,6 % dans celles de plus de 100 000 personnes.

La durée d’habitation dans la commune a aussi de l’importance. L’abstention monte à 61 % chez ceux qui habitent depuis moins de cinq ans dans la commune (IFOP). Ce qui peut s’expliquer de deux manières. Les personnes qui viennent d’arriver dans une commune sont moins intégrées à la vie municipale et s’intéressent donc moins au scrutin. Par ailleurs, ces personnes arrivées récemment sont parfois encore inscrites dans leur ancienne commune et ne souhaitent pas aller y voter pour élire un conseil municipal qui ne les concerne plus. Ajoutons que les propriétaires de leur logement votent depuis très longtemps plus que les locataires, car mieux insérés localement et en moyenne plus aisés.

Anne Rosencher, analyse le scrutin déroutant des élections municipales 2020, notamment marquée par une forte abstention dans une France mise à l’arrêt par la pandémie de coronavirus.

Dans les grandes villes au contraire, la vie politique est beaucoup plus anonyme, l’électeur urbain connaît beaucoup moins souvent les élus. Et l’abstentionniste n’a pas à craindre la réprobation de la communauté villageoise.

La campagne est plus politisée dans les villes alors que dans les petites communes, on s’intéresse plutôt à la personnalité et aux compétences de gestion des candidats. Cette dimension personnelle du vote est plus mobilisatrice que la tonalité politique du scrutin urbain.

Un second tour aussi abstentionniste que le premier

Le second tour est aussi atypique que le premier. Si le temps disponible pour les candidats a été long (plusieurs semaines de campagne après deux mois de confinement où les équipes municipales sortantes et les candidats ont aidé à la gestion de la crise), la campagne n’a pas pu se dérouler selon les modalités habituelles : pas de meeting, des contacts en face à face peu nombreux, beaucoup de numérisation qui s’avère peu mobilisatrice.


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D’autres explications que la peur de l’épidémie du Covid-19 – toujours dominante – sont données : l’inutilité du vote pour sa situation personnelle (38 %), aucune liste ne plaît (27 %), en lien probablement avec la réduction de l’offre de second tour, autres préoccupations en ce moment (25 %), mécontentement à l’égard des hommes politiques (24 %), résultat connu d’avance (22 %), manque d’intérêt (12 %) et abstention systématique (4 %).

Les logiques mises en évidence pour le premier tour se reproduisent évidemment pour le second dans les communes restant en compétition : différences générationnelles, l’abstention est de 72 % d’abstention chez les 18-24 ans, différences sociales, 70 % d’abstention chez les ouvriers, 65 % d’abstention chez les employés.

Quel comportement électoral dans les grandes villes ?

Si l’abstention est énorme partout, elle est cependant un peu plus faible là où l’enjeu du scrutin était plus net, avec des coalitions se revendiquant clairement d’une alliance entre les écologistes et la gauche contre d’autres listes ou contre une alliance LR/LREM.

Le tableau 2 donne quelques exemples du phénomène dans les grandes villes.

Tableau 2. Abstention aux deux tours municipaux dans quelques grandes villes. ministère de l’Intérieur, Author provided

Grenoble est un exemple de second tour à faible enjeu : le maire sortant avait obtenu 46,7 % des exprimés dès le premier tour et distancé de beaucoup les trois autres listes. L’abstention augmente de 6,4 points.

Si trois listes s’affrontaient à Lille, elles étaient toutes de gauche, ce qui est peu mobilisateur pour l’électorat de droite. L’abstention augmente de 0,9 point.

À Lyon, l’alliance entre Gérard Collomb et Les Républicains (LR) contre les écologistes (EELV) a probablement démobilisé une partie de son électorat. L’abstention progresse de 1,1 point.

À Marseille, l’affrontement entre le Printemps marseillais, mené par Michèle Rubirola (ex-EELV) et Les Républicains (LR) menés par Martine Vassal, héritière de Jean‑Claude Gaudin, mobilise un peu plus qu’au premier tour : l’abstention recule de 2,3 points.

À Paris, la maire sortante, Anne Hidlago (PS), semble assurée de l’emporter, l’abstention progresse de 5,6 points.

À Strasbourg, l’enjeu est fort entre les listes écologistes, de droite et socialiste, l’abstention recule de 3,3 points.

Les effets de l’offre électorale sur la mobilisation sont réels, mais de faible ampleur, car la pandémie a comme figé l’expression des préférences électorales.

La démocratie ne disparaît pas, mais se transforme

Certains discours entendus au soir du second tour sur la ruine de la démocratie et la grève des urnes, une « insurrection froide » selon Jean‑Luc Mélenchon, sont très exagérés. Le niveau de l’abstention aux deux tours a d’abord des raisons conjoncturelles. La tendance de long terme est bien à une hausse de l’abstention, mais progressive, en lien avec le renouvellement des générations dans la population.

Des populations qui votaient par devoir, mais sans toujours comprendre le sens de leur vote sont remplacées par des citoyens plus individualisés, facilement critiques, raisonneurs, qui manient le droit de vote avec subtilité et s’abstiennent quand ils ne voient pas l’utilité de leur expression citoyenne.

La démocratie en contexte d’individualisation des valeurs est moins confortable pour les élus qui doivent faire face à de nombreuses critiques, il peut en résulter un pessimisme excessif de la population, mais ce changement de valeurs est aussi porteur de renouvellement citoyen et de participation plus active aux décisions.

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