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Le laboratoire créatif

Ne vous empêchez pas de rêvasser !

Jessica Joseph/Unsplash, CC BY

Cette chronique se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.


La définition que donne le dictionnaire du terme « rêvasser » est quelque peu péjorative : « laisser la pensée, l’imagination se perdre en des rêveries vagues, changeantes et souvent chimériques ».

En réalité, en l’absence de stimuli externes (sonneries de téléphone, bruits de conversation), il est vrai que le cerveau glisse dans la rêverie, mais il est faux de prétendre que cette activité soit inutile, bien au contraire. Depuis des temps immémoriaux, la soi-disant inactivité cérébrale a mauvaise presse. On la confond avec la paresse qui, selon l’adage, est mère de tous les vices.

À Vancouver, au Canada, le laboratoire Cognitive Neuroscience of Thought, spécialisé dans l’étude de la rêverie, lève un certain nombre d’idées reçues.

Repos de façade

Lorsque le cerveau, en apparence, cesse de focaliser son attention sur une activité, le réseau du « mode par défaut » entre en opération. Ce réseau joue un rôle fondamental dans le traitement des souvenirs personnels et de la construction de l’identité. Loin d’être au repos, le cerveau est donc actif.

S’adonner à la rêverie recoupe en réalité une palette étendue d’activités cognitives, des pensées fantasmatiques jusqu’à la planification ou la génération d’idées créatives. Mais, dans tous les cas, la rêverie produit un débit chaotique d’idées de toutes sortes qui franchit les seuils de la conscience de manière inopinée et incontrôlable.

La fondatrice du laboratoire, Kalina Christoff, compare l’esprit humain à un système musculaire basé sur l’activité de forces opposées. Lorsque vous contractez les muscles de votre bras, par exemple, un muscle se contracte en même temps qu’un autre se détend. Étirer le bras, et c’est le processus inverse qui s’enclenche.

Notre culture occidentale encourage la concentration, souligne le professeur Christoff, et décourage tous les autres modes de pensée que nous pratiquons lorsque nous sommes seuls et livrés à nous-mêmes.

Associations d’idées

La flânerie a ses vertus, dont l’une des principales, rajoute Kalina Christoff, est d’éliminer la censure. La flânerie permet d’établir des connexions que l’esprit ne serait pas en mesure de faire autrement.

Jean‑Jacques Rousseau, dans Les Rêveries du promeneur solitaire, décrit la jouissance qu’il éprouve à rêvasser et indique un des rôles importants de la rêverie : la place qu’elle laisse à l’imagination.

« Quelquefois mes rêveries finissent par la méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie, et durant ces égarements mon âme erre et plane dans l’univers sur les ailes de l’imagination, dans des extases qui dépassent toute autre jouissance. »

En fait, rêvasser est essentiellement un processus créatif. Dans l’imagination du flâneur, de multiples possibilités s’offrent à lui, certaines originales, voire bizarres. La rêverie s’oppose à la pensée analytique qui occupe encore dans les corpus pédagogiques actuels toute la place.

Einstein lui-même avait parfaitement compris les pouvoirs que recelait la rêverie. Il pensait que cette capacité de l’esprit humain lui permettait de relier différents concepts, qu’il s’agissait d’une des seules voies possibles pour la production d’idées nouvelles.

Un équilibre à trouver

Existe-t-il des lieux propices à la rêverie ? Des moments dans la journée qui se prêtent plus que d’autres à cette pratique ? Pour certains, ce sera au lever du jour. Le lieu et le moment varieront selon chaque individu. Il est important de se rappeler que la rêverie est une pratique qui devrait être tolérée et reconnue pour ses bienfaits. Le cerveau a besoin de ces moments de pause et de réflexions chaotiques pour contrebalancer l’influx de données de toutes sortes qui nous bombardent quotidiennement.

En fait, où que nous soyons, notre esprit se prête tout naturellement à cette activité cognitive singulière (car il s’agit bien d’une activité), comme le souligne Rousseau :

« La rêverie peut se goûter partout où l’on peut être tranquille, et j’ai souvent pensé qu’à la Bastille, et même dans un cachot où nul objet n’eût frappé ma vue, j’aurais encore pu rêver agréablement. »

Comment pratiquer la rêverie de manière plus active (et sans culpabilité) ? C’est l’exercice de la semaine, _Rêveries et autres gourmandises !

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