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« Nicky Larson » et le parfum de la polémique facile

Nicky Larson et le parfum de Cupidon, de Philippe Lacheau. Allociné

L’annonce d’une adaptation française de Nicky Larson, animé japonais tiré du manga City Hunter de Tsukasa Hojo programmé dans l’hexagone au sein du Club Dorothée a fait frémir les médias. Philippe Lacheau et ses comparses, après s’être illustrés sur Canal+, ont investi les salles obscures avec des comédies comme Babysitting ou encore Alibi.com sont aux commandes du long métrage, et les critiques ont fusé dès l’annonce du projet.

Que ce soit vis-à-vis de l’affiche du film ou de la première bande-annonce, « La bande à Fifi » ne partait pas en terrain conquis. Depuis, de nombreuses personnalités d’Internet, notamment les spécialistes de la culture geek comme le Chef Otaku ou encore le Joueur du Grenier ont loué la fidélité du long métrage à l’œuvre originelle de Hojo, qu’il s’agisse de l’animé édulcoré ou du manga, bien plus sombre. Pourtant, les critiques professionnelles françaises ne semblent pas goûter la plaisanterie, reprochant à Nicky Larson d’être trop axé sur les gags à caractère sexuel, et de se rendre coupable de misogynie voire d’homophobie.

La question du sens de lecture est ici largement sollicitée car les arguments des détracteurs du film, souvent peu développés, peuvent être très facilement retournés et renvoyés drastiquement à leurs auteurs.

« Nicky Larson est misogyne »

Dans Qu’est-ce qu’un bon film ?, Laurent Jullier établit le fait qu’au cinéma il faut savoir discerner le descriptif du prescriptif. Le personnage de Nicky Larson est un misogyne, un obsédé sexuel et même parfois un harceleur. Pourtant, à aucun moment, que ce soit dans l’œuvre de Hojo ou dans l’adaptation de Lacheau, ce comportement n’est glorifié. Le personnage est d’ailleurs souvent puni par sa comparse Laura, qui est un personnage profondément humain à l’éthique irréprochable qui vient souligner la vulgarité et la dimension surréaliste de ses adjuvants.

Nicky Larson est descriptif, et non prescriptif : il n’invite pas à se rabaisser à ce type d’agissements, mais au contraire il les dénigre et les ridiculise. Ce n’est pas la première fois que la critique française s’insurge : Elle, de Paul Verhoeven, a été accusé de faire l’apologie de la culture du viol en présentant une protagoniste désireuse de revivre son agression. Elle, c’est elle, au singulier, pas au pluriel, et les généralités, faciles à établir, sont souvent la preuve d’un manque profond de réflexion. Dans un registre humoristique plus proche du film de Lacheau, les deux opus d’OSS 117 de Michel Hazanavicius n’ont semble-t-il pas été taxés de machisme, de racisme et d’antisémitisme, des systèmes de pensée qui dominent pourtant totalement la personnalité du héros incarné par Jean Dujardin.

Dans une logique de respect complet de l’œuvre originale, Philippe Lacheau a intégré le gag visuel du maillet de 100 Tonnes utilisé par Laura (Elodie Fontan) afin de punir symboliquement les comportements déviants du personnage titre (Philippe Lacheau).

Le personnage de Laura, de par ses cheveux courts et sa façon de s’habiller, est souvent prise pour un homme voire même moquée par son associé, et cet élément est également au cœur des critiques sur la prétendue misogynie du film. Mais Laura, victime des réflexions désobligeantes des autres personnages, permet aux spectateurs de s’identifier, et souligne de fait l’absurdité de cet acharnement et la dimension très obtuse des esprits qui en sont à l’origine.

Bien que le film de Lacheau soit conçu pour fonctionner en totale autonomie, souvenons-nous que le personnage de Kaori (le nom original de Laura) est travestie en gangster lors de sa première apparition dans le manga d’origine, signant le point de départ du running gag sur son identité de genre. Nicky Larson dénonce et se moque ouvertement de ces individus balourds englués dans leurs préjugés au sujet des femmes. Laura est un personnage fort, bien plus fort que la grande majorité des personnages masculins du film, et se pose comme l’égale du garde du corps donnant son titre à l’œuvre.

Dans les années 1980, Didier Bourdon fustigeait la diffusion d’animés japonais au sein du Club Dorothée. Aujourd’hui, après Les Inconnus, il est en tête d’affiche d’une adaptation de l’un de ces produits culturels venus du Japon.

Nicky Larson est homophobe

Sous l’emprise du parfum de Cupidon, le personnage titre tombe amoureux contre son gré de son commanditaire, incarné par Didier Bourdon, donnant alors lieu à des scènes de fantasmes homo-érotiques tournées en dérision. Nicky Larson a 48 heures pour trouver l’antidote sous peine d’être éternellement amoureux d’une personne qu’il n’aime et ne désire pas. Pour certains internautes qui pourfendent le film, ce personnage cherche à « guérir » de son homosexualité, et le film est donc ouvertement homophobe. Pourtant, on peut aussi considérer que la question qui se trouve au cœur de l’intrigue est plutôt celle du consentement. C’est dans le but de détruire un parfum pouvant servir d’arme à des individus qui font fi du consentement d’autrui que Nicky et Laura partent à sa recherche. Mieux, l’attirance d’un machiste galvanisé par sa masculinité pour un autre individu de sexe masculin sert un propos bien plus profond, visant à mettre à mal le mythe de la virilité.

Loin d’être une simple caution sexy pour le film, Laura est un personnage complexe qui permet de réfléchir à la question du genre et aux règles implicites du patriarcat. Les rares moments où elle est sexualisée sont tournés en dérision pour amorcer des gags lui conférant, entre autres, un rôle de comic relief plus réaliste.

Dans son ouvrage éponyme, sous-titré « un piège pour les deux sexes », Olivia Gazalé établit que la notion de virilité est non seulement un outil d’asservissement pour les femmes mais également pour les hommes qui se sentent obligés, consciemment ou inconsciemment, de correspondre à des archétypes virilistes visant à les enfermer dans un modèle unique. Quiconque ne marche pas dans les clous est rejeté, moqué voire violenté.

Nicky Larson est un archétype des années 1980 totalement conforme à cette idée de mâle dominateur avide de sexe hétérosexuel et le fait qu’il soit éperdument amoureux d’un autre homme remet totalement en question son système de pensée : est-ce grave d’être amoureux de ce personnage-là ? Oui, car il n’y a aucun consentement, et non pas parce que c’est un amour homosexuel. Le film est une œuvre outrancière et les gags qui pleuvent autour de cette bromance sont justement là pour grossir le trait, pour parodier une vision très hétérosexualisée de l’homosexualité : ce qu’imagine Nicky, ce sont des clichés, car il en est un lui-même, se refusant à déclarer ouvertement sa flamme à Laura, cette femme qu’il ne peut aimer, peut-être justement parce qu’elle est trop garçonne à son goût, une préférence dictée par son emprisonnement dans ce fameux mythe de la virilité qui lui impose des archétypes et des chemins totalement balisés.

Les personnages masculins du film sont en proie à leurs pulsions mais aussi en constante lutte avec leur propre virilité.

Cri d’amour générationnel au Club Dorothée enrobé d’une avalanche de clins d’œil à l’œuvre de Tsukasa Hojo (version papier ou écran), comédie policière et buddy movie dans lequel, pour une fois, les deux protagonistes ne sont pas seulement des hommes, Nicky Larson peut soulever certains questionnements qui paraissent douteux au premier abord. Mais au-delà du pur divertissement se trouve une réflexion bien plus profonde qu’il n’y paraît sur les codes qui régissent les rapports entre les genres et la vie amoureuse.

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