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Non, la COP ne fut pas « un sommet pour rien »

Réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, un des enjeux majeurs de la COP21. COP Paris/flickr

En s’éloignant d’un dispositif global mais désincarné – celui d’un marché mondial des quotas d’émission –, l’accord de Paris rend le devoir de l’action aux sociétés en charge de le mettre en œuvre, et donc à toutes les forces et à tous les acteurs engagés, dans leurs attentes contradictoires. La politique climatique du XXIe siècle sera bien un combat.

Réunis autour de Jean Tirole, prix Nobel 2014, les économistes de la Toulouse School of Economics (TSE) étaient depuis des mois dubitatifs quant à l’issue de la conférence de Paris et au contenu de l’accord susceptible d’en résulter. « Un sommet pour rien ! » écrivaient ainsi récemment Emmanuel Thibault et Frédéric Cherbonnier.

Non, Paris n’aura pas été un sommet pour rien.

Pour les économistes signataires de l’appel lancé par TSE et la Chaire d’économie du climat de l’université Paris Dauphine, la solution dominante aurait dû être celle d’un prix universel du carbone et d’un marché transcontinental des permis carbone. L’accord de Paris, adopté par consensus le 12 décembre dernier, tourne le dos à leurs recommandations. La signature du texte encore fraîche, Jean Tirole écrit, dans un rappel implicite à l’échec de la conférence de Copenhague en 2009 : « Nous ne sommes guère plus avancé qu’il y a six ans ».

L’épreuve de la géopolitique

L’argumentation des économistes de TSE, dont on ne retiendra ici que quelques traits saillants, est la suivante. En premier lieu, elle écarte les politiques et mesures, c’est-à-dire l’action de l’État par la réglementation et la norme (qui peut porter sur les émissions, les produits ou les procédés) : « Son application dans les pays à planification centrale en a montré les limites. » La norme est de surcroît « très coûteuse à appliquer ». L’approche par les incitations économiques, c’est-à-dire par le recours à la taxation ou les marchés de permis (qui ont leur préférence), est privilégiée, d’autant que « marché et démocratie vont souvent de pair ».

Le schéma privilégié n’est autre que celui déjà envisagé dans la période séparant le protocole de Kyoto (1997) et l’échec de Copenhague (2009). Il s’agit d’un triptyque : plafond mondial d’émission + partage entre les nations des droits d’émission + marché international des quotas. La clé de voûte de ce dispositif aurait été un « organisme indépendant » pour la régulation du marché des permis, générateur du prix du carbone. Cet organisme aurait été en charge de mesurer et contrôler les émissions de chacun des pays signataires, et de pénaliser les participants ne respectant pas leurs engagements d’émissions. Il s’agit donc d’une instance de régulation, mais « protégée de toute influence », précisent-ils.

Séduisant par sa pureté formelle, sa conformité à la théorie économique standard et ses vertus supposées d’efficacité, d’équité et d’indépendance, ce schéma s’est avéré impossible à mettre en œuvre. Cela parce que le contexte historique et géopolitique du début du XXIe siècle est contradictoire, marqué à la fois par la prise de conscience des contraintes globales et par un affaiblissement de la gouvernance multilatérale et l’affirmation des nations émergentes, soucieuses de leur souveraineté économique et politique.

Une tarification du carbone, mais comment ?

Sur la tarification du carbone, Jean Tirole, répète, trois jours après la signature de l’accord, qu’« il faut un prix universel du carbone compatible avec l’objectif des 1,5 ou 2 °C ». Le « il faut » est peut-être partagé dans les couloirs de TSE, mais est-il crédible dans l’espace universel ? Les propos de ce type, même bénéficiant de la pertinence et de la rigueur d’un Nobel, n’ont jamais passé l’épreuve de la confrontation aux dures réalités de la géopolitique et de l’économie.

Jean Tirole poursuit : « La stratégie attentiste des engagements volontaires de réduction des émissions (INDC) l’a emporté. » Quelle autre stratégie que celle ouverte à l’action des États, tous différents selon leur stade de développement, leurs capacités technologiques, leur situation politique et sociale, sans parler de la diversité des valeurs et priorités ? Il n’y a pas de baguette magique pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre en ignorant ces réalités.

Si l’accord de Paris est un tournant, il ne marque toutefois que le début d’un processus. Il reste, certes, insuffisant pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, et loin de la trajectoire permettant de contenir le réchauffement bien en-dessous de l’objectif de 2 °C. Mais c’est un accord universel, conduisant toutes les Parties à préciser et enregistrer des objectifs de réduction des émissions qui ne pourront par la suite qu’être renforcés dans leur ambition. Dans la mise en œuvre de ces politiques, l’introduction de prix du carbone – au pluriel – constituera évidemment une étape incontournable.

Au sortir de la conférence, l’idée d’une taxation du CO2 paraît encore lointaine. Dans la « décision », non soumise à la ratification des États, de la conférence – et non pas dans l’accord lui-même –, est évoqué pour la première fois dans un document issu d’une COP, le terme de « tarification du carbone ». Cette mention est rapide, mais constitue le début d’un long chemin qui passera par la mise en place de prix nationaux – ou régionaux – du carbone, dont on peut penser qu’ils convergeront, mais seulement sur le long terme. Et sans doute dans le cadre initial de clubs de pays partageant une ambition commune, auxquels pourraient s’adjoindre de grandes firmes et d’autres acteurs, comme des régions ou des villes.

Considérer les modes de production et de consommation

L’accord de Paris – et là résident son importance et les défis qu’il conduit à relever – renvoie à des enjeux qui doivent impérativement être posés dans une perspective multi-échelle : internationale, régionale, nationale et enfin locale. Jusqu’au plus proche des conditions d’existence, des modes de vie et des comportements des citoyens. Cela parce qu’une bonne partie des solutions à mettre en œuvre dépendent de l’organisation matérielle des systèmes de transport, de la planification urbaine, des clusters industriels. Aucune autorité internationale ou « organisme indépendant » en surplomb, ne suffira à construire les conditions politiques, matérielles et écologiques des activités humaines.

La nouvelle économie des changements climatiques que dessine l’accord de Paris bifurque donc de l’approche standard par les seuls instruments économiques (prix et quotas d’émission) et revient à une approche plus classique, en termes d’économie de la production, conférant un rôle stratégique aux méthodes et techniques de réduction des émissions, dans le cadre d’une vision des transitions énergétiques et industrielles. Elle s’appuie donc sur l’action programmée des États et d’acteurs multiples situés à des échelles différentes. Compte-tenu de l’urgence, cette approche, qui permet d’articuler politiques sectorielles et incitations économiques, est aujourd’hui la plus appropriée.

Favoriser une approche ascendante

Plusieurs études ont exploré, avant la COP21, les dimensions sectorielles et technologiques des politiques de décarbonation : le rapport Stern-Calderon, New Climate Economy Report, ou encore celui du World Business Council on Sustainable Development, Low Carbon Technology Partnership Initiative. On peut également mentionner le projet sur la « décarbonation profonde » (Deep Decarbonization Pathways Project), dont le rapport 2015 a été présenté le 11 décembre au Bourget lors de la COP21. Sa méthodologie témoigne du basculement d’une approche « descendante » (ou top-down), celle de l’architecture ancienne du type protocole de Kyoto et des préconisations des économistes de TSE, à une approche « ascendante » (ou bottom-up), fondée sur la prise en charge du problème par les États.

Lancée fin 2013 par l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), alors dirigé par Laurence Tubiana, et le réseau onusien Sustainable Development Solutions Network, animé par Jeffrey Sachs, l’étude est résolument centrée sur les trajectoires nationales de décarbonation à long terme des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre. Rassemblant les travaux sur les scénarios de transition énergétique de seize équipes nationales, cette étude a permis de construire l’image de futurs décarbonés sur le long terme, à l’usage des gouvernements des pays concernés. Ces futurs sont structurés par une vision stratégique commune et le triptyque : efficacité énergétique, décarbonation des vecteurs énergétiques et transferts d’usages vers ces vecteurs décarbonés, avec par exemple les véhicules électriques.

L’originalité de l’approche réside dans la prise en compte de la spécificité de chaque pays : potentiel de technologies, acceptabilité ou pas de certaines options comme le nucléaire, inertie du stock d’infrastructures urbaines et de transport, enjeux de développement comme la question des inégalités et de la pauvreté, l’emploi, la pollution locale et la santé. Enfin, et peut-être surtout, la démarche a permis dans la plupart des pays d’enclencher un dialogue entre les différentes parties prenantes autour de la construction des futurs décarbonés et de l’identification des stratégies à mettre en œuvre.

L’accord de Paris constitue donc bien, comme le soutiennent avec d’autres les économistes de l’IDDRI, un changement de paradigme. Entre une action climatique mondiale exclusivement fondée sur un dispositif instrumental descendant avec prix universel, et une approche s’appuyant sur la prise de responsabilité des États-nations et leur engagement à enclencher la transition, les 196 Parties à la COP21 ont tranché. Tout commence.

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