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Non, le coronavirus ne favorise pas (encore) la montée d’un sentiment pro-Chine en Europe

Déchargement d'un avion transportant du matériel médical chinois le 13 mars à l'aéroport international de Rome Fiumicino. Stringer/Ansa/AFP

Le 13 mars dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que l’Europe était le nouvel épicentre de la pandémie de Covid-19. La Chine avait immédiatement profité de l’occasion pour offrir de l’aide à certains des pays européens les plus touchés, dans le cadre d’une campagne de relations publiques bien orchestrée, visant à améliorer l’image du parti communiste à l’étranger mais, surtout, à l’échelle nationale. Bien que les offres d’aide médicale de Pékin aient été plutôt bien accueillies par les dirigeants européens, il est encore trop tôt pour savoir si la Chine a su conquérir les cœurs et les esprits des pays du Vieux continent. En réalité, alors que la diplomatie chinoise en Europe devient de plus en plus plus offensive, voire agressive, on pourrait bien assister au phénomène contraire.

La diplomatie des masques

Déjà qualifiée par certains de « diplomatie des masques », la réaction rapide de la Chine à la pandémie de coronavirus qui sévit en Europe est un fait indiscutable. Depuis la mi-mars, de nombreux avions chinois chargés de personnel médical, de masques et de respirateurs ont atterri sur les aéroports européens. Par exemple, le 13 mars, deux jours seulement après que le nombre de cas confirmés de coronavirus en Italie ait atteint la barre des 10 000, une équipe médicale envoyée par la Croix-Rouge chinoise arrivait à Rome. À bord de l’appareil, il y avait au moins 30 tonnes de masques et de respirateurs, denrées rares de nos jours, dans des caisses recouvertes du drapeau chinois et barrées de l’inscription « la route de l’amitié ne connaît pas de frontières ».

Déchargement d’un Airbus d’Air China transportant 500 000 masques de protection à l’aéroport international d’Athènes, le 21 mars 2020. Aris Messinis/AFP

L’Espagne – aujourd’hui sur le point de devenir, après l’Italie, le pays le plus touché par le virus en Europe –, a conclu avec des fournisseurs chinois qui ont ces derniers mois considérablement augmenté leur production un accord portant sur la fourniture de plus d’un demi-million de masques, 5,5 millions de kits de test et 950 respirateurs. Les autres pays européens à avoir reçu une aide considérable de la part de la Chine sont la Grèce, la Belgique, la République tchèque, la France, l’Autriche et la Serbie. De son côté, le milliardaire chinois Jack Ma s’est également engagé à faire don de deux millions de masques à l’Espagne, à la France, à l’Italie et à la Belgique. Quant au géant chinois des télécommunications Huawei, qui est actuellement en négociation pour développer d’importants contrats 5G dans toute l’Europe, il a fait don de plus de 2 millions de masques à l’Espagne, aux Pays-Bas, à l’Italie et à la Pologne.

L’effort diplomatique de Pékin

La Chine a également intensifié ses initiatives diplomatiques en Europe. Le 13 mars, des responsables chinois ont organisé une visioconférence avec leurs homologues du groupe dit 17 + 1 qui rassemble les pays d’Europe centrale et orientale (ainsi que la Grèce), afin de partager leurs méthodes pour combattre la pandémie de coronavirus. Une autre visioconférence a eu lieu quelques jours plus tard entre les autorités sanitaires chinoises et dix pays européens, dont la France, le Portugal et le Danemark. Le numéro un chinois Xi Jinping a personnellement contacté les dirigeants de l’Italie, de l’Espagne, de la France, du Royaume-Uni et de la Serbie, pour discuter d’une alliance commune pour combattre le virus, assimilée à une « Route de la soie pour la santé ».

Dans le même temps, la Chine s’est également impliquée dans des campagnes plutôt inquiétantes de désinformation et de propagande à travers ses médias à l’intention du marché européen. L’Italie a été l’un des pays les plus ciblés. Par exemple, un tweet provenant du journal Global Times a fait planer le doute concernant l’origine du virus, suggérant qu’il provenait d’Italie. Un autre tweet posté par un porte-parole officiel chinois a présenté de façon mensongère une vidéo d’habitants de Rome en train de chanter sur leurs balcons, affirmant qu’ils remerciaient la Chine et diffusaient l’hymne national chinois. En outre, un journal italien a rapporté que la Chine, s’inspirant d’une tactique largement employée par la Russie, aurait déployé des centaines de robots sur Twitter pour diffuser sa propagande à propos du coronavirus. Ces agissements s’inscrivent dans la stratégie agressive que les responsables chinois emploient depuis plusieurs années en Europe contre tous ceux qui ne partagent pas leur vision des choses.

Il n’est pas surprenant que la Chine intensifie sa campagne de propagande en Europe en pleine épidémie du coronavirus. Les activités mentionnées ci-dessus servent plusieurs objectifs aux yeux des autorités chinoises. Cela leur permet avant tout de détourner l’attention du fait que le virus est apparu pour la première fois dans la ville de Wuhan mais aussi que les autorités chinoises ont tout d’abord caché son existence. Ensuite, au moment où l’Occident peine à contenir le virus, Pékin cherche à tirer parti de la situation en exposant son prétendu modèle de réussite et de réaction rapide face à la pandémie, basée sur l’encadrement social, le confinement sévère et la surveillance 24 heures sur 24. Enfin, la Chine se sert de ces nouveaux instruments diplomatiques pour renforcer son « soft power » et pour tenter de se forger l’image d’un acteur international généreux sur lequel on peut compter.

Bien que l’objectif premier soit de redonner confiance aux citoyens chinois envers le Parti communiste après cette crise sociale et sanitaire majeure, c’est également une occasion pour la Chine de renforcer ses liens avec l’Europe, une région cruciale aux yeux du gouvernement du Pékin. L’intérêt stratégique de conquérir l’Europe est d’autant plus important que la Chine est engagée dans une guerre commerciale avec les États-Unis. Il s’agit donc pour elle d’améliorer son accès à la technologie et au marché européens tout en sapant une éventuelle riposte transatlantique commune.

Quels résultats ?

Jusqu’ici, l’aide en provenance de Chine n’a apporté des résultats concrets que dans très peu de pays européens. Sans surprise, les dirigeants des pays les plus touchés sont parmi les plus reconnaissants. Par exemple, Luigi di Maio, le ministre des Affaires étrangères d’une Italie en grande difficulté, a publié une vidéo sur Facebook saluant l’aide que Pékin a déployée en Europe et ne tarit pas d’éloge sur la Chine, la félicitant pour son « esprit de solidarité ». Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a vanté les méthodes chinoises et promis qu’il s’en inspirerait pour contenir le virus. Mais le dirigeant le plus élogieux envers la Chine est le président de la Serbie Aleksandar Vučić qui a déclaré, lors d’une allocution télévisée où il promulguait l’état d’urgence dans son pays, que la Chine était « le seul pays à pouvoir nous aider ». Le fait que cette déclaration émane d’un pays non membre de l’Union européenne et allié principal de Pékin sur le continent n’est pas due au hasard.

Pourtant, rien ne dit que ces efforts auront un impact durable sur l’image de la Chine en Europe. En effet, plusieurs indices incitent à penser que la campagne de propagande actuelle pourrait se retourner contre Pékin. D’abord, après un démarrage bancal, l’Europe est enfin en train de mettre en place une réaction commune mieux coordonnée pour lutter contre le coronavirus. En conséquence, la Chine ne peut plus exploiter le manque de solidarité des Européens et se présenter comme le seul acteur à pouvoir venir en aide aux pays du continent. De plus, la Commission européenne a également décidé de répondre aux allégations et fausses informations venant de Chine en publiant des déclarations faisant état de l’entraide entre pays européens, soulignant par exemple que « La France et l’Allemagne combinées ont fait don de plus de masques à l’Italie que la Chine ». En écho aux déclarations de la commission, Emmanuel Macron a appelé à l’unité en demandant que cesse le constant « dénigrement de l’Europe ».

Les efforts visant à lutter contre la propagande et la désinformation chinoises qui sévissent en Europe sont en cours. Le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, Josep Borrell, a parlé à cet égard de « confrontation globale de récits » et accusé la Chine de promouvoir et de diffuser « de façon agressive » de fausses informations. À la suite de cette déclaration, l’entreprise de télécommunications Huawei a choisi de réduire l’ampleur de son programme de dons de masques à l’Europe, de peur d’être entraînée dans un conflit géopolitique à l’heure où elle cherche à tout prix à se faire une place sur le marché de la 5G.

Autre exemple : une équipe du Service européen pour l’action extérieure, qui se consacre habituellement à vérifier les fausses informations en provenance de Russie, a récemment repéré une série de messages de propagande sur le coronavirus en provenance de Chine dont le mode opératoire est étrangement similaire à celui de la Russie en Europe. Le 26 mars, le Conseil européen a reconnu qu’il était nécessaire de s’investir dans cette bataille de communication, s’engageant à « contrer les fausses informations par une communication transparente, exacte et fondée sur des faits ». Comment expliquer le fait que l’envoi de matériels européens à la Chine, début février, ait été entièrement passé sous silence par les médias chinois bien qu’ayant fait l’objet d’une communication à Bruxelles ?

L’état défectueux de divers matériels médicaux envoyés par Pékin a également fait scandale. Des pays comme l’Espagne, les Pays-Bas et la République tchèque ont déjà renvoyé des kits de test fabriqués en Chine. Des masques produits en Chine présentant des défauts de fabrication ont également été signalés par plusieurs pays. Voilà qui est de nature à exacerber la méfiance qu’éprouvent les Européens à l’égard de la qualité des produits chinois et de leurs normes de sécurité.

Une fois la crise du coronavirus passée, certains pays pourraient donc, pour des raisons de sécurité, décider de réduire l’emprise économique chinoise sur l’Europe. La Commission européenne a déjà émis de nouvelles lignes directrices pour la mise en œuvre d’un mécanisme européen commun de filtrage des investissements étrangers, évoquant explicitement la nécessité de protéger les « infrastructures stratégiques de l’Union », y compris les ressources médicales. L’Union européenne ne veut surtout pas voir se répéter le même scénario qu’après la crise financière de 2008, lorsque des entreprises d’État chinoises (ainsi que quelques entreprises privées) avaient profité de la situation pour s’inviter au capital de plusieurs infrastructures européennes majeures, dans des secteurs comme les transports ou l’énergie. De même, Emmanuel Macron appuie l’initiative visant à intégrer le secteur médical et pharmaceutique (https://www.politico.eu/pro/macron-urges-massive-increase-in-local-production-of-medical-eq) à la liste des domaines stratégiques où l’Europe se doit d’acquérir plus de « souveraineté ».

Enfin, le scepticisme des élites européennes et de l’opinion publique envers la Chine n’est pas susceptible de changer, puisqu’il prend racine dans l’inquiétude croissante suscitée par la puissance économique et politique de celle-ci. Ainsi, certains Italiens ont réagi avec vigueur à la poussée chinoise dans leur pays, allant jusqu’à réclamer des « indemnités de guerre ». Cette attitude correspond à la fermeté affichée dernièrement par l’Europe envers la Chine : l’année dernière, une communication de la Commission européenne sur la stratégie européenne envers la Chine qualifiait déjà le pays de « rival systémique ».

Il apparaît donc que le Covid-19 et ses conséquences pourraient avoir impacté négativement la relation entre l’UE et la Chine, déjà très mal en point auparavant. Le sommet annuel prévu entre les deux parties a été annulé et personne ne sait si la réunion rassemblant les 27 dirigeants de l’Union et le président chinois Xi Jinping, censée se tenir à Leipzig sous présidence allemande, en septembre, aura lieu. Avant la crise sanitaire, il était déjà douteux que l’objectif principal de la rencontre, à savoir la signature d’un accord bilatéral d’investissement entre l’UE et la Chine, puisse être atteint. Aujourd’hui, cette perspective semble encore plus lointaine.

Et après la pandémie ?

En résumé, Pékin pourrait bien marquer quelques points à court terme en Europe, en particulier auprès des dirigeants les plus populistes, mais son actuelle campagne de propagande ne changera probablement pas son image en profondeur. Si la Chine veut sérieusement améliorer sa position auprès des gouvernements européens, elle devra mettre en place bien plus qu’une aide médicale symbolique et des séances de photos arrangées. Elle devra notamment se montrer bien plus transparente sur les conditions d’apparition du virus en Chine, éviter de politiser son aide médicale, cesser la diffusion de propagande et de désinformation et mettre l’accent sur les institutions multilatérales. Elle devra également s’engager dans de vrais partenariats commerciaux et scientifiques avec l’Europe.

Cependant, les dirigeants européens ne doivent pas prendre à la légère les récentes offensives diplomatiques chinoises. Si après la pandémie, cette attitude conquérante devenait une constante de la politique étrangère chinoise en Europe, une réponse forte et ferme de la part de l’UE s’imposerait. Simultanément, cette dernière doit s’efforcer d’accroître la solidarité envers les pays membres les plus touchés comme l’Italie ou l’Espagne, mieux faire connaître l’aide qu’elle apporte à ses voisins et lutter plus fermement contre la propagande chinoise et la désinformation.


Cet article a été co-écrit avec Erik Brattberg, directeur du programme Europe et chercheur au Carnegie Endowment for International Peace (Washington).

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