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Ils jouent « notre chanson »… Shutterstock

« Notre chanson » ou quand la musique traverse le temps

De nombreux couples ont une chanson fétiche . C'est « notre chanson », disent-ils : celle qui leur rappelle un événement particulier, un moment dans leur vie à deux. Par exemple, la chanson qu'ils écoutaient quand ils se sont rencontrés, celle qui correspond au moment de leur mariage ou encore celle qu'ils aimaient quand la guerre les a séparés.

Ces chansons sont un moyen particulièrement puissant de se reconnecter à des souvenirs partagés et aux émotions qui les accompagnent. Il existe ainsi une forme de mémoire partagée ou autobiographique qui s'active grâce à la musique ; les chansons agissent un peu comme une « colle mentale », fixée durablement dans l'identité du couple.

Bien que ce phénomène soit connu de tous, peu de recherches ont été menées au sujet des souvenirs autobiographiques suscités par la musique. A travers des anecdotes ou dans des films, de nombreux témoignages évoquent pourtant la capacité de ces chansons à retrouver ses esprits et à se relier aux autres, en particulier dans les cas de démence.

Si nous pensons spontanément aux couples qui partagent une chanson chère à leur coeur, ce phénomène peut aussi concerner des amis proches ou les membres d'une même famille.

Le film Monnlight, récemment oscarisé, nous en offre une poignante illustration. Chiron et Kevin, amis au lycée, aiment écouter ensemble la chanson Hello Stranger de Barbara Lewis.

Leur amitié se renforce tandis que Chiron vit des moments difficiles : ses camarades de lycée le harcèlent, mais sa mère accro à l'héroïne se montre incapable de le protéger ou de le soutenir. Puis les années passent et les deux amis se perdent de vue. Mais quand Kevin entend à nouveau « leur » chanson - par hasard -, il se souvient avec émotion de leur amitié. Il décide alors d'appeler Chiron au beau milieu de la nuit et Chiron, de son côté, grimpe dans sa voiture, roulant des heures pour débarquer à l'improviste dans le diner où Kevin travaille. Dans la superbe scène de leurs retrouvailles, Kevin lance « leur » chanson.

Le film Moonlight montre comment une chanson peut revivifier des liens noués dans l'enfance, même longtemps après les premières écoutes complices.

À travers les âges et malgré la démence

Les effets de ces chansons partagées sont puissants et résistent aux effets du temps. Leur sens reste intact même à un âge avancé, y compris en cas d'un déclin des fonctions cognitives lié à la démence.

Chez les personnes souffrant de démence associée à la maladie d'Alzheimer , un trouble dégénératif qui affecte la mémoire, nous avons observé combien les capacités musicales et la mémoire liée à la musique restent des « îlots de mémoire préservée » alors même que leur mémoire est altérée.

Il existe des cas surprenants de personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer à un stade avancé qui continuent à se rappeler « leur chanson » (celle qu'ils partageaient avec un proche) et de jouer de leur instrument de musique favori. Ted McDermott, 80 ans et souffrant de la maladie d'Alzheimer, a même enregistré un disque, quand d'autres parviennent à apprendre et se souvenir de nouvelles mélodies, même s'ils n'ont jamais reçu de formation musicale.

Grâce à la musique, Ted McDermott, alias Teddy Mac, a retrouvé une seconde jeunesse et même enregistré un disque après que cette vidéo Youtube où on le voit chanter avec son fils Simon soit devenue virale.

Mais comment est-ce possible? Les études en neuroimagerie montrent que la musique agit comme un super stimulus. Elle active de larges zones du cerveau, y compris celles qui contrôlent le mouvement, l'émotion et la mémoire. Les chansons familières et les chansons préférées peuvent aussi déclencher l'activité des régions frontales du cerveau, qui sont précisément les régions épargnées par les troubles liés à la maladie d'Alzheimer.

Cela signifie que la musique est un catalyseur d'émotions unique. Elle peut à la fois représenter le lien de la personne à son propre passé et le moyen de se reconnecter à des souvenirs partagés.

La musique, plus puissante que les photos

Dans l'étude que nous avons mené sur les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, nous avons découvert que, pour faire resurgir des souvenirs personnels, la musique était plus efficace que d'autres supports, comme les photographies.

Les chansons écoutées pendant le « pic de réminiscence », entre l'adolescence et le début de l'âge adulte, sont les plus aptes à déclencher des souvenirs autobiographiques. Tout est question de timing : cette période de la vie correspond à un moment de construction de l'identité personnelle, et c'est souvent le moment des premières histoires d'amour.

Cela signifie qu'un couple qui s'est formé très jeune est plus à même d'avoir « fixé » une chanson particulière dans sa mémoire commune , au cours de ce fameux « pic de réminiscence ». C'est exactement ce qui s'est passé pour Barbara et David (les prénoms ont été changés), qui ont participé à notre étude à paraître.

Il y a 5 ans, Barbara a appris qu'elle souffrait de la maladie d'Alzheimer. Elle était souvent agitée et désorientée. Parfois, elle n'arrivait plus à reconnaître son mari David. Le jour où elle l'a chassé de leur maison, le prenant pour un cambrioleur, David ne voyait pas du tout comment lui faire comprendre qu'ils étaient ensemble depuis presque 60 ans.

Aujourd'hui, il explique que c'est grâce à la musique, et à une chanson en particulier, que Barbara s'est finalement rapprochée de lui. En effet, la nuit de leur rencontre, les amoureux avaient dansé sur la dernière chanson de la soirée, Unchained Melody, par les Righteous Brothers. David a donc décidé de chanter la mélodie d’Unchained Melody à Barbara tous les jours, et en fin de compte elle lui est « revenue », reconnaissant à nouveau son mari. Il semble que Barbara et David ont bien retenu la leçon de la chanson : « Je reviendrai à la maison, attends-moi » (« I’ll be coming home, wait for me »).

la chanson Unchained Melody des Righteous Brothers a joué le rôle d'un déclencheur pour Barbara, qui souffre de la maladie d'Alzheimer.

La musique est présente dans toutes les cultures que nous connaissons : certains chercheurs pensent qu'elle a joué un rôle dans l'évolution, en tant qu’ingrédient indispensable de cohésion sociale. Cette fonction de lien semble confirmée par le type de souvenirs que la musique réveille le plus souvent, qui évoquent la construction et le maintien des relations sociales.

Même pour ceux qui souffrent de démence, les souvenirs autobiographiques réveillés par la musique sont l'occasion de se rappeler d'une personne aimée, souvent son partenaire de vie ou son ex, ou bien d'une période intense de socialisation, comme les soirées du lycée ou les histoires d'amour vécues en temps de guerre.

En un sens, toutes les chansons ont le potentiel de devenir « nos chansons », et étant donné l'importance des relations sociales pour nous autres humains, il est possible que nous devions notre survie à la musique.

This article was originally published in English

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