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dessin d'un poisson
Le coelacanthe Ngamugawi wirngarri dans son habitat récifal au Dévonien. (Dessin: Katrina Kenny), Fourni par l'auteur

Nous avons découvert une nouvelle espèce fossile de poisson préhistorique

Qu’ont en commun le ginkgo (un arbre), le nautile (un mollusque) et le cœlacanthe (un poisson) ?

Ils ne se ressemblent pas, et n’ont pas de lien de parenté rapproché. Mais une partie de l’histoire de leur évolution présente une similarité frappante : tous ces organismes sont souvent qualifiés de « fossiles vivants ». En d’autres termes, ils semblent, d’une certaine manière, avoir échappé aux transformations du temps et de l’évolution !

Depuis 85 ans, le coelacanthe est surnommé « fossile vivant », car il évoque un survivant d’une époque révolue, celle de l’ère des dinosaures. Ces poissons font partie des sarcoptérygiens, un groupe qui inclut également les dipneustes (poissons qui ont des poumons) et les tétrapodes, auxquels nous appartenons. Ces vertébrés (animaux qui ont une colonne vertébrale) partagent certaines caractéristiques anatomiques, comme la présence d’un humérus (os des membres antérieurs), d’un fémur (os des membres postérieurs) et de poumons.

Caractères distinctifs du Latimeria et de plusieurs coelacanthes fossiles : (1) organe rostral utilisé pour la détection des proies ; (2) neurocrâne divisé en deux parties ; (3) cerveau de petite taille occupant environ 10 % de la cavité crânienne ; (4) poumon vestigial ; (5) plusieurs os dans les nageoires ; (6) femelles donnant naissance à des jeunes entièrement formés ; et (7) lobe supplémentaire de la queue, permettant la position du poirier. (R. Cloutier et J. Prombansung).

Peu d’espèces de vertébrés suscitent autant de curiosité, tant par l’histoire fascinante de leur découverte que par leur statut de « fossiles vivants ». De plus, les deux espèces actuellement vivantes de coelacanthes, survivantes de cette longue évolution, sont aujourd’hui menacées d’extinction.

Mais le coelacanthe mérite-t-il vraiment cette étiquette ? Que nous apprennent les fossiles de cœlacanthes sur cette curiosité de l’évolution ?

Respectivement paléontologue, biologiste de l’évolution et modélisateur en écologie, nous proposons de jeter un nouveau regard sur les 410 millions d’années d’histoire évolutive des coelacanthes. Grâce aux avancées technologiques et à des méthodes d’analyse innovantes, nous visons à mieux comprendre l’évolution de ces espèces fascinantes, souvent qualifiées de « fossiles vivants ».

Une découverte majeure en Australie-Occidentale

Nos travaux de recherche, récemment publiés dans la revue Nature Communications, identifient et décrivent une nouvelle espèce éteinte de coelacanthe âgée de 380 millions d’années, découverte en Australie-Occidentale.

Ces fossiles, remarquablement bien préservés, proviennent d’une période clé de transition dans la longue histoire de l’évolution ces poissons.

Cette étude est le fruit d’une collaboration internationale entre des chercheurs et chercheuses affiliés à diverses institutions au Canada, en Australie, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Thaïlande.

Les « fossiles vivants » : un concept en débat

En 1859, Charles Darwin utilise pour la première fois l’expression « fossile vivant » dans son ouvrage L’Origine des espèces pour désigner des espèces vivantes qu’il considérait comme « aberrantes » ou « anormales » par rapport à la diversité actuelle.

Bien que le concept n’ait pas été clairement défini à l’époque, il a été repris par des centaines de biologistes. Or, ce terme, ainsi que les espèces qui se méritent le titre, soulèvent un débat au sein de la communauté scientifique.

En général, pour qu’un taxon soit considéré comme un « fossile vivant », il doit répondre à certains critères : appartenir à un groupe qui existe depuis des millions d’années, avoir peu changé d’un point de vue morphologique au cours du temps, et présenter des caractéristiques dites « primitives » par rapport à ses proches parents évolutifs.

Une histoire fascinante : les coelacanthes à travers les âges

Plus de 175 espèces de coelacanthes fossiles ont vécu entre l’époque du Dévonien inférieur (419 à 411 millions d’années) et la fin du Crétacé (66 millions d’années). Ce n’est qu’en 1844 que le paléontologue suisse Louis Agassiz identifie un groupe particulier de poissons fossiles, qu’il nomme l’ordre des coelacanthes.

Pendant près d’un siècle, on croyait que les coelacanthes s’étaient éteints à la fin du Crétacé, soit il y a environ 66 millions d’années. Ce moment marque également l’extinction de près de 75 % de la vie sur Terre, y compris la majorité des dinosaures – à l’exception de l’ancêtre des oiseaux.

Croquis du Latimeria chalumnae de Marjorie Courtenay-Latimer. (R. Cloutier ; Photo : Wikipedia).

Toutefois, le 22 décembre 1938, Marjorie Courtenay-Latimer, conservatrice du musée de East London en Afrique du Sud, reçoit un appel d’un pêcheur qui avait capturé un poisson rare et étrange. Elle réalise qu’il s’agit d’une espèce inconnue et contacte l’ichtyologiste (biologiste expert des poissons) sud-africain J.L.B. Smith, qui confirme qu’il s’agit en fait du premier coelacanthe vivant jamais observé.

Premières descriptions du Latimeria chalumnae par J.L.B. Smith. (R. Cloutier ; Photo : Mail & Guardian).

En 1939, Smith nomme l’espèce Latimeria chalumnae, connue également sous le nom de gombessa. Depuis, cette espèce, présente le long de la côte est de l’Afrique, près de l’archipel des Comores, dans le détroit du Mozambique et au large de l’Afrique du Sud, suscite un intérêt scientifique considérable.

En 1998, une seconde espèce vivante de coelacanthe, Latimeria menadoensis (nommée ikan raja laut, le poisson-roi de la mer, en indonésien), est découverte au large de l’île de Sulawesi, en Indonésie.

Ces deux espèces sont les seules survivantes d’une lignée ancienne qui semble avoir peu évolué au cours des derniers millions d’années.

Depuis la découverte de Latimeria chalumnae, les coelacanthes sont considérés comme des vertébrés dont la forme du corps a peu changé au fil du temps, ce qui suggère une évolution lente.

Dès 1940, Latimeria chalumnae a acquis son statut de « fossile vivant » suite à une publication du paléontologue britannique A. Smith Woodward.

Ngamugawi ou le « poisson ancien »

Dans notre étude, nous décrivons une nouvelle espèce de coelacanthe qui date de l’époque du Dévonien d’Australie-Occidentale. Nous l’avons nommé Ngamugawi wirngarri. En effet, Ngamugawi signifie « poisson ancien » en gooniyandi, la langue du peuple aborigène australien de la région du Kimberley et wirngarri, rend hommage à Wirngarri, un ancêtre respecté des Gooniyandi.

Ngamugawi wirngarri a été découvert dans la formation géologique de Gogo, mondialement reconnue comme un site fossilifère d’exception. Gogo est célèbre pour la préservation en trois dimensions de nombreux fossiles de poissons, et parfois même de tissus mous comme le cœur et les muscles.

À ce jour, plus de 50 espèces de poissons fossiles ont été identifiées à Gogo. Cette diversité de poissons, couplée à celle d’invertébrés marins, cohabitaient dans un récif de corail des mers chaudes du Dévonien, il y a environ 380 millions d’années.

Crâne de Ngawugawi wirngarri. De gauche à droite : le fossile (J. Long) ; la reconstitution à partir des images du micro-CT-scan (A. Clement) ; illustration de la reconstitution (R. Cloutier et J. Prombansung).

Une évolution plus complexe qu’il n’y paraît

Notre étude révèle que les coelacanthes ont évolué rapidement au début de leur histoire, durant le Dévonien, mais que cette évolution a ralenti par la suite. Les innovations évolutives ont presque cessé après le Crétacé, suggérant que pour certains traits, les coelacanthes, comme Latimeria, semblent figés dans le temps.

Cependant, d’autres caractéristiques, comme les proportions du corps, ont continué à évoluer à un rythme normal durant le Mésozoïque (252 à 66 millions d’années). Bien que la forme du corps ait peu changé, soutenant l’idée que Latimeria est un « fossile vivant », l’évolution de la forme des os crâniens n’a jamais cessé, remettant en question son étiquette de « fossile vivant ».

Parmi toutes les variables environnementales étudiées, l’activité des plaques tectoniques a l’influence la plus marquée sur les taux d’évolution des coelacanthes. De nouvelles espèces de coelacanthes avaient plus de chances d’émerger lors de périodes d’intense activité tectonique, lorsque de nouveaux habitats étaient créés ou fragmentés.

La découverte de Ngamugawi montre que les coelacanthes ne sont pas restés inchangés depuis des millions d’années.

Leur lente évolution ne signifie pas qu’ils sont des « fossiles vivants », mais bien qu’ils résultent d’une histoire évolutive complexe.

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