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Nouvelle-Calédonie : les réseaux sociaux au cœur du militantisme politique

Des affiches pendant la campagne sur le référendum sur l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie,
Des affiches pendant la campagne sur le référendum sur l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, le 28 septembre 2020. Theo Rouby/Afp

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Pour la deuxième fois consécutive, le peuple néo-calédonien vote au référendum d’autodétermination dans le cadre des Accords de Nouméa. Le premier référendum en 2018 avait conduit à la victoire du « non » à 57 % et avait montré une fracture territoriale et sociologique en lien avec une répartition ethnique du vote : en faveur du oui dans les îles et le Nord de la Nouvelle-Calédonie où il existe une part importante de la population Kanak et pour le non dans le sud du territoire et particulièrement à Nouméa.

Une expression politique identitaire

La question de l’expression politique du vote et de ses configurations dans les différents partis se pose dans ce territoire multiculturel qui subit depuis plusieurs années une transition économique générant des inégalités socio-économiques et ethniques fortes dans le pays, comme le montre l’étude de Samuel Gorohouna et Catherine Ris.

Les partis politiques réclamant l’indépendance définissent leurs projets et se positionnent dans une revendication identitaire de reconnaissance du peuple Kanak croisée avec une volonté d’autonomie et d’émancipation vis-à-vis de la France sur la base d’un modèle multiculturel. En revanche, une incompréhension ou une incertitude des enjeux de cette indépendance et de ses impacts sur le devenir des calédoniens a créé une cristallisation de la question de l’indépendance principalement autour du clivage identitaire.

drapeaux français et néo-calédonien
Le président français Emmanuel Macron assiste à la levée des drapeaux français et néo-calédonien lors d’une cérémonie à Nouméa, le 5 mai 2018. Ludovic Marin/AFP

Pendant la campagne, les attributs identitaires représentés principalement par les drapeaux kanak ou français ont été fortement présents dans l’espace public tant pour le FLNKS, parti principal indépendantiste, que pour l’union des partis loyalistes en faveur du non : meeting dans les villes des zones urbaines, péri-urbaines et rurales, défilés et cortèges de voitures avec les drapeaux, rencontres-débats avec la population sur tout le territoire.

Mais qu’en est-il de l’expression politique des partis et des militants sur Internet ? Sous quelles formes les discours des partis et les opinions se manifestent dans les réseaux sociaux ? Les travaux d’Antonio Casili ont montré que l’opposition entre monde réel et monde numérique est peu pertinente car les espaces informationnels s’articulent aux espaces matériels et particulièrement dans le militantisme.

Une forte présence du parti indépendantiste sur Facebook

Facebook est le réseau social qui est de loin le plus utilisé par les habitants du territoire, comme l’indique l’Observatoire du Numérique de Nouvelle-Calédonie alors que l’usage de Twitter par les partis politiques est faible contrairement à la métropole. Les comptes Twitter sont parfois ouverts depuis quelques années (cas du FLNKS) mais non alimentés, voire parfois inexistants.

L’usage des réseaux sociaux par les partis renouvelle les moyens de faire campagne, de communiquer avec l’électeur et de le mobiliser.

Sur les six partis autorisés à faire leur campagne pour le référendum, les trois d’entre eux que nous avons choisis d’étudier représentent globalement l’ensemble des positions sur l’échiquier politique : le parti indépendantiste FLNKS, Calédonie Ensemble (parti modéré) et l’Union des loyalistes, ces deux derniers en faveur du non. Avec un ancrage territorial historique assez fort, ils représentent à eux seuls la grande majorité des Calédoniens votants. Le choix d’étudier la communication numérique sur le réseau Facebook dans la semaine qui a précédé le vote a permis d’évaluer l’expression politique à sa plus forte intensité.

Un partisan de l’indépendance, porte un drapeau du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), le 24 septembre 2020. Theo Rouby/AFP

L’étude des pages officielles de ces partis sur le réseau Facebook indique des différences notables et assez révélatrices d’une part de la transition numérique en Nouvelle-Calédonie et d’autre part de ce qui est vécu comme vote identitaire dans le précédent référendum. Avec ses 135 posts dans la semaine du 27 septembre au 3 octobre, FLNKS se positionne largement au-dessus des loyalistes (25 posts) et de Calédonie Ensemble (20 posts).

L’augmentation considérable entre 2018 et 2020 des messages pendant la période qui précède le vote (6 posts seulement en 2018) montre une évolution de la maîtrise de la stratégie digitale du parti indépendantiste avec parfois une mise en scène uniquement pour la diffusion numérique en lien avec leur positionnement politique. Par exemple, des militants filmés par un drone forment un « oui » pour l’indépendance.

Cet attrait pour l’utilisation des technologies numériques est saillant dans ce référendum de 2020 par le FLNKS. L’expression sur le réseau relève des modes d’occupation identiques à celui de l’espace public physique. Il en va de nombreuses vidéos des lieux de rencontres et des meetings, à des informations pratiques sur les modalités de transports des votants le jour du référendum, jusqu’à des retranscriptions de passages télévisés de représentants soutien des autres pays en faveur de l’indépendance.

L’usage intense du réseau Facebook pour communiquer avec le plus grand nombre a pour objectif d’orchestrer le militantisme de terrain. Avec ses 13353 abonnés sur Facebook, le parti indépendantiste révèle une communication active sur le numérique avec une augmentation des usages chez des internautes de plus en plus habiles à utiliser ces nouveaux outils : 1350 commentaires et 5460 partages des posts en une semaine pour obtenir l’adhésion et la mobilisation autour d’une cause.

Si le parti loyaliste diffuse beaucoup moins de messages sur leur page à un nombre plus restreint d’abonnés (8702), les commentaires et les partages en revanche, comparativement au nombre de messages, sont beaucoup plus nombreux (1249 et 4143). L’activité en ligne des internautes à travers les clics et commentaires est plus forte chez les personnes européennes constituant l’électoral principal de ce parti par rapport au parti indépendantiste tel qu’on peut l’observer. Les différences d’équipement technologique chez les militants entre ces deux partis traduites par des différences territoriales entre zones rurales et zones urbaines et probablement économiques peuvent expliquer en partie un engagement en ligne plus fort chez les loyalistes militants.

Une communication numérique partisane

L’analyse générale des commentaires postés sur les pages des trois partis montre qu’à partir des pages Facebook, Internet n’est ni collaboratif et ni interactif. La parole du militant est largement réduite dans la majorité des commentaires à une adhésion au discours du parti par des commentaires courts et brefs d’encouragements, de remerciements ou de revendications identitaires, et avec l’usage très important d’émoticônes de drapeaux Kanaky ou français.

Les pages sont davantage une vitrine technique avec une offre d’actions en faveur du militantisme qu’un véritable espace d’échanges. Peu de discussions et de débats entre partisans du oui et du non, pour les trois partis étudiés.

Il en est de même pour la page Facebook de Calédonie Ensemble, dont le peu de commentaires (20) nous informe qu’en dehors de ces formes d’expression identitaire présentes dans les deux autres partis, le cœur du projet autour du « vivre ensemble » suscite très peu de réactions en ligne. On peut penser que les réseaux sociaux des partis sont les lieux des revendications les plus engagées et portent davantage sur des considérations partisanes que sur des positions modérées.

Si les études européennes montrent que les citoyens peu investis politiquement sont aussi peu investis dans la participation en ligne, en revanche, l’engagement politique en Nouvelle-Calédonie et particulièrement dans les zones rurales peut s’exprimer sur le terrain même si les militants n’ont pas accès à Internet.

On ne peut nier les mutations induites par l’usage des réseaux sociaux dans un territoire en pleine transition numérique et leur impact sur les campagnes électorales.

Les nombreuses études politiques françaises et américaines montrent que les médias ne font pas l’élection et ne contribuent pas à modifier les choix des votes mais, en revanche, ils permettent aux partis de mobiliser les internautes dans leurs propres camps pour accroître leur participation. Ceci est d’autant plus vrai sur le territoire calédonien que les votes sont déterminés avant tout par l’appartenance identitaire et par la perception que chacun se fait de sa place dans la Nouvelle-Calédonie si elle devenait indépendante.

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