Menu Close

Nuit debout : des indignés pas comme les autres

Le mouvement a démarré fin mars, place de la République à Paris. Olivier Ortelpa/Flickr, CC BY

Le rassemblement de Nuit debout est comparé et assimilé – de façon erronée – au mouvement des indignés espagnols de 2011. Le parti politique Podemos, qui en est issu, a d’ailleurs apporté son soutien à ses voisins du Nord. Néanmoins, plusieurs éléments font que Nuit debout a peu de chance de suivre le même chemin, celui de la transformation en un parti politique.

En Espagne, la crise du « devenir adulte »

Les indignés espagnols comptaient avec le soutien de la société civile (compréhensive envers eux), la clémence des pouvoirs publics (la place de la Puerta del sol était occupée jour et nuit) et la solidarité des familles (les discours à la maison approuvaient l’occupation de la place). En Espagne, la coexistence des générations au sein des ménages se retrouvait dans l’espace public et les indignés en avaient largement bénéficié : parents et grands-parents s’unissaient au mouvement le soir et le week-end.

Les difficultés économiques dans un contexte d’État-Providence faible impactaient toutes les familles, et plus particulièrement les jeunes. Un des éléments centraux du modèle du passage à l’âge adulte était touché : l’accès à la propriété. L’Espagne est l’un des pays d’Europe disposant d’un taux parmi les plus élevés de propriétaires. Auparavant, les jeunes quittaient leurs parents en accédant à la propriété grâce aux emprunts hypothécaires – ce qui n’était désormais plus possible et signifiait non seulement un retard mais une absence de perspective d’autonomisation résidentielle.

À Madrid, en mai 2011. uchiuska/Flickr, CC BY-ND

Ainsi, c’était tout le modèle sociétal du devenir adulte qui était touché. D’ailleurs, un des succès a posteriori des indignés a été le mouvement PAH (Plateforme des affectés par les hypothèques) contre les expulsions des logements, emmené à l’époque par l’actuelle maire de Barcelone Ada Colau.

Fracture au sein de la jeunesse française

En France, l’état d’urgence a limité dès le départ la possibilité d’un rassemblement 24 heures sur 24. Les jeunes, quant à eux, ont mauvaise presse depuis mai 68 : ils font du bruit, ne sont pas sérieux et leur mobilisation est toujours inquiétante pour une partie de la population…

Par ailleurs, les aides sociales de l’État-providence jouent un rôle d’amortisseur pour les familles françaises. La crise touche les générations de manière plus diluée qu’en Espagne et la jeunesse est davantage fragilisée que la famille. Plusieurs dimensions de l’autonomisation des jeunes (emploi, logement, formation…) sont impactées sans toutefois remettre en cause – du moins pour l’instant – la possibilité de s’autonomiser de la famille : les jeunes restent aidés financièrement par les parents au moment du départ.

Enfin, la fracture silencieuse qui existe au sein de la jeunesse française, entre une fraction violente et une non-violente – constitue la principale différence entre les deux pays. Or elle est inimaginable dans l’Espagne d’aujourd’hui.

En revanche, d’autres clivages existent qui rapprochent les jeunesses française et espagnole : fracture entre les hommes et les femmes, les diplômes et les non-diplômés, les propriétaires, les locataires et les exclus du logement, ceux qui ont une famille et ceux qui ne l’ont pas, les connectés et les solitaires.

S’immiscer pour détruire

Les jeunes de Nuit debout sont pacifiques et veulent manifester leurs idées sans violence, tandis que les casseurs ne font aucun cas des revendications et intentions de leur groupe de pairs. Ils agissent comme ils agiraient avec toute forme de rassemblement : s’immiscer pour détruire.

Tout se passe comme si une jeunesse diverse (diplômée ou non, précaire, employée ou au chômage…), mobilisée, pacifique, tolérante et, d’une certaine manière, obéissante agaçait profondément et mettait en colère un ou plusieurs noyaux minoritaires, rageurs, violents et restant en marge de la société. En France, quand une jeunesse se mobilise, l’autre casse et renforce l’image négative qui la touche dans son ensemble.

Tension au printemps 2006 autour du Contrat première embauche (CPE). bepatou/Flickr, CC BY-NC-ND

La fracture due à la violence est profonde mais minimisée et seulement visible à certains moments et/ou en certaines occasions. Lors des manifestations contre le CPE (2006), des jeunes se font dérober leurs portables. Lorsque les jeunes fêtent la Saint-Sylvestre, des voitures brûlent. L’annonce du nombre de véhicules incendiés est faite tous les 1er janvier de manière banalisée et surprenante pour un observateur étranger, sans même évoquer la gravité du phénomène, ni les causes ni le profil des acteurs.

Lorsque le Paris Saint-Germain gagne le championnat de football en 2013, les jeunes voient leur fête gâchée par des casseurs et autres fauteurs de troubles. Comme si tout mouvement d’ampleur comprenant des jeunes devait être systématiquement associé à des mouvements de violence. Dès lors, une peur latente étreint une partie de la jeunesse face à une autre.

La Fête de la musique, une exception

Le profil des jeunes participant aux actes violents lors des manifestations ou mouvements est flou et n’est guère spécifié. Ils sont considérés comme des ultras, ou des gauchos ou des « ouaiches », etc.

Le seul évènement qui en France a lieu encore sans grande perturbation reste finalement la Fête de la musique. Celle-ci parvient encore à réunir pacifiquement la jeunesse issue de différents mondes, et dotée de codes et comportements distincts. Pour le reste, le vivre ensemble, le fêter ensemble, l’étudier ensemble, le manifester ou s’indigner ensemble sont fortement impactés.

Dans de telles conditions, la jeunesse divisée a peu de chances de pouvoir compter sur le soutien du reste de la société. Les casseurs se situent loin de la discussion et de la réflexion promue par Nuit débout – un mouvement parfois accusé d’être formé par des bobos privilégiés ayant le temps de refaire le monde.

Or Nuit debout montre, comme les indignés, que les jeunes veulent prendre une place dans le débat public et dans la société. Mais, dans le contexte que nous avons décrit, Nuit debout aura certainement plus de difficultés qu’en Espagne à perdurer et à faire émerger une force politique qui compte.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,800 academics and researchers from 4,938 institutions.

Register now