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Nul en maths : ce n’est pas toujours de votre faute !

Chez près de 7 % d'enfants, utiliser les chiffres est synonyme d'angoisse. Wallpoper/Wikimedia

Sueurs froides pendant la session de calcul mental, impasse sur un problème de robinet ou feuille blanche devant la résolution d’algorithmes : qui n’a pas connu dans son entourage ou sa scolarité la terrible « peur » des maths ?

Bonne nouvelle, le problème est peut-être neurologique et a même un nom : la dyscalculie. Mauvaise nouvelle, ce trouble est encore largement ignoré en France.

La notion de dyscalculie remonterait au moins à 1974, au neurologue tchèque Ladislav Kosc qui définissait ce trouble comme une déficience spécifique en arithmétique à la suite de dommages ou de déficits de certaines régions spécifiques du cerveau. Et cette difficulté se manifesterait en l’absence d’une atteinte concomitante des fonctions mentales générales. Selon les estimations actuelles de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, la dyscalculie pourrait affecter entre 3,6 et 7,7 % de la population (taux de prévalence sur des populations d’enfants d’âge scolaire).

La dyscalculie ou « difficulté à calculer », est un trouble spécifique du développement (telles que dyslexie, dyspraxie…) qui correspond, donc, à un trouble dans les apprentissages numériques, sans atteinte organique ni troubles envahissants du développement et sans déficience mentale.

Des symptômes et des profils variés

Les symptômes qui peuvent s’observer dans les dyscalculies peuvent être variables : difficultés fréquentes dans les domaines de l’arithmétique, confusions possibles sur les signes (+, –, x, :), difficultés sur les tables de multiplication, d’addition, de division, en calcul mental…

On peut retrouver d’autres difficultés dans les tâches de tous les jours comme vérifier sa monnaie, lire l’heure avec une montre analogique, mais aussi effectuer une planification budgétaire, financière. D’autres troubles peuvent apparaître aussi dans la compréhension du concept de temps, dans la lecture de cartes, de nombres, de numéros de téléphone, dans des domaines nécessitant un traitement séquentiel. La dyscalculie conduirait dans des cas extrêmes à une phobie, une angoisse durable des mathématiques et de ce qui est lié aux chiffres.

Dans ce cadre général, il sera bien évidemment important de différencier les difficultés transitoires des apprentissages numériques de troubles plus durables.

La dyscalculie développementale peut apparaître dans l’enfance durant la période de l’apprentissage de l’arithmétique et doit être distinguée de l’acalculie (impossibilité de reconnaître chiffres et symboles) qui, elle, survient brutalement à l’âge adulte, à la suite d’une lésion cérébrale, le plus souvent un accident vasculaire cérébral. Elle se manifeste chez des enfants, qui bien qu’ayant une intelligence normale, n’arrivent pas à effectuer des opérations simples (additions, soustractions simples, etc.).

On peut la résumer comme un trouble disproportionné de l’apprentissage de l’arithmétique chez l’enfant, qui ne peut être expliqué ni par un environnement d’apprentissage appauvri, ni par un niveau intellectuel inférieur.

L’hétérogénéité des profils cognitifs des enfants dyscalculiques a conduit les chercheurs et cliniciens à distinguer différents sous-types de ce trouble. Ainsi, le chercheur Von Haster a pu distinguer trois types de dyscalculie : verbale avec des difficultés dans les procédures de comptage, une difficulté à lire et écrire les chiffres arabes et enfin un défaut du « sens des nombres ».

Un phénomène encore méconnu

En ce qui concerne les bases neurologiques de la dyscalculie, la transmission génétique de la dyscalculie resterait largement méconnue et des facteurs environnementaux pourraient occuper une place importante, en particulier dans les phases précoces du développement cérébral. Malheureusement, la dyscalculie, mal connue, est souvent non repérée et non reconnue comme un trouble de l’apprentissage.

L’acquisition des capacités symboliques de traitement des nombres, à l’école, se baserait sur un sens « primaire » des quantités numériques, une forme de système premier du « sens des nombres » qui viendrait à maturité durant la première année de vie du bébé, et qui jouerait un rôle central dans la cognition numérique de l’adulte. Ce sens des nombres pourrait donc donner une explication sur un déficit primaire de la dyscalculie comme le rappellent les chercheurs Wilson et Dehaene.

Il est heureusement indéniable que cette question suscite des travaux et des recherches de plusieurs institutions dédiées.

Citons ainsi la revue A.N.A.E. (Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant) ou encore le Groupe d’études sur la psychopathologie des activités logico-mathématiques (GEPALM) qui organise des formations sur la rééducation des structures logiques, mathématiques et cognitives, destinées à former des praticiens dans la prise en charge des enfants présentant des troubles de la compréhension, du raisonnement et du calcul.

Il existe également Publimath, une base de données bibliographiques sur l’enseignement des mathématiques développée depuis 1996 par l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public et l’Assemblée des directeurs des Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques avec le soutien de la Commission française de l’enseignement des mathématiques et de l’Association pour la recherche en didactique des mathématiques.

Innover, démythifier, ouvrir le débat

Des pistes sont ainsi explorées, comme l’effet « domino », souligné par certains praticiens, qui permettrait à l’enseignant de limiter toute une cascade d’échecs prévisibles, tant sur le plan personnel que sur le plan scolaire.

De nombreuses recherches sont aussi réalisées par l’Association pour la recherche en neuroéducation basée au Canada, et qui encourage le travail sur les rééducations, remédiations, pédagogies innovantes. Certains travaux portent également sur les neuromythes, c’est-à-dire de fausses croyances sur le fonctionnement du cerveau très fréquentes dans le milieu de l’éducation. L’un des objectifs de ces recherches serait d’ouvrir le débat autour des pratiques pédagogiques de la gestion mentale - concept développé par Antoine de la Garanderie qui décrit et étudie les processus mentaux dans leur diversité-, qui n’ont jamais fait l’objet d’une expérimentation scientifique.

De nombreux primates, dont les humains, auraient un sens des nombres dès la petite enfance. Caochopp, CC BY

Par ailleurs, dans son cours de Psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, intitulé « Les fondements cognitifs de l’arithmétique élémentaire », Stanislas Dehaene a pu défendre l’idée que les fondements cognitifs des mathématiques doivent être recherchés dans une série d’intuitions fondamentales de l’espace, du temps et du nombre, partagées par de nombreuses espèces animales et que nous héritons d’un lointain passé où ces intuitions jouaient un rôle essentiel à la survie. Pour cet auteur, un « sens du nombre » serait donc présent chez le nourrisson et reposerait sur des circuits cérébraux spécifiques que l’on retrouve chez d’autres primates.

Son fonctionnement répondrait à trois traits caractéristiques de l’intuition : rapidité, automaticité et inaccessibilité à l’introspection consciente. Ainsi, l’intuition, loin de demeurer impénétrable pour l’étude scientifique, posséderait une signature psychologique et neurale déchiffrable. L’apprentissage des symboles de l’arithmétique formelle s’appuierait fortement sur ce sens précoce des nombres ; on peut préciser que notre compréhension de la manière dont ce dernier est modifié par l’éducation demeure imparfaite.

Ce sera l’une des questions importantes des recherches à venir et, donc, un enjeu essentiel sera de mieux utiliser ces connaissances afin d’améliorer l’enseignement de l’arithmétique et de mieux comprendre l’origine des dyscalculies.

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