tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/droite-nationaliste-hindoue-44898/articlesdroite nationaliste hindoue – The Conversation2020-06-10T20:28:50Ztag:theconversation.com,2011:article/1331142020-06-10T20:28:50Z2020-06-10T20:28:50ZLes femmes musulmanes s'élèvent contre le nationalisme hindou en Inde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319637/original/file-20200310-61120-vio0w8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C5475%2C3663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une jeune fille tient un drapeau indien alors qu'elle accompagne sa mère dans un sit-in de protestation contre une nouvelle loi sur la citoyenneté qui, selon les opposants, menace l'identité laïque de l'Inde, dans le quartier de Shaheen Bagh à New Delhi, en Inde, le samedi 18 janvier 2020. </span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Altaf Qadri</span></span></figcaption></figure><p>Les violences intercommunautaires en Inde <a href="https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/202002/27/01-5262565-linde-ebranlee-par-les-violences-intercommunautaires-38-morts.php">ont fait près de 40 morts et des centaines de blessés à la fin de 2019, à Delhi</a>, la capitale. La <a href="https://theconversation.com/violences-anti-musulmanes-en-inde-quelle-responsabilite-pour-le-gouvernement-modi-132884">rhétorique nationaliste hindou du gouvernement de Narendra Modi</a> et les actions politiques qui en découlent rappellent les émeutes violentes qui avaient fait entre 800 et 2000 morts <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Violences_au_Gujarat_en_2002">dans l’État du Gujarat</a> où il était ministre en chef en 2002.</p>
<p>Le 11 décembre 2019, le parti au pouvoir en Inde <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1449172/inde-poursuite-manifestations-nouvelle-loi-citoyennete">a introduit un amendement à la loi sur la citoyenneté de 1955</a>. La Citizenship Amendment Act (CAA) a notamment pour objectif de créer un registre national des citoyens. Son objectif : documenter tous les citoyens « légaux » du pays afin de pouvoir expulser les migrants considérés comme « illégaux ».</p>
<p>La CAA traduit une intention apparemment anodine de formaliser la citoyenneté des demandeurs d’asile persécutés du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh. Le piège réside dans ce qui n’est pas précisé — il n’offre activement cette possibilité qu’aux migrants non musulmans. <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/citizenship-amendment-bill-decoded-what-it-holds-for-india/articleshow/72466056.cms">Le gouvernement précise</a> que puisque les musulmans sont majoritaires dans ces trois États, ils ne peuvent être considérés comme des minorités persécutées.</p>
<p>Mes recherches doctorales portent de façon plus générale sur le système fédéral indien. Un séjour de recherche à l’Institut des Sciences sociales de Delhi ainsi que mes collaborations de recherche avec Devika Misra, doctorante à l’université Jawaharlal Nehru (JNU), m’ont permis d’observer l’impact des politiques du gouvernement de Narendra Modi depuis 2014 et de développer une perspective critique à leur égard.</p>
<h2>Les femmes dans la rue</h2>
<p>Pour qui connaît la puissance des actions et des résistances populaires en Inde, le mouvement national anti-CAA qui se déploie actuellement dans le pays n’est pas surprenant. Mais la grande particularité de ces luttes réside dans la force des femmes musulmanes qui s’élèvent contre la répression de l’État. Le 13 décembre, deux jours après l’adoption de la Loi, elles ont organisé un <em>sit-in</em> dans le quartier Shaheen Bagh, à Delhi, en réaction à <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/02/india-footage-appears-show-police-attack-jamia-students-200216053500418.html">l’intervention policière déclenchée à l’Université musulmane Jamia Milia Islamia</a>.</p>
<p>En plus de déployer des méthodes pacifiques pour afficher leur frustration à l’égard des politiques du gouvernement, ces femmes ont inspiré un mouvement plus fort qui bouillonne maintenant dans l’ensemble du sous-continent. Uniquement à Delhi, une vingtaine de <em>sit-in</em> de ce genre ont vu le jour.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319641/original/file-20200310-61076-tilnlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo du mardi 21 janvier 2020, des jeunes filles font des croquis près du site de la manifestation dans le quartier Shaheen Bagh de New Delhi, en Inde.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Altaf Qadri</span></span>
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<p>Les femmes musulmanes, dépouillées de toute capacité d’agir par le gouvernement indien actuel, représentent aujourd’hui une menace grandissante pour le parti. Par l’entremise d’actions non violentes, les femmes viennent délégitimiser toute possibilité de violence à leur égard par la police ou les paramilitaires qui sont actuellement utilisés par le gouvernement pour « calmer » les foules. Alors que la <a href="https://www.hindustantimes.com/india-news/security-increased-section-144-imposed-in-shaheen-bagh/story-hkekaXND50CrL5ZrgT35SL.html">répression de l’État s’accentue</a>, ces rassemblements commencent à être de plus en plus considérés comme les principaux ennemis « anti-nationaux ».</p>
<p><a href="https://www.indiatoday.in/news-analysis/story/beyond-shaheen-bagh-when-supreme-court-preferred-balance-over-adjudication-1647601-2020-02-18">La Cour Suprême a d’ailleurs déclaré</a> que les revendications des femmes de Shaheen Bagh n’étaient pas pertinentes et que les manifestants ne pouvaient pas bloquer les rues et causer des dérangements, montrant ainsi la force des moyens déployés par le gouvernement pour contrer toute dissidence. Les parlementaires du BJP — le Bharatiya Janata Party présentement au pouvoir — ont qualifié ces mouvements de « mini-pakistanais » contribuant ainsi à l’explosion d’émeutes dans le nord-est de la capitale.</p>
<h2>Un virulent nationalisme hindou</h2>
<p>Le <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/12/modi-law-anti-muslim-protests-continue-india-191222090441194.html">gouvernement indien soutient que la CAA n’est pas islamophobe</a>. Toutefois, cette sélection arbitraire des migrants a comme conséquence d’isoler les communautés musulmanes en Inde, qui sont déjà précarisées et marginalisées <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/qui-est-narendra-modi-a-la-tete-de-la-plus-grande-democratie-du-monde_3819837.html">depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limmense-erreur-de-linde-au-cachemire-122004">L'immense erreur de l'Inde au Cachemire</a>
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<p>Son ascension au pouvoir a été accompagnée d’une dérive autoritaire en Inde. Cela s’explique entre autres par les fondements idéologiques du BJP, inspirés directement du <a href="https://www.areion24.news/2019/01/07/la-democratie-indienne-malade-de-son-hindouite/">Rashtriya Swayamsevak Sangh(RSS)</a>, une faction paramilitaire hindoue d’extrême droite créée en 1925 et dont le premier ministre a été membre actif.</p>
<p>La volonté de ce parti est claire : que l’Inde soit une nation et un État hindou (Rashtra Hindu), ce qui se matérialise par un programme politique et idéologique qu’on appelle l’Hindutva, et qui est au cœur des tensions actuelles. L’exemple le plus frappant est sans doute la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/inde-division-formelle-de-l-etat-du-jammu-et-cachemire-20191031">suppression du statut d’État du Jammu-et-Cachemire à l’été 2019</a> — qui était le seul État à majorité musulmane en Inde — pour le transformer en deux territoires de l’Union, et l’<a href="https://www.washingtonpost.com/world/internet-mobile-blackout-shuts-down-communication-with-kashmir/2019/08/06/346d5150-b7c4-11e9-8e83-4e6687e99814_story.html">arrêt des communications dans cette région pendant plusieurs jours</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319640/original/file-20200310-61120-u41ncx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Premier ministre indien Narendra Modi, assis avec le ministre de l’Intérieur Amit Shah lors de la réunion du parti parlementaire Bharatiya Janata Party (BJP), à New Delhi, en Inde, le mardi 3 mars 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Manish Swarup</span></span>
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<p>En plus d’attaquer directement le caractère laïc imprégné dans la Constitution indienne, ces politiques ont pour effet de modifier considérablement la conception pluraliste de la culture indienne. Un indien musulman en vient donc à être considéré comme un envahisseur.</p>
<h2>Une loi anticonstitutionnelle</h2>
<p>Par la CAA, les musulmans se retrouvent exclus d’un processus entier de redéfinition de la citoyenneté nationale indienne. Cette loi est critiquée comme étant inconstitutionnelle, notamment car elle introduit la religion comme facteur de citoyenneté et qu’elle est une <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/blogs/blunt-frank/caa-article-14-of-indian-constitution/">attaque directe contre l’article 14</a> qui défend le Droit à l’égalité. D’autant plus que les communautés les plus historiquement marginalisées de l’Inde se retrouvent à être — encore une fois — les principales victimes. La demande de papiers d’identification pour « prouver sa citoyenneté » peut être une tâche extrêmement ardue pour les castes inférieures (dalits), les communautés autochtones (Adivasis), les travailleurs migrants, ainsi que les pauvres du sous-continent.</p>
<p>Pour mettre en œuvre son projet que l’on pourrait qualifier « d’hypernationaliste », le gouvernement attaque tout point de vue critique. L’Université publique de Delhi, JNU, qui a représenté historiquement la gauche en Inde, a <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/feb/20/hindu-supremacists-nationalism-tearing-india-apart-modi-bjp-rss-jnu-attacks">été directement ciblée par un discours répressif</a> visant à qualifier d’antinationaux tous ceux et celles qui s’opposent à la CAA.</p>
<p>L’accent mis sur la dichotomie du « national » versus « l’anti-national », le soutien à la violence contre ceux et celles qui s’opposent au projet, la censure des voix dissidentes et la fermeture d’Internet sont quelques exemples d’actions du gouvernement indien pour contrer toute opposition à ses politiques. Cela n’est sans rappeler les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/02/delhi-hit-worst-violence-decades-200227085832062.html">dispositifs de l’époque coloniale</a> ou de la période d’Indira Gandhi.</p>
<p>Encore une fois, les discours haineux et polarisants du BJP exacerbent les conflits. Cette stratégie a été grandement utilisée lors de la campagne du Parti en vue des élections qui ont eu lieu à Delhi le 11 février. Or elle n’a pas fonctionné : le <a href="http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20200211-inde-d%C3%A9faite-bjp-%C3%A9lections-locales-new-delhi">BJP a perdu les élections locales à Delhi</a>.</p>
<p>Une des principales craintes des opposants à la CAA est que cette loi confère au gouvernement central le pouvoir de définir les critères de la citoyenneté indienne et de créer un précédent pour toutes lois qui viseraient à exclure les musulmans du pays. La déconnexion entre l’État et la religion en Inde, défendue par la Constitution, a permis une cohabitation intercommunautaire relativement pacifique dans un pays où la diversité religieuse, linguistique et culturelle est l’une des plus importantes au monde.</p>
<p>Alors que les violences font rage depuis déjà plusieurs semaines en Inde, c’est le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1537043/donald-trump-visite-inde-rassemblement-taj-mahal">passage du président Donald Trump</a> dans la capitale qui a attiré toute l’attention. La <a href="https://www.aljazeera.com/indepth/features/killed-husband-detainees-dying-assam-200303040949450.html">création de centres de détention</a> et la violence de l’État contre les manifestants n’ont pas suffi à alerter la communauté internationale.</p>
<p>Les mobilisations populaires dans ce pays de 1,3 milliard d’habitants permettent au moins de constater que les politiques du BJP n’ont pas imprégné l’ensemble de la société indienne. Plus encore, le refus pacifique de plusieurs habitants de montrer leurs papiers aux représentants de l’État illustre la solidarité entre les communautés en Inde. Ce mouvement concrétise la volonté des Indiens de préserver un nationalisme qui était jusqu’alors beaucoup plus inclusif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133114/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le mouvement anti-nationaliste en Inde n'est pas surprenant. Mais la grande particularité de ces luttes réside dans la force des femmes musulmanes qui s’élèvent contre la répression de l’État.Catherine Viens, Candidate au doctorat en science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Devika Misra, Phd, Jawaharlal Nehru University, IndiaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1383362020-05-17T18:08:49Z2020-05-17T18:08:49ZEn Inde, la réouverture des débits d’alcool déchaîne des passions toutes politiques<p>Quarante jours après le début du <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/04/06/arundhati-roy-en-inde-le-confinement-le-plus-gigantesque-et-le-plus-punitif-de-la-planete_6035741_3260.html">confinement le plus gigantesque et le plus punitif de la planète</a>, le 3 mai 2020, Narendra Modi, premier ministre indien, annonçait son prolongement pour deux semaines supplémentaires, révélant la carte d’un pays désormais divisé en <a href="https://thewire.in/government/lockdown-3-0-restrictions">zones</a> selon le niveau de concentration de cas d’infections avérés (verte, orange, rouge et <em>containment zone</em>) dont le gradient chromatique donne une idée des libertés octroyées.</p>
<p>Ce jour-là, Modi prenait aussi l’une des mesures les plus attendues et redoutées par la population : la réouverture des magasins d’alcool après plus de 6 semaines de fermeture.</p>
<p>Dès le lendemain, lundi 4 mai, les médias accompagnant l’actualité du SAR-Cov-2 en Inde diffusaient des images insolites de centaines d’hommes et de femmes agglutinés souvent sur plusieurs centaines de mètres, attendant fébrilement la réouverture des <em>liquor shops</em> gouvernementaux (les seuls à être autorisés) pour se procurer quelques litres d’alcool.</p>
<p>Alors que le gouvernement indien avait dans un premier temps bénéficié d’une image très positive à l’international pour sa capacité à contenir la propagation du virus – image à peine écornée par la gestion calamiteuse de <a href="https://theconversation.com/en-inde-les-travailleurs-migrants-abandonnes-a-leur-sort-135851">migrants</a> –, les <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/india/liquor-shops-open-after-40-days-social-distancing-rules-taken-for-a-ride/articleshow/75533865.cms">scènes de foules amassées</a> faisant fi de toute distanciation sociale pour se procurer de l’alcool dès la réouverture des <em>liquor shops</em> ont aussitôt mis à mal une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/8._inde_modi__cle8c2be9.pdf">communication politique</a> patiemment tissée par les nationalistes hindous : l’Inde du yoga, du végétarisme et de l’abstinence.</p>
<p>Aussi, le traitement de la vente d’alcool par l’État en temps de pandémie, plus que de relever de considérations sanitaires, interpelle par sa dimension profondément politique.</p>
<h2>Surprenante réouverture des débits de boissons</h2>
<p>Le soulagement des uns fut à la hauteur des craintes des autres. Si l’interdiction de l’alcool est une mesure ponctuelle régulièrement déployée en Inde lors des moments de tension politique (élections, manifestations), elle est ici à la fois exceptionnelle par sa durée, et signifiante sur le rapprochement des registres discursifs opéré par les politiciens entre menace économico-politique et menace pandémique.</p>
<p>La réouverture des commerces divise la population et suscite de vives contestations émanant d’acteurs nombreux et divers : militants et partis politiques issus de l’opposition, associations religieuses hindoues, catholiques et musulmanes, ou encore <a href="https://www.hindustantimes.com/delhi-news/delhi-rwas-urge-govt-to-shut-down-all-liquor-shops-in-city/story-rm7gY0FH9iEhSi7feMTb5I.html">collectifs citoyens</a>. À New Delhi, la capitale, près de 150 boutiques (sur un total de 864) ont ouvert progressivement leurs comptoirs extérieurs grillagés. Associations de résidents et partis politiques ont rapidement fait entendre leurs voix. Dans les villes de <a href="https://www.republicworld.com/india-news/law-and-order/cpim-workers-clash-with-police-over-sale-of-liquor-amid-lokdown.html">Chennai</a> et de <a href="https://www.thehindu.com/news/cities/Madurai/protest-against-opening-of-liquor-shops-continue/article31536659.ece">Madurai</a>, au sud du pays, des militants (marxistes dans ce cas) ont violemment manifesté contre la réouverture de ces commences, suscitant des affrontements avec les forces de l’ordre. Les arguments évoqués sont principalement d’ordre sanitaire : la peur du virus prime sur la nécessité économique d’une réouverture.</p>
<p>La <a href="https://www.thehindu.com/news/national/sc-asks-states-to-consider-online-sales-home-delivery-of-liquor/article31534503.ece">vente d’alcool en ligne</a>, telle qu’elle est préconisée depuis avril par les deux plus gros lobbys du secteur, l’International Spirits and Wine Association of India et et la Confederation of Indian Alcoholic Beverage Companies permettrait de contourner le problème de la concentration attendue de la clientèle aux abords des détaillants.</p>
<p>Il est facile de s’indigner contre les États (souvent non gouvernés par le BJP) qui exigent la reprise des ventes d’alcool, étant donné les risques que représente l’alcoolisme, tout comme la crainte que l’affluence dans les magasins d’alcool ne vienne à bout du respect des mesures faisant barrière à la propagation du virus. En pleine pandémie, faciliter cette réouverture peut sembler contre-intuitif. Elle révèle pourtant de puissants enjeux économiques et leurs prolongements politiques.</p>
<h2>Une manne économique</h2>
<p>Malgré la diffusion d’un imaginaire « ascétique », l’Inde a <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10461-010-9727-7">toujours été consommatrice d’alcool</a>. Dans de nombreux États, une partie des salaires des travailleurs agricoles comporte toujours un paiement en liqueur locale (une bouteille de toddy, un verre d’<em>arrack</em> par jour), aucune campagne électorale ne peut être menée sans distribution d’alcool et les politiciens entretiennent souvent d’étroites relations avec l’industrie de l’alcool, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes à la tête d’une unité productive.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tête baissée vers ses bidons d’<em>arrack</em> ou country liquor, Lakshmanam. Cet <em>arrack</em> shop de Pondichéry a l’autorisation de vendre 600 litres d’alcool par jour. L’<em>arrack</em> provient de la Puducherry Distilleries Limited qui en produit 25 000 litres par jour. Il est élaboré à partir d’ENA (ou <em>extra neutral alcohol</em> standardisé à 96 % vol.) mélangé à de l’eau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La consommation d’alcool dans le pays est courante, socialement diversifiée et en progression constante. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle a plus que doublé en <a href="https://www.who.int/substance_abuse/publications/global_alcohol_report/profiles/ind.pdf">une décennie</a>. Les données produites par l’International Wine and Spirits Research (IWSR) indiquent par ailleurs que l’Inde est même devenue le premier producteur mondial de whisky tout comme le <a href="https://www.livemint.com/Leisure/QjzklkTjqYpe7tr74PVSuI/Whisky-business.html">premier consommateur</a>.</p>
<p>Cette croissance de la consommation a pour corollaire une forte dépendance des États fédérés à l’égard des <a href="https://www.thehindubusinessline.com/economy/the-alcohol-economy/article20697419.ece1">revenus issus de l’alcool</a>.</p>
<p>Le « verrouillage » du pays a profondément touché le cœur de cette économie. À partir du 24 mars 2020, plus de 60 % de l’activité économique du pays a été interrompue sans préavis. Le gouvernement a justifié l’interdiction de la vente d’alcool pendant toute la durée de ce lockdown comme étant une recommandation issue des <a href="http://www.euro.who.int/fr/health-topics/health-emergencies/coronavirus-covid-19/news/news/2020/4/alcohol-does-not-protect-against-covid-19-access-should-be-restricted-during-lockdown">conclusions</a> du bureau régional européen de l’OMS, qui signalaient que la consommation d’alcool « affaiblissait l’immunité du corps » et qu’elle était associée</p>
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<p>« à une série de maladies transmissibles et non transmissibles et de troubles de la santé mentale susceptibles de rendre une personne plus vulnérable au Covid-19 ».</p>
</blockquote>
<p>La fabrication et la vente d’alcool sont pourtant l’une des principales sources de revenus des États et des Territoires de l’Union, à l’exception du Gujarat, du Bihar ainsi que de deux États frontaliers de la Birmanie, Mizoram et Nagaland, où s’impose la prohibition. Dans le Tamil Nadu par exemple, qui a <a href="https://www.thehindu.com/news/national/tamil-nadu/sc-stays-madras-hc-order-asking-tn-govt-to-close-liquor-shops-in-state/article31590783.ece">pu réouvrir les <em>liquor shops</em></a> le 15 mai, les <a href="https://thewire.in/economy/lockdown-states-alcohol">recettes liées à l’alcool représentent 28 %</a> du total des revenus fiscaux de l’État. Son gouvernement a été contraint à deux reprises d’émettre pour <a href="https://www.thehindu.com/news/national/tamil-nadu/tn-raises-6560-cr-through-bond-sales/article31428173.ece">800 millions d’euros d’obligations</a>, ce qui lui permet de disposer de liquidités à court terme mais le place dans une situation de déséquilibre financier. Il en est de même <a href="https://www.thehindu.com/news/cities/chennai/tasmac-revenue-cant-be-matched-by-other-sources-in-the-short-term/article31586472.ece">pour les États du Karnataka et du Telangana</a>.</p>
<h2>Une taxe « corona »</h2>
<p>À titre d’exemple, dans la seule journée du 4 mai, le Karnataka a vendu pour près de <a href="https://www.newindianexpress.com/states/karnataka/2020/may/04/on-day-one-karnataka-sees-bumper-liquor-sale-of-rs-45-crore-2139184.html">45 crores d’alcool</a> soit 5.625 millions d’euros (1 crore représente 10 millions de roupies) amenuisant sans pour autant combler le manque à gagner lié à une fermeture de près de six semaines, <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/bengaluru/ktaka-eyes-booze-to-fill-its-coffers/articleshow/75459230.cms">évalué à 2 050 crores</a>.</p>
<p>Cette fermeture a là aussi mis en échec l’une des seules sources de recettes fiscales de l’État au moment où <a href="https://www.ideasforindia.in/topics/macroeconomics/consequences-of-covid-19-on-state-finances.html">ses dépenses augmentaient</a> soudainement pour faire face à une double crise, sanitaire et humanitaire. Confronté à une même situation, le gouvernement de Delhi a imposé une taxe spéciale « corona » de 70 % sur chaque bouteille vendue dès la réouverture en vue de tirer des revenus plus importants sur un alcool dont le prix a ainsi soudainement explosé.</p>
<p>Si les réponses locales définies par les États au choc économique que constitue pour nombre d’entre eux la pandémie sont tout aussi diverses que temporaires, elles ne peuvent à elles seules résoudre une situation qui résulte avant tout d’une opposition entre États fédérés et Centre, faisant de l’alcool un outil d’affrontement politique.</p>
<h2>L’alcool : un puissant outil politique</h2>
<p>Dans l’Union Territory de Pondichéry, bon nombre d’habitants espéraient nerveusement dès le matin du 4 mai l’annonce de la réouverture des <em>liquor shop</em>. Depuis, celle-ci n’a eu de cesse d’être décalée par les autorités, invoquant le risque d’un afflux conséquent de consommateurs venant des districts de l’État voisin. Le territoire devrait <a href="https://www.aninews.in/news/national/general-news/puducherry-cabinet-decides-to-open-areas-unaffected-by-coronavirus-cm-v-narayanasamy20200510175355/">finalement ouvrir ses débits</a> cette semaine.</p>
<p>Pondichéry, du fait d’un régime fiscal favorable, est connu comme une destination où boire (pendant longtemps l’alcool y était bien moins cher du fait de la frontière avec le Tamil Nadu, alors rigoriste et prohibitionniste).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Thangarasu, gérant du Vasantharaja Wine Mart, un <em>liquor shop</em> disposant d’une licence dite FL1, la plus coûteuse (1,5 million de roupies), proposant à la vente bières, vins et IMFL (<em>Indian-made foreign liquor</em>), Pondichéry, 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Mais une fois encore, ces raisons sanitaires apparaissent secondaires par rapport à la dimension politique que revêt l’alcool en temps de pandémie. L’attente d’une décision libérant la vente d’alcool dans ce petit territoire a conduit à dynamiser l’activité de marché noir, dirigée notamment par des personnalités haut placées, dont <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/puducherry/lockdown-in-puducherry-congress-mlas-son-in-law-among-three-booked-for-supplying-arrack/articleshow/74914782.cms">certains parents de politiciens locaux</a>.</p>
<p>En réponse au trafic illégal, à la demande de Kiran Bedi, Lieutenante gouverneure, représentante de l’État central dans ce territoire et <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/puducherry/kiran-bedi-asks-people-to-share-info-on-illegal-liquor-sale-in-puducherry/articleshow/75581663.cms?fbclid=IwAR2X9ZJj5q_rLYPiGzeyf6yTy2_QfXEyCNIW-PlBj8w16QvPMc7RuIuVVds">affiliée au BJP</a>, la police a suspendu près de <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/puducherry/kiran-bedi-asks-people-to-share-info-on-illegal-liquor-sale-in-puducherry/articleshow/75581663.cms?fbclid=IwAR2X9ZJj5q_rLYPiGzeyf6yTy2_QfXEyCNIW-PlBj8w16QvPMc7RuIuVVds">100 licences</a>, arrêté huit fonctionnaires et ordonné une enquête coordonnée par le Central Bureau of Investigation (équivalent de la DGSI, service de renseignements en France). Autant de signes vus par le ministre en chef (<em>chief minister</em>, issu d’un parti d’opposition) du territoire comme un acte de défiance vis-à-vis de la politique de son gouvernement.</p>
<h2>Dérive autocratique</h2>
<p>Les querelles récentes qui, dans la rue ou dans la sphère politique, mettent face à face les opposants et défenseurs de l’ouverture des commerces d’alcool laissent penser que les raisons liées à la fermeture des commerces sont plus idéologiques et politiques que sanitaires.</p>
<p>Rappelons que les États du Sud du pays qui, outre de compter parmi les plus grands consommateurs d’alcool et de dépendre de cette économie pour équilibrer leurs budgets, sont aussi – pour trois d’entre eux surtout – d’importants lieux d’affrontements entre le parti au pouvoir à New Delhi (BJP) et des gouvernements régionaux rassemblée autour d’une coalition d’opposition autour du Parti du Congrès.</p>
<p>Ce choix de fermeture permet à l’État central d’ingérer dans la politique des États fédérés. La crise pandémique actuelle révèle ainsi l’émergence d’une nouvelle arène de contestation contre la stratégie de recentralisation du pouvoir exercée par le premier ministre indien, traduite dans le domaine de la fiscalité, de l’administration du territoire et, plus largement, dans le <a href="https://indianexpress.com/article/opinion/columns/indias-civil-society-moment-citizenship-act-npr-nrc-6243207/">champ démocratique</a>. La tension autour de l’ouverture ou non des débits de boisson et de la vente libre met ainsi en évidence cette reprise en main par le Centre de l’autorité sur les instances du pouvoir décentralisé. Un affront pour les États du pays, qui semblent devoir résoudre seuls les effets sociaux et économiques de la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La tension autour de l’ouverture ou non des débits de boisson et de la vente libre met en évidence une reprise en main du pouvoir central incarné par Narendra Modi sur les instances décentralisées.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, en délégation CNRS à l'IFP, Inde, Université de BordeauxNicolas Bautès, Géographe, chercheur détaché à l'IFP Inde, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1299402020-01-16T22:49:03Z2020-01-16T22:49:03ZInde : les universités face au pouvoir<p>Par un dimanche soir d’hiver à New Delhi, les portes de l’Université Jawaharlal Nehru (JNU) ont été fermées de force et une <a href="https://thewire.in/rights/jnu-violence-protests-abvp-students-teachers">bande d’intrus masqués</a> a pris d’assaut les logements des étudiants, agressé des élèves et des enseignants, brisé des voitures et jeté des pierres pendant des heures. La sécurité du campus n’a pas réagi et la police <a href="https://www.hindustantimes.com/cities/police-waited-outside-for-permission-despite-having-written-request-to-enter-the-campus/story-XpqQFXpuvIYnscfHPFBffI.html">a attendu de recevoir une permission écrite</a> des responsables de l’université pour pénétrer sur le campus.</p>
<p>Une enquête sur les événements du 5 janvier a été ouverte. Tout en condamnant la violence, les <a href="https://www.ndtv.com/india-news/jnu-violence-universitys-statement-on-masked-mob-attacking-students-teachers-on-campus-2159221">autorités universitaires</a> et le <a href="https://twitter.com/BJP4India/status/1213869234083643392?s=20">parti Bharatiya Janata (BJP) au pouvoir</a> ont tous deux affirmé qu’il ne s’agissait de rien d’autre que d’un nouvel épisode d’agitation étudiante dans une université que les nationalistes hindous au pouvoir en Inde qualifient depuis longtemps d’« anti-nationale ».</p>
<p>Les étudiants de la JNU ont souvent fait la une des journaux, surtout depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du BJP, dirigé par le premier ministre Narendra Modi. Et comme sur de nombreux autres campus en Inde, les étudiants de la JNU ont récemment manifesté contre une nouvelle loi – le Citizenship Amendment Act (Loi d’amendement de la citoyenneté) – qui vise à octroyer la citoyenneté indienne aux membres de toute minorité persécutée en Asie du Sud <a href="https://thewire.in/rights/citizenship-amendment-act-india-protests">à l’exception des musulmans</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/indias-new-citizenship-act-legalizes-a-hindu-nation-129024">India's new citizenship act legalizes a Hindu nation</a>
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<p>Mais début janvier, la JNU a été spécifiquement prise pour cible par des assaillants masqués. Pourquoi le gouvernement hindou nationaliste de l’Inde <a href="https://theconversation.com/why-is-indian-prime-minister-modi-attacking-student-protesters-129332">redoute-t-il autant</a> cette université et sa communauté d’étudiants et d’enseignants ?</p>
<h2>Une vision radicale</h2>
<p>Créée en 1969, la JNU a été conçue à un moment unique de l’histoire universitaire mondiale – un sujet sur lequel j’ai écrit, avec l’historien de la JNU Rajat Datta, un chapitre d’un livre à paraître sur les campus radicaux des années 1960, sous la direction de <a href="https://research.sas.ac.uk/search/fellow/1195/dr-jill-pellew/">Jill Pellew et Miles Taylor</a>, issu d’une série de <a href="https://talkinghumanities.blogs.sas.ac.uk/2014/10/20/potw-ihr-2015-winter-conference-utopian-universities/">conférences sur la question</a>.</p>
<p>Dans les années 1960 et 1970, les universités dites utopiques, qui réunissaient le personnel et les étudiants au sein de campus résidentiels, ont donné naissance à de nouveaux programmes d’enseignement et de recherche interdisciplinaire. De l’Université du Sussex au Royaume-Uni à Simon Fraser au Canada, et de Nanterre à Paris à Lusaka en Zambie, ces nouvelles universités publiques se voulaient en prise avec les questions sociales contemporaines. Elles représentaient aussi des expériences de vie en commun.</p>
<p>Le gouvernement indien a évoqué l’idée de la création de la JNU, une nouvelle université nationale, à la mort de son premier ministre, Jawaharlal Nehru. Le premier vice-chancelier, Gopalaswami Parthasarathy, a défini la mission radicale de la JNU, à savoir créer des centres universitaires interdisciplinaires destinés à <a href="https://scroll.in/article/884499/the-man-who-built-jnu-understood-what-a-university-stands-for-the-freedom-to-question-and-debate">résoudre les problèmes intrinsèques de la société indienne</a> : pauvreté, développement et division sociale.</p>
<p>Les étudiants ont été impliqués dans cette mission dès le début. En 1973, les représentants des étudiants et du personnel sont convenus que la politique d’admission à l’université serait élaborée par un comité mixte étudiants-professeurs et non simplement présentée aux étudiants comme un fait accompli.</p>
<p>Le syndicat des étudiants a exigé que les admissions à l’université répondent à certains critères. Il devait y avoir une augmentation du nombre de places au fil du temps, une parité régionale dans l’attribution des places, une pondération accordée au mérite scolaire et une <a href="https://www.thehindu.com/todays-paper/tp-national/tp-tamilnadu/the-constitution-and-reservation/article27781561.ece">discrimination positive</a> pour les candidats issus de « castes répertoriées » et de « tribus répertoriées » « conformément à la loi ».</p>
<p>Une politique d’admission novatrice fondée sur un système de points a été mise en place, les candidats étant évalués en fonction du revenu de leur famille, de leur caste, de leur région et de leur sexe. Les autorités universitaires ont riposté dans les décennies suivantes, dénonçant l’« injustice » de la discrimination positive. Mais les étudiants de la JNU ont constamment essayé d’améliorer la politique d’admission pour faire en sorte que davantage d’étudiants issus de milieux défavorisés aient la possibilité d’être admis.</p>
<h2>Quand le BJP s’en mêle</h2>
<p>Il y a eu aussi bien des succès que des échecs. Dans les années 1980, le système initial de points d’admission a été supprimé, avant d’être rétabli en 1993 avec des dispositions supplémentaires pour les femmes.</p>
<p>Mais depuis l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014, l’université se trouve à nouveau au cœur de nombreuses controverses. En 2016, les <a href="https://theconversation.com/university-freedoms-in-india-under-threat-as-student-leader-charged-with-sedition-54793">étudiants de la JNU ont été violemment critiqués</a>, présentés comme des séditieux anti-nationaux ; le président de leur syndicat et d’autres personnes ont été arrêtés pour des motifs fallacieux.</p>
<p>Depuis la nomination de Mamidala Jagadesh Kumar au poste de vice-chancelier de l’université en 2016, les étudiants et le personnel affirment qu’ils ont été de plus en plus <a href="https://www.thequint.com/voices/opinion/the-case-against-jnu-vc-mamidala-jagadesh-kumar-gscash-appointments-sedition-fee-hike">écartés des consultations</a> sur la gouvernance de l’université. Il a également été décidé que les candidats aux cours de troisième cycle ne seraient admis à la JNU qu’<a href="https://caravanmagazine.in/vantage/jnu-admission-caste-discrimination">après un examen oral</a>, malgré les craintes que cela puisse entraver la réussite des candidats issus de groupes défavorisés.</p>
<p>D’autres mesures introduites sous Kumar ont défié le radicalisme et l’indépendance de la JNU. En 2017, il aurait <a href="https://www.hindustantimes.com/opinion/army-tank-in-jnu-should-the-sword-be-mightier-than-the-pen/story-Aegre650bne13Ni4KmlM4I.html">appelé à l’installation d’un char de l’armée</a> sur le campus pour « inspirer les sentiments nationalistes ». Un an plus tard, les autorités universitaires <a href="https://feminisminindia.com/2018/03/05/disbanded-gscash-jnu-reconstitution/">ont démantelé</a> le Comité de sensibilisation au genre contre le harcèlement sexuel, un organe qui avait donné à un certain nombre de femmes la confiance nécessaire pour déposer plainte pour harcèlement sexuel et qui avait été cité en exemple en matière de changement des procédures universitaires dans tout le pays depuis sa création à la fin des années 1990.</p>
<p>Une nouvelle montée de tension a eu lieu en octobre 2019, lorsque les autorités universitaires ont annoncé une série de changements des règles d’hébergement sur le campus. Elles ont introduit un code vestimentaire, établi des couvre-feux et augmenté les frais d’hébergement dans les foyers, ce qui pourrait rendre la situation beaucoup plus difficile pour les 40 % d’étudiants issus de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/11/india-jnu-protests-fee-hike-poor-students-fear-future-191120172445517.html">familles à faible et moyen revenu</a>. Cela a conduit les <a href="https://thewire.in/politics/jnu-protest">étudiants à faire grève</a> et à boycotter les examens et les procédures d’inscription au semestre suivant.</p>
<h2>Les étudiants à l’avant-garde</h2>
<p>Les actes de violence du 5 janvier ont été une attaque contre la détermination implacable des étudiants de la JNU à lutter en faveur d’une action positive, d’une politique d’admission équitable et de la justice sociale. Ce sont les vagues successives d’étudiants de la JNU qui ont maintenu en vie les idéaux utopiques des fondateurs de l’université.</p>
<p>Face aux conflits sur la politique d’admission, à la menace constante de la privatisation de l’éducation en Inde et à la <a href="https://indianculturalforum.in/2016/08/10/saffronising-and-corporatising-indian-education-critique-of-the-national-educational-policy-2016-draft/">« safranisation »</a> croissante de l’enseignement pour s’aligner sur <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/india-modi-culture/">l’idéologie nationaliste hindoue</a>, les étudiants de la JNU ont maintes fois <a href="https://www.epw.in/engage/article/diversity-democracy-dissent-study-student-politics-JNU">confirmé leur interprétation</a> de ce que doit être une université « nationale ». Si la JNU conserve une partie de sa nature utopique, c’est grâce à eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shalini Sharma ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une histoire de l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi et des raisons pour lesquelles ses étudiants se battent pour protéger les racines radicales de son éthique.Shalini Sharma, Lecturer in Colonial/Post Colonial History, Keele UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1162072019-05-01T23:09:13Z2019-05-01T23:09:13ZÀ Ayodhya, les tensions entre hindous et musulmans au cœur des élections indiennes<p>La ville indienne d’Ayodhya, dans l’État de l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde, a reçu le 1<sup>er</sup> mai la visite du premier ministre Narendra Modi, <a href="https://www.business-standard.com/article/elections/lok-sabha-election-2019-pm-modi-to-address-rally-in-ayodhya-on-may-1-119042600680_1.html">candidat à sa propre réélection</a> sous les couleurs de son parti, le Bharata Janatya Party (BJP, au pouvoir depuis 2014).</p>
<p>Cette visite est lourde de symbolique : le premier ministre compte sur ce haut lieu de l’hindouisme pour galvaniser son électorat.</p>
<p>Un nombre important de dévots hindous et soutiens du BJP <a href="https://www.foreignbrief.com/daily-news/indian-hindu-demands-over-ayodhya-temple-construction-raise-tensions-ahead-of-elections/">ont en effet réitéré leur demande</a> – dès le début de la course électorale – de la construction d’un temple dédié au dieu Ram sur un site spécifique.</p>
<p>C’est ce dernier qui attire l’attention de la communauté internationale depuis des années et <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pour-comprendre-la-mosquee-dayodhya-vingt-cinq-ans-de-discorde-entre-hindous-et-musulmans">ne cesse de provoquer des tensions entre hindous et musulmans</a>.</p>
<h2>Temple mythique contre mosquée ancienne</h2>
<p>Pendant des siècles le site en question abritait une mosquée, surnommée Babri, du nom du fondateur et premier dirigeant de l’Empire moghol en Inde, <a href="https://data.bnf.fr/fr/11889779/babur/">Zahir ud-Din Muhammad Babar</a>. Il en avait ordonné la construction il y a près de 500 ans. Il fallut deux ans pour en ériger la structure, achevée en 1529, soit un an avant la mort du souverain. Bien que la mosquée soit restée en activité jusqu’au début des années 1990, son existence a fait l’objet de nombreuses controverses.</p>
<p>Ayodhya est en effet une cité-Etat mythique : selon la légende, c’est là que se trouvait le royaume du dieu hindou Rama, qui serait né à l’emplacement exact de la mosquée. Un mythe étant par essence invérifiable, il n’existe aucune source historique attestant de la véracité de ces affirmations.</p>
<p>Toutefois, cela n’a jamais empêché la majorité hindoue de l’Inde moghole, dirigée par une minorité musulmane, de revendiquer cette croyance. Des découvertes archéologiques suggèrent que la mosquée a été érigée sur l’emplacement d’un temple.</p>
<h2>Un conflit vieux de 500 ans</h2>
<p>Pendant la domination moghole, de 1526 à 1857, cette usurpation du lieu de naissance de Rama suscitait déjà la désapprobation. Quand les Britanniques ont pris le pouvoir en Inde, en 1857, certains hindous se sont élevés contre cette occupation du site, qu’ils jugeaient illégale.</p>
<p>L’administration coloniale britannique, au fait des tensions autour d’Ayodhya, en a laissé l’accès partagé aux deux communautés, à l’image du mont du Temple à Jérusalem. Tout en autorisant les croyants musulmans à prier dans la mosquée, elle permettait aussi aux hindous de pratiquer le <em>puja</em>, une forme d’adoration rituelle, à l’extérieur du bâtiment.</p>
<p>Lorsque l’Inde a obtenu son indépendance, en 1947, beaucoup d’hindous radicaux ont exigé que le site soit rendu à leur communauté.</p>
<p>En 1949, deux ans après la partition du pays, des activistes hindous ont pénétré dans la mosquée pour placer des statues de Rama et de son épouse Sita dans la salle de prière principale. Jawaharlal Nehru, alors premier ministre, a réclamé le retrait des statues.</p>
<p>Pendant un temps, les prêtres hindous radicaux de la ville ont continué à effectuer des rites sacrés quotidiens sur le site. Cependant, suite à un procès intenté par des chefs religieux musulmans, la justice est intervenue et les portes de la mosquée ont été scellées, enfermant les statues à l’intérieur.</p>
<h2>Destruction sanglante de la mosquée</h2>
<p>Durant les décennies suivantes, hindous et musulmans ont fait plusieurs tentatives, par voie légale ou initiative populaire, pour se <a href="https://thewire.in/communalism/untold-story-rama-idol-surfaced-inside-babri-masjid">réapproprier la mosquée</a>, dont l’accès leur était désormais interdit.</p>
<p>Mais il a fallu attendre 25 ans pour que l’affaire remobilise la communauté hindoue. En 1984, l’organisation Vishwa Hindu Parishad (« Conseil hindou mondial ») a lancé une campagne nationale destinée à récolter le soutien du public pour sa demande d’accès à la mosquée.</p>
<p>Cette campagne a galvanisé les hindous extrémistes. Le 6 décembre 1992, une foule déchaînée a démoli la mosquée à coups de pioches et de marteaux.</p>
<p>Dans les mois qui ont suivi, une folie meurtrière s’est emparée des deux communautés, faisant plus de 2 000 victimes, en majorité musulmane. Certains observateurs estiment que la destruction de la mosquée de Babri par les hindous radicaux constitue un <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2010-4-page-147.htm">tournant décisif</a> pour les relations entre hindous et musulmans dans l’Inde contemporaine.</p>
<p>L’Inde étant une démocratie, la justice est de nouveau intervenue et le périmètre du site a été bouclé.</p>
<p>Cet événement a donné du grain à moudre au Bharatiya Janata (BJP), parti nationaliste et religieux, qui a dès lors profité de l’événement pour faire de la construction d’un nouveau temple consacré à Rama l’une de <a href="https://in.reuters.com/article/india-election-hindu/bjps-hindu-allies-quietly-put-controversial-ayodhya-temple-plan-on-backburner-idINKCN1RF0VC">ses promesses de campagne</a>.</p>
<p>Près de trente ans plus tard, les nationalistes hindous continuent à réclamer la construction d’un nouveau temple sur le site. Cependant, les musulmans tiennent à rebâtir la mosquée à l’endroit exact où elle se trouvait avant d’être détruite.</p>
<h2>Tentative de médiation</h2>
<p>Le site a fait l’objet de plusieurs batailles juridiques. Pour les instances concernées, ce litige a toujours été teinté de mysticisme et de controverse. En 2011, compte tenu de la nature historique et légendaire des revendications des uns et des autres, le tribunal d’Allahabad, la plus haute cour de justice de la province, a décidé que le terrain litigieux serait divisé entre hindous, musulmans et une faction hindouiste établie à proximité.</p>
<p>Néanmoins, les principaux plaignants hindous et musulmans ont contesté le verdict et porté l’affaire devant la Cour suprême indienne, qui a été chargée de trouver une solution définitive au problème.</p>
<p>En mars 2019, la Cour suprême a nommé un comité de trois membres censés jouer le <a href="http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190308-inde-cour-supreme-nomination-mediateurs-dispute-ayodhya">rôle de médiateurs</a> : un juge musulman de la Cour suprême à la retraite, un avocat chevronné et un gourou hindou, suivi par de nombreux disciples. Cette méthode, certes peu orthodoxe, prouve que les représentants de la loi ont tout à fait conscience des enjeux affectifs du conflit.</p>
<p>L’objectif des médiateurs est d’apaiser les émotions et d’aboutir à un compromis afin de panser les blessures du passé. On attend d’eux qu’ils disent à qui doit revenir ce terrain d’un peu plus d’un hectare, avant les prochaines élections fédérales, fin mai.</p>
<p>Le parti radical hindou Shiv Sena, dont les militants sont connus pour leur goût de la provocation, n’est guère convaincu de l’utilité d’un processus de médiation. Pour sortir de l’impasse, il suggère que le gouvernement central « commence à faire construire le temple de Rama ».</p>
<p>En dépit de la médiation en cours, le litige d’Ayodhya n’a été que peu évoqué durant la campagne électorale. Pourtant, il serait faux de dire que le BJP du premier ministre Narendra Modi se désintéresse du problème.</p>
<p>Ayodhya reste le cheval de bataille des hindous radicaux. Dans son <em>Sankalp Patra</em> (programme électoral), le BJP se déclare résolu à « explorer toutes les possibilités relatives à la construction du temple de Rama à l’emplacement revendiqué ».</p>
<h2>Entre le marteau et l’enclume</h2>
<p>Le Ramjahmabhoomi, le site de la mosquée détruite, est un lieu imprégné d’émotions. Beaucoup d’hindous ne veulent pas y renoncer, car cela signifierait décevoir leur dieu-roi, Rama. Majoritaires, ils ont le sentiment que cet emplacement leur revient de droit.</p>
<p>Aux yeux de nombreux musulmans modérés, la sécurité de leur communauté en Inde est étroitement liée à ce litige chargé d’idéologie religieuse, et certains sont en faveur d’un règlement à l’amiable.</p>
<p>Toutefois, selon <a href="https://www.ndtv.com/india-news/early-resolution-of-ayodhya-will-benefit-country-minorities-commission-chief-syed-ghayorul-hasan-riz-1975808">Syed Ghayorul Hasan Rizvi</a>, le président de la commission nationale pour les minorités, « si la communauté musulmane est prête à renoncer à ses revendications sur la mosquée de Babri, ses chefs politiques ne le sont pas ».</p>
<p>Pour ces tenants de la ligne dure, renoncer volontairement à l’emplacement convoité risquerait d’être interprété comme un signe de soumission face à l’hégémonie de la majorité hindoue.</p>
<p>Frustré par l’absence d’avancée sur la question, le président de la Cour suprême a récemment lancé aux requérants d’un procès lié à l’affaire : « Vous ne laisserez jamais ce pays en paix. […] Il faut toujours que quelqu’un jette de l’huile sur le feu. »</p>
<p>Au lendemain des élections de mai, ce problème insoluble pourrait bien se transformer à nouveau en poudrière.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amalendu Misra a reçu des financements de la British Academy et de la Nuffield Foundation.</span></em></p>Le site d’Ayodhya revendiqué comme sacré et disputé à la fois par les hindous et les musulmans attise d’autant plus les tensions durant les élections.Amalendu Misra, Senior Lecturer, Department: Politics, Philosophy and Religion, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1071052018-11-21T20:49:37Z2018-11-21T20:49:37ZAu cœur d’un ghetto musulman dans l’Inde de Narendra Modi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/246436/original/file-20181120-161638-1sp3upq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C2994&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Juhapura, quartier d'Ahmedabad né des violences anti-musulmanes dans l'ouest de l'Inde.</span> <span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le printemps 2014, l’Inde, mosaïque de groupes religieux et troisième pays musulman du monde – soit environ 170 millions de personnes pour un total d’un peu plus de 1,2 milliard d’habitants juste après l’Indonésie et le Pakistan – est dirigée par Narendra Modi, nationaliste hindou « dur », ayant fait ses classes au sein du RSS, <a href="https://books.google.fr/books?id=b8k4rEPvq_8C&pg=PA264&redir_esc=y&hl=fr#v=onepage&q&f=false">groupe nationaliste hindou de droite et paramilitaire</a>. Cet homme politique était auparavant connu comme le ministre en chef à la tête du Gujarat. Cet état du nord-ouest du pays, où vivent environ <a href="http://censusindia.gov.in/">60 millions d’habitants</a>, a été relativement épargné par les émeutes intercommunautaires au cours de la Partition (1947). Mais en 2002, le Gujarat connaît de sanglants pogroms anti-musulmans, c’est-à-dire des attaques dont les victimes ont été, à quelques exceptions près, exclusivement musulmanes.</p>
<p>À travers son ouvrage, <a href="http://www.karthala.com/terres-et-gens-dislam/3259-pogroms-et-guetto-les-musulmans-dans-l-inde-contemporaine-9782811125240.html"><em>Pogroms et ghetto. Les musulmans dans l’Inde contemporaine</em></a> (Karthala, 2018) Charlotte Thomas plonge le lecteur dans Juhapura, quartier d’Ahmedabad né des violences anti-musulmanes. Ce faisant, elle donne chair au nationalisme hindou dont Narendra Modi s’affirme l’ardent défenseur. […]</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.karthala.com/terres-et-gens-dislam/3259-pogroms-et-guetto-les-musulmans-dans-l-inde-contemporaine-9782811125240.html">Karthala</a></span>
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</figure>
<p>La vie de ghetto […] donne sens aux nombreux actes de lynchages publics régulièrement conduits depuis 2015 par des brigades de nationalistes contre des musulmans accusés de consommer de la viande de bœuf ; attaques meurtrières la plupart du temps, mais accueillies dans le silence assourdissant du premier ministre. Au final, regarder Juhapura, c’est regarder l’Inde de Narendra Modi. Extraits modifiés pour The Conversation avec l’accord de l’autrice.</p>
<hr>
<p>En février 2009, je découvrais pour la première fois cette ville qui allait devenir un peu la mienne, pour y documenter l’action de quelques organisations islamiques. Elles intervenaient auprès des victimes de la plus importante attaque anti-musulmans qu’ait connue la République indienne. <a href="https://www.hrw.org/reports/2002/india/">Sept ans auparavant</a>, 2 000 Gujaratis musulmans avaient été tués et 150 000 autres avaient dû abandonner définitivement leur logement, chassés par les attaquants. Ils étaient ainsi devenus des déplacés internes dans leur pays.</p>
<p>Les violences à l’encontre des musulmans avaient débuté le 27 février et avaient duré près de six mois. Leur intensité a été variable, tant en ce qui concerne la durée que la localisation. Ainsi, les attaques les plus meurtrières se sont déroulées lors des trois premiers jours, soit les 27 et 28 février, ainsi que le 1<sup>er</sup> mars.</p>
<p>Les assauts n’ont épargné aucun territoire du Gujarat, mais certains ont été plus touchés que d’autres. En l’espèce, l’épicentre des violences a été Ahmedabad. Cette ville, qui comptait 4,5 millions d’habitants en 2001, dont plus de 80 % d’hindous et près de <a href="http://censusindia.gov.in">14 % de musulmans</a>, est la plus peuplée du Gujarat, devant la capitale politique, Gandhinagar.</p>
<h2>Pogroms</h2>
<p>En 2002, Ahmedabad a enregistré <a href="http://www.sacw.net/Gujarat2002/sahmatreport032002.html">plus de mille victimes</a>, avec des évènements de violence de très forte intensité tels que les massacres de Gulberg et de Naroda Patya, du nom des deux quartiers résidentiels musulmans où ils ont eu lieu. Concernant les destructions matérielles, le magazine anglophone <em>The Week</em> <a href="https://books.google.fr/books?id=VchMadXy1fkC&pg=PA22&lpg=PA22&dq=Anosh+Malekar,+%C2%AB+Silence+of+the+Lambs+%C2%BB,+The+Week&source=bl&ots=DNYJGDEYle&sig=AaxhWCFdF0GSd8ywE_YUZ1yw8BE&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjVj9n-7-LeAhWqy4UKHas6CrAQ6AEwCHoECAcQAQ#v=onepage&q=Anosh%20Malekar%2C%20%C2%AB%20Silence%20of%20the%20Lambs%20%C2%BB%2C%20The%20Week&f=false">rapporte</a> que 1 679 habitations, 1 965 magasins et 21 entrepôts ont été incendiés, 204 magasins mis à sac et 76 tombeaux démolis à Ahmedabad.</p>
<p>Présentés comme des explosions spontanées de violences, les évènements de 2002 s’inscrivent en réalité dans une trajectoire beaucoup plus longue. En effet, alors qu’il avait été relativement épargné par les massacres entre hindous et musulmans liés à la Partition, à partir des années 1960, le Gujarat devient le « laboratoire de l’hindutva », « l’hindouïté ».</p>
<p>Cette idéologie repose sur la confusion entre hindouïté et indianité. De là découle une conception ethnicisée de la nation indienne selon laquelle seuls les hindous peuvent légitimement être indiens, étant donné leur ethnicité « hindoue » supposément commune. D’après cet imaginaire nationaliste, les hindous sont une communauté, c’est-à-dire un groupe qu’unissent des intérêts communs. Ils partagent une <a href="https://www.puf.com/content/Th%C3%A9ories_de_lethnicit%C3%A9">même ethnicité</a>, ce qui englobe pour eux des caractères raciaux dépassant la stricte pratique religieuse, et l’Inde est leur territoire naturel.</p>
<p><a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100443010">Le nationalisme hindou</a> considère en revanche que les minorités musulmanes et chrétiennes sont adossées à d’autres États. Perçues comme une menace planant sur l’unité de la société hindoue, elles doivent quitter le sol indien, se convertir, ou prêter allégeance aux symboles identitaires hindous en confinant leurs pratiques religieuses à l’espace privé. […]</p>
<h2>Communautarisation</h2>
<p>Cette communautarisation de la société se traduit concrètement par la multi- plication des émeutes opposant hindous et musulmans, et la redistribution de l’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/001946468602300406">espace urbain selon des clivages ethniques</a>. Depuis 1969, ces dynamiques sont particulièrement à l’œuvre à Ahmedabad, où la répétition d’émeutes intercommunautaires d’envergure a conduit les analystes à qualifier la ville de <a href="http://samaj.revues.org/3285">« propice aux émeutes »</a> et d’« endroit en [Inde] le <a href="https://catalogue.nla.gov.au/Record/3035797">plus sensible en termes de violence intercommunautaire</a> ». Ahmedabad est désormais considérée comme une <a href="https://books.google.fr/books?id=ivMAUx6Hdl8C&hl=fr&source=gbs_book_other_versions">« ville divisée »</a> entre hindous et musulmans.</p>
<p>Les violences de 2002 s’inscrivent dans le cadre de ce dispositif de domination, en même temps qu’elles en sont le produit. […] L’étude ethnographique menée de 2009 à 2014 a montré que la principale conséquence de 2002 a été la formation d’un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/modern-asian-studies/article/violence-reconstruction-and-islamic-reformstories-from-the-muslim-ghetto1/95F6D0D7F752BA5C4C34DF98685F8460">véritable ghetto musulman</a> dans la localité de Juhapura située à la périphérie sud d’Ahmedabad. […]</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte localisant le quartier de Juhapura dans la ville d’Ahmedabad, la plus peuplée de l’état du Gujarat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas/Atelier de cartographie de Sciences Po-FNSP</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un espace protecteur contre les violences</h2>
<p>Au cœur des violences, Juhapura apparaît déjà comme un espace protecteur. Cette perception amorce ainsi l’évolution en ghetto, même si, en 2002, la localité n’est encore qu’un quartier musulman plutôt pauvre : la population y est homogène, tant sur le plan ethnique que sur le plan économique puisque très peu de castes supérieures y vivent.</p>
<p>Cette homogénéité ethnique est gage de sécurité pour les musulmans : ils s’y réfugient pour échapper aux attaquants. Si Ahmedabad est synonyme d’insécurité, Juhapura, au contraire, implique la sécurité : y demeurer permet d’éviter les lieux perçus comme insécurisants. Commence donc à se mettre en place une nouvelle mise en ordre du monde, dans laquelle les espaces hindous sont à éviter tandis que ceux musulmans sont à rechercher. Qu’ils y habitent ou pas, beaucoup de musulmans se réfugient à Juhapura. Certains qui y vivaient déjà racontent comment ils sont restés « enfermés » dans le quartier. D’autres qui n’y habitaient pas, ou pas encore, sont venus y chercher la sécurité.</p>
<p>Ameer [45 ans, avocat, autre] réside depuis 2007 dans une poche musulmane de la Western City, mais en 2002 il vivait encore à Juhapura. Il revient sur sa propre expérience :</p>
<blockquote>
<p>« À ce moment j’étais à Juhapura, donc j’étais en sécurité ; pendant près d’un mois […] j’ai préféré ne pas sortir du quartier ; j’essayais de contacter mes amis, mais je ne voulais pas aller ailleurs [qu’à Juhapura]. »</p>
</blockquote>
<p>La dimension protectrice offerte par Juhapura est également prégnante dans les propos d’Isar [55 ans, retraité, 1973] :</p>
<blockquote>
<p>« À ce moment-là, nous étions effrayés à l’idée de sortir ; nous sommes restés là, pour protéger nos voisins, notre maison, nous ne pouvions pas bouger. » […]</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Se met en place une nouvelle mise en ordre du monde, dans laquelle les espaces hindous sont à éviter tandis que ceux musulmans sont à rechercher.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Impossibles ailleurs</h2>
<p>La perception d’une impossibilité à s’installer ailleurs est un élément récurrent dans les témoignages des habitants de Juhapura que j’ai recueillis au cours des enquêtes de terrain.</p>
<p>Shahab [60 ans, journaliste, 2007] :</p>
<blockquote>
<p>« En raison de la communautarisation, le fossé s’accroît entre hindous et musulmans ; les musulmans n’ont plus d’autres choix que de vivre dans des zones majoritairement musulmanes. Il y a deux raisons à cela : les musulmans ne sont pas autorisés à acheter dans les zones hindoues – dans les zones chrétiennes, si. Ils ne nous donnent pas de logement ; et si j’insiste et décide de rester malgré tout, alors je mets en danger ma sécurité, ma vie […] À Juhapura, nous nous sentons en sécurité donc il n’y a pas d’autre choix. Si nous avions l’opportunité d’être dans une résidence hindoue, si nous pouvions y acheter des propriétés, construire des mosquées, etc. nous préférerions vivre dans des zones mixtes, pour la compréhension mutuelle et la mixité de la population ; en plus, ça aiderait les musulmans à améliorer leur situation économique, car les hindous sont plus riches que les musulmans ; et avec plus d’espace, on peut accroître les opportunités : pour le business, sur le plan psychologique… La ghettoïsation est là à cause de la peur, c’est une tendance très dangereuse. » […]</p>
</blockquote>
<p>Qu’elle soit perçue ou réelle, la contrainte d’installation aboutit à un fait social : la formation d’un ghetto musulman. En outre, si le degré de contrainte s’est peut-être adouci avec le temps, lors de la formation du ghetto elle répond à un véritable objectif sécuritaire. […]</p>
<h2>Logiques de dominations</h2>
<p>Si Juhapura est un dispositif de domination appliqué à l’ensemble des musulmans d’Ahmedabad, deux développements invitent à déceler la domination à l’intérieur du ghetto. Les logiques de domination ne sont donc pas strictement exogènes à Juhapura, mais sont aussi produites par les habitants eux-mêmes. Tout d’abord, l’importance nouvelle accordée à l’éducation des filles et l’assouplissement timide, mais réel, de la tutelle masculine mettent en exergue la variable de genre. Ces changements soulignent que le genre est une contrainte qui renforce la domination vécue quotidiennement par les habitantes du ghetto. De même, l’attitude des castes supérieures [musulmanes] à l’égard de [leurs coreligionnaires] plus défavorisés reproduit, sur une communauté vivant dans le ghetto, la mise à l’écart sociospatiale dont pâtit l’ensemble de la minorité.</p>
<p>Par ailleurs, un glissement est en train de s’opérer. Juhapura demeure un ghetto, mais les discours de fierté ainsi que les opportunités économiques dont est désormais porteur le ghetto questionnent le degré de contrainte présidant dorénavant à l’installation des habitants. Au regard de ces dispositions renouvelées, s’installer à Juhapura n’est-il pas devenu une ressource ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Nous préférerions vivre dans des zones mixtes, pour la compréhension mutuelle et la mixité de la population » Shahab, journaliste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Le monde de Narendra Modi</h2>
<p>D’un point de vue plus global, l’exploration de l’Inde de Narendra Modi par le prisme de la situation des musulmans de Juhapura soulève des interrogations majeures. La brutalisation qui s’abat sur eux, ainsi que sur les dalits (nom usuel des « intouchables ») et les basses castes, et leur mise à l’écart sociospatiale symbolisée par le ghetto vont-elles être dupliquées à l’échelle nationale ?</p>
<p>Autrement dit, le ghetto de Juhapura est-il un « modèle » de gouvernance que le Premier ministre pourrait être amené à généraliser concernant l’administration des minorités ? La perception d’être des « citoyens de seconde zone » va-t-elle se traduire en politiques publiques concrètes de la part des autorités ?</p>
<p>Ces questions sont de toute première importance, car elles ne concernent pas seulement les musulmans, ou même les minorités religieuses que compte le pays. Au-delà, c’est bien l’idée même de l’Inde séculariste telle qu’elle a été conçue par les pères fondateurs lors de l’Indépendance qui est en jeu. Par ailleurs, quels seront les effets à long terme de cette ethnicisation rampante de la démocratie indienne sur les jeunes générations de musulmans ?</p>
<p>Dans un pays peuplé par plus de 170 millions de musulmans et coincé entre le Bangladesh, d’une part, le Pakistan et l’Afghanistan, d’autre part, la réponse à cette question engage la sécurité nationale, régionale et internationale.</p>
<hr>
<p><em>Charlotte Thomas <a href="http://iismm.ehess.fr/index.php?1856">présentera son ouvrage</a> « Pogroms et ghetto. Les musulmans dans l’Inde contemporaine » à la librairie Karthala le 30 novembre à partir de 18h, en partenariat avec les éditions Karthala & <a href="https://www.noria-research.com/fr/accueil/">Noria – Réseau de chercheurs en affaires internationales</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Thomas dirige le programme Asie du sud du réseau Noria - Réseau de chercheurs. Elle est actuellement Junior Visiting Fellow à l'IWM (Vienne).</span></em></p>Observer un ghetto musulman en Inde aujourd’hui donne sens aux nombreux actes de lynchages publics régulièrement conduits depuis 2015 par des brigades de nationalistes hindous. Bonnes feuilles.Charlotte Thomas, Post-doctorante sociologie politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/948712018-04-26T21:44:07Z2018-04-26T21:44:07ZYoga contre cancer, Internet millénaire : quand l’Inde nationaliste utilise l’histoire des sciences<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216336/original/file-20180425-175074-p5on78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C107%2C2008%2C1214&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Surya namaskar. Le yoga et sa pratique, désormais mondiale, fait régulièrement l'objet de récupération politique pseudo-scientifique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:A_yoga_namaste_Hindu_culture_religion_rites_rituals_sights.jpg">Michael Pravin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Internet aurait-il été en usage en Inde à l’époque décrite dans l’épopée du Mahabharata ? Soit plusieurs millénaires avant J.-C. C’est en tout cas la thèse que <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/Internet-existed-in-the-days-of-mahabharata-tripura-cm-biplab-deb/articleshow/63803490.cms">défend Biplab Deb (Bharatiya Janata Party, BJP, droite nationaliste hindoue)</a> le tout nouveau chef du gouvernement de l’État du Tripura, dans le nord-est de l’Inde.</p>
<p>La sortie de ce politicien, loin de prêter à sourire, remet au cœur du débat l’épineuse question de la politisation des sciences en Inde.</p>
<p>En Europe, l’occasion de réfléchir à ces questions nous a été donnée lors de l’exposition « Illuminating India ! » (l’Inde illuminatrice/Illuminations de l’Inde) qui <a href="https://www.sciencemuseum.org.uk/see-and-do/illuminating-india">a lieu au Musée des Sciences de Londres</a> (jusqu’au 22 avril). L’un des volets est ainsi consacré aux développements scientifiques et technologiques provenant d’Asie du Sud réinterprétées par la plasticienne <a href="http://www.chila-kumari-burman.co.uk/">Chila Kumari Burman</a>.</p>
<p>Que choisir dans la très longue et très riche histoire du sous-continent ? Et comment arbitrer lorsqu’assurément ce choix se prêterait à une interprétation politique ?</p>
<p>En effet, le premier ministre Narendra Modi a inauguré sa prise de fonction, sous l’égide du BJP, en faisant entre autres, des <a href="https://www.firstpost.com/india/forget-modern-research-prof-claims-hindu-epics-need-understand-ancient-world-2016451.html">déclarations tonitruantes</a> concernant les sciences indiennes, leur histoire et leur avenir. Il déclarait ainsi en 2014 que l’Inde ancienne pratiquait déjà la <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/oct/28/indian-prime-minister-genetic-science-existed-ancient-times.html">chirurgie esthétique de haut niveau</a> comme en témoignerait le corps du dieu Ganesha, à tête d’éléphant.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vente de statuettes de Ganesh. Selon le mythe, Ganesh, fils du couple divin Parvati et Shiva aurait été malencontreusement décapité par son père qui remplaça sa tête avec le premier animal venu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/45/Ganpati_Festival.jpg/1024px-Ganpati_Festival.jpg">Miteshbhodia/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Un illustre passé scientifique</h2>
<p>Ces affirmations intervenaient juste après le congrès scientifique annuel – <a href="http://www.sciencecongress.nic.in/">instauré dès 1914</a> – qui a pour objectif de présenter les derniers développements scientifiques du pays.</p>
<p>En 2015, le congrès inaugurait ainsi une toute nouvelle section dévolue « aux sciences anciennes connues au moyen du Sanskrit », objet de toutes les attentions officielles et de toutes les polémiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=960&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=960&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=960&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chariot céleste, le Pushpaka Vimana décrit dans l’épopée du Ramayana serait la preuve irréfutable que l’Inde maîtrisait l’aéronautique il y a plusieurs millénaires… (Rama’s Journey, ca.1650).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Vimana#/media/File:The_Celestial_Chariot_(6124515635).jpg">thesandiegomuseumofartcollection//Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>En effet, des papiers présentés par des politiques, des professeurs de sanskrit ou des ingénieurs indiens y furent présentés autour du yoga, de l’« architecture » – entendre ici le vastu-śāstra, le <a href="http://koyre.ehess.fr/index.php?2378">fengshui indien</a>) –, les couteaux chirurgicaux de l’ayurveda (<a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/286332/the-roots-of-ayurveda-by-various/9780140448245/">qui ont bien existé</a>) et… la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2015_Indian_Science_Congress_ancient_aircraft_controversy">« technologie du transport aérien dans les Vedas »</a>. Ces derniers étant les plus anciens textes qui nous sois parvenus du <a href="https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/une_histoire_de_la_langue_et_de_la_litterature_sanskrites_1.asp">sous-continent</a>.</p>
<p>Depuis, on peut encore trouver lors de ce congrès des papiers dévoués aux sciences et technologies anciennes mais dispersées dans des sections aux titres moins polémiques.</p>
<p>Or, au-delà de l’aspect excentrique, voire anecdotique qu’auraient pu prendre ces déclarations et présentations diverses, il ne faisait aucun doute pour les observateurs indiens que la démarche du nouveau gouvernement, celle de glorifier un illustre passé scientifique, avait une histoire, ancrée dans des revendications politiques, nationalistes hindoues.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"986499008590897152"}"></div></p>
<h2>Promouvoir une science « maison » alternative</h2>
<p>En effet, le but est clair : il s’agit de promouvoir une science et une technologie moderne mais alternative, au sens de non occidentale et non laïque. Il s’agit aussi d’affirmer- comme si affirmer suffisait à rendre réel – qu’il a existé dans l’Inde ancienne une manière de faire des sciences qui ferait encore sens pour nous aujourd’hui, et que cette manière de faire ne devrait rien à l’Occident et serait ancrée dans un cadre religieux, celui de l’hindouisme. Il s’agit alors de promouvoir les sciences « védiques » ou les technologies « de l’Inde ancienne » dans l’éducation comme dans la recherche.</p>
<p>Ainsi, au début de son mandat, Modi promettait de faire entrer les <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/india/11331533/Indias-next-gift-to-the-world-could-be-Vedic-mathematics.html">« mathématiques védiques » dans le cursus scolaire</a>. À présent, c’est un ministre délégué à l’éducation qui explique qu’il faut intégrer les sciences traditionnelles au programme, expliquant que celles-ci avaient, à coup de <em>mantras</em> (formules sacrées), énoncé avant Galilée et Newton la <a href="https://www.indiatimes.com/news/india/after-questioning-darwin-s-theory-minister-now-claims-mantras-codified-law-of-motion-not-newton-340543.html">loi de la gravitation ou du mouvement</a>.</p>
<p>Qu’est-ce, dans ce cadre, que les « sciences traditionnelles » ou « sciences védiques » ? L’usage ambivalent du terme « védique », ou de termes flous comme « traditionnel » ou « ancien » permet de faire référence ensemble aux tout débuts de l’histoire indienne et à un cadre religieux qui englobe l’hindouisme et le védisme. Par extension « védique », par exemple, en vient aussi à désigner tout ce qui concerne l’histoire de l’Asie du Sud d’avant l’Empire moghol ou la colonisation britannique.</p>
<h2>Yoga contre cancer</h2>
<p>Ce terme est aussi repris dans le discours tenu par les promoteurs de la méditation transcendentale (les apôtres, le plus souvent anglo-saxons du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maharishi_Mahesh_Yogi">Maharishi</a>, un guru indien ayant fait carrière aux États-Unis). Dans ce cadre, il s’agit de défendre l’idée qu’on peut faire de la science en pratiquant des exercices et une discipline relevant initialement plutôt du registre mystique : méditation, restriction des sens, pratique intensive de formes spécifiques de yoga, permettraient de faire des découvertes scientifiques fabuleuses. Ainsi le Maharishi lui-même défend l’idée et fait enseigner dans ses écoles que la physique quantique est énoncée dans les textes védiques, découverte faite <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1525/nr.2011.14.4.54">grâce à la méditation</a>. D’autres à sa suite, ont pu proclamer que le yoga pouvait guérir du <a href="http://naco.gov.in/pressrelease/baba-ramdev-claims-cure-hiv-yoga">virus du Sida</a> ou du <a href="http://www.hotyoganaples.com/class-descriptions-bikram-yoga/5-ways-use-bikram-yoga-reverse-cancer-dr-joel-brame/">cancer</a>.</p>
<p>La propagation de telles affirmations dans les milieux de la droite nationaliste indienne, a une histoire qu’on peut faire remonter à la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et au début du XX<sup>e</sup> siècle, lorsque le mouvement indépendantiste prend de l’essor, et qu’il s’agit d’imaginer un <a href="https://press.princeton.edu/titles/6705.html">futur scientifique et technique</a> pour une Inde indépendante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Narendra Modi a institué la journée internationale du yoga le 21 juin. Ici en 2016 parmi des pratiquants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/90/International_Day_of_Yoga_%2827886992330%29.jpg">International yoga day/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Cet imaginaire de nouvelles politiques économiques, éducatives et scientifiques va soulever de nombreuses questions aux militants du mouvement indépendantiste, notamment en ce qui concerne savoirs scientifiques et techniques.</p>
<p>Quelles connaissances y avait-il à l’époque ancienne dans le sous-continent indien ? Étaient-elles dignes d’intérêts scientifiques ? Peut-on ainsi établir des équivalences entre les « nouveaux savoirs » (transmis dans les écoles britanniques) et ceux traditionnels ? S’ajoutent des questions de pratique politique. Comment enseigner les mathématiques ? De quelle médecine promouvoir la pratique ?</p>
<p>Gandhi s’intéressait déjà à ces questions <a href="http://books.openedition.org/septentrion/13933">dans le cadre de ses théories de développement technique et économique</a> pour penser l’Inde du futur.</p>
<h2>Questions du XIX<sup>e</sup> siècle remises au goût du jour</h2>
<p>Certains tentent d’apporter des réponses. Comme proposer d’enseigner le calcul infinitésimal <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/031508609290003T">à partir de textes sanskrits du XIIᵉ siècle</a>)</p>
<p>Les intellectuels, professeurs, <em>pandits</em> qui publient sur ces sujets, ne sont pas alors forcement en rupture avec la tradition savante du sous-continent indien ; même quand ils font des plaidoiries promouvant les « nouvelles sciences ».</p>
<p>En effet, le sous-continent indien a reçu, absorbé (et aussi influencé) des savoirs qui <a href="https://archive.org/details/in.ernet.dli.2015.502083">venaient au-delà de ses frontières</a>). La culture savante a réfléchi, réorganisé, élargi ces définitions de ce qui faisait science, et <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.1086/670953">surtout à débattu à ce sujet</a>).</p>
<p>Reste que l’on peut se demander pourquoi et comment ces questions, brûlantes à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le sont encore aujourd’hui.</p>
<p>L’exposition au musée des sciences de Londres fait indirectement écho à ces questions : comment s’y prendre pour ne pas donner le sentiment d’être communautariste tout en faisant plaisir au gouvernement indien, célébrer ensemble les collaborations indo-britanniques mais aussi le savoir scientifique de l’Inde ancienne, et l’innovation indienne contemporaine ? En essayant de faire plaisir à tout le monde.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">D’après une datation au carbone, ce folio issu des 70 pages du manuscrit dit de Bakhshali daterait de 224-383 après J.-C. Il serait l’une des premières sources attestant l’usage du zéro (représenté par un point).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bodleian Libraries, University of Oxford</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En déambulant dans l’exposition « Illuminating India » (ce titre fait curieusement écho à la campagne du Bharatiya Janata Party de 2004 (<a href="http://www.rediff.com/money/2004/apr/02shining.htm"><em>India Shining</em></a>) on pourra y observer les objets ayant servi la campagne de <a href="http://www.jstor.org/stable/4403049">trigonométrisation de l’Inde</a> faite par les employés britanniques de la Compagnie Commerciale des Indes à l’aide d’informateurs indiens, les merveilleuses machines pour <a href="https://ieeexplore.ieee.org/stamp/stamp.jsp?arnumber=4906389">mesurer la poussée des plantes</a> faites par Jagadis Chandra Bose.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le savant bengali Jagadish Chandra Bose (1858-1937) démontrant l’existence d’un « système nerveux » chez les plantes à la Sorbonne en 1926.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Jagadish_Chandra_Bose_1926.jpg">Agence de presse Meurisse/BNF/Wikimedia</a></span>
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<p>Celui-ci est aussi connu pour son travail radio spolié par <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02564602.1998.11416773">Marconi</a>.</p>
<p>On pourra y voir l’un des plus vieux manuscrits connu du sous-continent indien, le manuscrit de Bakhshali, dont la date et la pertinence des zéros qu’il contient sont <a href="https://doi.org/10.18732/H2XT07">débattus</a>), un astrolabe moghol, des couveuses portatives à piles développées en Inde pour des villages sans hôpital, ou le premier processeur pour Intel développé aux États-Unis par l’<a href="https://www.businessinsider.in/Exclusive-The-Father-of-PentiumProcessor-Vinod-Dham-talks-about-Startups-and-where-India-is-headed/articleshow/50932473.cms">ingénieur Vinod Dham</a>.</p>
<p>Comment faire sens de cette énumération à la Prévert ? Quelles continuités y voir ? Que nous disent-elles du sous-continent indien ?</p>
<p>Afin de penser l’Inde et son avenir, qui repose pour une part sur l’innovation scientifique et technique, l’histoire est convoquée pour légitimer des points de vue ou penser des alternatives. En sortant de cette exposition, impossible de ne pas remarquer que le musée lui-même soulève exactement les mêmes questions, tout aussi politiques, concernant la Grande-Bretagne.</p>
<p>Ce sont en effet des questions de notre temps, nous y sommes tous confronté·e·s : et sans doute que la manière dont les nationalistes hindous font usage de l’histoire scientifique (avec une notion toute particulière de ce qu’est la vérité historique et scientifique) peut-elle en miroir nous rappeler que nous non plus n’échappons pas à une vision politisée des sciences et de leur histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Keller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La très riche et longue histoire des sciences du sous-continent indien fait l’objet d’une récupération politique par les franges les plus extrêmes du gouvernement Modi.Agathe Keller, Historienne des mathématiques, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/851462017-10-18T21:25:31Z2017-10-18T21:25:31ZEn Inde, contrôler la presse pour mieux contrôler la société<p>Deux jours avant les célébrations marquant le 71ème anniversaire de l'indépendance de l'Union indienne, les libéraux, intellectuels et citoyens progressistes du pays sont de nouveau en émoi. Umar Khalid, jeune militant et doctorant charismatique, très médiatisé pour ses prises de positions politiques (extrême-gauche) au sein de la prestigieuse université Jawaharlal Nehru University (JNU), a échappé de peu à une <a href="https://www.hindustantimes.com/delhi-news/jnu-student-umar-khalid-shot-at-in-new-delhi-unhurt/story-WK9lOrwpLjrvVozBfiusWJ.html">tentative d'assassinat</a> lors d'un rassemblement organisé par l'association «United against Hate».</p>
<p>Cet acte s'inscrit dans la continuité de nombreuses agressions portées contre des individus s'opposant par leurs actes ou leur parole au gouvernement de Narendra Modi (Bharatiya Janata Party, BJP).</p>
<p>Si universitaires, associations, militants politiques sont particulièrement inquiétés, la presse a subi de son côté un lourd bilan, Reporter Sans Frontières notant qu'en 2018 <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/inde-assassinats-et-harcelement-de-journalistes-inquietent-rsf_2022743.html">la situation s'est aggravée</a>. <a href="https://rsf.org/en/india">Selon l’organisation</a> la presse est ainsi sujette, en toute impunité, à la violence exacerbée de la part d’une frange de la droite nationaliste hindoue.</p>
<p>Septembre 2017 semble avoir marqué le début de l'hécatombe avec le meurtre de la <a href="https://thereel.scroll.in/852983/gauri-lankesh-documentary-she-approached-life-with-both-her-head-and-her-heart">journaliste Gauri Lankesh</a> abattue devant son domicile à Bangalore. <a href="https://indianexpress.com/article/india/gauri-lankesh-murder-case-vegetable-farmer-who-runs-dhaba-12th-to-be-arrested-5299864/">L'enquête a révélé en août 2018</a> que ses meurtriers sont des militants de l'extrême-droite indienne.</p>
<p>Deux autres journalistes <a href="https://scroll.in/article/849691/whoever-killed-gauri-lankesh-it-is-clear-that-india-continues-to-be-deadly-for-journalists">ont été assassinés le même mois</a>. De nombreux autres membres des médias continuent de souffrir d’attaques et menaces, physiques mais aussi symboliques, notamment grâce à <a href="https://scroll.in/article/825408/this-book-links-hate-and-violence-filled-right-wing-tweets-to-political-strategy-and-deep-planning">la propagation de trolls</a> sur Internet qui les harcèlent. </p>
<p>Les menaces proférées à l’encontre d’intellectuels, tels que <a href="https://thewire.in/176331/kancha-ilaiah-shepherd-police-complaint-threat-calls/">Kancha Ilaiah Shepherd</a>, un universitaire et militant – qui a récemment publié un ouvrage remettant en cause l’hégémonie des hautes castes dans le Telengana, au sud du pays – ont contribué à ce climat instable, soulignant non seulement l’incapacité du gouvernement à protéger ses citoyens, mais aussi pour ses détracteurs, sa part de responsabilité dans la prolifération de tels actes.</p>
<h2>Mutation politique inédite</h2>
<p>La société indienne vit une mutation politique inédite. Derrière un désordre et un chaos apparents, le pays est en voie de devenir une société de contrôle bien ordonnée où chaque citoyen deviendrait un élément de la nation hindoue, conforme au <a href="https://press.princeton.edu/titles/8560.html">projet de l’Hindutva</a>, ou hindouité, qui prône la suprématie hindoue sur le territoire.</p>
<p>Cette vision de l’Inde a nourri l’idéologie du BJP, actuellement au pouvoir ainsi que celle de Narendra Modi, élu premier ministre en 2014. Elle a été développée par le penseur et militant <a href="https://www.economist.com/news/christmas-specials/21636599-controversial-mentor-hindu-right-man-who-thought-gandhi-sissy">Vinayak Damodar Savarkar</a> dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Qu’est-ce qu’une société de contrôle et comment l’Hindutva en tire-t-elle profit aujourd’hui ?</p>
<p><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Pourparlers_(1972_1990)%C2%A0-2023-1-1-0-1.html">Ce concept développé par le philosophe Gilles Deleuze</a> permet d’appréhender ces transformations. Alors que les sociétés de discipline que nous avons connues au début du XX<sup>e</sup> siècle fondaient leur pouvoir sur l’organisation <a href="https://methodos.revues.org/2941">des lieux d’enfermement</a>, la société de contrôle recadre constamment l’individu pour qu’il corresponde à ce que le pouvoir attend de lui.</p>
<p>Dans cette optique, la démonétisation que l’Inde a connue <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/11/12/en-inde-la-demonetisation-des-billets-provoque-d-immenses-files-d-attente-dans-les-banques_5030084_3216.html">à la fin de l’année 2016</a> a été un coup de maître. Le gouvernement a en effet supprimé les plus grosses coupures de la circulation, contraignant les citoyens à limiter l’utilisation de liquidités. Avec plus de 20 millions de comptes ouverts dans les jours qui ont suivi sa mise en place, nécessitant de s'identifier <a href="https://www.humanite.fr/inde-la-population-de-plus-en-plus-fichee-636179">à travers un nouveau processus</a>, le gouvernement a désormais pu quantifier et avoir accès à tout un pan de la population <a href="http://www.hindustantimes.com/india-news/over-2-crore-jan-dhan-accounts-opened-since-nov-8-demonetisation-move/story-4Xv6cqkSSzHs57W0jG0jSK.html">qui lui échappait</a>.</p>
<p>Ce type de stratégie a été accompagné d’une entreprise de contrôle de la presse commencée dès l’accession au pouvoir de Modi. Elle s’appuie sur des méthodes anciennes consistant à entretenir la peur afin d’empêcher toute critique publique des actions et de l’idéologie gouvernementales.</p>
<p>Ce contrôle de la presse qui met en danger la liberté de la presse s’articule autour de trois axes : les assassinats de journalistes ou les violences physiques à leur égard, l’intimidation de masse par les médias électroniques et le système légal.</p>
<h2>Un métier fatal</h2>
<p>Selon un rapport du CPJ (Committee to Protect Journalists), 41 journalistes ont été tués en Inde <a href="https://cpj.org/asia/india">au cours des 25 dernières années</a> et ce, en raison de leur activité. La moitié d’entre eux ont trouvé la mort en enquêtant sur des sujets qui touchaient à la politique ou à des personnages politiques ou simplement en exprimant des opinions. Depuis 1992, l’Inde a le triste privilège de figurer parmi les 10 pays les plus dangereux pour les journalistes. La quasi-totalité de ces crimes reste impunie.</p>
<p>Les assassinats de <a href="http://www.thehindu.com/opinion/editorial/death-of-an-activist/article19631653.ece">Gauri Lankesh</a>, de <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/sep/21/shantanu-bhowmick-reporter-beaten-to-death-india-agartala">Shantanu Bhomwick</a>, tué au cours d’affrontements entre deux partis à Tripura (nord-est indien) pour une chaîne de télévision locale, et de K.J. Singh poignardé <a href="http://www.hindustantimes.com/punjab/mohali-double-murder-journalist-kj-singh-knew-killers-was-stabbed-15-times-says-police/story-AG5hbRyfnTkJoJQwC4kHkL.html">dans son appartement à Bombay</a> ne sont malheureusement que l’expression la plus « spectaculaire » des violences l’égard de la presse de ces dernières semaines.</p>
<p>Il faudrait y ajouter les brutalités policières contre des journalistes au cours de <a href="http://indiatoday.intoday.in/story/students-journalists-injured-in-violence-in-bhu-campus/1/1055176.html">manifestations à Bénarès</a>, ou l’attaque d’une succursale de la chaîne Asianet au Kerala après la diffusion <a href="http://www.firstpost.com/india/kerala-asianet-tv-office-attacked-following-reports-alleging-land-encroachment-by-transport-minister-thomas-chandy-4065379.html*">d’un reportage incriminant</a> un ministre de cet État.</p>
<p>De plus, le gouvernement fait preuve d’une certaine réticence lorsqu’il s’agit de condamner publiquement l’assassinat de journalistes connus pour mettre en cause le pouvoir actuel, les organisations idéologiques qui lui sont affiliées ou encore ses soutiens financiers. En 2016, le politicien Amit Malviya, en charge de la communication et nouveaux médias pour le BJP, avait même pris parti et approuvé la procédure en diffamation existant contre Gauri Lankesh.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"803550880754647040"}"></div></p>
<p>La carte de la diffamation est en effet devenue un outil clef, réapproprié par le BJP contre tous ceux qui dénoncent ses agissements. Le site The Wire, média republieur de The Conversation, a récemment révélé comment l’accession au pouvoir du BJP aurait profité directement à Jay Shah, homme d’affaires et fils du chef de ce parti. <a href="https://thewire.in/186469/bjp-lost-moral-high-ground-reacting-way-wire-story-jay-amit-shah-says-yashwant/">Shah a été soutenu à divers degrés</a> dans sa plainte contre le journal par le parti au pouvoir.</p>
<p>Le battage public autour des meurtres, le doute qui plane <a href="http://www.thehoot.org/free-speech/media-freedom/india-2016-17-the-silencing-of-journalists-10070">quant à leurs motifs et leurs commanditaires</a> enseigne ainsi qu’on ne s’attaque pas impunément au régime politique.</p>
<h2>Une armée de trolls</h2>
<p>Par ailleurs, les médias et intellectuels critiques du gouvernement doivent faire face à une armée de trolls, dont certains sont employés <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/dec/27/india-bjp-party-ordering-online-abuse-opponents-actors-modi-claims-book">par le BJP</a>, semant la terreur sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Les <a href="http://www.firstpost.com/india/bjps-affair-with-Twitter-trolls-narendra-modi-may-call-for-restraint-but-party-can-never-distance-itself-from-online-bullies-4018791.html">menaces proférées</a> font explicitement référence aux assassinats de journalistes ou d’intellectuels, avertissant ceux qui ont exprimé une opinion jugée dérangeante ou offensante qu’ils subiront le même sort que leurs confrères.</p>
<p>Fin septembre, le compte WhatsApp d’une journaliste du quotidien régional en ligne <a href="http://www.covaipost.com/coimbatore/girls-in-puberty-stage-paraded-half-naked-offered-to-deity-for-a-fortnight"><em>The Covai Post</em></a> a ainsi été saturé de messages très agressifs suite à la publication d’un article critiquant une cérémonie religieuse hindoue au cours de laquelle des jeunes filles prépubères défilent torses nus.</p>
<p>Cette méthode de harcèlement sur Internet se généralise et, s’il est difficile de retrouver les auteurs, il est impossible d’évaluer le risque de passage à l’acte. Gauri Lankesh avait, elle aussi, <a href="https://m.dailyhunt.in/news/india/english/asianet+newsable-epaper-asnewsab/gauri+lankesh+murder+we+will+kill+you+journalist+had+received+death+threat+a+month+ago-newsid-72829302">été menacée</a> sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.ft.com/content/6dd90462-e3bd-11e6-8405-9e5580d6e5fb"><em>I Am a Troll</em></a>, paru en 2015, la journaliste Swati Chaturvedi décrivait déjà la manière dont des campagnes de dénigrement et d’intimidation étaient organisées (notamment par le BJP) sur les médias électroniques.</p>
<p><a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-india-41549756">On a d’ailleurs reproché </a> à Narendra Modi, lui-même très actif sur Twitter, de suivre les comptes d'individus ayant exprimé leur satisfaction après l’assassinat de Gauri Lankesh. Même s’il n’est que virtuel, le lien ambigu entre le premier ministre et ces tweets extrémistes contribue à propager la terreur et pourrait servir son projet de contrôle.</p>
<h2>Journalistes « anti-nationaux »</h2>
<p>Si, malgré les menaces, les journalistes persistent à signer des articles critiquant le régime politique, le pouvoir dispose également d’arguments légaux pour les en dissuader.</p>
<p>En effet, le gouvernement a remis au goût du jour en 2014 une loi antisédition datant de 1870 imaginée par le pouvoir colonial et qui punit toute activité jugée <a href="http://indiatoday.intoday.in/education/story/indian-sedition-law/1/597316.html">« anti-nationale »</a>. Cette réactualisation d’une loi oubliée a placé chaque journaliste sous une épée de Damoclès. Dans quelle mesure un discours est-il antinational ? De nos jours, il semblerait que tout discours hostile à Modi et son entourage, peut être <a href="https://thediplomat.com/2016/02/modis-new-mantra-if-youre-not-with-me-youre-anti-national">qualifié ainsi</a>.</p>
<p>D’autre part, une loi criminalisant la <a href="http://www.livemint.com/Politics/cFDpysfoouEMLlJbmm9BeJ/SC-to-rule-on-criminal-defamation-cases-today-politicians.html">diffamation votée en 2015</a> permet désormais à quiconque se considérant diffamé de poursuivre un journaliste en justice pénale.</p>
<p>En Inde, les politiciens usent et abusent de cette loi pour empêcher la publication d’articles qui ne leur seraient pas favorables. Durant <a href="http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/mafia-de-lintolerance-versus-pollution-culturelle-les-artistes-indiens-et-le-gouvernement-nationaliste-hindou">mes enquêtes</a>, j’ai ainsi appris que de nombreux rédacteurs en chef passent une à deux journées par semaine à défendre leurs employés poursuivis pour diffamation publique.</p>
<p>Par ailleurs, une bonne partie des grands groupes de presse <a href="http://www.cjfe.org/indias_free_press_problem">appartient à des industriels proches</a> du pouvoir ou financés par la publicité de ces mêmes industriels.</p>
<p>Les journaux et magazines subissent donc très régulièrement des pressions. Le vénérable <em>Times of India</em> a ainsi <a href="https://thewire.in/181157/times-of-india-vasundhara-raje-bjp-narendra-modi-press-censorship">retiré précipitamment de son site</a> au bout de quelques jours un article daté du 14 septembre qui faisait état des mauvais résultats de la politique agricole du gouvernement.</p>
<p>Ce régime de terreur pousse de plus en plus de journalistes et d’intellectuels à l’autocensure, étape ultime d’une société de contrôle où les citoyens se recadrent eux-mêmes car ils ont intériorisé les risques de toute transgression.</p>
<p>En 2015, pendant des manifestations condamnant <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-india-34105187">le meurtre de l'universitaire M.M Kalburgi</a>, Mahesh Sharma, le ministre de la Culture, <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-india-34105187">commentait déjà, et sans crainte de rappel à l’ordre du gouvernement,</a> que si les intellectuels « avaient du mal à écrire dans un pays aussi intolérant, et dangereux pour la liberté d’expression, [ils] n’avaient qu’à cesser d’écrire ».</p>
<p>À la lumière des derniers évènements, ce « conseil » prend une dimension effrayante. Il révèle comment la plus grande démocratie du monde est en train d’orchestrer un contrôle sans précédent sur sa population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascal Sieger a reçu des financements de l'EHESS (bourses de recherche universitaire). </span></em></p>La société indienne vit une mutation politique inédite, où, au-delà des atteintes sur la liberté de la presse, certaines forces politiques dominantes cherchent à contrôler le citoyen.Pascal Sieger, doctorant en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.