tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/entreprises-a-mission-50865/articlesentreprises à mission – The Conversation2023-09-27T20:14:32Ztag:theconversation.com,2011:article/2090872023-09-27T20:14:32Z2023-09-27T20:14:32ZPeut-on imposer l’autonomie aux salariés d’une entreprise ?<p>« L’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits ». C’est uniquement comme cela, si l’on en croit <a href="https://www.nytimes.com/1970/09/13/archives/a-friedman-doctrine-the-social-responsibility-of-business-is-to.html">ce que disait Milton Friedman en 1970</a>, six ans avant qu’il ne reçoive le <a href="https://theconversation.com/topics/prix-nobel-20616">Nobel d’économie</a>, que l’on pourra atteindre l’optimum social que dessine la <a href="https://theconversation.com/topics/neoliberalisme-64628">philosophie politique néo-libérale</a>. Ce n’est pas aux firmes de se soucier de l’intérêt général.</p>
<p>Au tournant des années 1970 se développe aussi une <a href="https://theconversation.com/mener-une-politique-rse-ne-serait-ce-pas-avant-tout-se-comporter-en-bon-voisin-206879">autre pensée</a>, celle du <a href="https://lafabrique.fr/la-societe-ingouvernable/">managérialisme éthique</a>, dans la lignée d’auteurs comme <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/la-responsabilite-sociale-de-l-entreprise--9782130626640-page-7.htm?contenu=resume">Howard Bowen</a>. Puisque les managers ne sont pas actionnaires, pourquoi auraient-ils intérêt à maximiser le profit ? Pour Bowen, c’est bien dans la mesure où ils ne gèrent pas les entreprises pour elles-mêmes qu’ils sont fondés à le faire. Cela leur permet notamment de prendre en charge le bien-être social.</p>
<p>Les décideurs publics, notamment Ronald Reagan insisteront davantage dans la voie néolibérale dessinée par <a href="https://www.jstor.org/stable/1829527">Henry Manne</a>. En favorisant les OPA, ils pensent obliger les dirigeants à maximiser le profit, sans quoi ils seront sanctionnés en bourse par un changement de propriétaire qui leur coûtera leur emploi.</p>
<p>Une autre voie a été suivie par d’autres politiques depuis deux décennies, que nous avons nommée l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/05/il-est-temps-de-changer-en-profondeur-la-maniere-de-penser-le-perimetre-d-action-des-entreprises_5266016_3232.html">« entreprise-providence »</a> : favoriser les démarches de <a href="https://theconversation.com/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises (RSE)</a>, renforcer l’autonomie des salariés et leur bien-être dans la conduite des entreprises. L’entreprise serait alors le siège de la quête de l’intérêt général et de l’émancipation individuelle. Cette perspective aboutira en France à des propositions légales avec la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> de 2018, inspirée directement du rapport <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/demarches-ressources-documentaires/documentation-et-publications-officielles/rapports/article/rapport-l-entreprise-objet-d-interet-general">Notat-Sénard</a>, qui pousse les entreprises à inscrire dans leur statut une <a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-a-mission-50865">« raison d’être »</a> qui soit autre que la maximisation du profit.</p>
<p>L’ambition de cette philosophie n’est pas mince : il s’agit non seulement de dépasser l’idée que l’entreprise ne serait que gouvernée par des impératifs financiers, mais aussi l’idée que celle-ci est un lieu de conflits d’intérêts et de rapports de pouvoirs entre forces antagonistes. Une dimension politique de l’entreprise est ainsi assumée : une organisation a un impact politique. Mais celui-ci se voit aussi extériorisé : l’entreprise est nativement armée pour résoudre des problématiques sociales au-delà de son périmètre économique usuel.</p>
<h2>Injonctions à l’autonomie</h2>
<p>Parmi les intentions politiques de l’entreprise-providence on en trouvera une qui revêt un caractère paradoxal : dépasser des formes classiques de pouvoir, de contrôle ou de hiérarchie. Elle fut pendant un certain temps l’adage de ce que la communauté académique en sciences de gestion a appelé <a href="https://scholar.google.fr/scholar?q=2017+Revue+internationale+de+psychosociologie+et+de+gestion+des+comportements+organisationnels,+23(56),&hl=fr&as_sdt=0&as_vis=1&oi=scholart">l’entreprise libérée</a> qui serait tout à fait capable de décréter, encourager, initier et développer l’autonomie, voire même l’auto-organisation des collectifs subalternes.</p>
<p>Elle ne présente certes rien de nouveau (on l’observe déjà depuis des années dans les entreprises coopératives, par exemple) mais son expression contemporaine pose de nombreuses questions. Une organisation néo-libérale qui hérite de préceptes managériaux tayloristes, industriels et de formes de travail contrôlées peut-elle penser à son propre dépassement ? L’autonomie et l’auto-organisation peuvent-elle se décréter depuis les sphères de pouvoir de l’entreprise ou de l’actionnariat ? Et en retour : les salariés obéissent-ils à ces injonctions à l’autonomie ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Peu d’études se sont intéressées aux formes d’auto-organisation qui émergent spontanément dans des organisations qui promeuvent justement l’autonomie et la responsabilisation. C’est dans cette perspective que s’inscrivent nos <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-rimhe-2022-3-page-3.htm">récents travaux</a>. Notre enquête prend racine dans un grand groupe industriel français engagé depuis les années 2000 dans des réflexions managériales autour de la responsabilisation et de l’autonomie. Nous avons pu y observer des formes locales d’auto-organisation n’obéissant ni à une rationalité unique ni à une aspiration de construire un contre-pouvoir.</p>
<h2>« On va réfléchir collectivement »</h2>
<p>Un des premiers éléments qui ressort d’entretiens menés auprès d’un collectif d’assistants est la capacité des acteurs à s’emparer d’espaces d’autonomie non préalablement concédés. C’est dans le cadre du départ à la retraite de l’une des collaboratrices, que le collectif, pourtant relativement en retrait des injonctions de responsabilisation au sein du groupe, a pris l’initiative de s’auto-organiser. Une assistante détaille la genèse de ce mouvement :</p>
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<p>« Dans le cadre de réduction des coûts, on m’a annoncé qu’on n’allait pas remplacer ma collègue et que nous devrions donc faire ce qui était prévu pour trois à deux personnes. On a convoqué les trois dirigeants concernés et on a demandé : lesquelles de nos activités quotidiennes êtes-vous prêts à sacrifier ? ».</p>
</blockquote>
<p>Émerge ainsi d’une forme d’auto-organisation que nous pouvons qualifier de « conquise » et qui semble répondre aux besoins opérationnels de l’organisation de leur travail. Elle se manifeste notamment lorsqu’une décision vient de la hiérarchie. Si celle-ci ne semble pas optimale, les équipes vont l’accepter mais n’hésiteront pas à proposer une alternative qu’elles jugent plus adéquate :</p>
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<p>« Récemment, on était inquiets parce qu’on a senti qu’on allait subir une décision qui allait contre notre projet. Donc j’ai dit “pas de soucis” : l’entreprise a pris cette décision-là, on prend acte. En revanche, on va revenir avec une autre solution, mais on ne va pas tout de suite braquer l’entreprise en disant “on ne le fera pas”. On va réfléchir collectivement […]. Avant, on nous imposait des choses qui ne correspondaient pas avec notre vision du métier ; aujourd’hui, on n’a plus du tout la même vision, on devient acteur ».</p>
</blockquote>
<p>Il paraît en outre bien difficile de décider et contrôler le périmètre de l’autonomie. Nos entretiens auprès d’ouvriers d’un atelier de production témoignent par exemple de la capacité des salariés à réorganiser leur manière de travailler en vue de s’entraider, là où on les invitait à avancer individuellement. Si une personne est en avance dans son travail, elle va épauler son collègue en retard et contrecarrer ainsi les effets délétères d’une mise en concurrence entre opérateurs. Un salarié l’a remarqué :</p>
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<p>« Dans un groupe de 12-13 personnes qui font le même travail, il y en a forcément un qui est plus fort et plus rapide que l’autre. Même en donnant des primes individuelles, l’équipe essaie de faire en sorte que chacun touche sa prime. C’est ça qui m’a impressionné ».</p>
</blockquote>
<h2>« Arts de faire »</h2>
<p>Cela n’empêche pas l’entreprise, dans sa démarche affichée de responsabilisation, de donner des clés pour assurer le déploiement de l’autonomie. C’est dans ce cadre que les collectifs se réapproprient certains espaces d’autonomie, notamment ceux en lien direct avec leur activité opérationnelle.</p>
<blockquote>
<p>« C’est l’équipe qui décide ce qu’elle fait. En tout cas, elle se permet de proposer quelque chose. Le plan est établi par les collaborateurs et non pas par des responsables hiérarchiques. Après, on a le droit aussi de nous challenger, de nous souffler de bonnes idées. Ce n’est pas clandestin, c’est officiel ».</p>
</blockquote>
<p>Cette autonomie cognitive reconquise ouvre à de nouvelles formes de socialisation et d’agir collectif. À travers ces tactiques d’auto-organisation, il s’agit moins de « battre le système » que d’introduire des « arts de faire » en faisant perdurer un quotidien soutenable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un article de recherche montre que les formes d’auto-organisation tendent à émerger spontanément, quelles que soient les politiques de management retenues.Diego Landivar, Enseignant Chercheur en Economie, Directeur d'Origens Media Lab, ESC Clermont Business SchoolBrigitte Nivet, Enseignante chercheuse en Management des Ressources Humaines (Labo CleRMa et Cereq), ESC Clermont Business SchoolPhilippe Trouvé, Professeur en sociologie des entreprises et en Management des Ressources Humaines, ESC Clermont Business SchoolSophie Marmorat, Enseignante-chercheuse en comptabilité et en finance d’entreprise, ESC Clermont BS, labo CleRMa, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1579052021-03-29T17:32:17Z2021-03-29T17:32:17ZDanone, ou l’ultime paradoxe de la société « à mission »<p>Avec ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire « Danone », serions-nous en train de vivre le premier crash test du nouveau statut juridique de société « à mission » ? Rappelons que ce statut prévu par la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), entrée en vigueur mi-2019 et qui peut être présenté rapidement comme un moyen de se libérer de l’obsession de la création de valeur pour l’actionnaire, est d’abord conçu comme une « poison pill » (pilule empoisonnée) pour empêcher des prises de contrôle… hostiles.</p>
<p>Le paradoxe dans le cas de Danone – dont pourrait être symptomatique <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/15/danone-les-ferments-de-l-eviction-de-faber_6073176_3234.html">l’éviction du PDG</a> sous la pression de fonds activistes américains récemment entrés au capital et estimant les performances commerciales et financières ainsi que l’évolution du cours de bourse décevantes – réside dans le fait que ce statut d’entreprise à mission, vu comme une sorte de pilule du lendemain pour empêcher les rapports non désirés, pourrait bien accélérer des projets en germe depuis déjà longtemps.</p>
<h2>Une OPA manquée en 1968</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Antoine Riboud, fondateur et président de Danone (1918-2002).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://u.afp.com/UYGZ">Philippe Bouchon/AFP</a></span>
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<p>Pour bien comprendre l’affaire, rapide rappel sur l’histoire de Danone. Au milieu des années 1960, BSN (Boussois-Souchon-Neuvesel) n’est pas encore Danone. L’entreprise est spécialisée dans le verre d’emballage et le verre plat. <a href="https://www.lesechos.fr/2015/08/bsn-saint-gobain-lopa-qui-ebranla-le-capitalisme-francais-1107912">L’offre publique d’achat (OPA) lancée en décembre 1968</a> sur l’honorable et historique maison Saint-Gobain par Antoine Riboud fera grand bruit : c’est une première en France et le chiffre d’affaires du très respectable producteur de verre et matériaux est alors 7 fois plus important que celui de BSN !</p>
<p>L’objectif d’atteindre une taille critique mondiale dans l’emballage et le verre échoue avec l’OPA, mais la question de la taille critique restera un problème et un leitmotiv constant dans les activités et stratégies ultérieures du groupe.</p>
<p>Après cet échec, changement de pied avec une idée de génie : dans le développement de l’agroalimentaire d’alors, Antoine Riboud, président de BSN, pressent que le conditionnement va jouer un rôle déterminant. D’où l’idée d’associer au contenant, le verre et le plastique, le contenu. L’entreprise, à l’époque de sa plus large diversification en 1990 sous la conduite de ce même Antoine Riboud, constituera ainsi cinq branches – produits frais, épicerie et biscuiterie, brasserie, champagne et eaux minérales, emballage.</p>
<p>Le groupe n’était internationalisé qu’à hauteur d’un tiers, surtout en Europe, et gérait un important portefeuille de marques, articulant contenant-contenu. La gestion sociale se voulait « avant-gardiste » selon le fameux <a href="https://go-management.fr/wp-content/uploads/2016/07/Discours-dAntoine-Riboud-aux-Assises-nationales-du-CNPF-le-25-octobre-1972-%c3%a0-Marseille.pdf">double projet</a> économique et social lancé par le provocateur Antoine Riboud aux assises du Conseil national du patronat français (CNPF, devenu le Medef) à Marseille en 1972. La culture d’entreprise était centrée sur ce PDG charismatique, des processus organisationnels et des relations humaines fluides.</p>
<h2>Consolidation de l’entreprise</h2>
<p>Toujours proie potentielle d’une OPA en raison de son capital dispersé, le PDG de BSN mit en place la limitation des droits de vote, des « poison pills » imaginatives, comme les obligations à bons de souscription d’actions (OBSA), susceptibles d’être mobilisées en cas de tentative de prise de contrôle. L’entreprise s’est ainsi consolidée par une croissance organique poussée par une forte sensibilité aux besoins des marchés et une stratégie financière affectionnant l’autofinancement.</p>
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<p>En 1996, Franck Riboud est nommé PDG – désignation qui confirme alors la robustesse de la gouvernance mise en place par son père – et BSN puis Groupe Gervais-Danone devient en 2009 tout simplement… Danone. Sur la période, une stratégie assumée de positionnement sur les produits « sains » est menée à vive allure, qui conduit à se désengager du <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2005/07/05/avec-mumm-un-retour-au-premier-plan-en-champagne_669553_3234.html">champagne</a> dans les années 1990, de la <a href="https://www.lesechos.fr/2000/03/le-groupe-danone-se-desengage-de-la-biere-en-europe-740242">bière</a> (dont Kronenbourg) en 2000, puis de la <a href="https://www.lefigaro.fr/societes-francaises/2007/10/29/04010-20071029ARTFIG00197-danone-se-separe-des-biscuits-lu.php">biscuiterie</a> (notamment la marque Lu, jouissant pourtant d’une immense notoriété spontanée) en 2007.</p>
<p>Le changement de paradigme est radical. Le groupe adopte dès lors tous les atours du « style » stratégico-organisationnel, largement promu et valorisé par l’industrie financière : recentrage assumé sur le <em>core business</em> (cœur de métier) et développement de marques mondiales et globales ; cessions et désinvestissements (profitables à court terme) des activités jugées non stratégiques (si le groupe ne peut espérer y occuper une position de leader) ; extension géographique vers les marchés émergents (et notamment la Chine…) des deux activités phares : les produits laitiers frais et les eaux minérales.</p>
<p>Totalement focalisé depuis dix ans sur ce qui sera décrit plus tard comme sa « <a href="https://www.danone.com/fr/about-danone/sustainable-value-creation/our-mission.html">raison d’être</a> » (« apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre »), l’évolution stratégique se traduit sur le plan du financement : les rachats d’actions systématiques, en particulier, soutiennent le cours, et les dividendes sont réglés en numéraire.</p>
<p>Avec Emmanuel Faber, c’est d’ailleurs l’ancien directeur financier qui succède en 2014 à Franck Riboud à la direction générale, ce dernier restant quelque temps président avant que le premier ne cumule les deux fonctions… La complémentarité des deux hommes, aux compétences et aux personnalités très contrastées, offrait à n’en pas douter un potentiel supérieur. Emmanuel Faber, aujourd’hui évincé donc, est remplacé par Gilles Schnepp, l’ancien PDG du groupe industriel Legrand.</p>
<h2>L’attaque vient souvent « d’ailleurs »</h2>
<p>Ce bref « retour vers le futur » reste utile pour rappeler qu’un statut de société « à mission » ne signifie pas la poursuite d’un projet d’entreprise qui serait ainsi dégagé de la contrainte de maximisation de création de valeur pour l’actionnaire.</p>
<p>Assurément, quand on n’a d’autres choix pour maintenir son indépendance que de complaire aux attentes des marchés, une bonne vieille logique darwinienne s’applique : celle qui fait que les PDG jugés insuffisamment performants sont remplacés et/ou leurs entreprises prises d’assaut. De tels anciens groupes diversifiés puis recentrés deviennent en effet des proies potentielles particulièrement tentantes, puisque l’essentiel du travail de restructuration a été fait.</p>
<p>Restent alors les seules vraies questions qui comptent aujourd’hui pour l’avenir de Danone : l’entreprise peut-elle rester indépendante ? D’où viendraient les éventuels prédateurs et qui seraient-ils ? Le statut de société à mission paraît-il susceptible de la prémunir de leurs assauts ?</p>
<p>Il est bien sûr impossible de répondre à ce stade à ces trois questions, mais on peut déjà se risquer à verser quelques éléments au débat.</p>
<p>D’abord, l’indépendance du groupe est, aujourd’hui plus encore qu’hier, fragilisée pour les raisons que l’on sait (crise sanitaire, résultats inférieurs aux principaux concurrents, cours de bourse déprimés…) ; c’est d’ailleurs aussi la raison de l’éviction d’Emmanuel Faber. L’avenir dira si les « évolutions organisationnelles », avec le plan « <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/covid-danone-va-supprimer-jusqua-2000-postes-administratifs-dont-400-a-500-en-france-1267328">local first</a> » de restructuration et d’allégement, permettent ici de redresser durablement la barre. Élaboré sans doute pour donner des gages jugés insuffisants par certains actionnaires, ce plan pourrait bien être remisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369212541549879296"}"></div></p>
<p>Ensuite, les éventuels prédateurs ne se bornent pas aux champions les mieux installés du secteur (on se souvient des rumeurs de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoire-de-folles-rumeurs/histoire-de-folles-rumeurs-danone-rachetee-par-pepsi_3542535.html">rachat de Danone par PepsiCo</a>, il y a quinze ans). L’Union européenne joue en effet le rôle pointilleux plus que stratégique de gardien du temps du seul droit de la concurrence, rendant de fait difficile la constitution de champions européens capables de rivaliser avec des groupes soutenus, eux, par les puissances politiques nationales (Chine, États-Unis, etc.).</p>
<p>Le recentrage sur les cœurs de métier, pratiqué jusqu’ici avec zèle par les dirigeants du CAC 40, pourrait ainsi céder la place à de nouvelles diversifications que nombre de groupes étrangers (notamment asiatiques) ont d’ailleurs toujours conservées et qui consacrent le retour en force des conglomérats (le groupe Tata en Inde, par exemple). C’est pourquoi l’attaque vient souvent « d’ailleurs », ainsi que nous l’exposions dès 2002 dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-5-page-57.htm">article de la <em>Revue française de gestion</em></a> qui traitait précisément du cas Danone et qui résonne curieusement 20 ans après.</p>
<p>C’est précisément avec cette idée que la « mission », juridiquement opposable, a aussi été pensée comme arme de dissuasion. C’est sans doute ce qu’avait en tête le patron de Danone en 2020, lorsque le changement de statut juridique a été adopté.</p>
<p>Et c’est là qu’il convient de souligner un dernier point absent des très nombreux commentaires de l’« affaire Danone » : que se passerait-il si, en cas de tentative d’OPA, les missions de la proie comme du prédateur paraissaient soudainement compatibles ? On peut ici faire l’hypothèse que la mission pourrait alors agir comme une manière de provoquer un accouchement en gestation, ou à tout le moins un engendrement inédit rendu possible par les circonstances.</p>
<p>À la lumière de ces trois points, et avec la prudence qui s’impose, on rappellera que la stratégie d’entreprise est comme l’Histoire : intrinsèquement faite de paradoxes. Dans le cas présent, Gilles Schnepp, le nouveau président de Danone est également <a href="https://www.saint-gobain.com/fr/groupe/gouvernance/conseil-d-administration-et-comites">administrateur indépendant</a> de la compagnie de Saint-Gobain depuis 2009, et entre « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre » et « Making the world a better home » (« Faire du monde un meilleur foyer », la <a href="https://www.saint-gobain.com/fr/le-groupe/notre-raison-detre">raison d’être</a> de Saint-Gobain), les synergies de la « mission » et de la « raison » – surtout énoncées de manière aussi large ! – sont fortes.</p>
<p>Ouvriraient-elles alors la porte à l’une ironie de ces histoires de l’Histoire dont le capitalisme « à la française » a le secret, avec une possible « revanche » de Saint-Gobain cinq décennies plus tard ?</p>
<p>C’est en tout cas ce type d’hypothèse qu’invite à instruire la recherche en stratégie et management, par-delà les débats sans fin sur la « financiarisation » vs le « projet économique et social » ou l’incompatibilité par nature entre objectifs de court et de long terme. On notera que seul le regard de longue-vue, mais à hauteur des organisations – qui fait la singularité des sciences de gestion et du management, entendues sur ces thèmes comme une science morale et politique des temps présents – permet d’oser les esquisser, fût-ce de façon apparemment iconoclaste.</p>
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<p><em>Les auteurs remercient Laurent Faibis, président du l’institut d’études économiques privé <a href="https://www.xerfi.com/qui-sommes-nous">Xerfi</a>, rédacteur en chef de <a href="https://www.xerficanal.com">Xerfi Canal</a> et membre invité du conseil de rédaction de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a> (RFG) pour ses conseils et commentaires qui ont permis d’améliorer très sensiblement les versions antérieures de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Ce statut devait permettre au géant alimentaire de mieux se protéger d’une éventuelle OPA. Une stratégie qui semble s’être retournée contre Emmanuel Faber, récemment évincé de la présidence.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayAlain-Charles Martinet, Professeur émérite en Sciences de Gestion, Management stratégique, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1565442021-03-08T19:40:36Z2021-03-08T19:40:36ZDanone, une illustration des fragilités du statut d’entreprise à mission<p>Le dimanche 14 mars, le conseil d'administration du géant français de l’agroalimentaire Danone a acté <a href="https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/danone-change-de-patron-en-quete-de-meilleurs-profits-cab1faca7729dddeeb5ea3fc8827866e">l’éviction avec effet immédiat</a> de son PDG, Emmanuel Faber. Gilles Schnepp, ex-patron du fabricant de matériel électrique Legrand, lui succèdera à la présidence. Quand à la direction générale, elle sera assurée par le duo intérimaire en attendant de trouver un nouveau directeur général « d'envergure internationale ».</p>
<p>Cette décision, réclamée par des fonds activistes récemment entrés au capital qui reprochaient une trop faible performance du cours boursier, semble aujourd’hui révéler les fragilités du statut d’« entreprise à mission » dont Danone fut la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/danone-veut-devenir-la-premiere-entreprise-a-mission-cotee-en-bourse-20200520">première entreprise cotée à se doter</a>, en mai 2020.</p>
<p>Le cas Danone fait en effet ressortir les impasses et les angles morts de la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a>, promulguée en 2019, qui officialise ce statut d’entreprise à mission et prévoit que l’entreprise puisse également se doter d’une « raison d’être », validée en assemblée générale par les actionnaires.</p>
<p>Ces dispositifs permettent à une entreprise d’affirmer son engagement dans la poursuite d’objectifs qui ne sont pas exclusivement centrés sur une performance économique et financière et visent à répondre aux grands défis qui traversent nos sociétés (mobilité durable, transition alimentaire, énergie propre, etc.). Ils ouvrent la voie vers un capitalisme responsable.</p>
<h2>La menace des fonds activistes</h2>
<p>Comme l’ont très bien montré les chercheurs Rodolphe Durand, Mark Desjardine et Emilio Marti, les <a href="https://www.hec.edu/sites/default/files/2020-06/HEC%20Paris%20-%20les%20fonds%20sp%C3%A9culatifs%20activistes%20-%20Rodolphe%20DURAND.pdf">fonds spéculatifs activistes compromettent</a> la responsabilité sociale des entreprises. Ces fonds interprètent les engagements en faveur de la responsabilité sociale et du développement durable comme des dépenses inutiles qui se font au détriment d’une maximisation des bénéfices pour les actionnaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331826497225682944"}"></div></p>
<p>Les chercheurs montrent également qu’une entreprise cotée qui s’engage sur le chemin de la RSE a deux fois plus de chance d’être ciblée par un fonds activiste. Telle une proie sans défense, les fonds activistes se jettent sur l’entreprise responsable en demandant des changements de stratégie et de gouvernance.</p>
<p>C’est exactement ce qui vient d’arriver à Danone.</p>
<p>Il y a à peine trois mois, les fonds activistes qui ont poussé Emmanuel Faber vers la sortie étaient absents du capital de Danone. Ils n’étaient pas actionnaires. À l’approche de l’assemblée générale, ils sont progressivement montés dans le capital en mettant la pression sur le PDG et le conseil d’administration en mobilisant savamment la presse et les réseaux sociaux. Dans quelques mois, ils auront sans doute déserté pour se concentrer sur une nouvelle cible.</p>
<h2>Mieux protéger les entreprises à mission</h2>
<p>Le cas Danone confirme que, malgré la loi Pacte, certains actionnaires peuvent toujours grandement déstabiliser le projet de durabilité et compromettre les projets des dirigeants comme nous l’avions souligné dans un <a href="https://www.researchgate.net/publication/339028498_La_raison_d%27etre_de_l%27entreprise">essai</a> consacré à la raison d’être de l’entreprise. Trois propositions sont susceptibles de mieux protéger les entreprises à mission cotées.</p>
<p>Tout d’abord, abaisser les seuils de déclaration. Quand un actionnaire franchit un certain niveau dans le capital d’une entreprise cotée (5 % aujourd’hui), il doit faire une déclaration pour indiquer sa présence. Ce seuil doit être abaissé à 1,5 % pour que les dirigeants et le conseil d’administration prennent très tôt la mesure du danger qui les guette avec l’arrivée de fonds activistes.</p>
<p>La deuxième proposition consiste à rendre le droit de vote proportionnel au temps passé. Un fonds activiste présent dans le capital pour quelques semaines a actuellement les mêmes droits de vote qu’un actionnaire engagé depuis plusieurs années dans l’entreprise. On pourrait stipuler que les nouveaux actionnaires d’une entreprise à mission obtiendront la « citoyenneté actionnariale » au bout d’un certain temps. Dans le cas de Danone, les fonds, entrés en début d’année (et qui, étant donné leur mode de fonctionnement habituel, auront probablement déserté dans quelques mois), n’auraient ainsi pas pu contrarier les équipes de Danone dans la poursuite d’objectifs non financiers.</p>
<p>Il s’agit enfin de changer nos critères d’évaluation de la performance. Les ambitions d’une entreprise à mission doivent faire l’objet d’une évaluation d’ensemble avec d’autres indicateurs que le cours de bourse ou le rendement du capital, comme c’est le cas aujourd’hui. De nouvelles normes d’évaluations plus larges doivent s’imposer et en particulier de nouvelles <a href="https://www.cairn.info/comptabilite-financiere--9782100774968-page-288.html">normes comptables</a>.</p>
<h2>Un nouveau chapitre législatif ?</h2>
<p>Le cas Danone pointe certaines lacunes de la loi Pacte et un nouveau chapitre législatif doit s’ouvrir si nous ne voulons pas que les entreprises à mission et la raison d’être ne constituent la dernière ruse d’un capitalisme qui semble à bout de souffle.</p>
<p>Si nous m’aménageons pas la loi Pacte, il y a toutes les chances pour que Danone soit la première et la dernière entreprise cotée à mission.</p>
<p>En effet, cette loi a laissé en friche la question des droits et devoirs des actionnaires. Or, nous savons, comme le dit très justement le chercheur Pierre-Yves Gomez, qu’il ne peut pas y avoir d’entreprises responsables <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-8-page-369.htm">sans actionnaires responsables</a>.</p>
<p>L’ouverture d’une nouvelle réflexion législative devient donc urgente, d’autant plus que, comme le montre le <a href="https://www.entreprisesamission.com/2021/01/21/barometre-de-lobservatoire-des-societes-a-mission/">premier baromètre des entreprises à mission</a>, on observe un réel engouement pour cette nouvelle conception de l’entreprise. Les enjeux de « citoyenneté actionnariale » devraient donc devenir de plus en plus essentiels dans les toutes prochaines années.</p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Bertrand Valiorgue est l’auteur de l’essai « <a href="http://pubp.univ-bpclermont.fr/public/Fiche_produit.php?titre=La%20raison%20d%E2%80%99%C3%AAtre%20de%20l%E2%80%99entreprise">La raison d’être de l’entreprise</a> » publié aux Presses universitaires Blaise Pascal (PUBP) en mars 2020</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156544/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éviction du PDG du groupe français sous la pression de fonds activistes révèle la nécessité de mieux protéger les entreprises qui s’engagent à viser des objectifs autres que financiers.Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1542012021-02-03T20:19:09Z2021-02-03T20:19:09ZPourquoi les entreprises déjà engagées dans la RSE deviennent-elles aussi des « sociétés à mission » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/381971/original/file-20210202-19-kz83rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=231%2C186%2C794%2C600&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Afin d’aller plus loin dans l’affirmation de ses engagements en termes de RSE, la MAIF a acquis le statut de société à mission.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Vincent NGuyen / MAIF</span></span></figcaption></figure><p>Le statut de « société à mission », défini depuis 2019 par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, est censé permettre de redessiner les contours de la contribution de l’organisation qui l’adopte à la société. Cette nouvelle forme d’engagement favorise l’articulation de l’impératif économique aux nécessités sociales et environnementales, et invite les entreprises à appréhender leur <a href="https://www.ademe.fr/expertises/produire-autrement/production-industrielle-services/passer-a-laction/dossier/performance-globale/quest-performance-globale">performance globale</a>.</p>
<p>Depuis que ce dispositif existe, certaines entreprises se sont dotées de ce nouveau statut juridique qui devient ainsi opposable, par exemple, aux actionnaires. Pour ces organisations, cela permet d’aller plus loin dans l’affirmation de leurs engagements en termes de responsabilité sociétale et environnementale (RSE), dont les chartes n’ont pas de valeur juridique.</p>
<p>Dans ce contexte, certaines entreprises qui déclarent placer la RSE au cœur de leurs activités, comme la mutuelle d’assurance <a href="https://www.maif.fr/files/pdf/annexes/adherer-a-la-maif/statuts-maif.pdf">Maif</a>, la société de commerce en ligne <a href="https://www.camif.fr/lesbelleshistoires/la-camif-une-entreprise-mission-la-francaise.html">Camif</a>, ou en encore le fabricant de produits bio <a href="https://corporate-leanature.com/nous-y-croyons/lea-nature-entreprise-a-mission/">Léa Nature</a>, ont récemment franchi le pas.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« La raison d’être » d’entreprises à mission « bisociées » à la RSE.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ces entreprises, les deux concepts, RSE et « société à mission » coexistent désormais et se renforce même dans certains cas.</p>
<h2>La MAIF, une entreprise « politique »</h2>
<p>À l’origine, la MAIF fut créée en 1934 pour proposer une alternative aux pratiques tarifaires des sociétés d’assurance de l’époque. Au départ, centrée sur les instituteurs, la MAIF a progressivement ouvert la base de son sociétariat et élargi ses offres.</p>
<p>Comme nous l’avons observé dans nos <a href="https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2018-4-page-84.html">travaux de recherche</a>, les évolutions stratégiques successives ont permis aux mutuelles de se différencier de ses concurrents : d’une organisation mutualiste avec objet social vers une responsabilité sociétale affirmée (RSE), celles-ci ont souhaité réaliser une étape supplémentaire dans leur engagement.</p>
<p>Cette singularité s’est même invitée dans les derniers plans stratégiques de la MAIF : engagement dès 2006 dans les objectifs du <a href="http://www.globalcompact-france.org">Global Compact des Nations unies</a>, <a href="https://www.ethifinance.com">évaluation de sa performance par Ethifinance</a> en 2010 ; puis par l’Association française de normalisation (<a href="https://www.afnor.org">Afnor</a>) en 2016, investissements prenant en compte depuis 2019 une analyse des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), etc.</p>
<p>La formulation de sa mission en 2020 engramme cette expertise accumulée et les engagements successifs. De plus, le passage en société à mission ne constitue pas une finalité, mais bien une étape supplémentaire pour représenter sa performance globale dans laquelle celle-ci s’inscrit comme une <a href="https://entreprise.maif.fr/actualites/2019/publication-livre-pascal-demurger">organisation « politique »</a>. Le débat n’entend pas porter sur la primauté d’une démarche sociétale plus qu’une autre (RSE ou « société à mission ») mais plutôt sur l’articulation et la cohérence d’engagements sociétaux recherchées par la MAIF.</p>
<h2>La Camif, « société à mission » depuis… 2017</h2>
<p>Depuis 2009, la Camif a placé la RSE au cœur de son modèle. Pourtant animée par une stratégie de différenciation, sa démarche s’est inscrite rapidement dans la continuité d’un engagement de responsabilité sociale.</p>
<p>Alors qu’elle publie son premier rapport RSE en 2013 et qu’elle obtient la <a href="https://start.lesechos.fr/societe/environnement/comprendre-le-label-b-corp-en-5-questions-1175344">certification BCorp</a> en 2015, la Camif se dote à cette période de ce qui va préfigurer son comité à mission, une « Cellul’OSE ». Cette entité s’assure de l’articulation des orientations stratégiques avec les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de l’entreprise.</p>
<p>La volonté d’être un des acteurs du changement des modes de production et de consommation se concrétise par des actions symboliques qui avaient pris sens dans sa stratégie RSE : transparence sur l’origine des produits et leur lieu de fabrication, fermeture du site Internet pour le Black Friday, plaidoyer pour une TVA réduite pour des produits responsables à impacts positifs, promotion d’une plate-forme pour rénover, réparer ou recycler les meubles, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1335856579858497539"}"></div></p>
<p>Nourrie par sa responsabilité sociale, la Camif avait déjà, dès 2017, inscrit une mission dans ses statuts alors que la loi Pacte n’était pas encore promulguée ! Devenue une société à mission en 2020 conformément aux dispositions légales, la Camif s’inscrit désormais dans une volonté d’organiser au mieux ses actions sociétales à l’aide de sa politique RSE appuyé par sa stratégie d’entreprise à mission.</p>
<h2>Léa Nature « grave dans le marbre » ses engagements</h2>
<p>Léa Nature est une entreprise agroalimentaire spécialisée dans la production de produits naturels et bio. Son leitmotiv est « agir en cohérence pour concilier économie et écologie ».</p>
<p>Depuis plus de 20 ans, Léa Nature s’est construite à travers une durabilité de l’ensemble de sa chaine de valeur. À travers une politique RSE forte, l’entreprise a pu diminuer son impact carbone, optimiser sa consommation énergétique, aider au développement de filières bio locales, etc. Léa Nature a ainsi versé 13,5 millions d’euros à 1 900 projets environnementaux avec le 1 % for the Planet.</p>
<p>L’entreprise a aussi créé la fondation Léa Nature/Jardin Bio dès 2011 afin de sensibiliser à des causes d’intérêt général. Enfin, en 2013 elle a pu obtenir le niveau excellence par <a href="https://www.ecocert.com/fr/home">l’organisme Ecocert</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331183354797027329"}"></div></p>
<p>Pourtant, l’avènement de l’entreprise à mission en 2019 lui a permis d’élargir différemment la soutenabilité de son organisation. « Nous nous sentions déjà entreprise à mission depuis longtemps. La loi nous a juste permis de l’inscrire officiellement ».</p>
<p>Le DG de Léa Nature affirmant que « La loi Pacte nous permet de graver dans le marbre, c’est-à-dire dans nos statuts, notre mission environnementale. Nous essayons d’exercer cette mission au mieux depuis plus de 20 ans. Les engagements environnementaux ne sont plus une option mais une obligation pour nous ».</p>
<h2>Vers une performance globale ?</h2>
<p>Comment les concepts de RSE et société à mission peuvent-ils conjointement aider une entreprise à concevoir et à prendre en charge sa performance globale ? Cette question nécessite d’opérer un développement théorique au regard des pratiques de plus en plus prégnantes à ce stade. Le concept de <a href="https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management-de-l-innovation--9782847698121-page-615.htm">bisociation</a> formulé par l’essayiste Arthur Koestler nous permet d’apporter un éclairage sur les liens que peuvent entretenir société à mission et RSE.</p>
<p>Le lien entre les deux matrices de pensée, l’expertise opérationnelle en RSE et la formalisation de la qualité de société à mission, repose sur l’objectif commun d’une responsabilité élargie de l’entreprise pour réduire des externalités négatives et favoriser des externalités positives. Le lien repose aussi sur l’apport d’une démarche de RSE pour fixer et atteindre les objectifs sociaux et environnementaux que la société à mission aurait formalisés.</p>
<p>Penser par bisociation permet de dépasser les éventuelles mises en opposition des deux approches et la recherche de simples complémentarités ou synergies. Elle permet aussi de mieux comprendre pourquoi les deux concepts coexistent et s’entre-renforcent dans certaines entreprises.</p>
<p>Les trois exemples étudiés montrent avec acuité que les engagements RSE et le statut de « société à mission », loin d’être antinomiques, apparaissent complémentaires. S’emparer du dispositif prévu par la loi Pacte permet même d’affirmer un peu plus la volonté d’améliorer la performance globale visée par ces organisations. Ces exemples peuvent ainsi inspirer d’autres entreprises qui souhaitent renforcer leurs engagements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154201/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Adopter le statut prévu dans la loi Pacte de 2019 renforce la performance globale des organisations affichant depuis longtemps leurs engagements sociaux et environnementaux. Trois cas l’illustrent.Thibault Cuénoud, Professeur associé en Economie, ExceliaPhilippe Schäfer, Professeur associé en sciences de gestion, ExceliaVincent Helfrich, Professeur, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1485402020-10-26T22:16:22Z2020-10-26T22:16:22ZDans l’entreprise libérée, la raison d’être bouscule la dictature du profit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/364686/original/file-20201021-19-1vd52rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C9%2C724%2C486&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises qui laissent les employés prendre les décisions à la place des dirigeants prouvent que l’on peut allier plus de liberté et plus de performance.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/action-analysis-business-collaborate-collaboration-colleagues-595">Pickpic</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, on assiste à un remodelage progressif des modes de gouvernance des entreprises. Les enjeux sociétaux et environnementaux viennent <a href="https://journals.openedition.org/trivium/5988">bousculer l’idéologie dominante</a> de la corporate governance et de la maximisation du profit, héritée de la pensée de Milton Friedman, et instituée en « norme internationale » depuis les années 1980.</p>
<p>La <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-redefinir-raison-etre-entreprises">loi Pacte</a>, entrée en vigueur en 2019, confère désormais une réalité juridique à cette nouvelle ambition de société et à l’entreprise en tant que projet collectif. Désormais, les entreprises peuvent inscrire dans leurs statuts « une raison d’être » et se doter d’un statut d’« entreprise à mission », opposable en cas de litige. Le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/comite-de-suivi-devaluation-de-loi-pacte-premier-rapport">premier rapport de suivi de la loi Pacte</a>, publié en septembre 2020, montre que de plus en plus d’organisations modifient leurs statuts en ce sens.</p>
<p>Cette transformation s’accompagne d’une redéfinition du système de gouvernance d’entreprise, plaçant la « raison d’être » au centre des décisions.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/299624357" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Objet social : enjeux et portée de la loi Pacte, conversation avec Blanche Segrestin, professeur à Mines ParisTech (Xerfi canal, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le concept d’« entreprise libérée » offre une illustration intéressante et radicale de ce mode de gouvernance. Décrite par le professeur français <a href="https://cmr.berkeley.edu/search/articleDetail.aspx?article=5523">Isaac Getz en 2009</a>, la « libération » d’entreprise prône « la liberté totale des salariés pour prendre les décisions qu’eux – et non leurs patrons – jugent les meilleures pour l’entreprise ». Cette approche managériale s’appuie sur les principes d’autonomie et de responsabilité, en s’affranchissant du lien de subordination hiérarchique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://isaacgetz.com/books/freedom-inc/">Site d’Isaac Getz</a></span>
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<p>Le sous-titre du premier ouvrage <em>Freedom Inc</em>. issu de ces travaux, vante toutes les promesses : <em>Free your employees and let them lead your business to higher productivity, profits, and growth</em> (Libérez vos employés et laissez-les diriger votre entreprise vers une productivité, des profits et une croissance plus élevés).</p>
<p>Or, est-il possible de prétendre en même temps à davantage de profits et davantage de liberté ? À ce jour, aucune étude ne s’est penchée sur la manière dont l’entreprise libérée prétend rendre compatibles ces objectifs.</p>
<h2>La « maximisation du profit » rejetée</h2>
<p>Dans le cadre du <a href="https://www.researchgate.net/profile/Eymeric_Guinet">mémoire de Master</a> à l’ESCP de l’un des co-auteurs de cet article (E. Guinet), une recherche a été menée de septembre 2019 à juin 2020 auprès de onze « leaders libérateurs », occupant un rôle central dans le processus de libération d’entreprise, les invitant à s’exprimer sur la place du profit, de la raison d’être, de la performance et du bien-être des salariés dans leur organisation.</p>
<p>Dans cette étude, l’échantillon d’organisations est composé de trois start-up et huit PME, dont neuf entreprises privées et deux entreprises « publiques-privées ». Les secteurs représentés sont variés : conseil (3), industrie (2), agroalimentaire (1), propreté (1), service routier (1), santé (1), relation client (1), économie sociale et solidaire (1).</p>
<p>Tout d’abord, la quasi-totalité des « leaders libérateurs » interrogés (10 sur 11) déclare renoncer à l’objectif de maximisation du profit : « pour moi une entreprise libérée, elle est libérée de la dictature de la maximisation du profit. » (Leader 1), « nous avons renoncé à l’idée de faire du profit à tout prix, au détriment de nos valeurs et de notre projet collectif. » (Leader 7).</p>
<p>Si l’objectif de « maximisation » du profit est rejeté, la contrainte du profit, quant à elle, est entièrement intégrée à la logique de l’entreprise libérée. Elle est à la fois admise et normalisée : « une entreprise qui ne gagne pas d’argent, elle meurt. » (Leader 5).</p>
<p>Ces dirigeants sont donc prêts à financer des projets non rentables, s’ils ont du sens au regard de la mission et des valeurs de l’entreprise, tant que l’équilibre financier global n’est pas menacé. Cette nouvelle hiérarchisation, précise un des leaders interrogés, « n’implique pas d’oublier les résultats financiers, mais de les remettre à leur juste place » (Leader 1). La logique est donc inversée par rapport à la vision capitalistique : la fin devient le moyen. Le profit prend un statut de « condition nécessaire de survie » et se met au service de la raison d’être.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le profit apparaît comme une contrainte plus qu’un objectif chez les dirigeants d’entreprises libérées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/download/1801908/accountant-accounting-admin-alone-america-american-bills-business-owner-calculator">Rawpixel/Needpix</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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</figure>
<p>Toutefois, la recherche de performance n’est pas abandonnée : le projet collectif et la raison d’être de l’entreprise étant la finalité première, cette performance est simplement redéfinie en lien avec ce projet.</p>
<p>Ce faisant, ces dirigeants réaffirment la finalité première du projet collectif, qu’il s’agisse de fabriquer des logos, de transporter des marchandises ou d’optimiser l’habitat sur un territoire. « L’entreprise est là pour faire une œuvre, elle doit être payée pour ça. Et c’est l’œuvre commune qui a du sens. » (Leader 5).</p>
<p>Plutôt que de maximiser le profit, il s’agira de « faire le meilleur travail possible » (Leader 8) ou de « fournir le meilleur service possible » (Leader 4). La notion de performance globale émerge : intégration des intérêts des parties prenantes (dont les collaborateurs), « performance sociale et sociétale », qualité des produits ou services, « impact sur l’éco-système » dans son ensemble, « création de valeur commune », etc.</p>
<h2>« Un coup de poker »</h2>
<p>La totalité des leaders interrogés exprime une conviction forte : la libération bien ordonnée des salariés s’accompagnerait d’une hausse significative de leur potentiel, donc de leur performance, et <em>in fine</em> de la réussite économique de l’entreprise. Dans cette optique, le profit devient le « bénéfice collatéral » d’un management libéré.</p>
<p>Dès lors, le statut du profit change : il n’est plus considéré comme un objectif mais comme une conséquence naturelle de la bonne application des principes de l’entreprise libérée : « on ne libère pas les gens pour devenir plus productif, mais la liberté peut rendre productif, vous voyez c’est différent. » (Leader 1).</p>
<p>À ce jour, aucune démonstration scientifique ne prouve l’exactitude d’un tel lien de causalité. En effet, cette incertitude fondamentale fait de la « libération » un « acte de foi » (Leader 7), un pari osé, voire « un coup de poker » (Leader 9) et non une décision rationnelle.</p>
<p>Il n’en reste pas moins que, au-delà de ces convictions bien ancrées et de ces représentations clairement exprimées, l’équilibre visé est en pratique difficile à atteindre. Partager le pouvoir et changer le moteur de l’organisation ne va pas de soi et tous les dirigeants interrogés évoquent « un véritable défi » qui « prend du temps ».</p>
<p>La question de la maturité, individuelle et collective, et de l’accompagnement reste donc très présente chez tous les leaders interrogés. À défaut, des cas de surengagement sont mentionnés, ou de rejets par le collectif d’individus semblant aller à l’encontre du projet, ou d’abus de la liberté octroyée, ou encore des situations de mise en échec par défaut de compétence.</p>
<p>Tous les dirigeants interrogés s’accordent à dire que les erreurs et les incohérences font partie du processus de libération d’entreprise. La liberté de parole, l’ouverture à la critique, le droit à l’erreur constituent selon eux des éléments nécessaires de la transformation et sont autant de moyens de dépasser ces écueils.</p>
<h2>« Une poule et des œufs »</h2>
<p>La réussite économique est donc le résultat espéré d’un paradoxe : la renonciation véritable à la maximisation des profits est la condition <em>sine qua non</em> pour qu’une profitabilité élevée et pérenne se réalise. Comme le résume un des dirigeants interrogés : « Il n’y a pas un choix à faire entre l’argent et un style de management. Il y a une poule et il y a des œufs. Il faut savoir où on met la poule. » (Leader 10).</p>
<p>Ce parti pris alternatif et cet engagement ne trouvaient jusqu’à présent pas de traduction juridique pertinente. Les dirigeants des entreprises libérées pourraient donc bien être séduits par le statut d’entreprise à mission. Le nombre de celles-ci devrait augmenter rapidement dans cette montée générale des réflexions « post-capitalistiques ».</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Eymeric Guinet, co-fondateur de each One (ex-Wintegreat), et a bénéficié de la supervision de Gilles Arnaud, professeur de psychologie des organisations à ESCP Business School</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilie Poli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une série d’entretiens montre que les dirigeants qui autonomisent leurs équipes sont davantage enclins à placer la mission de l’organisation au cœur de leurs décisions.Emilie Poli, Doctorante, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1440072020-08-16T19:00:41Z2020-08-16T19:00:41ZLa pandémie nous rappelle la véritable raison d’être des entreprises : survivre<p>Rappelons-nous, c’était en mai 2019 dans ce que l’on appelle « le monde d’avant ». Avant la crise sanitaire liée au Covid-19. Le 22 mai 2019, la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises#">loi Pacte</a> relative à la croissance et à la transformation des entreprises était présentée par le gouvernement de l’ex premier ministre Édouard Philippe. Ses objectifs principaux étaient de « <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-developper-entreprises">faire grandir les entreprises</a> » mais surtout de repenser la place des entreprises dans la société.</p>
<p>C’est ainsi que la définition de l’objet social de l’entreprise <a href="https://www.village-justice.com/articles/loi-pacte-objet-social-prise-compte-des-enjeux-sociaux-environnementaux-raison,31903.html">a été modifié dans le Code civil</a> pour offrir la possibilité aux entreprises volontaires de se doter d’une raison d’être, et que la qualité juridique de société à mission a été créée.</p>
<p>À la suite de divers travaux universitaires, le concept de « raison d’être » a gagné en visibilité dans le débat public français suite à son apparition médiatisée dans le rapport « <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2018/entreprise_objet_interet_collectif.pdf">L’entreprise, objet d’intérêt collectif</a> », élaboré sous la supervision de Jean‑Dominique Senard, alors président du groupe Michelin, et de Nicole Notat, alors présidente de Vigeo-Eiris.</p>
<p>Aujourd’hui, la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 nous rappelle avec une très grande violence que les entreprises ne sont pas des organisations insubmersibles et qu’elles doivent constamment s’adapter pour faire face à leur environnement.</p>
<p>Pour cela, elles n’ont d’autre choix que de jongler avec les enjeux de court et de long termes : maintenir leurs équilibres financiers, s’adapter à la demande de leurs clients et préserver leurs marges de manœuvre pour construire l’avenir. Tout cela passe par des décisions de gestion difficiles et courageuses. En définitive, la seule raison d’être des entreprises est bien de chercher à survivre.</p>
<h2>Une loi de plus</h2>
<p>Pour Bruno Le Maire, déjà ministre de l’Économie et des Finances lors de l’entrée en vigueur de la loi Pacte en 2019, l’introduction du concept de « raison d’être » répondait à la nécessité d’adapter le capitalisme pour <a href="https://www.la-croix.com/Economie/France/Bruno-Le-Maire-LEurope-doit-etre-continent-capitalisme-responsable-2019-09-05-1201045525">mieux concilier intérêt général et intérêt particulier</a>.</p>
<p>Dans le monde d’avant, les entreprises agroalimentaires comme Danone vendaient des yaourts, les fabricants de pneumatiques comme Michelin vendaient des pneus, les entreprises de distribution comme Carrefour vendaient des produits de grande consommation, et les constructeurs d’avions comme Airbus vendaient des avions.</p>
<p>Mais avec la loi Pacte, les entreprises sont invitées à ajouter un sens à leur activité industrielle et commerciale – comme si répondre aux besoins de leurs clients et les satisfaire tout en anticipant les tendances de consommation n’était déjà pas un défi suffisant dans une économie mondialisée et concurrentielle et n’avait pas suffisamment de sens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1263213454879535105"}"></div></p>
<p>Avec l’introduction de cette raison d’être, les entreprises de toutes tailles peuvent choisir de se montrer vertueuses et d’aller au-delà de leurs obligations légales. En effet, il s’agit, au titre de leur « responsabilité sociale » d’aller bien au-delà des obligations fixées par la loi dans un pays comme la France pourtant déjà fortement réglementé. A cet égard on peut citer les lois suivantes :</p>
<ul>
<li><p>la <a href="https://plan-vigilance.org/la-loi/">loi sur le devoir de vigilance</a> (2017) qui oblige les entreprises donneuses d’ordre à prévenir les atteintes aux droits fondamentaux des employés sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement ;</p></li>
<li><p>la <a href="http://www.bourgogne-franche-comte.developpement-durable.gouv.fr/la-loi-relative-a-la-transition-energetique-pour-r2261.html">loi sur la transition énergétique pour la croissance verte</a> (2015) qui instaure notamment l’obligation de communication sur la gestion du risque climatique ;</p></li>
<li><p>les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=392889BC15AB0606336FB7E69068E1A3.tpdila12v_2?cidTexte=JORFTEXT000020949548&dateTexte=20151016">lois « Grenelle I</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=227BCD693BA476F07AE9E43064051D62.tpdila22v_3?cidTexte=JORFTEXT000022470434&idArticle=LEGIARTI000022472978&dateTexte=20100713&categorieLien=id">et II</a> » (2007 et 2010) sur la gouvernance écologique, la croissance durable, la réduction des émissions de gaz à effet de serre…</p></li>
</ul>
<p>À ces lois françaises s’ajoutent les réglementations et recommandations issues du <a href="https://www.ioe-emp.org/fr/organisations-internationales/pacte-mondial-des-nations-unies/">pacte mondial</a> (2000) et des <a href="https://www.novethic.fr/entreprises-responsables/les-objectifs-de-developpement-durable-odd.html">objectifs de développement durable</a> (2015) de l’Organisation des Nations unies (ONU), de la <a href="https://www.afnor.org/wp-content/uploads/2016/08/ISO26000-en-10-questions.pdf">norme ISO 26000</a> (2010), etc.</p>
<p>Avec la loi Pacte et la raison d’être de l’entreprise, toutes les causes sociétales peuvent être mobilisées, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de la préservation de l’environnement ou de la cause de l’égalité entre hommes et femmes dans l’entreprise.</p>
<h2>La raison d’être, un placebo managérial ?</h2>
<p>Parmi les grandes entreprises françaises ayant formulé une raison d’être, on peut citer les exemples suivants :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://institut-economie-circulaire.fr/interview-jean-dominique-senard-president-du-groupe-michelin/">Michelin</a> : « Offrir une meilleure façon d’avancer » ;</p></li>
<li><p><a href="https://atos.net/fr/a-propos-d-atos">Atos</a> : « Contribuer à façonner l’espace informationnel » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.sncf.com/fr/engagements/developpement-durable/raison-etre-de-notre-groupe">SNCF</a> : « Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.orange.com/fr/Groupe/Orange-devoile-sa-raison-d-etre-toute-l-entreprise-s-engage">Orange</a> : « Être l’acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.lesechos.fr/thema/economie-nouvelle-generation/veolia-repense-la-raison-detre-de-lentreprise-1147705">Veolia</a> : « Contribuer au progrès humain, en s’inscrivant résolument dans les objectifs de développement durable définis par l’Organisation des Nations unies (ONU), afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.pwc.fr/fr/code-de-conduite/pwc-code-de-conduite.pdf">PwC</a> : « Bâtir la confiance en notre société » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/raison-d-etre">EDF</a> : « Construire un avenir énergétique neutre en CO<sub>2</sub> conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants ».</p></li>
</ul>
<p>Mais ces déclarations de principe révolutionnent-elles vraiment le quotidien des entreprises concernées et suffisent-elles à produire les effets désirés sur la société ?</p>
<p>On peut le déplorer, la mise en place d’une raison d’être relève souvent de la stratégie de communication voire du « fairwashing » comme le dénonçaient il y a un an treize représentants d’organisations non gouvernementales et du secteur de l’économie sociale et solidaire dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/loi-pacte-le-projet-de-societe-a-mission-est-une-fausse-bonne-idee_5436689_3232.htmlhttps://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/loi-pacte-le-projet-de-societe-a-mission-est-une-fausse-bonne-idee_5436689_3232.html">tribune du journal Le Monde</a>. Mais, la crise sanitaire liée au Covid-19 a rebattu les cartes des belles déclarations.</p>
<h2>La dimension économique en première ligne</h2>
<p>Bien évidemment, les auteurs de la loi Pacte ne pouvaient imaginer qu’un an après son adoption la pandémie du Covid-19 se propagerait sur la planète entière entraînant le plus grand choc économique que nous avons connu <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/coronavirus-la-plus-grave-crise-depuis-la-seconde-guerre-mondiale-selon-l-ocde-849870.html">depuis la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, la réalité des entreprises est juste de survivre à cette terrible crise sanitaire dont on ne sait toujours pas quand elle se terminera. Certes, les gouvernements ont tous réagi – du reste de façon différente – pour sauver ce qui pouvait l’être mais un lourd tribut repose tout de même sur les entreprises.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1293458726632947712"}"></div></p>
<p>Le Covid-19 nous rappelle que les entreprises, <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-economie/20081018.RUE6207/dans-quelles-conditions-un-etat-peut-il-etre-en-faillite.html">à la différence des États</a>, ne sont pas des institutions pérennes. Les exemples de grandes entreprises internationales considérées comme insubmersibles et qui ont disparue sont légion : <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/ces-stars-de-la-bourse-balayees-par-la-bulle-internet-176662">Compaq</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/2001/10/polaroid-sest-declare-en-faillite-728729">Polaroid</a>, <a href="https://www.latribune.fr/journal/edition-du-2412/enquete/324622/septembre2001-moulinex-en-faillite.html">Moulinex</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/21/apres-la-faillite-que-reste-t-il-de-kodak_3464191_3234.html">Kodak</a> ou <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/superfail/comment-nokia-a-rate-le-virage-du-smartphone">Nokia</a>, pour ne citer qu’elles.</p>
<p>Les raisons de leur disparition sont diverses mais on retrouve toujours comme facteur explicatif la non-adaptation à la nouvelle donne économique et/ou technologique : l’éclatement de la bulle Internet, la concurrence du marché asiatique ou l’arrivée des smartphones et des appareils photo numériques par exemple.</p>
<p>Ainsi, avec la crise sanitaire, les entreprises doivent se battre sur deux fronts à la fois : préserver les marges de manœuvre à court terme en gérant au mieux leur trésorerie mais aussi se transformer voire se réinventer pour tenir compte de nouveaux usages et modes de consommation apparus notamment avec la crise. Tout cela pour ne pas subir le même sort que Nokia ou Kodak.</p>
<h2>Quel arbitrage entre court et long termes ?</h2>
<p>Les dirigeants des entreprises qui réussissent sur la durée, quand bien même ils seraient soumis à la pression des investisseurs et des marchés financiers, ne peuvent faire l’économie d’une vision à long terme. Mais la crise actuelle pose des questions en matière de priorisation et d’arbitrage. Dans ce contexte critique, on peut douter de l’efficacité d’une raison d’être trop floue ou générique pour éclairer la prise de décision.</p>
<p>Actuellement, on ne compte plus les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/08/la-seconde-vague-celle-des-plans-sociaux-touche-la-france_6045541_3234.html">plans sociaux</a> des grandes et des moins grandes entreprises de façon à survivre à cette tempête. Les plus grands noms de l’industrie aéronautique, de l’automobile, du transport aérien, ou de la construction, sont atteints.</p>
<p>Nombreuses sont les entreprises qui se trouvent contraintes de stopper ou reporter leurs programmes d’investissements. Selon un sondage, <a href="http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/A-noter/Covid-19-grandes-entreprises-et-ETI-signalent-moins-de-difficutes-ardues-de-tresorerie-mais-les-deux-tiers-reportent-leurs-investissements">68 % des grosses entreprises ou entreprises de taille intermédiaire</a> seraient concernées et chercheraient par ce moyen à limiter les sorties de liquidités. Par ailleurs, elles sont 55 % à avoir augmenté la part du cash dans leurs actifs par mesure de précaution.</p>
<p>Ainsi, il ne s’agit plus pour Michelin d’offrir « une meilleure façon d’avancer », mais bien de survivre en <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/michelin-compte-traverser-la-crise-sans-aide-publique.N959301">gérant au mieux ses comptes</a>.</p>
<p>Par ailleurs, on peut facilement imaginer que les raisons d’être de demain seront différentes de celles d’aujourd’hui. À cet égard, on connaît beaucoup d’entreprises qui ont changé d’activité industrielle et commerciale au cours de leur existence parfois même en conservant le même nom. Par exemple, BSN qui était initialement un fabriquant de glaces et de verre est devenue une entreprise agroalimentaire et a pris en 1994 le <a href="https://www.lesechos.fr/1994/05/bsn-se-transforme-en-danone-pour-renforcer-son-internationalisation-881958">nom de Danone</a>, sa marque de produits frais.</p>
<p>Les entreprises sont des organismes vivants : elles naissent, grandissent et finissent par mourir surtout quand elles sont soumises à des chocs imprévisibles.</p>
<p>Leur pérennité passe par des décisions de gestion complexes et ambitieuses. Face à la crise actuelle, seules les entreprises capables de gérer le présent sans compromettre l’avenir survivront.</p>
<p>Ainsi, dans le « monde d’après », toute raison d’être dépourvue <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/raison-detre-les-investisseurs-veulent-des-engagements-concrets-1208534">d’engagements et d’actions concrètes</a> sur lesquelles rendre des comptes aura du mal à convaincre clients, salariés et investisseurs de la bonne gestion d’une entreprise, et ce peu importe à quel horizon on se place.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans ce contexte, la loi Pacte et la définition d’une « raison d’être » se révèlent peu efficaces pour éclairer la prise de décision des dirigeants.Michel Albouy, Professeur émérite de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1383262020-05-14T18:41:40Z2020-05-14T18:41:40ZLa fondation actionnaire : un modèle à explorer pour construire le « monde d’après »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334010/original/file-20200511-49569-3bkr0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5120%2C2880&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises gouvernées par une fondation actionnaire ont une probabilité de survie significativement supérieure.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/senior-executive-explains-companys-vision-potential-1031044153">Gorodenkoff / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La crise du Covid-19 plonge l’économie mondiale dans une récession inédite depuis les grandes guerres du XX<sup>e</sup> siècle. Les entreprises sont nombreuses à avoir cessé leur activité et les estimations des destructions d’emplois donnent le vertige.</p>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/resilience-organisationnelle--9782804116262-page-20.htm">résilience</a>, définie par le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se projeter dans l’avenir en dépit d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères », est l’un des <a href="https://theconversation.com/face-a-la-pandemie-limportance-des-ressources-psychologiques-individuelles-136870">concepts mobilisés</a> pour traverser la crise actuelle et penser le « monde d’après ».</p>
<p>De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer nos dépendances sur certains <a href="https://theconversation.com/lepidemie-de-covid-19-est-aussi-une-crise-de-la-mondialisation-133021">secteurs stratégiques</a>, le déclin de notre <a href="https://theconversation.com/a-quelles-conditions-la-france-peut-elle-se-reindustrialiser-136628">industrie</a>, la fragilité de nos <a href="https://theconversation.com/covid-19-quand-leurope-voit-ses-strategies-industrielles-fragilisees-134427">chaînes d’approvisionnement</a> et l’incapacité de nos entreprises à agir à long terme – notamment vis-à-vis du climat.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1235891823069089792"}"></div></p>
<p>Le capitalisme financier et la mondialisation sont inévitablement pointés du doigt. Le <a href="https://www.economist.com/leaders/2020/05/07/the-market-v-the-real-economy">rebond récent</a> des bourses mondiales contraste avec le désarroi des entrepreneurs et salariés de « l’économie réelle ».</p>
<p>En parallèle, on a vu des entreprises de toute taille s’engager financièrement et humainement pour contribuer à l’effort général contre le Covid-19 : production de masques et de gel hydroalcoolique, mise à disposition de chambres d’hôtel pour les malades ou les sans-abri, distribution de repas aux soignants, dons d’ordinateurs pour les élèves confinés… Sans parler des entreprises de l’<a href="http://www.lelabo-ess.org/-covid-19-.html">économie sociale et solidaire</a>, qui ont l’intérêt collectif au cœur de leur modèle et sont particulièrement mobilisées auprès des plus fragiles.</p>
<p>La résilience des entreprises et leur contribution au bien commun sont donc au cœur des réflexions de l’après-crise… Or, il existe un modèle méconnu de gouvernance d’entreprise, déjà ancien mais d’une grande actualité dans notre contexte, qui permet la performance économique à long terme tout en contribuant de manière substantielle à l’intérêt général : la fondation actionnaire.</p>
<h2>Allier économie et philanthropie</h2>
<p>Quel est le point commun entre les entreprises Carlsberg, Novo Nordisk, Bosch, Rolex ou Tata ? Ces groupes industriels célèbres et prospères qui ont traversé plusieurs crises ont la particularité d’appartenir à une fondation qui possède la majorité ou la totalité des actions et joue un rôle important dans la gouvernance de l’entreprise. C’est généralement l’entrepreneur (ou ses descendants) à l’origine du succès de l’entreprise qui crée cette « fondation actionnaire » en lui cédant ses titres de propriété. La fondation a alors une double mission, consignée dans ses statuts :</p>
<ul>
<li><p>Économique : il s’agit de pérenniser l’entreprise et de perpétuer la vision du fondateur, de la protéger contre les offres publiques d’achats, les délocalisations et les fluctuations boursières, de jouer un rôle d’actionnaire stable et patient qui permet aux dirigeants de ne pas perdre de vue la stratégie à long terme ;</p></li>
<li><p>Philanthropique : en utilisant les dividendes qu’elle perçoit en tant qu’actionnaire et d’autres revenus financiers, la fondation finance des projets d’intérêt général (culture, santé, éducation, recherche…), conformément aux volontés de son fondateur. C’est donc la performance économique qui alimente la capacité philanthropique de la fondation.</p></li>
</ul>
<p>Il existe près de 1300 fondations actionnaires au Danemark, 1000 en Suède, 1000 en Allemagne et 120 en Suisse, comme nous l’avions découvert dans une <a href="https://www.challenges.fr/tribunes/decouvrez-les-fondations-actionnaires-et-leurs-atouts-en-10-points-cle_101804">étude publiée en 2015</a>. Par le capital qu’elles possèdent, certaines de ces fondations sont parmi les plus conséquentes en Europe.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334021/original/file-20200511-49556-beqvpv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Gouvernance du groupe Novo Nordisk.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://novonordiskfonden.dk/en/about-the-foundation/ownership/">Site de la fondation</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les actifs de la <a href="https://novonordiskfonden.dk/en/">Fondation Novo Nordisk</a> s’élèvent à 55 milliards d’euros, ce qui lui a permis de donner près de <a href="https://novonordiskfonden.dk/wp-content/uploads/Grant-Rapport-2019.pdf">1,1 milliard d’euros</a> en 2019 pour la recherche médicale et scientifique, l’éducation, l’innovation ouverte ou l’aide aux migrants au Danemark.</p>
<p>Des fondations bien plus modestes agissent également en toute discrétion sur le territoire d’implantation de l’entreprise. En France, le modèle <a href="https://prophil.eu/pole-recherche/fondation-actionnaire/">se développe</a> depuis une dizaine d’années : une quinzaine d’entreprises de toutes tailles et secteurs sont déjà détenues par des fondations ou structures assimilées : Pierre Fabre, Avril, Bureau Vallée, Mediapart, Naos, Groupe Archimbaud, Ulterïa, Ecodis… Certains entrepreneurs ayant choisi de basculer vers ce modèle se sont regroupés au sein de la communauté De Facto (Dynamique européenne en faveur des fondations actionnaires).</p>
<p>La composition et le rôle du conseil d’administration d’une fondation actionnaire sont définis dans ses statuts. Souvent, une société intermédiaire (holding) permet de piloter la mission économique tandis que la fondation se concentre sur sa mission philanthropique, mais certaines fondations assument les deux missions, comme la <a href="https://www.carl-zeiss-stiftung.de/english/index.html">Fondation Carl Zeiss</a> en Allemagne.</p>
<p>A minima, la fondation a son mot à dire sur les grandes décisions stratégiques de l’entreprise (fusion, acquisition, dilution du capital…) et peut même en nommer le président-directeur général. Au Danemark, une agence gouvernementale est responsable de contrôler l’activité des fondations actionnaires pour s’assurer qu’elles respectent la loi et leurs statuts. Les entreprises majoritairement détenues par des fondations peuvent aussi se financer sur les marchés ou auprès d’investisseurs institutionnels, mais la fondation garde toujours un contrôle en matière de droits de vote.</p>
<h2>Une croissance lente mais peu volatile</h2>
<p>Tout oppose la fondation actionnaire aux canons de la <a href="https://www.investopedia.com/terms/t/theory-firm.asp">théorie de la firme</a> et de la <a href="https://www.investopedia.com/terms/a/agencytheory.asp">théorie de l’agence</a>, qui influencent la pensée en matière de gouvernance d’entreprise depuis les années 1970.</p>
<p>En effet, une entreprise possédée par un actionnaire unique qu’est la fondation n’est pas « disciplinée » par les marchés et devrait perdre en performance par rapport à une entreprise cotée en bourse, par exemple.</p>
<p>L’entreprise doit rendre des comptes au conseil d’administration de la fondation, mais celui-ci n’a pas son propre patrimoine en jeu (« no skin in the game ! ») et n’a de compte à rendre à personne. Il doit simplement veiller au respect des statuts décidés par le fondateur, dans le respect de la loi. Tout semble réuni pour des dérives de gestion et une sous-performance économique !</p>
<p>Pourtant, contrairement aux prédictions de ces théories, la recherche émergente sur ces fondations semble indiquer le contraire. Nous nous appuyons ici sur les travaux pionniers de <a href="http://www.steenthomsen.com/">Steen Thomsen</a>, professeur à la Copenhagen Business School et principal animateur de son <a href="https://www.cbs.dk/en/research/departments-and-centres/department-of-accounting/center-corporate-governance">Center for Corporate Governance</a>.</p>
<p>D’après les <a href="http://www.tifp.dk/wp-content/uploads/2011/11/The-Performance-of-Foundation-Owned-Firms.pdf">études empiriques</a> réalisées au Danemark, mais aussi en Suède, en Allemagne, en Norvège, les entreprises possédées par des fondations ont une performance économique comparable, voire légèrement supérieure aux autres (entreprises cotées ou entreprises familiales). C’est moins vrai pour les petites entreprises que pour les grands groupes, déjà bien établis.</p>
<p>Dans le cas danois, les entreprises détenues par des fondations connaissent une croissance lente mais stable, avec moins de volatilité dans leurs résultats que les autres entreprises. C’est vrai pendant les crises, Thomsen ayant notamment étudié la période de la crise financière mondiale de 2008-2009.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1245733838875176964"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, sur la base d’autres données collectées au Danemark, les entreprises possédées par des fondations semblent prendre des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/corg.12236">décisions de plus long terme</a> que les autres entreprises. Dans ces entreprises, on constate moins de renouvellement des dirigeants, plus d’investissements en recherche et développement, des bilans plus équilibrés avec moins d’endettement financier, et une durée de vie plus longue.</p>
<p>En effet, leur probabilité de survie est significativement supérieure quelle que soit la durée observée : 40 ans après leur date de création, 30 % des entreprises danoises détenues par une fondation sont encore en vie, contre 10 % pour les autres. Bien sûr, il faut prendre en compte un biais de sélection : ce sont plutôt des entreprises solides ayant atteint une certaine maturité qui sont cédées à des fondations par leurs propriétaires.</p>
<p>Mais les indicateurs empiriques convergent : n’appartenant à personne et ne pouvant vendre ses actions au plus offrant, la fondation constitue un actionnaire patient, soucieux de la pérennité à long terme de l’entreprise, mais sans nuire à sa performance économique. La stabilité qu’offre ce modèle pourrait permettre aux entreprises ainsi détenues de mieux résister aux crises, et de traverser les intempéries avec davantage de résilience.</p>
<h2>Un modèle exemplaire pour demain ?</h2>
<p>Les exemples de fondations actionnaires ayant démontré la résilience de leur modèle dépassent les frontières danoises. La <a href="https://www.handelsbanken.com/en/press-and-media/quick-facts">banque suédoise Handelsbanken</a>, contrôlée par plusieurs fondations parmi lesquelles la Fondation Oktogonen (10,3 %) est sortie indemne de la crise économique de 2008.</p>
<p>En Norvège également, les banques sans propriétaire (pour certaines appartenant aujourd’hui à des fondations) ont davantage résisté à la crise bancaire qui a traversé le pays de 1988-1992 que les banques commerciales.</p>
<p>La Fondation Bosch est aussi un exemple de résilience à travers les crises. Actionnaire à 92 %, elle permet aux dirigeants du groupe Bosch de poursuivre des objectifs de long terme, sans la pression exercée par la publication des comptes et des indicateurs de performance trimestriels. Détenu par la fondation depuis 1964, Bosch parvient ainsi à éviter les licenciements massifs lors de la crise de 2008, avant d’augmenter de 24 % son chiffre d’affaires en 2010. Sans parler évidemment de la contribution philanthropique de la fondation, qui atteint annuellement 150 millions d’euros.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334026/original/file-20200511-49542-1epyppo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Structure et organisation de l’actionnariat du groupe Bosch.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bosch.fr/notre-entreprise/le-groupe-bosch-dans-le-monde/#structure-et-organisation">Site.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les modes d’organisation économique les plus résistants face à la crise du Covid-19. Mais alors que des <a href="https://www.lci.fr/emploi/coronavirus-apres-airbnb-uber-annonce-une-vague-de-licenciements-2153071.html">plateformes numériques</a> ou des <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/coronavirus-british-airways-prevoit-de-supprimer-12-000-emplois-6820228">compagnies aériennes</a> licencient massivement ou songent à le faire, nous pouvons nous interroger sur les modèles d’entreprises les plus susceptibles de surmonter les crises.</p>
<p>Les retours d’expériences internationaux sur la résilience des fondations actionnaires sont encourageants pour les quelques entrepreneurs français qui ont récemment choisi ce modèle alternatif de gouvernance, mais qui manquent encore de recul. En cette période d’intenses réflexions plus ou moins utopiques sur le monde d’après, la fondation actionnaire représente une alternative au capitalisme financier traditionnel qui gagne à être connue.</p>
<hr>
<p><em>Virginie Seghers, Présidente de Prophil, et Clara Houzelot, coordinatrice du pôle Recherche de Prophil, ont participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arthur Gautier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce mode de gouvernance offre une grande stabilité aux entreprises en période de crise ainsi qu’une bonne performance économique sur le long terme.Arthur Gautier, Professeur, Directeur exécutif de la Chaire Philanthropie, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1201012019-07-10T18:59:04Z2019-07-10T18:59:04ZFenêtres ouvertes sur la gestion : mission, amour, design, géopolitique…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/283257/original/file-20190709-44497-1eec7dd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C112%2C575%2C353&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 6 juillet 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40DaWri4WN2PWVUUAGZ5VWbNk5uMpdH8xp%2BMm5jDBT6Jw%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG060719">lettre datée du 6 juillet 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Émery Jacquillat, président CAMIF et président de la Communauté des entreprises à mission, évoque l’engagement des entreprises à missions.</p>
<p>Bon visionnage, et à la semaine prochaine pour sept nouvelles conversations « Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
<hr>
<h2>À la une</h2>
<p><strong>Entreprises à mission et capitalisme du XXI<sup>e</sup> siècle : le pari de l’amour, conversation avec Émery Jacquillat, président CAMIF et président de la Communauté des Entreprises à Mission,</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/344328346" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>La société à mission : cohésion et transformation de l’entreprise, conversation avec Errol Cohen, avocat au cabinet Le Play avocats</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/344329732" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Alerte sur la place du français dans les revues scientifiques de gestion, conversation avec Jean‑Philippe Denis, rédacteur en chef de la Revue française de gestion (interview menée par Mounia Van de Casteele)</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/344345502" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Le design au principe de la transformation, conversation avec Rémy Bourganel, designer et enseignant à Sciences Po</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/344330979" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>L’entreprise, un lieu de création collective : les enjeux d’une réforme, conversation avec Blanche Segrestin, professeur à Mines ParisTech</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/298544098" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>L’intelligence de tous : notre vraie richesse, conversation avec Paul Rivier, ancien PDG de TEFAL et de Calor, ancien DG du groupe SEB, président de l’INSA de Lyon</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/310802942" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><strong>Stratégie d’entreprise et géopolitique, conversation avec Stéphanie Dameron, professeur des universités à l’Université Paris-Dauphine</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/275065256" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<hr>
<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120101/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine, « Entreprises à mission : le pari de l’amour ».Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1197502019-07-03T20:28:38Z2019-07-03T20:28:38ZSe prémunir des OPA hostiles, l’effet inattendu de la raison d’être des entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/282198/original/file-20190702-126369-5ikwrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C1012%2C9382%2C5746&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En cas d'offre publique de rachat, une entreprise peut convoquer une assemblée générale extraordinaire pour modifier rapidement les statuts et opposer aux intitiateurs une incompatibilité avec la raison d'être dont se sera dotée l'entreprise.</span> <span class="attribution"><span class="source">Rawpixel.com / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=2E06B79BA0448A6B82659B5911F5D957.tplgfr32s_1?idArticle=JORFARTI000038496242&cidTexte=JORFTEXT000038496102&dateTexte=29990101&categorieLien=id">loi Pacte du 22 mai 2019</a> (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) introduit dans le droit français la notion de « raison d’être », autorisant toute société, civile comme commerciale, à l’inscrire désormais dans ses statuts. L’objectif affiché de cette mesure est de reconnaître et d’encourager la mise en valeur de l’utilité sociale et environnementale des firmes, et de sortir l’entreprise d’une logique uniquement économique voire financière, comme avait pu le souhaiter le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/26/la-raison-d-etre-pour-l-entreprise-peut-attendre_5321377_3232.html">rapport Notat-Sénard</a> relatif à l’entreprise comme objet d’intérêt collectif, initiateur de la loi Pacte.</p>
<p>Dans cette lignée, certaines grandes entreprises françaises comme Veolia, Schneider Electric ou Danone se sont saisies du sujet, et ont notamment créé le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/definir-la-raison-d-etre-de-l-entreprise-un-nouvel-exercice-strategique_5436480_3232.html">« Cercle des entreprises à raison d’être »</a> en mars dernier. Carrefour a ainsi proposé d’inscrire sa raison d’être dans les statuts de l’entreprise lors de son assemblée générale du 14 juin dernier. Cette démarche s’inscrit dans la stratégie de l’entreprise, et en particulier, de la <a href="https://www.lsa-conso.fr/carrefour-va-se-doter-d-une-raison-d-etre,317836">mise en œuvre du plan Carrefour 2022</a>.</p>
<h2>Un outil stratégique</h2>
<p>Début juin, la société d’assurance mutuelle MAIF a annoncé vouloir être la <a href="https://www.lepoint.fr/economie/loi-pacte-la-maif-veut-devenir-la-premiere-grande-entreprise-a-mission-03-06-2019-2316564_28.php">première « société à mission »</a>, autre nouveauté de la loi Pacte, en lien direct avec celle de raison d’être. Le groupe agroalimentaire <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/04/26/emmanuel-faber-en-rendant-tous-les-salaries-de-danone-coactionnaires-nous-mettons-fin-au-mode-de-decision-pyramidal_5291107_3234.html">Danone</a> a de son côté déclaré souhaiter obtenir d’ici à 2030 la certification <a href="https://bcorporation.net/">« BCorp »</a>, délivrée aux sociétés commerciales intégrant des exigences sociales et environnementales.</p>
<p>Longtemps ignorée des juristes, la raison d’être n’est pas à rattacher à la <a href="https://brunodondero.com/2018/03/10/la-raison-detre-des-entreprises-rapport-notat-senard/">psychologie</a> ou la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-raison-d-etre-jacques-ellul/9782757805428">philosophie</a>. En fait, pour les stratèges de tous bords, ce soudain regain d’intérêt pour la raison d’être de l’entreprise a pu paraître surprenant. Pour n’importe quel étudiant d’école de commerce ou d’université ayant suivi un cursus en gestion, la raison d’être est en effet un <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2015/01/5859-pourquoi-est-il-aussi-important-pour-une-entreprise-davoir-une-raison-detre/">concept incontournable</a> de tous les cours de stratégie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Schneider Electric, comme Veolia ou Danone, fait partie des entreprises qui ont rejoint le « Cercle des entreprises à raison d’être ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">g0d4ather/Shutterstock</span></span>
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<p>En stratégie, la mission de l’entreprise est en effet définie comme le but général de l’organisation. Elle <a href="https://hbr.org/2008/04/can-you-say-what-your-strategy-is">se distingue de la vision stratégique</a>, qui est l’état futur souhaité pour l’organisation, et des objectifs de l’entreprise, plus opérationnels et précis. La mission de l’entreprise a été reconnue comme un outil stratégique permettant de donner du <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/ame.1987.4275821?journalCode=amp">sens à l’action des managers</a> et <a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/02756661011012769?journalCode=jbs">d’atteindre la performance</a>.</p>
<p>Depuis de longues années, les entreprises se sont ainsi livrées à des exercices de définition de leurs missions, et affichent ces dernières dans leurs rapports annuels et autres sites Internet. Certains chercheurs ont d’ailleurs pointé les risques d’écarts entre les missions affichées, et la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S000768130080018X">réalité des entreprises</a>. La loi Pacte remet ainsi au goût du jour une notion classique en management stratégique.</p>
<h2>Une arme très simple d’utilisation</h2>
<p>Au-delà de ses effets sur la réputation, intégrer la raison d’être aux statuts de l’entreprise peut être un moyen d’affirmer son ancrage dans la société et de donner un nouvel élan à l’engagement des salariés, <a href="http://observatoire-engagement.org/">parfois en berne</a>. Elle peut être aussi à l’évidence un <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/franck-aggeri/entreprises-a-mission-raison-detre-place-a-lexperimentation/00088252#footnote1_o4zwn4l">argument commercial de poids</a>. De plus, des chercheurs ont également montré un lien entre la performance financière de l’entreprise et l’<a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/EUM0000000005404">inclusion de certains objectifs dans sa mission</a>, par exemple le respect des employés, se comporter de manière responsable dans les contextes où l’entreprise fait des affaires ou communiquer et mettre en avant ses valeurs.</p>
<p>Enfin, inclure la raison d’être dans les statuts des sociétés pourrait avoir un autre effet, plus inattendu : celui d’être un rempart contre les OPA hostiles. Au-delà des <a href="https://hal-essec.archives-ouvertes.fr/hal-01240851/document">défenses préventives anti-OPA déjà connues</a>, les sociétés cibles vont en effet désormais pouvoir en ajouter une nouvelle : l’inscription d’une raison d’être dans leurs statuts.</p>
<p>Pour lutter contre une vision court-termiste, la financiarisation accrue des sociétés et un intérêt social réduit à l’intérêt des actionnaires les plus activistes, les entreprises ont désormais à leur disposition une nouvelle arme d’une efficacité inégalée car très simple – une modification des statuts votée en assemblée générale extraordinaire – et d’une mise en œuvre relativement aisée. Il suffira ensuite que les dirigeants l’opposent aux éventuels initiateurs d’une offre publique en arguant <a href="https://www.lextenso.fr/bulletin-joly-societes/BJS119j0">d’une incompatibilité « existentielle »</a> entre cet initiateur et la raison d’être statutairement adoptée, comme le suggère le professeur Antoine Gaudemet dans un article publié dans le « Bulletin Joly Sociétés » de janvier 2019.</p>
<p>Ainsi, la raison d’être ou le statut de société à mission peuvent permettre aux firmes d’atteindre simultanément plusieurs objectifs stratégiques parfois jugés contradictoires. Prenons par exemple le cas du groupe Danone. Une <a href="https://www.xerfiknowledge.com/presentationetude7000/Danone-(etude-de-groupe)_8ENT16">étude récente</a> montre que Danone est un acteur de taille moyenne relativement aux grandes entreprises du secteur agroalimentaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Danone vise la certification « BCorp » délivrée aux sociétés commerciales intégrant des exigences sociales et environnementales d’ici 2030.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nikolay Antonov/Shutterstock</span></span>
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<p>L’entreprise a connu plusieurs repositionnements stratégiques, avec l’abandon progressif d’un certain nombre de segments de marché, comme les biscuits, par exemple, pour se recentrer sur les produits santé et bien-être, tels que l’eau minérale et le bio. Danone fait régulièrement l’objet de spéculations concernant la perspective d’une OPA. Par exemple, en <a href="https://www.lerevenu.com/bourse/coulisses/danone-warren-buffet-relance-la-rumeur-dopa">2018</a>, une rumeur a couru sur une éventuelle acquisition par Kraft Heinz, l’un des leaders de l’agroalimentaire. D’autre part, Danone s’est engagée notamment depuis 2005 dans une politique active montrant son engagement sociétal, avec par exemple la création d’une <a href="https://www.processalimentaire.com/vie-des-iaa/danone-adopte-un-business-model-solidaire-au-bangladesh-6708?sso0=1">coentreprise au Bangladesh</a> pour rendre ses produits plus accessibles et lutter contre la malnutrition, sous l’impulsion d’Emmanuel Faber, alors responsable de l’Asie pour le groupe.</p>
<h2>D’une pierre deux coups</h2>
<p>Aujourd’hui PDG du groupe, Emmanuel Faber souligne l’importance de donner du sens à l’entreprise et de partager la <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/loi-pacte-la-raison-detre-seduit-les-entreprises-1002572">création de valeur</a> avec les différentes parties prenantes : collaborateurs, fournisseurs, collectivité. Dans ce contexte, l’intégration d’une raison d’être aux statuts de l’entreprise, ainsi que le statut de société à mission permettront à Danone de renforcer sa réputation en termes de responsabilité sociétale, tout en la protégeant d’éventuels prédateurs – une manière élégante de faire d’une pierre deux coups.</p>
<p>La loi Pacte permet ainsi l’alliance de deux objectifs : l’ancrage des entreprises dans la société, et la protection de leur indépendance. Le groupe Danone, en route vers la certification BCorp et la transformation récente de sa filière américaine en <a href="https://www.lemonde.fr/entreprises/article/2017/05/08/danone-fer-de-lance-des-nouvelles-societes-a-benefice-public_5124042_1656994.html"><em>public benefit corporation</em></a>, équivalent aux États-Unis de la nouvelle société à mission introduite par la loi Pacte, est un bon exemple du chemin à suivre. Les entreprises du « Cercle des entreprises à raison d’être » lui emboîtent d’ailleurs, semble-t-il, le pas.</p>
<p>À cet égard, une communication accrue des dirigeants sur la mise en place de ces nouveaux outils pourrait s’avérer stratégiquement efficiente. Ce dispositif s’ajoute à ceux de la loi Florange qui, depuis 2014, a donné aux dirigeants la possibilité de mettre en place <a href="https://cms.law/fr/FRA/Publication/Defenses-anti-OPA-aux-armes-dirigeants">des défenses anti-OPA « à chaud »</a>, pendant les offres, dès lors que l’intérêt social et le pouvoir des assemblées sont respectés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Bufflier travaille pour.SKEMA Business School en tant qu'enseignante</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aurore Haas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette notion introduite dans la loi Pacte permet aux entreprises de se doter indirectement d’un nouvel argument pour résister aux éventuelles tentatives d’OPA hostiles.Isabelle Bufflier, Professeur de droit des affaires, SKEMA Business SchoolAurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1121482019-02-25T21:03:44Z2019-02-25T21:03:44ZLa campagne de boycott « Moukatioun » au Maroc : une contestation du modèle des entreprises financiarisées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260212/original/file-20190221-195883-crn12d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1134%2C824&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Moukatioun ! L'image de la campagne de boycott sur Facebook.</span> <span class="attribution"><span class="source">Facebook</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Durant le printemps-été 2018, la campagne de boycott « Moukatioun » (« boycotteurs ») qui a ciblé plusieurs produits de grande consommation a été au centre du débat social, économique et politique au Maroc. En particulier, cette campagne, lancée sur les réseaux sociaux, a visé l’eau minérale Sidi Ali, les produits laitiers du groupe Centrale-Danone et les stations-service Afriquia, accusés d’avoir augmenté leurs prix sans égard au pouvoir d’achat des consommateurs.</p>
<p>On peut relever deux spécificités majeures à cette compagne de boycott. La première est que la contestation sociale a dépassé le champ politique pour investir le champ économique. La seconde est que, contrairement aux mouvements de contestation récents au Maroc comme le <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/maroc-qu-est-ce-que-le-mouvement-contestataire-al-hirak-7793909049">Hirak du Rif</a> en 2016, le boycott a largement emporté l’adhésion des classes moyennes et moyennes supérieures composées de professions libérales, de cadres et de patrons de TPE et PME.</p>
<p>Comment expliquer alors le soutien massif au mouvement de boycott de ces catégories sociales, généralement réputées « pro entreprises et business » ?</p>
<p>La première explication est que les classes moyennes subissent une baisse conséquente de leur pouvoir d’achat. En effet, le <a href="https://www.hcp.ma/downloads/Indicateurs-sociaux_t11880.html">rapport 2018 des « indicateurs sociaux du Maroc » du Haut-Commissariat au Plan</a> fait clairement état de la dégradation du pouvoir d’achat des classes moyennes. Plusieurs indicateurs soutiennent ce constat, parmi lesquels une hausse de l’indice de pauvreté subjective atteignant 37,7 % et une hausse du pessimisme des ménages de la classe moyenne quant à leur capacité à épargner. Cependant, l’argument du pouvoir d’achat seul ne suffit à expliquer ni le recours au boycott comme forme de contestation, ni le choix des entreprises visées.</p>
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<p>Une seconde explication est que ces catégories sociales expriment par là une revendication de justice sociale, un désaveu d’un modèle de développement économique et une opposition à la financiarisation non contrôlée des grandes entreprises.</p>
<h2>Contestation d’un modèle financiarisé</h2>
<p>L’économiste américain <a href="http://www.peri.umass.edu/media/k2/attachments/WP394.pdf">Gérald Epstein</a> décrit la financiarisation comme un accroissement important du rôle des institutions, des acteurs et des raisonnements financiers dans la conduite des activités économiques et la gestion des entreprises. Dans un <a href="http://lelibellio.com/wp-content/uploads/2013/01/Le-Libellio-d-volume-14-num%C3%A9ro-1-Printemps-2018.pdf">management financiarisé</a>, la finance devient une fin en soi qui bouscule d’autres valeurs et modes de pensée comme le bon, le juste, le généreux ou le solidaire.</p>
<p>Qu’en est-il pour l’économie et les entreprises marocaines ? Durant la dernière décennie, le poids de l’industrie financière a connu un accroissement sans précédent au Maroc, principalement porté par la libéralisation du secteur de l’intermédiation bancaire. Le taux de bancarisation a été multiplié par trois depuis le début des années 2000 et la place financière de Casablanca est devenue le premier centre financier africain devant Johannesburg.</p>
<p>À tort ou à raison, les membres des classes moyennes et moyennes supérieures ont le sentiment que ce développement ne leur profite pas. Chez les dirigeants de TPE et PME, le sentiment que le système financier sert d’abord les intérêts des banques elles-mêmes et des grandes entreprises, au détriment des entrepreneurs et des artisans est tenace.</p>
<p>Les entreprises industrielles, notamment celles visées par le boycott, sont perçues comme fortement financiarisées. Premièrement, ces entreprises ont développé un discours tourné vers la performance financière et la valeur actionnariale. Ce discours est d’autant plus visible que, les actionnaires-dirigeants de ces entreprises sont des personnalités exposées médiatiquement du fait de leur poids économique et politique dans le pays. C’est en particulier le cas pour les dirigeants de Sidi Ali et d’Afriquia, respectivement femme la plus influente et première fortune du pays selon le magazine <a href="https://www.forbes.com/#7a26ec952254"><em>Forbes</em></a>. Pour une large frange de la société marocaine, cette nouvelle élite des affaires s’enrichit au-delà de ce qui est moralement acceptable.</p>
<p>Deuxièmement, du point de vue du consommateur-boycotteur, les stratégies et les politiques de prix de ces entreprises privilégient la sacro-sainte rentabilité financière aux dépens des enjeux industriels et de l’orientation client. La structure oligopolistique des marchés concernés par le boycott renforce le soupçon d’une puissance dont les entreprises bénéficieraient au détriment des consommateurs et des fournisseurs.</p>
<p>C’est en réaction à ces évolutions que le mouvement « Moukatioun » traduit une rupture entre le peuple et les élites économiques en adoptant « une posture de défiance envers les grandes entreprises accusées de « s’enrichir sur le dos des citoyens » (<a href="https://www.middleeasteye.net/fr/news/maroc-un-boycott-de-grandes-marques-aux-allures-de-hirak-virtuel">Middle East Eye</a>). Cette contestation de la financiarisation de l’économie est un leitmotiv commun aux mouvements sociaux dans plusieurs pays d’Afrique du Nord. En Tunisie, les manifestations, actes de blocage et appels au boycott se sont multipliés depuis la révolution de 2011, avec une remise en cause du modèle de développement économique et du rôle des grandes entreprises perçues comme étant plus concernées par la génération de profits que par leur impact social.</p>
<h2>Est-il temps de repenser le rôle des entreprises ?</h2>
<p>Au moment où les leaders politiques et économiques du Maroc s’emploient à repenser le modèle de développement du pays, l’épisode du boycott invite à redéfinir le rôle des grandes entreprises et la manière dont ce rôle s’incarne dans les stratégies, les pratiques de gestion et les décisions commerciales et financières.</p>
<p>La réaction de Danone au mouvement de boycott est sans doute emblématique de cette évolution. Pour endiguer la chute des ventes (moins 19 % du chiffre d’affaires au 1<sup>er</sup> semestre 2018) et des résultats financiers (moins 50 % d’excédent brute d’exploitation), Danone a dépêché au Maroc son PDG Emmanuel Faber.</p>
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<p>Décrivant le boycott comme un « message fort », le PDG de Danone annonce travailler à « un nouveau modèle équitable et pérenne » pour les producteurs, les petits distributeurs et les consommateurs. Il a déclaré vouloir s’inspirer de ce qui se passe en France avec le label « C’est qui le patron ? », où les prix sont fixés par les consommateurs. Ainsi, le groupe laitier va vendre sa gamme de lait frais pasteurisé à prix coûtant.</p>
<p>L’entreprise s’engage également à « assurer une plus grande transparence de la collecte à la commercialisation du lait », notamment en rendant publiques les grilles tarifaires moyennes d’achat auprès des éleveurs. L’objectif est ainsi de rompre avec les représentations collectives de l’entreprise financiarisée et de remettre en avant des valeurs d’engagement, de confiance et de responsabilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En 2018, le Maroc a connu un large mouvement de boycott de plusieurs produits de consommation qui traduit un désaveu des élites économiques et une contestation des grandes entreprises financiarisées.Hicham Sebti, Professeur-Chercheur en Contrôle de Gestion, Co-directeur d'Euromed Fès Business School, Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMFMohamed Ikram Nasr, Professeur Assistant en Comportement Organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055372018-10-24T21:21:32Z2018-10-24T21:21:32ZLoi Pacte : il faut que tout change pour que rien ne change<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242002/original/file-20181024-48724-1vzk1h0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=110%2C6%2C3691%2C2127&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La réalité économique et financière va continuer à s'imposer aux dirigeants des entreprises, loi Pacte ou pas.</span> <span class="attribution"><span class="source">HQuality / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La loi Pacte nous fait penser au roman de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-guepard-giuseppe-tomasi-di-lampedusa/9782020906791">Giuseppe Tomasi di Lampedusa</a>, <em>Le Guépard</em> (1958). L’histoire du prince de Sicile Don Fabrizio donne en effet à réfléchir sur la transition entre en ordre ancien et un nouvel ordre. Quant à la loi Pacte, il s’agit de la France de 2018 dans laquelle le personnage principal, le président Macron, tente de réformer son pays en le faisant passer de l’ancien au nouveau monde.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>À la lecture du texte de loi, récemment <a href="http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/10/09/20002-20181009ARTFIG00002-10-choses-a-savoir-sur-la-loi-pacte-votee-ce-mardi-a-l-assemblee-nationale.php">voté à l’Assemblée nationale</a>, on pense fortement à la célèbre phrase du livre : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Une phrase qui avait d’ailleurs valu à son auteur la réprobation du Parti communiste italien car elle allait à l’encontre des idéaux de la révolution.</p>
<h2>Réhabiliter « l’objet social »</h2>
<p>Lorsque la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) fut mise en chantier, elle souleva chez de nombreux spécialistes de la gouvernance des entreprises de grands espoirs. Quelque 14 recommandations à ce sujet étaient en effet détaillées dans le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport</a> de la mission présidée par Nicole Notat, ancienne dirigeante du syndicat CFDT, et Jean‑Dominique Senard, patron de Michelin et accessoirement membre de la <a href="http://www.noblesse-pontificale.org/index.php/fr/">Réunion de la noblesse pontificale</a>).</p>
<p>Ce rapport, intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », a été remis le 9 mars 2018 aux ministres de la Transition écologique, de la Justice, de l’Économie et des finances, et du Travail. Selon les auteurs, « les auditions ont confirmé le besoin d’une réflexion sur l’entreprise, dans un contexte de financiarisation de l’économie et de court-termisme de certains investisseurs. Le détenteur provisoire de capital n’a plus grand-chose à voir avec la figure de l’associé, visé par le code civil de 1804 ». Ils affirmaient également une conviction : « l’entreprise a une raison d’être et contribue à un intérêt collectif ».</p>
<p>Parmi les 14 recommandations, notons la n° 1, qui visait à ajouter un second alinéa à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833</a> du code civil, ainsi que la n° 2, qui proposait d’insérer la notion de <em>raison d’être</em> de l’entreprise. De l’aveu des auteurs, il s’agissait de réhabiliter « l’objet social au sens premier du terme ». La recommandation n° 3 prévoyait en outre de renforcer le nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 1 000 salariés : deux salariés à partir de huit administrateurs non-salariés, et trois salariés à partir de 13. L’idée sous-jacente était la suivante : les salariés, qui subissent les risques de l’activité de l’entreprise, peuvent apporter dans ces conseils « une contribution précieuse par leur compréhension de l’intérieur, leur connaissance des métiers, de l’histoire de l’entreprise et leur attachement à sa continuité ». Quant autres recommandations, notamment celles visant les praticiens et les administrations, bien que dignes d’intérêt, elles étaient nettement moins « révolutionnaires ».</p>
<h2>Un texte loin des attentes</h2>
<p>Reprenant ces recommandations, le projet de loi Pacte visait, entre autres dispositions de modernisation, à « repenser la place des entreprises dans la société ». Pour cela, l’article 1833 du code civil a été complété par un alinéa ainsi rédigé : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant compte en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». On note que l’article 1833 ne fait donc que l’objet d’un additif.</p>
<p>On est finalement loin des changements voulus par certains économistes (dont, par exemple, <a href="https://www.marianne.net/economie/les-actionnaires-ne-sont-pas-les-proprietaires-des-entreprises">Olivier Favereau du Collège des Bernardins</a>) qui contestent que la gestion des entreprises soit définie par son intérêt social et celui des actionnaires. L’ajout de la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux n’apporte finalement pas grand-chose de neuf. La jurisprudence oscille en effet depuis longtemps entre une conception restrictive de l’intérêt social réduit aux seuls intérêts des actionnaires, et une définition plus extensive pour englober les intérêts de tous les « stakeholders » (salariés, créanciers, clients, fournisseurs ou sous-traitants). Par ailleurs, les entreprises ont compris depuis longtemps qu’elles ne pouvaient pas ignorer les attentes de leurs parties prenantes pour réussir.</p>
<p>Le projet de loi proposait également de compléter l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444059&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1835</a> du code civil d’une phrase ainsi rédigée : « Les statuts peuvent préciser la raison d’être dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité ». Avec l’introduction de cette raison d’être dans ses statuts, on assiste à un renforcement de la notion d’<em>objet social</em> par rapport à celle de l’<em>intérêt social</em> limité aux seuls intérêts des associés.</p>
<h2>Impact minime</h2>
<p>Certaines entreprises pourront donc se donner une mission d’intérêt général. C’est par exemple le cas de Nutriset, société familiale normande spécialisée dans la conception et la fabrication de produits alimentaires, qui s’est fixée comme objectif « d’apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition/malnutrition des enfants ». <a href="http://www.nutriset.fr">Nutriset</a> oblige ainsi « les actionnaires à partager une vision commune et à protéger l’entreprise de visions privilégiant le court terme guidées par la recherche d’une rentabilité rapide ». Pour cette entreprise, l’OSE (Objet social étendu) est non seulement une boussole mais devient également un outil d’innovation managériale visant à impliquer davantage les collaborateurs. C’est bien, mais cela n’a rien de vraiment révolutionnaire…</p>
<p>Attention : loin de nous l’idée de vouloir minimiser l’intérêt de l’introduction de la raison d’être dans les statuts de l’entreprise. On peut cependant s’interroger sur la réalité de son impact sur la gouvernance au quotidien. Déjà, des effets d’aubaine ou d’affichage (communication) existent autour du statut d’entreprise à mission. Par ailleurs, et sans que cela soit inscrit dans le marbre des statuts, beaucoup d’entreprises se donnent des missions plus larges que le seul intérêt de leurs actionnaires.</p>
<p>Par exemple, le groupe français Air Liquide déclare veiller « au strict respect des droits de l’Homme et à celui de l’éthique des affaires ». Le leader mondial des gaz et technologies pour l’industrie et la santé s’est notamment fixé <a href="http://www.airliquide.com">deux objectifs</a> pour contribuer à un monde plus durable : « améliorer la qualité de l’air et prévenir le réchauffement climatique » et « approfondir le dialogue avec les parties prenantes ». Ce qui ne l’empêche pas de surperformer en bourse. Sur 20 ans (depuis le 23 octobre 1998), l’action Air Liquide a progressé de 248 % alors que le CAC 40 ne progressait que de 50 % sur la même période. Preuve que l’on peut combiner l’intérêt des actionnaires et ceux des autres parties prenantes, et cela sans inclure de raison d’être dans les statuts.</p>
<p>Enfin, le projet de loi Pacte reprend la proposition d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 1 000 salariés. Mais est-ce que deux salariés à partir de huit administrateurs non-salariés, et trois salariés à partir de 13, vont vraiment changer la donne et la répartition du pouvoir au sein des conseils des entreprises ? On peut en douter… En tout état de cause, on est encore très loin de la <a href="https://www.lesechos.fr/03/09/2017/lesechos.fr/030524516784_l-allemagne--un-modele-de-cogestion.htm">cogestion à l’allemande</a> (cogestion qui est d’ailleurs loin d’être toujours <a href="https://theconversation.com/volkswagen-revolte-des-actionnaires-minoritaires-au-pays-de-la-cogestion-66164">exemplaire</a>. Certes, la présence accrue d’administrateurs peut peser sur certaines décisions, comme la rémunération parfois exorbitante de certains dirigeants (et encore). Mais la question demeure entière pour des décisions visant à restructurer les activités de l’entreprise quand cela est rendu nécessaire. La question renvoie en fait au rôle effectif de ces administrateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-de-lentreprise-des-administrateurs-salaries-pour-quoi-faire-92906">Réforme de l’entreprise : des administrateurs salariés pour quoi faire ?</a>
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<h2>Une gouvernance pas vraiment révolutionnée</h2>
<p>Le projet de loi Pacte vise également à « améliorer et diversifier les financements » des entreprises via des mesures en faveur du financement par les acteurs privés. C’est ainsi qu’il est prévu d’orienter davantage l’épargne salariale vers l’investissement en actions, en assouplissant la détention de plans d’épargne retraite, et à renforcer la contribution de l’assurance-vie au financement de l’économie, à travers l’investissement en actions.</p>
<p>La loi Pacte consacre également une section importante de l’article 66 aux dispositions applicables aux entreprises d’investissement et notamment à celles qui effectuent un <a href="https://www.lesechos.fr/19/04/2018/lesechos.fr/0301571783338_ag---ces-specialistes-du-conseil-en-vote-qui-murmurent-a-l-oreille-des-investisseurs.htm">« service de conseil en vote »</a>. Autrement dit, ces dispositions vont renforcer le poids des actionnaires minoritaires et l’engagement actionnarial. Ce ne sont pas les actionnaires qui s’en plaindront, ni les entreprises à la recherche de fonds propres…</p>
<p>Ces mesures, et quelques autres, vont de facto dans le sens d’une pression plus grande des actionnaires sur les grandes firmes cotées. En effet, si les gérants d’assurance-vie sont encouragés à investir davantage en actions, et que les services de conseil en vote sont davantage reconnus, on ne voit pas comment cela pourrait ne pas se traduire par une pression accrue de la part des actionnaires ou de leurs mandants sur la gestion financière de l’entreprise.</p>
<p>In fine, comme nous l’annoncions dans les premières lignes de cet article, avec la loi Pacte, « il faut que tout change pour que rien ne change ». La réalité économique et financière va continuer à s’imposer aux dirigeants des entreprises, notamment celles faisant appel à l’épargne publique, et leur gouvernance ne va pas être vraiment révolutionnée. Cette conclusion rassurera tous ceux qui pensent que les actionnaires ont un rôle fondamental à jouer dans la gouvernance des sociétés, et qu’il ne faut pas amoindrir leur pouvoir. En même temps, elle décevra tous ceux qui attendaient le grand chamboulement dans la répartition de ce pouvoir au sein des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105537/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans la mission de l’entreprise est loin d’être une révolution. La nouveauté, c’est plutôt le pouvoir renforcé des actionnaires.Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1049732018-10-15T21:38:53Z2018-10-15T21:38:53ZLa loi Pacte ne referme pas le débat sur l’objet social de l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240610/original/file-20181015-165885-hjevpf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C44%2C7227%2C4726&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Il semble bien que oui...</span> <span class="attribution"><span class="source">Stokkete / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, le mardi 9 octobre dernier. Au milieu d’une invraisemblable accumulation de mesures hétéroclites (qu’on aurait appelé <a href="http://blogs.lexpress.fr/cuisines-assemblee/2017/02/03/le-conseil-constitutionnel-veut-stopper-la-cavalerie-legislative/">« cavaliers législatifs »</a> en un autre temps), son volet relatif à la place des entreprises dans la société était la disposition la <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">plus attendue</a>.</p>
<p>Rappelons qu’à la suite du <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Notat-Sénard</a>, il s’agissait de consacrer, en leur donnant du contenu juridique, trois des principaux sujets novateurs du projet : la notion « d’intérêt social » associée à une reconnaissance de la responsabilité sociale de l’entreprise, la notion de « raison d’être de l’entreprise », et l’idée de création de « société à mission ». Dans le contexte général d’un projet économique très libéral, il sera évidemment facile de se gausser en disant que la <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">montagne a accouché d’une souris</a>… ce qui est néanmoins vrai.</p>
<h2>Absence d’obligation de résultat</h2>
<p>Le projet gouvernemental reconnaissait déjà qu’il n’existe pas de définition stabilisée de l’intérêt social d’une société et s’en remettait à la jurisprudence pour en préciser la signification. Les députés n’ont pu faire mieux, compte tenu d’un foisonnement de conceptions et d’interprétations dans la doctrine juridique, la jurisprudence et la littérature académique (<a href="https://classiques-garnier.com/entreprise-et-responsabilite-sociale-en-questions-savoirs-et-controverses-faut-il-renouveler-la-conception-de-l-entreprise.html">Capron, 2017</a>). On n’est donc pas plus avancé et la loi ne nous éclaire pas sur ce que sont (ou devraient être) les finalités d’une société en tant que personne morale. D’autant que l’ajout à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833</a> du code civil, « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », ne précise pas concrètement quelles sont les obligations qui résultent de cette prise en considération.</p>
<p>Nous savons cependant, à travers les débats, qu’il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais d’une simple obligation de moyens à la charge de la société. En conséquence, il ne peut y avoir de sanctions légales pour ne pas y avoir répondu et il sera difficile de mettre en cause la responsabilité des dirigeants pour une insuffisance de prise en considération. Dans son <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Avis/Selection-des-avis-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Projet-de-loi-relatif-a-la-croissance-et-la-transformation-des-entreprises">avis sur le projet</a> de loi, adopté le 14 juin 2018, le Conseil d’État avait déjà bien insisté sur ce point. Seule une faute de gestion pourrait être invoquée par les associés, car cet article ne concerne que la gestion de la société. Ce qui n’est pas le cas de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832</a> (inchangé) qui définit le contrat de société entre les associés.</p>
<h2>Une « raison d’être » mal précisée</h2>
<p>Mais alors n’y a-t-il pas matière à discordance entre un contrat de société, qui ne concerne que les seuls associés dans le but de partager les bénéfices de l’activité, et une gestion dont la loi oblige ceux-ci à avoir une vision plus large qui intègre des exigences sociétales ? Des ONG (<a href="https://www.asso-sherpa.org/projet-de-loi-pacte-ne-reconcilie-lentreprise-citoyens">Sherpa</a>, ou encore <a href="https://ccfd-terresolidaire.org/infos/rse/loi-pacte-une-loi-pour-6199">CCFD Terre solidaire</a>) l’ont fait remarquer en mettant le doigt sur la contradiction entre le fait d’être tourné vers le profit et en même temps de s’intégrer dans un écosystème social et environnemental.</p>
<p>En ce qui concerne la notion de « raison d’être », l’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/09/05/tresor-eco-n-226-quel-effet-macroeconomique-du-pacte-premiers-elements-de-reponse">étude d’impact</a> du projet de loi se contentait de préciser que « la raison d’être est le motif, la raison pour laquelle la société est constituée ». C’est elle qui détermine « le sens de la gestion et en définit l’identité et la vocation ».</p>
<p>Soumise à la pression de ses collègues qui soulignaient, comme le Conseil d’État, qu’il s’agissait d’une notion inédite dans la législation, la rapporteure du projet, Coralie Dubost, en a reconnu en séance l’imprécision. Elle a alors fait adopter un amendement qui précise que la raison d’être est « constituée de principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Une précision qui reste, malgré tout, bien vague. Elle laissera sans doute perplexes bon nombre de dirigeants d’entreprise qui, au demeurant, ne seront pas tenus de l’intégrer dans leurs statuts.</p>
<h2>Un statut « d’entreprise à mission »</h2>
<p>Enfin, le rapport Notat-Sénard suggérait d’introduire la notion d’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/le-rapport-senard-netlesauteursproposaientnotammentd%E2%80%99ajouterlamention%C2%ABl%E2%80%99objetsocialpeutpr%C3%A9ciserlaraisond%E2%80%99%C3%AAtredel%E2%80%99entrepriseconstitu%C3%A9">« entreprises à mission »</a> à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444059&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1835</a> du code civil.</p>
<p>Cette proposition n’a pas été retenue dans le projet initial du gouvernement. Dans l’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/09/05/tresor-eco-n-226-quel-effet-macroeconomique-du-pacte-premiers-elements-de-reponse">étude d’impact</a>, le gouvernement écartait même clairement l’écriture d’un nouveau statut « d’entreprise à mission » en laissant aux acteurs économiques le soin de définir eux-mêmes des statuts types ou des labels répondant à cette préoccupation. En cause : les différents statuts de sociétés existants, très nombreux en France, et les risques de redondance ou d’illisibilité puisqu’il existe déjà un cadre juridique de l’économie sociale et solidaire (ESS).</p>
<p>Une grande partie des membres de la commission spéciale de l’Assemblée nationale sont cependant revenus à la charge avec des propositions diverses. Cette contre-attaque a abouti à faire accepter par le gouvernement un amendement visant à créer, non pas une nouvelle forme juridique, mais un statut de société à mission. Ce statut peut s’appliquer à toute forme juridique répondant aux deux critères suivants : l’existence d’une raison d’être dans les statuts, et la mise en place d’un organe social distinct des organes sociaux obligatoires destiné à veiller sur la bonne application de la « mission ».</p>
<h2>Le vote est clos à l’Assemblée, mais le débat reste ouvert</h2>
<p>Ce statut semble avant tout de l’ordre du symbolique. Il est toutefois porteur de risques. Il pourrait d’abord brouiller encore un peu plus le paysage de l’ESS et de l’entrepreunariat social, déjà fort confus. Plus inquiétant, il pourrait aussi, en creux, décourager certaines entreprises à adopter des politiques de Responsabilité sociétale (RSE). Ces dernières pourraient ne plus s’estimer concernées, laissant le sujet aux autres qui auraient adopté le statut.</p>
<p>En fin de compte, on serait tenté de dire : « beaucoup de bruit pour peu de choses ». La majorité a surtout paru soucieuse de réduire au maximum l’impact juridique de son propre dispositif, afin de ne pas effaroucher des milieux d’affaires qui, dans l’ensemble, sont restés défavorables à des changements substantiels du droit des sociétés. À l’évidence, la loi Pacte ne refermera pas le débat sur l’identité, l’utilité et la finalité des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Capron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le texte, voté à l’Assemblée nationale début octobre, n’éclaire pas sur ce que devraient être les finalités d’une société en tant que personne morale. C’était pourtant le point le plus attendu.Michel Capron, Chercheur associé au Laboratoire d’économie dyonisien et à l’Institut de Recherche en Gestion, Université Paris-Est, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/943542018-04-15T19:56:39Z2018-04-15T19:56:39ZL’entreprise, un objet d’intérêt collectif ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/214726/original/file-20180413-560-zdkd7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C161%2C4685%2C2863&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La société civile est concernée au premier chef par la réforme de l'entreprise.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/unrecognizable-mass-people-walking-city-490906510?src=7fD1DDl_4QwYB93GVLQD9Q-1-16">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Remis au ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 9 mars dernier, le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Sénard-Notat</a> est un texte intéressant. Solidement documenté, il présente des analyses et des problématiques dans lesquelles la société civile au sens large peut se retrouver. Il tranche notamment avec les discours laudatifs et sans consistance qu’on rencontre trop souvent lorsqu’il est question des entreprises. Son ambition est d’emblée annoncée : </p>
<blockquote>
<p>« Consacrer dans notre droit la dynamique de la RSE. » (p. 6)</p>
</blockquote>
<p>Une perspective que partagent la plupart des chercheurs spécialisés en RSE et les représentants des organisations de la société civile. Examinons la philosophie générale qui traverse ce rapport.</p>
<h2>Une déviation par rapport à l’objet de la mission</h2>
<p>Tout d’abord, une constatation assez surprenante : le titre ne correspond pas à l’objet de la mission. Alors que la lettre de mission parlait de « mener une réflexion sur la relation entre l’entreprise et l’intérêt général », les auteurs du rapport prennent, dès le titre, leurs distances avec cette problématique pour parler de l’entreprise comme d’un objet d’intérêt collectif.</p>
<p>Il est clair qu’« intérêt général » et « intérêt collectif » ne peuvent pas être confondus. Les auteurs s’en expliquent en disant que le rôle de l’entreprise n’est pas de poursuivre l’intérêt général. On peut aisément en être d’accord, mais alors, pourquoi n’avoir pas suivi la consigne de la lettre de mission et avoir évacué de tout le texte la question centrale des rapports entre les entreprises et la société au sens large ? Sans aller jusqu’à vouloir faire assumer aux entreprises l’intérêt général, il y a matière à s’interroger sur les manières de faire respecter l’intérêt général par les entreprises. Ce point constitue une déception majeure.</p>
<p>Deux maîtresses locutions jalonnent l’ensemble du rapport et en constituent deux pierres de touche étroitement liées : « l’intérêt propre de l’entreprise » et sa « raison d’être ». Grâce à elles et aux développements auxquels elles donnent lieu, on cerne la philosophie profonde du rapport.</p>
<h2>L’intérêt propre de l’entreprise</h2>
<p>Répondant à une demande largement partagée par la plupart des organisations et personnes consultées, critiquant le fait que la rédaction actuelle de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=ECD866D4C9BFB81B1893CFFF82C2F22A.tplgfr27s_2?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721&categorieLien=id&dateTexte=">article 1833 du code civil</a> réduit l’objet social à la satisfaction de « l’intérêt commun des associés », le rapport propose d’ajouter un second alinéa à cet article 1833 :</p>
<blockquote>
<p>« La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux. »</p>
</blockquote>
<p>Le terme <em>considérant</em> apparaît faible, car il n’induit pas d’obligation de résultats (comme le fait d’ailleurs observer le rapport). Mais sans modification de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832</a>, qui stipule que l’objectif du contrat de société est de partager entre les associés « le bénéfice ou de profiter de l’économie » qui pourra résulter de l’entreprise commune, on est en droit de s’interroger sur la contradiction qui apparaît entre les deux articles.</p>
<h2>Quel est l’« intérêt propre de la société, distinct de celui des associés » ?</h2>
<p>Le rapport Sénard-Notat s’inspire de la théorie juridique institutionnelle de l’entreprise qui a vu le jour dans l’immédiat après-guerre sous la plume, notamment, <a href="http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/public/index.jsp?record=bmr%3AUNIMARC%3A4841946&failure=%2Fjsp%2Fpublic%2Ffailure.jsp&action=public_direct_view&success=%2Fjsp%2Fpublic%2Findex.jsp&profile=public">du juriste Paul Durand</a>. Pour ce dernier, l’entreprise constitue une unité organique entre patronat et salariés ; en quelque sorte, une association « capital-travail ».</p>
<p>Cette théorie a été ensuite développée par <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/6212">« l’école de Rennes »</a> de droit des sociétés dans les années 1950-1960, sous la férule de Claude Champaud, et fut combattue d’une part, par ceux qui y voyaient l’occultation de l’opposition irréductible entre les intérêts des employeurs et ceux des salariés et d’autre part, par les tenants de la vision contractuelle de l’entreprise, pour lesquels le contrat de société repose avant tout sur les engagements des associés. Après avoir connu un relatif succès auprès de la jurisprudence, elle fut reprise en 1995 par le <a href="https://www.lesechos.fr/11/07/1995/LesEchos/16937-061-ECH_le-rapport-vienot-preconise-une-mutation-en-douceur-des-conseils-d-administration.htm">rapport Viénot</a> sur le conseil d’administration des sociétés cotées. Ce travail sur la réforme de l’entreprise piloté par Marc Viénot, président de la Société Générale, a largement inspiré le rapport Notat-Sénard. La définition de l’intérêt de l’entreprise y est la suivante :</p>
<blockquote>
<p>« L’intérêt social de l’entreprise peut ainsi se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même ; c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome poursuivant ses propres fins distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise. » (<a href="http://www.ecgi.org/codes/documents/vienot1_fr.pdf">rapport AFEP‑CNPF</a>, p. 9)</p>
</blockquote>
<p>En l’occurrence, il ne s’agit pas ici d’un « intérêt général commun », mais d’un intérêt collectif supposé, au demeurant non démontré, car la définition fait fi des antagonismes susceptibles d’exister entre les divers protagonistes. On peut comprendre que l’intérêt propre apparaît ainsi comme la continuité de l’exploitation, la pérennité de l’organisation, dans le sens du maintien de la viabilité d’un système qui n’aurait pas d’autre finalité que sa propre survie et transcenderait les intérêts de ses parties prenantes.</p>
<p>On remarquera au passage que la définition confond la société et l’entreprise. Bien que les auteurs du rapport soulignent la nécessité de distinguer les deux notions, ils ne fournissent pas de critères de distinction entre les deux, ce qui laisse entière la question de leurs définitions respectives et de leur articulation. D’ailleurs, à plusieurs reprises les auteurs du rapport écrivent « entreprise » à la place de « société ».</p>
<p>La vision des auteurs semble correspondre à une association « capital-travail », ce que confirme la proposition d’une plus grande ouverture des conseils d’administration et des conseils de surveillance aux représentants des salariés. Ce qui laisse de côté les autres parties prenantes… En effet, si le rapport recommande bien de constituer des comités de parties prenantes dans les grandes entreprises, ceux-ci le seraient en dehors des conseils d’administration. Une autre conception, plus innovante, aurait été possible. Par exemple celle de l’APIA, l’<a href="http://www.apia.asso.fr/">association des Administrateurs professionnels indépendants associés</a>, qui considère l’intérêt social de l’entreprise comme recouvrant</p>
<blockquote>
<p>« de manière combinée et variable, selon le contexte, les intérêts de la personne morale, des actionnaires, des salariés ou des autres parties prenantes »(APIA, Vademecum n°2, mars 2015)</p>
</blockquote>
<h2>La « raison d’être » de l’entreprise</h2>
<p>La seconde locution qui imprègne le rapport est la notion de « raison d’être » définie comme étant « ce qui est indispensable pour remplir l’objet social, c’est-à-dire le champ des activités de l’entreprise. » (p. 4), en quelque sorte un préalable en amont avant de définir l’objet social dans les statuts. Elle doit être le résultat d’une « volonté réelle et partagée » (p. 4).</p>
<p>Mais entre quels acteurs cette volonté doit-elle être partagée ? Certainement pas seulement entre les associés, puisque l’« intérêt propre » de la société est distinct de celui des associés (ce qui serait contradictoire avec le nouvel article 1833). Pas non plus avec les représentants des salariés, puisqu’ils ne sont pas présents au moment de l’adoption de ses statuts.</p>
<p>Finalement, l’entreprise (ou la société, personne morale) apparaît comme un être irréel, idéalisé, placé au-dessus des acteurs qui la compose, irréalité d’autant plus ressentie qu’elle ne fait l’objet d’aucune définition, ni juridique, ni économique.</p>
<h2>Métaphore de « l’être » : l’utilisation abusive nuit à la clarté</h2>
<p>Ceci est la conséquence d’un abus de la métaphore de « l’être » appliquée à la personne morale, que l’on rencontre très souvent dans la littérature managériale et académique. Même si la législation lui a reconnu les attributs d’une personne physique, <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre1-2012-3-p-44.htm">avec d’ailleurs plus de droits que d’obligations</a>, une personne morale n’est pas un être vivant assimilable à un être humain. Le pape Innocent IV, en 1250, à l’origine de l’idée de personne morale, la qualifiait de <em>persona ficta</em>. Il s’agit bien d’une fiction, qui ne peut pas avoir de « volonté propre », contrairement à ce que semble prétendre le rapport. Celui-ci l’admet d’ailleurs implicitement, puisqu’il reconnaît que c’est le conseil d’administration qui manifeste cette volonté (p. 50).</p>
<p>Des tribunaux québécois ont effectivement contesté cette représentation des sociétés en déclarant qu’étant des personnes intangibles et fictives, elles sont incapables de bénéficier de façon concrète des mêmes attributs que les personnes physiques ou d’en faire un usage conforme à leur objet. De son côté, la littérature en sociologie des organisations, tant américaine que française, va à l’encontre de cette idée en montrant que l’entreprise est une organisation composite, un « système » dans lequel et auprès duquel évoluent de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-acteur-et-le-systeme-michel-crozier/9782757841150">multiples acteurs et dont les actions et les comportements résultent de leurs luttes d’influence et de leurs interactions</a>. Ces acteurs, les « parties prenantes », ont tantôt des relations coopératives, tantôt des relations conflictuelles avec les directions des entreprises, ce que ne contredirait pas <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-3-page-161.htm">James March</a>, cité dans le rapport (p. 17).</p>
<h2>Attention aux entreprises à mission</h2>
<p>Sur d’autres sujets abordés dans le rapport, nous retiendrons la proposition de <a href="http://www.hec.fr/News-Room/Communiques-de-presse/Les-entreprises-a-mission-les-entreprises-de-demain-Premiere-enquete-nationale-sur-les-entreprises-a-mission-francaises">« l’entreprise à mission »</a> sur laquelle les auteurs restent flous et prudents. Reconnaissant qu’une nouvelle forme juridique ou un nouveau statut de société ne se justifie pas en France, ils suggèrent que l’objet social pourrait préciser, pour des sociétés volontaires, la « raison d’être de l’entreprise constituée » (p. 70), avec une reconnaissance dans la loi de ces « entreprises à mission », accessibles, sous conditions, à toutes les formes juridiques de société. Actuellement, la SAS (société anonyme simplifiée), qui connaît un énorme succès, permet déjà d’introduire ce type de clause dans son objet social.</p>
<p>Plus inquiétante est l’idée d’une quatrième voie, aux côtés de l’économie de marché, de l’action publique et de l’économie sociale et solidaire : « une économie responsable, parvenant à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux » (p. 6), ce qui pourrait signifier en creux, renoncer à faire de la RSE, le marqueur de l’ensemble des entreprises. Les auteurs s’en défendent en parlant de « rythmes différents » selon les entreprises, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’une « évolution normative légère » (p. 6) conduirait précisément à des RSE à plusieurs vitesses.</p>
<p>Le rapport aborde également la <a href="https://theconversation.com/reforme-de-lentreprise-des-administrateurs-salaries-pour-quoi-faire-92906">question des administrateurs salariés</a> en recommandant une plus grande ouverture des CA et des CS, mais il ne précise pas ce qui est attendu d’eux, leurs conditions d’exercice, leurs responsabilités spécifiques…</p>
<p>Si on peut être d’accord avec le fait que la théorie des parties prenantes correspond plus à une vision américaine de l’intérêt général, peu compatible avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2007-4-page-463.html">tradition française rousseauiste et républicaine de la volonté générale</a>, on ne peut ignorer que l’activité et les résultats d’une entreprise dépendent en grande partie de son environnement institutionnel, économique et social. C’est pourquoi des propositions de nouvelle rédaction du code civil ont mis l’accent sur la nécessité pour l’entreprise, à la fois de prendre en compte les attentes de ses parties prenantes et de respecter l’intérêt général. Par ailleurs, la définition des parties prenantes retenue par le rapport : « les personnes et les groupes qui subissent un risque du fait de l’activité de l’entreprise » (p. 4) semble un peu rapide et incomplète.</p>
<h2>RSE : peu de nouveautés</h2>
<p>Finalement, malgré des analyses très actuelles qui participent de l’évolution de la pensée due au mouvement de la RSE, le rapport présente peu d’idées nouvelles et d’innovations. Celles-ci sont rapidement résumées dans les graphiques des p. 8 et 71 :</p>
<ul>
<li><p>un premier niveau comprenant toutes les entreprises auxquelles il est recommandé de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité ;</p></li>
<li><p>un deuxième niveau composé de sociétés dotées d’organes d’administration et de contrôle qui déterminent les orientations de leur activité en fonction de leur « raison d’être » ;</p></li>
<li><p>un troisième niveau avec des entreprises à mission volontaire.</p></li>
</ul>
<p>En conclusion, tout en constituant une base de départ intéressante, le rapport Notat-Sénard déçoit par la timidité de ses propositions, qui restent dans un champ de densité normative très faible. Avoir une vraie réflexion sur la relation entre les entreprises et l’intérêt général supposerait notamment :</p>
<ul>
<li><p>d’aborder de front la question de la transparence des activités des entreprises et de leur conséquences de façon à permettre un véritable contrôle de la société au sens large sur leurs activités et notamment de limiter strictement le secret des affaires ;</p></li>
<li><p>de circonscrire leur rôle et leur place dans les décisions publiques, en réglementant de manière sérieuse le lobbying des groupements d’intérêt ;</p></li>
<li><p>de distinguer nettement l’entreprise « entrepreneuriale » redonnant vigueur à l’esprit d’entreprise de la « grande entreprise » soumise aux aléas des mouvements de capitaux ;</p></li>
<li><p>de donner corps à une réinternalisation des coûts sociaux et environnementaux s’appuyant sur une comptabilité dégagée de la seule préoccupation des intérêts financiers ;</p></li>
<li><p>de retreindre les possibilités d’irresponsabilité d’actionnaires ou d’associés s’abritant derrière des statuts juridiques de société trop conciliantes à leur égard ;</p></li>
<li><p>de reconnaître un statut de contre-pouvoirs aux organisations et aux personnes de la société civile.</p></li>
</ul>
<p>Il conviendra, dans le projet de loi ou au-delà, de lever un certain nombre de contradictions et de combler les manques du rapport remis par Nicole Notat et Jean‑Dominique Sénard, à partir d’une analyse approfondie de la place des entreprises dans la société. Analyse qui lui fait actuellement défaut.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus :<br>
Fericelli A.M., (1983) « L’entreprise comme système dynamique ouvert », Connaissance politique n°1, p. 50-61 ;<br>
Capron M. et Quairel-Lanoizelée F., (2015), <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_entreprise_dans_la_societe-9782707175960.html">« L’entreprise en société. Une question politique »</a>, La Découverte, 2015.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94354/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Capron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapport Notat-Sénart sur la réforme de l’entreprise présente des problématiques importantes pour la société civile. Mais il contient des contradictions, et les innovations y sont rares.Michel Capron, Chercheur associé au Laboratoire d’économie dyonisien et à l’Institut de Recherche en Gestion, Université Paris-Est, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/936702018-04-05T20:23:07Z2018-04-05T20:23:07ZL’économie sociale et solidaire face à la réforme de l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/213441/original/file-20180405-189813-gpgbrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C486%2C4928%2C2567&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La loi PACTE mettra-t-elle fin à la dichotomie entre entreprise classique, tournée vers la maximisation de ses profits, et entreprise de l'économie sociale et solidaire, dédiée à l'intérêt général ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/confirm/200543060?size=huge_jpg">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le projet de loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) préparé par le gouvernement Macron ambitionne d’inciter les différents acteurs de l’entreprise (entrepreneurs, financeurs, managers, travailleurs, clients…) à changer leur perception du rôle de cette dernière dans la société. Il s’agit de <a href="https://theconversation.com/vers-la-loi-pacte-consensus-et-ambigu-tes-92155">repenser ce que les entreprises pourraient – ou devraient – être</a> à la lumière des évolutions sociétales, économiques, politiques et écologiques de ces dernières années.</p>
<p>Surtout, cette réforme de l’entreprise semble annoncer la fin des dichotomies entre entreprises dites « classiques » et entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS). Quatre ans après la loi relative à l’ESS, que nous apprend la comparaison de ces deux textes ? Que révèlent-ils sur nos nouvelles modes d’entreprendre ? En quoi sont-ils annonciateurs de ce que seront les entreprises de demain ?</p>
<h2>Les entreprises de l’economie sociale et solidaire</h2>
<p>Derrière le label ESS se cache une grande diversité d’entreprises aux ancrages historiques aussi anciens que divers. Celles-ci se sont réunies en 1980 au sein du <a href="https://www.cairn.info/revue-recma1-2014-4-p-30.htm">comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives</a> lié par une charte comportant sept principes :</p>
<ul>
<li><p>Une personne, une voix (en assemblée générale), quel que soit son niveau de participation au capital de l’entreprise ;</p></li>
<li><p>Libre adhésion et responsabilité ;</p></li>
<li><p>Double qualité : l’entreprise appartient à celles et ceux qui produisent la valeur ;</p></li>
<li><p>Égalité et liberté ;</p></li>
<li><p>Lucrativité limitée : les excédents sont réinjectés dans le projet ;</p></li>
<li><p>Émancipation : recherche et expérimentation ;</p></li>
<li><p>Activités économiques au service des Femmes et des Hommes.</p></li>
</ul>
<p>Ces principes sont censés être garantis par les statuts juridiques adoptés par ces organisations – associations, coopératives, mutuelles et leurs fondations – mais aussi par les pratiques et outils mobilisés. Cependant, sous l’effet de la concurrence et de la baisse des soutiens publics, les entreprises de l’ESS ont été poussées à adopter les pratiques et outils de gestion des entreprises à but lucratif : management par objectifs, <em>reporting</em> financier, etc.</p>
<p>Ces outils et pratiques entrent en contradiction avec les principes de l’ESS, si bien que leur adoption rend plus difficile, pour toutes les parties prenantes (salariés de ces organisations, consommateurs des produits et services qu’elles produisent…), la distinction entre les entreprises de l’ESS et les autres. Ainsi, bien que rarement identifiées comme telles par le public, de grandes marques sont en réalité des entreprises de l’ESS : Maif (mutuelle), Intersport (coopérative de commerçants), Crédit Mutuel (banque coopérative), Magasins U (coopérative de commerçants), le Groupe Up–Chèque déjeuner (coopérative de travailleurs) …</p>
<h2>Loi ESS de 2014 : un périmètre élargi aux entreprises commerciales</h2>
<p>Dans ce paysage complexe sont apparues ces dernières années de nouvelles entreprises dites « sociales » qui revêtent les mêmes formes juridiques que les entreprises commerciales « classiques » (société anonyme, société par actions simplifiée, etc.) mais poursuivent une finalité sociale. Par exemple, <a href="https://dreamact.eu/fr/">DreamAct</a>, (plateforme qui permet de consommer « responsable » via un <em>city guide</em> et un <em>e-shop</em>) ou <a href="https://laruchequiditoui.fr/fr">La Ruche qui dit oui</a> (qui facilite les ventes directes entre producteurs et consommateurs) ont opté pour le statut de société par actions simplifiée.</p>
<p>Non sans remous, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029313296&categorieLien=id">loi relative à l’ESS</a>, votée par le Parlement le 31 juillet 2014, a permis d’inclure ces entreprises à la fois commerciales et sociales dans la famille ESS. Sous certaines conditions : elles doivent en effet répondre aux principes de l’ESS, c’est-à-dire poursuivre un but autre que le partage des bénéfices, avoir une gouvernance démocratique, constituer des réserves impartageables et affecter la majorité de leurs bénéfices au maintien ou développement de l’entreprise.</p>
<p>Initialement conçue pour apporter une reconnaissance à l’ESS, cette loi a plutôt attisé les tensions entre entreprises sociales et entreprises de l’ESS, rendant un peu plus floue la typologie des entreprises…</p>
<h2>Réforme de l’entreprise 2018 : inclure les critères de RSE</h2>
<p>Le projet actuel de réforme de l’entreprise découle de la critique de la financiarisation des entreprises, qui a notamment fait suite à la crise économique de 2008. Il vise à répondre aux nouvelles attentes sociales et environnementales adressées aux entreprises, à l’heure où les pouvoirs publics et la société civile semblent désarmés face à la finance. Cette réforme semble aller vers l’inscription des critères de <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_responsabilite-sociale-de-lentreprise-rse.html">responsabilité sociale des entreprises</a> (RSE) dans les entreprises.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/rapport-notat-senard-reformer-lentreprise-raisonnablement-93197">recommandations du rapport Notat-Sénard</a> sur « l’entreprise objet d’intérêt collectif », qui sont venues le 9 mars 2018 alimenter le projet PACTE, répondent d’une certaine manière à une quête de sens pressante de la part des acteurs de l’entreprise. La prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, l’ouverture de réflexions sur la « raison d’être » des entreprises, l’augmentation de la représentativité des salariés dans les conseils d’administration sont des mesures qui permettraient d’atténuer le clivage entre les entreprises et la société dans son ensemble, en alignant leurs raisons d’être vers des objectifs communs, bénéfiques à tous.</p>
<h2>La fin des dichotomies</h2>
<p>Avec ces deux réformes la palette qui s’offre aux dirigeant·e·s et porteur·euse·s de projets entrepreneuriaux s’enrichit. Les dichotomies anciennes, qui avaient émergé avec la révolution industrielle (patron décideur/salarié exécutant, entreprise lucrative/association caritative) s’estompent peu à peu pour donner place à une diversité de formes hybrides.</p>
<p>De manière théorique, nous pouvons schématiser le paysage entrepreneurial selon deux axes. Ceux-ci aident à mieux comprendre les logiques qui sous-tendent les textes de 2014 et 2018 et leurs possibles effets sur les entreprises. Le premier axe est celui de la gouvernance, autrement dit de la répartition du pouvoir de décision. </p>
<figure class="align-center ">
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<p>Le second axe est celui du modèle économique, c’est-à-dire des modalités de mobilisation des ressources, de leur utilisation et de la distribution de la valeur créée.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’axe de la gouvernance se subdivise en deux ensembles. D’un côté, les entreprises commerciales traditionnelles, qui présentent une gouvernance actionnariale et où le pouvoir de décision est très majoritairement concentré entre les mains des apporteurs de capitaux. De l’autre côté, les entreprises de l’ESS telles qu’elles se sont auto-définies dans leur charte en 1980, qui présentent une gouvernance démocratique où le pouvoir de décision est entre les mains des membres participants (salariés, bénévoles, consommateurs, producteurs). L’axe économique est également divisible en deux modèles : le modèle lucratif, orienté vers la maximisation du profit, et le modèle à lucrativité limitée où les excédents sont réinjectés dans le projet ou distribués entre les membres-participants.</p>
<p>Si la distinction historique entre entreprises « classiques » et entreprises de l’ESS a assimilé la gouvernance actionnariale au modèle économique lucratif, et la gouvernance démocratique au modèle économique de la lucrativité limitée, ce clivage s’est fortement estompé ces dernières années avec l’évolution des pratiques (RSE, entreprises sociales) que la loi ESS et le projet PACTE viennent désormais reconnaître, voire encourager.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=128&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=128&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=128&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=161&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=161&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213481/original/file-20180405-95689-oam2pb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=161&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En 2014, la loi ESS a attiré dans le champ de l’ESS les sociétés commerciales dites sociales, en les encourageant à adopter une gouvernance démocratique et à limiter leur lucrativité en réinjectant leurs excédents dans le projet ainsi qu’en constituant des réserves impartageables. Le projet PACTE vise de son côté à les pousser vers l’ouverture de leur gouvernance, via l’<a href="https://theconversation.com/faire-participer-les-salaries-a-la-gouvernance-de-lentreprise-idees-recues-et-perspectives-93804">inclusion des salariés dans les prises de décision</a>. Il appelle également à un élargissement des modèles économiques via la <a href="https://theconversation.com/le-jour-ou-bayer-monsanto-deviendra-une-entreprise-a-mission-94043">prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux</a>.</p>
<h2>Vers des entreprises hybrides, des « fabriques de sens » ?</h2>
<p>Ces deux réformes incitent à rénover nos perceptions de l’entreprise. Elles visent à accompagner et encourager les changements de comportements entrepreneuriaux en apportent des outils pour faire évoluer la gouvernance et les modèles économiques des entreprises. Elles encouragent la création et le développement d’entreprises pouvant être qualifiées d’« hybrides », au regard des modèles historiques.</p>
<p>Les deux visions traditionnelles de l’entreprise sont déjà combinées par de nombreuses entreprises pour mener à bien leurs projets. Les groupes d’insertion par l’activité économique en sont un bon exemple. Destinés à réinsérer socialement des personnes très éloignées de l’emploi via des formations et des emplois adaptés, ils combinent souvent différents statuts juridiques afin d’allier activité économique rentable et finalité sociale. En effet, bien que les salaires des personnes en réinsertion soient cofinancés par les pouvoirs publics, il s’agit pour les entreprises d’insertion de trouver des débouchés et de générer suffisamment de revenus pour créer des emplois et ainsi pérenniser et développer le projet d’entreprise. Ainsi le <a href="http://www.reseaucocagne.asso.fr/">Réseau Cocagne</a>, qui propose des paniers bio produits par des personnes en insertion, est une association loi 1901 qui a créé en 2014 une société en commandite par actions adossée à un fonds de dotation afin d’améliorer son accès au financement. Ce groupe comptait ainsi en 2016 4 320 salarié·e·s en insertion, 815 salarié·e·s permanent·e·s, 1 800 bénévoles et administrateur·rice·s et 20 500 adhérent·e·s concommateur·rice·s.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213482/original/file-20180405-189798-13r45t0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ne serions-nous pas en train d’assister au développement de ce que <a href="https://blogs.alternatives-economiques.fr/abherve/2011/10/11/adieu-a-francois-rousseau">François Rousseau</a> appelait les <a href="http://www.institut-gouvernance.org/fr/document/fiche-document-56.html">« fabriques de sens »</a> ? Des entreprises « parties à la reconquête du sens de leur action et de la vocation sociétale de leur projet ».</p>
<p>Ré-ancrées dans la société, ces entreprises nécessitent le développement d’outils de gestion spécifiques, des « outils de gestion du sens », qui permettent d’atteindre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux qu’elles se sont fixés. La loi ESS et le projet PACTE ouvrent la porte au développement de tels outils et pratiques. Il tient maintenant aux entrepreneurs, managers, travailleurs, financeurs de les créer, les faire vivre… Et leur donner sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le projet de loi PACTE semble annoncer la fin des dichotomies entre entreprises dites « classiques » et entreprises de l’économie sociale et solidaire. À quoi ressembleront les entreprises ainsi réformées ?Mélissa Boudes, Professeure associée en management, Institut Mines-Télécom Business School Quentin Renoul, Enseignant vacataire en entrepreneuriat et communication digitale, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/940432018-03-27T22:24:49Z2018-03-27T22:24:49ZLe jour où Bayer-Monsanto deviendra une entreprise à mission<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/212285/original/file-20180327-109185-1y7rzp0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=203%2C0%2C3626%2C1852&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/agriculture-protection-des-v%C3%A9g%C3%A9taux-1359862/">hpgruesen/Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Les entreprises à mission <a href="http://www.hec.fr/News-Room/Communiques-de-presse/Les-entreprises-a-mission-les-entreprises-de-demain-Premiere-enquete-nationale-sur-les-entreprises-a-mission-francaises">ont le vent poupe</a>. Le gouvernement français envisage, dans le cadre de la loi PACTE, de créer un nouveau statut afin de favoriser leur développement. Au-delà des bonnes intentions et des projets louables, il est important de bien mesurer la rupture que pourrait représenter ce nouveau statut d’entreprise. Celui-ci est susceptible de renforcer le pouvoir d’action des entrepreneurs politiques dans des proportions telles que la puissance publique et les marchés financiers auront beaucoup de mal à les contrôler.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une entreprise à mission ?</h2>
<p>L’<a href="https://pastel.archives-ouvertes.fr/tel-01178862">idée au cœur des entreprises à mission</a> est d’élargir le champ d’action de l’entreprise. La notion de lucrativité ne disparaît pas, mais l’entreprise se donne pour objectifs d’associer la recherche du profit à des missions d’intérêt général. Son action n’est plus guidée par la recherche du profit et la performance économique, mais par des objectifs sociaux et environnementaux : protection de l’environnement, lutte contre les formes abusives de travail, revitalisation d’une région…</p>
<p>Cette mission d’intérêt général est incorporée au cœur des statuts de l’entreprise et de son objet social. Elle devient de ce fait opposable aux actionnaires. Dans la pratique, il existe plusieurs modèles d’entreprises à mission qui ouvrent différents champs des possibles en matière de définition des objectifs sociétaux poursuivis, d’évaluation de la performance et de capacité d’opposabilité des orientations stratégiques.</p>
<h2>DanoneWave, plus grande entreprise à mission américaine</h2>
<p>De nombreuses entreprises à l’étranger ont fait le choix d’adopter ce nouveau statut. Aux États-Unis, c’est notamment le cas de « DanoneWave », filiale de Danone qui possède le statut de « Public Benefit Corporation ». Il s’agit d’ailleurs de la <a href="https://www.prnewswire.com/news-releases/danonewave-established-as-the-largest-public-benefit-corporation-in-the-us-300445182.html">plus grande entité économique à disposer de ce statut dans le pays</a>, avec 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires et plus de 6 000 salariés. La mission de DanoneWave est de nourrir « les citoyens, les communautés et le monde » grâce à des produits alimentaires sains. Cette mission se décline en deux grands objectifs : la promotion de pratiques alimentaires bonnes pour la santé et la création d’un modèle de production durable afin de limiter les impacts sur les parties prenantes, les communautés et l’environnement. Pour s’assurer de la qualité de la mission poursuivie et de sa durabilité, DanoneWave a développé un comité de supervision composé de personnalités externes qui analysent les résultats, proposent des orientations stratégiques et veillent à l’intégration des attentes des parties prenantes dans le projet stratégique.</p>
<p>DanoneWave souhaite bénéficier à l’horizon 2020 du <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/B-Corp-label-deconomie-responsable-monte-2017-10-17-1200884946">label B-Corp</a>, une certification accordée au entreprises se fixant des objectifs extra-financiers sociaux ou environnementaux, et qui conforment à des critères stricts en matière de comptabilité et de transparence. Ce label lui permettra d’afficher une reconnaissance de sa mission d’intérêt général et de s’imposer comme une des entreprises pionnières en matière d’intégration d’objectifs d’intérêts généraux sur l’alimentation et les pratiques agricoles durables. Danone prend exactement le même chemin en France et l’entreprise vient d’ailleurs d’émettre une <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/danone-emet-une-obligation-a-impact-social-de-300-000-euros.N669034">obligation à impact social de 300 millions d’euros</a>. À travers ces fonds collectés sur les marchés financiers, Danone s’engage à financer des actions sociales pour le bénéfice de ses parties prenantes : amélioration de la couverture santé des salariés, prolongation du congé maternité, accompagnement des agriculteurs, financement des PME dans la santé et la nutrition… Danone finance sa mission sociale via les marchés financiers. Nul doute que si demain, un statut d’entreprise à mission devait voir le jour en France, Danone serait l’une des premières entreprises à en bénéficier.</p>
<h2>Entreprises à mission : des implications en matière de gouvernance</h2>
<p>En matière de gouvernance, le statut d’entreprise à mission a plusieurs conséquences dont il faut bien mesurer l’importance. La mission que se donne l’entreprise n’est pas un simple gadget de communication qui permettrait d’afficher de belles intentions et une vitrine institutionnelle propre. Étant inscrite au cœur des statuts de l’entreprise et de son objet social, elle fait l’objet d’un vote formel par l’assemblée générale des actionnaires. Ceci a trois implications majeures :</p>
<p><strong>- La transformation de l’<em>affectio societatis</em> :</strong></p>
<p>L’incorporation d’un objet social étendu ou d’une mission d’intérêt général transforme et change profondément la nature de <em><a href="http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2012/04/15/cercle_45683.htm">l’affectio societatis</a></em> des sociétés de capitaux tels que nous les connaissons aujourd’hui. L’objet social de l’entreprise est élargi bien au-delà de la recherche du profit. Il ne s’agit plus de partager les bénéfices ou les économies, mais bien de participer à une œuvre d’intérêt général.</p>
<p>De ce fait, le modèle des sociétés de capitaux se rapproche de celui des coopératives et des mutuelles que nous avons observées dans le cadre des travaux de la <a href="http://alter-gouvernance.org/">Chaire Alter-Gouvernance</a>. L’entreprise à mission est en quelque sorte une coopérative ou une mutuelle dont les actionnaires acceptent de financer et de soutenir une mission d’intérêt général. Elle a un projet politique.</p>
<p>La <a href="https://www.limagrain.com/">coopérative Limagrain</a>, dont l’une des vocations principales est de fournir des semences de qualité aux agriculteurs, pourrait donc demain être concurrencée par une entreprise à mission située sur le même créneau, sans être pour autant gouvernée de manière démocratique par les acteurs qui bénéficient des services apportés. Soulignons qu’aucune coopérative agricole française n’est en mesure de lever 300 millions d’euros sur les marchés afin de financer des projets d’intérêts généraux, comme vient de le faire Danone. Cet exemple illustre bien les capacités d’action auxquelles pourront prétendre demain les entreprises à mission, fortes du positionnement de leurs <em>affectio societatis</em> sur des projets d’intérêt général.</p>
<p><strong>- L’évaluation de la participation à l’intérêt général :</strong></p>
<p>Compte tenu de la transformation de l’objet social de l’entreprise et de son élargissement considérable, il est logique que le mode de l’évaluation des performances des entreprises à mission change également. Il n’est plus possible d’évaluer la performance de ces entreprises sur de simples critères et standards financiers, car les objectifs poursuivis sont de natures différentes, et leur réalisation s’inscrit dans une perspective de long terme.</p>
<p>Cette mesure de la performance des entreprises à mission impose une métrique (des normes et des outils) qui est aujourd’hui à définir. Le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/B-Corp-label-deconomie-responsable-monte-2017-10-17-1200884946">label B-Corp</a> est en phase de construction, mais il est loin de faire l’unanimité. Il faudra des confrontations et des convergences avec les autres normes et dispositifs d’évaluation, en particulier pour les entreprises à mission qui souhaiteront être cotées sur les marchés financiers.</p>
<p>Cette évaluation de la performance est beaucoup plus sensible qu’il n’y paraît, en particulier pour les pouvoirs publics. Certaines missions d'intérêt général pourraient finir par être sous-traitées par des entrepreneurs politiques sans que cela n'ait été formellement décidé. Lorsqu’Emmanuel Faber, PDG de Danone, affiche son ambition d’assurer la souveraineté alimentaire et de développer les droits à une alimentation durablement saine, il empiète directement sur les prérogatives du politique. À la différence des pouvoirs publics, qui sont mandatés et évalués par les citoyens, qui dira si, oui ou non, Danone remplit sa mission ? Qui va mesurer et évaluer sa contribution à l’intérêt général ? Est-ce Larry Fink, le patron du <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/gestion-actifs/0301270303402-blackrock-veut-chasser-sur-les-terres-du-capital-investissement-2151915.php">BlackRock</a> (le plus grand fonds de pension au monde), qui va remercier et féliciter Emmanuel Faber pour sa contribution à l’intérêt général ?</p>
<p><strong>- L’opposabilité et les devoirs fiduciaires des mandataires sociaux :</strong></p>
<p>Le statut d’entreprise à mission (c’est d’ailleurs l’objectif recherché) implique une importante perte d’influence des actionnaires. Ceux-ci auront beaucoup de mal à sanctionner les projets stratégiques peu rentables. Il leur sera en effet difficile d’engager des procédures judiciaires ou de simplement contester les orientations stratégiques des dirigeants jugées insuffisamment performantes sur le plan économique. Si une entreprise à mission opte pour des investissements peu lucratifs pour les actionnaires mais bénéfiques pour les parties prenantes ou l’environnement, ses dirigeants et mandataires sociaux ne pourront pas être attaqués en justice par les actionnaires pour avoir failli à leur mission de recherche du profit. Il ne faut pas négliger les difficultés qu’engendrera cette perte d’influence des actionnaires. Qui évaluera la pérennité du projet économique de l’entreprise et sanctionnera éventuellement les dirigeants insuffisamment compétents ? </p>
<p>L’entreprise à mission fait donc évoluer la nature des devoirs fiduciaires des administrateurs et des mandataires sociaux. Ces derniers ne doivent pas avoir en tête la satisfaction des intérêts financiers des actionnaires, ni d’autres parties prenantes d’ailleurs, mais bien faire en sorte que l’entreprise remplisse sa mission d’intérêt général. Ce glissement n’est pas neutre car la poursuite d’une mission d’intérêt général est, contrairement à la quête du profit, particulièrement difficile à évaluer et à sanctionner.</p>
<p>À l’image de certaines grandes coopératives ou mutuelles dont le contrôle échappe totalement aux adhérents et aux bénéficiaires, il est donc envisageable que plus personne ne soit en mesure de contrôler et gouverner les entreprises à mission. <a href="https://www.cairn.info/revue-management-2011-4-page-222.html">Sans revenir sur les méfaits de la gouvernance actionnariale de ces trente dernières années sur le tissu social et l’environnement</a>, il faut néanmoins reconnaître le rôle de discipline que peuvent jouer les marchés financiers à l’encontre de certains dirigeants. L’entreprise à mission supprime cette capacité disciplinaire des marchés financiers, pour le meilleur comme pour le pire.</p>
<h2>Des entrepreneurs politiques hors de contrôle : l’hypothèse Bayer-Monsanto</h2>
<p>L’Union européenne vient de <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/union-bayer-monsanto-l-ue-va-donner-son-feu-vert-sous-conditions-772543.html">valider le rapprochement de Monsanto et de Bayer</a>, faisant émerger un nouveau leader mondial des semences et des pesticides. Qu’adviendrait-il si cette entreprise décidait de devenir une entreprise à mission ? Rien d’irréaliste : comme d’autres entreprises dont l’activité et la performance sont basées sur d’importants investissements en matière de recherche et développement, Bayer-Monsanto souffre de la pression des marchés financiers, qui exigent de la rentabilité à court terme. Cette situation freine d’autant les projets stratégiques de long terme. </p>
<p>Dans ce contexte, l’entreprise aurait tout intérêt à changer de statut et devenir une entreprise à mission. Elle pourrait par exemple inscrire au cœur de ses statuts sa volonté de « mettre les sciences du vivant au service du progrès sociétal et environnemental ». Cette entreprise, dont les activités et les avancées scientifiques sont d’ores et déjà difficilement contrôlées par les pouvoirs publics, écarterait ainsi la pression et la régulation des marchés financiers. Qui plus est, certains <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_fonds-de-pension.html">fonds de pension</a>, voire certains <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_fonds-souverain.html">fonds souverains</a>, ont la capacité de rentrer dans le capital d'une hypothétique entreprise à mission Bayer-Monsanto. Celle-ci aurait ainsi des moyens juridiques et financiers d’ampleur inégalée pour mener des projets de recherche et développement dans le domaine des semences et des pesticides.</p>
<p>La capacité de Danone à lever 300 millions d’euros d’obligations à impact social illustre bien les capacités de financement dont pourraient bénéficier demain les entreprises à mission. </p>
<h2>Les entreprises sont prêtes à endosser le rôle d’entrepreneurs politiques</h2>
<p>Dans sa lettre envoyée aux entreprises dans lesquelles il détient des participations (pour un montant totalement invraisemblable de 6 000 milliards de dollars), Larry Fink, patron de BlackRock, se félicite des performances économiques des entreprises qui constituent son portefeuille. Il constate également que</p>
<blockquote>
<p>« de nombreux gouvernements ne parviennent pas à préparer l’avenir, sur des questions allant de la retraite aux infrastructures en passant par l’automatisation et la formation professionnelle. Par conséquent, la société se tourne de plus en plus vers le secteur privé et demande aux entreprises de répondre à des défis sociétaux plus larges. En effet, les attentes du grand public envers les entreprises n’ont jamais été aussi grandes. La société exige que les entreprises, à la fois publiques et privées, se mettent au service du bien commun. »</p>
</blockquote>
<p>On comprend ainsi que le plus grand fonds de pensions au monde invite les dirigeants d’entreprises à se comporter comme de véritables entrepreneurs politiques qui doivent se positionner sur les enjeux de sociétés et se mettre au service du bien commun. Le fond de pension qu’il dirige et prêt à apporter son concours à cette mutation du capitalisme. Nul doute que Larry Fink applaudirait des deux mains l’éventuel projet de Bayer-Monsanto de basculer vers le statut d’entreprise à mission pour « mettre les sciences du vivant au service du progrès social et environnemental ».</p>
<p>Il faut garder en tête que la financiarisation de la gouvernance des entreprises constitue à l’heure actuelle un frein pour que les entreprises s’investissent dans des projets d’intérêts généraux. Le statut d’entreprise à mission pourra permettre de contourner cette difficulté. Il donnera aux entrepreneurs politiques de nouveaux moyens juridiques et financiers pour déployer leurs projets politico-économiques parfois à grande échelle et sur des missions régaliennes. Mais certains lanceurs d’alerte s’inquiètent de cette mutation du capitalisme. C'est le cas d'Edward Snowden, <a href="http://www.spiegel.de/international/europe/edward-snowden-interview-there-is-still-hope-a-1166752-2.html">qui souligne qu’une entreprise</a> </p>
<blockquote>
<p><em>« ne devrait jamais se voir attribuer le travail d’un gouvernement. Ils poursuivent des objectifs complètements différents. »</em> </p>
</blockquote>
<p>En leur permettant de s’arroger les prérogatives du politique et de contourner les marchés financiers, le statut des entreprises à mission pourrait être l’outil juridique d’un tel glissement.</p>
<p>Dans cette perspective, la vigilance est plus que jamais de mise. Hier, aucun citoyen n’avait décidé qu’il fallait génétiquement modifier les semences ou utiliser du glyphosate. Demain, sous couvert de remplir des missions d’intérêt général dont les résultats seront particulièrement difficiles à évaluer, des entreprises à mission ingouvernables pourraient imposer des technologies encore plus puissantes et disruptives, en dehors de tout débat et contrôle démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94043/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans le cadre de la loi PACTE, le gouvernement envisage de mettre développer les entreprises à mission. Mais incorporer des missions d’intérêt général au cœur des statuts des entreprises n’est pas sans risque.Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne (UCA)Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931972018-03-15T20:06:00Z2018-03-15T20:06:00ZRapport Notat−Senard : réformer l’entreprise, raisonnablement<p>Moins de trois mois pour consulter 200 personnes de tous horizons et analyser les expériences étrangères : Nicole Notat (Présidente de l’agence de notation extra-financière VIGEO-EIRIS) et Jean‑Dominique Senard (PDG de Michelin) n’ont pas traîné pour remplir la mission « Entreprise et intérêt général » qui leur avait été confiée en janvier 2018 par le gouvernement. <em>In fine</em>, <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">leur rapport</a>, remis le vendredi 9 mars au ministre de l’Économie Bruno Le Maire, contient 14 propositions raisonnables et susceptibles d’impulser une véritable dynamique de transformation de l’entreprise.</p>
<h2>Des outils pour rénover les fondations</h2>
<p>Le gouvernement pourra s’appuyer sur ce rapport pour formuler ses choix le 18 avril prochain, dans le cadre du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (<a href="https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte">projet de loi PACTE</a>).</p>
<p>En premier lieu, il s’agissait de savoir si les auteurs allaient oser toucher au cœur du réacteur, les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">articles 1832</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">1833</a> du Code Civil. Ceux-ci concernent la finalité de la société : « partager le bénéfice ou profiter de l’économie qui pourra en résulter » (actuel art. 1832) et « être constituée dans l’intérêt commun des associés » (actuel art. 1833).</p>
<p>Le risque existait de ne rien changer de ces articles, quitte à proposer une nouvelle forme de société qui, elle, aurait vu sa finalité étendue (comme c’est déjà le cas dans d’autres pays). Il n’en est rien, le rapport est clair à ce sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Ajouter un alinéa à l’article 1833 qui officialise la considération des entreprises pour leurs enjeux – risques et opportunités – sociaux et environnementaux. » (Proposition n°1)</p>
</blockquote>
<p>Ce point est important car le droit est à la fois contraignant et habilitant. Cet ajout inscrit la société dans ses environnements. Elle n’est plus décontextualisée, elle est reconnue comme porteuse d’enjeux sociaux et environnementaux. On reconnaît l’influence de la notion de « responsabilité sociétale de l’entreprise » (RSE), qui ne cesse de monter en puissance depuis le lancement du pacte mondial en 2000 par l’ONU. Logiquement d’ailleurs cette proposition en appelle immédiatement une autre :</p>
<blockquote>
<p>« Accompagner le développement de labels RSE sectoriels. » (Proposition n°3)</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, si le changement de cadrage juridique était nécessaire, il n’était pas suffisant car les enjeux, les intérêts sociaux et environnementaux doivent être incarnés. Il ne suffit pas de les reconnaître, encore faut-il qu’ils puissent s’exprimer.</p>
<h2>Nouveaux enjeux, nouveaux hérauts</h2>
<p>La proposition n° 4 reconnaît l’importance des « parties prenantes » comme porteurs de ces causes nouvelles et les entreprises « devraient être incitées à se doter de comités de parties prenantes ». Une alternative avait parfois été évoquée : faire entrer les parties prenantes au conseil d’administration (CA). Néanmoins, de l’avis quasi général, cette option aurait dangereusement compliqué la gouvernance des entreprises. Les CA ne sont pas oubliés, mais il est simplement proposé qu’ils créent, en leur sein, un comité <em>ad hoc</em>. C’est certainement, ici, le réalisme qui l’emporte sur l’audace.</p>
<p>On voit cependant que cette proposition de création d’un « comité des parties prenantes » relève de ce qu’il est convenu d’appeler « les bonnes pratiques ». En d’autres termes, les auteurs du rapport ne proposent pas de rendre obligatoire ce comité. On peut le regretter, car il s’agit véritablement d’un excellent dispositif que nombre d’entreprises ont déjà expérimenté et qui leur donne entière satisfaction. Par ailleurs, on aurait tort de penser que ce dispositif n’est utile qu’aux très grandes entreprises : dans ma région je participe à un panel de parties prenantes d’une PME de 30 salariés…</p>
<p>Toujours dans la catégorie des bonnes pratiques le rapport propose de « lier les rémunérations variables à des critères RSE ». Cette mesure, aujourd’hui assez peu pratiquée, est véritablement de nature à doper l’engagement des salariés dans les programmes de RSE.</p>
<h2>Forger les outils comptables indispensables à la transformation</h2>
<p>La proposition N° 10 constitue elle aussi un excellent signal, quoique plus « technique ». Il s’agit d’engager</p>
<blockquote>
<p>« une étude concertée sur les conditions auxquelles les normes comptables doivent répondre pour servir l’intérêt général et la considération des enjeux sociaux et environnementaux ».</p>
</blockquote>
<p>En effet, si l’on élargit l’intérêt de la société, si l’on fait entrer les parties prenantes dans les processus de consultation, si l’on utilise des critères RSE pour des primes variables, encore faut-il s’assurer que l’outil de gestion de l’entreprise le permette. Gérer c’est arbitrer, mais pour arbitrer il faut pouvoir effectuer des mesures et être capable de les comparer. C’est la comptabilité qui le permet, néanmoins jusqu’ici elle ne tient pas compte (sauf exception) des <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/externalites">externalités</a> sociales et environnementales. Les choix d’affectation de fonds à des projets se font sur des critères exclusivement financiers. Il faut absolument faire entrer ces coûts sociaux et environnementaux dans la comptabilité. C’est une tâche complexe, mais possible.</p>
<h2>Des mesures qui font bloc</h2>
<p>Un cadrage juridique qui fait sens, une reconnaissance des parties prenantes et une localisation de leur influence à un niveau réaliste, une incitation à récompenser les performances RSE et la mise en place d’un outil de gestion qui autorise tout cela : il y a là effet de système. Ces quatre mesures font bloc, et c’est pour cela que j’espère que toutes les entreprises les adopteront. La synergie dégagée serait de nature à entamer une véritable transformation des entreprises.</p>
<p>D’autres propositions figurent dans le rapport. Elles concernent essentiellement la représentation des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance. Elles sont également utiles et correspondent à une vision française de la cogestion allemande. Comme le remarquent les auteurs, il ne s’agit pas chez nous d’une nouveauté puisque des règles existent déjà en la matière, il s’agit de les compléter. Chemin faisant, le rapport est donc amené à considérer que les salariés ne sont pas des parties prenantes comme les autres, contrairement à la théorie. On appelle les représentants des parties prenantes au comité des parties prenantes tandis qu’on fait siéger les représentants des salariés au CA. Pour cette raison, peut-être, les auteurs () considèrent que les salariés sont plutôt des parties constituantes que des parties prenantes (qui regroupent les clients, les fournisseurs, les communautés, les ONG…).</p>
<p>En conclusion, ce rapport ouvre un boulevard, même si de nombreuses de précisions devront être apportées. Le juge devra notamment apprécier les changements dans la formulation des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">articles 1832</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">1833</a> du Code Civil au fur et à mesure des contentieux sur le sujet.</p>
<p>Par ailleurs, comment choisir les parties prenantes ? Pourraient-elles parfois s’imposer d’elles-mêmes ? Comment faire vivre le comité des parties prenantes ? Jusqu’à quel niveau doit-on envisager des primes RSE ? (aujourd’hui elles sont réservées aux cadres). Il faudra préciser des seuils, des délais de mise en place, etc. Toutefois, ces questions relèvent de l’intendance. L’essentiel, c’est que l’on ait une vue claire de la perspective sur laquelle s’ouvre le boulevard proposé au gouvernement : une entreprise enfin mieux insérée dans la société, une entreprise plus responsable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Igalens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Parmi les quatorze propositions contenues dans le rapport Notat-Sénard, plusieurs pourraient constituer de solides fondations sur lesquels bâtir l’entreprise de demain, en renforçant l’existant.Jacques Igalens, Professeur Sciences de Gestion, IAE Toulouse et CRM-CNRS, Université Toulouse 1 CapitoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/923182018-03-08T21:15:35Z2018-03-08T21:15:35ZLa gouvernance sectorielle, chaînon manquant de la refonte de l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209606/original/file-20180308-30972-1f29pgq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C6016%2C3998&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les méta-organisations, regroupement d'organisations, pourraient constituer un puissant levier pour organiser la gouvernance sectorielle des entreprises.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/success?src=mcHcgxF460kx0PraoHWECg-1-8">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Alors que les débats autour du futur projet de loi PACTE font rage, la plupart des discussions sur la gouvernance se focalisent au niveau de l’entreprise. Nous proposons d’apporter ici un éclairage sur la gouvernance sectorielle, chaînon manquant de ces analyses.</p>
<h2>Une réforme qui ne laisse personne indifférent</h2>
<p>Un collectif de chercheurs en gestion s’est récemment mobilisé dans une <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/02/20/le-role-du-president-du-medef-est-de-proteger-les-entreprises-des-exces-de-la-finance-mondialisee_5259852_3232.html">tribune du Monde</a> adressée au président du Medef Pierre Gattaz. Ses cosignataires plaident pour une refonte du code de gouvernance des grandes entreprises cotées et demandent la création d’un comité des parties prenantes dans les grandes firmes. Cette contribution supplémentaire vient alimenter les nombreux et intenses débats sur la gouvernance des entreprises dont se font écho les médias, signe potentiel d’une <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-finalite-une-revolution-en-marche-89419">révolution en gestation</a>.</p>
<p>Les partisans d’une intégration plus forte des parties prenantes dans la gestion des entreprises et ceux d’une transformation de l’objet social des firmes – dans la lignée des <a href="http://books.openedition.org/pressesmines/2345?lang=fr">recherches sur la société à objet social etendu</a> – sont de plus en plus nombreux à se manifester. S’appuyant sur les travaux de nombreux chercheurs en gestion, à la suite d’autres pays de l’OCDE, la France s’empare donc de ces questions de <a href="https://theconversation.com/lentreprise-de-demain-devra-etre-responsable-91186">réforme de l’entreprise et de sa responsabilité sociale</a> à travers l’<a href="https://theconversation.com/vers-la-loi-pacte-consensus-et-ambigu-tes-92155">ambigu projet de loi PACTE</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"966051772816084992"}"></div></p>
<p>Parmi les pistes envisagées pour encourager les entreprises à œuvrer pour le bien commun, celle de l’<a href="http://www.lefigaro.fr/entrepreneur/2018/02/15/09007-20180215ARTFIG00043-l-entreprise-a-mission-le-modele-prometteur-en-france.php">entreprise à mission</a> a le vent en poupe. Sorti mi-février, le <a href="http://www.institut-viavoice.com/wp-content/uploads/2018/02/Sondage-Prophil-EM-14042018.pdf">rapport Viavoice pour Prophil et HEC Paris</a> dresse un état des lieux de ce modèle, dont la <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/la-camif-devient-la-premiere-entreprise-a-mission-francaise-768281.html">Camif</a> est la première à adopter le statut. D’autres sont plutôt partisans d’une <a href="https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:eGOkY7PtR5IJ:https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0301300924608-nouvelle-definition-de-lentreprise-employer-la-methode-douce-2153930.php+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr">méthode plus « douce »</a>, tandis que d’autres encore mettent en garde contre un projet PACTE qui ne prendrait pas en compte la <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/02/12/developper-la-participation-dans-les-pme-implique-de-mieux-prendre-en-compte-leurs-conditions-de-fonctionnement_5255766_3232.html">nature et le fonctionnement spécifiques des PME</a>. Enfin, comme l’énonce un <a href="https://jean-jaures.org/sites/default/files/rapport-entreprises-2p-p.pdf">rapport de la fondation Jean‑Jaurès</a>, ainsi que la <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/02/20/le-role-du-president-du-medef-est-de-proteger-les-entreprises-des-exces-de-la-finance-mondialisee_5259852_3232.html">lettre ouverte à Pierre Gattaz</a>, la nécessité d’intégrer les parties prenantes au sein des conseils d’administration des entreprises gagne du terrain dans les esprits.</p>
<h2>Gouvernance sectorielle : le rôle de l’action collective entre entreprises</h2>
<p>Le Medef, Birdlife International, l’ONU, la FIFA, l’OTAN, l’Union européenne… Toutes ces structures sont des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0956522105000813">méta-organisations</a>, c’est-à-dire des organisations composées d’autres organisations. Par leur nature (elles sont entièrement dépendantes de leurs membres) et leur fonctionnement (faibles coûts, décisions au consensus, espace neutre de dialogue), les méta-organisations permettent de définir collectivement des normes sectorielles, des codes de déontologie, des guides de bonnes pratiques.</p>
<p>Elles ont de ce fait un rôle à jouer dans la <a href="https://theconversation.com/developpement-durable-comment-les-entreprises-passent-des-idees-au-terrain-85490">gouvernance sectorielle des entreprises</a>, c’est-à-dire dans l’autorégulation des acteurs économiques à un niveau collectif, que ce soit au niveau d’une industrie ou plus largement (cross-industrie). Par exemple, la <em>Fair Labor Association</em> opère dans le secteur manufacturier. Rassemblant des entreprises, des universités et des syndicats, elle vise à faire respecter le droit international du travail. Parce qu’elles sont déterminées et acceptées au consensus, les règles définies par une méta-organisation doivent être respectées par ses membres. Ceux qui ne s’y conformeraient pas risquent l’exclusion.</p>
<p>Un autre cas très intéressant de gouvernance sectorielle est celui de <a href="http://financeparticipative.org/">Financement Participatif France</a> (FPF), la principale méta-organisation du secteur du <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_financement-participatif.html"><em>crowdfunding</em></a> français. FPF représente différents types de plateformes (dons, pré-ventes, <a href="https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:8K6an3H2uD0J:https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-175730-crowdfunding-et-crowdlending-quelles-differences-2128472.php+&cd=4&hl=fr&ct=clnk&gl=fr"><em>crowdlending</em></a> ou prêt rémunéré, <em>crowdequity</em> ou investissement en capital) mais aussi la société civile. Par son action, cette méta-organisation a contribué à la définition du tout premier cadre réglementaire pour le financement participatif, en <a href="https://www.researchgate.net/publication/320298246_Combler_un_vide_organisationnel_dans_la_fabrique_d%E2%80%99une_politique_publique_l%E2%80%99emergence_d%E2%80%99une_meta-organisation">collaborant avec les régulateurs et législateurs français</a>. En outre, FPF a aussi <a href="http://financeparticipative.org/wp-content/uploads/2016/04/FPF-Code-d%C3%A9ontologie_avril-2016.pdf">défini un code de déontologie</a> que chaque membre est dans l’obligation de signer et de respecter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"956074870458241024"}"></div></p>
<p>Ce code, qui définit la notion de <em>crowdfunding</em>, porte sur les pratiques des plateformes et fournit des règles à suivre en matière de transparence sur les sites, de protection du consommateur, d’obligation de mentionner les risques de défauts et de liquidité, de sécurité des transactions… FPF forme aussi ses membres au respect de ces normes ainsi qu’à la réglementation. Mais FPF n’est pas une agence de contrôle. Ce n’est qu’une méta-organisation aux faibles ressources qui dépendent largement des frais payés par les membres, ou de services fournis, et qui ne lui permettent pas de contrôler chaque membre. Alors, comment juger véritablement de l’efficacité de cette méta-organisation sur la gouvernance sectorielle, c’est-à-dire le contrôle et l’amélioration des pratiques de l’ensemble des firmes du secteur ?</p>
<h2>Un cas d’école, le ratio de risque en crowdlending</h2>
<p>Nous pouvons tenter une première réponse à travers un très court cas. En février 2017, UFC Que Choisir a publié un <a href="https://theconversation.com/le-crowdlending-un-secteur-en-construction-77029">rapport sur le crowdlending</a>. Dans ce rapport, l’association de consommateurs montrait que le mode de calcul des ratios de risque, par exemple le taux de défaut par rapport au nombre de projets, dont la publication est obligatoire pour les plateformes, variait largement d’une plateforme à l’autre. L’association accusait aussi les plateformes de communication abusive, et de procédures de sélection des projets trop risqués pour les contributeurs.</p>
<p>Suite à ce rapport, FPF a pris la décision, en conseil d’administration et après un vote de tous ses membres, d’uniformiser les méthodes de calcul des ratios et de rendre obligatoire leur publication sur les sites des plateformes. Or c’est notamment grâce aux actions du déontologue de FPF, un professeur d’éthique, que ces mesures ont pu être prises.</p>
<p>Dans FPF, comme dans la <em>Fair Labor Association</em>, un attribut commun à ces méta-organisations est leur aspect « multi-parties prenantes ». C’est-à-dire qu’elles rassemblent différents types d’acteurs, pas seulement des entreprises. Ainsi, FPF a intégré dans ses instances l’ensemble des parties prenantes du secteur via un « Collège de l’Écosystème ». Cette diversité des acteurs force en quelque sorte les firmes à prendre en compte des intérêts plus larges, plus éthiques, que la seule question de la performance ou des parts de marché.</p>
<h2>Le Collège de l’Écosystème : un outil de refonte de la gouvernance sectorielle ?</h2>
<p>Le Collège de l’Écosystème représente ainsi la société civile au sein de la méta-organisation FPF. Comment fonctionne ce dispositif ? Actuellement, le Collège de l’Écosystème inclut des chercheurs et professeurs, des municipalités, des cabinets juridiques, des réseaux d’entrepreneurs et des start-up du secteur des nouvelles technologies. Son objectif est de permettre à la méta-organisation d’internaliser une forme d’altérité, en prenant en compte des intérêts variés et des perspectives hétérogènes. Toute organisation ou individu peut devenir membre de FPF via le Collège, à partir du moment où est exprimé un intérêt pour le développement du secteur du <em>crowdfunding</em>.</p>
<p>Le Collège agit comme un acteur décisionnaire au sein du conseil d’administration. En effet, les statuts de FPF prévoient qu’un de ses vice-présidents doit obligatoirement être issu du Collège de l’Écosystème. Ainsi, parmi les quatre vice-présidences du conseil, trois représentent les trois différents métiers du <em>crowdfunding</em> (<em>crowdfunding</em> en dons, <em>crowdequity</em>, <em>crowdlending</em>), et la quatrième incarne la société civile. Les membres du Collège sont également extrêmement actifs dans la rédaction d’amendements au code de déontologie et aux guides de bonnes pratiques, des documents qui sont contraignants au sein de FPF.</p>
<p>Point important, l’influence de ce collège se diffuse dans toute la méta-organisation ainsi que chez tous les acteurs du secteur. En effet les membres du Collège de l’Écosystème ont exactement les mêmes droits de vote que les plateformes de <em>crowdfunding</em> dès lors qu’il s’agit d’élire les membres du conseil d’administration de FPF ou bien de ratifier en assemblée générale les rapports et les décisions de la méta-organisation. Enfin, les membres du Collège assument un rôle de lanceur d’alerte : ils sont à même de pointer du doigt d’éventuels écarts à la norme commune aux plateformes membres de FPF. La présence de ce Collège est donc essentielle à la gouvernance sectorielle.</p>
<h2>Un complément au comité des parties prenantes ?</h2>
<p>Généralisé au niveau des méta-organisations sectorielles (y compris au Medef), le modèle du Collège de l’Écosystème pourrait constituer une option complémentaire au comité des parties prenantes mis en place au sein du conseil d’administration des entreprises cotées. Cette solution présenterait l’avantage d’impliquer les parties prenantes dans la gouvernance sectorielle, un enjeu important dont elles ne doivent pas être exclues.</p>
<p>Qui plus est, cette solution serait aussi intéressante pour les entreprises non cotées. Nombre d’entre elles ne peuvent pas se permettre la mise en place d’un comité de parties prenantes qui interviendrait directement dans leur gestion. Elles sont néanmoins également concernées par les enjeux de développement durable, d’éthique et de responsabilité sociale des organisations. En permettant une action à un niveau plus global, le Collège de l’Écosystème faciliterait la transition collective des industries, et donc la transformation des pratiques de toutes les entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92318/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les discussions vont bon train autour du projet de loi PACTE, qui devrait réformer en profondeur l’entreprise et sa gouvernance. Et si l’une des pistes les plus prometteuses se situait au niveau sectoriel ?Héloïse Berkowitz, Chercheur au CNRS (UMR5303 TSM-Research), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Antoine Souchaud, Doctorant, Labex ReFi, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.