tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/hindouisme-52986/articleshindouisme – The Conversation2023-07-12T15:40:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2087842023-07-12T15:40:38Z2023-07-12T15:40:38ZRé-écrire l’histoire : comment le pouvoir en Inde cherche à diffuser une vision exclusivement hindoue de son passé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535846/original/file-20230705-15-3432xf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1280%2C716&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Projet de statue monumentale (212&nbsp;mètres) au guerrier Chhatrapati Shivaji Maharaj, qui doit être édifiée dans la baie de Bombat (Mumbaï).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://media.biltrax.com/the-design-and-planning-of-chhatrapati-shivaji-maharaj-memorial/">Chhatrapati Shivaji Maharaj Memorial</a></span></figcaption></figure><p>Depuis son arrivée au poste de premier ministre en 2014, Narendra Modi instrumentalise souvent la religion en présentant l’Inde comme un <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/religions-du-monde/20230420-hindouisme-religion-et-instrumentalisation-par-les-nationalistes-hindous">« hindu rashtra », un pays hindou</a>. La grande historienne indienne <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/01/en-inde-les-nationalistes-hindous-reecrivent-l-histoire-pour-legitimer-la-primaute-des-hindous_6132984_3210.html">Romila Thapar</a> estime à cet égard que, « en Inde, les nationalistes hindous réécrivent l’histoire pour légitimer la primauté des hindous ». C'est également au nom de sa volonté de réécrire certains éléments de l'histoire que <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/narendra-modi-veut-changer-le-nom-de-l-inde-en-bharat-et-offusque-l-opposition_6020129.html">Modi a remplacé le nom « Inde » par celui de « Bharat »</a> dans les invitations envoyées à ses homologues pour <a href="https://www.g20.org/fr/g20-india-2023/new-delhi-summit/">le G20 de Delhi</a> qui se tiendra les 9 et 10 septembre.</p>
<p>Si l’instrumentalisation de l’histoire n’est pas l’apanage des Indiens – elle a largement contribué à la <a href="https://www.cairn.info/la-creation-des-identites-nationales--9782020342476.htm">naissance et au développement du nationalisme en Europe</a> –, elle alimente aujourd’hui un <a href="https://theconversation.com/linde-nation-multiculturelle-aux-immenses-ambitions-internationales-203777">projet idéologique d’unification culturelle du pays</a>.</p>
<h2>Une vision coloniale de l’Inde revisitée</h2>
<p>Aux origines des débats actuels, on trouve souvent l’interprétation biaisée produite dès le début de l’époque coloniale, au XIX<sup>e</sup> siècle : pour les colons britanniques, l’Inde, alors divisée en de nombreux royaumes et principautés, est <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/comparative-studies-in-society-and-history/article/abs/does-india-have-history-does-history-have-india/3C2A175653E0B3ADFB53514AA6EC4615">« sans histoire »</a>. Dans un univers culturel nourri d’une riche littérature plurilingue, il n’existait en effet pas de genre historiographique comparable aux chroniques européennes ou chinoises en la matière. Les Européens en déduisent que les Indiens, préoccupés par les approches spirituelles, ne s’intéresseraient pas à l’histoire.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le corollaire de cette attitude supposée est sans appel : l’Inde serait condamnée à l’immobilisme, enfermée dans des traditions sclérosantes et à la merci de despotes indifférents aux besoins de leur peuple. C’est une justification toute trouvée de la colonisation : celle-ci allait permettre d’arracher les Indiens à leur passivité, pour les faire « entrer dans l’Histoire ».</p>
<p>Ceux qui s’engagent dans la <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13944?lang=fr">lutte anti-coloniale</a> estiment donc primordial de contrer cette vision et d’écrire eux-mêmes leur histoire afin que tous les Indiens prennent conscience de l’existence d’une Nation indienne. Pour cela, il faut étudier son passé et donc sa spécificité, définir son identité, affirmer ses valeurs. Pour beaucoup d’intellectuels de l’époque, le <a href="https://www.editions-picquier.com/produit/la-decouverte-de-linde">passé de l’Inde est surtout marqué par son extraordinaire diversité</a>. Non-violence et tolérance apparaissent comme des vertus cardinales propres au passé pré-colonial de l’Inde. La brutalité de la domination coloniale se trouvait en rupture avec ce passé. Articles et ouvrages dénoncent alors la sujétion économique de l’Inde et vantent sa capacité à absorber pacifiquement les influences venues de l’extérieur.</p>
<p>À l’indépendance, les leaders indiens qui gouvernent le pays construisent une démocratie « laïque », qui suppose que l’État protège toutes les communautés religieuses, surtout si elles sont minoritaires.</p>
<p>Il n’y a pas vraiment d’écriture d’une histoire « officielle », mais les premiers manuels scolaires entendent renforcer le sentiment national et contribuer à la concorde. Le récit de la lutte anti-coloniale insiste sur l’unité du combat et le rôle des élites. <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv4s7jj4">L’écriture de l’histoire en Inde</a> est aussi influencée par les interprétations marxistes, par définition exemptes de lecture religieuse du passé, qui mettent en avant les phénomènes sociaux et économiques pour expliquer l’évolution du pays.</p>
<h2>Le nationalisme hindou « en guerre » contre l’histoire de l’Inde ?</h2>
<p>Cette vulgate est contestée en 1998, quand le Bharata Janatya Party (Parti du peuple, BJP), le parti de la droite nationaliste hindoue, <a href="https://frontline.thehindu.com/cover-story/article30161045.ece">parvient au pouvoir central pour la première fois</a>.</p>
<p>À l’époque, il ne possède pas la majorité absolue à la Lok Sabha (la Chambre basse du Parlement) et ne peut pas imposer un agenda politique mettant en œuvre son idéologie de <a href="https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/on-the-difference-between-hinduism-and-hindutva/">l’<em>hindutva</em></a>, définie dans les années 1920 pour affirmer que l’Inde est avant tout hindoue (pour rappel, <a href="https://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2015/08/30/inde-religion-recensement-catholiques-musulmans-14609.html">quelque 80 % des 1,4 milliard d’Indiens sont aujourd’hui hindous</a>, environ 14 % musulmans, le reste se partageant entre une pluralité de minorité, dont des chrétiens). Mais certaines initiatives sont révélatrices : de nouveaux manuels sont élaborés pour mettre en valeur un ancien passé « hindou » de l’Inde, un âge d’or qui aurait précédé les conquêtes musulmanes du XI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Dans les <a href="https://frontline.thehindu.com/the-nation/education/article30215755.ece">manuels recommandés par le National Council of Educational Research and Training</a> (NCERT), l’Inde « glorieuse » est présentée comme celle d’une époque pré-islamique durant laquelle les habitants du pays étaient tous autochtones et de « race » aryenne, ce qui contredit les preuves matérielles, linguistiques et génétiques généralement admises.</p>
<p>Cette vision prend clairement ses racines dans les interprétations coloniales britanniques de l’histoire indienne. Dans son ouvrage <a href="http://journals.openedition.org/samaj/6636"><em>Aurangzeb : The Man and the Myth</em></a> (Penguin Random House India, 2017), l’historienne américaine Audrey Truschke souligne que « l’animosité intemporelle entre hindous et musulmans incarne la stratégie britannique du “diviser pour régner” ».</p>
<p>Ces manuels réécrits ne furent cependant pas utilisés car dès 2004, le <a href="https://www.nytimes.com/2004/05/13/international/asia/in-huge-upset-gandhis-party-wins-election-in-india.html">parti du Congrès revient au pouvoir</a>. L’offensive reprend en 2014, quand le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/inde-le-nationaliste-hindou-modi-en-passe-de-l-emporter-16-05-2014-1824253_24.php">BJP remporte de nouveau les élections générales</a>, mais cette fois, en obtenant à lui seul la majorité absolue à la Lok Sabha.</p>
<p>Lors de son premier discours devant l’Assemblée, le nouveau premier ministre Narendra Modi se plaignit des <a href="https://www.firstpost.com/politics/1200-years-of-servitude-pm-modi-offers-food-for-thought-1567805.html">« mille deux cents ans de servitude »</a> subis par l’Inde : il ajoutait sans ambiguïté la période dite « musulmane » à la période coloniale qui avait vu se développer un nationalisme indien alors principalement dirigé contre le Raj britannique.</p>
<p>Cette vision de l’histoire de l’Inde, était déjà présente au sein du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh – « Association des volontaires nationaux », une association hindoue créée en 1925 et matrice idéologique pour beaucoup de cadres du BJP – et répandue dans les écoles de l’organisation dès les années 1960. Depuis 2014, elle s’est peu à peu imposée dans les États dirigés par le BJP, avec la rédaction de <a href="https://www.nytimes.com/2023/04/06/world/asia/india-textbooks-changes.html">nouveaux manuels</a>, mais aussi par des attaques ad hominem contre les universitaires indiens ou étrangers qui défendent une interprétation nuancée des relations passées entre hindous et musulmans.</p>
<p>Les médias se sont fait l’écho de ce nouveau nationalisme qui conduit à considérer un pan entier de l’histoire et de la culture indiennes comme étranger. « Le Sangh Parivar [nébuleuse d’organisations pro <em>hindutva</em>] est en guerre contre l’histoire de l’Inde » écrivait en 2018 A.G. Noorani, ancien avocat à la Cour suprême, dans un <a href="https://frontline.thehindu.com/the-nation/communalism/politics-of-history/article24901838.ece">article du magazine <em>Frontline</em></a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672215295958581251"}"></div></p>
<p>Après la <a href="https://asiacentre.eu/fr/2019/05/29/inde-que-signifie-le-triomphe-de-narendra-modi/">reconduction au pouvoir du BJP et de Modi en 2019</a>, cette guerre s’est intensifiée, prenant des formes multiples : villes débaptisées pour hindouïser leur nom (comme <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2020-1-page-92.htm">Allahabad, devenue Prayagraj</a>), construction d’un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-inde-un-temple-dedie-au-dieu-ram-bientot-construit-sur-le-site-d-une-ancienne-mosquee_4041277.html">temple sur l’emplacement de l’ancienne mosquée de Babri</a> détruite par des militants hindous en 1992, transformation des musées.</p>
<p>Cette réécriture du passé ne concerne plus seulement l’histoire de la période dite musulmane, mais aussi ce qui la précède et ce qui lui succède. Ainsi, les événements mentionnés dans les célèbres épopées du <a href="https://www.lexpress.fr/culture/livre/le-mahabharata_811258.html"><em>Mahabharata</em></a> et du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ramayana/"><em>Ramayana</em></a> sont de plus en plus souvent présentés comme des faits historiques. Par ailleurs, l’histoire du combat pour l’indépendance de l’Inde est l’objet d’une relecture qui vise à minorer, voire à effacer l’action des hommes et femmes politiques favorables à une vision séculariste et tolérante du pays. Si Gandhi conserve une place de choix dans l’imaginaire et les discours des dirigeants, Nehru, qui dirigea l’Inde pendant 17 ans après son indépendance acquise en 1947, voit sa place dans le combat pour l’indépendance de l’Inde minorée, voire occultée.</p>
<p>Les conséquences de cette offensive culturelle peuvent être graves : assassinats d’intellectuels qui s’affirment « rationalistes », attaque contre un <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/pune/maratha-activists-vandalise-bhandarkar-institute/articleshow/407226.cms">institut de recherche accusé d’avoir aidé un historien américain</a>… À l’école, la propagande menace d’imprégner durablement les esprits des jeunes Indiens : bien souvent, les manuels scolaires sont les seuls matériels dont disposent les enseignants. L’accent mis sur l’apprentissage par cœur fait que les enfants répètent inlassablement ce qui s’y trouve écrit.</p>
<h2>Déclinaisons régionales : l’impossible unification de l’histoire de l’Inde ?</h2>
<p>Il y a peu de protestations massives contre les nouvelles interprétations de l’histoire promues par le BJP et le RSS. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que les perceptions sont devenues uniformes et conformes à une doxa commune à toute l’Inde.</p>
<p>D’abord, l’Inde est un État fédéral et l’éducation est une prérogative des États. Les manuels scolaires ne sont effectivement révisés que dans les régions dirigées par le BJP, ce qui concerne la moitié des Indiens, même si le NCERT a recommandé en 2020 un allègement des programmes pour les manuels de sciences sociales dans tous les États du pays en éliminant des chapitres sur les pogroms anti-musulmans de 2002, l’histoire moghole ou les mobilisations sociales récentes.</p>
<p>Il existe aussi, dans les différentes régions de l’Inde, des versions régionales de l’histoire qui peuvent s’écarter, parfois significativement, des prises de position du BJP. C’est notamment le cas en Inde du Sud qui revendique un passé dravidien et non aryen. Au Tamil Nadu, certains affirment qu’une civilisation tamoule, aussi glorieuse que les civilisations sanskrites et brahmaniques, portée par les Indo-Aryens, s’est déployée pendant plusieurs millénaires précédant l’ère chrétienne sur un continent aujourd’hui englouti, <a href="https://www.thepeninsula.org.in/2021/03/26/tamil-civilisation-and-the-lost-land-of-lemuria-kumari-kandam/">Kumari Kandam</a>. Cette affabulation, basée sur une hypothèse, avancée à l’époque coloniale par le zoologiste britannique Philip Sclater, est prise très au sérieux par les plus militants.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535598/original/file-20230704-23-qrt2nw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La statue de l’Unité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Statue_de_l%27Unit%C3%A9#/media/Fichier:Statue_of_Unity.jpg">Snehrashmi/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La réécriture de l’histoire passe aussi par la glorification de certains personnages historiques héroïsés, quasi divinisés, auxquels on dresse des statues, comme celle du poète et philosophe tamoul <a href="https://www.indica.today/research/conference/historical-monument-of-saint-thiruvalluvar/">Tiruvalluvar</a> achevée en 1999 sur un rocher situé à la pointe sud de l’Inde, ou la statue de l’Unité, à l’effigie de Vallabhabhai Patel, ministre de l’Intérieur à l’indépendance, inaugurée en 2018 à l’embouchure de la Narmada, au Gujarat : c’est la plus grande au monde (182 m de haut, 240 m avec sa base). Elle met à l’honneur un personnage présenté par le BJP comme un défenseur des hindous face à un Nehru laïque. Dans la baie de Bombay, une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/sep/14/india-to-break-record-for-worlds-largest-statue-twice">statue à la gloire de Shivaji</a>, un héros régional du XVII<sup>e</sup> siècle qui a combattu contre les Moghols, est en construction. Elle devrait atteindre 212 mètres.</p>
<p>Parallèlement, un foisonnement d’approches non professionnelles au travers de romans historiques, de pièces de théâtre et de <a href="https://thewire.in/film/rrrs-abuse-and-distortion-of-history-is-vulgar">films</a> utilise des personnages issus d’un folklore transmis souvent oralement et localement pour évoquer le passé glorieux des différentes régions. Il est donc fort à parier que la multiplicité des passés de l’Inde aura du mal à être absorbée dans une vision unifiée conforme à l’idéologie de l’<em>hindutva</em>.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208784/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Viguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet politique des ultra-nationalistes du BJP, au pouvoir en Inde depuis maintenant neuf ans, passe par une réécriture de l’histoire visant à imposer un récit centré sur l’hindouisme.Anne Viguier, Directrice du département Asie du Sud et Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091742023-07-12T15:39:58Z2023-07-12T15:39:58Z14 Juillet : pourquoi Narendra Modi, l’invité de marque d’Emmanuel Macron, fait débat<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537123/original/file-20230712-20-pmgu4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C5733%2C3844&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En juin 2017, Narendra Modi avait été l’un des premiers chefs d’État étrangers à se rendre en France après l’élection d’Emmanuel Macron. Il revient en grande pompe six ans plus tard.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/paris-france-june-3-2017-president-657978733">Frederic Legrand - COMEO/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>C’est une tradition qui, depuis plusieurs années, tend à se systématiser : la France invite officiellement un pays, représenté par son chef d’État, au défilé du 14 Juillet. Cet invité d’honneur assiste à la cérémonie du haut de la tribune, aux côtés du président français.</p>
<p>On se souvient de l’émotion du roi Hassan II, qui allait mourir neuf jours plus tard, voyant défiler <a href="https://maroc-diplomatique.net/14-juillet-1999-quand-la-garde-royale-defilait-sur-les-champs-elysees/#">trois compagnies de la garde royale marocaine</a> sur les Champs-Élysées, en 1999 ; des <a href="https://www.leparisien.fr/politique/ce-matin-les-anglais-conduisent-le-defile-14-07-2004-2005139778.php">troupes britanniques</a> en 2004 ; de <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20140714-14-juillet-le-symbole-allemagne-champs-elysees">l’Allemagne</a> dix ans plus tard ; ou encore des <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-14-juillet-un-defile-sous-le-signe-de-l-ukraine-2222369.html">neuf pays d’Europe centrale et orientale</a> en 2022. En 2017, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/defile-du-14-juillet-2017-le-jour-ou-donald-trump-fut-ebloui">Donald Trump</a>, invité lui aussi, fut si impressionné, dit-on, qu’il avait envisagé un temps d’organiser les mêmes défilés aux États-Unis.</p>
<p>Associer une puissance étrangère à la parade militaire de cette fête nationale remplit plusieurs fonctions. Cela permet d’abord d’inscrire la geste militaire dans une atmosphère de coopération et d’ouverture au monde, et non de défi guerrier, de nationalisme bravache ou de démonstrations d’intimidation. Les défilés militaires russes (<a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/defense/russie-le-defile-militaire-du-9-mai-tres-reduit-declenche-les-moqueries-de-kiev_AV-202305100307.html">bien pâle cette année</a> pour des raisons évidentes), <a href="https://www.lejdd.fr/international/video-defile-militaire-pekin-la-demonstration-de-force-80930">chinois</a> ou a fortiori <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20230209-la-cor%C3%A9e-du-nord-d%C3%A9voile-une-quantit%C3%A9-record-de-missiles-lors-d-une-grande-parade-militaire">nord-coréens</a> sont, eux, assumés comme étant tout à la gloire d’un régime.</p>
<p>Cela permet, ensuite, de profiter d’un attribut français de rayonnement symbolique : le 14 Juillet et la Révolution sont des événements historiques ayant une grande portée mondiale, et inviter à l’occasion de leur célébration des personnalités étrangères met en valeur cet aspect souvent exalté de l’histoire française… même si les présidents français aiment également inviter leurs homologues dans le symbole de la monarchie qu’est <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/patrimoine/dans-la-tradition-emmanuel-macron-recoit-son-homologue-emirien-a-versailles-20220718">Versailles</a>.</p>
<p>Enfin, cela donne la possibilité de mettre l’accent sur une relation, une priorité politique, mais aussi de créer une attente : qui aura l’honneur d’être convié ? Des anniversaires peuvent justifier le choix : <a href="https://www.clan-r.org/portail/premiere-guerre-hollande-invite-72-pays-au">72 pays</a> en 2014 pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, et <a href="https://www.france24.com/fr/20160713-video-soldats-australiens-neo-zelandais-invites-honneur-14-juillet-defile-paris-champs-elys">l’Australie et la Nouvelle-Zélande</a> en 2016, à l’occasion des 100 ans de la bataille de la Somme.</p>
<p>En 2023, c’est donc l’Inde, dirigée depuis huit ans par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/narendra-modi-44900">Narendra Modi</a>, qui est à l’honneur. Un choix qui a <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/modi-invite-d-honneur-du-14-juillet-pourquoi-l-invitation-d-emmanuel-macron-fait-polemique_AN-202305120596.html">suscité des réserves</a>.</p>
<h2>Un geste toujours scruté</h2>
<p>Les questions « Pourquoi l’Inde ? » et « Pourquoi Narendra Modi ? » ne présentent pas les mêmes enjeux. Il est possible de mettre un pays à l’honneur à travers des manifestations culturelles (des « années » culturelles se tiennent régulièrement et, exemple parmi d’autres, l’ambassade d’Inde à Paris vient d’organiser le festival <a href="https://festivalnamastefrance.fr/">Namasté France</a>. Inviter des <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/14-juillet-2023-linde-invitee-dhonneur-du-defile">troupes à défiler</a> présente une tout autre tonalité. Et inviter un chef d’État ou de gouvernement peut susciter des protestations au vu de son image et de sa pratique du pouvoir.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En 2010, <a href="https://www.lesechos.fr/2010/07/treize-pays-africains-au-defile-du-14-juillet-a-paris-428034">l’invitation de 13 pays africains</a> et de leurs chefs d’État par Nicolas Sarkozy avait fait polémique. Si le continent africain mérite toujours l’attention (et Paris venait d’aligner les pensions militaires versées à des vétérans africains ayant combattu dans les armées françaises sur celles des Français), des associations se sont émues de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/664425/Defile_controverse_des_troupes__de_13_pays_africains_pour_le_14_juillet.html">l’accueil de « dictateurs » et d’armées accusées d’exactions</a>.</p>
<p>Deux ans plus tôt, en 2008, alors qu’il s’agissait de lancer une nouvelle <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2008-1-page-51.htm">Union pour la Méditerranée</a>, c’est la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/06/12/01003-20080612ARTFIG00063-bachar-al-assad-officiellement-invite-au-defile-du-juillet.php">présence du président syrien Bachar Al-Assad</a> qui indigna.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QVGe8R2drj4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bachar Al-Assad au défilé du 14 juillet (Archive INA, 14 juillet 2008).</span></figcaption>
</figure>
<p>L’invitation faite cette même année à d’autres leaders peu connus pour leur attachement à la démocratie – le Tunisien Ben Ali, l’Égyptien Hosni Moubarak – a aussi choqué : « À la tribune officielle du 14 juillet, place de la Concorde, il y aura le carré des dictateurs », écrivait un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/06/11/le-dictateur-syrien-bachar-el-assad-invite-officiel-au-defile-du-14-juillet_21147/">quotidien peu avant les festivités</a>. Quelques années plus tôt, le président syrien était encore boycotté par Jacques Chirac pour <a href="https://www.lejdd.fr/International/proces-de-lassassinat-de-rafiq-harir-le-spectre-de-bachar-el-assad-a-la-haye-3762554">son rôle probable dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005</a>.</p>
<h2>La realpolitik a ses raisons que le cœur ignore</h2>
<p>Mais la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2007-3-page-95.htm">realpolitik</a> a ses raisons que le cœur ignore. Si Jacques Chirac boycotta Bachar Al-Assad après 2005, il avait été en 2000 l’un des seuls représentants occidentaux <a href="https://www.leparisien.fr/politique/chirac-et-bouteflika-aux-obseques-d-assad-13-06-2000-2001436412.php">présents aux obsèques de son père Hafez Al-Assad</a> (président de la Syrie de 1970 à sa mort), et croyait alors que le fils pourrait être un réformateur. Nicolas Sarkozy estimait pour sa part que son projet d’Union pour la Méditerranée nécessitait une invitation de l’ensemble des leaders de la région, même autoritaires. Les moments de recueillement ou de célébrations servent aussi à cette diplomatie.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-infrequentables-sur-la-scene-internationale-201040">Qui sont les « infréquentables » sur la scène internationale ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Depuis son arrivée au poste de premier ministre, Narendra Modi (qui avait déjà <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/india/9625212/Britain-ends-10-year-boycott-of-Narendra-Modi.html">fait l’objet d’un véritable boycott de la part des Occidentaux auparavant</a>, quand il était à la tête de l’État du Gujarat) est régulièrement critiqué par les ONG. Pour autant, il n’est pas Bachar Al-Assad.</p>
<p>D’abord parce qu’il est à la tête d’une puissance nucléaire, <a href="https://information.tv5monde.com/international/linde-devient-le-pays-le-plus-peuple-du-monde-2438307">pays le plus peuplé au monde</a> et bientôt troisième économie de la planète. Ensuite parce qu’il n’a pas mené une guerre civile contre son propre peuple, avec le double soutien russe et iranien, et n’a pas été <a href="https://onu.delegfrance.org/bachar-al-assad-s-est-rendu-coupable-de-crimes-de-guerre">accusé de crimes de guerre par le représentant français aux Nations unies</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linde-nation-multiculturelle-aux-immenses-ambitions-internationales-203777">L’Inde, nation multiculturelle aux immenses ambitions internationales</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il n’en reste pas moins qu’une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/indignation-la-derive-autoritaire-de-l-inde-et-le-silence-de-l-occident">dérive autoritaire</a> est aujourd’hui imputée au leader indien, qui semble inamovible depuis qu’il est devenu premier ministre en 2014, à la tête d’un parti nationaliste hindouiste (le BJP, pour Bharatiya Janata Party).</p>
<p>Une <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20200109-derives-pouvoir-nationaliste-hindou-inde">dérive nationale-religieuse</a> aussi, dans un pays où l’on craint désormais pour les <a href="https://theconversation.com/violences-anti-musulmanes-en-inde-quelle-responsabilite-pour-le-gouvernement-modi-132884">droits des musulmans</a> (16 % de la population, environ 200 millions de personnes), et où <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271071-religion-et-politique-dans-linde-de-narendra-modi">l’identité hindouiste est désormais glorifiée</a>.</p>
<p><a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/inde-l-opposant-rahul-gandhi-condamne-a-de-la-prison-pour-diffamation-envers-modi-20230323">L’arrestation</a> du principal opposant, Rahul Gandhi, pour diffamation contre le premier ministre, ainsi que différents <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/scandale-fiscal-en-inde-adani-enterprises-reussit-a-faire-bondir-son-titre-en-bourse-de-15-5-950905.html">scandales financiers liés au BJP</a>, incitent de nombreux observateurs à affirmer qu’en Inde la démocratie est en recul. Des instituts comme <a href="https://thewire.in/rights/india-autocratiser-v-dem-report-2023">V-Dem</a> (Suède) ou <a href="https://freedomhouse.org/country/india/freedom-world/2023">Freedom House</a> (États-Unis) ne veulent plus qualifier le pays de « plus grande démocratie du monde », soulignant les pratiques d’intimidation du pouvoir. L’inquiétude existe donc. Doit-elle prévaloir ? Quelle posture adopter face à ce type de situation ?</p>
<h2>Le choix de l’Inde</h2>
<p>On peut écouter ceux qui, dans un souci de vigilance, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/24/miser-sur-l-inde-est-un-calcul-de-court-terme-pour-la-france_6174696_3232.html">préconisent de ne pas parler avec les régimes autoritaires</a>. Lorsque Emmanuel Macron reçoit le <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220722-emmanuel-macron-re%C3%A7oit-son-homologue-%C3%A9gyptien-abdel-fattah-al-sissi-%C3%A0-l-%C3%A9lys%C3%A9e">président égyptien Sissi</a> (janvier 2022) ou le <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-recoit-le-prince-heritier-saoudien-ce-vendredi-16-06-2023-2524705_20.php">prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane</a> (juin 2023), les mêmes arguments se font entendre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1669672182094483459"}"></div></p>
<p>On peut également entendre d’autres voix, qui estiment que la diplomatie ne consiste pas à discuter uniquement <a href="https://www.la-croix.com/diplomatie-cest-parler-aussi-gens-tres-desagreables-2023-06-24-1101272810">avec les pays avec lesquels nous serions d’accord sur tout</a>. Elle serait même faite pour le contraire, c’est-à-dire pour aplanir les différends et maintenir le dialogue.</p>
<p>L’actuel président français n’a jamais caché que telle était sa conception, même lorsqu’il s’agissait de <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/pourquoi-emmanuel-macron-continue-t-il-de-parler-avec-vladimir-poutine_VN-202211210815.html">parler avec Vladimir Poutine</a> au lendemain de l’invasion de l’Ukraine. </p>
<h2>Entretenir un partenariat stratégique</h2>
<p>À cet égard, l’invitation lancée à Modi peut être perçue comme un moyen d’entretenir le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/128895-discours-de-mjacques-chirac-president-de-la-republique-sur-les-fondem">partenariat stratégique initié avec l’Inde en 1998 par Jacques Chirac</a>, dans un effort alors salué pour ouvrir des horizons asiatiques à la diplomatie française (un autre partenariat stratégique avait été signé avec Pékin l’année précédente).</p>
<p>Mais il y a plus. Face à la montée en puissance chinoise, et plus globalement du fait de son propre essor, l’Inde est devenue un acteur majeur du système international, diplomatique, économique et militaire. La visite d’État de Narendra Modi aux États-Unis en juin 2023 (soumise d’ailleurs aux <a href="https://time.com/6289932/the-biden-modi-meeting-was-a-failure-for-democracy/">mêmes critiques</a>), et la qualité de l’accueil qui lui a été réservé par Joe Biden, ont montré que ce rôle indien n’avait pas échappé à Washington.</p>
<p>L’Inde fait partie du <a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">QUAD</a> (dialogue quadrilatéral pour la sécurité), cette alliance informelle en Asie-Pacifique, aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie. Le pays, qui entretient également la diaspora la plus nombreuse du monde, est aujourd’hui courtisé. La France doit-elle s’extraire de ce jeu ? Bien entendu, répondre à cette question par la négative ne signifie pas qu’il faille souscrire à tout ce qui se passe en Inde.</p>
<p>Autres points : <a href="https://www.jstor.org/stable/48562559">Paris défend le vocable de « région Indo-Pacifique »</a> pour évoquer les questions asiatiques, notamment du fait de sa double présence dans l’océan Indien et l’océan Pacifique, avec ses territoires d’outre-mer.</p>
<p>New Delhi est également un client potentiel, notamment dans le domaine de l’armement (on évoque <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/le-rafale-proche-dun-nouveau-contrat-en-inde-la-marine-locale-le-prefere-au-modele-de-boeing_838410">l’achat de 26 Rafale Marine</a>). Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/21/la-france-propose-une-participation-d-emmanuel-macron-au-sommet-des-brics-en-afrique-du-sud_6178547_3212.html">souhaite par ailleurs être invité au prochain sommet des BRICS</a> (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui se tiendra à l’automne en Afrique du Sud, pour relancer sa relation avec le Sud global. Autant de raisons de ne pas bouder le premier ministre indien.</p>
<p>L’aspiration de plusieurs géants du Sud à une nouvelle reconnaissance, <a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">leurs griefs contre un Occident jugé hégémonique</a> qui voudrait maintenir un statu quo anachronique dans la hiérarchie des puissances internationales, sont des réalités qu’un boycott ne ferait pas disparaître. Cesser le dialogue serait même contreproductif. </p>
<p>Pour autant, n’attendons pas de miracles. Lorsque Modi parle avec Washington, Londres ou Paris, c’est pour être écouté et traité en égal. Pas pour se faire chapitrer, ni entraîner dans une guerre russo-ukrainienne vue depuis le Sud comme une affaire d’Européens et <a href="https://www.lexpress.fr/monde/asie/un-pays-pauvre-doit-il-rejeter-la-russie-lambassadeur-indien-en-france-se-confie-GSJT5SKNUNGSNKOU4NUUSXS6IY/">dont il estime qu’elle n’est pas la sienne</a>.</p>
<p>Si l’invitation de Modi ne sert qu’à cautionner les dérives qu’on lui impute, alors le bilan sera négatif. Mais si derrière les images de la tribune officielle du 14 juillet un dialogue pouvait perdurer, permettant de contribuer à éviter en bonne intelligence des dérives politiques nuisibles, alors le protocole et la tradition auraient du bon.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce 14 juillet, le controversé premier ministre indien sera l’invité d’honneur de la cérémonie du 14 juillet. Une invitation qui a suscité une polémique liée à sa politique nationaliste et autoritaire.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037772023-04-17T15:58:32Z2023-04-17T15:58:32ZL’Inde, nation multiculturelle aux immenses ambitions internationales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521025/original/file-20230414-28-6rytjb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C55%2C7348%2C4847&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À New Delhi, le 26&nbsp;janvier 2017, défilé de véhicule militaires emportant le missile de croisière supersonique à moyenne portée Brahmos, lors de la 68<sup>e</sup>&nbsp;célébration du Jour de la République.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-delhi-india-january-26-2017-1897758673">PradeepGaurs/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Désormais le pays le plus peuplé de la planète avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-du-lundi-17-avril-2023-7300367">1 milliard 428 millions d'habitants</a>, l’Inde abrite de multiples cultures sur son territoire. Aujourd’hui, le premier ministre Narendra Modi cherche à forger l’image d’un peuple indien uni, voire uniforme, tourné vers l’ambition de faire de « la plus grande démocratie du monde » une superpuissance. Dans son ouvrage <a href="https://editions.flammarion.com/breve-histoire-de-linde/9782080285386">Brève histoire de l’Inde. De pays des mille dieux à la puissance mondiale</a>, paru le 5 avril aux éditions Flammarion et dont nous vous présentons ici quelques extraits, Anne Viguier, spécialiste de l’histoire de l’Inde et de l’Asie du Sud, montre toute la complexité d’une société hétérogène qui s’interroge autant sur elle-même que sur son rapport au monde extérieur.</em></p>
<hr>
<h2>Un mille-feuille de langues et de cultures</h2>
<p><em>Un conservatoire de la diversité humaine</em></p>
<p>[…] La singularité de l’Inde ne vient pas d’une histoire du peuplement par vagues successives. Après tout, l’ensemble de la planète fut peu à peu colonisé par <em>Sapiens</em> de cette manière. L’Europe sans la Russie, aussi vaste que l’Asie du Sud, est également habitée par des populations diverses, et on sait bien que les peuples germaniques s’y sont mêlés aux Celtes qui les avaient précédés à l’ouest. Mais ce qui surprend, en Inde, c’est que les traces linguistiques de ce passé ancien sont accompagnées de particularismes culturels qui semblent résister au temps, sans que des frontières politiques ne séparent les groupes sur la longue durée : ce n’est pas le politique qui, comme en Europe, a construit cette diversité résistante.</p>
<p>Pourtant, l’Inde fut la matrice de royaumes et d’empires parfois immenses. Par quel mystère l’unification politique échoua-t-elle à s’imposer de manière durable, même sur une partie du territoire, avant que la conquête coloniale britannique ne vienne, au XIX<sup>e</sup> siècle, tenter de soumettre chaque Indien à la même loi ?</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’Inde vient remettre en cause le récit encore trop habituel d’une histoire de l’humanité suivant une trajectoire unique. […] Les récentes découvertes archéologiques, partout dans le monde, remettent en cause ce récit de référence. L’Inde se trouve être un laboratoire singulier des expériences collectives humaines. Y ont cohabité, jusqu’à nos jours, tous les modèles politiques, une infinité de coutumes, des formes d’organisation sociale parfois très fluides, parfois très rigides.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-foret-lieu-symbolique-et-mythique-des-recits-traditionnels-indiens-125507">La forêt, lieu symbolique et mythique des récits traditionnels indiens</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Rien ou presque ici de la centralisation chinoise, pas d’Église régissant les âmes ni de <em>limes</em> ou murailles fermant l’espace, une réinvention permanente des traditions, une conservation aléatoire d’un passé rarement mis à l’écrit et une capacité à s’emparer des inventions venues d’ailleurs, mais aussi d’y résister. Ainsi, l’Inde adopta des éléments de l’astrologie romaine, elle acclimata la médecine arabe, se régala bien vite du piment venu d’Amérique, mais ne se mit que très tard à utiliser le papier ou la brouette.</p>
<p><em>Ordonner le chaos</em></p>
<p>[…] N’imaginons pas que chaque groupe, en Inde, s’est refermé sur sa propre culture. Traversé d’échanges en tout genre (hommes, idées, marchandises), le monde indien s’est constamment recomposé, associant métissages et particularismes. Le propre des Indiens est peut-être leur capacité à se réclamer d’identités multiples, selon les circonstances, les besoins, les interlocuteurs.</p>
<p>Cette histoire complexe ne peut être passée sous silence, même si le récit présenté ici se veut bref. Car concevoir un récit unifié du passé de l’Inde est une gageure. En Inde, la multiplicité des récits sur l’histoire reste une réalité, chaque groupe ayant établi sa propre mythologie pour expliquer son origine, ce qui n’empêche pas ses habitants actuels de se reconnaître aussi dans un récit national plus récent qui leur donne la certitude de partager une culture commune justifiant l’existence d’un seul État.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue aérienne de la Statue de l’Unité, en Inde" src="https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3994%2C2988&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521020/original/file-20230414-24-97marz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Statue de l’Unité, représentant Sardar Vallabhbhai Patel, l’un des pères fondateurs de l’Inde contemporaine, a été inaugurée en 2018 par Narendra Modi, dans l’État du Gujarat. Avec ses 240 mètres, elle est de loin la plus grande statue du monde. Modi y voit le symbole de l’unité et de la puissance du pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mahi.freefly/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un jeune Tamoul interrogé au sortir de sa salle de classe parlera avec fierté des dernières découvertes archéologiques témoignant d’une culture antique brillante dans le sud de l’Inde, à l’appui des descriptions tirées de la plus ancienne littérature écrite dans sa langue. Il évoquera comme une réalité historique l’ancienne légende d’un continent englouti, le pays de Kumari, réceptacle disparu d’une glorieuse civilisation dravidienne. Un militant du parti des nationalistes hindous, dans la plaine du Gange, affirmera avec conviction que les Indiens descendent des Arya, peuple autochtone dont les Européens forment une branche ultérieure venue d’Inde. Dans l’ouest du pays, les militants de la Shiv Sena (parti des « fils du sol ») glorifieront plutôt la geste d’un héros du XVII<sup>e</sup> siècle, Shivaji, qui combattit les puissants Moghols.</p>
<p>À chacun son époque de référence, son mythe, sa manière d’être au monde… De même que, dans l’hindouisme, le <em>dharma</em> n’impose pas de principes d’action universels, puisque chacun doit adapter ses interventions aux circonstances immédiates, à l’environnement (y compris aux agencements des astres) et aux règles propres à sa caste, de même la présence du passé résonne de manière singulière pour chacun, en dépit des efforts pour inventer une « nouvelle Inde » dépouillée de tous ces particularismes qui, selon certains, l’affaiblissent.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Une fragile démocratie en quête d’un rôle mondial</h2>
<p>Au cours des années 2000-2010, le nationalisme hindou s’était doublé d’un national-populisme incarné par un nouveau leader, Narendra Modi. […]</p>
<p>En avril 2014, à l’issue d’une campagne à l’américaine anticipant le style Trump deux ans plus tard, le BJP emmené par Narendra Modi remporta les élections générales en réussissant l’exploit d’obtenir à lui seul la majorité absolue des sièges à la Lok Sabha. Même s’il restait minoritaire en voix à l’échelle nationale (31 %), le scrutin uninominal à un seul tour lui avait permis de remporter une majorité de circonscriptions, notamment dans la région hindiphone la plus peuplée.</p>
<p>Pour assurer cette victoire, le parti avait joué sur tous les tableaux : les militants les plus durs espéraient une mise en œuvre de la politique de l’<em>hindutva</em>, tandis que les hautes castes hindoues misaient sur l’abandon des quotas ; la jeunesse en quête d’emploi et de reconnaissance croyait au <em>Make in India</em> (fabriquer en Inde) promis par Modi ; les membres des basses castes espéraient une amélioration de leur sort par un homme qui revendiquait son origine modeste et racontait à l’envi son expérience de petit vendeur de thé dans l’échoppe de son père quand il était enfant.</p>
<p>Le premier mandat de Narendra Modi mit surtout en avant une politique économique offensive, tout en élaborant une personnalisation du pouvoir de plus en plus marquée. Les résultats mitigés firent croire, en 2019, que le BJP allait perdre les élections. Mais de nouveau, ce fut une grande victoire qui parut effacer de manière irréversible toutes les tendances antérieures à une régionalisation de la politique.</p>
<p>La façon dont la personnalité de Modi a été mise en scène y fut sans doute pour beaucoup. Dans la culture indienne, obsédée par la hiérarchie et les symboles, la projection ostensible du pouvoir est ce qui permet la reconnaissance quasi inconditionnelle d’un statut. Ce pouvoir peut être obtenu par différents moyens : la non-violence ou au contraire la violence ; ce n’est pas une question morale. Le succès est attribué au <em>karma</em> de l’individu. L’étoile qui monte est saluée avec une adulation disproportionnée. <em>A contrario</em>, on s’écarte rapidement de celui qui connaît une passe difficile. C’est pourquoi la propagande doit saturer l’espace médiatique pour diffuser l’image du succès et donc de la puissance, et s’assurer des allégeances renouvelées.</p>
<p>[…]</p>
<h2>L’ambition rêvée d’une superpuissance</h2>
<p>L’Inde n’est ni la Chine ni la Russie. Comment dompter une population si vaste, si diverse, comment enrégimenter toutes les castes, toutes les tribus, toutes les croyances, pour les faire tendre vers un but commun ? Certes, les moyens modernes de communication créent un espace imaginaire inédit pour réunir tous les Indiens. Certes, l’idéologie de l’<em>hindutva</em>, qui veut uniformiser l’Inde, s’est implantée au-delà de son bastion originel des régions nord-indiennes, surfant sur la xénophobie locale en Assam, au Gujarat ou au Maharashtra.</p>
<p>Mais de fortes identités régionales persistent au sud, au centre, à l’est. Les élections qui continuent malgré tout à ponctuer la vie politique le montrent. Les Indiens ont le temps. Un temps cyclique tropical. Ils aiment les films-fleuves pleins de chansons, les interminables matchs de cricket, les grandes fêtes qui s’étirent en longueur. Ils peuvent soudainement rejoindre une marche protestataire traversant l’Inde, abandonner leurs champs pour faire le siège de la capitale pendant un an, s’installer dans une rivière pour empêcher la construction d’un barrage ou, plus modestement, s’accrocher aux arbres pour empêcher qu’on les coupe. Tout dépend des lunettes que l’on chausse pour regarder, des lieux où l’on voyage, des personnes que l’on rencontre.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-paysans-indiens-pourront-ils-faire-flechir-le-gouvernement-modi-109791">Les paysans indiens pourront-ils faire fléchir le gouvernement Modi ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Longtemps, les Français ont plutôt cultivé une fascination pour la Chine, un pays dont l’organisation quasi militaire pouvait mieux correspondre à l’esprit cartésien et au goût napoléonien pour l’ordre. L’Inde fascine certains qui y retournent sans cesse, mais effraie la majorité : trop complexe, trop diverse, trop religieuse et, aujourd’hui, trop intolérante ? C’est l’Europe tout entière, dans son multilinguisme, son fédéralisme inachevé, son idéal humaniste, qui devrait dialoguer avec l’Inde et concevoir des ponts, des échanges, aussi bien économiques que culturels.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Livre d’Anne Viguier « Brève histoire de l’Inde. Du pays des mille dieux à la puissance mondiale »" src="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=912&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520768/original/file-20230413-26-uelqne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1146&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce texte est issu de « Brève histoire de l’Inde. Du pays des mille dieux à la puissance mondiale », paru le 5 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://editions.flammarion.com/breve-histoire-de-linde/9782080285386">Éditions Flammarion</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le prix Nobel d’économie (1998) et inventeur de l’Indice de développement humain (IDH) Amartya Sen, dans son éclairant essai <em>The Argumentative Indian</em> (2005), en commentant la pensée de Rabindranath Tagore qui affirmait que « l’idée de l’Inde » militait contre « la conscience intense de la séparation de son propre peuple et des autres », souligne que cela vaut autant à l’intérieur du pays – qu’il ne faut pas voir comme une mixture de cultures juxtaposées – que pour la relation de l’Inde avec l’extérieur.</p>
<p>C’est un message refusant une définition exclusive de l’identité. Ouverture à l’espace, mais foi dans la possibilité du renouvellement : « Quand les vieilles paroles expirent sur la langue, de nouvelles mélodies jaillissent du cœur ; et là où les vieilles pistes sont perdues, une nouvelle contrée se découvre avec ses merveilles », écrivait aussi Tagore dans <em>L’Offrande lyrique</em>.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203777/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Viguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Historiquement constitué d’une mosaïque de langues et de cultures, le deuxième pays au-delà du milliard d’habitants compte s’imposer comme puissance économique et géopolitique.Anne Viguier, Directrice du département Asie du Sud et Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701742021-10-27T11:18:09Z2021-10-27T11:18:09ZEn graphiques : Quelle identité religieuse pour la France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/428548/original/file-20211026-19-itp9jh.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1890%2C1141&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'appartenance religieuse des Français en pourcentage de la population.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pierre Bréchon/EVS 2018</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Quelle est la place du fait religieux en France ? Faut-il s’inquiéter des formes qu’il prend avec d’un côté beaucoup de sécularisation mais aussi des minorités crispées sur des visions très conservatrices au nom de leur foi ? Si les idéologues et les médias se plaisent à polémiquer, les enquêtes quantitatives, notamment la <a href="http://www.valeurs-france.fr/">European Values Study</a> (EVS) et le module religion de l’<a href="http://www.issp-france.fr/">International Social Survey programme</a> (ISSP) permettent d’analyser <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03352875/">quelques tendances depuis plus de trente ans</a>.</p>
<p>Ici, nous prendrons en compte d’abord l’image des religions dans l’opinion publique, l’identité subjective (se sentir religieux et/ou spirituel) et l’évolution des croyances.</p>
<iframe title="L'appartenance religieuse des Français (% de la population)" aria-label="chart" id="datawrapper-chart-lcTQV" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lcTQV/4/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="570" width="100%"></iframe>
<h2>Les religions, sources de conflit</h2>
<p>Alors que les religions se présentent très souvent comme des acteurs de paix, leur image est très différente dans l’opinion : elles sont largement considérées comme « apportant plus de conflit que de paix » selon 64 % des enquêtés, aussi bien en 2018 qu’en 1998. Et les personnes qui ont de fortes convictions religieuses sont considérées avec méfiance : 61 % jugent qu’elles « sont souvent trop intolérantes envers les autres ».</p>
<p>C’est donc l’image belliqueuse et intolérante des religions qui domine l’opinion publique, sans grand changement depuis vingt ans, probablement parce que, déjà à l’époque, des événements dramatiques avaient renforcé les craintes à l’égard des religions radicalisées, qui sont les seules que certains connaissent à travers les messages médiatiques.</p>
<iframe title="L'opinion des Français envers les religions" aria-label="chart" id="datawrapper-chart-4o3yq" src="https://datawrapper.dwcdn.net/4o3yq/6/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="364" width="100%"></iframe>
<p>Évidemment les religions n’ont pas toute la même image : 56 % des personnes enquêtées ont « une attitude personnelle tout à fait ou plutôt positive » envers les chrétiens, 40 % envers les bouddhistes, 36 % envers les hindous, 34 % envers les juifs et 24 % envers les musulmans.</p>
<p>Le reste des réponses est massivement composé de personnes indécises (qui se disent « ni d’accord, ni pas d’accord »), qui n’ont probablement pas d’image claire des religions considérées. Les réponses négatives sont en fait rares : même pour les musulmans, groupe religieux le moins bien jugé, il y a seulement 26 % de réponses négatives, contre 4 % pour les chrétiens et 8 % pour les juifs. Il n’y a donc pas de rejet par principe des religions, la plupart des gens adhérant aux principes de la laïcité, reconnaissant à chacun la liberté de <a href="https://www.gsrl-cnrs.fr/13-juillet-2020-parution-anne-laure-zwilling-et-pierre-brechon-indifference-religieuse-ou-atheisme-militant/">croire ou de ne pas croire</a>.</p>
<h2>Religion ou spiritualité ? Les jeunes dans l’attente d’un au-delà</h2>
<p>Peut-on distinguer des personnes « fidèles à une religion » et des individus simplement « spirituels, intéressés par le sacré et le surnaturel » ? En fait la moitié de la population française adopte des positions simples : ils sont « religieux et spirituels » ou « ni religieux ni spirituels ».</p>
<p>L’autre moitié de la population choisit des types plus complexes :</p>
<ul>
<li><p>« adepte d’une religion sans se sentir spirituel », groupe assez âgé et à faible diplôme, pas très religieux mais plutôt conformistes, vivant probablement souvent la religion comme quelque chose allant de soi.</p></li>
<li><p>« pas religieux mais spirituel », groupe qui représente le religieux hors institution. Il est en petite progression de 15 à 18 % en dix ans, soit un tiers des personnes qui se disent sans appartenance religieuse. Et il est particulièrement présent chez les moins de 35 ans et les diplômés qui sont donc à la fois très souvent fortement sécularisés mais un peu plus ouverts au sacré et au surnaturel.</p></li>
</ul>
<iframe title=" Se sentir religieux et/ou spirituel selon l'âge (%)" aria-label="Grouped Column Chart" id="datawrapper-chart-R3B5o" src="https://datawrapper.dwcdn.net/R3B5o/3/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="400" width="100%"></iframe>
<p>Les jeunes sont peu religieux, ils ne croient que rarement aux grands récits des religions institutionnelles mais ils peuvent être ouverts à des croyances que je qualifie de psycho-religieuses : forts de leur dynamisme vital, ils ont plus de mal que les plus âgés à imaginer que tout s’arrêtera avec la mort. Alors que le vieillissement rendrait les individus plus « réalistes » : les personnes âgées croient moins souvent à un futur sans fin que les jeunes. Il y aurait comme un effet d’âge qui expliquerait la propension des jeunes pour des croyances à un futur indéfinissable.</p>
<p>Les rapports aux croyances religieuses et les pratiques qu’elles occasionnent sont très variés et de plus en plus dérégulés par rapport aux grands dogmes des principales religions. Mais des minorités vivent souvent sur un mode radical et assez intransigeant les débats sur les religions, qu’elles défendent des modèles traditionnels soient ou des religiosités alternatives largement recomposées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des polémiques, les enquêtes quantitatives sur le temps long font émerger quelques grandes tendances sur le pluralisme religieux en France.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1526042021-01-25T18:02:24Z2021-01-25T18:02:24ZYogi Adityanath, le moine-ministre qui effraie l’Inde progressiste<p>Il y a quelques semaines, plusieurs observateurs s’étonnaient de la manière dont s’est déroulée la visite d’Emmanuel Lenain, ambassadeur français à New Delhi, à Yogi Adityanath, homme politique membre du parti au pouvoir, à Lucknow, capitale de l’État de l’Uttar Pradesh.</p>
<p>Yogi Adityanath, est le ministre en chef de cet État d’environ 204 millions d’habitants, et membre du Bharatiya Janata Party, dont est aussi issu le premier ministre Narendra Modi.</p>
<p>Certes, cette visite avait comme objectif premier de signer <a href="https://www.indiatvnews.com/news/india/french-ambassador-emmanuel-lenain-up-cm-ygi-adityanath-gorakhnath-temple-feeds-cow-667624">trois protocoles d’entente entre l’Alliance française et des universités de la ville</a>, rien de plus naturel dans le cadre des politiques de coopération bilatérales entre l’Inde et la France.</p>
<p>Cependant, ce que reprochent journalistes, chercheurs et défenseurs des droits humains réside dans la démarche même de l’ambassadeur français.</p>
<p>Son Excellence Lenain, lors d’une visite au temple de Gorakhpur, quartier général des Gorakhnathis, ordre religieux auquel appartient le Yogi, a participé activement à des rituels religieux hindous et <a href="https://www.hindustantimes.com/india-news/french-ambassador-visits-gorakhnath-temple-in-up-joins-prayers-feeds-cows/story-V2mX8cIIwDaOBlgIRRRKoN.html">au maternage d’une vache</a> dans une mise en scène politico-religieuse chère aux défenseurs d’une vision radicale et extrémiste de l’hindouisme revendiquée par le ministre en chef de l’Uttar Pradesh.</p>
<h2>Un hindouisme politique extrémiste</h2>
<p>Adityanath s’inscrit en effet dans la lignée de <a href="https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/on-the-difference-between-hinduism-and-hindutva/">l’hindutvā</a>, mouvance politique créée lors du processus d’indépendance du sous-continent indien au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, en opposition, d’une part, au <a href="https://sos-racisme.org/28-decembre-1885-fondation-du-congres-national-indien/">Congrès national indien</a> – représenté, entre autres, par Gandhi – et d’autre part, aux orientations plus tardives de la <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Ligue_musulmane/129923">Ligue musulmane de toute l’Inde</a>.</p>
<p>L’hindutvā est aussi l’idéologie au fondement du mouvement <a href="https://indianexpress.com/article/india/hindu-mahasabha-the-waning-fringe-outfit-shouting-to-stay-politically-relevant-5563082/">Hindu Mahāsabhā</a> et du <a href="https://narendramodifacts.com/faq_Sangh.html">Saṅgh Parivār</a>, une large « famille d’organisations » paramilitaires d’extrême droite hindoues qui militent pour une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09584935.2018.1545009">hégémonie hindoue sur l’ensemble du territoire indien</a>, voire sud-asiatique.</p>
<p>Adityanath est ainsi à l’hindouisme indien ce que <a href="https://www.courrierinternational.com/article/birmanie-wirathu-le-moine-bouddhiste-islamophobe-vise-par-un-mandat-darret">Wirathu est au bouddhisme birman</a>.</p>
<p>Wirathu est un moine qui se trouve notamment à la tête de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-montee-de-la-rhetorique-bouddhiste-nationaliste-en-asie-12-03-2018-2201700_24.php">milices</a> responsables de massacres de milliers de Rohingyas en Birmanie.</p>
<p>Dans ce contexte, la visite d’Emmanuel Lenain a suscité nombre de commentaires et rumeurs alimentés notamment par l’extrême droite indienne. Celle-ci <a href="https://swarajyamag.com/world/emmanuel-macron-yogi-adityanath-and-the-hammurabi-code-how-to-deal-with-islamic-radicals-in-a-modern-nation-state">se targue</a> en effet que la France, via son représentant, partagerait une politique dure et radicale vis-à-vis de l’islam, forcément « radical ».</p>
<p>Pourquoi la France n’a-t-elle pas pris toute la mesure de cette visite ? Loin d’être anodine, la double position religieuse et politique de Yogi Adityanath pose les fondements d’une Inde tendant de plus en plus vers l’extrémisme religieux et sa traduction en actes politiques graves.</p>
<h2>Un moine activiste radical</h2>
<p><a href="https://www.dailypioneer.com/2017/columnists/nath-order-of-yogis-a-primer.html">Yogi Adityanath est à la tête d’une importante communauté monastiques de l’Inde</a>, le Gorakhnath Sampradaya. Ce regroupement ascétique serait comparable aux ordres monastiques bénédictin et trappiste en Occident et regroupe essentiellement des hommes – très peu de femmes – ayant tous fait le vœu de chasteté et d’obéissance à leur gourou. Gorakhnath lui-même, fondateur de cet ordre au XII<sup>e</sup> ou XIII<sup>e</sup> siècle, serait, <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/A/bo3683579.html">selon certaines traditions</a>, l’instigateur du hatha-yoga.</p>
<p>Les membres de cet ordre sont donc connus comme étant des « yogis » et bien des Indiens sont convaincus que les <a href="https://journals.openedition.org/assr/22055">ascètes</a> y appartenant ont développé des pouvoirs surnaturels. Ces ascètes ont par ce fait même une grande ascendance sur la population hindoue.</p>
<p>Déjà au tout début du XX<sup>e</sup> siècle, la mouvement ascétique gorakhnathi fait sienne la théorie de l’hindutva afin de favoriser la création d’une Inde hindoue. Débute alors une politisation de cet ordre à l’origine exclusivement monastique.</p>
<h2>L’ascension d’Adityanath</h2>
<p>Né Ajay Singh Bisht, le futur « yogi » devient ascète sous l’égide d’Avaidyanath.</p>
<p>Avaidyanath était alors fort impliqué dans le Hindu Mahasabha, dirigeait l’ordre Gorakhnathi et était député au Parlement ; déjà, il militait pour la création d’une Inde exclusivement hindoue.</p>
<p>À peine une année après être devenu moine au sein du Gorakhnath Sampradaya, Adityanath devient le supérieur de l’ordre Gorakhnathi.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Un jeune « gorakh ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Boisvert</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 1998, tout comme son prédécesseur Avaidyanath, Yogi Adityanath entre en politique, élu à la Chambre basse (Lokh Sabha) au Parlement indien : l’objectif de cette implication « ascétique » en politique était <a href="https://www.hindustantimes.com/lok-sabha-elections/yogi-adityanath-s-mentor-mahant-avaidyanath-introduced-dining-with-dalits-in-1980s/story-xxWdoJDwUhEaFCyO1uTKyI.html">officiellement la protection des droits des hindous</a>.</p>
<p>Suite aux élections nationales de 2014, remportées massivement par le <a href="https://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201303/31/01-4636345-inde-un-nationaliste-hindou-controverse-se-rapproche-des-elections.php">parti nationaliste hindou Bharatya Janata Party (BJP)</a>, Adityanath surfe sur cette vague nationaliste hindoue et devient, en 2017, le ministre en chef de l’État indien de l’Uttar Pradesh.</p>
<h2>Islamophobie revendiquée</h2>
<p>Il incite toujours différentes milices informelles hindoues à <a href="https://scroll.in/article/974721/how-uttar-pradesh-became-a-vigilante-state-under-adityanath">mener des actions plus concrètes</a> – violentes, voire meurtrières – contre ceux qui contreviendraient <a href="https://scroll.in/latest/976848/ups-law-on-cow-slaughter-being-misused-against-the-innocent-says-allahabad-hc">à la loi étatique pour la protection de la vache</a>.</p>
<p>Les personnes visées par ces mesures sont bien entendu les musulmans, qui constituent près de 20 % de la population de l’État, mais également les <a href="http://www.asianews.it/news-en/Uttar-Pradesh-introduces-harsher-penalties-for-those-who-slaughter-or-transport-a-cow-50320.html">Dalits, ces castes dites inférieures, et les chrétiens</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, rien de surprenant qu’Adityanath ait <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/04/04/yogi-adityanath-un-moine-extremiste-a-la-tete-du-plus-grand-etat-de-l-inde_1559382">affirmé</a> que « tous ceux refusant le yoga n’ont qu’à quitter l’Inde ou à se noyer dans l’océan ».</p>
<p>Depuis quelques années, avant son arrivée au poste de ministre en chef de l’Uttar Pradesh, le Yogi menaçait déjà ouvertement les <a href="https://www.jstor.org/stable/43613088?seq=1">couples mixtes</a>, à savoir hindou et musulman, notamment quand la femme ou fiancée se convertissait à l’islam pour se marier. Il a été moteur d’une véritable campagne complotiste visant à établir sous le terme « love jihad » que des hommes musulmans séduisaient des femmes hindoues dans le seul but de les convertir.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pZZuGN-9R_s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Love Jihad NDTV.</span></figcaption>
</figure>
<p>Depuis décembre 2020, les ratonnades ont fait place, en Uttar Pradesh, à des lois iniques visant les conversions dans le cadre de <a href="https://www.dw.com/en/india-uttar-pradesh-becomes-first-state-to-outlaw-love-jihad-marriages/a-55718001">ces mariages mixtes</a>.</p>
<h2>Ayodhya, au cœur des luttes</h2>
<p>C’est aussi en Uttar Pradesh que se joue une lutte aussi politique que religieuse. Depuis des décennies, de nombreux militants et religieux revendiquent la « propriété » du site dit d’Ayodhya, perçu comme dernier vestige du <a href="https://www.outlookindia.com/website/story/india-news-archaeologists-who-discovered-remains-of-ram-temple-below-babri-mosque-in-ayodhya-not-among-invitees/358016">royaume de Ram</a>, héros de l’épopée du Ramayana et figure religieuse.</p>
<p>C’est sur ce lieu que l’empereur moghol Babur aurait fait construire, en 1527, une mosquée, un acte (présumé !) sacrilège pour de nombreux fidèles.</p>
<p>Ce postulat est à l’origine de la destruction violente de la Babri masjid d’Ayodhya en 1992, d’attentats et des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pour-comprendre-la-mosquee-dayodhya-vingt-cinq-ans-de-discorde-entre-hindous-et-musulmans">violences intercommunautaires meurtrières qui suivirent</a>.</p>
<p>Dès 1990, le jeune Adityanath aurait <a href="https://www.opindia.com/2019/11/ram-mandir-ayodhya-yogi-adityanath-mahant-avaidyanath-idol/">dédié sa vie à la « libération » d’Ayodhya</a>.</p>
<p>Dix ans plus tard, en 2002, toujours en lien avec la « ré-appropriation » du site d’Ayodhya, d’autres <a href="https://www.liberation.fr/planete/2005/01/19/inde-retour-sur-des-pogroms-antimusulmans_506560">pogroms éclatent</a> ; des milliers de personnes trouvent la mort dans des conditions atroces.</p>
<p>La même année, Adityanath fonde le <a href="https://caravanmagazine.in/vantage/hindu-yuva-vahinis-constitution-tells-us-yogi-adityanaths-regime-uttar-pradesh">Hindū Yuvā Vāhinī</a>, une organisation hindoue calquée sur le modèle des Jeunesses hitlériennes et dont l’objectif premier est la promotion de l’hindutvā. Dans les années qui suivirent, ce mouvement fut <a href="https://www.worldwatchmonitor.org/tag/hindu-vanihi/">responsable de plusieurs événements de violence</a> à l’encontre des <a href="http://www.coastaldigest.com/yogi-led-hindu-yuva-vahinis-barbarism-triggers-alarm-bells-bjp?page=2">musulmans</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1123836334349651968"}"></div></p>
<p>Objet de propagande, de contre-discours et terrain politique sensible, Ayodhya est officiellement <a href="https://www.deccanherald.com/national/national-politics/faith-evidence-prove-masjid-was-on-rams-birthplace-774808.html">reconnu depuis décembre 2019 comme lieu historique</a> de naissance du personnage mythique Ram.</p>
<h2>Un temple symbole d’une ère nouvelle</h2>
<p>En décembre 2020, <a href="https://indianexpress.com/article/india/ram-mandir-is-rashtra-mandir-yogi-adityanath-7118948/">Adityanath a souligné à plusieurs reprises l’importance de reconstruire</a> le temple original à Rāma, érigié sur le lieu de naissance de la divinité.</p>
<p>Ce temple deviendrait alors <a href="https://indianexpress.com/article/india/up-cm-yogi-adityanath-ram-temple-in-ayodhya-will-be-rashtra-mandir-6171200/">l’âme de la nation</a>.</p>
<p>Selon Adityanath, le royaume de Rāma aurait été l’exemple par excellence de bonne gouvernance, et la reconstruction du temple <a href="https://indianexpress.com/article/india/ram-mandir-is-rashtra-mandir-yogi-adityanath-7118948/">s’impose rapidement</a>.</p>
<p>Cette vision d’une Inde comme étant une terre hindoue, forgée sur des mythes qui ne souffrent ni critique ni remise en cause, y compris dans leur pendant historique, rompt avec la vision laïque de l’Inde défendue aussi bien par les fondateurs de l’Inde indépendante que par des personnages religieux du siècle dernier tel Ramakrishna.</p>
<p>Pourtant, la popularité de Yogi Adityanath ne cesse de croître dans cette république indienne, toujours pour le moment, laïque.</p>
<p>Selon le journal <em>The Wire</em>, <a href="https://thewire.in/politics/uttar-pradesh-model-sangh-parivar-yogi-adityanath">son action en Uttar Pradesh</a> le pose déjà comme futur candidat au poste de premier ministre lors des prochaines élections législatives en 2024.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152604/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Boisvert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qui est le Yogi Adityanath, moine et dirigeant politique extrémiste, à qui l’ambassadeur français en Inde vient de rendre visite ?Mathieu Boisvert, Directeur, Centre d'études et de recherches sur l'Inde, l'Asie du Sud et sa diaspora, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1427862020-09-08T18:47:59Z2020-09-08T18:47:59ZCovid-19 : des ascètes hindous espèrent sauver la planète<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356113/original/file-20200902-14-1due5ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C11%2C951%2C599&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Durant la période de confinement, l'évaluation du taux de pollution du Gange a révélé que pour la première fois depuis des décennies l'eau du fleuve était à nouveau potable à Rishikesh.</span> <span class="attribution"><span class="source">Johan Krieg</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La ville sainte de Rishikesh (Inde du Nord), située au bord du Gange, attire chaque année plusieurs centaines de milliers de pèlerins indiens et de visiteurs du monde entier qui viennent recevoir l’enseignement de maîtres spirituels.</p>
<p>Rishikesh est en effet considérée comme la « porte » physique et symbolique par laquelle on accède à Dev Bhūmi (littéralement, « la terre des dieux »). D’avril à octobre, ce lieu est le principal point d’accès à un des plus grands pèlerinages de l’Inde du Nord : le <a href="https://journals.equinoxpub.com/JSRNC/article/view/34317/">« pèlerinage des quatre demeures divines »</a>.</p>
<p>Mais aussi, ce qui était autrefois un petit village – non loin des ermitages forestiers où les ascètes venaient se recueillir – a aujourd’hui acquis la réputation internationale d’être la <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/27971/reader/reader.html">« capitale mondiale du yoga »</a>.</p>
<p>Cependant, depuis l’<a href="http://www.csh-delhi.com/news/csh-at-the-time-of-covid-19-epidemics/">épidémie de Covid-19</a> qui a touché plus d’un million de personnes en Inde à ce jour et l’annonce du confinement, le 24 mars 2020, les rues de Rishikesh sont quasi désertes.</p>
<h2>Rues désertes, ascètes actifs</h2>
<p>Dans la rue Geeta Bhavan où se trouve le monastère <a href="https://www.parmarth.org/">Parmarth Niketan</a> que j’étudie parmi d’autres établissements dans le cadre de ma <a href="http://lesc-cnrs.fr/en/cb-profile/398/userprofile">thèse</a>, seules quelques vaches déambulent, indifférentes à la pandémie.</p>
<p>Malgré l’interdiction de sortir, des ascètes hindous de ce monastère accompagnés de leurs disciples laïcs prennent soin des animaux errants ainsi que des mendiants qui n’ont pas de lieu de confinement et qui dépendent des dons pour se nourrir.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354637/original/file-20200825-20-1qr6kpo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La porte d’entrée principale du monastère Parmarth Niketan.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quand il est question d’ascètes en Asie, la première image qui vient à l’esprit est souvent celle de sages vivant dans des endroits reculés, des <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-meditants-hindous-et-taoistes-peuvent-nous-enseigner-de-lisolement-135780">mystiques</a> absorbés dans leurs contemplations.</p>
<p>Si cette image correspond à une certaine réalité, nombreux sont les religieux qui vivent et agissent dans le monde. Parmi ces derniers, il y en a qui s’organisent pour lutter contre la pandémie et ses conséquences.</p>
<h2>Le cri silencieux de la Terre-Mère</h2>
<p>À Rishikesh, pour certains ascètes du monastère Parmarth Niketan, la pandémie de Covid-19 serait une punition infligée par la Terre-Mère à ses enfants. Sadhvi Bhagawati Saraswati, une ascète américaine qui tient un rôle important dans le travail réalisé par les différentes ONG du monastère, écrit dans un article publié par le <a href="https://thriveglobal.in/stories/it-took-a-virus-to-teach-us-a-simple-lesson/">journal</a> en ligne ThriveGlobal :</p>
<blockquote>
<p>« Je réalise que telle une mère exaspérée, après avoir essayé pendant des décennies de nous faire changer notre mode de vie, elle n’avait pas d’autre choix que de crier silencieusement “Asseyez-vous, fermez-la et allez dans vos chambres jusqu’à ce que vous ayez appris votre leçon” ! »</p>
</blockquote>
<p>La Covid-19 serait ainsi le cri silencieux de la Terre-Mère. Comme l’illustre l’extrait suivant du <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-mahabharata-9782226188649">Mahabharata</a>, l’une des deux grandes épopées hindoues avec le Ramayana, cette manière d’appréhender les problèmes actuels n’est en fait pas si actuelle que cela :</p>
<blockquote>
<p>« Les hommes ont pris de l’arrogance. Ils m’accablent chaque jour de blessures. Ils sont innombrables et violents, animés par l’esprit de conquête. Je tremble sous les pas de l’homme dépourvu de sagesse et je me demande : Que va-t-il encore me faire ? ».</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iwTtN99sQCA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sadhvi Bhagawati, « Ecology and the Common Destiny » Panel at Peace With No Borders Conference 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Selon la vision cyclique du temps, héritée de la cosmologie hindoue, la complainte de la Terre au Dieu Brahmā se situe à un moment où le <em>dharma</em> (ordre socio-cosmique) est affaibli. Pour les hindous qui considèrent le présent du point de vue d’une ère cosmique, l’époque actuelle (<em>Kali Yuga</em>) est la pire de toutes. Seulement voilà, le <em>Kali Yuga</em> est censé se poursuivre pour une longue période d’au moins 400 mille années ! Faut-il se résigner pour autant ?</p>
<p>Les ascètes de Parmarth Niketan refusent cette option. Selon <a href="https://www.sadhviji.org/our-role-when-things-get-worse-in-kaliyug/">eux</a>, même si les luttes à venir auxquelles l’humanité devra faire face sont innombrables, il est du devoir de chacun d’œuvrer pour le bien de tous.</p>
<h2>Au service de ceux qui vivent dans le monde</h2>
<p>Le chef du monastère Parmarth Niketan, Swami Chidananda Saraswati, enjoint à ses disciples de s’élever au-dessus de leurs intérêts personnels afin de partager le souci du bien commun et de se mettre au service (<em>sevā</em>) des autres. Pourquoi des ascètes qui ont renoncé au monde se mettent-ils au service de ceux qui vivent dans le monde ?</p>
<p>Cette question complexe nécessiterait des réponses multiples. On a choisi ici de se limiter à une approche historique pour y répondre. C’est pendant la période coloniale, au XIX<sup>e</sup> siècle, qu’émergèrent des <a href="https://www.oxfordbibliographies.com/view/document/obo-9780195399318/obo-9780195399318-0121.xml">mouvements réformistes hindous</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Swami Vivekananda, septembre 1893, Chicago" src="https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=824&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=824&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=824&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1035&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1035&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355127/original/file-20200827-22-18fpel2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1035&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le réformiste Swami Vivekananda, septembre 1893, Chicago. La photo comporte une ligne de sa main : « Un pur et pur infini, au-delà de la pensée au-delà des qualités, je m’incline devant toi. ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vivekananda#/media/Fichier:Swami_Vivekananda-1893-09-signed.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La Ramakrishna Math and Mission fondée en 1897 par Vivekananda (1863-1902) appartient à l’un de ces mouvements. Pour l’ascète anglicisé <a href="http://oro.open.ac.uk/2874/">Vivekananda</a>, l’idéologie du renoncement et le service rendu à autrui de façon désintéressée (sevā) étaient les valeurs qui caractérisaient le mieux la société indienne.</p>
<p>Or les pratiques religieuses des ascètes de Parmarth Niketan s’inscrivent pleinement dans la continuité d’un tel mouvement.</p>
<h2>Libération et politique</h2>
<p>Si le service rendu aux pauvres, aux malades ou aux animaux errants durant la pandémie de Covid-19 permet de construire une société meilleure, c’est aussi un chemin censé mener à la libération (<em>mokṣa</em>). Rappelons que dans l’hindouisme classique, le but ultime de la vie est d’obtenir la délivrance ; c’est-à-dire sortir du cycle indéfini des <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/nirvana-et-samsara/">transmigrations</a>. La sevā est désignée comme une méthode qui permet l’union de l’être individuel au Soi suprême. Si tout est une émanation du Principe suprême, servir le monde revient à servir Dieu.</p>
<p>Une nouvelle acception du terme sevā est cependant apparue dans le contexte de cette pandémie. Swami Chidananda Saraswati, qui entretient des liens étroits avec le Parti du Peuple Indien (BJP) au pouvoir, a <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2001_num_14_54_1155">relayé en des termes religieux</a> l’injonction gouvernementale à rester dans son domicile. Être confiné chez soi dépasse ainsi le simple fait d’obéir à la loi, cela devient ici un devoir religieux (dharma) et le principal service (sevā) que chacun puisse rendre à la communauté.</p>
<p>Ces considérations nous amènent à suivre le développement sémantique de termes tels que dharma ou sevā. En effet les concepts religieux se transforment en fonction des nécessités du temps présent, et sont toujours le produit d’une période historique donnée.</p>
<h2>Et après la Covid-19 ?</h2>
<p>Durant le confinement, Parmarth Niketan a mis en ligne de nombreuses vidéos de cours de yoga pour que les disciples du monastère puissent traverser plus sereinement la période difficile de l’épidémie. Parmi eux, nombreux sont les Occidentaux ou les Indiens appartenant aux classes moyennes urbanisées connectés à la toile.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eYsCC2EshaE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Swami Chidananda Saraswati incite à pratiquer le yoga et la méditation durant la période de confinement.</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais il s’agissait aussi de préparer l’après Covid-19. Selon les ascètes du monastère, si les crises sanitaires ou écologiques sont un reflet de notre « pollution intérieure », la purification de l’individu par le yoga est un prérequis nécessaire afin de pouvoir prévenir les futures crises.</p>
<p>Pour Sadhvi Bhagawati Saraswati, le pire est à venir :</p>
<blockquote>
<p>« La plus grande menace pour notre vie, même aujourd’hui, n’est certainement pas la Covid. L’année dernière, la pollution atmosphérique a provoqué des millions de morts en Inde. Des millions d’autres morts sont directement liées à la pollution de l’eau. Dans quelques mois ou quelques années, l’épidémie sera derrière nous. Mais les menaces importantes sont devant nous. Le retour à ce qui nous paraissait comme normal n’est pas souhaitable. Ce qui est ironique, c’est que cette nouvelle normalité à inventer n’est pas inconnue de la culture traditionnelle indienne. Les hindous vénèrent la Terre-Mère et toutes les créatures. »</p>
</blockquote>
<h2>Idéologie hindoue et soft-power indien</h2>
<p>Il y a dans les discours tenus par les ascètes de Parmarth Niketan une opposition que l’on retrouve chez beaucoup d’activistes militants se réclamant de l’hindouisme. D’un côté, l’idéologie sceptico-matérialiste dominante en Occident et qui serait responsable des crises majeures que traverse notre époque.</p>
<p>De l’autre, l’hindouisme qui donne une vision unifiée du monde et qui encourage le respect de toute forme de vie, qu’elle soit humaine, végétale ou animale.</p>
<p>En marchant dans les pas de Vivekananda qui présentait le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/vedanta/">Vedānta</a> (la fin du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/veda/">Veda</a>) comme l’unique religion à portée universelle, ces ascètes définissent à leur tour l’hindouisme comme l’essence de toutes les religions.</p>
<p>Pour cette raison, plus qu’aucune autre, la tradition hindoue posséderait les ressources nécessaires pour faire face aux problèmes auxquels est confronté le monde moderne.</p>
<p>L’idée que l’« Inde hindoue » soit un modèle à suivre par les autres pays du monde fait écho aux discours des suprémacistes hindous au pouvoir qui rêvent d’un <a href="https://www.cairn.info/l-inde--9782200600020-page-236.htm">soft power indien</a>.</p>
<p>La question se pose alors de savoir quel sera le rôle de ces ascètes proches du pouvoir en place dans la gestion des crises à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142786/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johan Krieg a reçu des financements de l'École française d'Extrême-Orient, du Conseil régional d'Île-de-France, du Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative et de l'École doctorale 395, "Espaces, Temps, Cultures". </span></em></p>Selon la philosophie et la pratique religieuse de certains ascètes du nord de l’Inde, même si les luttes à venir sont innombrables, il est du devoir de chacun d’œuvrer pour le bien de tous.Johan Krieg, Doctorant en anthropologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1388532020-05-27T18:15:33Z2020-05-27T18:15:33ZCe que jeûner indique de notre sociabilité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337397/original/file-20200525-106862-1o5lbdt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C213%2C2910%2C2169&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration du jeûne dans la culture occidentale : une assiette vide avec un verre d'eau.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e5/Fasting_4-Fasting-a-glass-of-water-on-an-empty-plate.jpg">Jean Fortunet/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La distanciation physique respectée (qui ne concerne pas <a href="https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782757841990-la-dimension-cachee-edward-t-hall/">l’impact du son traversant notre bulle proxémique</a>) – n’empêche nullement, dans l’espace public, d’entendre des « confessions » de promeneurs, joggers ou clients attendant devant les commerces de « première nécessité ».</p>
<p>Ils informent à voix haute des « proches virtuels » des évènements de leur intimité confinée et l’on apprend ainsi qu’ils pratiquent un jeûne, que ce soit à l’occasion de Ramadan conclu ce 24 mai ou pour une « détox ».</p>
<p>Paradoxalement, à l’heure où une partie de la population n’a plus la possibilité économique d’accéder à une alimentation suffisante, de multiples médias proposent une offre, mercantile ou non, qui encourage ou justifie cette pratique abstinente. Et d’évoquer le jeûne religieux, thérapeutique, « détox », intermittent, « pour maigrir »… La sociologie peut préciser et compléter cette typologie pour en saisir la « dimension cachée ».</p>
<h2>Monothéismes</h2>
<p>Le jeûne est commun aux trois religions monothéistes. Ce rituel du jeûne est spécifique à chacune et correspond à des attentes différentes. Dans le judaïsme, le jeûne de Moïse (40 jours) perpétué par le Yom Kippour (limité à une journée) a vertu d’expiation, d’obtention du pardon de Yavhé et de rejeter la <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-De_la_souillure-9782707148117.html">souillure</a> potentielle de nos incorporations dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-histoire-des-religions-2007-1-page-111.htm">quête de la pureté</a> qui permit à Moïse de recevoir les Tables de la Loi.</p>
<p>Jésus jeûne aussi 40 jours dans le désert, mais à travers le déni d’aliments il s’agit de renoncer à son corps, à toutes les tentations auxquelles il pourrait être soumis, valorisant ainsi la spiritualité permettant d’approcher Dieu.</p>
<p>Dans l’islam, le Ramadan correspond au 9<sup>e</sup> mois du calendrier lunaire, celui où l’archange Gabriel révèle le Coran à Mahomet. Le jeûne diurne facilite une réflexion sur soi, un contrôle et une connaissance de son corps réflexif ainsi qu’un temps de partage spirituel qui devient, la nuit tombée, un partage des nourritures, un renforcement du lien social.</p>
<p>Pour compléter ce rapide survol du jeûne religieux, mentionnons l’importance du <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-meditants-hindous-et-taoistes-peuvent-nous-enseigner-de-lisolement-135780">taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme</a> qui font système, aujourd’hui, avec des théories « new age ».</p>
<h2>Jeûner ensemble</h2>
<p>L’obligation de confinement a coïncidé avec deux périodes de jeûnes religieux (la fin du Carême et le début du Ramadan) dont la pratique inclue dans un groupe référent, crée une filiation, affirme une appartenance. Ces fonctions rassurent dans un contexte anxiogène bien souvent vécu dans une relative solitude.</p>
<p>Avant d’aborder les autres types de jeûnes, deux remarques doivent être faites d’un point de vue sociologique. D’abord, au moment où se développe une précarité alimentaire avec les conséquences économiques du Covid-19, la revendication d’un excès de rien pour s’opposer à l’excès du trop est parfois un privilège qui exprime une « distanciation sociale » (là l’expression est juste). Ensuite, cette période n’a pas été vécue de la même façon selon que l’on était seul·e, à deux ou plus.</p>
<p>Il faut alors <a href="https://lea.univ-tours.fr/membres/publications-de-jean-pierre-corbeau-1-2--331772.kjsp">distinguer</a> entre convivialité (vivre ensemble et communiquer de manière agréable) et <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_des_cultures_alimentaires">commensalité</a> (manger ensemble sans nécessairement communiquer et sans obligation de partage d’une nourriture commune).</p>
<p>Notons que ces dernières semaines, ces deux formes de sociabilité eurent souvent recourt à la médiation de nombreuses applications. Comme le télétravail, la convivialité médiatisée ne nécessite pas la présence physique d’un autrui (on exclue les informations sensorielles corporelles – odeur, postillons, chaleur, toucher, etc.- de la communication) et elle permet de « maîtriser » le temps de la relation en mettant fin à la connexion.</p>
<p>La commensalité des « apéro-skype » prolonge – à distance – le partage des boissons et des « victuailles » avec des amis.</p>
<p>Ces pratiques ont diminué le sentiment d’isolement ou les tensions de l’entre-soi.</p>
<p>Ainsi, vous n’avez plus « obligation » de commensalité « physique » et les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-tyrannies-de-l-intimite-richard-sennett/9782020215657">tyrannies de l’intimité</a> qu’elle engendre, comme devoir s’asseoir en face de l’autre même à contrecœur, échanger alors que nous avons envie de calme etc. Jeûner devient alors un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Rites_d%E2%80%99interaction-2091-1-1-0-1.html">rituel d’évitement</a>.</p>
<h2>Apprécier une solitude retrouvée</h2>
<p>Cette dimension d’un refus du partage (de l’aliment et de la relation) est pour partie commune avec <a href="http://www.lemangeur-ocha.com/dossiers/corps-de-femmes-sous-influence-questionner-les-normes-symposium-de-locha-novembre-2003/">certaines anorexiques</a> et avec des religieuses jeûneuses du Moyen Âge.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/clio/502">Ces dernières</a> « voyaient dans la nourriture un instrument de pouvoir sur leur moi et sur leur entourage, et un moyen de renoncer à l’un comme à l’autre ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Béguine de Bruxelles, un ordre qui permettaient à certaines religieuses de s’affranchir des codes de leur époque (1811).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Coustumes_-_B%C3%A9guines_de_Bruxelles.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Jeûner « distingue » dans un environnement qui valorise le partage et l’abondance alimentaire. On attire le regard des autres, parfois leur compassion ; on existe à travers l’affirmation de sa « singularité ».</p>
<p>Cependant l’émergence de ces comportements alimentaires n’est pas une « génération spontanée ». Elle prolonge des tendances de nos contemporains. Cette tendance est particulièrement vive lorsqu’il n’y a pas peur du manque et chez les femmes qui affichent un rapport au corps plus réflexif. Les individus perçoivent alors les nourritures en considérant la <a href="https://theconversation.com/lorthorexie-ou-quand-lobsession-du-manger-sain-vire-a-la-maladie-109052">conséquence de leurs incorporations</a> sur leur santé, leur silhouette, leur éthique et l’environnement.</p>
<h2>Désirs individualistes</h2>
<p>La période du confinement, pendant laquelle les dépenses physiques et les contraintes liées à la sociabilité sont moindres, encourage l’expérimentation d’un jeûne thérapeutique pour éliminer la souillure (au moins symbolique) des incorporations antérieures, pour se débarrasser des toxines, pour « prendre soin de soi ».</p>
<p>La période de jeûne alterne aussi avec la recherche et l’appropriation par un acte culinaire plus ou moins complexe (on a le temps !) de produits sains, éthiques, goûteux construisant une <a href="https://pufr-editions.fr/produit/devenir-sain/">« écologie de soi »</a>, une solidarité avec les nouvelles citoyennetés.</p>
<p>Cette problématique individualiste se retrouve dans la restriction cognitive (avec parfois un projet esthétique de maigrir (par exemple pour séduire au moment des « retrouvailles »). Ainsi une majorité de Français dit avoir grossi pendant le confinement (enquête réalisée par <a href="https://www.darwin-nutrition.fr/actualites/alimentation-francais/">l’Ifop</a> pour Darwin Nutrition et relayée par <em>Le Parisien</em> et BFMTV le 6 mai), 14 % ont maigri et 29 % ont conservé leur poids.</p>
<p>Beaucoup ont aussi exprimé l’envie ne pas commettre d’excès d’alcool : abstinence intermittente de consommations alcoolisées tout en conservant le plaisir régulé de boire occasionnellement.</p>
<p>Les jeûnes représentent ainsi, dans ces contextes de reconstruction de soi pour mieux aborder le futur, des désirs de se référer à des groupes qui rassurent en temps de crise. Mais le jeûne affirme aussi un individualisme qui refuse un pouvoir particulier ou construit, de façon égotique, un projet optimiste (nouveau modèle alimentaire, nouvelle silhouette, parfaite santé). Gageons que l’heure du déconfinement et du « dé-jeûner » sera celle de la valorisation d’aliments porteurs de sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138853/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Corbeau est personnalité qualifiée du Conseil National de l'Alimentation, membre du conseil scientifique de l'OCHA, membre du conseil scientifique du GROS. </span></em></p>Quelles logiques encouragent le jeûne aujourd’hui et que révèle-t-il de notre envie de vivre ensemble ?Jean-Pierre Corbeau, Professeur émérite de sociologie de l'alimentation, vice-président de l'Institut Européen de l'Histoire et des Cultures de l'Alimentation, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1383362020-05-17T18:08:49Z2020-05-17T18:08:49ZEn Inde, la réouverture des débits d’alcool déchaîne des passions toutes politiques<p>Quarante jours après le début du <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/04/06/arundhati-roy-en-inde-le-confinement-le-plus-gigantesque-et-le-plus-punitif-de-la-planete_6035741_3260.html">confinement le plus gigantesque et le plus punitif de la planète</a>, le 3 mai 2020, Narendra Modi, premier ministre indien, annonçait son prolongement pour deux semaines supplémentaires, révélant la carte d’un pays désormais divisé en <a href="https://thewire.in/government/lockdown-3-0-restrictions">zones</a> selon le niveau de concentration de cas d’infections avérés (verte, orange, rouge et <em>containment zone</em>) dont le gradient chromatique donne une idée des libertés octroyées.</p>
<p>Ce jour-là, Modi prenait aussi l’une des mesures les plus attendues et redoutées par la population : la réouverture des magasins d’alcool après plus de 6 semaines de fermeture.</p>
<p>Dès le lendemain, lundi 4 mai, les médias accompagnant l’actualité du SAR-Cov-2 en Inde diffusaient des images insolites de centaines d’hommes et de femmes agglutinés souvent sur plusieurs centaines de mètres, attendant fébrilement la réouverture des <em>liquor shops</em> gouvernementaux (les seuls à être autorisés) pour se procurer quelques litres d’alcool.</p>
<p>Alors que le gouvernement indien avait dans un premier temps bénéficié d’une image très positive à l’international pour sa capacité à contenir la propagation du virus – image à peine écornée par la gestion calamiteuse de <a href="https://theconversation.com/en-inde-les-travailleurs-migrants-abandonnes-a-leur-sort-135851">migrants</a> –, les <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/india/liquor-shops-open-after-40-days-social-distancing-rules-taken-for-a-ride/articleshow/75533865.cms">scènes de foules amassées</a> faisant fi de toute distanciation sociale pour se procurer de l’alcool dès la réouverture des <em>liquor shops</em> ont aussitôt mis à mal une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/8._inde_modi__cle8c2be9.pdf">communication politique</a> patiemment tissée par les nationalistes hindous : l’Inde du yoga, du végétarisme et de l’abstinence.</p>
<p>Aussi, le traitement de la vente d’alcool par l’État en temps de pandémie, plus que de relever de considérations sanitaires, interpelle par sa dimension profondément politique.</p>
<h2>Surprenante réouverture des débits de boissons</h2>
<p>Le soulagement des uns fut à la hauteur des craintes des autres. Si l’interdiction de l’alcool est une mesure ponctuelle régulièrement déployée en Inde lors des moments de tension politique (élections, manifestations), elle est ici à la fois exceptionnelle par sa durée, et signifiante sur le rapprochement des registres discursifs opéré par les politiciens entre menace économico-politique et menace pandémique.</p>
<p>La réouverture des commerces divise la population et suscite de vives contestations émanant d’acteurs nombreux et divers : militants et partis politiques issus de l’opposition, associations religieuses hindoues, catholiques et musulmanes, ou encore <a href="https://www.hindustantimes.com/delhi-news/delhi-rwas-urge-govt-to-shut-down-all-liquor-shops-in-city/story-rm7gY0FH9iEhSi7feMTb5I.html">collectifs citoyens</a>. À New Delhi, la capitale, près de 150 boutiques (sur un total de 864) ont ouvert progressivement leurs comptoirs extérieurs grillagés. Associations de résidents et partis politiques ont rapidement fait entendre leurs voix. Dans les villes de <a href="https://www.republicworld.com/india-news/law-and-order/cpim-workers-clash-with-police-over-sale-of-liquor-amid-lokdown.html">Chennai</a> et de <a href="https://www.thehindu.com/news/cities/Madurai/protest-against-opening-of-liquor-shops-continue/article31536659.ece">Madurai</a>, au sud du pays, des militants (marxistes dans ce cas) ont violemment manifesté contre la réouverture de ces commences, suscitant des affrontements avec les forces de l’ordre. Les arguments évoqués sont principalement d’ordre sanitaire : la peur du virus prime sur la nécessité économique d’une réouverture.</p>
<p>La <a href="https://www.thehindu.com/news/national/sc-asks-states-to-consider-online-sales-home-delivery-of-liquor/article31534503.ece">vente d’alcool en ligne</a>, telle qu’elle est préconisée depuis avril par les deux plus gros lobbys du secteur, l’International Spirits and Wine Association of India et et la Confederation of Indian Alcoholic Beverage Companies permettrait de contourner le problème de la concentration attendue de la clientèle aux abords des détaillants.</p>
<p>Il est facile de s’indigner contre les États (souvent non gouvernés par le BJP) qui exigent la reprise des ventes d’alcool, étant donné les risques que représente l’alcoolisme, tout comme la crainte que l’affluence dans les magasins d’alcool ne vienne à bout du respect des mesures faisant barrière à la propagation du virus. En pleine pandémie, faciliter cette réouverture peut sembler contre-intuitif. Elle révèle pourtant de puissants enjeux économiques et leurs prolongements politiques.</p>
<h2>Une manne économique</h2>
<p>Malgré la diffusion d’un imaginaire « ascétique », l’Inde a <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10461-010-9727-7">toujours été consommatrice d’alcool</a>. Dans de nombreux États, une partie des salaires des travailleurs agricoles comporte toujours un paiement en liqueur locale (une bouteille de toddy, un verre d’<em>arrack</em> par jour), aucune campagne électorale ne peut être menée sans distribution d’alcool et les politiciens entretiennent souvent d’étroites relations avec l’industrie de l’alcool, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes à la tête d’une unité productive.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335137/original/file-20200514-77259-tfz4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tête baissée vers ses bidons d’<em>arrack</em> ou country liquor, Lakshmanam. Cet <em>arrack</em> shop de Pondichéry a l’autorisation de vendre 600 litres d’alcool par jour. L’<em>arrack</em> provient de la Puducherry Distilleries Limited qui en produit 25 000 litres par jour. Il est élaboré à partir d’ENA (ou <em>extra neutral alcohol</em> standardisé à 96 % vol.) mélangé à de l’eau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La consommation d’alcool dans le pays est courante, socialement diversifiée et en progression constante. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle a plus que doublé en <a href="https://www.who.int/substance_abuse/publications/global_alcohol_report/profiles/ind.pdf">une décennie</a>. Les données produites par l’International Wine and Spirits Research (IWSR) indiquent par ailleurs que l’Inde est même devenue le premier producteur mondial de whisky tout comme le <a href="https://www.livemint.com/Leisure/QjzklkTjqYpe7tr74PVSuI/Whisky-business.html">premier consommateur</a>.</p>
<p>Cette croissance de la consommation a pour corollaire une forte dépendance des États fédérés à l’égard des <a href="https://www.thehindubusinessline.com/economy/the-alcohol-economy/article20697419.ece1">revenus issus de l’alcool</a>.</p>
<p>Le « verrouillage » du pays a profondément touché le cœur de cette économie. À partir du 24 mars 2020, plus de 60 % de l’activité économique du pays a été interrompue sans préavis. Le gouvernement a justifié l’interdiction de la vente d’alcool pendant toute la durée de ce lockdown comme étant une recommandation issue des <a href="http://www.euro.who.int/fr/health-topics/health-emergencies/coronavirus-covid-19/news/news/2020/4/alcohol-does-not-protect-against-covid-19-access-should-be-restricted-during-lockdown">conclusions</a> du bureau régional européen de l’OMS, qui signalaient que la consommation d’alcool « affaiblissait l’immunité du corps » et qu’elle était associée</p>
<blockquote>
<p>« à une série de maladies transmissibles et non transmissibles et de troubles de la santé mentale susceptibles de rendre une personne plus vulnérable au Covid-19 ».</p>
</blockquote>
<p>La fabrication et la vente d’alcool sont pourtant l’une des principales sources de revenus des États et des Territoires de l’Union, à l’exception du Gujarat, du Bihar ainsi que de deux États frontaliers de la Birmanie, Mizoram et Nagaland, où s’impose la prohibition. Dans le Tamil Nadu par exemple, qui a <a href="https://www.thehindu.com/news/national/tamil-nadu/sc-stays-madras-hc-order-asking-tn-govt-to-close-liquor-shops-in-state/article31590783.ece">pu réouvrir les <em>liquor shops</em></a> le 15 mai, les <a href="https://thewire.in/economy/lockdown-states-alcohol">recettes liées à l’alcool représentent 28 %</a> du total des revenus fiscaux de l’État. Son gouvernement a été contraint à deux reprises d’émettre pour <a href="https://www.thehindu.com/news/national/tamil-nadu/tn-raises-6560-cr-through-bond-sales/article31428173.ece">800 millions d’euros d’obligations</a>, ce qui lui permet de disposer de liquidités à court terme mais le place dans une situation de déséquilibre financier. Il en est de même <a href="https://www.thehindu.com/news/cities/chennai/tasmac-revenue-cant-be-matched-by-other-sources-in-the-short-term/article31586472.ece">pour les États du Karnataka et du Telangana</a>.</p>
<h2>Une taxe « corona »</h2>
<p>À titre d’exemple, dans la seule journée du 4 mai, le Karnataka a vendu pour près de <a href="https://www.newindianexpress.com/states/karnataka/2020/may/04/on-day-one-karnataka-sees-bumper-liquor-sale-of-rs-45-crore-2139184.html">45 crores d’alcool</a> soit 5.625 millions d’euros (1 crore représente 10 millions de roupies) amenuisant sans pour autant combler le manque à gagner lié à une fermeture de près de six semaines, <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/bengaluru/ktaka-eyes-booze-to-fill-its-coffers/articleshow/75459230.cms">évalué à 2 050 crores</a>.</p>
<p>Cette fermeture a là aussi mis en échec l’une des seules sources de recettes fiscales de l’État au moment où <a href="https://www.ideasforindia.in/topics/macroeconomics/consequences-of-covid-19-on-state-finances.html">ses dépenses augmentaient</a> soudainement pour faire face à une double crise, sanitaire et humanitaire. Confronté à une même situation, le gouvernement de Delhi a imposé une taxe spéciale « corona » de 70 % sur chaque bouteille vendue dès la réouverture en vue de tirer des revenus plus importants sur un alcool dont le prix a ainsi soudainement explosé.</p>
<p>Si les réponses locales définies par les États au choc économique que constitue pour nombre d’entre eux la pandémie sont tout aussi diverses que temporaires, elles ne peuvent à elles seules résoudre une situation qui résulte avant tout d’une opposition entre États fédérés et Centre, faisant de l’alcool un outil d’affrontement politique.</p>
<h2>L’alcool : un puissant outil politique</h2>
<p>Dans l’Union Territory de Pondichéry, bon nombre d’habitants espéraient nerveusement dès le matin du 4 mai l’annonce de la réouverture des <em>liquor shop</em>. Depuis, celle-ci n’a eu de cesse d’être décalée par les autorités, invoquant le risque d’un afflux conséquent de consommateurs venant des districts de l’État voisin. Le territoire devrait <a href="https://www.aninews.in/news/national/general-news/puducherry-cabinet-decides-to-open-areas-unaffected-by-coronavirus-cm-v-narayanasamy20200510175355/">finalement ouvrir ses débits</a> cette semaine.</p>
<p>Pondichéry, du fait d’un régime fiscal favorable, est connu comme une destination où boire (pendant longtemps l’alcool y était bien moins cher du fait de la frontière avec le Tamil Nadu, alors rigoriste et prohibitionniste).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335136/original/file-20200514-77235-1k8shel.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Thangarasu, gérant du Vasantharaja Wine Mart, un <em>liquor shop</em> disposant d’une licence dite FL1, la plus coûteuse (1,5 million de roupies), proposant à la vente bières, vins et IMFL (<em>Indian-made foreign liquor</em>), Pondichéry, 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais une fois encore, ces raisons sanitaires apparaissent secondaires par rapport à la dimension politique que revêt l’alcool en temps de pandémie. L’attente d’une décision libérant la vente d’alcool dans ce petit territoire a conduit à dynamiser l’activité de marché noir, dirigée notamment par des personnalités haut placées, dont <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/puducherry/lockdown-in-puducherry-congress-mlas-son-in-law-among-three-booked-for-supplying-arrack/articleshow/74914782.cms">certains parents de politiciens locaux</a>.</p>
<p>En réponse au trafic illégal, à la demande de Kiran Bedi, Lieutenante gouverneure, représentante de l’État central dans ce territoire et <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/puducherry/kiran-bedi-asks-people-to-share-info-on-illegal-liquor-sale-in-puducherry/articleshow/75581663.cms?fbclid=IwAR2X9ZJj5q_rLYPiGzeyf6yTy2_QfXEyCNIW-PlBj8w16QvPMc7RuIuVVds">affiliée au BJP</a>, la police a suspendu près de <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/city/puducherry/kiran-bedi-asks-people-to-share-info-on-illegal-liquor-sale-in-puducherry/articleshow/75581663.cms?fbclid=IwAR2X9ZJj5q_rLYPiGzeyf6yTy2_QfXEyCNIW-PlBj8w16QvPMc7RuIuVVds">100 licences</a>, arrêté huit fonctionnaires et ordonné une enquête coordonnée par le Central Bureau of Investigation (équivalent de la DGSI, service de renseignements en France). Autant de signes vus par le ministre en chef (<em>chief minister</em>, issu d’un parti d’opposition) du territoire comme un acte de défiance vis-à-vis de la politique de son gouvernement.</p>
<h2>Dérive autocratique</h2>
<p>Les querelles récentes qui, dans la rue ou dans la sphère politique, mettent face à face les opposants et défenseurs de l’ouverture des commerces d’alcool laissent penser que les raisons liées à la fermeture des commerces sont plus idéologiques et politiques que sanitaires.</p>
<p>Rappelons que les États du Sud du pays qui, outre de compter parmi les plus grands consommateurs d’alcool et de dépendre de cette économie pour équilibrer leurs budgets, sont aussi – pour trois d’entre eux surtout – d’importants lieux d’affrontements entre le parti au pouvoir à New Delhi (BJP) et des gouvernements régionaux rassemblée autour d’une coalition d’opposition autour du Parti du Congrès.</p>
<p>Ce choix de fermeture permet à l’État central d’ingérer dans la politique des États fédérés. La crise pandémique actuelle révèle ainsi l’émergence d’une nouvelle arène de contestation contre la stratégie de recentralisation du pouvoir exercée par le premier ministre indien, traduite dans le domaine de la fiscalité, de l’administration du territoire et, plus largement, dans le <a href="https://indianexpress.com/article/opinion/columns/indias-civil-society-moment-citizenship-act-npr-nrc-6243207/">champ démocratique</a>. La tension autour de l’ouverture ou non des débits de boisson et de la vente libre met ainsi en évidence cette reprise en main par le Centre de l’autorité sur les instances du pouvoir décentralisé. Un affront pour les États du pays, qui semblent devoir résoudre seuls les effets sociaux et économiques de la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La tension autour de l’ouverture ou non des débits de boisson et de la vente libre met en évidence une reprise en main du pouvoir central incarné par Narendra Modi sur les instances décentralisées.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, en délégation CNRS à l'IFP, Inde, Université de BordeauxNicolas Bautès, Géographe, chercheur détaché à l'IFP Inde, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1357802020-04-29T18:00:37Z2020-04-29T18:00:37ZCe que les méditants hindous et taoistes peuvent nous enseigner de l’isolement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/328156/original/file-20200415-153330-yiy882.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C112%2C3239%2C2296&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La « mer de nuages » sur les monts du Phénix, vue du temple taoïste du Reflet de la Lune (région de Ankang, Chine centrale).</span> <span class="attribution"><span class="source">A. Herrou</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Il est des hommes et des femmes qui dans de nombreux endroits du monde, depuis des temps très anciens, font le choix de vivre reclus ou simplement à l’écart. Pour ces moines, ascètes et autres renonçants, l’isolement est volontaire et pensé comme un moyen (peut-être le seul) de se concentrer véritablement sur l’essentiel et d’espérer percer les mystères de l’existence.</p>
<p>En Chine comme en Inde, les vieux sages, grands ascètes et autres ermites, vivent le plus souvent dans des endroits reculés : sur les versants escarpés des montagnes, dans des grottes ou sur des îles inaccessibles, quand ils ne s’adonnent pas à une forme d’itinérance qui suppose tout autant de ne pas s’attacher, ni aux lieux ni aux gens. Dans ces contextes, il s’agit avant tout de ne pas se disperser, d’éviter de perdre son temps et surtout de ne pas gaspiller son énergie vitale.</p>
<p>La question cruciale est alors moins celle de savoir comment ils le supportent que de saisir pourquoi ils le font : qu’est ce qui vaut de se priver à différents degrés de ce que le commun des mortels est enclin à rechercher plus que tout : le plaisir, le confort, la sécurité ? Est-ce du reste véritablement de la privation ? Et surtout quel bénéfice de l’ascèse justifie les renoncements qu’elle suppose ?</p>
<h2>Une forme d’oubli de soi chez les taoïstes</h2>
<p>Aujourd’hui en Chine, les moines taoïstes incarnent l’idée qu’une vie retirée est un moyen privilégié pour accéder aux sphères les plus élevées de la connaissance et de la pratique du <a href="https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1993_num_106_102_14846">Tao</a>, la Voie, indéfinissable, que les adeptes cherchent à atteindre afin de gagner l’immortalité.</p>
<p>Pour cela, ils font le choix difficile de tout quitter pour mener une vie à contre-courant. Ils ne sont pas nécessairement très nombreux au regard de la population chinoise mais ils sont très respectés, <a href="https://www.academia.edu/42797746/_La_part_essentielle_de_l_%C3%AAtre_n_est_ni_dans_le_corps_ni_hors_du_corps_._Portrait_d_un_ma%C3%AEtre_tao%C3%AFste_m%C3%A9decin_et_asc%C3%A8te">perpétuant la figure ancienne des sages</a> qui font retraite pour pratiquer les arts de la « longue vie sans mourir ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328143/original/file-20200415-153351-dtgy1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Au sommet de la montagne, le temple taoïste du Tambour battant (région de Ankang, Chine centrale).</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Herrou</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais ils sont difficiles à approcher et beaucoup les cherchent, du commun des mortels aux praticiens. Ces « maîtres » sont de précieux conseil pour ceux qui parviennent à les trouver et à leur poser les questions qui les taraudent, ou à les interroger sur le sens de l’être. Ils habitent dans les temples qui parsèment la Chine, optant pour une <a href="https://books.google.fr/books?id=YMfd9sbE5HoC&pg=PA466&dq=la+vie+entre+soi">vie entre soi</a> dans des communautés monastiques.</p>
<p>Les méditants peuvent alors compter sur une gestion collective des questions de subsistance et de vie quotidienne, afin de se consacrer à leur pratique. D’autres adoptent une existence encore plus isolée, en ermites. Dans tous les cas, ils ne vivent pas pour autant en reclus. Détenteurs de rituels au cœur de la vie sociale – divinatoires, thérapeutiques, propitiatoires, funéraires–, ils sont très souvent sollicités localement et parfois aussi par des personnes venues de très loin pour les rencontrer.</p>
<h2>Retraite et purification</h2>
<p>Il n’est pas rare qu’à un moment donné de leur existence, souvent dans les premières années de pratique, ou de façon plus régulière, ces méditants effectuent des retraites au sein de leur vie déjà à l’écart. L’isolement quasi total leur permet alors de s’adonner à plein temps à l’exercice de la méditation, souvent assorti de <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00178504/document">jeûnes alimentaires</a> et mêlant techniques de visualisation et de respiration.</p>
<p>Ils sont parfois aidés par des compagnons de pratique, pour les ravitailler et surveiller leur santé ; ou ils sont complètement seuls et refusent tout soutien, quitte à signaler aux éventuels visiteurs par un panneau qu’ils font une <a href="https://www.academia.edu/11779046/Entre_Quatre_Murs">retraite</a> « sans parole » ou à les dissuader de les aborder en se faisant passer pour fous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1047&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1047&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328145/original/file-20200415-153351-1co3hor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1047&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Jeune moine taoïste pratiquant le <em>wushu</em>. Faire le vide quelle que soit l’affluence au temple (région de Ankang, Chine centrale).</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Herrou</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Déjà au début des Six dynasties (220-589), on trouve des <a href="https://www.academia.edu/32499028/_Pratiques_bouddhiques_et_tao%C3%AFques_du_iiie_au_vie_si%C3%A8cle_221-581_in_John_Lagerwey_dir._Religion_et_soci%C3%A9t%C3%A9_en_Chine_ancienne_et_m%C3%A9di%C3%A9vale_Paris_Cerf_2008_p._643-684">descriptions précises de procédés</a> dits « alchimiques » qui comprenaient une période de retraite et de purification (allant d’une semaine à cent jours) dans une montagne ou un lieu calme avec un ou plusieurs assistants.</p>
<h2>L’oubli de soi</h2>
<p>La métaphore de la transmutation des métaux est toujours utilisée aujourd’hui : comme on raffine le minerai (cinabre) pour obtenir du mercure, on affine son corps et son esprit pour parvenir à la quintessence de son être. Mais dans ce contexte, une telle transformation vise une forme « d’oubli de soi ». Il n’est pas question de rechercher le bien-être, mais d’entrer plus avant dans la difficulté. En transformant les énergies de son corps et en tournant le regard vers l’intérieur de soi, il s’agit d’oublier son « moi humain » et l’ensemble des choses matérielles de ce monde, pour tenter d’accéder à son « véritable moi ».</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/331096/original/file-20200428-110742-ko3hao.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un moine taoïste pratiquant dans une grotte près du temple Longmen dong (province du Shaanxi, Chine centrale).</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Herrou</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors seulement on pourra percevoir ce que les yeux ne parviennent pas à voir, les oreilles à entendre, l’odorat à sentir, les mains à toucher ou encore le palais à goûter. Être réceptif à une intuition décuplée ou à une forme de concentration focalisée par l’intention (<em>yinian</em>), permet de basculer du monde « avec forme » au « sans forme », du pensé à l’impensé. Les plus avancés dans la quête parviennent au « non-agir » <em>wuwei</em> – une notion clé du taoïsme qui désigne une forme de tranquillité de l’esprit et un mode d’action qui ne force pas, en lien avec « le naturel et le spontané » (<em>ziran</em>), une attitude particulièrement efficace qui permet toutes les réalisations.</p>
<p>Ainsi, en franchissant la passe mystérieuse, on « ouvre en soi sagesse et perspicacité », pour mieux comprendre les autres et plus généralement l’humain. Cela explique que les maîtres qui s’adonnent à l’ascèse sont dits capables d’entrer en résonance avec les femmes et les hommes qui viennent les consulter, d’entendre ce qu’ils ne leur disent pas et de voir ce qu’ils ne leur montrent pas.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=914&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=914&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=914&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328153/original/file-20200415-153330-fmm24h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Moine taoïste dans sa cellule (région de Hanzhong, Chine centrale).</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Herrou</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une vie simple et sans pression est ici associée aux idées de quiétude et de modération. Un moine taoïste faisant l’éloge de la parcimonie (<em>se</em> 啬) lui donne trois sens, quand il est question de culture de soi : ne pas gaspiller [son énergie], la consommer doucement pour la consommer longtemps (selon le proverbe chinois « un filet d’eau coule longtemps », <em>xishui changliu</em>) et s’évertuer à en réaccumuler pour conserver la même force de vie.</p>
<p>Une telle vie n’est pas pour autant synonyme d’austérité. Une raison peut-être pour laquelle elle continue à attirer de jeunes adeptes dans la Chine d’aujourd’hui. Les maîtres taoïstes suggèrent qu’elle puisse procurer un bonheur sans nom ; de fait, ceux qui les observent, dont l’ethnologue, sont frappés de constater l’importance de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/zhuangzi-tchouang-tseu-zhuang-zhou/1-l-art-de-la-provocation/">l’humour</a> dans les voies du renoncement ;</p>
<h2>En Inde, l’enfermement en soi</h2>
<p><a href="https://books.google.fr/books/about/Asc%C3%A8se_et_renoncement_en_Inde_ou_La_sol.html?id=gfCyi9vmFCoC&redir_esc=y">L’ascétisme hindou</a> prône l’itinérance comme valeur suprême : le détachement, le retrait du monde tendent à s’exprimer par le refus de ses valeurs de sédentarité que sont l’ancrage dans la famille, dans la maison, dans la production. Toutefois les ascètes peuvent choisir, parfois de façon temporaire, un lieu de retraite, un lieu retiré du tumulte du monde pour s’adonner à leurs pratiques méditatives.</p>
<p>Car, qu’ils soient <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/visnu-vishnu-et-vichnouisme/">vishnouites</a>, <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/siva-shiva-et-shivaisme/">shivaïtes</a> ou d’une autre <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/inde-arts-et-culture-les-doctrines-philosophiques-et-religieuses/">obédience</a>, nombreux sont les ascètes qui s’adonnent à une pratique spirituelle, le plus souvent de type yogique (voir sur ce sujet l’ouvrage à paraître <em>Une sagesse du corps</em> édité par <a href="https://www.albin-michel.fr/auteurs/yse-tardan-masquelier-10871">Ysé Tardan-Masquelier</a>).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329763/original/file-20200422-47804-1fe0xyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">A côté de leur vie solitaire, les ascètes participent aussi à de grandes cérémonies, ici l’intronisation d’un chef de monastère au Népal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Visuel de Frédéric Desportes, à partir d’une photographie de V.Bouillier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ils s’enferment alors volontiers dans ce qui est qualifié de grotte, <em>guphâ</em>, qui peut être aussi bien une anfractuosité dans le rocher, une cellule empierrée, une cave aménagée sous un temple ou dans un lieu retiré. Si la tutelle d’un maître est nécessaire, le cheminement d’étape en étape vers la phase ultime, le <em>samâdhi</em> (union, concentration, extase et accès à la réalité ultime) requiert le calme et la sérénité que seule permet la mise en retrait. Comme le recommande la <em>Hatha Yoga Pradipika</em> (La « Petite lampe du Hatha Yoga »), un <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/hatha-yoga-pradipika-9782213001425">texte de Svatmarama</a> (texte classique du Hathayoga du XV<sup>e</sup> siècle),</p>
<blockquote>
<p>Le Haṭha Yogin doit […] pratiquer à l’intérieur d’une petite cellule de la dimension d’un arc [c.à.d. quatre fois la dimension du bras]. La cellule doit avoir une petite porte ; être sans fenêtre, sans trou ni fissure, ni trop haute ni trop basse. » (HYP 1.12-13)</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328151/original/file-20200415-153318-1szlkj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une yogini à Kathmandu. Fort peu de femmes sont initiées comme renonçantes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V.Boullier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais bien au-delà des nécessités pratiques, l’enfermement dans un espace clos peut revêtir toute une <a href="https://studylibfr.com/doc/4530878/grottes-et-tombes---les-affinit%C3%A9s-des-n%C4%81th">dimension métaphorique</a>, qui, en premier lieu, renvoie au motif universel de la matrice et au thème de la naissance initiatique : pénétrer dans une grotte, une cave, évoque le processus de <em>regressus ad uterum</em>, retour aux origines, un enfermement dont le méditant sort au terme d’un processus de transformation qui apparaît comme une nouvelle naissance.</p>
<p>Les <a href="https://www.academia.edu/19094070/Itin%C3%A9rance_et_vie_monastique._Les_asc%C3%A8tes_Nath_Yogis_en_Inde_contemporaine._2008._Editions_Maison_des_Sciences_de_lHomme">ascètes Nath Yogis, en particulier</a>, ont tout un monde légendaire dans lequel les Yogis héroïques connaissent toutes sortes de réclusions, le plus souvent au sein de la terre, avant d’être libérés par un maître ou d’émerger transformés et susceptibles d’accéder à la connaissance suprême.</p>
<h2>Le corps comme microcosme du macrocosme</h2>
<p>Cependant la renaissance permise par le passage dans cette <em>bhû-garbha</em>, cette « terre-matrice » n’est possible que par l’adoption de pratiques d’ascèse physiologico-mystiques qui reposent sur une conception du corps comme microcosme du macrocosme.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329767/original/file-20200422-47784-1dt6dr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Illustration du corps yogique avec ses canaux et cakra, issu de l’ouvrage co-dirigé par Gilles Tarabout et Véronique Bouillier, Images du Corps dans le Monde Hindou.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://books.openedition.org/editionscnrs/9318">Openedition</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le travail sur son corps de celui qui est reclus, notamment le travail sur la respiration, active la circulation de l’énergie dans le système des canaux corporels qui obéissent à une vision mystique de la physiologie.</p>
<p>Ce mouvement de l’énergie trouve son aboutissement dans le sommet du corps, dans la voute crânienne, où, selon les conceptions yogiques, se trouve ce qui est appelé le « lotus aux mille pétales » au niveau de la fontanelle, le lieu de conjonction entre l’énergie interne que l’ascèse fait s’élever dans le corps et l’absolu, ce qu’on imagine en système shivaïte comme l’union de Shiva et de Shakti, ou <a href="https://livre.fnac.com/a2766101/Andre-Padoux-Comprendre-le-tantrisme">l’abolition de toute dualité</a>.</p>
<p>Plusieurs textes de cette tradition tracent une analogie entre l’espace clos du confinement et cette voute crânienne où se produit l’ultime transformation, dans une série de métaphores autour du vide et du plein, l’absolu étant conçu comme Vide suprême.</p>
<p>Ainsi que le dit la Hatha Yoga Pradipika (4.56) :</p>
<blockquote>
<p>« Vide à l’intérieur et vide à l’extérieur, comme une jarre vide dans l’espace. Plénitude à l’intérieur et plénitude à l’extérieur comme une jarre immergée dans l’océan ». C’est alors que l’ascète en méditation, ayant coupé toutes ses attaches, « ayant l’apparence d’un mort », est libéré.</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329769/original/file-20200422-47815-ew6kbe.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un jeune Yogi devant deux tombes dans le monastère d’Asthal Bohar en Haryana.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V.Bouillier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328155/original/file-20200415-153330-1odkjim.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Yogi en charge du feu ascétique (dhuni) au monastère d’Asthal Bohar en Haryana.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V.Bouillier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Autre métaphore qui prend tout son poids lorsqu’on sait que les ascètes à leur mort sont inhumés, et non pas brûlés comme il est d’usage dans l’hindouisme, celle de la mort. L’enfermement dans une tombe se double parfois de la croyance en la présence éternelle d’un ascète qui n’a que les apparences de la mort physique, qui est en fait ravi en extase, en <em>samâdhi</em>. D’où les deux sens de ce mot qui signifie à la fois tombe et état de plénitude, immersion dans l’absolu.</p>
<p>Il arrive que les grands méditants décident de pratiquer cette inhumation de leur vivant et se fassent enterrer dans une cavité pour pratiquer leur ascèse, soit jusqu’à leur mort physique, soit pour certains d’entre eux pour une durée limitée, annonçant alors à leurs disciples le moment où ils sortiront de leur réclusion volontaire.</p>
<p>Ce fut le cas par exemple d’un ascète Nath Yogi rencontré dans son monastère isolé du Rajasthan après qu’il eut, selon ses disciples, passé quelques mois dans une grotte souterraine fermée, nourri exclusivement de lait par le moyen d’une paille. A la date annoncée pour sa sortie, toute la communauté se réunit autour de la tombe provisoire pour célébrer le retour au monde de l’ascète héroïque.</p>
<h2>La poursuite de l’absolu</h2>
<p>Au-delà de la Chine et de l’Inde, pour les hommes et les femmes investis presque à l’extrême dans la poursuite de l’absolu, ce que procurerait ce genre de retraite est de l’ordre de la vertu, de la pureté, de la piété, de la <em>bhakti</em> (dévotion), de la <em>baraka</em> (grâce spirituelle) ou du <em>karma</em> (actes et conséquences des actes), autant d’accès privilégiés (ou différents) au Tao (la Voie), au Mokṣa (la Délivrance), au Fana (l’absorption en Dieu), au Nirvana, au paradis des anges, à la rencontre avec Dieu et/ou avec la quintessence de soi-même.</p>
<p>A ce stade, une telle quête ne peut se faire qu’à <a href="https://www.puf.com/content/Une_journ%C3%A9e_dans_une_vie_une_vie_dans_une_journ%C3%A9e">l’épreuve du quotidien</a>.</p>
<p>Depuis le lendemain du Nouvel an chinois, le 26 janvier 2020, les temples en Chine sont fermés au public et après trois mois, ils n’ont pas encore rouvert.</p>
<p>Ceux en Inde ont également cessé toute activité, alors que les renonçants Sadhus sont sans doute contraints <a href="https://www.cnbc.com/2020/03/26/coronavirus-puts-over-1-billion-people-in-india-on-21-day-lockdown-to-combat-spread.html">d’interrompre toute itinérance</a>.</p>
<p>Moines et ascètes se retrouvent ainsi isolés, plus que jamais, de façon inédite. Cela n’est pas sans difficultés, au regard en particulier des rituels inaccomplis et de la diminution des offrandes en nourriture que l’on suppose. Mais de façon générale, on peut dire qu’ils savent faire avec le confinement et les contraintes extrêmes, susceptibles même de les optimiser. Comme nous le dit un moine taoïste de Pékin, par Wechat :</p>
<blockquote>
<p>« Tout dépend de la manière dont on parvient à faire usage de ce temps de vide. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/135780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment les « renonçants » en Chine ou en Inde pratiquent-ils l’isolement ? Est-ce véritablement de la privation ? Et surtout quel bénéfice de l’ascèse justifie les renoncements qu’elle suppose ?Adeline Herrou, Ethnologue, CNRS, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresVeronique Bouillier, Ethnologue, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328842020-03-04T18:09:27Z2020-03-04T18:09:27ZViolences anti-musulmanes en Inde : quelle responsabilité pour le gouvernement Modi ?<p>Depuis plus de trois mois, l’Inde est en proie à une immense agitation. Le climat social semble ne cesser de se détériorer, comme en témoignent les affrontements sanglants entre hindous et musulmans qui ont eu lieu fin février. À titre d’exemple, des <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_174_5389">affrontements similaires avaient fait en 2002 dans l’État du Gujarat</a> des milliers de victimes. </p>
<p>Le ministre en chef de cet État et son administration avaient alors été accusés d’avoir <a href="https://www.bbc.com/news/world-south-asia-13170914">laissé faire les émeutiers et retenu la police</a>. Certains membres de cette administration avaient alors été interdits de séjour à l’étranger et <a href="https://india.blogs.nytimes.com/2012/08/31/stiff-sentence-for-former-gujarat-minister/">quelques-uns avaient été condamnés</a>. Le ministre en chef du Gujarat était alors nul autre que Narendra Modi.</p>
<h2>Le premier mandat de Modi : politique économique libérale et rhétorique sectaire</h2>
<p>Auréolé de l’élan économique qu’a connu le Gujarat à l’époque où il le dirigeait (de 2001 à 2014), Narendra Modi a été élu premier ministre de l’Union indienne en 2015, en mettant en avant des promesses de libéralisme et de dynamisme économique. Il s’agissait de faire rivaliser l’Inde avec la Chine, d’engager son économie sur un sentier de croissance soutenu et long en allégeant la bureaucratie, d’ouvrir le pays aux investissements directs étrangers et de le doter, au travers du programme <a href="http://www.makeinindia.com/home">« make in India »</a>, d’un secteur manufacturier performant (pour des raisons historiques, ce secteur avait toujours été atrophié).</p>
<p>L’orientation de ce programme aurait pu faire oublier les racines idéologiques du parti auquel Narendra Modi appartient, le Baratiya Janata Party (BJP), à savoir l’« Hindutva ». Cette idéologie, selon laquelle l’Inde ne saurait être qu’hindoue, prône le retour à une culture fantasmée comme purement indienne, c’est-à-dire celle d’avant l’Empire moghol (1526-1857), désormais présenté dans les manuels d’histoire comme un joug étranger ayant longtemps pesé sur l’Inde hindoue. Certains courants de l’Hindutva affirment également que tous les hindous partageraient la même origine ethnique tandis que les membres des autres communautés seraient les fils d’un autre sol, issus de mariages mixtes plus ou moins consentis. Ajoutons que le BJP entretient des rapports étroits avec le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Organisation patriotique nationale, RSS), organisation paramilitaire fondée en 1925 sur le modèle des phalanges fascistes afin de promouvoir l’idéologie de l’Hindutva. Narendra Modi a <a href="https://www.britannica.com/biography/Narendra-Modi">commencé sa carrière dans les rangs du RSS</a>.</p>
<p>Au cours de son premier mandat, le gouvernement de M. Modi a engagé des réformes profondes comme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/08/04/en-inde-le-parlement-federal-adopte-la-tva-unique_4978259_3234.html">l’unification de la TVA</a>, mais aussi créé un traumatisme économique au travers de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/inde-la-demonetisation-a-ete-un-cuisant-echec-pour-new-delhi-137686">démonétisation</a> – c’est-à-dire la suppression, sans préavis, du cours légal des billets les plus couramment utilisés.</p>
<p>Ces initiatives économiques audacieuses ont pu reléguer dans l’ombre les mesures ou déclarations vexatoires prises envers les communautés religieuses minoritaires, en particulier les musulmans, ainsi que le développement de milices ou de « vigilantes », groupes de citoyens se faisant fort d’appliquer ce qu’ils pensent être ou devraient être la loi. Certains de ces groupes, au motif de vérifier l’application de la loi interdisant l’abattage de bovidés, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-20/cow-vigilantes-in-india-killed-at-least-44-people-report-finds">lynchent des musulmans et des personnes issues des basses castes</a>. D’autres humilient, parfois violemment les <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/hindu-yuva-vahini-members-beat-couple-in-court-premises-in-up-cry-love-jihad-1144707-2018-01-14">couples issus de confessions différentes</a>. Ces groupes, dont les actions illégales n’entraînent que peu de poursuites, agissent avec un sentiment croissant d’impunité, et sont encouragés, voire organisés, par certaines figures du BJP qui ne cachent pas leur aversion pour les minorités religieuses et revendiquent la suprématie hindoue. Mais le grand public, avant tout tourné vers les initiatives et promesses économiques, n’y a pas nécessairement prêté attention et n’a peut-être pas perçu à quel point le climat devenait menaçant pour la communauté musulmane.</p>
<h2>Un second mandat placé sous le signe de la division</h2>
<p>En 2019, les perspectives économiques commencent à s’assombrir. En janvier, un rapport de la Commission nationale des statistiques faisant état d’un taux de chômage au plus haut depuis une cinquantaine d’années fuite dans la presse ; le gouvernement est accusé d’en <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/31/world/asia/india-unemployment-rate.html">retarder la publication en amont des élections législatives tenues entre le 11 avril et le 19 mai</a>. Le taux de croissance de l’économie indienne commence à montrer des signes de ralentissement, de même que les investissements et la consommation. L’opposition ne se prive pas de souligner ce mauvais bilan économique. La campagne de M. Modi est alors centrée sur l’insécurité, <a href="https://www.dawn.com/news/1475670">mettant en cause des migrants illégaux du Bangladesh</a>. Servi par les circonstances d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/cachemire-indien-au-moins-33-morts-dans-l-attentat-le-plus-meurtrier-depuis-2002_5423608_3210.html">attentat au Cachemire</a>, il parvient à apparaître comme un chef de guerre capable d’en imposer au Pakistan. En mai 2019, le premier ministre sortant remporte une <a href="http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20190523-inde-nouveau-mandat-une-victoire-ecrasante-narendra-modi">victoire écrasante</a> aux législatives.</p>
<p>Le second mandat de Narendra Modi met clairement l’accent sur les questions intérieures, à commencer par un grand projet de refonte de la nationalité au travers de la possible création d’un registre des citoyens. Une première initiative est menée en août 2019 dans l’État de l’Assam, voisin du Bangladesh. Afin de lutter contre de potentiels « étrangers exfiltrés », il est demandé aux habitants de cet État d’apporter la preuve de la présence de leurs familles sur le territoire indien avant 1971 afin de confirmer leur citoyenneté indienne. Dans cet État où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté et ne sait pas lire, il n’est pas aisé pour ces familles d’apporter ce genre de preuves écrites. </p>
<p>À l’issue de ce processus, 1,9 million d’individus se considérant indiens, en majorité des musulmans, sont <a href="https://edition.cnn.com/2019/08/30/asia/assam-national-register-india-intl-hnk/index.html">devenus apatrides</a>. En décembre 2019, une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/12/12/loi-sur-la-nationalite-en-inde-les-musulmans-mis-au-ban_1768931">loi sur la nationalité</a> a été votée. Elle garantit aux ressortissants du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh présents sur le territoire l’accès à une procédure accélérée d’obtention de la nationalité indienne… mais les musulmans sont exclus de cette disposition. Les défenseurs de ce texte brandissent un argument humanitaire : selon eux, la loi vise à protéger les minorités ; or l’islam est la religion majoritaire dans ces trois pays.</p>
<p>L’adoption de cette loi a provoqué une indignation et une vague de mobilisation sans précédent en Inde – et cela, pour trois raisons. D’une part, elle est contraire à la Constitution qui garantit la neutralité religieuse de l’État, neutralité qui est au cœur des institutions. Deuxièmement, cette loi arrive après de nombreuses vexations envers la communauté musulmane indienne, par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/09/en-inde-la-justice-autorise-la-construction-d-un-temple-hindou-sur-un-site-dispute-avec-les-musulmans_6018585_3210.html">l’attribution du site d’Ayodhya aux hindous</a> ou le <a href="https://www.npr.org/2019/04/23/714108344/india-is-changing-some-cities-names-and-muslims-fear-their-heritage-is-being-era?t=1583231725259">changement de plusieurs noms de ville qui rappelaient le passé moghol</a> pour n’en citer que quelques-unes. Ces provocations de la part du gouvernement n’ont cessé de s’accumuler. Troisièmement, cette loi apparaît pour beaucoup comme le signe avant-coureur d’une remise en cause de la citoyenneté pleine et entière de tous les musulmans de l’Inde. La mobilisation pacifique contre cette loi <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/inde-manifestations-contre-la-loi-sur-la-citoyennete_3751783.html">dure maintenant depuis plus de deux mois</a>.</p>
<p>Les milices hindoues qui, on l’a dit, ont pris l’habitude d’agir en toute liberté et impunité, ont désormais décidé de s’en prendre violemment aux opposants de la loi. Le 5 janvier dernier, des membres d’un syndicat étudiant a priori proche du RSS ont <a href="https://theconversation.com/inde-les-universites-face-au-pouvoir-129940">mis à sac une université en plein cœur de Delhi</a> et passé à tabac étudiants et enseignants. La police a été accusée de complaisance envers les agresseurs. Fin février 2020, des milices ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/new-delhi-le-dechainement-de-violences-contre-les-musulmans-en-photos-20200301">semé la terreur dans les quartiers musulmans du nord-est de Delhi</a>, détruisant commerces et mosquées et lynchant, voire abattant par balles des dizaines d’habitants. La police a encore été accusée de passivité, de la même manière qu’elle avait été accusée d’avoir fermé les yeux sur les pogroms du Gujarat de 2002.</p>
<h2>Le double discours du gouvernement</h2>
<p>Certes, les affrontements intercommunautaires sont de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RngV5nEpehc">plus en plus rares et géographiquement circonscrits en Inde</a>, et les récents événements de Delhi ne resteront pas parmi les plus meurtriers. Ils n’en sont pas moins très préoccupants car ils mettent en lumière le double discours du gouvernement. D’une part, celui-ci se défend d’entretenir la division et s’abrite systématiquement derrière des justifications de bon aloi – comme un souci humanitaire dans le cas de la loi sur la nationalité – tout en soufflant sur les braises de la discorde et en laissant les dirigeants en vue de son parti exhorter la population à la haine. D’autre part, l’habitude prise par les milices de faire régner leurs lois et la terreur fait peser une menace réelle sur l’avenir de l’état de droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pogroms anti-musulmans qui ont récemment ensanglanté New Delhi ne sont pas un épiphénomène : ils représentent un aboutissement logique de l’idéologie extrémiste du parti au pouvoir.Catherine Bros, Maître de Conférences en économie, HDR, Université Gustave Eiffel, affiliée au laboratoire DIAL, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1299402020-01-16T22:49:03Z2020-01-16T22:49:03ZInde : les universités face au pouvoir<p>Par un dimanche soir d’hiver à New Delhi, les portes de l’Université Jawaharlal Nehru (JNU) ont été fermées de force et une <a href="https://thewire.in/rights/jnu-violence-protests-abvp-students-teachers">bande d’intrus masqués</a> a pris d’assaut les logements des étudiants, agressé des élèves et des enseignants, brisé des voitures et jeté des pierres pendant des heures. La sécurité du campus n’a pas réagi et la police <a href="https://www.hindustantimes.com/cities/police-waited-outside-for-permission-despite-having-written-request-to-enter-the-campus/story-XpqQFXpuvIYnscfHPFBffI.html">a attendu de recevoir une permission écrite</a> des responsables de l’université pour pénétrer sur le campus.</p>
<p>Une enquête sur les événements du 5 janvier a été ouverte. Tout en condamnant la violence, les <a href="https://www.ndtv.com/india-news/jnu-violence-universitys-statement-on-masked-mob-attacking-students-teachers-on-campus-2159221">autorités universitaires</a> et le <a href="https://twitter.com/BJP4India/status/1213869234083643392?s=20">parti Bharatiya Janata (BJP) au pouvoir</a> ont tous deux affirmé qu’il ne s’agissait de rien d’autre que d’un nouvel épisode d’agitation étudiante dans une université que les nationalistes hindous au pouvoir en Inde qualifient depuis longtemps d’« anti-nationale ».</p>
<p>Les étudiants de la JNU ont souvent fait la une des journaux, surtout depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du BJP, dirigé par le premier ministre Narendra Modi. Et comme sur de nombreux autres campus en Inde, les étudiants de la JNU ont récemment manifesté contre une nouvelle loi – le Citizenship Amendment Act (Loi d’amendement de la citoyenneté) – qui vise à octroyer la citoyenneté indienne aux membres de toute minorité persécutée en Asie du Sud <a href="https://thewire.in/rights/citizenship-amendment-act-india-protests">à l’exception des musulmans</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/indias-new-citizenship-act-legalizes-a-hindu-nation-129024">India's new citizenship act legalizes a Hindu nation</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Mais début janvier, la JNU a été spécifiquement prise pour cible par des assaillants masqués. Pourquoi le gouvernement hindou nationaliste de l’Inde <a href="https://theconversation.com/why-is-indian-prime-minister-modi-attacking-student-protesters-129332">redoute-t-il autant</a> cette université et sa communauté d’étudiants et d’enseignants ?</p>
<h2>Une vision radicale</h2>
<p>Créée en 1969, la JNU a été conçue à un moment unique de l’histoire universitaire mondiale – un sujet sur lequel j’ai écrit, avec l’historien de la JNU Rajat Datta, un chapitre d’un livre à paraître sur les campus radicaux des années 1960, sous la direction de <a href="https://research.sas.ac.uk/search/fellow/1195/dr-jill-pellew/">Jill Pellew et Miles Taylor</a>, issu d’une série de <a href="https://talkinghumanities.blogs.sas.ac.uk/2014/10/20/potw-ihr-2015-winter-conference-utopian-universities/">conférences sur la question</a>.</p>
<p>Dans les années 1960 et 1970, les universités dites utopiques, qui réunissaient le personnel et les étudiants au sein de campus résidentiels, ont donné naissance à de nouveaux programmes d’enseignement et de recherche interdisciplinaire. De l’Université du Sussex au Royaume-Uni à Simon Fraser au Canada, et de Nanterre à Paris à Lusaka en Zambie, ces nouvelles universités publiques se voulaient en prise avec les questions sociales contemporaines. Elles représentaient aussi des expériences de vie en commun.</p>
<p>Le gouvernement indien a évoqué l’idée de la création de la JNU, une nouvelle université nationale, à la mort de son premier ministre, Jawaharlal Nehru. Le premier vice-chancelier, Gopalaswami Parthasarathy, a défini la mission radicale de la JNU, à savoir créer des centres universitaires interdisciplinaires destinés à <a href="https://scroll.in/article/884499/the-man-who-built-jnu-understood-what-a-university-stands-for-the-freedom-to-question-and-debate">résoudre les problèmes intrinsèques de la société indienne</a> : pauvreté, développement et division sociale.</p>
<p>Les étudiants ont été impliqués dans cette mission dès le début. En 1973, les représentants des étudiants et du personnel sont convenus que la politique d’admission à l’université serait élaborée par un comité mixte étudiants-professeurs et non simplement présentée aux étudiants comme un fait accompli.</p>
<p>Le syndicat des étudiants a exigé que les admissions à l’université répondent à certains critères. Il devait y avoir une augmentation du nombre de places au fil du temps, une parité régionale dans l’attribution des places, une pondération accordée au mérite scolaire et une <a href="https://www.thehindu.com/todays-paper/tp-national/tp-tamilnadu/the-constitution-and-reservation/article27781561.ece">discrimination positive</a> pour les candidats issus de « castes répertoriées » et de « tribus répertoriées » « conformément à la loi ».</p>
<p>Une politique d’admission novatrice fondée sur un système de points a été mise en place, les candidats étant évalués en fonction du revenu de leur famille, de leur caste, de leur région et de leur sexe. Les autorités universitaires ont riposté dans les décennies suivantes, dénonçant l’« injustice » de la discrimination positive. Mais les étudiants de la JNU ont constamment essayé d’améliorer la politique d’admission pour faire en sorte que davantage d’étudiants issus de milieux défavorisés aient la possibilité d’être admis.</p>
<h2>Quand le BJP s’en mêle</h2>
<p>Il y a eu aussi bien des succès que des échecs. Dans les années 1980, le système initial de points d’admission a été supprimé, avant d’être rétabli en 1993 avec des dispositions supplémentaires pour les femmes.</p>
<p>Mais depuis l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014, l’université se trouve à nouveau au cœur de nombreuses controverses. En 2016, les <a href="https://theconversation.com/university-freedoms-in-india-under-threat-as-student-leader-charged-with-sedition-54793">étudiants de la JNU ont été violemment critiqués</a>, présentés comme des séditieux anti-nationaux ; le président de leur syndicat et d’autres personnes ont été arrêtés pour des motifs fallacieux.</p>
<p>Depuis la nomination de Mamidala Jagadesh Kumar au poste de vice-chancelier de l’université en 2016, les étudiants et le personnel affirment qu’ils ont été de plus en plus <a href="https://www.thequint.com/voices/opinion/the-case-against-jnu-vc-mamidala-jagadesh-kumar-gscash-appointments-sedition-fee-hike">écartés des consultations</a> sur la gouvernance de l’université. Il a également été décidé que les candidats aux cours de troisième cycle ne seraient admis à la JNU qu’<a href="https://caravanmagazine.in/vantage/jnu-admission-caste-discrimination">après un examen oral</a>, malgré les craintes que cela puisse entraver la réussite des candidats issus de groupes défavorisés.</p>
<p>D’autres mesures introduites sous Kumar ont défié le radicalisme et l’indépendance de la JNU. En 2017, il aurait <a href="https://www.hindustantimes.com/opinion/army-tank-in-jnu-should-the-sword-be-mightier-than-the-pen/story-Aegre650bne13Ni4KmlM4I.html">appelé à l’installation d’un char de l’armée</a> sur le campus pour « inspirer les sentiments nationalistes ». Un an plus tard, les autorités universitaires <a href="https://feminisminindia.com/2018/03/05/disbanded-gscash-jnu-reconstitution/">ont démantelé</a> le Comité de sensibilisation au genre contre le harcèlement sexuel, un organe qui avait donné à un certain nombre de femmes la confiance nécessaire pour déposer plainte pour harcèlement sexuel et qui avait été cité en exemple en matière de changement des procédures universitaires dans tout le pays depuis sa création à la fin des années 1990.</p>
<p>Une nouvelle montée de tension a eu lieu en octobre 2019, lorsque les autorités universitaires ont annoncé une série de changements des règles d’hébergement sur le campus. Elles ont introduit un code vestimentaire, établi des couvre-feux et augmenté les frais d’hébergement dans les foyers, ce qui pourrait rendre la situation beaucoup plus difficile pour les 40 % d’étudiants issus de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/11/india-jnu-protests-fee-hike-poor-students-fear-future-191120172445517.html">familles à faible et moyen revenu</a>. Cela a conduit les <a href="https://thewire.in/politics/jnu-protest">étudiants à faire grève</a> et à boycotter les examens et les procédures d’inscription au semestre suivant.</p>
<h2>Les étudiants à l’avant-garde</h2>
<p>Les actes de violence du 5 janvier ont été une attaque contre la détermination implacable des étudiants de la JNU à lutter en faveur d’une action positive, d’une politique d’admission équitable et de la justice sociale. Ce sont les vagues successives d’étudiants de la JNU qui ont maintenu en vie les idéaux utopiques des fondateurs de l’université.</p>
<p>Face aux conflits sur la politique d’admission, à la menace constante de la privatisation de l’éducation en Inde et à la <a href="https://indianculturalforum.in/2016/08/10/saffronising-and-corporatising-indian-education-critique-of-the-national-educational-policy-2016-draft/">« safranisation »</a> croissante de l’enseignement pour s’aligner sur <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/india-modi-culture/">l’idéologie nationaliste hindoue</a>, les étudiants de la JNU ont maintes fois <a href="https://www.epw.in/engage/article/diversity-democracy-dissent-study-student-politics-JNU">confirmé leur interprétation</a> de ce que doit être une université « nationale ». Si la JNU conserve une partie de sa nature utopique, c’est grâce à eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shalini Sharma ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une histoire de l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi et des raisons pour lesquelles ses étudiants se battent pour protéger les racines radicales de son éthique.Shalini Sharma, Lecturer in Colonial/Post Colonial History, Keele UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1291552019-12-20T17:51:18Z2019-12-20T17:51:18ZDans l’Inde de Modi, les réfugiés sri-lankais craignent pour leur avenir<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/308110/original/file-20191220-11929-1rpo0a6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=41%2C17%2C3952%2C2952&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le camp de Keezhputhupattu, décembre 2019. </span> <span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le 11 décembre dernier, le Parlement indien a adopté la nouvelle loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Act ou CAA). Depuis cette date, les protestations ne cessent de prendre de l’ampleur dans l’ensemble du pays.</p>
<p>D’abord très actives dans le Nord-Est, elles se développent désormais au sein de nombreuses <a href="https://indianexpress.com/article/india/from-amu-to-loyola-college-universities-jamia-students-citizenship-act-protests-6169517/">universités</a>.</p>
<p>Ces protestations s’expriment selon des registres différents : pour les uns, il s’agit de traduire une inquiétude culturelle liée à une menace migratoire, le CAA facilite l’obtention de la nationalité indienne pour de nombreux réfugiés issus du Bangladesh, du Pakistan et d’Afghanistan se trouvant sur le territoire national, dès lors qu’ils ne sont pas musulmans. Pour les autres, il s’agit de lutter contre la mise en place progressive d’une nation fondée exclusivement sur l’hindouité, un <a href="http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190530-investiture-narendra-modi-nationalisme-hindou-extreme-droite-musulmans">projet idéologique</a> auquel souscrit le gouvernement Narendra Modi et son parti le Bharatiya Janata Party (BJP).</p>
<h2>La vie normale suspendue</h2>
<p>Depuis l’arrivée au pouvoir du régime Modi en 2014 et, surtout, depuis l’accélération autoritaire à partir de sa réélection en mai 2019, la vie normale semble avoir été suspendue : coupures partielles ou totales des communications dans certains États en temps de manifestations (y compris dans la <a href="https://economictimes.indiatimes.com/industry/telecom/telecom-news/airtel-suspends-mobile-services-in-several-delhi-areas/articleshow/72881655.cms">capitale</a>) ; couvre-feux ; déploiements paramilitaires massifs ; recours régulier à la <a href="https://www.deccanchronicle.com/nation/current-affairs/191219/caa-protests-live-delhi-shuts-metro-stations-section-144-in-place.html">loi 144</a> (the Act 144), qui habilite un magistrat à interdire une assemblée de plus de quatre personnes dans une zone pour éviter tout trouble à l’ordre public et donc toute protestation…</p>
<p>Dans ce panorama très sombre, peu d’informations circulent concernant l’avenir des réfugiés sri-lankais, majoritairement hindous mais qui se trouvent pourtant exclus du <a href="http://egazette.nic.in/WriteReadData/2019/214646.pdf">CAA</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-jour-ou-linde-a-ferme-ses-portes-aux-musulmans-128796">Le jour où l’Inde a fermé ses portes aux musulmans</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La présence de ces réfugiés en Inde s’explique avant tout par le <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/violence-et-religion-sri-lanka">conflit séparatiste</a> qui a opposé pendant des décennies les forces gouvernementales sri-lankaises à une entreprise politico-militaire de grande envergure fondée sur une puissante organisation transnationale, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (ou LTTE).</p>
<p>Ce séparatisme tamoul (1983-2009) organisé autour de revendications linguistiques et politiques – et non <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/srilanka">religieuses</a> – est à l’origine d’un afflux de réfugiés dans l’État du Tamil Nadu (sud de l’Inde).</p>
<h2>107 camps de réfugiés tamouls en Inde</h2>
<p>La grande majorité des 63 000 réfugiés répartis dans les 107 camps du Tamil Nadu (et plus de 30 000 autres échappant à ce processus d’encampement) sont arrivés des provinces Nord et Est de l’île, où les Tamouls forment une majorité locale.</p>
<p>Le flux des arrivées de migrants sri-lankais au Tamil Nadu est dépendant de différents facteurs parmi lesquels on peut identifier la politique de l’Inde – tant au niveau central qu’au niveau de l’État du Tamil Nadu –, l’évolution de la situation au Sri Lanka (des périodes de cessez-le-feu alternant avec la montée des hostilités) et la création d’un bureau régional du <a href="http://www.reseau-terra.eu/article669.html">Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Chennai</a> en 1992.</p>
<p>Alors même que l’Inde est née en 1947 d’une partition qui a généré quatorze millions de déplacés, elle ne <a href="http://www.unhcr.org/fr/4d0b6fd89.pdf">reconnaît pas pour autant le statut juridique international de réfugié</a>.</p>
<h2>Gestion ambiguë des réfugiés</h2>
<p>Dans le cas de l’Inde, les choix de gestion, de catégorisation et d’administration en actes des réfugiés trouvent une explication à la fois dans l’attitude ambiguë que l’Inde entretient avec le système international de gestion des réfugiés progressivement mis en place par et pour les Européens dans l’après-Seconde Guerre mondiale, et dans l’évolution des relations de l’Inde avec les pays d’origine des <a href="https://journals.openedition.org/e-migrinter/582">réfugiés</a>.</p>
<p>L’Inde indépendante n’a en effet ratifié ni la Convention de Genève de 1951 ni le protocole de 1967, et n’a pas élaboré de définition propre à ce statut à travers une loi nationale.</p>
<p>L’Union indienne traite les réfugiés entrant sur son territoire en fonction de leur origine nationale et selon des considérations politiques, laissant sans réponse la question de l’égalité et de l’uniformité des droits et privilèges accordés aux différentes communautés de réfugiés.</p>
<p>Ce statut de réfugié, a priori défini par des institutions nationales ou internationales, selon des critères normatifs et juridiques, ne l’est donc pas dans le cas indien. Pourtant, les <a href="https://journals.openedition.org/cdg/418">Srilankais</a> sont bien des « réfugiés » de facto, administrés directement par l’Inde, plus particulièrement par le Tamil Nadu, sans que l’agence des Nations unies n’intervienne, sauf dans le cas particulier des opérations de rapatriement (retours au Sri Lanka).</p>
<h2>Des réfugiés sans statut</h2>
<p>En raison d’un contexte d’accueil particulier, ces réfugiés, à demeure en exil, ne sont ni citoyens indiens, ni réfugiés <em>de jure</em>, ni totalement inclus, ni totalement exclus : ils échappent à l’ensemble des conceptions binaires qui colorent nos imaginaires et les rhétoriques politiques actuelles.</p>
<p>Précisons que les enfants de réfugiés tamouls nés en Inde n’ont pas le droit de s’enregistrer comme citoyens de l’Inde conformément aux dispositifs légaux mentionnés dans la Constitution indienne. Selon l’article 3 de la <a href="https://indiancitizenshiponline.nic.in/acquisition1.htm">Loi sur la citoyenneté modifiée</a>, la citoyenneté est attribuée aux personnes dont les deux parents ou l’un des parents sont citoyens indiens, dès lors que l’autre n’est pas un migrant irrégulier.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/307925/original/file-20191219-11924-1gwhp2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vetha est née à Keezhputhupattu en 1986. Avec ses parents elle est retournée au Sri Lanka, à Colombo de 1986 à 1988, avant de revenir à Keezhputhupattu en 1988, du fait de la reprise des hostilités.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est dans ce contexte que j’ai rencontré par exemple Vetha, mariée à Anthony, réfugié sri-lankais arrivé en 1992 au camp de Keezhputhupattu. Ils ont deux enfants. Depuis 2012, date à laquelle j’ai mené mes premières enquêtes au sein du camp de Keezputhupattu, leur situation s’est améliorée. Vetha possède désormais un petit commerce au sein du camp.</p>
<p>Lors de notre entretien le 19 décembre 2019, elle me confie que depuis l’adoption du CAA, les autorités viennent souvent faire l’appel au sein du camp. Elle ne souhaite pas retourner au Sri Lanka et voudrait que ses enfants puissent obtenir la citoyenneté indienne.</p>
<h2>Une loi qui renforce l’altérité</h2>
<p>Le CAA semble renforcer l’altérité de ces réfugiés. Le gouvernement de l’Union indienne, qui a juré de fournir un refuge aux hindous persécutés dans la région, ne se soucie pas des hindous du Sri Lanka, qui ont été persécutés et privés de leurs droits et aspirations légitimes pendant des décennies. Or le fait qu’ils aient été persécutés en raison de leur langue – et non de leur religion – ne peut servir de motif à leur exclusion.</p>
<p>L’exclusion des hindous sri-lankais de la liste des réfugiés concernés par le CAA est si problématique que même le parti nationaliste indien fondé par Bal Thackeray, le <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/shiv-sena-citizenship-amendment-bill-sri-lankan-tamil-refugees-1627341-2019-12-11">Shiv Sena</a> – dont l’origine remonte à l’hostilité envers les Indiens du Sud – a soulevé cette question au Parlement lors de l’examen du texte.</p>
<p>De son côté, le premier ministre du Tamil Nadu, Edappadi K. Palaniswami, a déclaré mercredi 18 décembre que son parti, <a href="https://www.refworld.org/docid/592d6e254.html">l’All India Anna Dravida Munnetra Kazhagam (AIADMK)</a>, continuerait à faire pression pour que les réfugiés tamouls sri-lankais en Inde aient droit à la double nationalité.</p>
<p>On peut s’étonner de cette position. Rappelons que, traditionnellement, le Bharatiya Janata Party (BJP, la formation de Narendra Modi, actuellement au pouvoir en Inde) est considéré comme un parti dont la base électorale est limitée dans les États méridionaux. Mais en amont des élections de 2019, le BJP a passé une alliance avec l’AIADMK. Précisons que l’AIADMK est, avec son rival le Dravida Munnetra Kazhagam (DVK), l’un des deux grands partis régionaux dits <a href="https://asialyst.com/fr/2017/02/06/inde-tamil-nadu-mouvement-draviden-utopie-pouvoir/">dravidiens</a> qui défendent les intérêts ethnolinguistiques des États du Sud et, principalement, des Tamouls. Ces deux formations <a href="https://www.diploweb.com/Inde-Puissances-regionales.html">se disputent</a> l’héritage (anti-brahmanisme, lutte contre l’hégémonie des « hindi speaking ») du mouvement dravidien créé en 1925 par Periyar E. V. Ramasamy.</p>
<p>Aux élections générales de 2014, l’AIADMK avait remporté 37 des 39 sièges réservés au Tamil Nadu au sein de la Lok Sabha (la Chambre basse du Parlement indien) ; en 2019, <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/bjp-ties-up-with-aiadmk-for-lok-sabha-and-assembly-polls/articleshow/68064554.cms">année où il s’est allié avec le BJP</a>, il n’y a obtenu qu’un seul siège. Le DMK a obtenu une victoire écrasante (cette fois, c’est lui qui a récolté 37 sièges sur 39) en mobilisant avec succès la <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/elections/lok-sabha/tamil-nadu/anti-modi-wave-in-tn-helped-its-passengers-rajinikanth/articleshow/69535931.cms">vague anti-Modi</a>. Cette hostilité de la population de l’État à l’égard du BJP a coûté cher à l’AIADMK, et le Tamil Nadu reste le talon d’Achille du parti de Narendra Modi.</p>
<h2>Ce que les choix de New Delhi révèlent</h2>
<p>On peut donc avancer l’hypothèse que si le BJP a ignoré l’intérêt des Tamouls et, spécialement, celui des réfugiés tamouls sri-lankais dans le cadre du CAA, c’est parce que l’État du Tamil Nadu ne constitue pas pour lui une réserve électorale.</p>
<p>En outre, les efforts du BJP en matière de polarisation identitaire ont été <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/asie-les-nouveaux-hommes-forts-34-narendra-modi-le-gourou-du-nationalisme-hindou-ational-populisme">électoralement gratifiants</a> au cœur de l’Inde hindoue, dans le nord et le centre du pays. Le parti espère s’implanter dans l’état du Bengale-Occidental qui partage <a href="https://laviedesidees.fr/Les-flux-contraries-du-Bengale.html">frontières et tensions aussi émotionnelles qu’historiques</a> avec le Bangladesh, à majorité musulmane.</p>
<p>Le Sri Lanka et la Birmanie, ainsi que les États indiens avec lesquels ils entretiennent des relations, ne sont pas sur l’agenda du BJP. Cela signifie aussi que, pour New Delhi, les réfugiés sont et doivent nécessairement être le produit d’un récit où la majorité musulmane est le bourreau d’une minorité non musulmane persécutée.</p>
<p>Il s’agit d’effrayer et de <a href="https://theconversation.com/au-coeur-dun-ghetto-musulman-dans-linde-de-narendra-modi-107105">ghettoïser les musulmans en Inde</a> et, plus globalement, en Asie du Sud. Enfin, le CAA fournit une voie pour la citoyenneté indienne aux bouddhistes, mais pas à ceux qui sont persécutés par les bouddhistes, à l’instar de ce qu’ont pu subir et subissent encore les <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/sri-lanka-persecutions-denoncees-migrants-sont-elles-reelles-35-689222.html">musulmans et les hindous au Sri Lanka</a>.</p>
<p>Dès lors, on peut se questionner sur les effets du retour aux commandes politiques au Sri Lanka des <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20191120.AFP9047/deux-freres-du-puissant-clan-rajapaksa-a-la-tete-du-sri-lanka.html">frères Rajapaksa</a> – Gotabaya et Mahinda, respectivement président et premier ministre – qui souhaitent mener des politiques exclusivement cinghalaises.</p>
<p>Décidément, la <a href="https://www.dukeupress.edu/Fear-of-Small-Numbers">peur des petits nombres</a>, pour reprendre cette formule qui qualifie la colère que ressentent des majorités prises d’un sentiment minoritaire, va bon train.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129155/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le gouvernement de l’Union indienne, qui a juré de fournir un refuge aux hindous persécutés dans la région, ne se soucie pas des hindous du Sri Lanka.Anthony Goreau-Ponceaud, Maître de conférences en géographie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1287962019-12-12T17:23:12Z2019-12-12T17:23:12ZLe jour où l’Inde a fermé ses portes aux musulmans<p>Pour la première fois en Inde, la citoyenneté sera accordée sur des critères religieux et exclura une minorité : les musulmans. Dans la nuit du 9 décembre, après un débat animé qui a duré sept heures, les députés de la chambre basse (Lok Sabha) ont adopté – avec <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/india/lok-sabha-passes-citizenship-amendment-bill/articleshow/72448424.cms">311 voix favorables et 80 contre</a> – le controversé projet d’amendement constitutionnel de la loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Bill, ou CAB).</p>
<p>Cet amendement vise à accorder la citoyenneté indienne aux réfugiés souffrant de discriminations religieuses au <a href="https://theconversation.com/breathing-without-living-the-plight-of-christians-in-pakistan-70892">Pakistan</a>, au Bangladesh et en Afghanistan.</p>
<p>Ce texte a été introduit par le sulfureux ministre de l’Intérieur Amit Shah. En décembre 2018, il avait promis dans un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dnZ-jqW7SlI">discours</a> très agressif de « jeter » les migrants illégaux en provenance du Bangladesh dans les eaux du Bengale. Il avait aussi comparé les musulmans à des termites.</p>
<p>Le texte, validé également par la chambre haute ou Rajya Sabha (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/11/l-inde-adopte-une-loi-tres-controversee-contre-les-musulmans_6022532_3210.html">125 voix pour et 99 contre</a>), entend naturaliser officiellement les Afghans, Pakistanais et Bangladais résidant en Inde (pour la plupart depuis longtemps) et issus de <a href="https://minorityrights.org/what-we-do/supporting-religious-pluralism-and-respect-for-freedom-of-religions-or-belief-across-south-asia/">communautés religieuses minoritaires</a> dans leur pays d’origine (hindous, jaïns, sikhs, chrétiens, bouddhistes ou parsis).</p>
<p>La législation proposée s’applique à ceux qui ont été forcés ou contraints de chercher refuge en Inde en raison de persécutions fondées sur la religion. La loi viserait à protéger ces personnes éventuellement prises dans les procédures d’immigration clandestine. Les frontières entre l’Inde et le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh ont toujours été poreuses, laissant place à l’organisation d’une immigration clandestine parfois contrôlée par des réseaux mafieux. Un des arguments avancés dans les débats est de mettre fin à ces filières (en tout cas pour les groupes pris en compte par le CAB).</p>
<h2>Ce qui change</h2>
<p>Jusqu’à présent, en vertu des lois en vigueur, un migrant clandestin n’a pas le droit de devenir citoyen indien par enregistrement (<em>registered</em>) ou naturalisation.</p>
<p>Le <a href="https://www.advocatekhoj.com/library/bareacts/foreigners/index.php?Title=Foreigners%20Act,%201946">Foreigners Act</a> (1946) et le <a href="https://www.advocatekhoj.com/library/bareacts/passports/index.php?Title=Passports%20Act,%201967">Passport Act</a> (1967) interdisent l’entrée sur le territoire d’une telle personne et prévoient la mise en prison ou l’expulsion d’un migrant clandestin.</p>
<p>Une personne peut devenir citoyenne indienne en s’enregistrant si elle a résidé habituellement dans le pays pendant six des huit dernières années et sans interruption au cours des douze 12 mois précédant le dépôt de sa demande de citoyenneté. Pour acquérir la citoyenneté par naturalisation, la personne doit avoir vécu en Inde pendant 14 ans, dont 12 ans de séjour cumulatif dans le pays.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jummas-parias-du-bangladesh-97105">Les Jummas, parias du Bangladesh</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La naturalisation est réservée aux étrangers tandis que l’enregistrement est réservé aux ressortissants du sous-continent indien (à une personne d’origine indienne qui réside habituellement en Inde depuis sept ans).</p>
<p>Le CAB prévoit un abaissement à 5 ans de cette exigence de durée de résidence pour la naturalisation. Le projet offre aussi la possibilité d’exclure certains groupes de population de ce processus de naturalisation, les musulmans, et <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/citizenship-amendment-bill-tabled-lok-sabha-passage-december-9-1626406-2019-12-08">l’annulation sur certains critères de l’OCI</a> (<em>overseas citizen of India</em>), un document similaire à un titre de séjour pour les personnes d’origine indienne mais n’ouvrant pas de droits citoyens.</p>
<p>En d’autres termes, le CAB accordera aux migrants non musulmans en situation irrégulière le statut de migrants légaux bien qu’ils soient venus en Inde sans documents et autorisation valables. Une population qui constituera une nouvelle et importante manne électorale.</p>
<h2>Une loi dépourvue de toute logique constitutionnelle ?</h2>
<p>Le choix portant sur les trois pays d’application pose cependant de nombreuses questions.</p>
<p>Si la délimitation portée sur le Pakistan et le Bangladesh peut faire sens, du fait d’une histoire commune qui permet de lier ces pays à l’Inde britannique et à la Partition, le choix de l’Afghanistan, et l’exclusion des pays voisins (Népal, Bhoutan et Birmanie) qui, eux, partagent des frontières terrestres avec l’Inde semble problématique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte simplifiée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Inde_carte_simple.png">Barracuda/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le projet de loi vise donc à protéger les minorités religieuses au sein de ces États pensés par Delhi comme théocratiques en raison de la présence d’une majorité de la population de confession musulmane, mais qui ne le sont pas constitutionnellement.</p>
<p>Mais, cette raison ne tient pas à l’analyse. Pourquoi le <a href="https://www.worldwatchmonitor.org/2016/04/bhutan-a-happy-place-but-not-for-all/">Bhoutan</a>, qui est un pays voisin et constitutionnellement un État religieux – la religion officielle étant le bouddhisme – est-il exclu de la liste ?</p>
<p><a href="https://www.courrierinternational.com/article/2011/06/01/bouddhisme-et-tolerance-ne-font-pas-bon-menage">Les chrétiens ne peuvent pourtant pas y vivre leur foi</a> en toute liberté.</p>
<p>Si c’est réellement la persécution des « minorités religieuses » qui est prise en considération dans le CAB, on aussi peut s’étonner de l’exclusion du Sri Lanka, où le bouddhisme est constitutionnellement « at the foremost place ».</p>
<p>L’article 9 de la Constitution stipule ainsi que « La République du Sri Lanka accorde la première place au bouddhisme que l’État doit protéger. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Au-Sri-Lanka-triste-memoire-guerre-civile-2019-04-22-1201017203">Les troubles</a> entre bouddhistes cinghalais et tamouls hindous qui ont donné lieu à une longue guerre civile généré des flux considérables de réfugiés tamouls : <a href="https://www.areion24.news/2019/05/29/derives-autoritaires-et-desordres-internes-au-sri-lanka/">presque un million</a> aurait fui l’île donnant naissance à une <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=HER_158_0219#">importante diaspora</a>. Celle-ci est principalement présente en Europe occidentale, Asie du Sud-Est (Malaisie et Singapour) et Amérique du Nord (Canada en particulier).</p>
<p>L’<a href="https://www.epw.in/journal/2018/8/special-articles/learning-live-colonies-and-camps.html">Inde</a> accueille ainsi plus de 100 000 réfugiés tamouls répartis dans plus d’une centaine de camps répartis sur l’ensemble du territoire de l’État du Tamil Nadou qui attendent depuis des années une loi nationale sur les réfugiés.</p>
<p>Et pourquoi la Birmanie, que les <a href="https://www.diploweb.com/Comment-vraiment-comprendre-la-crise-rohingya.html">Rohingyas musulmans</a>, victimes d’un véritable génocide, fuient en masse, notamment vers l’Inde, n’est-elle pas également incluse ?</p>
<h2>Attirer les hindous « de l’extérieur »</h2>
<p>L’application du CAB pour ces trois pays seulement s’inscrit dans une certaine logique tout comme le choix de ne pas permettre aux minorités musulmanes et athées d’accéder à cette citoyenneté indienne en limitant la notion de « minorité religieuse » à six groupes religieux. Pourtant, de nombreuses autres populations subissent des discriminations. C’est le cas, au Pakistan, des <a href="https://theconversation.com/who-are-pakistans-ahmadis-and-why-havent-they-voted-in-30-years-100797">Ahmadis</a> qui ne sont pas reconnus comme musulmans et sont traités comme appartenant à une religion distincte, subissant avanies, persécutions et discriminations.</p>
<p>Derrière le CAB s’affiche clairement la volonté de discriminer les communautés musulmanes.</p>
<p>Le vote autour du texte a suscité depuis plusieurs jours maintenant une levée de boucliers parmi les intellectuels et militants des droits civiques, tout comme parmi les membres de ce qui reste du parti du Congrès (Indian National Congress) rassemblés autour de Rahul Gandhi. Les opposants à ce texte ont décidé d’en appeler <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/after-rajya-sabha-green-signal-citizenship-amendment-bill-to-hit-sc-roadblock-1627550-2019-12-12">à la Cour suprême</a>.</p>
<p>Ils invoquent la loi et tout particulièrement <a href="http://www.legalservicesindia.com/article/1688/Right-To-Equality--A-Fundamental-Right.html">l’article 14 de la Constitution indienne</a> qui prévoit l’égalité comme base des droits fondamentaux « absolus et non exclusifs aux citoyens indiens ». Avec le CAB, l’Inde tourne désormais le dos à des décennies de <a href="https://journals.openedition.org/assr/24573">sécularisme</a>, ce qui la distinguait justement de son voisin, le Pakistan.</p>
<h2>L’inquiétude des États frontaliers</h2>
<p>Mais le CAB soulève de nombreuses inquiétudes notamment dans les États du Nord-Est indien (Assam, Meghalaya, Mizoram, Tripura, Arunachal Pradesh et Nagaland).</p>
<p>Ces États ont obtenu de rester en dehors de ce nouveau dispositif, afin de demeurer inaccessibles aux immigrés venant du Bangladesh tout proche.</p>
<p>Le projet de loi a ainsi déclenché de vives protestations généralisées dans ces États, où beaucoup estiment que la naturalisation des immigrés déjà présents sur place, qu’ils soient hindous ou non, perturbera la démographie de la région et réduira les possibilités d’emploi des populations autochtones. Les locaux redoutent également que cette naturalisation ne provoque un appel d’air qui aboutira à l’arrivée dans leurs régions d’encore plus d’étrangers, voués à devenir au bout de quelques années citoyens indiens – avec tous les droits que ce statut comporte.</p>
<p>En Assam, le CAB fait écho avec une autre préoccupation générant de vives <a href="https://observers.france24.com/fr/20191126-inde-assam-nationalite-indiens-musulmans-bangladesh-benevoles-aide">manifestations et couvre-feu</a>. Une opération de recensement menée en août dernier à travers le déploiement du registre national des citoyens (NRC) s’est soldée par la non-prise en compte de près de deux millions de personnes, en majorité musulmane ; celles-ci pourraient de ce fait perdre leur nationalité indienne.</p>
<p>Des milliers d’hindous ont également exclu du NRC et se retrouvaient donc, jusqu’ici, dans la même situation que les musulmans ; mais, aux yeux de nombreux observateurs, la mise en œuvre du CAB pourrait leur permettre de récupérer la citoyenneté indienne, créant un système inique où l’on exclut d’un côté les musulmans et l’on réintègre les non-musulmans de l’autre, dressant un peu plus les populations les unes contre les autres.</p>
<h2>Un climat funeste pour les musulmans</h2>
<p>Ce vote survient aussi dans un climat particulier, dessinant un nouveau repère dans une litanie de décisions funestes pour la minorité musulmane.</p>
<p>Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, s’inscrivant dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-7.html">projet idéologique</a> initié au tout début du XX<sup>e</sup> siècle, le BJP revisite l’histoire dans les livres scolaires et <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/bataille-lInde-hindouiser-noms-villes-2018-11-16-1200983522">hindouise les noms de villes</a> à consonance musulmane.</p>
<p>Ce projet survient également à la suite de la <a href="https://theconversation.com/crise-au-cachemire-quelles-consequences-pour-lasie-du-sud-122442">révocation, en août, de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire</a>, seule région à majorité musulmane.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-linde-crea-2-millions-dapatrides-122992">Et l’Inde créa 2 millions d’apatrides</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Hasard du calendrier ou provocation, le projet de CAB a été dévoilé au moment précis où les musulmans s’apprêtaient à commémorer la destruction de la mosquée d’Ayodhya, ville sacrée d’Uttar Pradesh, où la Cour suprême a ordonné le mois dernier la construction d’un temple hindou à la place de la <a href="https://www.thehindu.com/news/ayodhya-verdict-reactions/article29929253.ece">mosquée démolie</a> par des extrémistes hindous le 6 décembre 1992.</p>
<p>En détournant une loi constitutionnelle de 1955 afin de donner la priorité aux hindous en matière de citoyenneté, Narendra Modi tente de modifier le projet même de l’Inde. Son gouvernement semble être parvenu, <em>de jure</em>, à créer artificiellement une « rashtra » (nation) hindoue, perpétuant ainsi le projet suprémaciste de l’idéologue <a href="https://carnegieendowment.org/2019/04/04/fate-of-secularism-in-india-pub-78689">Vinayak Damodar Savarkar</a>.</p>
<p>En excluant la minorité musulmane de l’espace public, le gouvernement de Modi donne aussi en miroir, un contenu normatif à ce qu’« être hindou » signifie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un projet d’amendement constitutionnel de la loi sur la citoyenneté vise à empêcher les étrangers musulmans d’accéder à la nationalité indienne. C’est une négation de la diversité religieuse du pays.Anthony Goreau-Ponceaud, Maître de conférences en géographie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1270412019-11-21T20:51:03Z2019-11-21T20:51:03ZPrendre en compte la conviction religieuse dans l’entreprise : ce que dit le droit<p>Un employeur peut-il licencier une salariée, ingénieure informatique, refusant d’enlever son voile lorsqu’elle travaille chez un client opposé au port de ce signe religieux dans son entreprise ?</p>
<p>Dans son arrêt du <a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/2484_22_38073.html">22 novembre 2017</a> (et à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé</p>
<blockquote>
<p>« qu’il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ».</p>
</blockquote>
<p>La haute juridiction n’a-t-elle pas ouvert la voie aux ajustements de la norme lorsque l’application de celle-ci au cas concret pose question au regard du respect d’une liberté (ici la liberté de religion), suscite un conflit de valeurs ou de normes, risque d’engendrer une discrimination ?</p>
<p>À cet égard, et bien que les <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-70954">faits de l’affaire Leyla Sahin</a> soient bien éloignés du monde de l’entreprise puisqu’était concernée une jeune étudiante en médecine turque qui refusait d’enlever son voile à l’université, l’opinion dissidente de la juge Tulkens dans ce litige a gardé toute sa pertinence et doit être rappelée :</p>
<blockquote>
<p>« Dans une société démocratique, je pense qu’il faut chercher à accorder – et non à opposer – les principes de laïcité, d’égalité et de liberté. »</p>
</blockquote>
<p>Mais comment accorder ? Dans certaines situations, plusieurs droits fondamentaux se confrontent : droit à l’égalité, principe de non-discrimination et droit à la liberté de religion, sont étroitement enchâssés, dans un rapport ambigu de répulsion et d’attirance. L’opposition est parfois frontale entre système légaliste et mise en balance des intérêts.</p>
<h2>L’articulation de l’impératif juridique et de l’impératif religieux</h2>
<p>L’articulation de l’impératif juridique et de l’impératif religieux peut susciter des tensions dont la résolution réside dans une mise en balance des intérêts, une pesée de ceux-ci, aboutissant non point à un renoncement ou à un recul de la norme positive au profit de la norme religieuse, (ou l’inverse) mais davantage à une prise en compte de la liberté de religion en tant qu’elle est une liberté fondamentale grâce à une adaptation de la règle de droit.</p>
<p>S’agit-il alors de transplanter en France et plus largement en Europe cette notion venue d’outre-Atlantique connue sous le nom d’<a href="http://pus.unistra.fr/fr/printable/?GCOI=28682100460180">« accommodement raisonnable » comme le soulèvent Manon Montpetit et Stéphane Bernatchez</a> ?</p>
<p>Pas vraiment : parfois abusivement utilisée dans les discours publics, l’obligation d’accommodement raisonnable, qui est le corollaire du droit à l’égalité, est une construction de la jurisprudence afin d’assurer la mise en œuvre d’une « égalité réelle » plutôt que formelle.</p>
<p>Néanmoins, la simplicité de l’expression cache une évolution et une réalité complexes, sujettes à controverse.</p>
<h2>Adapter la norme commune ?</h2>
<p>En Europe, la problématique tenant à l’adaptation de la norme commune pour satisfaire la liberté de religion a également trouvé un écho à travers des concepts voisins ou distincts : principe de proportionnalité, concordance pratique.</p>
<p>Au premier chef, le principe de proportionnalité. Celui-ci occupe une place cardinale dans le raisonnement juridique toutes les fois qu’il s’agit d’apprécier la licéité d’une action ou d’une abstention au regard des normes protectrices des droits et libertés fondamentaux.</p>
<p>Par exemple, dans l’<a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-116097%22%5D%7D">affaire Eweida et autres c</a>. La Cour européenne a dû mettre en balance les droits des requérants et les intérêts légitimes de leurs employeurs.</p>
<p>En l’espèce, les requérants soutenaient que le droit national n’avait pas adéquatement protégé leur droit de manifester leur religion. Les deux premières requérantes se plaignaient en particulier de restrictions par leurs employeurs au port visible par elles d’une croix à leur cou. Concernant la première requérante, la Cour a conclu que les autorités n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le désir de la requérante de manifester sa foi et de pouvoir la communiquer à autrui et, d’autre part, le souhait de son employeur de véhiculer une certaine image de marque (quelle que soit par ailleurs la légitimité de cet objectif).</p>
<p>Comme l’accommodement raisonnable, le principe de proportionnalité est a priori d’une simplicité confondante dans sa compréhension et son maniement. Introduisant de la souplesse dans la règle de droit, en ce qu’il permet une application différenciée de celle-ci et respectueuse des droits fondamentaux, le principe de proportionnalité semble paré de toutes les vertus. Néanmoins, une analyse plus fine du principe en révèle les limites.</p>
<h2>Concordance pratique</h2>
<p>Parmi les techniques juridiques permettant d’appréhender les conflits entre droits fondamentaux, on ne peut manquer d’évoquer la notion de « praktische Konkordanz » ou concordance pratique, issue du droit constitutionnel allemand (<a href="http://pus.unistra.fr/fr/livre/?GCOI=28682100460180">voir l’article de Bernhard Kresse</a>).</p>
<p>Cette notion qui s’inscrit dans une logique de conciliation optimale, est traditionnellement mobilisée par la doctrine allemande pour résoudre les conflits de droits fondamentaux.
Celle-ci insiste sur le fait que lorsque deux droits fondamentaux sont en conflit, aucun d’entre eux n’a vocation à se voir a priori sacrifié au profit de l’autre.</p>
<p>Les deux droits en concurrence se doivent des concessions réciproques. Les deux aspects de la liberté de religion – celle des organisations religieuses et celle des individus – font l’objet d’une protection éminente en Allemagne.</p>
<p>Nul besoin ici de déroger à la norme générale de droit civil : la mise en balance des intérêts antagonistes permet de résoudre les conflits de valeurs, « dans une concordance pratique des valeurs en cause ».</p>
<h2>La critique des solutions au cas par cas</h2>
<p>Cette démarche d’ajustement ou d’aménagement de la norme au cas particulier soulève cependant aussi interrogations, résistances et critiques. Elle orienterait la gestion du droit vers des solutions particulières au cas par cas ou « sur mesure ».
Cette approche « casuistique » réduirait la sécurité juridique, elle pourrait conduire à un effritement de la norme commune (voir l’article de <a href="http://pus.unistra.fr/fr/livre/?GCOI=28682100460180">Frédéric Dieu sur ce sujet</a>).</p>
<p>En France, particulièrement, les principes constitutionnels de laïcité et d’égalité semblent s’opposer aux adaptations de la norme commune, mais la jurisprudence tout en nuances est réceptive à la satisfaction des demandes liées aux exigences religieuses.</p>
<p>Ainsi, <a href="http://lyon.cour-administrative-appel.fr/content/download/146304/1483834/version/1/file/17LY03323et17LY03328.pdf">le juge administratif</a> estime-t-il désormais que</p>
<blockquote>
<p>« les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que, en l’absence de nécessité se rapportant à son organisation ou son fonctionnement, les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ou philosophiques ».</p>
</blockquote>
<p>En d’autres termes, comme le souligne Frédéric Dieu, il n’est plus possible de s’abriter derrière la norme commune que constituent les principes de laïcité et de neutralité du service public pour refuser ce type d’exigence.</p>
<p>Et que dire encore de la pratique de la <a href="https://books.openedition.org/pus/14358">circoncision rituelle</a>, largement répandue, souvent effectuée en milieu hospitalier et pourtant, heurtant frontalement certaines dispositions juridiques d’ordre public ?</p>
<h2>Le choix des stratégies d’intégration</h2>
<p>Comment articuler l’injonction paradoxale consistant à prôner d’un côté des politiques de valorisation de la diversité, de lutter contre la discrimination et à exiger de l’autre une forme d’invisibilité religieuse <a href="https://radical.hypoth%C3%A8ses.org/4711">(voir l’article de Jeanne Pawella sur ce point)</a> au travail ?</p>
<p>Le thème de l’accommodement ou de l’ajustement de la norme positive soulève des questions politiques et sociales qui concernent le traitement des minorités et le choix des stratégies d’intégration par les pouvoirs publics.</p>
<p>Les règles communes peuvent être « accommodées » pour faciliter leur participation dans le respect de leurs traditions propres. Cette démarche ou logique de conciliation, de concertation était déjà prônée dans le guide édité par le ministère du Travail en janvier 2017 sur le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/guide_candidats_salaries_majfevrier2018valide.pdf">fait religieux en entreprise</a> e.</p>
<p>Dans son préambule, le guide définit l’entreprise en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« L’entreprise a une finalité économique mais elle est également un lieu de socialisation, de discussions, d’interactions, voire parfois de confrontation puisque le salarié y est aussi un individu avec son histoire, ses convictions, sa culture, ses croyances ou sa non-croyance. »</p>
</blockquote>
<p>Et poursuivant, pour préciser ses objectifs, il est écrit que</p>
<blockquote>
<p>« Ce guide […] apporte, en second lieu, des réponses à des cas concrets tout en suggérant les attitudes permettant de favoriser la recherche de solutions consensuelles. Dans tous les cas, pour assurer une vie collective apaisée et harmonieuse, la tolérance et le respect mutuels doivent présider à cette recherche. »</p>
</blockquote>
<p>L’ajustement des normes prend place dans une politique de pluralisme culturel et de respect de la diversité.</p>
<p>Toutefois, l’accommodement ou l’ajustement ne constitue pas un droit absolu : toute personne ou groupe concerné de manière défavorable par une mesure générale ne peut prétendre à un accommodement.</p>
<p>Quelle que soit la technique juridique utilisée ou la voie privilégiée, qui très souvent du reste se combinent, et même si le croyant ne saurait s’affranchir de la règle commune au nom de sa liberté de religion, l’effectivité de celle-ci et sa reconnaissance pleine et entière supposent des ajustements raisonnables du droit commun.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est issu de l’introduction du numéro Revue du droit des religions <a href="http://pus.unistra.fr/fr/printable/?GCOI=28682100460180">« Convictions religieuses et ajustements de la norme »</a> (juillet 2019), co-dirigé par l’auteure.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincente Fortier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En matière juridique, des règles communes peuvent être « accommodées » pour faciliter la participation de chacun dans le respect de ses traditions et religions propres.Vincente Fortier, Directrice de recherche, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1255072019-10-24T16:51:55Z2019-10-24T16:51:55ZLa forêt, lieu symbolique et mythique des récits traditionnels indiens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297946/original/file-20191021-56194-1hl74o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C191%2C1820%2C1191&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Rama et Sita dans la forêt Dandaka.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://i.pinimg.com/originals/7d/44/8f/7d448f47f258f590d900c162614cf454.jpg">Rajasthan, Kishangarh, XVIIIᵉ siècle.</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>À l’heure du changement climatique, le rôle vivifiant de la forêt suscite un regain d’intérêt. La mobilisation internationale pour sauver la forêt amazonienne a illustré une prise de conscience de l’importance de la forêt en tant que bien commun, dépositaire de la biodiversité sur Terre.</p>
<p>Dans l’Inde ancienne, la méditation dans la forêt a fait émerger des traités philosophiques, connus sous le nom d’« Upanishads ». Selon <a href="http://psychaanalyse.com/pdf/PHILO_DOSSIERS_Ashrama_Upanishad.pdf">« Ashrama Upanishad »</a>, écrit qui fait partie d’<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/atharva-veda/"><em>Atharvaveda</em></a> (le dernier des quatre textes sacrés de l’hindouisme), la vie humaine se décompose en quatre grandes étapes : la première est le « brahmacharyam », qui désigne le célibat, la deuxième connue sous le nom de « grahastham » correspond à la vie familiale, la troisième dite « vanaprastham » équivaut au moment de la retraite, avant que la personne atteigne la dernière étape, celle de « sanyasam », c’est-à-dire de la renonciation. De ces quatre phases, celle de la retraite doit se dérouler dans la forêt. Cette idée de la forêt comme lieu de retraite ou d’ermitage est présente dans les deux grandes épopées indiennes.</p>
<h2>La forêt, lieu de création et de procréation</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298262/original/file-20191023-119429-1eqw5pn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=884&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Division administrative de l’Inde.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:India_Administrative_divisions_FR.svg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les lecteurs aujourd’hui, les récits en forêt évoquent davantage Mowgli et la jungle de Kipling que les grandes épopées indiennes. Dans le récit-cadre du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EENh1hxkD6E"><em>Mahabharata</em></a>, les bois sont source de création littéraire. Ce texte est le poème le plus long du monde, écrit en sanskrit entre le V<sup>e</sup> siècle avant l’ère chrétienne et le III<sup>e</sup> siècle de notre ère. Il narre la vie du clan Bharata, dont la mythologie est à la base de l’hindouisme. L’histoire se déroule dans la forêt de Naimisha, lieu sacré de l’hindouisme situé au bord de la rivière Gomati (dans l’actuel État de l’Uttar Pradesh, au nord-est du pays) où les sages se réunissent. Le sage <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Naimisha_Forest#/media/File:Sauti_recites_the_slokas_of_the_Mahabharata.jpg">Ugrasrava Sauti</a> y récite l’épopée de <em>Mahabharata</em> d’un seul trait au sage Saunaka. Dans d’autres versions, c’est le sage Vyasa qui la dicte au dieu Ganesh, celui-ci faisant fonction de scribe.</p>
<p>L’épopée <em>Mahabharata</em> retrace l’histoire des cinq frères Pandava, nés dans la forêt de Hastinapura située sur la rive gauche du fleuve Gange. La légende raconte que leur père le roi Pandu, chassant dans les bois, <a href="https://www.philamuseum.org/collections/permanent/57809.html?mulR=14709">blessa</a> par inadvertance un couple de cerfs. Il découvrit alors que les deux animaux étaient en réalité le sage Kindama et son épouse, métamorphosés en bêtes afin de donner libre cours à leurs jeux amoureux en plein air.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297948/original/file-20191021-56224-1gu6ktl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le sanctuaire de vie sauvage d’Hastinapura.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cakratirtham.jpg">T. Sujatha</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le sage punit alors Pandu pour cette mauvaise action : désormais, il ne pourrait plus approcher aucune femme pour faire l’amour, au risque de mourir. Le roi comprit alors l’ampleur de sa faute : la violence envers les animaux est une violence envers les hommes et envers soi-même.</p>
<p>Pour avoir des enfants, son épouse Kunti dût alors invoquer des formules magiques reçues d’un sage. Par les dieux Dharma, Vayu et Indra, elle aura Yudhishtira, Bhima et Arjuna. De la même formule récitée par la deuxième épouse de Pandu devant Ashwini Kumaras (les dieux jumeaux du ciel – médecin des dieux et dieu des médecins) vont naître Nakula et Sahadeva. Cette forêt mythique de Hastinapura où a lieu la procréation divinement assistée se situe dans l’actuel État d’Uttar Pradesh. Depuis 1986, le gouvernement indien en a fait un sanctuaire pour la <a href="http://www.upforest.gov.in/StaticPages/hastinapurwild_Photo-gallery.aspx">vie sauvage</a>.</p>
<h2>La forêt, lieu d’exil et de vie</h2>
<p>La rivalité entre ces frères Pandava, fils de Pandu, et leurs cousins Kauravas est le moteur du récit principal du <em>Mahabharata</em>, qui se termine avec la grande guerre de <a href="https://kurukshetra.gov.in/about-district/">Kurukshetra</a> pour la succession du royaume de Kuru. Comme prélude à ce conflit qui dura dix-huit jours, Dieu Krishna enseigna à l’un des cinq frères la philosophie de la vie hindoue. Ces enseignements constituent le <a href="https://www.cielterrefc.fr/wp-content/uploads/2016/07/Bhagavad-G%C3%AEta%20et%20Aurobindo.pdf"><em>Bhagavad Gita</em></a>, livre sacré de l’hindouisme.</p>
<p>Avant ce conflit final, les frères Pandava sont forcés à l’exil pendant treize années. Au cours de cette période, ils séjournent entre la forêt de Kamyaka – située au bord de la rivière Saraswathi en haut du désert de Thar, elle n’existe plus aujourd’hui – et celle voisine de Dvaita. À plusieurs reprises, la forêt de Kamyaka leur servira de lieu de repli : après s’être d’échappés d’un palais en flammes conçu pour les piéger, après avoir joué et perdu leur royaume aux jeux d’échecs contre leurs rivaux, une autre fois pour faire le rite d’Ashvamedha – sacrifice du cheval – afin de se proclamer empereurs… et enfin pour renoncer à la vie royale après avoir transmis leur royaume à leur héritier Parikshit, petit-fils d’Arjuna.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297947/original/file-20191021-56220-mjfn9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Reconstitution fictive de la ville d’Indraprastha.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12151773">Jijithnr/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ces bois de Kamyaka, les frères Pandavas s’abritent, se nourrissent, se forment à la vie et à la guerre… et ce malgré l’isolement social, les conditions austères, et le danger qui les y guettent dans cette forêt remplie de démons.</p>
<p>Ce séjour dans la forêt ne sensibilise pas pour autant les frères Pandava à l’équilibre écologique. Lorsqu’Arjuna hérite la terre de la forêt de Khandava, il n’hésite pas à livrer une guerre féroce pour s’en accaparer, brûlant les arbres et tuant les animaux afin de construire la capitale <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Indraprastha">Indraprastha</a> – aujourd’hui quartier de la capitale indienne New Delhi. On comprend dès lors que la destruction de la forêt à des fins d’urbanisation n’est pas qu’un fait colonial.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ma7hCWvN5BM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Indraprastha historique. (Dharma Next).</span></figcaption>
</figure>
<h2>La forêt, lieu de formation et de transformation</h2>
<p>Quant au <a href="https://www.youtube.com/watch?v=c-97DyPMYwg"><em>Ramayana</em></a>, poème épique qui raconte la vie de Rama, septième des dix avatars (incarnations) de Vishnu, dieu protecteur de la trinité hindoue, il y décrit la forêt, les animaux et les êtres qui y habitent, et leur donne un rôle essentiel dans le déroulement du récit.</p>
<p>Lorsqu’il est jeune étudiant, Rama entre dans la forêt de Tataka – aujourd’hui située à Buxar dans l’État de Bihar, à l’est du pays – en compagnie de son gourou Vishvamithra. Dans ces bois qui abritent la démone Tataka qui terrorise les hommes, il rencontre Ahalya, une femme vertueuse métamorphosée en pierre.</p>
<p>Sous les traits de son mari, le Dieu Indra a violé la jeune femme. D’un simple toucher, Rama la ramène alors à la vie. Il tue également la démone de sa flèche, et recevra en récompense de son gourou des armes, et des formules magiques pour annuler leur pouvoir au cas où elles tomberaient dans des mauvaises mains. Comme dans le <em>Mahabharata</em>, la forêt sert ici de théâtre à l’entraînement à la guerre.</p>
<p>Renvoyé en exil par son père, qui a promis à sa deuxième épouse de faire accéder au trône son fils Bharata, Rama se rend avec son épouse Sita et son frère Lakshman dans la forêt <a href="http://livelihoods.net.in/sites/default/files/pdf/kshetram_dandakaranya_.pdf">Dandaka</a>. Il y côtoie des hommes singes et des démons. Ce lieu (situé dans l’État de Chhattisgarh, centre-est de l’Inde) est le théâtre de la transformation physique et psychologique du personnage : son épouse Sita est enlevée, Rama doit traverser la mer et vaincre le roi à dix têtes Ravana pour la libérer.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297673/original/file-20191018-56224-ba2sju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Rama, Sita et Lakshmana en exil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=153185">Yorck Project (2002)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lorsqu’il rentre au Royaume après la guerre avec le roi de Lanka, Sita se retire dans un ermitage éloigné car des rumeurs mettent en cause sa vertu. Elle donne naissance aux enfants jumeaux de Rama, qui grandissent sans connaître leur père. Les deux époux se retrouvent lorsque Rama vient accomplir le rite du sacrifice du cheval dans la forêt Naimisha. Mais Sita, délaissée et déçue depuis des années, refuse de revenir. La terre mère l’accueille alors en son sein. Ces bois situés près de Lucknow dans l’état d’Uttar Pradesh, demeurent aujourd’hui un lieu de mémoire sous la forme d’un <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cakratirtham.jpg">temple</a> dédié au Dieu Vishnu.</p>
<p>Les forêts tiennent donc une place centrale dans les mythes indiens et conservent des traces littéraires et géographiques. Elles attestent aussi bien de la résistance et de la résilience, que de la spoliation et de la destruction. En 2006, le gouvernement indien a voté une loi sur les droits des forêts – le <a href="https://www.fra.org.in/">Forest Rights Act</a>. Bien qu’imparfaite, elle tâche de protéger les habitants de la forêt.</p>
<p>Source de nourriture, de bois, de plantes médicamenteuses et regorgeant de minéraux dans ses sous-sols, la forêt fait l’objet de convoitises. Les femmes tribales qui s’y rendent sont souvent harcelées par les officiers de la forêt qui contrôlent leurs allées et venues. Les jeunes quant à eux tentent de se l’approprier en participant à sa protection et sa régénération. L’espace de la forêt représente ainsi un espace transitionnel entre la préhistoire et l’histoire, entre le bien et le mal, entre rupture et continuité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125507/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geetha Ganapathy-Doré est présidente de l'association à but non-lucratif SARI - Société d'activités et de recherches sur le monde indien dont le colloque annuel est soutenu par les laboratoires IDPS et CREA de l'université de Paris 13 et de Paris Nanterre.</span></em></p>Les récits des épopées indiennes sont marqués par le rôle de la forêt, présente à plusieurs moments fondateurs de la vie des héros.Geetha Ganapathy-Doré, Maîtresse de conférences HDR en anglais, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1224422019-08-28T19:36:12Z2019-08-28T19:36:12ZCrise au Cachemire : quelles conséquences pour l’Asie du Sud ?<p>Petit-déjeuner à Amritsar, déjeuner à Lahore, dîner à Kaboul. Tel a été le rêve <a href="https://www.dnaindia.com/world/report-breakfast-in-amritsar-lunch-in-lahore-dinner-in-kabul-1074234">exprimé</a> en 2007 par Manmohan Singh, alors premier ministre indien. Il espérait à cette époque voir un sous-continent indien réconcilié avec lui-même, acceptant son caractère multiculturel, pluriethnique, et où les frontières étatiques ne constitueraient plus aucun enjeu dans les luttes nationalistes ni religieuses.</p>
<p>Or, depuis le 5 août, date de la révocation de l’autonomie du Cachemire indien, tiraillé depuis la Partition de 1947, entre l’Inde et le Pakistan, le rêve semble s’être définitivement transformé en cauchemar.</p>
<h2>Le Cachemire, pomme de discorde historique entre l’Inde et le Pakistan</h2>
<p>Cette crise est peut-être la plus grave depuis l’indépendance de l’Inde. Elle vient en effet remettre en question la base même de l’idée nehruvienne, qui a structuré l’identité de la « plus grande démocratie du monde ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Revendications au Cachemire, Ceriscope, CIRPES, Le Débat Stratégique, nº70, nov. 2003, EHESS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FNSP. Sciences Po -- Atelier de cartographie</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Jawaharlal Nehru, premier chef d’état indien, portait un projet <a href="https://books.google.com.hk/books?id=tRyaXnjsxP8C&pg=PA204&lpg=PA204&dq=nehru+s%C3%A9culariste">séculariste</a> celui d’un État ouvert, tolérant, qui ne se limiterait pas uniquement à son identité hindoue.</p>
<p>Le Pakistan, en revanche, était la conséquence d’une autre vision politique, celle de son contemporain Ali Jinnah, un partisan de la <a href="https://nayadaur.tv/2019/04/the-journey-of-the-two-nation-theory-from-a-rights-demand-to-an-exclusivist-narrative/">« théorie des deux nations »</a>. Cette dernière considérait qu’il y avait deux nations au sein du sous-continent indien, l’une hindoue, l’autre musulmane. Cette vision devait aider à créer un État pour des musulmans <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-40961603">inquiets</a> de devenir une minorité dans une Inde dominée par les hindous.</p>
<p>La Partition entre Inde et Pakistan a pu apparaître comme d’autant plus insatisfaisante, du point de vue pakistanais, qu’elle était inachevée. Pour <a href="https://kashmirobserver.net/2018/feature/jinnahs-last-drive-kashmir-38927">Ali Jinnah</a>, tout le Cachemire aurait dû revenir à son pays, car peuplé majoritairement de musulmans, et dans la continuité géographique du Pakistan. Mais pour New Delhi, ce territoire au statut particulier et à majorité musulmane, au sein de la république, était une preuve du caractère séculariste et inclusif de l’Inde.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-4-page-17.htm">Pierre angulaire</a> des relations bilatérales, la dispute autour de cette région a renforcé, chez les Pakistanais, l’idée selon laquelle l’Inde n’aurait jamais accepté la création de son voisin.</p>
<h2>Une région sous pression</h2>
<p>Entre fin juillet et début août <a href="https://www.washingtonpost.com/world/india-revokes-special-status-of-kashmir-putting-tense-region-on-edge/2019/08/05/2232fcd0-b740-11e9-8e83-4e6687e99814_story.html">35 000 hommes</a> ont été envoyés par New Delhi pour rallier les services de sécurité sur place alors que le Cachemire indien est l’un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2016/10/19/cachemire-dans-la-zone-la-plus-militarisee-au-monde_1523049">des territoires les plus militarisés au monde</a>.</p>
<p>Dès le 5 août, un énième couvre-feu a été imposé dans la région. Les communications ont été largement coupés ou brouillées. Les politiciens cachemiris représentant une approche légaliste, anti-séparatiste, mais défendant le statut particulier du Cachemire, ont été <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/15/opinion/sunday/kashmir-siege-modi.html">arrêtés</a>.</p>
<p>Plus largement, les forces de sécurité ont emprisonné au moins <a href="https://theconversation.com/kashmiris-are-living-a-long-nightmare-of-indian-colonialism-121925">4 000 personnes</a>, dans le cadre d’une politique ultra-sécuritaire.</p>
<p>Arrestations arbitraires, raids de nuit, exactions ont été dénoncés par les <a href="https://www.huffingtonpost.in/entry/kashmir-government-arresting-children-article-370_in_5d5388c3e4b05fa9df0696fd">activistes indiens</a> sans que la communauté internationale <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/08/25/cachemire-une-repression-inedite-et-un-debut-de-pression-internationale_1747166">ne réagisse</a> réellement. Pour de nombreux observateurs la situation au Cachemire illustre bien le triomphe politique du nationalisme hindou, <a href="https://www.nytimes.com/2019/04/11/world/asia/modi-india-elections.html?module=inline">fondamentalement anti-musulman</a> et <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2019/08/india-moves-revoke-special-status-kashmir/595510/">anti-Nehru</a>.</p>
<h2>Pessimisme</h2>
<p>Côté pakistanais le pessimisme règne. Le premier ministre Imran Khan a ainsi récemment confié au <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/21/world/asia/india-pakistan-kashmir-imran-khan.html"><em>New York Times</em></a>, que tout dialogue bilatéral semblait perdu. Une vision réaffirmée, semble-t-il, par le revirement de Trump lors du G7 sur la question cachemirie. Renonçant à tenter une médiation, ce dernier a estimé que Modi avait <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/cachemire-trump-ne-voit-pas-le-besoin-de-s-impliquer-modi-a-la-situation-sous-controle-20190826">« la situation sous contrôle »</a>, et que la question cachemirie devait être réglée dans un cadre bilatéral.</p>
<p>Par ailleurs des <a href="https://asialyst.com/fr/2019/08/23/monde-musulman-face-crise-cachemire-inde-pakistan/">pays soi-disant alliés du Pakistan</a>, comme l’Arabie saoudite et les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/uae-criticised-plans-award-modi-amid-crackdown-kashmir">Émirats Arabes Unis</a>, s’alignent de fait sur le point de vue américain, refusant d’internationaliser le conflit, ou de critiquer la décision indienne.</p>
<p>Le Pakistan est-il alors complètement isolé ? Imran Khan semble le craindre et multiple les alertes. Il a récemment déclaré redouter une <a href="https://www.news18.com/news/india/false-flag-operation-to-divert-attention-from-kashmir-imran-khan-on-afghanistan-terrorists-entering-valley-2281761.html">opération sous fausse bannière</a> de la part de New Delhi, afin de légitimer ensuite une action militaire.</p>
<p>Cette déclaration préventive était prévisible de la part d’un leader qui pourrait être accusé par l’Inde, à l’avenir, de toute action rebelle ou terroriste dans le Cachemire indien. Il s’agit aussi d’une crainte partagée par les élites dirigeantes pakistanaises. Ainsi <a href="https://laalpatti.com/sherry-rehman-teaching-imran-khan/">Sherry Rehman</a>, sénatrice appartenant au parti d’opposition PPP (Parti du Peuple pakistanais), <a href="https://www.newsweekpakistan.com/the-kashmir-red-alert/">rappelle</a> qu’il y a eu des actions militaires indiennes sur la Ligne de contrôle qui divise le Cachemire depuis 2016 ; et surtout, elle exprime bien un sentiment général au Pakistan : celui d’être face à une Inde belliciste, qui recherche le conflit par tous les moyens.</p>
<h2>Demain, une nouvelle guerre indo-pakistanaise ?</h2>
<p>Vue d’Islamabad, l’idée d’une Inde agressive fait sens. L’abrogation des deux articles de la constitution indienne assurant l’autonomie du Cachemire indien et empêchant des étrangers au territoire d’acheter des terres sur place est vue comme une première étape dans l’opposition aux positions du Pakistan.</p>
<p>Il s’agit, en fait d’une double attaque : une <a href="https://nationalinterest.org/print/feature/lets-not-turn-kashmir-another-gaza-74676">guerre juridique</a> contre les prétentions d’Islamabad sur le Cachemire administré par l’Inde, et la porte ouverte à une <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2019/08/05/indias-settler-colonial-project-kashmir-takes-disturbing-turn/">colonisation</a> visant à changer la démographie du territoire.</p>
<p>Mais du côté pakistanais, on considère que la droite dure indienne n’a pas pour seul but de changer le statu quo dans le Cachemire indien : elle souhaite aussi la conquête de territoires administrés par le Pakistan.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=737&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=737&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=737&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=926&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=926&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=926&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">En vert les territoires pakistanais, en marron les territoires contestés. Questions internationales n°50 – juillet-août 2011, DILA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FNSP, Sciences Po</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut se rappeler que pour les <a href="https://www.sify.com/news/entire-kashmir-is-ours-including-gilgit-baltistan-rss-chief-mohan-bhagwat-news-national-qklkLPdcijced.html">nationalistes hindous</a>, tout comme pour l’État indien, le Cachemire pakistanais, et le <a href="https://www.mea.gov.in/press-releases.htm?dtl/29923">Gilgit-Baltistan</a> (au nord du Pakistan, partageant une frontière avec l’Afghanistan, la Chine et l’Inde) sont des territoires occupés qui lui reviennent de droit.</p>
<p>Le 18 août dernier, le ministre de la défense <a href="https://www.livemint.com/news/india/talks-with-pakistan-only-on-pakistan-occupied-kashmir-rajnath-singh-1566112900780.html">Rajnath Singh</a> a d’ailleurs affirmé que s’il devait y avoir un dialogue entre New Delhi et Islamabad à l’avenir, ce serait à propos du Cachemire pakistanais uniquement. On remarquera que ce discours a eu lieu deux jours après que ce même ministre a fait savoir que l’Inde pourrait abandonner la <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-inde-pourrait-reviser-sa-doctrine-de-non-recours-en-premier-de-l-arme-nucleaire-20190816">doctrine de non-recours en premier à l’arme nucléaire</a>.</p>
<h2>« La guerre n’est pas une solution »</h2>
<p>Bien sûr, face à une telle situation, Islamabad ne conçoit pas qu’un dialogue bilatéral soit la meilleure solution pour apaiser les tensions entre les deux pays. Pourtant, cela a été la position de la majorité des quinze nations du conseil de sécurité de l’ONU lors d’une récente <a href="https://www.business-standard.com/article/pti-stories/pak-s-efforts-to-internationalise-kashmir-snubbed-as-unsc-consultations-end-without-outcome-119081700370_1.html">réunion à huis clos</a>.</p>
<p>Le ministre des Affaires étrangères pakistanais, Shah Mahmood Qureshi, a été clair sur le fait que pour Islamabad, <a href="https://www.aljazeera.com/programmes/talktojazeera/2019/08/kashmir-tensions-war-solution-190820084706047.html">« la guerre n’est pas une solution »</a>. Cependant, face au désaveu du Conseil de Sécurité et à l’abandon de la population cachemirie à son sort, on imagine mal les autorités pakistanaises faire de l’opposition aux séparatistes et djihadistes cachemiris une priorité. Ce qui risque d’alimenter un peu plus encore les tensions entre les deux pays.</p>
<p>Pour ces acteurs non-étatiques, la politique indienne au Cachemire est une « divine surprise », leur assurant le recrutement d’une jeunesse <a href="https://nationalinterest.org/feature/pakistan-prepares-fight-india-kashmir-72186">radicalisée par les événements</a>. Preuve de cette radicalisation, la nouvelle génération des militants cachemiris semble préférer les <a href="https://www.dailyo.in/politics/militancy-in-kashmir-isis-in-kashmir-hizb-ul-mujahideen-ansar-ghazwat-ul-hind/story/1/31724.html">mouvements djihadistes transnationaux</a>, à ceux qui sont traditionnellement associés au Pakistan.</p>
<p>Ces militants n’auront donc aucun scrupule à nourrir les tensions entre New Delhi et Islamabad.</p>
<h2>L’Afghanistan, dommage collatéral ?</h2>
<p>Vue d’Afghanistan, la crise au Cachemire pourrait mettre en danger les pourparlers de paix qui ont lieu entre Américains et talibans, et, plus largement, la possibilité d’une stabilisation du pays.</p>
<p>La situation géopolitique en Asie du Sud est relativement simple à comprendre : si Kaboul soutient l’Inde, le Pakistan se retrouve pris en étau ; si au contraire les Afghans se rallient à Islamabad, ou restent neutres, la seule réelle confrontation se fera à la frontière indo-pakistanaise.</p>
<p>La paix en Afghanistan, actuel sujet de négociation avec les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-peut-on-faire-la-paix-avec-les-talibans-116323">États-Unis</a>, sera donc d’autant plus solide si elle prend en compte les inquiétudes de son voisin pakistanais. La paix entre Afghans passera bien par une détente entre Kaboul et Islamabad, permettant d’apaiser des relations <a href="https://www.huffpost.com/entry/afghanistan-and-pakistan_b_8590918">historiques</a> difficiles entre les deux pays.</p>
<p>Or cette possibilité de détente et de paix est peut-être compromise par les tensions actuelles autour du Cachemire. En effet, dans ce cadre, Inde et Pakistan risquent de donner la priorité à leur désir d’étendre leur influence en <a href="https://jia.sipa.columbia.edu/india-pakistan-rivalry-afghanistan">Afghanistan</a>. Jeu à somme nulle où Kaboul deviendra surtout un enjeu dans une compétition plus large.</p>
<h2>Un processus de paix afghan en danger ?</h2>
<p>Actuellement, pour des raisons sécuritaires mais aussi <a href="https://nationalinterest.org/blog/middle-east-watch/what-pakistan-will-gain-peace-afghanistan-43922">commerciales</a>, le Pakistan a besoin de la paix à sa frontière nord et au sein de l’État afghan. Si l’instabilité en Afghanistan demeure, elle essaimera vers Islamabad. Mais avec les évolutions récentes au Cachemire, maintenant, pour les Pakistanais, le danger immédiat vient du sud.</p>
<p>Dans ce contexte, on peut imaginer que les <a href="https://lobelog.com/how-will-kashmir-affect-the-afghan-peace-process/">60 000</a> soldats ajoutés en août 2018 à la frontière afghano-pakistanaise par Islamabad, pour empêcher l’utilisation du territoire pakistanais comme un refuge par les talibans, soient <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/12/world/asia/pakistan-afghanistan-taliban-kashmir.html">transférés</a> à la frontière indo-pakistanaise.</p>
<p>Un affaiblissement du contrôle militaire de la frontière serait une aubaine pour les rebelles, leur permettant de renforcer leur pression militaire en Afghanistan, et leur faisant croire que le dialogue pour la paix n’est vraiment rien d’autre qu’une <a href="https://asialyst.com/fr/2019/06/07/afghanistan-processus-paix-risque-echec-1-responsabiilite-talibans/">capitulation négociée</a>.</p>
<p>Le ministre des Affaires étrangères pakistanais a certes <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/pakistan-shah-mehmood-qureshi-india-kartarpur-corridor-afghanistan-1590943-2019-08-23">rappelé</a> que les relations bilatérales avec l’Afghanistan ne seraient pas affectées négativement par la situation cachemirie. Et les talibans eux-mêmes ont <a href="https://www.nationalheraldindia.com/international/talibans-changed-stand-towards-jammu-and-kashmir-is-an-opportunity-for-india">affirmé</a> qu’ils refusaient de voir leur pays souffrir de la montée des tensions entre Indiens et Pakistanais.</p>
<p>La géopolitique et la présence de forces belliqueuses non-étatiques risquent cependant de s’imposer à tous et ce, quel que soit le discours diplomatique.</p>
<p>Le Cachemire est bien le cœur géopolitique de l’Asie du Sud : quand il souffre, l’ensemble de la région est malade. Penser que le cadre bilatéral sera suffisant pour empêcher le pourrissement de la crise est un leurre. Le risque de cette approche, soutenue par les Américains mais aussi par la <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/kashmir-a-bilateral-issue-france-to-pakistan/articleshow/70779964.cms">diplomatie française</a>, c’est une montée des tensions sur le plus long terme en Asie du Sud, menaçant la paix dans toute la région, d’Amritsar à Kaboul.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise au Cachemire pourrait porter lourdement atteinte à la sécurité du sous-continent asiatique.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1162072019-05-01T23:09:13Z2019-05-01T23:09:13ZÀ Ayodhya, les tensions entre hindous et musulmans au cœur des élections indiennes<p>La ville indienne d’Ayodhya, dans l’État de l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde, a reçu le 1<sup>er</sup> mai la visite du premier ministre Narendra Modi, <a href="https://www.business-standard.com/article/elections/lok-sabha-election-2019-pm-modi-to-address-rally-in-ayodhya-on-may-1-119042600680_1.html">candidat à sa propre réélection</a> sous les couleurs de son parti, le Bharata Janatya Party (BJP, au pouvoir depuis 2014).</p>
<p>Cette visite est lourde de symbolique : le premier ministre compte sur ce haut lieu de l’hindouisme pour galvaniser son électorat.</p>
<p>Un nombre important de dévots hindous et soutiens du BJP <a href="https://www.foreignbrief.com/daily-news/indian-hindu-demands-over-ayodhya-temple-construction-raise-tensions-ahead-of-elections/">ont en effet réitéré leur demande</a> – dès le début de la course électorale – de la construction d’un temple dédié au dieu Ram sur un site spécifique.</p>
<p>C’est ce dernier qui attire l’attention de la communauté internationale depuis des années et <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pour-comprendre-la-mosquee-dayodhya-vingt-cinq-ans-de-discorde-entre-hindous-et-musulmans">ne cesse de provoquer des tensions entre hindous et musulmans</a>.</p>
<h2>Temple mythique contre mosquée ancienne</h2>
<p>Pendant des siècles le site en question abritait une mosquée, surnommée Babri, du nom du fondateur et premier dirigeant de l’Empire moghol en Inde, <a href="https://data.bnf.fr/fr/11889779/babur/">Zahir ud-Din Muhammad Babar</a>. Il en avait ordonné la construction il y a près de 500 ans. Il fallut deux ans pour en ériger la structure, achevée en 1529, soit un an avant la mort du souverain. Bien que la mosquée soit restée en activité jusqu’au début des années 1990, son existence a fait l’objet de nombreuses controverses.</p>
<p>Ayodhya est en effet une cité-Etat mythique : selon la légende, c’est là que se trouvait le royaume du dieu hindou Rama, qui serait né à l’emplacement exact de la mosquée. Un mythe étant par essence invérifiable, il n’existe aucune source historique attestant de la véracité de ces affirmations.</p>
<p>Toutefois, cela n’a jamais empêché la majorité hindoue de l’Inde moghole, dirigée par une minorité musulmane, de revendiquer cette croyance. Des découvertes archéologiques suggèrent que la mosquée a été érigée sur l’emplacement d’un temple.</p>
<h2>Un conflit vieux de 500 ans</h2>
<p>Pendant la domination moghole, de 1526 à 1857, cette usurpation du lieu de naissance de Rama suscitait déjà la désapprobation. Quand les Britanniques ont pris le pouvoir en Inde, en 1857, certains hindous se sont élevés contre cette occupation du site, qu’ils jugeaient illégale.</p>
<p>L’administration coloniale britannique, au fait des tensions autour d’Ayodhya, en a laissé l’accès partagé aux deux communautés, à l’image du mont du Temple à Jérusalem. Tout en autorisant les croyants musulmans à prier dans la mosquée, elle permettait aussi aux hindous de pratiquer le <em>puja</em>, une forme d’adoration rituelle, à l’extérieur du bâtiment.</p>
<p>Lorsque l’Inde a obtenu son indépendance, en 1947, beaucoup d’hindous radicaux ont exigé que le site soit rendu à leur communauté.</p>
<p>En 1949, deux ans après la partition du pays, des activistes hindous ont pénétré dans la mosquée pour placer des statues de Rama et de son épouse Sita dans la salle de prière principale. Jawaharlal Nehru, alors premier ministre, a réclamé le retrait des statues.</p>
<p>Pendant un temps, les prêtres hindous radicaux de la ville ont continué à effectuer des rites sacrés quotidiens sur le site. Cependant, suite à un procès intenté par des chefs religieux musulmans, la justice est intervenue et les portes de la mosquée ont été scellées, enfermant les statues à l’intérieur.</p>
<h2>Destruction sanglante de la mosquée</h2>
<p>Durant les décennies suivantes, hindous et musulmans ont fait plusieurs tentatives, par voie légale ou initiative populaire, pour se <a href="https://thewire.in/communalism/untold-story-rama-idol-surfaced-inside-babri-masjid">réapproprier la mosquée</a>, dont l’accès leur était désormais interdit.</p>
<p>Mais il a fallu attendre 25 ans pour que l’affaire remobilise la communauté hindoue. En 1984, l’organisation Vishwa Hindu Parishad (« Conseil hindou mondial ») a lancé une campagne nationale destinée à récolter le soutien du public pour sa demande d’accès à la mosquée.</p>
<p>Cette campagne a galvanisé les hindous extrémistes. Le 6 décembre 1992, une foule déchaînée a démoli la mosquée à coups de pioches et de marteaux.</p>
<p>Dans les mois qui ont suivi, une folie meurtrière s’est emparée des deux communautés, faisant plus de 2 000 victimes, en majorité musulmane. Certains observateurs estiment que la destruction de la mosquée de Babri par les hindous radicaux constitue un <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2010-4-page-147.htm">tournant décisif</a> pour les relations entre hindous et musulmans dans l’Inde contemporaine.</p>
<p>L’Inde étant une démocratie, la justice est de nouveau intervenue et le périmètre du site a été bouclé.</p>
<p>Cet événement a donné du grain à moudre au Bharatiya Janata (BJP), parti nationaliste et religieux, qui a dès lors profité de l’événement pour faire de la construction d’un nouveau temple consacré à Rama l’une de <a href="https://in.reuters.com/article/india-election-hindu/bjps-hindu-allies-quietly-put-controversial-ayodhya-temple-plan-on-backburner-idINKCN1RF0VC">ses promesses de campagne</a>.</p>
<p>Près de trente ans plus tard, les nationalistes hindous continuent à réclamer la construction d’un nouveau temple sur le site. Cependant, les musulmans tiennent à rebâtir la mosquée à l’endroit exact où elle se trouvait avant d’être détruite.</p>
<h2>Tentative de médiation</h2>
<p>Le site a fait l’objet de plusieurs batailles juridiques. Pour les instances concernées, ce litige a toujours été teinté de mysticisme et de controverse. En 2011, compte tenu de la nature historique et légendaire des revendications des uns et des autres, le tribunal d’Allahabad, la plus haute cour de justice de la province, a décidé que le terrain litigieux serait divisé entre hindous, musulmans et une faction hindouiste établie à proximité.</p>
<p>Néanmoins, les principaux plaignants hindous et musulmans ont contesté le verdict et porté l’affaire devant la Cour suprême indienne, qui a été chargée de trouver une solution définitive au problème.</p>
<p>En mars 2019, la Cour suprême a nommé un comité de trois membres censés jouer le <a href="http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190308-inde-cour-supreme-nomination-mediateurs-dispute-ayodhya">rôle de médiateurs</a> : un juge musulman de la Cour suprême à la retraite, un avocat chevronné et un gourou hindou, suivi par de nombreux disciples. Cette méthode, certes peu orthodoxe, prouve que les représentants de la loi ont tout à fait conscience des enjeux affectifs du conflit.</p>
<p>L’objectif des médiateurs est d’apaiser les émotions et d’aboutir à un compromis afin de panser les blessures du passé. On attend d’eux qu’ils disent à qui doit revenir ce terrain d’un peu plus d’un hectare, avant les prochaines élections fédérales, fin mai.</p>
<p>Le parti radical hindou Shiv Sena, dont les militants sont connus pour leur goût de la provocation, n’est guère convaincu de l’utilité d’un processus de médiation. Pour sortir de l’impasse, il suggère que le gouvernement central « commence à faire construire le temple de Rama ».</p>
<p>En dépit de la médiation en cours, le litige d’Ayodhya n’a été que peu évoqué durant la campagne électorale. Pourtant, il serait faux de dire que le BJP du premier ministre Narendra Modi se désintéresse du problème.</p>
<p>Ayodhya reste le cheval de bataille des hindous radicaux. Dans son <em>Sankalp Patra</em> (programme électoral), le BJP se déclare résolu à « explorer toutes les possibilités relatives à la construction du temple de Rama à l’emplacement revendiqué ».</p>
<h2>Entre le marteau et l’enclume</h2>
<p>Le Ramjahmabhoomi, le site de la mosquée détruite, est un lieu imprégné d’émotions. Beaucoup d’hindous ne veulent pas y renoncer, car cela signifierait décevoir leur dieu-roi, Rama. Majoritaires, ils ont le sentiment que cet emplacement leur revient de droit.</p>
<p>Aux yeux de nombreux musulmans modérés, la sécurité de leur communauté en Inde est étroitement liée à ce litige chargé d’idéologie religieuse, et certains sont en faveur d’un règlement à l’amiable.</p>
<p>Toutefois, selon <a href="https://www.ndtv.com/india-news/early-resolution-of-ayodhya-will-benefit-country-minorities-commission-chief-syed-ghayorul-hasan-riz-1975808">Syed Ghayorul Hasan Rizvi</a>, le président de la commission nationale pour les minorités, « si la communauté musulmane est prête à renoncer à ses revendications sur la mosquée de Babri, ses chefs politiques ne le sont pas ».</p>
<p>Pour ces tenants de la ligne dure, renoncer volontairement à l’emplacement convoité risquerait d’être interprété comme un signe de soumission face à l’hégémonie de la majorité hindoue.</p>
<p>Frustré par l’absence d’avancée sur la question, le président de la Cour suprême a récemment lancé aux requérants d’un procès lié à l’affaire : « Vous ne laisserez jamais ce pays en paix. […] Il faut toujours que quelqu’un jette de l’huile sur le feu. »</p>
<p>Au lendemain des élections de mai, ce problème insoluble pourrait bien se transformer à nouveau en poudrière.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amalendu Misra a reçu des financements de la British Academy et de la Nuffield Foundation.</span></em></p>Le site d’Ayodhya revendiqué comme sacré et disputé à la fois par les hindous et les musulmans attise d’autant plus les tensions durant les élections.Amalendu Misra, Senior Lecturer, Department: Politics, Philosophy and Religion, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1133882019-03-29T00:52:17Z2019-03-29T00:52:17ZLe Cachemire, cet involontaire allié de Narendra Modi<p>À l’approche des élections législatives générales qui se tiendront entre le 11 avril et le 19 mai, l’Inde est en train de se couvrir de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/0600874549423-en-inde-le-vote-pour-les-legislatives-setalera-sur-six-semaines-2251248.php">bureaux de vote mobiles</a> destinés à accueillir les quelque 900 millions d’électrices et d’électeurs.</p>
<p>Ce suffrage, dont les résultats seront connus le 23 mai, devrait voir reconduire le premier ministre Narendra Modi et son parti le Bharatiya Janata Party (BJP) sortant à la tête du pays. Toutefois, ce dernier risque de perdre la majorité absolue dont il jouissait depuis 2014. En cause : les <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/inde-mediocre-bilan-de-narendra-modi/00087609">résultats économiques médiocres</a>, la détérioration du climat social, ainsi qu’une pratique de plus en plus personnelle et autoritaire du pouvoir. Il ressort donc de ce bilan une image de l’Inde fort différente de celle promise par le candidat Modi il y a cinq ans.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-paysans-indiens-pourront-ils-faire-flechir-le-gouvernement-modi-109791">Les paysans indiens pourront-ils faire fléchir le gouvernement Modi ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans ce contexte, le gouvernement compte resserrer son électorat de base, c’est-à-dire une frange nationaliste hindoue très dure. Et à cet égard, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/12/dangereuse-escalade-militaire-entre-l-inde-et-le-pakistan_5434949_3232.html">récentes tensions</a> avec le Pakistan ont été une aubaine électorale.</p>
<p>Elles ont ainsi pu donner à Narendra Modi l’image d’un dirigeant inflexible vis-à-vis du Pakistan, l’ennemi de toujours, a fortiori selon la conception nationaliste hindoue. Mais elles ont aussi permis d’apposer une main de fer sur la société cachemirie indienne. En effet, si l’intense médiatisation des tensions indo-pakistanaises a fait la part belle aux premiers ministres indien et pakistanais, elle a été beaucoup moins disert sur le territoire même sur lequel portent ces tensions : le Cachemire.</p>
<p>Cette zone, divisée entre l’Inde, le Pakistan et la Chine est délimitée par des frontières stabilisées, mais non-reconnues par ces trois acteurs. Elle fait aussi l’objet d’un conflit originel entre Inde et Pakistan, hostiles l’un envers l’autre depuis leur création suite à la <a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/inde-pakistan/partition1947-1948.shtml">partition de l’Empire britannique en 1947</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KOCE2a_KftI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Localisation des zones de tensions entre l’Inde et le Pakistan : l’état du Cachemire (AFP, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un attentat opportun ?</h2>
<p>Dans ce contexte, la gestion de l’<a href="https://www.letemps.ch/monde/trentesept-paramilitaires-indiens-tues-un-attentat-cachemire-indien">attaque-suicide</a> survenue le 14 février 2019 à Pulwama, dans l’État du Jammu-et-Cachemire (JC) pourrait se révéler être une aubaine électorale pour le gouvernement sortant.</p>
<p>Pour rappeler très brièvement les faits, une attaque-suicide a tué 41 policiers indiens alors qu’ils allaient prendre leur poste à Srinagar, principale ville du Cachemire située à 40 kilomètres du lieu de l’attaque. L’acte a été revendiqué dans une vidéo par un Cachemiri d’une vingtaine d’années, qui déclare avoir prêté allégeance à Jaish-e-Mohammed (JeM), groupe islamiste armé fondé sous l’impulsion de l’appareil militaire pakistanais.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Revendications au cachemire (Ceriscope Frontières, 2011).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/media/Revendications_au_Cachemire/450/">FNSP, Sciences Po, Atelier de cartographie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Très vite, c’est l’escalade. Tandis que les médias s’interrogent sur les risques d’un conflit ouvert entre l’Inde et le Pakistan, <a href="https://theconversation.com/nuclear-war-between-india-and-pakistan-an-expert-assesses-the-risk-112892">imaginant même les conséquences d’attaques nucléaires</a>, New Delhi lance une attaque aérienne. Un camp d’entraînement supposé de JeM est bombardé à Balakot, à 180 kilomètres d’Islamabad, la capitale pakistanaise. La réponse est rapide : un jet indien est abattu et son pilote capturé par les autorités pakistanaises.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.euronews.com/2019/03/01/indian-pilot-is-gamechanger-for-both-sides-as-pakistan-about-to-release-him">geste présenté comme un apaisement à l’adresse de New Delhi et trois jours de tensions surmédiatisées</a>, le Pakistan remet à l’Inde son pilote.</p>
<p>Cette sortie de crise permet à Islamabad comme à New Delhi d’apparaître comme le « vainqueur » de cet affrontement vis-à-vis de leur société nationale respective.</p>
<h2>Un discours va-t-en-guerre</h2>
<p>Entre-temps, les discours va-t-en-guerre de Narendra Modi et de son parti ont entraîné, par ricochet, des conséquences importantes.</p>
<p>Avec un œil sur les élections approchantes, le gouvernement Modi est parvenu à museler l’opposition, aidé en cela par le consensus des <a href="https://thediplomat.com/2019/03/a-war-of-words-conflicting-media-narratives-between-india-and-pakistan/">médias grand public</a> louant les représailles et le discours belliqueux de New Delhi.</p>
<p>Ainsi, l’opposition n’a pas été en mesure de questionner la fiabilité des services secrets ayant permis la survenue de cette attaque, la troisième sur une base de l’armée indienne depuis 2014, ni d’interroger sur l’escalade militaire menée par le gouvernement Modi. Pourtant celle-ci rompt avec les pratiques des gouvernements passés, quelle que soit leur couleur politique, où le versant diplomatique n’était pas éclipsé.</p>
<p>Chaque voix contraire a été systématiquement disqualifiée en étant ravalée au rang d’« anti-nationale ».</p>
<p>Outre le champ politique, des groupes de « citoyens » se sont formés sur les réseaux sociaux pour <a href="https://scroll.in/article/913666/clean-the-nation-inside-the-facebook-group-plotting-to-get-anti-nationals-sacked-and-prosecuted">« nettoyer »</a> les posts, messages et autres critiques du gouvernement émanant de concitoyens, allant jusqu’à les menacer physiquement.</p>
<p>Par ailleurs d’autres « patriotes » et autres partisans de la droite dure hindoue nationaliste ont attaqué physiquement des Cachemiris vivant en dehors de la vallée, notamment dans le nord du pays. Ils considèrent ces derniers, musulmans, comme des « traîtres » et des « terroristes ».</p>
<p>Ce à quoi le gouvernement a répondu dans le silence, se contentant de condamner, aussi timidement que tardivement, les agressions.</p>
<h2>Au Cachemire, la violence justifiée</h2>
<p>Précisons tout d’abord que peu d’informations sont accessibles concernant la situation au Cachemire pakistanais (Azad Jammu-et-Cachemire et Gilgit-Baltistan). En contradiction avec le discours d’Islamabad se présentant comme le défenseur des Cachemiris, la zone est encore plus fermée aux observateurs que son versant indien, mais les atteintes aux droits humains tout aussi nombreuses.</p>
<p>Il n’est cependant pas possible d’analyser précisément les conséquences locales des tensions, en l’<a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23198%20">absence de données</a>.</p>
<p>Côté indien, l’attaque du 14 février a été une opportunité politique afin de poursuivre l’assimilation pleine et entière du Jammu-et-Cachemire à l’Union indienne, tel que le souhaite le BJP, et en <a href="https://global.oup.com/academic/product/article-370-a-constitutional-history-of-jammu-and-kashmir-oip-9780199455263?cc=fr&lang=en&">rupture avec les dispositions constitutionnelles de 1953</a> reconnaissant une relative autonomie politique et une singularité identitaire au JC.</p>
<p>En effet, depuis son accession au pouvoir en 2014, le gouvernement Modi met en œuvre la <a href="https://frontline.thehindu.com/the-nation/the-doval-doctrine/article7800194.ece">« doctrine Doval »</a>, du nom d’Ajit Doval, conseiller à la sécurité nationale et très proche du premier ministre.</p>
<p>Cette stratégie pousse encore plus loin la grille de lecture sécuritaire mise en œuvre par New Delhi dans la vallée depuis 30 ans. Elle consiste à ne pas tenir compte des enjeux politiques soulevés par les groupes armés insurgés (dont le JeM) depuis les années 1990 afin de contester les modalités de gouvernement du pouvoir. Ces derniers demandent par exemple la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2012-v53-n2-cd0121/1009446ar/">tenue du référendum d’autodétermination de 1948</a>, bien que celui-ci ne prévoit que deux options de rattachement : à l’Inde ou au Pakistan.</p>
<p>Pour nombre de contestataires, le recours à cette voie armée est la conséquence du <a href="https://www.youthkiawaaz.com/2014/09/1987-elections-shook-faith-kashmiri-people-indian-democracy/">trucage des élections de 1987</a>, durant lesquelles New Delhi redoutait un score élevé pour les partis autonomistes. Soulignant le caractère relationnel de l’entrée en violence, beaucoup des candidats de 1987 ont effectivement pris le maquis suite à ces développements.</p>
<h2>Pas de distinction entre manifestants et terroristes</h2>
<p>Pour lutter contre ces groupes, le gouvernement central a mis en place l’<a href="https://indianexpress.com/article/explained/explained-afspa-disturbed-areas-debate-in-jk/">Armed Forces (Special Powers) Act</a> (AFSPA) en 1990, un régime militaire spécial qui autorise l’arrestation ainsi que la détention arbitraire des individus jugés « dangereux pour l’ordre public ». Ce régime a ainsi transformé la <a href="https://www.forbes.com/sites/ranisingh/2016/07/12/kashmir-in-the-worlds-most-militarized-zone-violence-after-years-of-comparative-calm/#52d7a2ed3124">vallée en l’une des zones les plus militarisées au monde</a>.</p>
<p>Selon le rapport conjoint de l’Association of Parents of Disappeared Person (APDP) et de l’International Peoples’ Tribunal on Human Rights and Justice (IPTHRJ), les forces armées et policières déployées dans la vallée se seraient ainsi rendues coupables de la disparition de <a href="http://www.jkccs.net/wp-content/uploads/2015/09/Untitled_1.pdf">8 000 personnes et de la mort de 70 000 autres</a>.</p>
<p>Sur le plan politique, le gouvernement central ne dialogue guère avec les leaders autonomistes et privilégie les seuls partis acceptant le pouvoir de New Delhi sans le contester. De plus, en dépit de ses innombrables victimes civiles et des abus commis en son nom par les soldats indiens, la vocation officielle de l’AFSPA est de défaire les combattants armés.</p>
<p>Mais, depuis 2014, la doctrine Doval fait monter la répression d’un cran. Désormais, tout manifestant, qu’il ait recouru à la violence ou non, est ravalé au rang de <a href="http://www.newindianexpress.com/nation/2018/oct/27/stone-pelters-are-terrorists-general-bipin-rawat-1890744.html">terroriste</a> payé par des agences pakistanaises. La réalité politique des demandes de la population est donc disqualifiée, tandis que les opposants deviennent des « ennemis de la Nation ».</p>
<h2>En 2016, plus de 17 000 blessés</h2>
<p>Cette doctrine s’est notamment exercée contre les manifestants de 2016. Suite à un couvre-feu empêchant la population de se rendre aux funérailles d’un combattant très populaire, les Cachemiris sont massivement descendus dans la rue, dont beaucoup de primo-manifestants au sein des femmes et des classes supérieures. Or la répression de ces manifestations, initialement non-violentes, a entraîné la mort de 90 personnes, hommes, femmes et enfants, tandis que 17 000 ont été blessés (principalement par énucléation) et <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/nov/08/india-crackdown-in-kashmir-is-this-worlds-first-mass-blinding">5 000 arrêtés</a>.</p>
<p>Cette stratégie sécuritaire montre ses limites et n’entame en rien les volontés d’engagement de la jeunesse dans la violence armée. Le kamikaze du 14 février avait en effet rejoint le JeM en 2017, suite à la répression de 2016. En dépit de la réalité du terrain, le gouvernement maintient pourtant ce cap et le renforce même depuis Pulwama en instrumentalisant l’idée d’une menace sur l’intégrité nationale. Au nom de celle-ci, la répression s’est de nouveau abattue sur les Cachemiris.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-cachemire-une-jeunesse-brisee-en-quete-davenir-s-92910">Au Cachemire, une jeunesse brisée en quête d’avenir(s)</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Faire rentrer le Cachemire dans le rang</h2>
<p>Depuis le 14 février, des arrestations massives ont été conduites parmi les séparatistes, ainsi que la perquisition de leur domicile afin de trouver d’éventuelles preuves de leur implication dans cette attaque.</p>
<p>Si cette pratique est fréquente, elle a cette fois concernée un très grand nombre de militants, au-delà des figures de proue habituellement emprisonnées ou assignées à résidence. Ces hommes se sont aussi vus retirer la protection policière dont ils jouissaient de la part du gouvernement central depuis la vague d’assassinats des années 1990.</p>
<p>Dernier développement en date du 22 mars, le Jammu-and-Kashmir Liberation Front (JKLF), l’une des principales organisations séparatistes <a href="https://thewire.in/security/kashmir-jklf-ban-yasin-malik">a été interdite</a> par les autorités au motif qu’elle ferait peser des menaces sur la sécurité du Cachemire indien. Pourtant le JKLF a renoncé à la violence depuis 1994.</p>
<p>Toutes ces mesures ont eu pour résultat d’encourager <a href="https://thewire.in/politics/kashmir-ulb-elections-2018-turnout">soit le désengagement des citoyens pour la voie politique traditionnelle</a> soit l’engagement violent, voire, armé.</p>
<h2>Blocus social</h2>
<p>Par ailleurs, blocage des réseaux Internet et téléphonique mobiles et couvre-feu viennent ponctuer le quotidien des habitants afin d’empêcher la communication au sein et à l’extérieur de la vallée, un mode de vie auquel se sont habitués les Cachemiris depuis des générations.</p>
<p>Ils ont cependant dû accuser un énième coup dur : le 28 février 2019, la Jamaat-e-Islami Jammu-and-Kashmir (JIJK), organisation caritative socio-religieuse fondée en 1952, a été interdite. 250 de ses membres ont été arrêtés.</p>
<p>La finalité est à la fois politique et socio-économique. D’une part, beaucoup de membres de la JIJK sont favorables au séparatisme. D’autre part, la JIJK menait de nombreuses actions sociales. L’organisation était peu à peu devenue un rouage crucial de la société cachemirie car elle palliait les manquements de la puissance publique à l’égard des catégories de populations les plus vulnérables (sur les plans éducatif et sanitaire notamment).</p>
<h2>Un état abandonné</h2>
<p>Supprimer cette organisation contraint donc les Cachemiris à abandonner le recours à des organisations privées pour ne dépendre plus que des subsides de New Delhi. Or accroître la dépendance économique de la zone peut réduire la capacité de contestation de ses habitants.</p>
<p>Enfin, sur le plan institutionnel, le gouvernement Modi veut profiter de l’absence de gouvernement élu (suite à sa démission en août 2018), pour essayer de faire adopter des réformes légales qui amoindriraient l’autonomie du JC telle que reconnue par la Constitution.</p>
<p>Cette ligne nationaliste hindoue dure tranche considérablement avec le précédent gouvernement BJP (1999-2004) qui lui avait cherché à renouer un certain dialogue en <a href="https://www.nytimes.com/2008/10/22/world/asia/22kashmir.html">rouvrant ainsi une ligne de bus</a> reliant les deux Cachemires.</p>
<h2>Le vote interdit</h2>
<p>L’attaque de Pulwama illustre finalement une dynamique ultra-sécuritaire contre-productive, profondément ancrée au Cachemire. Depuis la répression de 2016, le nombre de Cachemiris prenant le maquis a bondi, passant de 63 en 2014 à 128 en 2017. Le rejet de l’État indien, personnifé par ses forces de l’ordre, touche de nouvelles catégories de Cachemiris et, à ce titre, semble de plus en plus massif.</p>
<p>Par ailleurs, la Commission électorale a déjà annoncé que les élections locales au Cachemire, censées se tenir en même temps que les élections générales, n’auront pas lieu pour cause de sécurité.</p>
<p>Le droit fondamental d’exprimer son opinion politique, le vote, finalement rare action non-violente reconnue par l’État est ainsi bafoué.</p>
<p>La désescalade entre New Delhi et Islamabad agit donc bien comme un trompe-l’œil lorsqu’elle est mise en regard face à la cristallisation des tensions locales entre les Cachemiris et l’État indien tel qu’il est incarné aujourd’hui par le gouvernement Modi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Thomas est membre du collectif et réseau de chercheurs indépendants et analystes politiques NORIA RESEARCH (<a href="https://www.noria-research.com/fr/accueil/">https://www.noria-research.com/fr/accueil/</a>), elle assure la direction du programme Asie du Sud. </span></em></p>L’escalade avec le Pakistan a permis à l’Inde de Modi de détourner le regard de la région réellement sous tension : le Cachemire.Charlotte Thomas, Post-doctorante sociologie politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1095462019-01-09T20:57:13Z2019-01-09T20:57:13ZComment la controverse du temple Sabarimala fait le jeu des nationalistes hindous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/252884/original/file-20190108-32151-10j5bje.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C24%2C5447%2C3047&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pèlerins se rendant au temple de Sabarima, au sud de l'Inde où se déroulent actuellement des affrontements liés à l'entrée de femmes dans l'enceinte sacrée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Mathieu Boisvert</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>J’ai visité pour la première fois Sabarimala en janvier 2000. Je voyageais alors dans le sud de l’Inde et rencontrais régulièrement des groupes d’hommes, toutes générations confondues, marchant nus pieds, souvent vêtus de noir et scandant « Swami Ayyapppa saranam ! ».</p>
<p>J’ai donc suivi l’un de ces groupes jusqu’à Sabarimala, le temple principal d’Ayyappa, l’une des divinités les plus vénérées dans cette région située dans la jungle du Kerala à la frontière du Tamil Nadou, au sud de l’Inde.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Situation géographique du temple de Sabarimala.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Google</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le temple n’est ouvert que quelques mois par année, et la saison haute du pèlerinage est en décembre et janvier, culminant le 14 janvier de chaque année. Si les hommes effectuent ce pèlerinage hindou, également effectué par les filles prépubères et les femmes ménopausées, les femmes en état de concevoir en sont en revanche catégoriquement exclues. </p>
<p><a href="https://www.indiatoday.in/india/story/sabarimala-legend-women-lord-ayyappa-1351674-2018-09-28">En effet, selon la légende</a>, afin de vaincre un démon qui menaçait le pays, Vishnu avait pris une apparence féminine, sous la forme de Mohini. En route pour cette confrontation qui rétablirait l’ordre du monde, notre Mohini croisa le dieu Shiva.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Mohini est représentée ici nue, tenant un lotus et un perroquet, symbole de l’érotisme. Les sages la vénèrent, leurs phallus tournés vers elle. Détail en bois sur le site Ayodhyapattinam Sri Rama temple.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mohini#/media/File:Wood_carving_detail2_-_Vishnu_Mohini.jpg">Balaji Srinivasan/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un seul regard de celui-ci posé sur la ravissante Mohini, et celle-ci tomba enceinte. De cette chaste union naquit Ayyappa qui fut, par la suite, élevé par un couple humain : nul autre que le roi et la reine du royaume de Pampa, où se situe présentement Sabarimala. Plusieurs années plus tard, Ayyappa se retira dans la jungle pour se dédier à l’ascétisme et au célibat : l’endroit où il établit résidence devint par la suite le fameux temple de Sabarimala. En raison de son vœu de célibat, aucune femme fertile ne peut visiter le temple, de peur de perturber les chastes pratiques de la divinité.</p>
<h2>Des liens intergénérationnels fortifiés via l’exclusion</h2>
<p>J’avais alors trouvé que cette pratique était, paradoxalement une habile façon de fortifier les liens familiaux intergénérationnels. Les groupes sont souvent constitués de membres d’une même famille et d’amis proches de celle-ci, regroupant généralement des « représentants » de générations différentes, du genre : trois frères et deux de leurs amis, deux oncles et trois de leurs amis, et le grand-père. Une préparation de 40 jours est nécessaire, pendant laquelle se conjuguent abstinence sexuelle, abstinence d’alcool et de tabac et, bien entendu, une pratique religieuse plus assidue.</p>
<p>Puis l’on se met en marche, nus pieds, avec une offrande pour Ayyappa qui ne doit jamais toucher le sol lors du périple… Selon le lieu de départ du pèlerinage la route prend plusieurs jours, voire semaines ! Mais aussi, il est possible de « tricher », et de prendre le bus jusqu’à un certain point, de se joindre au flot impressionnant de pèlerins et de compléter le trajet à pied. Peu importe la méthode choisie, ce voyage entre « famille » constituait à mes yeux un rite de cohésion masculin permettant une <a href="http://www.cerias.uqam.ca/IMG/pdf/cv_boisvert-fr_b_.pdf">transmission intergénérationnelle</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les liens intergénérationnels à l’œuvre dans le respect des traditions : les femmes en âge de procréer n’ont pas le droit de se rendre au temple consacré à Ayappa. Février 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e3/Dolly_service_in_Sabarimala.jpg/2048px-Dolly_service_in_Sabarimala.jpg">Praveenp/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Mythe reconstitué et transgressions</h2>
<p>Les pèlerins se rendant au temple de Sabarimala doivent nécessairement effectuer un périple de plusieurs jours pour se rendre à cet endroit difficilement accessible. À la fin de chaque journée de voyage, ils se posent à un bord de route, y établissent campement, ou bien louent une petite chambre d’hôtel, et partagent cet endroit restreint pour la nuit. Une grande promiscuité est présente.</p>
<p>Comme la pratique du pèlerinage remet en scène bien souvent le <a href="http://www.editionsliber.com/catalogue.php?p=289">mythe qui lui donne sens</a>, pourrait-on se demander ici s’il n’y aurait pas un lien à effectuer entre l’aventure érotique de nos deux divinités mâles (Shiva et Visnu, bien que ce dernier ait temporairement adopté une apparence féminine), et nos pèlerins cheminant vers le temple ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pèlerins faisant halte le soir pour se restaurer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mehrensvard/16114797801">Mehrensvard/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce ne serait pas la première fois qu’un pèlerinage hindou puisse permettre – temporairement et de façon totalement ponctuelle – une <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/les-hijras">relation sexuelle généralement perçue comme illicite</a>.</p>
<p>L’auteur tamoul <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Perumal_Murugan#Controversy_surrounding_Madhorubhagan_(%E2%80%98One_Part_Woman%E2%80%99)">Perumal Murugan</a> présente une situation semblable dans son roman <em>Madhorubhagan (One Part Woman)</em> : une femme mariée dont le mari est stérile se rend seule en pèlerinage au temple de Kailasanathar à Tiruchengode afin d’être « inséminée » par la divinité.</p>
<p>Le temple d’Aravan, au Tamil Nadou, offre également la possibilité, lors de son grand pèlerinage annuel, à certains hommes d’avoir une relation sexuelle rituellement légitimée avec des « transgenres » (<em>thirunangai</em> en tamoul, <em>hijra</em> en hindi).</p>
<p>Certaines pratiques socialement taboues sont donc permises dans un contexte de pèlerinage précis, dans cet espace liminaire, hors du quotidien.</p>
<p>C’est dans ces contextes de frontières et de transgressions entre licite et illicite, monde sanctuarisé et profane qu’il faut situer le mythe d’Ayyappa et l’exclusion des femmes en âge de procréer. Or, l’interprétation du mythe dans ce contexte précis vient directement s’opposer à la Constitution indienne.</p>
<h2>Un rite d’institution</h2>
<p>En septembre 2018, la <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/supreme-court-allows-women-to-enter-sabarimala-temple/articleshow/65989807.cms">Cour Suprême de l’Inde décrète que les femmes</a> ne peuvent être exclues du temple au nom de la Constitution indienne qui reconnaît femmes et hommes comme citoyens égaux.</p>
<p>Cette victoire vient couronner de succès de nombreux groupes féministes et/ou de défense des droits autochtones tel le <a href="http://www.newindianexpress.com/states/kerala/2019/jan/05/more-women-to-trek-police-feel-pressure-1920709.html">Sabarimala Adivasi Rights Restoration Committee</a> qui ont à maintes reprises demandé devant que les femmes puissent avoir accès au temple d’Ayyappa à Sabarimala et ce afin d’y accomplir le <em>darśan</em> – voir et être vue par la divinité –, un <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1982_num_43_1_2159">« rite d’institution »</a> crucial pour les hindous.</p>
<p>Ce rite vient en effet vient marquer la différence entre tous ceux qui pourraient sensiblement l’accomplir un jour, et toutes celles qui ne peuvent et ne pourront jamais l’effectuer ; car ce rite d’institution exclue.</p>
<p>S’opposent ici deux visions difficilement conciliables : l’une, enracinée dans une constitution laïque et l’autre, dans une vision bien précise de la tradition – souvent, <a href="https://journals.openedition.org/enquete/319">elle-même réinventée</a>.</p>
<p>Le rapport de force prend corps lorsque, le 24 décembre, deux femmes tentent de se rendre à Sabarimala. Elles sont rapidement forcées de faire volte-face en raison des vives protestations sur place. Nous sommes présentement en haute saison du pèlerinage à Sabarimala. Le 1<sup>er</sup> janvier, quelques millions de femmes se sont mobilisées et ont créé une chaîne humaine de 640 kilomètres, de Thiruvanthapuram à Kasaragod, presque l’ensemble de la longueur du Kerala, pour protester contre cette interdiction qui pèse toujours sur l’accès des femmes au temple, et ce, malgré le jugement de la Cour suprême. Une mobilisation sans parallèle, pourrait-on dire ; mais également, une réalité qui défie la Constitution du pays.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HqkBqjfVJIQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le mur des femmes, reportage de CNN India, janvier 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le 2 janvier, deux femmes, Bindu et Kenaka Durga, toutes deux d’une quarantaine d’années, ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/03/inde-en-entrant-dans-le-temple-de-sabarimala-deux-femmes-soulevent-une-tempete-politique_5404678_3210.html">pénétré le <em>sanctum sanctorum</em> du temple</a> – par la porte de derrière, précisons-le – accompagnées de policiers pour les protéger.</p>
<p>L’une est professeure d’université en droit et l’autre, employée du gouvernement. Aucun autre détail n’est révélé ; elles craignent pour leur sécurité. Personne ne s’y attendait, car plusieurs milliers de miliciens hindous étaient déjà sur place pour s’assurer qu’aucune femme n’ait accès au temple. <a href="http://www.newindianexpress.com/states/kerala/2019/jan/04/two-womens-entry-it-was-invisible-gorilla-technique-1920247.html">Selon Prashad Amore</a>, un psychologue de Kochi qui accompagnait les deux femmes ayant pénétré le temple le 4 janvier, celles-ci étaient mues par un réel désir de rendre hommage à Ayyappa. Un dispositif spécial a cependant été mis en place par la police pour contourner la vigilance des miliciens. Le psychologue a d’ailleurs qualifié ce dispositif de <a href="http://www.theinvisiblegorilla.com/gorilla_experiment.html"><em>invisible gorilla technique</em></a> : les deux femmes sont arrivées en ambulance, telles deux malades.</p>
<h2>Un prétexte opportun pour l’extrémisme hindou</h2>
<p>Le 3 janvier, le lendemain de l’entrée des deux femmes au temple de Sabarimala, le Kerala était en état d’urgence : des violences sans précédent survenaient dans l’ensemble de l’état. Certaines factions politiques avaient déclaré un <em>hartal</em> (bandh), journée où tout magasin, entreprise doit demeurer fermés. Banques, bureau de poste, taxis ont été immobilisés.</p>
<p>Des manifestations afin d’interdire l’accès au temple aux femmes se sont également déroulées dans l’ensemble du Kerala. Des voitures de police, des autobus ont été incendiés, le système ferroviaire de l’état a été mis à l’arrêt et 5 377 personnes ont été arrêtées pour violences dans la journée même.</p>
<p>De son côté, le comité en charge de la gestion du temple de Sabarimala (Sabarimala Thantri Kandaravu Rajeevaru) a adopté un moyen symbolique – mais d’une efficacité qu’on ne peut sous-estimer – en fermant le temple pour une heure, lors de ce mois le plus achalandé de l’année, afin d’accomplir un rituel pour purifier l’endroit suite à l’entrée des deux femmes.</p>
<p>Le premier ministre du Kerala, Pinarayi Vijayan, représentant la coalition Left Demoncratic Front – constituée majoritairement du Communist Party of India (CPI) et du Communist Party of India, Marxist (CPI-M) – blâme, sur son site Facebook le Bharatiya Janata Party (BJP) et le Rashtryia Swayamsevak Sangh (RSS). Le BJP, « le parti du peuple indien » – lire ici « hindou » –, est présentement le parti au pouvoir en Inde ; le RSS, ou l’« Organisation patriotique nationale » est un <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/artcj1.pdf">regroupement nationaliste hindou</a> paramilitaire et étroitement associé au BJP.</p>
<p>Alors que le premier ministre de l’état affirme qu’il ne fait que mettre en place les mesures nécessaires pour faire respecter la décision de la Cour Suprême, ses opposants, quant à eux, l’accusent de <a href="https://www.ndtv.com/kerala-news/after-womens-entry-to-sabarimala-nair-body-slams-kerala-government-1973413">promouvoir l’athéisme</a> et de miner la pureté des pratiques rituelles – en permettant l’accès au temple aux femmes – sous le couvert d’une certaine « renaissance ».</p>
<p>S’opposent ici deux coalitions politiques, l’une représentant un jugement de Cour Suprême, lui-même basé sur la constitution d’une « république souveraine, socialiste, laïque et démocratique », l’autre, une faction grandissante voulant faire de l’Inde un <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2018/12/12/au-kerala-les-radicaux-hindous-ne-veulent-pas-de-femmes-dans-leur-temple_5396164_4500055.html">pays hindou</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Gestion de la foule près de l’enceinte du temple, 5 décembre 2007.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8a/Sabarimala_pilgrims.jpg">Ragesh Ev/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une controverse nationale</h2>
<p>Le Kerala se retrouve au cœur d’une controverse nationale, ne laissant aucun·e hindou·e indifférent. L’ensemble de l’Inde est à l’affût. Certains laissent entendre que le gouvernement central de Narendra Modi (BJP) <a href="https://bangaloremirror.indiatimes.com/news/india/bjp-demands-presidents-rule-in-kerala/articleshow/67421085.cms">pourrait imposer le « president’s rule »</a>, le « régime du président » <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/President%27s_rule">dispositif constitutionnel</a> permettant à l’état central de suspendre le gouvernement d’un état, afin de rétablir l’ordre – entendre, ici, s’assurer que les femmes ne puissent avoir accès au temple et, ainsi, ramener le calme au Kerala.</p>
<p>Les 8 et 9 janvier, deux autres journées de <em>bandh</em> ont frappé l’ensemble du Kerala. Il me semble cependant douteux que le gouvernement de Narendra Modi use du régime présidentiel pour imposer sa loi au Kerala.</p>
<p>La droite nationaliste hindoue a plutôt intérêt à ce que les tensions montent et que se mobilise d’avantage l’indignation d’une population hindoue en dehors hors des sphères politiques traditionnelles.</p>
<p>Des élections nationales se tiendront en mai prochain. La rhétorique de la droite nationaliste hindoue se fera plus d’autant plus acrimonieuse que de grands festivals religieux hindous dont Sabarimala, (le 14 janvier) mais également la Kumbha Mela – <a href="https://www.tourmyindia.com/kumbhmela/bathing-dates.html">qui débute le 15 janvier à Allahabad</a> - rassembleront des milliers de croyants et offriront au pouvoir en place des moments propices pour propager une indignation bien plus idéologique que religieuse.</p>
<hr>
<p><em>Mathieu Boisvert vient de publier « Les Hijras : portrait socioreligieux d’une communauté transgenre sud-asiatique », Presses de l’Université de Montréal, 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Boisvert effectue un séjour de cinq mois en Inde et se trouve actuellement au Kerala.</span></em></p>Le temple de Sabarimala est au cœur d’une polémique polito-religieuse en Inde depuis que des femmes ont pénétré l’enceinte, dont elles étaient auparavant exclues.Mathieu Boisvert, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1071052018-11-21T20:49:37Z2018-11-21T20:49:37ZAu cœur d’un ghetto musulman dans l’Inde de Narendra Modi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/246436/original/file-20181120-161638-1sp3upq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C2994&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Juhapura, quartier d'Ahmedabad né des violences anti-musulmanes dans l'ouest de l'Inde.</span> <span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le printemps 2014, l’Inde, mosaïque de groupes religieux et troisième pays musulman du monde – soit environ 170 millions de personnes pour un total d’un peu plus de 1,2 milliard d’habitants juste après l’Indonésie et le Pakistan – est dirigée par Narendra Modi, nationaliste hindou « dur », ayant fait ses classes au sein du RSS, <a href="https://books.google.fr/books?id=b8k4rEPvq_8C&pg=PA264&redir_esc=y&hl=fr#v=onepage&q&f=false">groupe nationaliste hindou de droite et paramilitaire</a>. Cet homme politique était auparavant connu comme le ministre en chef à la tête du Gujarat. Cet état du nord-ouest du pays, où vivent environ <a href="http://censusindia.gov.in/">60 millions d’habitants</a>, a été relativement épargné par les émeutes intercommunautaires au cours de la Partition (1947). Mais en 2002, le Gujarat connaît de sanglants pogroms anti-musulmans, c’est-à-dire des attaques dont les victimes ont été, à quelques exceptions près, exclusivement musulmanes.</p>
<p>À travers son ouvrage, <a href="http://www.karthala.com/terres-et-gens-dislam/3259-pogroms-et-guetto-les-musulmans-dans-l-inde-contemporaine-9782811125240.html"><em>Pogroms et ghetto. Les musulmans dans l’Inde contemporaine</em></a> (Karthala, 2018) Charlotte Thomas plonge le lecteur dans Juhapura, quartier d’Ahmedabad né des violences anti-musulmanes. Ce faisant, elle donne chair au nationalisme hindou dont Narendra Modi s’affirme l’ardent défenseur. […]</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246446/original/file-20181120-161624-uigc3s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.karthala.com/terres-et-gens-dislam/3259-pogroms-et-guetto-les-musulmans-dans-l-inde-contemporaine-9782811125240.html">Karthala</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La vie de ghetto […] donne sens aux nombreux actes de lynchages publics régulièrement conduits depuis 2015 par des brigades de nationalistes contre des musulmans accusés de consommer de la viande de bœuf ; attaques meurtrières la plupart du temps, mais accueillies dans le silence assourdissant du premier ministre. Au final, regarder Juhapura, c’est regarder l’Inde de Narendra Modi. Extraits modifiés pour The Conversation avec l’accord de l’autrice.</p>
<hr>
<p>En février 2009, je découvrais pour la première fois cette ville qui allait devenir un peu la mienne, pour y documenter l’action de quelques organisations islamiques. Elles intervenaient auprès des victimes de la plus importante attaque anti-musulmans qu’ait connue la République indienne. <a href="https://www.hrw.org/reports/2002/india/">Sept ans auparavant</a>, 2 000 Gujaratis musulmans avaient été tués et 150 000 autres avaient dû abandonner définitivement leur logement, chassés par les attaquants. Ils étaient ainsi devenus des déplacés internes dans leur pays.</p>
<p>Les violences à l’encontre des musulmans avaient débuté le 27 février et avaient duré près de six mois. Leur intensité a été variable, tant en ce qui concerne la durée que la localisation. Ainsi, les attaques les plus meurtrières se sont déroulées lors des trois premiers jours, soit les 27 et 28 février, ainsi que le 1<sup>er</sup> mars.</p>
<p>Les assauts n’ont épargné aucun territoire du Gujarat, mais certains ont été plus touchés que d’autres. En l’espèce, l’épicentre des violences a été Ahmedabad. Cette ville, qui comptait 4,5 millions d’habitants en 2001, dont plus de 80 % d’hindous et près de <a href="http://censusindia.gov.in">14 % de musulmans</a>, est la plus peuplée du Gujarat, devant la capitale politique, Gandhinagar.</p>
<h2>Pogroms</h2>
<p>En 2002, Ahmedabad a enregistré <a href="http://www.sacw.net/Gujarat2002/sahmatreport032002.html">plus de mille victimes</a>, avec des évènements de violence de très forte intensité tels que les massacres de Gulberg et de Naroda Patya, du nom des deux quartiers résidentiels musulmans où ils ont eu lieu. Concernant les destructions matérielles, le magazine anglophone <em>The Week</em> <a href="https://books.google.fr/books?id=VchMadXy1fkC&pg=PA22&lpg=PA22&dq=Anosh+Malekar,+%C2%AB+Silence+of+the+Lambs+%C2%BB,+The+Week&source=bl&ots=DNYJGDEYle&sig=AaxhWCFdF0GSd8ywE_YUZ1yw8BE&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjVj9n-7-LeAhWqy4UKHas6CrAQ6AEwCHoECAcQAQ#v=onepage&q=Anosh%20Malekar%2C%20%C2%AB%20Silence%20of%20the%20Lambs%20%C2%BB%2C%20The%20Week&f=false">rapporte</a> que 1 679 habitations, 1 965 magasins et 21 entrepôts ont été incendiés, 204 magasins mis à sac et 76 tombeaux démolis à Ahmedabad.</p>
<p>Présentés comme des explosions spontanées de violences, les évènements de 2002 s’inscrivent en réalité dans une trajectoire beaucoup plus longue. En effet, alors qu’il avait été relativement épargné par les massacres entre hindous et musulmans liés à la Partition, à partir des années 1960, le Gujarat devient le « laboratoire de l’hindutva », « l’hindouïté ».</p>
<p>Cette idéologie repose sur la confusion entre hindouïté et indianité. De là découle une conception ethnicisée de la nation indienne selon laquelle seuls les hindous peuvent légitimement être indiens, étant donné leur ethnicité « hindoue » supposément commune. D’après cet imaginaire nationaliste, les hindous sont une communauté, c’est-à-dire un groupe qu’unissent des intérêts communs. Ils partagent une <a href="https://www.puf.com/content/Th%C3%A9ories_de_lethnicit%C3%A9">même ethnicité</a>, ce qui englobe pour eux des caractères raciaux dépassant la stricte pratique religieuse, et l’Inde est leur territoire naturel.</p>
<p><a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100443010">Le nationalisme hindou</a> considère en revanche que les minorités musulmanes et chrétiennes sont adossées à d’autres États. Perçues comme une menace planant sur l’unité de la société hindoue, elles doivent quitter le sol indien, se convertir, ou prêter allégeance aux symboles identitaires hindous en confinant leurs pratiques religieuses à l’espace privé. […]</p>
<h2>Communautarisation</h2>
<p>Cette communautarisation de la société se traduit concrètement par la multi- plication des émeutes opposant hindous et musulmans, et la redistribution de l’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/001946468602300406">espace urbain selon des clivages ethniques</a>. Depuis 1969, ces dynamiques sont particulièrement à l’œuvre à Ahmedabad, où la répétition d’émeutes intercommunautaires d’envergure a conduit les analystes à qualifier la ville de <a href="http://samaj.revues.org/3285">« propice aux émeutes »</a> et d’« endroit en [Inde] le <a href="https://catalogue.nla.gov.au/Record/3035797">plus sensible en termes de violence intercommunautaire</a> ». Ahmedabad est désormais considérée comme une <a href="https://books.google.fr/books?id=ivMAUx6Hdl8C&hl=fr&source=gbs_book_other_versions">« ville divisée »</a> entre hindous et musulmans.</p>
<p>Les violences de 2002 s’inscrivent dans le cadre de ce dispositif de domination, en même temps qu’elles en sont le produit. […] L’étude ethnographique menée de 2009 à 2014 a montré que la principale conséquence de 2002 a été la formation d’un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/modern-asian-studies/article/violence-reconstruction-and-islamic-reformstories-from-the-muslim-ghetto1/95F6D0D7F752BA5C4C34DF98685F8460">véritable ghetto musulman</a> dans la localité de Juhapura située à la périphérie sud d’Ahmedabad. […]</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246444/original/file-20181120-161644-7bnlqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte localisant le quartier de Juhapura dans la ville d’Ahmedabad, la plus peuplée de l’état du Gujarat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas/Atelier de cartographie de Sciences Po-FNSP</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un espace protecteur contre les violences</h2>
<p>Au cœur des violences, Juhapura apparaît déjà comme un espace protecteur. Cette perception amorce ainsi l’évolution en ghetto, même si, en 2002, la localité n’est encore qu’un quartier musulman plutôt pauvre : la population y est homogène, tant sur le plan ethnique que sur le plan économique puisque très peu de castes supérieures y vivent.</p>
<p>Cette homogénéité ethnique est gage de sécurité pour les musulmans : ils s’y réfugient pour échapper aux attaquants. Si Ahmedabad est synonyme d’insécurité, Juhapura, au contraire, implique la sécurité : y demeurer permet d’éviter les lieux perçus comme insécurisants. Commence donc à se mettre en place une nouvelle mise en ordre du monde, dans laquelle les espaces hindous sont à éviter tandis que ceux musulmans sont à rechercher. Qu’ils y habitent ou pas, beaucoup de musulmans se réfugient à Juhapura. Certains qui y vivaient déjà racontent comment ils sont restés « enfermés » dans le quartier. D’autres qui n’y habitaient pas, ou pas encore, sont venus y chercher la sécurité.</p>
<p>Ameer [45 ans, avocat, autre] réside depuis 2007 dans une poche musulmane de la Western City, mais en 2002 il vivait encore à Juhapura. Il revient sur sa propre expérience :</p>
<blockquote>
<p>« À ce moment j’étais à Juhapura, donc j’étais en sécurité ; pendant près d’un mois […] j’ai préféré ne pas sortir du quartier ; j’essayais de contacter mes amis, mais je ne voulais pas aller ailleurs [qu’à Juhapura]. »</p>
</blockquote>
<p>La dimension protectrice offerte par Juhapura est également prégnante dans les propos d’Isar [55 ans, retraité, 1973] :</p>
<blockquote>
<p>« À ce moment-là, nous étions effrayés à l’idée de sortir ; nous sommes restés là, pour protéger nos voisins, notre maison, nous ne pouvions pas bouger. » […]</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246441/original/file-20181120-161627-1m5htrj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Se met en place une nouvelle mise en ordre du monde, dans laquelle les espaces hindous sont à éviter tandis que ceux musulmans sont à rechercher.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Impossibles ailleurs</h2>
<p>La perception d’une impossibilité à s’installer ailleurs est un élément récurrent dans les témoignages des habitants de Juhapura que j’ai recueillis au cours des enquêtes de terrain.</p>
<p>Shahab [60 ans, journaliste, 2007] :</p>
<blockquote>
<p>« En raison de la communautarisation, le fossé s’accroît entre hindous et musulmans ; les musulmans n’ont plus d’autres choix que de vivre dans des zones majoritairement musulmanes. Il y a deux raisons à cela : les musulmans ne sont pas autorisés à acheter dans les zones hindoues – dans les zones chrétiennes, si. Ils ne nous donnent pas de logement ; et si j’insiste et décide de rester malgré tout, alors je mets en danger ma sécurité, ma vie […] À Juhapura, nous nous sentons en sécurité donc il n’y a pas d’autre choix. Si nous avions l’opportunité d’être dans une résidence hindoue, si nous pouvions y acheter des propriétés, construire des mosquées, etc. nous préférerions vivre dans des zones mixtes, pour la compréhension mutuelle et la mixité de la population ; en plus, ça aiderait les musulmans à améliorer leur situation économique, car les hindous sont plus riches que les musulmans ; et avec plus d’espace, on peut accroître les opportunités : pour le business, sur le plan psychologique… La ghettoïsation est là à cause de la peur, c’est une tendance très dangereuse. » […]</p>
</blockquote>
<p>Qu’elle soit perçue ou réelle, la contrainte d’installation aboutit à un fait social : la formation d’un ghetto musulman. En outre, si le degré de contrainte s’est peut-être adouci avec le temps, lors de la formation du ghetto elle répond à un véritable objectif sécuritaire. […]</p>
<h2>Logiques de dominations</h2>
<p>Si Juhapura est un dispositif de domination appliqué à l’ensemble des musulmans d’Ahmedabad, deux développements invitent à déceler la domination à l’intérieur du ghetto. Les logiques de domination ne sont donc pas strictement exogènes à Juhapura, mais sont aussi produites par les habitants eux-mêmes. Tout d’abord, l’importance nouvelle accordée à l’éducation des filles et l’assouplissement timide, mais réel, de la tutelle masculine mettent en exergue la variable de genre. Ces changements soulignent que le genre est une contrainte qui renforce la domination vécue quotidiennement par les habitantes du ghetto. De même, l’attitude des castes supérieures [musulmanes] à l’égard de [leurs coreligionnaires] plus défavorisés reproduit, sur une communauté vivant dans le ghetto, la mise à l’écart sociospatiale dont pâtit l’ensemble de la minorité.</p>
<p>Par ailleurs, un glissement est en train de s’opérer. Juhapura demeure un ghetto, mais les discours de fierté ainsi que les opportunités économiques dont est désormais porteur le ghetto questionnent le degré de contrainte présidant dorénavant à l’installation des habitants. Au regard de ces dispositions renouvelées, s’installer à Juhapura n’est-il pas devenu une ressource ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/246443/original/file-20181120-161609-lr38f6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Nous préférerions vivre dans des zones mixtes, pour la compréhension mutuelle et la mixité de la population » Shahab, journaliste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charlotte Thomas</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le monde de Narendra Modi</h2>
<p>D’un point de vue plus global, l’exploration de l’Inde de Narendra Modi par le prisme de la situation des musulmans de Juhapura soulève des interrogations majeures. La brutalisation qui s’abat sur eux, ainsi que sur les dalits (nom usuel des « intouchables ») et les basses castes, et leur mise à l’écart sociospatiale symbolisée par le ghetto vont-elles être dupliquées à l’échelle nationale ?</p>
<p>Autrement dit, le ghetto de Juhapura est-il un « modèle » de gouvernance que le Premier ministre pourrait être amené à généraliser concernant l’administration des minorités ? La perception d’être des « citoyens de seconde zone » va-t-elle se traduire en politiques publiques concrètes de la part des autorités ?</p>
<p>Ces questions sont de toute première importance, car elles ne concernent pas seulement les musulmans, ou même les minorités religieuses que compte le pays. Au-delà, c’est bien l’idée même de l’Inde séculariste telle qu’elle a été conçue par les pères fondateurs lors de l’Indépendance qui est en jeu. Par ailleurs, quels seront les effets à long terme de cette ethnicisation rampante de la démocratie indienne sur les jeunes générations de musulmans ?</p>
<p>Dans un pays peuplé par plus de 170 millions de musulmans et coincé entre le Bangladesh, d’une part, le Pakistan et l’Afghanistan, d’autre part, la réponse à cette question engage la sécurité nationale, régionale et internationale.</p>
<hr>
<p><em>Charlotte Thomas <a href="http://iismm.ehess.fr/index.php?1856">présentera son ouvrage</a> « Pogroms et ghetto. Les musulmans dans l’Inde contemporaine » à la librairie Karthala le 30 novembre à partir de 18h, en partenariat avec les éditions Karthala & <a href="https://www.noria-research.com/fr/accueil/">Noria – Réseau de chercheurs en affaires internationales</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Thomas dirige le programme Asie du sud du réseau Noria - Réseau de chercheurs. Elle est actuellement Junior Visiting Fellow à l'IWM (Vienne).</span></em></p>Observer un ghetto musulman en Inde aujourd’hui donne sens aux nombreux actes de lynchages publics régulièrement conduits depuis 2015 par des brigades de nationalistes hindous. Bonnes feuilles.Charlotte Thomas, Post-doctorante sociologie politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/948712018-04-26T21:44:07Z2018-04-26T21:44:07ZYoga contre cancer, Internet millénaire : quand l’Inde nationaliste utilise l’histoire des sciences<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216336/original/file-20180425-175074-p5on78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C107%2C2008%2C1214&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Surya namaskar. Le yoga et sa pratique, désormais mondiale, fait régulièrement l'objet de récupération politique pseudo-scientifique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:A_yoga_namaste_Hindu_culture_religion_rites_rituals_sights.jpg">Michael Pravin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Internet aurait-il été en usage en Inde à l’époque décrite dans l’épopée du Mahabharata ? Soit plusieurs millénaires avant J.-C. C’est en tout cas la thèse que <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/Internet-existed-in-the-days-of-mahabharata-tripura-cm-biplab-deb/articleshow/63803490.cms">défend Biplab Deb (Bharatiya Janata Party, BJP, droite nationaliste hindoue)</a> le tout nouveau chef du gouvernement de l’État du Tripura, dans le nord-est de l’Inde.</p>
<p>La sortie de ce politicien, loin de prêter à sourire, remet au cœur du débat l’épineuse question de la politisation des sciences en Inde.</p>
<p>En Europe, l’occasion de réfléchir à ces questions nous a été donnée lors de l’exposition « Illuminating India ! » (l’Inde illuminatrice/Illuminations de l’Inde) qui <a href="https://www.sciencemuseum.org.uk/see-and-do/illuminating-india">a lieu au Musée des Sciences de Londres</a> (jusqu’au 22 avril). L’un des volets est ainsi consacré aux développements scientifiques et technologiques provenant d’Asie du Sud réinterprétées par la plasticienne <a href="http://www.chila-kumari-burman.co.uk/">Chila Kumari Burman</a>.</p>
<p>Que choisir dans la très longue et très riche histoire du sous-continent ? Et comment arbitrer lorsqu’assurément ce choix se prêterait à une interprétation politique ?</p>
<p>En effet, le premier ministre Narendra Modi a inauguré sa prise de fonction, sous l’égide du BJP, en faisant entre autres, des <a href="https://www.firstpost.com/india/forget-modern-research-prof-claims-hindu-epics-need-understand-ancient-world-2016451.html">déclarations tonitruantes</a> concernant les sciences indiennes, leur histoire et leur avenir. Il déclarait ainsi en 2014 que l’Inde ancienne pratiquait déjà la <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/oct/28/indian-prime-minister-genetic-science-existed-ancient-times.html">chirurgie esthétique de haut niveau</a> comme en témoignerait le corps du dieu Ganesha, à tête d’éléphant.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216330/original/file-20180425-175069-5kuy23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vente de statuettes de Ganesh. Selon le mythe, Ganesh, fils du couple divin Parvati et Shiva aurait été malencontreusement décapité par son père qui remplaça sa tête avec le premier animal venu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/45/Ganpati_Festival.jpg/1024px-Ganpati_Festival.jpg">Miteshbhodia/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un illustre passé scientifique</h2>
<p>Ces affirmations intervenaient juste après le congrès scientifique annuel – <a href="http://www.sciencecongress.nic.in/">instauré dès 1914</a> – qui a pour objectif de présenter les derniers développements scientifiques du pays.</p>
<p>En 2015, le congrès inaugurait ainsi une toute nouvelle section dévolue « aux sciences anciennes connues au moyen du Sanskrit », objet de toutes les attentions officielles et de toutes les polémiques.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=764&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=960&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=960&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216331/original/file-20180425-175054-pqkohv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=960&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Chariot céleste, le Pushpaka Vimana décrit dans l’épopée du Ramayana serait la preuve irréfutable que l’Inde maîtrisait l’aéronautique il y a plusieurs millénaires… (Rama’s Journey, ca.1650).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Vimana#/media/File:The_Celestial_Chariot_(6124515635).jpg">thesandiegomuseumofartcollection//Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, des papiers présentés par des politiques, des professeurs de sanskrit ou des ingénieurs indiens y furent présentés autour du yoga, de l’« architecture » – entendre ici le vastu-śāstra, le <a href="http://koyre.ehess.fr/index.php?2378">fengshui indien</a>) –, les couteaux chirurgicaux de l’ayurveda (<a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/286332/the-roots-of-ayurveda-by-various/9780140448245/">qui ont bien existé</a>) et… la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2015_Indian_Science_Congress_ancient_aircraft_controversy">« technologie du transport aérien dans les Vedas »</a>. Ces derniers étant les plus anciens textes qui nous sois parvenus du <a href="https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/une_histoire_de_la_langue_et_de_la_litterature_sanskrites_1.asp">sous-continent</a>.</p>
<p>Depuis, on peut encore trouver lors de ce congrès des papiers dévoués aux sciences et technologies anciennes mais dispersées dans des sections aux titres moins polémiques.</p>
<p>Or, au-delà de l’aspect excentrique, voire anecdotique qu’auraient pu prendre ces déclarations et présentations diverses, il ne faisait aucun doute pour les observateurs indiens que la démarche du nouveau gouvernement, celle de glorifier un illustre passé scientifique, avait une histoire, ancrée dans des revendications politiques, nationalistes hindoues.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"986499008590897152"}"></div></p>
<h2>Promouvoir une science « maison » alternative</h2>
<p>En effet, le but est clair : il s’agit de promouvoir une science et une technologie moderne mais alternative, au sens de non occidentale et non laïque. Il s’agit aussi d’affirmer- comme si affirmer suffisait à rendre réel – qu’il a existé dans l’Inde ancienne une manière de faire des sciences qui ferait encore sens pour nous aujourd’hui, et que cette manière de faire ne devrait rien à l’Occident et serait ancrée dans un cadre religieux, celui de l’hindouisme. Il s’agit alors de promouvoir les sciences « védiques » ou les technologies « de l’Inde ancienne » dans l’éducation comme dans la recherche.</p>
<p>Ainsi, au début de son mandat, Modi promettait de faire entrer les <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/india/11331533/Indias-next-gift-to-the-world-could-be-Vedic-mathematics.html">« mathématiques védiques » dans le cursus scolaire</a>. À présent, c’est un ministre délégué à l’éducation qui explique qu’il faut intégrer les sciences traditionnelles au programme, expliquant que celles-ci avaient, à coup de <em>mantras</em> (formules sacrées), énoncé avant Galilée et Newton la <a href="https://www.indiatimes.com/news/india/after-questioning-darwin-s-theory-minister-now-claims-mantras-codified-law-of-motion-not-newton-340543.html">loi de la gravitation ou du mouvement</a>.</p>
<p>Qu’est-ce, dans ce cadre, que les « sciences traditionnelles » ou « sciences védiques » ? L’usage ambivalent du terme « védique », ou de termes flous comme « traditionnel » ou « ancien » permet de faire référence ensemble aux tout débuts de l’histoire indienne et à un cadre religieux qui englobe l’hindouisme et le védisme. Par extension « védique », par exemple, en vient aussi à désigner tout ce qui concerne l’histoire de l’Asie du Sud d’avant l’Empire moghol ou la colonisation britannique.</p>
<h2>Yoga contre cancer</h2>
<p>Ce terme est aussi repris dans le discours tenu par les promoteurs de la méditation transcendentale (les apôtres, le plus souvent anglo-saxons du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maharishi_Mahesh_Yogi">Maharishi</a>, un guru indien ayant fait carrière aux États-Unis). Dans ce cadre, il s’agit de défendre l’idée qu’on peut faire de la science en pratiquant des exercices et une discipline relevant initialement plutôt du registre mystique : méditation, restriction des sens, pratique intensive de formes spécifiques de yoga, permettraient de faire des découvertes scientifiques fabuleuses. Ainsi le Maharishi lui-même défend l’idée et fait enseigner dans ses écoles que la physique quantique est énoncée dans les textes védiques, découverte faite <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1525/nr.2011.14.4.54">grâce à la méditation</a>. D’autres à sa suite, ont pu proclamer que le yoga pouvait guérir du <a href="http://naco.gov.in/pressrelease/baba-ramdev-claims-cure-hiv-yoga">virus du Sida</a> ou du <a href="http://www.hotyoganaples.com/class-descriptions-bikram-yoga/5-ways-use-bikram-yoga-reverse-cancer-dr-joel-brame/">cancer</a>.</p>
<p>La propagation de telles affirmations dans les milieux de la droite nationaliste indienne, a une histoire qu’on peut faire remonter à la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et au début du XX<sup>e</sup> siècle, lorsque le mouvement indépendantiste prend de l’essor, et qu’il s’agit d’imaginer un <a href="https://press.princeton.edu/titles/6705.html">futur scientifique et technique</a> pour une Inde indépendante.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216319/original/file-20180425-175061-1cw11u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Narendra Modi a institué la journée internationale du yoga le 21 juin. Ici en 2016 parmi des pratiquants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/90/International_Day_of_Yoga_%2827886992330%29.jpg">International yoga day/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet imaginaire de nouvelles politiques économiques, éducatives et scientifiques va soulever de nombreuses questions aux militants du mouvement indépendantiste, notamment en ce qui concerne savoirs scientifiques et techniques.</p>
<p>Quelles connaissances y avait-il à l’époque ancienne dans le sous-continent indien ? Étaient-elles dignes d’intérêts scientifiques ? Peut-on ainsi établir des équivalences entre les « nouveaux savoirs » (transmis dans les écoles britanniques) et ceux traditionnels ? S’ajoutent des questions de pratique politique. Comment enseigner les mathématiques ? De quelle médecine promouvoir la pratique ?</p>
<p>Gandhi s’intéressait déjà à ces questions <a href="http://books.openedition.org/septentrion/13933">dans le cadre de ses théories de développement technique et économique</a> pour penser l’Inde du futur.</p>
<h2>Questions du XIX<sup>e</sup> siècle remises au goût du jour</h2>
<p>Certains tentent d’apporter des réponses. Comme proposer d’enseigner le calcul infinitésimal <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/031508609290003T">à partir de textes sanskrits du XIIᵉ siècle</a>)</p>
<p>Les intellectuels, professeurs, <em>pandits</em> qui publient sur ces sujets, ne sont pas alors forcement en rupture avec la tradition savante du sous-continent indien ; même quand ils font des plaidoiries promouvant les « nouvelles sciences ».</p>
<p>En effet, le sous-continent indien a reçu, absorbé (et aussi influencé) des savoirs qui <a href="https://archive.org/details/in.ernet.dli.2015.502083">venaient au-delà de ses frontières</a>). La culture savante a réfléchi, réorganisé, élargi ces définitions de ce qui faisait science, et <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.1086/670953">surtout à débattu à ce sujet</a>).</p>
<p>Reste que l’on peut se demander pourquoi et comment ces questions, brûlantes à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le sont encore aujourd’hui.</p>
<p>L’exposition au musée des sciences de Londres fait indirectement écho à ces questions : comment s’y prendre pour ne pas donner le sentiment d’être communautariste tout en faisant plaisir au gouvernement indien, célébrer ensemble les collaborations indo-britanniques mais aussi le savoir scientifique de l’Inde ancienne, et l’innovation indienne contemporaine ? En essayant de faire plaisir à tout le monde.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216435/original/file-20180426-175058-19oedhk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">D’après une datation au carbone, ce folio issu des 70 pages du manuscrit dit de Bakhshali daterait de 224-383 après J.-C. Il serait l’une des premières sources attestant l’usage du zéro (représenté par un point).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bodleian Libraries, University of Oxford</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En déambulant dans l’exposition « Illuminating India » (ce titre fait curieusement écho à la campagne du Bharatiya Janata Party de 2004 (<a href="http://www.rediff.com/money/2004/apr/02shining.htm"><em>India Shining</em></a>) on pourra y observer les objets ayant servi la campagne de <a href="http://www.jstor.org/stable/4403049">trigonométrisation de l’Inde</a> faite par les employés britanniques de la Compagnie Commerciale des Indes à l’aide d’informateurs indiens, les merveilleuses machines pour <a href="https://ieeexplore.ieee.org/stamp/stamp.jsp?arnumber=4906389">mesurer la poussée des plantes</a> faites par Jagadis Chandra Bose.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216338/original/file-20180425-175035-2q975s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le savant bengali Jagadish Chandra Bose (1858-1937) démontrant l’existence d’un « système nerveux » chez les plantes à la Sorbonne en 1926.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Jagadish_Chandra_Bose_1926.jpg">Agence de presse Meurisse/BNF/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Celui-ci est aussi connu pour son travail radio spolié par <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02564602.1998.11416773">Marconi</a>.</p>
<p>On pourra y voir l’un des plus vieux manuscrits connu du sous-continent indien, le manuscrit de Bakhshali, dont la date et la pertinence des zéros qu’il contient sont <a href="https://doi.org/10.18732/H2XT07">débattus</a>), un astrolabe moghol, des couveuses portatives à piles développées en Inde pour des villages sans hôpital, ou le premier processeur pour Intel développé aux États-Unis par l’<a href="https://www.businessinsider.in/Exclusive-The-Father-of-PentiumProcessor-Vinod-Dham-talks-about-Startups-and-where-India-is-headed/articleshow/50932473.cms">ingénieur Vinod Dham</a>.</p>
<p>Comment faire sens de cette énumération à la Prévert ? Quelles continuités y voir ? Que nous disent-elles du sous-continent indien ?</p>
<p>Afin de penser l’Inde et son avenir, qui repose pour une part sur l’innovation scientifique et technique, l’histoire est convoquée pour légitimer des points de vue ou penser des alternatives. En sortant de cette exposition, impossible de ne pas remarquer que le musée lui-même soulève exactement les mêmes questions, tout aussi politiques, concernant la Grande-Bretagne.</p>
<p>Ce sont en effet des questions de notre temps, nous y sommes tous confronté·e·s : et sans doute que la manière dont les nationalistes hindous font usage de l’histoire scientifique (avec une notion toute particulière de ce qu’est la vérité historique et scientifique) peut-elle en miroir nous rappeler que nous non plus n’échappons pas à une vision politisée des sciences et de leur histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Keller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La très riche et longue histoire des sciences du sous-continent indien fait l’objet d’une récupération politique par les franges les plus extrêmes du gouvernement Modi.Agathe Keller, Historienne des mathématiques, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.