tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/la-republique-en-marche-lrem-82795/articlesLa République en marche (LREM) – The Conversation2024-02-05T15:13:42Ztag:theconversation.com,2011:article/2224052024-02-05T15:13:42Z2024-02-05T15:13:42ZComment l’ombre de Sarkozy divise Les Républicains<p><a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-loi-immigration-integration-asile-du-26-janvier-2024">L’adoption de la loi sur l’immigration du 19 décembre 2023</a> était apparue comme une victoire pour Les Républicains (LR). Elle semblait valider la stratégie mise en place par les principaux responsables du parti de droite.</p>
<p>Mais la constitution du nouveau gouvernement, et en particulier le débauchage de Rachida Dati, présidente du Conseil National des Républicains, figure de proue de la droite parisienne et ancienne Garde des Sceaux sous Nicolas Sarkozy, a pris de court bon nombre d’observateurs et a remis en cause cette impression de renouveau. Tout comme la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/2023863DC.htm">censure</a> des articles les <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/xavier-bertrand-lr-j-ai-un-profond-desaccord-avec-laurent-wauquiez-sur-la-conception-de-l-etat-de-droit-20240126">plus droitiers</a> et les plus polémiques de la loi sur l’immigration par le Conseil constitutionnel.</p>
<p>Ces développements ont <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/12/apres-le-debauchage-de-rachida-dati-gabriel-attal-attendu-au-tournant-par-la-droite_6210532_823448.html">rappelé</a> à Éric Ciotti, la fragilité de son leadership, et au parti conservateur les incertitudes concernant son avenir et sa survie.</p>
<h2>Un espace politique de plus en plus réduit ?</h2>
<p>Après Rachida Dati, la nomination de <a href="https://www.lemondedesartisans.fr/actualites/quelles-seront-les-priorites-de-la-nouvelle-ministre-du-travail-catherine-vautrin">Catherine Vautrin</a> – ancienne ministre de Jacques Chirac et ancienne membre de LR désormais affiliée à Horizons – et le maintien à leurs postes d’anciennes figures de LR comme Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont confirmé <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/13/avec-l-ancrage-a-droite-du-nouveau-gouvernement-l-espoir-d-une-bouffee-d-air-pour-la-gauche_6210642_823448.html">l’ancrage à droite</a> du gouvernement. En témoignent aussi le <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20240117-france-emmanuel-macron-est-dans-une-posture-de-pr%C3%A9sident-manager-avec-la-start-up-nation">ton utilisé et les thèmes abordés par Emmanuel Macron</a> ou plus récemment Gabriel Attal.</p>
<p>Ce positionnement diminue de fait l’espace politique du parti conservateur, déjà débordé par sa droite par le Rassemblement national (RN) et Reconquête ! et qui se voit réduit à brandir la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/01/lr-fragilise-brandit-la-menace-d-une-motion-de-censure_6214172_823448.html">menace d’une motion de censure</a> pour exprimer son mécontentement et essayer de peser sur le cours des choses.</p>
<p><a href="https://fr.statista.com/statistiques/1422338/sondage-intentions-de-vote-elections-europeennes-2024/">Une compilation de plusieurs sondages</a> tentant de mesurer le futur rapport de force des élections européennes du 9 juin prochain confirme d’ailleurs l’étroitesse de cet espace. Le RN et Reconquête ! sont crédités de près de 34 % des intentions de votes (28 % pour le premier et 6 % pour le second), le mouvement présidentiel recueillerait 19 % des suffrages… alors que LR est crédité de 8 % des voix.</p>
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<p>Certes, LR conserve une assise locale et un <a href="https://www.senat.fr/vos-senateurs/groupes-politiques.html">poids au Sénat</a> qui lui ont jusqu’à présent permis de ne pas disparaître. Mais alors que le débat sur l’immigration avait semblé repositionner le parti conservateur au centre du jeu politique français, la séquence nouveau gouvernement/censure du Conseil constitutionnel assombrit cette perspective.</p>
<p>Elle interroge aussi le bien-fondé de sa stratégie et la légitimité du leadership et du management de son président à un moment où ses adversaires, et en particulier le RN, apparaissent plus offensifs et plus audibles sur des sujets comme la sécurité, le <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-exclusif-europeennes-2024-le-pouvoir-dachat-revient-en-force-dans-les-motivations-de-vote-2070628">pouvoir d’achat</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/30/jordan-bardella-profite-de-la-colere-des-agriculteurs-pour-lancer-une-offensive-contre-l-ecologie-punitive_6213835_823448.html">crise des agriculteurs</a>.</p>
<p>La proposition d’Eric Ciotti de garantir un revenu plancher de 1500 euros à chaque agriculteur en récupérant le budget alloué à l’Aide médicale d’État pour répondre à la crise agricole actuelle est par exemple <a href="https://www.liberation.fr/politique/agriculteurs-moque-jusquau-sein-de-lr-eric-ciotti-sestime-caricature-20240130_LJ3OHJ3R7VFCZCXTADBSPMH2XQ/">apparue peu crédible</a> et a même été rejetée par <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/un-revenu-paysan-de-1500-euros-propose-par-eric-ciotti-le-president-des-republicains-veut-le-financer-avec-l-ame_229053.html">certains agriculteurs</a>.</p>
<h2>Leadership transformationnel et humble</h2>
<p>En matière de leadership, les recherches les plus récentes mettent en lumière deux concepts, le <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/eb054626/full/html">leadership transformationnel</a> et le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/job.2608">leadership humble</a>. Le premier est porté par un leader qui va aider et encourager les membres de son organisation et les aider à progresser en s’assurant qu’ils avancent tous dans la même direction et en les inspirant. Le second renvoie à l’idée de leaders capables d’assumer leurs responsabilités, n’ayant pas peur de se remettre en question et de dévoiler leurs faiblesses et leurs limites.</p>
<p>Ces pratiques sont particulièrement plébiscitées par les jeunes <a href="https://www.cairn.info/revue-culture-prospective-2007-3-page-1-htm">générations</a> qui sont sensibles à l’exemplarité et à la cohérence des actes avec les valeurs affichées. Jacinda Ardern, ancienne première ministre néo-zélandaise, ou Yvon Chouinard, le fondateur de la marque de vêtement Patagonia, sont deux figures qui incarnent cette tendance actuelle. La première parce qu’elle a notamment baissé de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/solidarite-en-nouvelle-zelande-jacinda-ardern-renonce-20-de-son-salaire">20 %</a> son salaire et ceux de ses ministres en signe de solidarité suite aux difficultés économiques liées au Covid. Le second car il a transféré <a href="https://eu.patagonia.com/fr/fr/ownership/">100 % des parts</a> de son entreprise à un trust et à une association de lutte contre la crise environnementale, à qui seront reversés les futurs profits.</p>
<h2>Comment concilier nouvelles exigences, privilèges et anciennes pratiques ?</h2>
<p>Fidèle à une stratégie de fermeté vis-à-vis des « déserteurs », Eric Ciotti a exclu Rachida Dati de LR. Sa décision semble s’inscrire dans la tendance actuelle en matière de leadership puisque l’exclusion de la figure sarkoziste s’est faite au nom de l’exemplarité, de la fidélité et de la cohérence avec les valeurs du parti.</p>
<p>Mais Éric Ciotti n’a pas manqué de souligner <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/12/rachida-dati-ministre-de-la-culture-la-droite-sonnee-eric-ciotti-veut-l-exclure-des-republicains_6210317_823448.html">« l’estime »</a> et <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4070733-20240116-gouvernement-attal-eric-ciotti-tacle-rachida-dati-affirmant-politique-star-academy">« l’amitié »</a> qu’il lui portait malgré sa « trahison » et l’exclusion de l’ancienne Garde des Sceaux n’est, semble-t-il, toujours pas <a href="https://www.lejdd.fr/politique/rachida-dati-ironise-apres-son-exclusion-des-lr-jattends-mon-oqtf-141272">officialisée</a>.</p>
<p>Le retour de <a href="https://www.liberation.fr/tags/xavier-bertrand/">Xavier Bertrand</a> ou celui de <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/valerie_pecresse">Valérie Pécresse</a> dans le giron de LR pour participer à la primaire pour l’élection présidentielle de 2022, alors qu’ils avaient auparavant claqué la porte du parti, ont rappelé que les ruptures étaient rarement définitives en politique.</p>
<p>Les prises de position des différents protagonistes de l’exclusion de Rachida Dati semblent ainsi laisser la porte ouverte à un possible retour suite à son escapade macroniste. Les manœuvres de cette dernière pour continuer de peser au Conseil de Paris malgré sa nomination comme ministre de la Culture et le <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/presidence-du-groupe-de-droite-au-conseil-de-paris-catherine-dumas-appelle-rachida-dati-a-ne-pas-aller-trop-vite">peu de réactions de ses anciens alliés LR</a> de peur de se mettre à dos l’opposante désignée à Anne Hidalgo en vue des prochaines élections municipales, illustrent bien le flou et les ambiguïtés de cette mise à l’écart.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rachida Dati répond à Eric Ciotti, le Point.</span></figcaption>
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<p>À terme, de telles pratiques pourraient avoir du mal à passer auprès d’une jeune garde théoriquement plus sensible à un leadership porteur d’exemplarité et pourraient mettre en danger l’autorité d’Éric Ciotti. Mais la politique a de tout temps été faite de trahisons et de retours en grâce dictés par le rapport de force électoral.</p>
<p>L’histoire a montré qu’il n’est pas si aisé de dépasser les différences générationnelles et de prendre la place des barons installés depuis plusieurs décennies. Pour mémoire, les quadras « rénovateurs » du RPR et de l’UDF – Philippe Séguin, François Fillon, Michel Noir, Dominique Baudis, François Bayrou… – avaient essayé en 1989 de prendre le leadership de la droite à Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, jugés responsables des défaites électorales de 81 et 88. <a href="https://www.cairn.info/la-malediction-de-la-droite--9782262077198-page-213.htm">Sans succès</a>… et sans que l’électorat et les soutiens de ces derniers ne s’en détournent.</p>
<h2>Quelle relance pour LR ?</h2>
<p>Officiellement, Éric Ciotti a toujours pour ambition de relancer son parti en s’appuyant et en soutenant la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-2027-comment-ciotti-prepare-le-futur-sacre-de-wauquiez-08-09-2023-2534622_20.php">candidature de Laurent Wauquiez lors de l’élection présidentielle de 2027</a> même si les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/18/chez-lr-l-unite-du-duo-eric-ciotti-laurent-wauquiez-fragilisee-par-la-reforme-des-retraites_6166031_823448.html">légères tensions</a> apparues entre les deux hommes lors de la réforme des retraites ont montré que rien n’est jamais gravé dans le marbre.</p>
<p>La perspective de cette candidature ne semble pas, à ce stade, en mesure de remettre en question <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">l’opposition annoncée</a> entre les candidats du RN et du camp « macroniste » en vue de l’élection de 2027.</p>
<p>Le président de LR devra donc, à la fois, inspirer, donner des gages et ménager les anciennes et les nouvelles générations du parti conservateur, s’il veut les rassembler et déjouer les pronostics. C’est à ce prix qu’il parviendra à consolider son leadership et à empêcher la disparition de sa formation politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les stratégies politiques d’Emmanuel Macron ont fragilisé durablement le leadership du parti LR.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199202023-12-17T15:42:19Z2023-12-17T15:42:19ZCe que la loi immigration dit de l’impasse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron<p>Quoiqu’il advienne du projet de loi sur l’immigration à l’issue de la CMP qui se réunira ce lundi, restera l’image de cet étrange rigodon dansé par les oppositions réunies à l’Assemblée nationale, ce 11 décembre 2023. Pour la seconde fois de son deuxième mandat, Emmanuel Macron échoue à constituer cette majorité de projets qu’il appelait de ses vœux <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/24/reforme-des-retraites-ecole-sante-les-chantiers-prioritaires-d-emmanuel-macron-s-il-est-reelu_6123441_6059010.html">au soir des élections législatives de 2022</a>. Ce disant, il se limitait alors à traduire en termes opérationnels le vote des Français qui, en ne lui accordant qu’une majorité relative, mandataient sans ambiguïté les différents partis pour travailler ensemble à des compromis dans l’intérêt général.</p>
<p>D’où ce résultat en forme de scrutin proportionnel, bien qu’acquis au scrutin majoritaire. Visiblement, seul le camp présidentiel semble avoir entendu le message : les oppositions rejetant systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique. Ce déni de compromis, à rebours du message électoral, fait que le Parlement marche désormais à l’amble rompu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<h2>Incommunication politique</h2>
<p>Les choses qui se répètent ne plaisent donc pas toujours. La réforme des retraites, portée par Elisabeth Borne s’était échouée contre le <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">récif des boucliers du refus</a>, bien qu’allégée par rapport à la précédente tentative. <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">L’article 49.3</a> était alors venu pallier l’incapacité d’obtenir une majorité plurielle. Scénario réitéré, mais en plus grave pour le projet de loi immigration, à la suite d’une manière <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">d’opéra-bouffe</a> qui se termine dans un véritable guet-apens par un grave échec du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, si une question se prêtait pleinement à un « en même temps », c’était bien celle de l’immigration sur laquelle droite et gauche s’usent les dents depuis plus de trente ans sans parvenir à une solution durable à laquelle pourtant aspirent <a href="https://elabe.fr/loi-immigration-motion-rejet/">près de 70 % des Français</a> : la gauche par irréalisme, la droite par obsession sécuritaire. La tentative du gouvernement d’équilibrer humanité et sécurité a fait long feu pour l’heure, étouffée dans une véritable partie de poker menteur.</p>
<p>Voici la droite sénatoriale qui adopte un texte fortement durci, le rendant inacceptable par la gauche, mais aussi par une partie de la majorité présidentielle. Voilà la commission des lois de l’Assemblée nationale qui rééquilibre l’ensemble à une très confortable majorité. Voici le Rassemblement national qui laisse croire à sa volonté de débattre du texte. Voilà LR qui se lance, un peu pour la forme, dans une motion de rejet… quitte à ne pas défendre le texte sénatorial.</p>
<p>Enfin la majorité présidentielle semble sous-estimer le danger et laisse s’absenter certains de ses membres. Et pour la première fois depuis 25 ans (c’était en octobre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/22/en-1998-le-fiasco-du-vote-sur-le-pacs-humilie-la-gauche_1779095_823448.html">1998 à propos du PACS</a>), à la surprise générale après une semaine de dupes, la motion de rejet est adoptée, le RN ayant abattu ses cartes au dernier moment pour profiter de l’occasion de tailler une croupière au président tout en s’abritant sous le parapluie des autres opposants. Pour être hasardeux, le coup n’en est pas moins rude : en fermant la porte préalablement à toute discussion, on franchit un cran dans le refus de communication entre les minorités coalisées et la majorité présidentielle. Pas de débat, mais l’exigence d’un parti, LR, que sa seule position soit reconnue par les autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<h2>Des perdants, un gagnant</h2>
<p>Le vote de lundi ferme donc sans doute définitivement la porte à une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/le-compromis-politique-est-absent-de-la-culture-francaise-22-06-2022-2480637_2.php">culture du compromis</a> avec un Parlement où les vieux appareils politiques sont d’abord préoccupés par la manière de revenir sur le devant de la scène en réduisant le moment Macron à une parenthèse sans lendemain.</p>
<p>Qui perd à ce jeu partisan ? <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/direct-loi-immigration-jusqu-ou-ira-gerald-darmanin_6244458.html">Gérald Darmanin</a>, bien sûr, qui, après avoir goulûment endossé le rôle de Don Quichotte, s’est vu sèchement remis en place par ses anciens amis qu’il s’était pourtant fait fort de convaincre.</p>
<p>Le gouvernement également, qui, une nouvelle fois voit son action réformatrice entravée. Surtout, Emmanuel Macron, dont l’autorité politique ressort affaiblie par <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">cette paralysie réformatrice</a> alors qu’il lui reste trois ans et demi de mandat à accomplir.</p>
<p>Qui gagne, en revanche ? LR et la Nupes, semble-t-il, puisqu’ils ont obtenu le rejet du texte. Victoire à la Pyrrhus cependant : une fois de plus, ces deux forces ont fait la démonstration qu’elles ne constituaient pas une majorité alternative, et qu’elles ne parvenaient à s’imposer qu’avec le puissant renfort du RN.</p>
<p>Et pour LR, le constat d’un comportement étrangement pusillanime qui les amène à renoncer à un texte incorporant pourtant nombre de leurs revendications depuis 15 ans. Seul gagnant sans ombre au tableau : le RN, dont la position sur l’immigration est suffisamment connue pour ne pas être rappelée, et qui, placé en embuscade derrière LR et la Nupes, peut avoir le triomphe modeste. Et plus que jamais constituer selon l’heureuse expression de Luc Rouban, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">« trou noir » de notre galaxie politique</a>.</p>
<h2>Vraie ou fausse sortie</h2>
<p>Qu’Emmanuel Macron pense avoir tout intérêt à limiter les choses à un accident de parcours en même temps qu’il affirme vouloir poursuivre la procédure législative, on peut le comprendre. Il a donc écarté tout recours à la dissolution et toute utilisation de 49.3, tout en invitant le gouvernement à mettre en œuvre la commission mixte paritaire : composée de 7 sénateurs et de 7 députés, la CMP est majoritairement du côté des oppositions. On pousse les feux et la CMP se réunira dès lundi prochain. La Première ministre, qui pris la main sur les discussions, a d’ores et déjà réuni les responsables de LR et laissé entendre que la piste d’accord pourrait se dessiner.</p>
<p>Et ensuite ? Soit on parvient à un texte de compromis, qui risquerait dans ce contexte de droitiser encore le projet initial, quitte à heurter une partie de la majorité présidentielle. Ce texte serait ensuite soumis au vote des deux chambres. Soit la CMP ne parvient pas à concilier les points de vue, et les choses en restent là. A charge pour la majorité présidentielle de dénoncer devant l’opinion le blocage entretenu par une opposition autiste.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, il s’agira plus d’une sortie de secours que d’une sortie de crise. Si elle répond éventuellement à court terme à la question d’un projet de loi particulier, elle ne saurait suffire à corriger l’onde de choc produite par le 11 décembre.</p>
<p>Au-delà des personnes et des acteurs politiques, ce sont les institutions mêmes qui sortent affaiblies de cette tempête sous le crâne parlementaire.</p>
<p>Ce n’est plus seulement la légitimité présidentielle qui se voit mise en question : n’est-ce pas l’image même du fonctionnement et du rôle du Parlement qui est affectée ? N’est-ce pas l’essence du régime parlementaire reposant sur la collaboration des pouvoirs qui se voit compromise ?</p>
<p>Notre système politique a besoin d’un choc pour sortir de la torpeur entretenue où il baigne. En ce sens, Emmanuel Macron n’aurait-il pas eu tort d’écarter la possibilité d’une dissolution ? De toute manière, il devra y recourir tôt ou tard, la démonstration étant faite qu’il se verra empêché d’avancer sur le terrain des réformes dans les 42 mois qui lui restent à accomplir. Le blocage qu’on lui impose ne serait-il pas le moment opportun, puisqu’il permet d’éclairer le refus systématique des partis de jouer le jeu d’une concertation constructive dans l’intérêt général ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les oppositions rejettent systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique, un déni de compromis à rebours du message électoral.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2036292023-04-16T16:05:45Z2023-04-16T16:05:45ZUn an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?<p>Dans quelles conditions le second quinquennat d’Emmanuel Macron peut-il se poursuivre ? L’actualité sociale et politique permet de douter d’un déroulement politique serein au vu des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">nombreuses mobilisations</a>, aussi bien sur le front social (mouvement contre la réforme des retraites) mais aussi écologique et politique, avec un fort bouleversement de la vie <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-les-parlementaires-tentent-de-rassembler-leurs-troupes-199262">parlementaire</a> et <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">partisane</a>.</p>
<p>Au cœur de la crise politique actuelle figure la personnalité du président, fortement décriée par ses adversaires politiques et également <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/14/du-jeune-president-admire-au-dirigeant-arrogant-et-obstine-comment-la-crise-des-retraites-a-change-le-regard-porte-sur-emmanuel-macron-a-l-etranger_6169467_823448.html">désormais critiqué à l’étranger</a>. Le socialiste Boris Vallaud n’a ainsi pas hésité à qualifier le chef de l’État de <a href="https://www.challenges.fr/politique/le-depute-ps-boris-vallaud-qualifie-macron-de-forcene-retranche-a-l-elysee_851698">« forcené retranché à l’Élysée »</a>.</p>
<p>Comment comprendre cette situation et cette <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">crispation</a> un an après l’élection d’Emmanuel Macron pour un second mandat ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-presidentielle-legislatives-deux-elections-plus-tard-quel-bilan-185094">Dossier : Présidentielle, législatives, deux élections plus tard, quel bilan ?</a>
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<h2>Un président inattendu</h2>
<p>Emmanuel Macron avait émergé de manière <a href="https://www.pug.fr/produit/1966/9782706150081/les-elections-presidentielles-francaises">assez imprévue</a> dans la campagne présidentielle de 2017. Ministre de l’Économie de François Hollande jusqu’à fin août 2016, il avait progressivement pris ses distances avec le camp socialiste avant de lancer son propre mouvement « En marche ».</p>
<p>En se présentant comme à la fois de gauche et de droite, en s’affirmant libéral en économie et sur les questions sociétales, mais favorable à des politiques sociales, soutenant <a href="https://www.afsp.info/la-science-politique-mise-au-defi-par-emmanuel-macron/">clairement la construction européenne</a>, il se proposait de bouleverser la politique française, publiant même un essai intitulé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_(essai)">« Révolution »</a>. Au programme : la promesse d’un <a href="https://books.google.fr/books?id=g4M_DwAAQBAJ&pg=PP38">nouveau monde</a>.</p>
<p>Rejoint par un certain nombre de <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-1-page-11.htm">socialistes déçus</a> par les fractures internes du parti entre socio-libéraux et frondeurs, Emmanuel Macron parvient peu à peu à rallier un <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/2nd-tour-presidentielle-2017-sociologie-des-electorats-et-profil-des-abstentionnistes">électorat très composite malgré une forte abstention</a> et créer un parti d’apparence solide, La République En Marche (LREM). Il est très largement élu (66,1 % des suffrages).</p>
<h2>Stratégie de fracturation aux législatives de 2017</h2>
<p>La stratégie d’Emmanuel Macron a reposé sur une forme de fracturation de l’ensemble partisan. Pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale en dépit d’un faible nombre de députés ralliés, il nomme le juppéiste <a href="https://theconversation.com/de-la-division-du-travail-entre-le-president-et-le-premier-ministre-80553">Edouard Philippe</a> et acquiert ainsi l’attention d’une certaine frange de la droite.</p>
<p>Le gouvernement, savamment dosé entre personnalités de gauche, du centre et de droite, annonce très vite des mesures populaires. Après un appel d’offres pour susciter des candidatures (15 000 recensées), il investit un candidat dans chaque circonscription, souvent des personnes peu connues et totalement novices en politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-emmanuel-macron-face-a-30-ans-de-faillite-intellectuelle-et-politique-sur-la-transformation-du-monde-97760">Débat : Emmanuel Macron face à 30 ans de faillite intellectuelle et politique sur la transformation du monde</a>
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<p>Contre toute attente, les candidats LREM obtiennent un très bon résultat (28,2 % des suffrages) auxquels il faut adjoindre 4,1 % pour ceux du MoDem. <a href="https://theconversation.com/les-deputes-en-marche-sont-ils-vraiment-des-cancres-89567">La nouveauté des candidats</a> sur la scène politique a joué en leur faveur alors qu’un fort mouvement de « dégagisme » affectait les élus sortants, particulièrement ceux de gauche. Le deuxième tour confirme le premier et la République En Marche obtient 308 élus et le MoDem 42.</p>
<p>Il dispose donc d’une majorité absolue très conséquente pour appliquer ses réformes. Le système partisan français, qui reposait sur l’alternance au pouvoir de deux partis de gouvernement, est complètement chamboulé au terme de ce cycle électoral. Mais la nouvelle majorité réunit des sensibilités politiques très variées, ce qui laissait prévoir des divisions et d’éventuelles recompositions.</p>
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<figcaption><span class="caption">Macron veut « tourner la page » des retraites, France 24.</span></figcaption>
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<p>Au cours de la mandature, LREM a perdu des sièges et des partis satellites se sont développés, avec à la fois des députés sortants de LREM et d’autres quittant LR ou l’UDI.</p>
<p>Un groupe d’une vingtaine de députés LREM de centre gauche, qui voulaient davantage d’écologie et de social, prennent aussi leur indépendance en mai 2020, ce qui fait perdre à LREM la majorité absolue dont elle disposait à elle seule. Et Edouard Philippe, remplacé par Jean Castex comme Premier ministre, lance en 2021 le parti Horizons pour peser davantage au sein de la majorité.</p>
<p>LREM n’a pas su se structurer, ne conférant aucun pouvoir réel à ses adhérents. Fonctionnant comme un mouvement très vertical, à l’image du président jupitérien lui-même, le parti devient une coquille vide, <a href="https://www.pug.fr/produit/1969/9782706151613/l-entreprise-macron-a-l-epreuve-du-pouvoir">avec très peu de militants</a>. Et si ce parti a obtenu des résultats honorables aux élections européennes de 2019, ceux-ci ont été plutôt mauvais <a href="https://theconversation.com/le-difficile-atterrissage-municipal-de-lrem-132043">aux élections municipales</a> de 2020 (11 % des suffrages avec le MoDem), ainsi qu’aux régionales et départementales de 2021 <a href="https://theconversation.com/regionales-et-departementales-2021-un-premier-tour-aux-abonnes-absents-163085">(environ 10 %)</a>.</p>
<h2>Des politiques aux antipodes des mesures sociales espérées ?</h2>
<p>Dès le début du quinquennat, le président engage des politiques économiques libérales, notamment <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/quels-effets-a-eu-la-suppression-de-l-isf-4286834">l’abandon de l’ISF</a> au profit d’un impôt peu productif sur la fortune immobilière et la création d’un <a href="https://theconversation.com/les-impots-sur-la-fortune-individuelle-favorisent-la-distribution-de-dividendes-202053">prélèvement forfaitaire unique</a> sur les revenus des placements financiers qui lui valent d’être souvent qualifié de <a href="https://theconversation.com/ces-economistes-qui-valident-le-sentiment-diniquite-des-gil,ts-jaunes-108850">« président des riches »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redistribution-des-richesses-quand-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-et-gilets-jaunes-se-rejoignent-192893">Redistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent</a>
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<p>Ces politiques doublées de mesures d’austérité (taxe carbone) ont provoqué le mouvement spontané de protestation sociale des « gilets jaunes » qui se développe à partir d’octobre 2018. <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quest-ce-que-cest-108213">Face à l’ampleur du mouvement</a>, le pouvoir <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20812-loi-24-decembre-2018-gilets-jaunes-mesures-economiques-et-sociales">lâche progressivement du lest</a> et lance un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/08/le-bilan-du-grand-debat-en-six-questions_5447417_823448.html">grand débat national</a> sur la transition écologique, la fiscalité, les services publics et le débat démocratique. Au terme du processus, en avril 2019, il annonce des baisses d’impôts sur le revenu pour les classes moyennes et la réindexation des <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/videos-baisse-de-l-impot-sur-le-revenu-reindexation-des-retraites-sur-l-inflation-reforme-du-referendum-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-d-emmanuel-macron_3415033.html">petites retraites</a>. Le mouvement aura coûté cher aux finances de l’État (10 à 15 milliards) mais, contrairement aux espoirs de certains soutiens du mouvement, le président ne change pas sa méthode de gouvernance très verticale.</p>
<h2>Les retraites, point de bascule</h2>
<p>Edouard Philippe lance alors la réforme des retraites pour <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/12/04/regime-universel-systeme-a-points-age-pivot-les-grandes-questions-que-pose-la-reforme-des-retraites_6021633_823448.html">passer à un régime universel à points</a> déclenchant un second <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/retraites-petite-chronologie-des-reformes-231451">grand mouvement social</a>.</p>
<p>Malgré des manifestations réunissant jusqu’à 800 000 personnes, le gouvernement fait passer la loi en utilisant le 49.3 en première lecture à l’assemblée. L’examen de la réforme est suspendu du fait de <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/de-mars-2020-a-mai-2021-quatorze-mois-de-restrictions-sanitaires-20210503_O7NVL5HNXJDM7JMQV3K63ECRCU/">la pandémie de Covid-19</a>.</p>
<p>La pandémie et le choix du président de piloter lui-même la politique de lutte contre le nouveau virus, malgré des confusions initiales, des hésitations et l’émergence de thèses complotistes, donnent à Emmanuel Macron une nouvelle assise politique et une image de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/15/macron-et-le-Covid-19-comment-la-crise-sanitaire-s-est-transformee-en-arme-politique_6113708_823448.html">protecteur de la population</a>.</p>
<p>La guerre en Ukraine lui est aussi favorable en <a href="https://theconversation.com/face-a-la-guerre-les-electeurs-francais-se-rallient-a-emmanuel-macron-pour-combien-de-temps-179316">pleine campagne électorale présidentielle</a>. Elle génère un ralliement à celui qui incarne l’action et la coordination des pays européens contre l’agresseur russe.</p>
<p>Dans ce contexte, il est assez largement réélu début mai 2022 (58,55 % des suffrages exprimés) malgré une défiance accrue dans les institutions de la démocratie représentative et une <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">forte abstention</a>.</p>
<p>Mais entre la présidentielle et les législatives, la mécanique semble se gripper avec un président peu actif dans la préparation de l’élection des députés, qui met beaucoup de temps à choisir sa Première ministre et à concrétiser le début de son second mandat, alors que la gauche s’unit – à la hussarde – <a href="https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2022/05/11/nupes-tout-comprendre-a-l-accord-de-la-gauche_6125560_5463015.html">derrière Jean-Luc Mélenchon</a> et en tire un grand bénéfice en sièges (131 députés de la Nupes). De l’autre côté du spectre, le RN a déployé ses forces de façon spectaculaire, obtenant 89 députés à l’Assemblée nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-bilan-demmanuel-macron-agenda-neo-liberal-et-pragmatisme-face-aux-crises-178671">Le bilan d’Emmanuel Macron : agenda néo-libéral et pragmatisme face aux crises</a>
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<h2>Un projet à la peine</h2>
<p>La Macronie est à la peine. Le changement de nom de LREM pour Renaissance ne parvient pas à faire oublier le <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">revers législatif</a> : le président ne dispose que d’une majorité relative (245 élus alors que la majorité absolue est de 289 députés), rendant difficile l’exercice du pouvoir.</p>
<p>La majorité ne parvient pas à convaincre Les Républicains (74 élus), affaiblis, de conclure une alliance pour gouverner ensemble. Elle en est donc réduite à chercher des majorités au cas par cas pour faire voter des lois, un peu comme Michel Rocard pendant le second septennat de <a href="https://www.lesechos.fr/elections/legislatives/majorite-relative-a-lassemblee-le-delicat-precedent-de-1988-1413115">François Mitterrand</a>.</p>
<p>Un an plus tard, le président, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">toujours aussi jupitérien</a> malgré ses engagements à changer de méthode de gouvernance, ne semble pas tirer les conséquences de la nouvelle situation parlementaire, qui devrait inciter à chercher des compromis alors qu’il veut toujours imposer ses réformes, y compris celles qui sont très impopulaires comme en témoigne le long feuilleton de la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287916-reforme-des-retraites-2023-projet-de-loi-plfss-rectificatif">réforme des retraites</a>. La validation de la loi par le Conseil constitutionnel risque de ne pas calmer le mouvement syndical. L’exécutif dit qu’il veut apaiser, écouter et continuer les réformes, mais il semble complètement embourbé et on voit mal comment il va pouvoir faire voter des lois un tant soit peu novatrices.</p>
<p>La Macronie pourrait bien n’avoir été qu’une parenthèse dans la vie politique française, faute d’avoir construit un parti politique solide, capable de subsister après le départ de son fondateur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après le début de son second quinquennat, Emmanuel Macron suscite défiance et discrédit.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849462022-06-13T06:53:08Z2022-06-13T06:53:08Z1ᵉʳ tour des législatives : entre désintérêt électoral et recomposition politique<p>Au soir du premier tour des élections législatives, la majorité présidentielle (Ensemble) recueillerait la majorité des suffrages (25,75 %), au coude à coude avec la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) obtenant 25,66 % des suffrages et devant Rassemblement avec 18,68 % des voix. Alors, au regard de ces résultats, dont le décompte méthodologique <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/13/legislatives-2022-nupes-ou-ensemble-en-tete-du-scrutin-les-raisons-de-la-divergence-entre-le-monde-et-le-ministere-de-l-interieur_6130066_823448.html">demeure discuté</a> selon les étiquetages de certains candidats, quelles sont les clefs de lecture de ce premier tour ?</p>
<p>Le premier tour de ces élections législatives se solde d’abord par une forte abstention, atteignant les 52,61 %, soit 1,3 point de plus qu’en 2017. Ce niveau d’abstention s’inscrit dans une tendance de fond, avec une hausse continue depuis les élections législatives de 1993.</p>
<p>Une des raisons de la croissance abstentionniste aux législatives peut être institutionnelle. La réforme de <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268319-la-reforme-constitutionnelle-de-2000-sur-le-quinquennat-presidentiel">2000 sur le quinquennat</a>, alignant les mandats présidentiels et législatifs, conjuguée à l’inversion du calendrier électoral (la présidentielle précédant les législatives) <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SCPO_DUHAM_2019_01_0027&download=1">ont renforcé la présidentialisation du régime</a> et affaiblit la place du Parlement.</p>
<p>Une autre raison peut être conjoncturelle. Comme le rappelle le journaliste Gérard Courtois, depuis 1981, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/100-jours-de-guerre-en-ukraine-la-campagne-des-legislatives-8537577">logique politique</a> voulait que dans la lignée de l’élection présidentielle, il fallait donner une majorité à l’Assemblée nationale pour le président nouvellement élu (François Mitterrand ayant <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19442-la-dissolution-de-lassemblee-nationale-une-arme-presidentielle">dissout</a> l’Assemblée nationale après ses deux élections présidentielles en 1981 et en 1988). Or, cette année, les deux camps arrivés en tête à la présidentielle (LREM devenu Renaissance et le Rassemblement national) ont mené une campagne législative quasi inexistante.</p>
<p>D’un côté, le président Macron semble avoir opté pour une <a href="https://www.nouvelobs.com/chroniques/20220530.OBS59077/macron-et-les-legislatives-la-strategie-du-chloroforme.html">« stratégie du chloroforme »</a> en se faisant discret lors de cette campagne, mais aussi en temporisant la nomination d’un nouveau gouvernement (trois semaines après sa réélection). De l’autre, Marine Le Pen semblait s’avouer déjà vaincue en <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/marine-le-pen-jure-vouloir-battre-la-campagne-plutot-que-battre-en-retraite-20220524">ne visant qu’une soixantaine de députés RN à l’Assemblée</a> et était devenue moins visible dans les médias, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/legislatives-ou-est-passee-marine-le-pen-211521">à tel point que l’on s’est demandé où elle était passée</a>.</p>
<p>En conséquence, cette <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/legislatives-seulement-15-des-francais-trouvent-la-campagne-interessante-213113">campagne législative n’aura intéressé que 15 % des Français</a> et n’aura pas été marquée par un thème central lors des débats.</p>
<h2>Qui arrive en tête ?</h2>
<p>La création de la Nupes a rappelé les grandes heures de la gauche unifiée (le Front populaire de 1936 ou le Programme commun de 1972) et a tenté d’insuffler une nouvelle dynamique pour ces législatives. Le slogan <a href="https://www.nouvelobs.com/elections-legislatives-2022/20220427.OBS57710/elisez-moi-premier-ministre-le-nouveau-cap-de-melenchon.html">« Jean-Luc Mélenchon Premier ministre »</a> adopté par la coalition aura personnifié et nationalisé ces élections et la stratégie du <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220424-pr%8Esidentielle-le-pen-et-m%8Elenchon-d%8Ej%88-tourn%8Es-vers-le-troisi%8Fme-tour-des-l%8Egislatives">« troisième tour »</a> suit finalement la <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SCPO_PERRI_2007_01_0017&download=1">logique de présidentialisation du régime</a>.</p>
<p>La forte mobilisation (<a href="https://www.leparisien.fr/elections/legislatives/legislatives-pourquoi-la-nupes-a-t-elle-eu-la-moitie-du-temps-de-parole-radio-et-tele-en-mai-08-06-2022-343IEHEOHNEFHIL56BFC52FFHQ.php">notamment médiatique</a>) de la Nupes conjuguée à une campagne en demi-teinte de la majorité présidentielle peuvent alors expliquer la surprise de cette élection : pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, le camp présidentiel n’obtient pas une franche majorité des suffrages exprimés lors du premier tour des élections législatives. Dès lors, il se pourrait que la « macronie » ne dispose pas de la majorité absolue au soir du second tour de cette élection.</p>
<h2>Quelles perspectives pour la vie politique ?</h2>
<p>Les Républicains obtiennent quant à eux leur plus faible score aux élections législatives avec près de 13,6 %. Là encore la campagne a été plus effacée au niveau national, la stratégie choisie étant de se concentrer au niveau des circonscriptions en se présentant comme un « parti des territoires ». Cependant, les estimations donnent une baisse du nombre de députés LR passant de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/infographies-premier-tour-des-legislatives-2022-voici-a-quoi-pourrait-ressembler-la-future-assemblee-nationale-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5193349.html">centaine à environ 50 à 80 sièges</a>.</p>
<p>Pour le Rassemblement national, au contraire, le nombre de députés grimperait entre 20 et 45 selon les résultats à venir la semaine prochaine. En résumé, on observe un lent déclin de LR depuis 2017 (voire 2012) et une installation confirmée du RN sur les bancs de l’Assemblée nationale.</p>
<p>Selon les estimations, le camp présidentiel disposerait d’une majorité à l’Assemblée nationale, avec un peu moins de 300 députés, soit un recul puisque celui-ci disposait de 346 sièges jusqu’à présent. Le risque serait même de ne pas disposer de la majorité absolue (de 289 sièges).</p>
<p>Le pari de la Nupes sera non plus d’obtenir la majorité mais le plus grand nombre de sièges pour tenir le rôle de premier groupe d’opposition à l’Assemblée. La perspective d’une cohabitation avec Jean-Luc Mélenchon comme chef du gouvernement est dès lors compromise. Même si la nomination du leader de la France insoumise n’aurait pas été automatique en <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/nomination-du-premier-ministre-que-prevoit-la-loi-en-cas-de-cohabitation_AN-202206060348.html">cas de victoire de la Nupes</a> puisque la Constitution (art. 8) ne précise pas les critères de nomination du premier ministre. Cependant ce dernier doit s’assurer d’une majorité afin d’éviter la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19523-la-motion-de-censure-493-veritable-moyen-de-controle">censure</a> par l’Assemblée nationale (art. 49).</p>
<p>Au-delà même d’une majorité, le risque pour la Nupes est la <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/13/legislatives-2022-a-gauche-la-nupes-reussit-son-pari-mais-fait-maintenant-face-au-front-anti-melenchon_6130043_6104324.html">fronde « anti-Mélenchon »</a> de la part des autres formations politiques, en raison de la personnalité et des positions clivantes de son leader, par exemple concernant la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/10/qu-impliquerait-la-desobeissance-aux-regles-europeennes-promue-par-la-nupes_6125509_4355770.html">désobéissance des traités européens</a> ; sa position à l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/presidentielle-jean-luc-melenchon-handicape-par-ses-prises-de-position-sur-la-russie_4988445.html">égard de la Russie</a> ou encore <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/melenchon/la-police-tue-comment-la-polemique-sur-le-refus-d-obtemperer-s-est-deplacee-sur-le-terrain-politique_5184763.html">ses récents propos sur la police</a>.</p>
<p>Si elle veut incarner ce rôle de leader de l'opposition, la coalition devra maintenir sa cohérence à l’Assemblée <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/30/programme-de-la-nupes-aux-legislatives-les-points-de-convergence-et-de-desaccord-entre-lfi-eelv-le-ps-et-le-pcf_6128161_4355770.html">malgré les désaccords programmatiques</a> et <a href="https://www.leparisien.fr/elections/legislatives/direct-legislatives-la-gauche-se-lance-unie-pour-la-conquete-de-lassemblee-06-05-2022-A47XOF3Z5BA43HD5QMTUOYM6JQ.php">l’absence d’un seul groupe parlementaire</a>.</p>
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<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est membre du centre de recherche Jean Monnet de Montréal.</span></em></p>Abstention record, coalition de gauche bien installée face à la coalition présidentielle : ce qu’il faut retenir de ce premier tour des législatives.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1826892022-05-12T19:06:18Z2022-05-12T19:06:18ZLégislatives 2022 : un regain d’intérêt pour le Parlement ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462430/original/file-20220511-11-nm7mue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C14%2C4944%2C3308&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les élections législatives ont lieu les 12 et 19 juin 2022 afin d'élire les 577 députés qui siégeront à l'Assemblée nationale.</span> <span class="attribution"><span class="source">Philippe Lopez / AFP</span></span></figcaption></figure><p>La formation d’une alliance historique de la gauche française et son objectif d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale redonnent un caractère central aux élections législatives.</p>
<p>Cependant, peut-on véritablement parler d’un regain d’intérêt pour le Parlement en France ?</p>
<p>L’érosion régulière de la <a href="https://theconversation.com/les-elections-legislatives-servent-elles-vraiment-a-quelque-chose-180610">mobilisation électorale depuis le début de la Vᵉ République</a>, passant d’environ 80 % dans les années 1970 à presque 40 %, souligne le peu d’intérêt pour cette institution.</p>
<h2>Une mobilisation politique et médiatique</h2>
<p>D’un point de vue politique et médiatique, l’élection présidentielle une fois terminée, c’est vers les élections législatives que se porte toute l’attention. Dès le soir du second tour de l’élection présidentielle, les perdants de cette course ont appelé à se tourner vers ce qu’ils appellent le <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220424-pr%C3%A9sidentielle-le-pen-et-m%C3%A9lenchon-d%C3%A9j%C3%A0-tourn%C3%A9s-vers-le-troisi%C3%A8me-tour-des-l%C3%A9gislatives">« troisième tour »</a>.</p>
<p>La campagne des législatives ouvre une nouvelle séquence politique. A gauche, l’enjeu est de créer une véritable <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/legislatives-2022-ce-que-contient-l-accord-conclu-entre-la-france-insoumise-et-europe-ecologie-les-verts_5114314.html">union</a> pour une majorité parlementaire.</p>
<p>Les tractations entre la France insoumise, le PCF, EELV et le PS rythment quotidiennement l’actualité entre les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/accord-entre-lfi-et-le-ps-de-l-europe-aux-circonscriptions-ce-qui-coince-encore_2172848.html">accords programmatiques et les fractures idéologiques</a>.</p>
<p>Pour La République en Marche (renommée « Renaissance »), l’enjeu est de transformer l’essai de la présidentielle en remportant une majorité à l’Assemblée nationale. Alors que les premières projections <a href="http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2022/05/NTRDVTE-L34.pdf">donnent une course serrée entre la macronie et la gauche unie</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/info-franceinfo-legislatives-2022-emmanuel-macron-valide-toutes-les-investitures-lrem-apres-les-avoir-passees-au-crible_5115151.html">Emmanuel Macron</a> s’investit même personnellement dans chaque investiture des législatives de juin prochain. Pour le parti présidentiel et ses alliés aussi, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/legislatives-2022-la-majorite-presidentielle-annonce-la-creation-de-la-confederation-ensemble-avec-notamment-lrem-le-modem-et-horizons_5120449.html">logique de l’union</a> a pris le pas, non sans difficultés sur la répartition des <a href="https://www.leparisien.fr/politique/tensions-avec-edouard-philippe-bataille-des-investitures-dans-la-majorite-la-guerre-des-clans-a-commence-02-05-2022-PKEBAFMJIVB67NUBRFM4IGP43I.php">candidatures</a>, en formant la bannière « Ensemble » pour la majorité présidentielle.</p>
<h2>Un regain d’intérêt pour les élections législatives ?</h2>
<p>Sans nul doute, une fois élu, un président de la République a besoin d’une majorité au Parlement, a minima à l’Assemblée nationale, pour transformer son programme électoral en action législative.</p>
<p>Même si la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">Constitution de 1958</a> dispose que le gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation » (art. 20 C) et que le « Premier ministre dirige l’action du Gouvernement » (art. 21 C), n’oublions pas que lorsque « le gouvernement est subordonné au président de la République, il lui cède, volontiers ou non, son pouvoir de déterminer la politique de la Nation » comme le <a href="https://www.lgdj.fr/la-constitution-9782757879764.html">rappelait</a> le constitutionnaliste Guy Carcassonne. En résumé, hors cas de cohabitation, le chef du gouvernement n’est que le <a href="https://www.lemonde.fr/gouvernement-philippe/article/2017/09/03/le-premier-ministre-revient-sur-l-equilibre-du-couple-executif-et-ses-prochains-chantiers_5180219_5129180.html">« chef d’orchestre »</a> jouant la partition rédigée par le président de la République.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-elections-legislatives-servent-elles-vraiment-a-quelque-chose-180610">Les élections législatives servent-elles vraiment à quelque chose ?</a>
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<p>Mais les électeurs s’investissent-ils dans le scrutin des législatives ? Si l’on en croit les chiffres de l’abstention, pas tellement. Depuis 1993, le taux d’abstention ne fait que s’accroître entre chaque élection législative et <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Legislatives/elecresult__legislatives-2017/(path)/legislatives-2017/FE.html">dépasse même les 50 % en 2017</a>.</p>
<h2>Un Parlement marginalisé dans la structure institutionnelle</h2>
<p>Une analyse des institutions de la V<sup>e</sup> République peut expliquer ce désintérêt du Parlement. Il n’aura échappé à personne que la V<sup>e</sup> République se structure par un parlementarisme rationalisé, c’est-à-dire <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique#:%7E:text=La%20Constitution%20de%201958%20ne,avec%20le%20r%C3%A9gime%20d%E2%80%99assembl%C3%A9e.">l’ensemble des dispositions</a> définies par la Constitution de 1958 ayant pour but d’encadrer les pouvoirs du Parlement afin d’accroître les capacités d’action du gouvernement.</p>
<p>Concrètement, une définition restrictive du domaine de la loi (c’est-à-dire que le constituant a listé précisément les domaines dans lequel le Parlement peut légiférer, le reste relevant directement du pouvoir réglementaire du gouvernement, art. 34 C et 37 C) ; le vote bloqué (le gouvernement soumet à un vote unique tous les amendements qu’il a sélectionnés, art. 44.3 C) ; adoption d’une loi sans passer devant le Parlement, sous couvert de l’engagement de responsabilité gouvernementale, sauf en cas de motion de censure (le célèbre article 49 alinéa 3 de la Constitution).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Image montrant la Constitution française avec le sceau de la République Française" src="https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462736/original/file-20220512-17-of0avm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le rôle du Parlement est défini par la Constitution.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En 1958, un nouvel acteur encadre aussi le travail parlementaire, le Conseil constitutionnel, chargé notamment du contrôle de constitutionnalité des lois (art. 61 al. 2 C) est qualifié de « canon braqué vers le Parlement » <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-parlement-et-la-qpc">selon l’expression du professeur Charles Eisenmann</a>.</p>
<p>L’autonomie parlementaire est également touchée par le contrôle des règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat (art. 61 al 1 C). Dès lors, les assemblées sont passées du statut de « souverain assuré de l’immunité de juridiction à celle de justiciables » en <a href="https://scholar.google.fr/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=Quand+les+assembl%C3%A9es+parlementaires+ont+des+juges.+Quelques+r%C3%A9flexions+sur+l%27%C3%A9quilibre+constitutionnel+de+1959%2C+Dalloz%2C+1959%2C+Chronique+XXXVIII%2C+p.+253-260.&btnG=">jugeait le politiste Léo Hamon en 1959</a>.</p>
<p>En définitive, le Parlement français a connu un <a href="https://www.jstor.org/stable/43118499">abaissement de son rôle</a> à partir de 1958. La logique présidentielle s’est également renforcée avec l’élection au suffrage direct du président de la République lui octroyant une forte légitimité ; mais aussi par l’inversion du calendrier électoral en 2000, où l’élection présidentielle précède les élections législatives, <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">maximisant au président élu ses chances d’obtenir une majorité parlementaire</a>.</p>
<h2>Le Parlement, un « angle mort » de la science politique française</h2>
<p>Les études parlementaires sont un champ réunissant principalement trois disciplines centrales (l’histoire, le droit et la science politique). Parmi ces disciplines, la science politique s’est longtemps détournée de l’étude des assemblées parlementaires et de leurs élus comme le soulignaient <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-3-page-397.htm?contenu=article">Olivier Rozenberg et Eric Kerrouche</a>. Les deux politistes français constatent « le réel désinvestissement de la science politique française vis-à-vis de cet objet » à partir des années 1980.</p>
<p>Olivier Nay, spécialiste de la sociologie des institutions, donnait plusieurs raisons à ce <a href="https://journals.openedition.org/sdt/32508">délaissement du champ de recherche</a> : les assemblées législatives françaises ont fait face à la transformation des échanges dans l’espace public entre la décentralisation (création d’assemblées locales), la construction européenne (création d’un parlement supranational) et le tournant néolibéral multipliant les acteurs de délibération et de décision.</p>
<p>Dès lors, l’éloignement de la science politique française a laissé l’étude de ce champ au droit (constitutionnel). Bien que la discipline étudie les relations entre les différents pouvoirs et institutions, elle n’a pas repris le fer de lance des études parlementaires françaises et s’est bornée à décrire les pouvoirs du Parlement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462739/original/file-20220512-22-qfu2bi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue panoramique de l’hémicycle où se réunissent les députés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Assemblée nationale</span></span>
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<p>Il y a une autre explication propre à la discipline de la science politique française. Son tournant sociologique des années 1970-1980 a installé « une plus grande méfiance à l’égard des explications traditionnelles, juridiques ou philosophiques, qui portent une attention soutenue aux institutions formelles et aux projets normatifs qui les légitimes » <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/j.1662-6370.2003.tb00421.x">explique O. Nay</a>. Epistémologiquement, cette tradition française accorde une place importante aux travaux empiriques et s’intéresse aux acteurs. Méthodologiquement, les chercheurs privilégient les approches qualitatives avec des entretiens semi-directif, à la description biographique des acteurs et aux observations de terrain.</p>
<p>Cette tradition française diverge des <em>legislatives studies</em> anglo-saxonnes (<em>congressional studies</em> aux États-Unis) s’inspirant d’analyses néo-institutionnalistes ou de la théorie du choix rationnel ; et ayant recourt aux méthodes d’enquêtes davantage quantitatives. Cela n’a pas pour autant empêché d’avoir quelques ouvrages aux approches <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33292574.texteImage">comportementales dans les années 1980</a> ou <a href="https://www.cambridge.org/ca/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/rationalizing-parliament-legislative-institutions-and-party-politics-france?format=PB">rationnelles dans les années 1990</a> sur le Parlement français.</p>
<h2>Retrouver le parlement</h2>
<p>La science politique française renoue son intérêt pour les études parlementaires depuis les années 1990 en diversifiant les niveaux d’analyses : <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/6ggbvnr6munghes9oe9sh4kj9#_ga=2.57002794.1228269702.1651959192-1213286376.1650821519">comportement électoral des députés</a>, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/22656">sociologie des élus</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2001-1-page-237.htm">genre</a>, <a href="https://www.routledge.com/Parliamentary-Representation-in-France/Costa/p/book/9781138953499">conception de la représentation</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2012-4-page-611.htm">efficacité des législatures</a>.</p>
<p>Finalement, le Parlement demeure central dans notre société politique. D’un côté, le Parlement constitue un instrument de contrôle du pouvoir exécutif et de tribune pour les opposants. Le dernier quinquennat d’Emmanuel Macron le montre bien : l’affaire Benalla a été la <a href="https://www.la-croix.com/France/Politique/Laffaire-Benalla-bouscule-reforme-constitutionnelle-2018-07-25-1200957640">raison du blocage</a> de la réforme constitutionnelle à l’été 2018 et le Sénat s’est montré actif avec ses commissions d’enquête (<a href="https://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-324-2-notice.html">affaire Benalla</a> et <a href="http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_influence_des_cabinets_de_conseil_prives.html">affaire McKinsey</a>). De l’autre, il reste un objet d’analyse produisant des masses de données exploitables pour les chercheurs. Il est alors fort probable que les études parlementaires augmenteront dans les années à venir dans la <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199669691.001.0001/oxfordhb-9780199669691-e-10">science politique française</a>.</p>
<p>Côté électeurs, la perspective d’un « troisième tour » de l’élection présidentielle articulée à la <a href="https://www.la-croix.com/France/Presidentielle-2022-France-trois-blocs-2022-04-11-1201209909">tripartition de la vie politique française</a> et à l’union de la gauche suscitera peut-être un regain d’intérêt pour le Parlement. Réponse les 12 et 19 juin prochain.</p>
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<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182689/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal.
Il est membre du centre de recherche Jean Monnet de Montréal.</span></em></p>La formation d’une alliance de la gauche française redonne un caractère central aux élections législatives. Mais peut-on véritablement parler d’un regain d’intérêt pour le Parlement en France ?Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1812712022-04-13T10:18:26Z2022-04-13T10:18:26ZEt si le second tour se jouait sur le social ?<p>Dans la continuité de 2017, le premier tour de l’élection présidentielle de dimanche parachève la longue érosion de la <a href="https://theconversation.com/un-pays-fracture-pour-un-second-tour-incertain-181123">logique bipolaire</a> qui a longtemps prévalu en France. Là où 2017 avait révélé une quadripartition, la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/12/le-soutien-de-nicolas-sarkozy-a-emmanuel-macron-ouvre-une-crise-supplementaire-chez-lr_6121818_6059010.html">débâcle</a> de Valérie Pécresse (qui tombe sous la barre des 5 % contre 20 % pour François Fillon il y a cinq ans) laisse se dessiner une tripartition avec trois candidats, Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon qui cumulent plus de 70 % des voix.</p>
<p>Malgré une campagne en service minimum (absence de communication sur le bilan du quinquennat, refus de débattre avant le premier tour, concentration des efforts sur un grand meeting tardif, publication d’un programme réduit à la portion congrue trois semaines à peine avant le scrutin), Emmanuel Macron a bénéficié à la fois de l’émiettement des oppositions et d’un effet de ralliement sous les drapeaux dans le contexte de la guerre en Ukraine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-a-la-guerre-les-electeurs-francais-se-rallient-a-emmanuel-macron-pour-combien-de-temps-179316">Face à la guerre, les électeurs français se rallient à Emmanuel Macron : pour combien de temps ?</a>
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<p>Les réformes menées au cours du premier quinquennat ainsi que les quelques orientations annoncées pour un deuxième mandat confirment un positionnement libéral sur le plan économique et social, ainsi qu’une évolution sur des positions plus conservatrices sur le plan des valeurs. LREM pourrait ainsi, à terme, prendre la place d’un parti de droite traditionnel dans le paysage politique français.</p>
<p>Jean‑Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont parvenus à s’imposer, chacun dans son camp respectif, comme figure de rassemblement, bénéficiant des <a href="https://theconversation.com/la-dynamique-spectaculaire-du-vote-utile-181044">logiques de vote « utile » qui ont joué à plein</a>.</p>
<h2>Préemption des questions sociales</h2>
<p>La candidate du RN avait pourtant brillé par sa discrétion pendant toute la campagne. On a parlé <a href="https://www.europe1.fr/politique/marine-le-pen-plus-policee-sur-la-forme-mais-aussi-radicale-sur-le-fond-selon-une-etude-4103604">d’un programme « lissé »</a> sur les aspects les plus caractéristiques de l’extrême droite.</p>
<p>En réalité, à la lecture, les marqueurs demeurent : ambition de stopper « l’immigration de peuplement », aides sociales réservées aux Français, priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi, suppression du droit du sol, accent sur l’autorité (par exemple par la promesse d’instaurer un uniforme à l’école), patriotisme économique. Mais la stratégie payante de Marine Le Pen a été de profiter de la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/politique/la-politisation-de-la-politique-migratoire">politisation de l’immigration</a>, le sujet qui lui est le plus favorable, par Éric Zemmour (et d’autres) sans avoir à en parler elle-même. Pour mieux se concentrer sur la préemption de questions sociales traditionnellement associées à la gauche.</p>
<p>À l’issue d’un quinquennat marqué par de profondes réformes fiscales et sociales (impôt sur la fortune, droit du travail, prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital…), la révolte des « gilets jaunes » et une pandémie dévastatrice, les questions sociales figurent au sommet des préoccupations des Français.</p>
<p><a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/enquete-electorale-vague-7">L’enquête électorale 2022</a> Ipsos & Sopra Steria place par exemple le pouvoir d’achat au tout premier rang des enjeux jugés les plus importants et pris en compte pour le vote. Outre la guerre en Ukraine, ces enjeux comprennent la protection de l’environnement, le système de santé, puis seulement l’immigration, à rang égal avec les retraites.</p>
<p>Ce contexte aurait pu profiter à la gauche dont les discours protecteurs sont le grand marqueur. Évidemment, les candidats de gauche – et Jean‑Luc Mélenchon en particulier – n’ont pas manqué d’investir ces terrains avec des promesses comme celle de créer un état d’urgence sociale, d’établir une garantie d’emploi, de renforcer l’assurance-chômage ou de lutter contre la pauvreté.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1162&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1162&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457881/original/file-20220413-15-nj6l5m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1162&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Extrait de L’avenir en commun, programme de l’Union populaire présenté par Jean‑Luc Mélenchon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L’Avenir en commun</span></span>
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<p>Cela dit, les candidats de gauche se sont vu concurrencer sur leur propre terrain par Marine Le Pen. Notre tableau de bord sur <a href="https://poliverse.fr/program/">Poliverse.fr</a> révèle que ses 22 mesures pour 2022 sont le programme qui consacre le plus haut niveau d’attention aux politiques sociales. Comme l’observait récemment Gilles Ivaldi, elle a multiplié les propositions en la matière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1507015105162084352"}"></div></p>
<p>La candidate du RN a ainsi promis de baisser la TVA sur les produits énergétiques, de rendre les transports gratuits pour les 18-25 ans en heures creuses, de créer un prêt à 0 % pour les jeunes familles françaises, de construire des logements étudiants et des logements sociaux, ou encore de revaloriser les salaires des soignants et des enseignants, les retraites et l’Allocation Adulte Handicapé.</p>
<p>Si ces aides sont restreintes puisque <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-referendums-proportionnelle-priorite-nationale-marine-le-pen-detaille-ses-futures-reformes-constitutionnelles-en-cas-de-victoire_5078230.html">« réservées aux Français »</a> et si le programme n’entre pas dans le détail de leur financement ou de leur compatibilité avec les multiples baisses d’impôt promises par ailleurs, elles pourraient avoir joué dans l’attractivité de Marine Le Pen dans les classes populaires.</p>
<h2>Facteurs sociaux et vote</h2>
<p>En fort contraste avec le <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-toujours-et-encore-le-neo-liberalisme-179680">discours libéral</a> d’Emmanuel Macron, la focale placée par la gauche comme par Marine Le Pen sur les questions sociales est susceptible de parler particulièrement aux classes populaires – celles où l’on trouve les plus hauts niveaux de détresse sociale et de sentiments d’injustice.</p>
<p>Le graphique ci-dessous montre, effectivement, que Jean‑Luc Mélenchon et Marine Le Pen réalisent leurs meilleurs scores là où le revenu médian est plus faible, au contraire d’Emmanuel Macron. Cependant, la France Insoumise et le Rassemblent national ne mobilisent pas les mêmes électeurs : la première tire son épingle du jeu dans des zones où le niveau de diplôme est plus élevé, en contraste assez fort avec la candidate RN.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457884/original/file-20220413-19-dt933o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 1.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benjamin et Isabelle Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457885/original/file-20220413-22-4vlpkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benjamin et Isabelle Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Par ailleurs, les données agrégées montrent des corrélations entre le vote pour certains candidats et le taux de chômage, d’une part, et la proportion d’ouvriers, de l’autre. La proportion de demandeurs d’emploi est corrélée positivement avec le vote pour Marine Le Pen (R=.23) et, plus encore, pour Jean‑Luc Mélenchon (R=.34).</p>
<p>On observe une corrélation négative avec le vote en faveur d’Emmanuel Macron (R=.44), de Valérie Pécresse (R=.38) et de Yannick Jadot (R=.36). Même chose lorsque l’on regarde le lien entre vote et proportion d’ouvriers, sauf pour Jean‑Luc Mélenchon pour qui la relation est inversée.</p>
<p>Dans l’ensemble, ces observations suggèrent des logiques sociales de vote assez fortes, avec un soutien plus fort à Emmanuel Macron chez les plus favorisés, tandis que les électeurs des zones plus modestes se tournent vers Mélenchon et Le Pen, même si les ressorts sociaux semblent sensiblement différents entre ces deux candidats. Ces associations doivent être considérées avec toutes les précautions de mise lorsque l’on travaille avec des données agrégées.</p>
<p>Des liens entre catégorie socio-professionnelle et vote apparaissent toutefois aussi au niveau individuel dans les premières enquêtes, comme celle du Cevipof.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513250647617024001"}"></div></p>
<p>On retrouve en particulier une propension plus forte à voter pour Jean‑Luc Mélenchon chez les demandeurs d’emploi, pour Marine Le Pen parmi les ouvriers, tandis que les cadres supérieurs votent plus pour Emmanuel Macron. On note au passage des différences sensibles entre l’électorat de Marine Le Pen et celui de ses concurrents sur le spectre droit (notamment Eric Zemmour), moins populaire et plus aisé.</p>
<h2>Quels enjeux pour quel deuxième tour ?</h2>
<p>Nous avons vu que plus que jamais l’espace politique français est façonné par différents clivages qui dessinent des blocs différents. Or, le système majoritaire pousse à rétrécir le débat autour d’une opposition binaire qu’Emmanuel Macron aborde en se présentant comme le candidat de l’ouverture face à une extrême droite xénophobe et anti-libérale.</p>
<p>Suivant cette même logique, le peu d’accent placé par Marine Le Pen sur les enjeux d’immigration n’a pas empêché Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan d’annoncer qu’ils voteraient pour elle. Leurs électeurs sont nombreux à envisager de faire de même malgré des divergences en matière sociale.</p>
<p>Emmanuel Macron semble faire le pari qu’il pourra compter sur le rejet toujours majoritaire de leurs positions xénophobes et que ce clivage entre ouverture et fermeture lui sera donc favorable. Cependant, ce cadrage n’apporte guère de réponses aux demandes de protection sociales exprimées dans les sondages et, sans doute, dans le vote de dimanche. </p>
<p>Le pari pourrait s’avérer risqué si les considérations d’ordre culturelles poussent les électeurs situés à droite vers Marine Le Pen, tandis que les programmes sociaux dissuadent trop d’électeurs de gauche de lui faire barrage.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181271/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Guinaudeau a reçu des financements de l'ANR (projet Projet Partipol, ANR- 13-JSH1-0002-01, 2014-2018) et de la fondation Humboldt (Fellowship for experienced researchers, 2019-2020).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Benjamin Guinaudeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le contexte aurait pu profiter aux candidats de gauche mais ils ont été concurrencés par Marine Le Pen qui a imposé le discours social dans sa campagne. Une donnée importante pour le second tour.Isabelle Guinaudeau, Chargée de recherches CNRS, Sciences Po BordeauxBenjamin Guinaudeau, Chercheur, University of KonstanzLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811232022-04-11T21:07:31Z2022-04-11T21:07:31ZUn pays fracturé pour un second tour incertain<p>Comme on pouvait s’y attendre, le scrutin du 10 avril n’a pas purgé la situation provoquée par <a href="https://theconversation.com/disruption-ou-irruption-la-republique-dans-limpasse-presidentielle-174980">l’irruption d’Emmanuel Macron en 2017</a> dans la porcelaine fragilisée du système des partis. Au contraire. Loin de stabiliser un nouvel ordre politique, <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">il dévoile un paysage lunaire</a> incertain d’où semblent exclus, à droite comme à gauche, les vieux partis de gouvernement : il y a cinq ans, avec un Benoît Hamon à 6,36 %, c’est le Parti socialiste qui prenait le chemin de la sortie ; voici le tour des Républicains de sombrer, écartelés entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour, et qui se retrouvent en dessous de la barre des 5 %. Pendant que le PS, dépassé par Jean Lassalle et Fabien Roussel, réalise le score le plus faible de son histoire à moins de 2 %.</p>
<p>Terrible descente aux enfers dans une France à deux vitesses où, paradoxalement, les partis qui restent les maîtres du jeu au plan local se voient décapités au plan national !</p>
<h2>Triangulation meurtrière</h2>
<p>Faute d’avoir réformé les institutions politiques en revitalisant l’équilibre des pouvoirs et en ouvrant les conditions d’une pleine représentation démocratique, on a laissé l’implacable mécanique de l’élection présidentielle faire son œuvre de guillotine sèche, dans une atmosphère où la colère et la peur se disputent à la résignation.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-dynamique-spectaculaire-du-vote-utile-181044">Entre les siphonnages croisés</a>, à base de vote utile ou de vote refuge, et le vote protestataire, la <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">vieille bipolarisation droite/gauche</a> a fait long feu.</p>
<p>L’heure est à l’agglomération des électeurs autour de trois pôles : un pôle d’extrême droite, fort de ses 32,29 % et qui gagne 1,6 million de voix par rapport à 2017 ; un pôle de gauche radicale, autoproclamé par Mélenchon unité populaire, avec 22 % ; un pôle central autour du président sortant, qui rassemble 27,84 % des suffrages.</p>
<p>Autour de ce dernier, isolé au milieu des terres de sables mouvants, un habitat dispersé pour les lambeaux des partis non-alignés sur les pôles : Roussel, Jadot, Pécresse, Hidalgo ne totalisent à eux quatre que 13,45 % (4 727 073 suffrages). À elle seule, Valérie Pécresse, tombant à 1 679 470, perd 5 533 525 des voix réunies <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sultats_d%C3%A9taill%C3%A9s_de_l%27%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2017">par François Fillon</a>.</p>
<p>Les Républicains, pris en tenaille entre l’extrême droite et Emmanuel Macron, font donc particulièrement les frais du naufrage : ils ont été victimes du siphonnage par ces deux pôles. Une mésaventure du même genre est arrivée aux écologistes et aux socialistes, victimes collatérales des sirènes du vote utile chantées par Jean-Luc Mélenchon.</p>
<h2>Défaites spectaculaires</h2>
<p>Dans ce jeu de vases communicants, certaines défaites sont particulièrement spectaculaires : des douze candidats, seuls trois émergent au-dessus de 20 %, tandis que neuf sont en dessous de la barre des 10 % et huit au-dessous de celle des 5 %. Et près de 15 points séparent le quatrième du troisième ! Étrange déconnexion d’un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins-dete/entre-decompositions-et-recompositions-ou-va-la-vie-politique-francaise">champ politique en pleine recomposition</a>, dont on saisit difficilement la cohérence avec le paysage politique local. Souvenons-nous qu’en 2017, les quatre premiers candidats se tenaient dans un mouchoir de poche…</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon peut se targuer d’un score plus élevé que le laissaient attendre les sondages, quoique moins important sans doute qu’il ne l’espérait : avec 21,95 %, il progresse de 655 000 voix par rapport à 2017 (+5,97 %). L’apport d’un vote utile d’écologistes et de socialistes ne suffit pas à compenser le handicap causé par la présence de son ancien allié communiste, qui a cette fois fait cavalier seul : il échoue de 421 000 voix à dépasser Marine Le Pen.</p>
<p>Emmanuel Macron, de son côté, réussit à franchir le cap en tête, précédant de près de quatre points sa principale rivale. Avec 27,84 % des suffrages, il améliore de plus de 1 130 000 voix son score de 2017 (+13 %). Quant à Marine Le Pen, avec 23,15 % elle réussit, par une habile utilisation du vote utile, à surmonter le handicap d’une candidature Zemmour et progresse de plus de 450 000 voix par rapport à la précédente élection (+5,96 %).</p>
<h2>Les reports de voix</h2>
<p>Le chemin du second tour est semé d’incertitudes et d’embûches. Car la partie qui va se jouer est doublement complexe. Il y a, bien sûr, la désignation de l’occupant du fauteuil présidentiel. Mais au-delà, il y a la question de <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-institutions-politiques--9782707158611-page-87.htm">l’efficience des institutions</a> et leur capacité à répondre aux attentes d’un pays profondément divisé et fracturé.</p>
<p>Le résultat du premier tour laisse planer une fausse clarté sur l’issue du second. Cette cristallisation tripolaire antagoniste freine ce qui est un des deux éléments essentiels de la dynamique d’un second tour : les <a href="https://www.cairn.info/comment-les-electeurs-font-ils-leur-choix--9782724611076-page-381.htm">reports de voix</a>.</p>
<p>Marine Le Pen semble n’avoir aucune inquiétude à se faire de ce point de vue, la texture du vote d’extrême droite étant homogène et les deux autres candidats de son camp, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, appelant sans surprise et sans condition à voter pour elle. Elle peut de surcroît, au vu de l’attitude du numéro 2 de la primaire LR, Éric Ciotti, partisan d’une droite dure, espérer une part des voix recueillies par Valérie Pécresse.</p>
<p>Et cerise sur le gâteau, dans le cadre d’une sorte de « tout sauf Macron », elle pourrait bénéficier de certains suffrages de Jean-Luc Mélenchon bien que ce dernier a appelé à plusieurs reprises dimanche soir à ne « pas donner une seule voix » à l’extrême droite sans pour autant donner une consigne en faveur d’Emmanuel Macron.</p>
<h2>Une campagne ardue pour Emmanuel Macron</h2>
<p>Face à ces deux blocs qu’unit leur commune hostilité au président-candidat, Emmanuel Macron ne dispose pas des mêmes ressources potentielles. Certes, aussi bien Anne Hidalgo que Valérie Pécresse, Yannick Jadot et Fabien Roussel ont fermement et clairement appelé à voter pour lui. Mais leur potentiel reste faible, à supposer qu’il soit discipliné. Il lui faudra ferrailler dur pour amener à lui les électeurs de gauche qui auront voté Mélenchon afin d’éviter trop de déshonneur à leur camp. Reste à jouer sur la participation et susciter une dynamique parmi les abstentionnistes du premier tour. Cette participation a été médiocre : seulement deux points de plus qu’en 2002 et quatre de moins qu’en 2017. Il y a donc là du soutien à espérer.</p>
<p>Ce qui sera lié à la deuxième dimension de l’élection : l’efficience démocratique dans le fonctionnement des institutions. Car il y a un <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">déficit de confiance dans les élus</a>. Il y a peu de chance, en effet que le 24 avril purge la France du malaise entretenu dans l’opinion publique. Le risque est lourd de voir la légitimité du vainqueur remise en cause.</p>
<p>Les années qui viennent de s’écouler ont suffisamment montré que l’élection, pour brillante soit-elle, ne suffit pas à elle seule à garantir un consentement au politique. Il va falloir inventer un mode de gouvernement qui sorte de l’impasse dans laquelle l’illusion présidentielle a plongé le pays au fil des décennies.</p>
<p>L’horizon serait très sensiblement différent si au lieu d’être réduites à un miroir aux alouettes présidentielles, des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/02/24/quel-serait-le-visage-de-l-assemblee-nationale-avec-la-proportionnelle-integrale-ou-partielle_6071093_4355770.html">législatives à la proportionnelle</a> permettait un pluralisme et une diversité des opinions représentées. Et si un fonctionnement des institutions se faisait plus respectueux de l’équilibre des pouvoirs. Cela aura été la lourde erreur du quinquennat que de s’économiser cette réforme. Il faut aujourd’hui en solder le prix.</p>
<p>Emmanuel Macron semble l’avoir compris, qui déclarait au soir du premier tour :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis prêt à inventer quelque chose de nouveau pour rassembler les convictions et les sensibilités diverses. »</p>
</blockquote>
<p>Faute de s’être donné les moyens de pouvoir agir immédiatement, il lui faut se contenter de tracer une perspective cavalière, pour tenter de convaincre de la manière dont il entend procéder pour sortir de cette pratique verticale et concentrée dans l’exercice du pouvoir.</p>
<p>À la lecture des résultats du premier tour, l’exercice promet d’être périlleux. Danton disait qu’il fallait de l’enthousiasme pour fonder une République. Il en faut aussi pour la conserver.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre éclatement des partis traditionnels, division des électeurs en trois pôles et reports de voix compliqués, l’issue du second tour n’est acquise pour personne.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1796802022-03-24T18:39:38Z2022-03-24T18:39:38ZEmmanuel Macron : toujours et encore le néo-libéralisme ?<p>De nombreux livres sur le style de gouvernance d’Emmanuel Macron ou sur certains aspects des politiques publiques menées de 2017 à 2022 ont été publiés par des journalistes pour aider le grand public à former son jugement à la veille de l’élection présidentielle. Ne serait-ce qu’en raison du temps nécessaire pour mener une recherche académique, ceux rédigés par des universitaires s’avèrent eux bien plus rares à ce stade.</p>
<p>Il faut donc saluer la publication en février 2022 de deux ouvrages qui tentent de faire un premier bilan à chaud des années 2017-2022 en respectant les contraintes de la vie académique. Le premier est le fruit d’un travail collectif dirigé par Bernard Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien Fretel, et Rémi Lefebvre, <a href="https://www.pug.fr/produit/1662/9782706142635/l-entreprise-macron"><em>L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir</em></a> (PUG/UGA Editions, Fontaine/Grenoble).</p>
<p>En rassemblant pas moins de 29 spécialistes, l’ouvrage ambitionne d’établir un bilan de l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron et sa majorité. Le second, <a href="https://www.pug.fr/produit/1968/9782706151668/les-politiques-sociales-sous-macron"><em>Les politiques sociales sous Macron</em></a> (PUG/UGA Editions, Fontaine/Grenoble) résulte au contraire de l’enquête menée par un seul chercheur, Mehdi Arrignon. Ce dernier se focalise sur les seules politiques sociales, à la fois à travers les statistiques disponibles, les changements législatifs et réglementaires en la matière, et des entretiens avec des acteurs de ces dernières du haut en bas de la hiérarchie politico-administrative.</p>
<h2>Le macronisme, un néo-libéralisme</h2>
<p>Pour ce qui concerne les politiques publiques proprement dites (en laissant ici de côté les aspects électoraux et partisans aussi traités par l’ouvrage collectif), les deux ouvrages se rejoignent dans leur diagnostic : le macronisme des années 2017-2022 fut bel et bien un néo-libéralisme.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=760&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=760&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=760&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=955&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=955&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/453848/original/file-20220323-19-idzfla.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=955&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Friedrich Hayek, né le 8 mai 1899 à Vienne et mort le 23 mars 1992 à Fribourg-en-Brisgau, est un économiste et philosophe austro-britannique, il est l’un des penseurs les plus importants du libéralisme au XXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Hayek">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Rappelons que le néo-libéralisme, c’est <a href="https://livre.fnac.com/a4051564/Mathieu-Laine-Dictionnaire-du-liberalisme">cette doctrine</a>, énoncée par exemple par Milton Friedman ou Friedrich Hayek dès les années 1960, qui entend mettre la puissance de l’État au service du développement harmonieux de tous les marchés pour atteindre les optima sociaux désirables, que ce soit une meilleure santé, une meilleure éducation, une bonne retraite ou du travail pour tous.</p>
<p>De cette idéologie bien présente dans les discours de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan dans les années 1980, on ne trouve certes guère de trace aussi directe dans les discours tenus depuis 2017 par Emmanuel Macron ou ses proches, tous les auteurs ici cités en sont d’accord.</p>
<p>Le macronisme se présente lui-même, soit comme un pragmatisme qui applique au cas par cas les bonnes solutions aux problèmes rencontrés, soit comme un élan modernisateur qui ne dépend d’aucune idéologie autre qu’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/08/les-metamorphoses-du-progressisme_6097565_3232.html">vague progressisme</a>. Seule la technophilie, l’idée d’un salut par l’innovation, distingue alors vraiment le macronisme.</p>
<h2>Céder sur l’accessoire pour préserver l’essentiel</h2>
<p>Tous les auteurs cités s’accordent cependant sur le fait que les changements ou inflexions de politiques publiques entre 2017 et 2022 sont toujours allés dans la direction qu’indique depuis des décennies désormais la boussole néo-libérale : plus de marchés ou plus de poids donné aux forces du marché (entreprises, concurrence, innovation) et moins de sources structurelles de dépenses publiques pour permettre des baisses d’impôt sur les « premiers de cordées » (en particulier moins de dépenses sociales dites « passives » d’indemnisation, comme celles du chômage).</p>
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<figcaption><span class="caption">Ronald Reagan et Margaret Thatcher, années 80.</span></figcaption>
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<p>Rappelons parmi les grandes décisions d’Emmanuel Macron la suppression de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) au nom de la théorie <a href="https://www.scienceshumaines.com/le-mythe-de-la-theorie-du-ruissellement_fr_40518.html">dite du « ruissellement »</a> selon laquelle la moindre imposition des plus riches amène à plus d’investissements et donc à plus d’emplois et à une élévation à terme du niveau de vie des plus pauvres. Ou encore la baisse des APL de cinq euros par foyer au nom de la lutte contre la rente foncière censée capter à son seul profit les subventions publiques aux loyers des plus modestes.</p>
<p>Les diverses crises qu’a connues le mandat d’Emmanuel Macron (« gilets jaunes », Covid et désormais l’invasion russe de l’Ukraine) ont pu donner l’impression que les décisions prises au jour le jour s’éloignaient de cette intention fondamentale, avec le désormais célèbre <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/18/l-efficacite-du-quoi-qu-il-en-coute-n-est-pas-claire_6114254_3232.html">« quoi qu’il en coûte »</a>. Les auteurs montrent plutôt qu’Emmanuel Macron et ses proches ont su à chaque fois céder sur l’accessoire pour préserver l’essentiel.</p>
<h2>L’essence du macronisme</h2>
<p>Quel est cet essentiel ? En matière économique et sociale, c’est à une priorité au « retour au travail » de tous que l’on assiste depuis 2017. Comme le montre Mehdi Arrignon, dans son chapitre 14, « Justice sociale : les conceptions implicites » (p. 199-208), c’est de fait à un retournement complet de l’idée même de protection sociale que l’on assiste.</p>
<p>Il s’agit de forcer tout un chacun à devenir économiquement autonome de toute aide publique, à prendre des risques, à « traverser la rue ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FHMy6DhOXrI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Traverser la rue », mars 2018.</span></figcaption>
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<p>Les diverses réformes étudiées par M. Arrignon vont en effet toutes dans ce sens : faire du retour au travail rémunéré la solution unique à tous les problèmes rencontrés par les individus.</p>
<p>Les contributions rassemblées dans l’ouvrage collectif portant sur d’autres politiques publiques (sans pouvoir les couvrir toutes cependant) dressent le même diagnostic : sur la politique du logement laissée aux bons soins du marché (Sylvie Fol, Matthieu Gimat, Yoan Miot), sur la fiscalité favorisant les hauts revenus issus du capital mobilier (Kevin Bernard, Camille Herlin-Giret), sur la politique territoriale misant sur l’autonomie de territoires mis en concurrence (Eleanor Breton, Patrick Le Lidec), sur la santé contrainte par un corset financier d’acier trempé (Frédéric Pierru), sur le sort des grandes réformes (retraites, assurances chômage, etc.) maintenues de fait pendant les crises des « gilets jaunes » et du Covid (Rafael Cos, Fabien Escalona).</p>
<p>Le néo-libéralisme demeure au cœur des décisions, à la fois sous son aspect financier, sous la priorité qu’il donne aux marchés et aux entreprises, et enfin pour responsabiliser chacun de son propre sort. Il est noter qu’aucune des contributions ici rassemblées ne fait allusion à un renouvellement de la réflexion au cours des années 2017-2022 de la part des acteurs aux commandes des différentes politiques étudiées. Il n’y a donc pas lieu d’attendre quelque correction de trajectoire de leur part pour les années à venir.</p>
<h2>Une grande continuité avec les deux mandats présidentiels précédents</h2>
<p>Cependant, tous ces auteurs insistent aussi sur la continuité de ces politiques néo-libérales avec les deux précédents quinquennats (Sarkozy, Hollande). Il n’y a donc pas véritablement rupture, pas de « révolution » telle que promise dans le livre-programme d’Emmanuel Macron de 2016, mais approfondissement d’un sillon déjà bien labouré.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">Emmanuel Macron, l’héritier caché de Nicolas Sarkozy ?</a>
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<p>Cette continuité et cet approfondissement que représente le macronisme au pouvoir, largement lié à une continuité des élites politico-administratives (hauts fonctionnaires déjà à la manœuvre dans un domaine de politique publique avant 2017 repérés par les diverses contributions des deux ouvrages cités entre 2017 et 2022, ou élus venus du Parti socialiste ou des Républicains et ralliés en 2017 ou après à Emmanuel Macron comme députés ou ministres) qui conçoivent et mettent en œuvre ces réformes, expliquent sans doute l’insatisfaction des Français face à une bonne part de ces politiques publiques, et surtout à l’égard des institutions où ces politiques publiques sont décidées.</p>
<h2>Un programme visant à fonder une société de marché</h2>
<p>Selon les données du <em>Baromètre de la confiance politique</em>, <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">l’enquête régulière menée par le CEVIPOF</a>), jamais aucune institution politique nationale ou européenne (Président de la République, Parlement, Sénat, Conseil constitutionnel, Conseil économique social et environnemental, Union européenne) n’a dépassé depuis qu’il existe (2009), et ce jusqu’en janvier 2022, le seuil des 50 % de satisfaits (vague 13, janvier 2022).</p>
<p>L’insatisfaction à l’égard des pouvoirs les plus éloignés est ainsi devenu un trait majeur de notre démocratie. Seuls les pouvoirs locaux (Conseil municipal, et, dans une moindre mesure, Conseil départemental et Conseil régional) recueillent encore régulièrement la confiance de plus de 50 % des Français. Quant aux partis politiques, ils représentent de longue date l’institution dans laquelle les Français ont de loin le moins confiance (21 % en janvier 2022).</p>
<p>Le programme en matière économique et sociale présenté par E. Macron le 17 mars 2022 en vue de sa réélection s’avère pourtant en parfaite continuité avec les décisions du quinquennat qui s’achève (retraite à 65 ans, obligation d’avoir une activité partielle pour les bénéficiaires du RSA, fusion de toutes les aides sociales, etc.).</p>
<p>La réélection d’Emmanuel Macron validera donc ce choix d’une <a href="https://www.lexpress.fr/informations/jospin-cherche-sa-ligne_635462.html">« société de marché »</a>, comme aurait dit Lionel Jospin (PS) en son temps, alors qu’il refusait justement l’évolution du socialisme français vers le néo-libéralisme.</p>
<p>Une « société de marché » correspondrait à l’idéal néo-libéral enfin réalisé, où le devenir de chaque personne serait très strictement indexé sur sa réussite économique sur le marché. Elle correspond aussi à la volonté d’E. Macron de garantir une égalité aussi parfaite que possible des chances au départ de cette lutte pour profiter des agréments de la vie ou pour éviter ses désagréments, mais de n’offrir que des filets de sécurité les plus minimaux possibles pour les perdants de cette course. Cependant il n’est pas sûr que la pérennisation de ce nouveau modèle (anti-)social français n’accroisse pas encore la défiance d’une bonne part de la population à l’encontre de l’État, des élites, de la politique, voire même de toute autorité instituée.</p>
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<p><em>Cet article a été publié dans le cadre du partenariat avec le <a href="https://poliverse.fr/">site Poliverse.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179680/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Bouillaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux ouvrages dressent un bilan très néo-libéral du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de politiques publiques.Christophe Bouillaud, Professeur de science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786692022-03-13T17:40:03Z2022-03-13T17:40:03ZEmmanuel Macron, l’héritier caché de Nicolas Sarkozy ?<p>Il a publié son message sur les réseaux sociaux: l’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/sarkozy-soutient-macron-lr-pris-a-revers-20220412_ERQI7F2LX5F6VEXYP5EXIC3ZIE/">a annoncé mardi 12 avril qu’il soutiendrait son successeur</a> face à Marine Le Pen le 24 avril. </p>
<p>À l’heure où Emmanuel Macron entame sa campagne d'entre-deux tours pour sa réélection, commentateurs, opposants et partisans tentent de dresser son bilan. La question est notamment de savoir s’il est parvenu à rompre avec le système politique traditionnel, ou s’il en est en quelque sorte l’héritier, y compris celui de personnalités qu’on ne soupçonnerait pas au premier abord.</p>
<p>En juillet 2020 paraissait <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/nicolas-sarkozy/ce-que-contient-le-temps-des-tempetes-le-nouveau-livre-de-nicolas-sarkozy-qui-revient-sur-les-debuts-de-son-quinquennat_4054669.html"><em>Le Temps des tempêtes</em></a>, ouvrage autobiographique de Nicolas Sarkozy revenant en détail sur les 18 premiers mois de sa présidence, dans lequel l’ancien président de la République sacrifie volontiers à l’inclination méliorative de l’exercice réglé des mémoires politiques. </p>
<p>Le livre cherche essentiellement à réhabiliter son quinquennat : rares ont été les erreurs commises, celles qui l’ont été furent bénignes et attribuables à ses excès de passion et d’humanité, ses proches collaborateurs et ses alliés furent dignes et compétents, ses adversaires politiques hypocrites, irresponsables et autocentrés, et la parole et l’action présidentielles n’ont été que désintéressées et bienveillantes. Rien de très inattendu, en somme. Si l’ouvrage a retenu notre attention, ce n’est pas tant pour le récit qu’il livre – que nous nous abstiendrons de juger sur le fond – que pour les multiples similitudes qui nous sont apparues à sa lecture avec l’actuel quinquennat d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Même s’il serait impropre de dire que le sarkozysme a préparé le macronisme, certaines de ses caractéristiques ont préfiguré à la fois le discours d’Emmanuel Macron et sa manière de gouverner. La question demeure d’autant plus pertinente que certains ralliés de la droite <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/emmanuel-macron-le-meilleur-candidat-de-la-droite-20220213_2OCGOKBZY5ELJLTKENWUTT4OHI/">ont fait valoir la proximité qu’ils voyaient</a> entre les deux présidents, et que Nicolas Sarkozy continue à <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/qui-sarkozy-soutiendra-t-il-a-la-presidentielle-la-question-qui-hante-la-campagne-de-pecresse-20220129_SDZKSBXNJVHSDGCGNFIC7XNWYM/">entretenir le suspense</a> sur son éventuel soutien au président sortant, justifiant à notre sens une sorte de lecture croisée des deux quinquennats. Une manière en quelque sorte de questionner la « rupture » qu’aura représenté 2017 dans la vie politique française.</p>
<h2>Des présidents disruptifs</h2>
<p>La qualité supposée que Nicolas Sarkozy a le plus cherché à mettre en avant dans son livre est sa propension à rompre avec les codes convenus de l’exercice de la fonction présidentielle, voire même sa tentative de redéfinir ce qu’est un homme politique tout court – son côté <a href="https://www.lopinion.fr/elections/presidentielle/emmanuel-macron-le-retour-du-disruptif">« disruptif »</a>, pour reprendre le vocable macronien. Cela se traduit d’abord par une série de « petites phrases » polémiques ayant émaillé les deux quinquennats.</p>
<p>Chez Nicolas Sarkozy, elles ont pris la forme soit de « coups de sang » au contact de citoyens mécontents – les fameux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ndiCzGwzxaA">« eh ben casse-toi alors, pauv’ con ! »</a> au Salon de l’Agriculture en 2008 et <a href="https://www.dailymotion.com/video/xbl7aj">« C’est toi qui a dit ça ? Ben, descends un peu le dire ! »</a> lors d’une rencontre avec les pêcheurs du Guilvinec en 2007 – soit de propos jugés outranciers ou discriminatoires sur de grands sujets politiques – comme l’expression « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » prononcée lors d’un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html">discours à Dakar</a> en 2007.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ndiCzGwzxaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Casse toi pauvre con ! » INA.</span></figcaption>
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<p>Chez Emmanuel Macron, elles se sont traduites soit par des propos jugés désobligeants envers tout ou partie de la population – à l’instar de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/03/31001-20170703ARTFIG00167-les-gens-qui-reussissent-et-les-gens-qui-ne-sont-rien-ce-que-revele-la-petite-phrase-de-macron.php">« ceux qui ne sont rien »</a>, de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2019/02/01/macron-ironise-sur-jojo-avec-un-gilet-jaune-qui-a-le-meme-statut-quun-ministre_a_23658249/">« Jojo le Gilet jaune »</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/emmanuel-macron/article/2018/08/29/emmanuel-macron-compare-les-francais-a-des-gaulois-refractaires-au-changement_5347766_5008430.html">« Gaulois réfractaires »</a>, ou plus récemment de son envie <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/14/emmerder-les-non-vaccines-le-revers-de-la-medaille-des-propos-d-emmanuel-macron_6109488_823448.html">« d’emmerder »</a> les non-vaccinés – soit par des propos critiquant la déresponsabilisation des individus dans la gestion de leur avenir – avec par exemple le <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/pognon-de-dingue-gens-qui-ne-sont-rien-feignants-ces-petites-phrases-demmanuel-macron-qui-ne-passent-pas-chez-les-gilets-jaunes-185012-10-12-2018/">« pognon de dingue dans les minimas sociaux »</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-le-meilleur-moyen-de-se-payer-un-costard-c-est-de-travailler-27-05-2016-2042634_20.php">« le meilleur moyen de se payer un costard c’est de travailler »</a> ou « <a href="https://www.leparisien.fr/politique/macron-a-un-jeune-chomeur-je-traverse-la-rue-et-je-vous-trouve-un-emploi-15-09-2018-7889829.php">je traverse la rue, je vous en trouve [du travail]</a> ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FHMy6DhOXrI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Je traverse la rue et je vous en trouve du travail », Emmanuel Macron, 2018, Euronews.</span></figcaption>
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<p>Si les deux ont pu occasionnellement plaider une maladresse dans la forme, ils ont également défendu une forme de vérité transparaissant dans leurs propos plus ou moins spontanés, façon de signifier que la sincérité de leur pensée allait de pair avec un « parler vrai » certes déplaisant pour les uns, mais résonnant avec les intimes convictions des autres. Par ailleurs, bien qu’issus du « système » qu’aiment à dénoncer les partis populistes – soit par une trajectoire politique ascendante et prestigieuse, soit par un parcours scolaire et professionnel élitiste – Nicolas Sarkozy comme Emmanuel Macron ont aimé à se présenter comme « à part ».</p>
<p>Le premier a ainsi estimé avoir dû affronter la fureur des élites (notamment de gauche) car « [son] élection était déjà en soi une provocation, [puisqu’il] ne répondait à aucun des critères habituels » (p. 98), notamment celui d’être énarque. De son côté, Emmanuel Macron n’a jamais occupé de poste électif avant 2017 et a choisi de faire reposer sa candidature sur un nouveau <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/quand-l-histoire-se-met-en-marche-31-07-2017-2147106_1615.php">« mouvement »</a>, <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-189.htm">managérialisé</a> et ouvert aux profanes de la politique comme aux nouvelles technologies.</p>
<h2>Par-delà la gauche et la droite</h2>
<p>Fait aujourd’hui masqué par la radicalisation de la fin de son quinquennat, il faut rappeler que Nicolas Sarkozy avait, 10 ans avant Emmanuel Macron, tenté le premier de brouiller la frontière entre la gauche et la droite. Bien entendu, rien à voir avec le « et de droite, et de gauche » de l’actuel président : tout indique dans le parcours de l’auteur du <em>Temps des tempêtes</em> un solide ancrage à droite et une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/05/09/les-contacts-a-gauche-sans-ralliements-de-nicolas-sarkozy_907777_3224.html">dénonciation permanente de la gauche</a>.</p>
<p>Il faut néanmoins se rappeler qu’il avait fait venir dans le gouvernement Fillon des personnalités issues du monde socialiste, comme Bernard Kouchner, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/lr/eric-besson_1628533.html">Eric Besson</a> ou encore Jean‑Pierre Jouyet, qui deviendra secrétaire général de l’Élysée sous François Hollande.</p>
<p>En réalité, sous la plume de Nicolas Sarkozy, l’opposition entre la gauche et la droite relève moins de l’affrontement entre deux visions du monde, deux ensembles de valeurs antagonistes, que de la distinction entre l’immobilisme et la volonté d’adaptation.</p>
<p>Plus que porteuses d’un projet de société néfaste, les organisations de gauche seraient en réalité animées des plus profondes envies de conserver la société en l’état, notamment les acquis sociaux ou le pouvoir des syndicats. L’ancien président parle ainsi de « l’archaïsme de nos relations sociales » (p. 179) à propos de l’opposition à la loi sur le service minimum dans les transports en commun, considère le communisme comme une idéologie incompréhensible au XXI<sup>e</sup> siècle (p. 65), que les « intégristes verts » sont un prolongement du marxisme (p. 40) et que la haine des socialistes pour les riches (à l’époque) est un reste malheureux et minoritaire de la Révolution française (p. 179).</p>
<p>Cette analyse est partagée par certains à droite, notamment par Édouard Philippe, qui a accepté en 2017 le poste de Premier ministre d’Emmanuel Macron. Dans son ouvrage <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins-dete-1ere-partie/edouard-philippe-les-livres-qui-mont-construit"><em>Des hommes qui lisent</em></a>, paru quelques mois après son entrée en fonction, ce dernier reprend à son compte le travail du <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1946_num_11_6_6261_t1_0583_0000_2">politiste François Goguel</a>, pour qui les forces politiques de la Troisième République étaient structurées entre celles « de l’ordre » et celles « du mouvement ».</p>
<p>Au fond, le macronisme, inauguré fin 2016 par l’ouvrage <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/revolution"><em>Révolution</em></a>, incarnerait l’essence de la France <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-mercredi-13-novembre-2019">souhaitant aller de l’avant</a> (« En marche »), s’opposant à la fois aux passéistes de droite (nostalgiques de la France d’hier) et de gauche (<a href="https://www.lerevenu.com/breves/recours-au-493-macron-denonce-un-conservatisme-de-gauche-qui-ne-veut-pas-la-reforme">campés sur les conquêtes sociales du XXᵉ siècle</a>). Face aux grands bouleversements de ce monde, il faudrait s’adapter et innover en étant toujours plus flexibles – c’est notamment l’essence de la <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1499650738934489088">déclaration de candidature du président Macron</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499650738934489088"}"></div></p>
<p>Le changement voire la rupture est une rhétorique certes essentielle pour un candidat d’opposition, mais également quand, comme Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, on s’inscrit dans une forme de continuité avec le précédent président, notamment en ayant été son ministre.</p>
<p>En ce sens, il s’agit de donner l’impression de rompre avec le sectarisme affiché du vieux <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elle-encore-sens-en-france-178181">clivage gauche/droite</a> pour devenir le candidat du « bon sens » (quelle que soit la boussole qui guide ce bon sens) face aux grands défis contemporains, en suivant le principe selon lequel une bonne idée est une bonne idée, qu’elle vienne de la droite ou de la gauche, et en refusant toute tentative de réduction à un camp ou à un autre, c’est-à-dire toute tentative d’objectivation de son discours par rapport à des critères de jugement présentés comme dépassés.</p>
<h2>Hyperprésident contre monarque républicain</h2>
<p>Dans son autobiographie, Nicolas Sarkozy revient de nombreuses fois sur ses méthodes de gouvernement, et notamment sur les accusations « d’hyperprésidence » dont il a fait l’objet. Initialement, ce concept médiatique soulignait avant tout sa propension à s’occuper personnellement de toutes les affaires pouvant intéresser même de très loin l’exécutif, des <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/sarkozy-veut-que-le-meurtrier-presume-du-red-d-reste-enferme-apres-sa-peine-30-11-2007-3291393253.php">faits divers</a> aux <a href="https://www.liberation.fr/debats/2007/07/24/sarkozy-et-les-infirmieres-bulgares_1814835/">otages étrangers</a>, quitte à paraître empiéter sur les prérogatives des membres de son gouvernement ou de l’administration. Selon l’ancien président, ce « volontarisme » forcené se justifie par le rôle même de président de la République qui, directement élu par le pe, doit user de tout le pouvoir qu’il détient pour résoudre les problèmes que rencontre la société.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">« Moi, président·e » : Règle n°2, hyper-président·e tout le temps</a>
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<p>Le concept d’hyperprésident n’est en réalité pas tellement éloigné de celui de <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19417-le-president-un-monarque-republicain">« monarque républicain »</a> forgée par le juriste et politiste Maurice Duverger, et dont Emmanuel Macron a <a href="https://www.publicsenat.fr/emission/un-monde-en-docs/macron-an-1-un-monarque-jupiterien-83610">souvent été affublé</a>. Le monarque républicain, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/vie-republique-la-fascination-pour-le-monarque-republicain-est-bien-ancree-en-france_1610168.html">réalisant pleinement la fonction de président de la République</a> telle que prévue par l’esprit gaullien de la Constitution, est ainsi au sommet d’une chaîne de décision parfaitement verticale : in fine, tout est décidé et légitimé par sa seule personne. L’Élysée est mis en scène comme lieu d’exercice du pouvoir suprême et d’élaboration des décisions politiques.</p>
<p>Une telle organisation du pouvoir souffre généralement assez peu la contradiction, qu’elle vienne des médias ou de la société civile. Sarkozy comme Macron ont ainsi rarement hésité, bien qu’ils aient tous deux bénéficié <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-53.htm">d’une couverture médiatique généreuse</a> avant leur accession au poste de président, à critiquer les médias, coupables d’incompétence ou de frivolité, voire d’a priori négatifs à leur encontre.</p>
<p>Il a souvent été dit que le second <a href="https://www.leparisien.fr/politique/emmanuel-macron-le-president-qui-n-aimait-pas-les-journalistes-24-04-2019-8059116.php">n’aimait pas les journalistes</a>, mais le premier ne les épargne pas non plus dans ses mémoires (notamment ceux de gauche, « ces parangons de vertu [qui] ne se rendaient même pas compte du sectarisme dont ils faisaient preuve », p. 300), ni d’ailleurs les experts de plateaux (à propos du Covid par exemple, p. 510) :</p>
<blockquote>
<p>« le cortège de prétendus spécialistes qui n’ont rien d’autre à faire que d’encombrer les écrans et les micros de leurs nombreux commentaires en général péremptoires, et souvent démentis a posteriori par les faits »</p>
</blockquote>
<p>Les organisations intermédiaires n’ont souvent pas non plus les faveurs de l’un ou de l’autre. Ainsi des syndicats enseignants pour Nicolas Sarkozy :</p>
<blockquote>
<p>« [Ce] qui est assez préoccupant est l’évolution, à [ses] yeux assez détestable, de l’expression collective du corps enseignant par l’intermédiaire de ses représentants syndicaux. L’intérêt corporatiste a pris le pas sur tout et tous. Et quand il n’est pas corporatiste, il est politique » (p. 194).</p>
</blockquote>
<p>La relation qu’a entretenue plus récemment le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer avec les syndicats enseignants est du même acabit, ces derniers se plaignant depuis cinq ans <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/autoritaire-meprisant-pourquoi-la-methode-blanquer-exaspere-une-partie-des-enseignants_2166403.html">d’un manque de considération et de concertation</a>, les réformes étant imposées par le haut plutôt que discutées avec les acteurs de terrain – impression encore aggravée par une <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-jean-michel-blanquer-ibiza-protocole-sanitaire-interview-la-goutte-d-eau-qui-fait-deborder-le-vase-selon-syndicats-enseignants-2207521.html">gestion de la crise sanitaire jugée « désinvolte »</a>.</p>
<p>Certes, ni les gouvernements de Nicolas Sarkozy ni ceux d’Emmanuel Macron n’ont refusé le dialogue social ou n’ont pu totalement s’abstraire de la pression exercée par les organisations et mouvements de la société civile sur les pouvoirs publics. Mais à chaque fois s’est imposée l’idée que le dialogue était une forme de faveur offerte, dans la mesure où le pouvoir exécutif, fondé en légitimité démocratique aussi bien qu’en raison, ne saurait connaître – pour caricaturer – de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/candidats/nouveau-monde-en-meme-temps-moralisation-emmanuel-macron-a-t-il-preside-comme-il-l-avait-promis_4951488.html">contrainte à son action ambitieuse</a>.</p>
<h2>Les différences entre l’ancien monde et le nouveau</h2>
<p>Malgré les nombreux points communs que l’on peut trouver entre les deux présidents, il ne serait pas pertinent de voir dans le quinquennat d’Emmanuel Macron un prolongement, et encore moins une répétition de celui de Nicolas Sarkozy. <em>Le Temps des tempêtes</em> semble ainsi encore solidement ancré dans « l’ancien monde » auquel l’actuel président souhaitait mettre fin, <a href="https://www.liberation.fr/politique/face-au-vieux-monde-une-recomposition-qui-attend-confirmation-20210619_XXC723XRRNBYBP7ZK4SONXLAOY/">sans tout à fait encore y parvenir</a>.</p>
<p>L’action de l’ancien président était toujours contrainte par la nécessité de gérer l’ensemble des acteurs formant la coalition qui l’a porté au pouvoir, et notamment les diverses sensibilités idéologiques et personnelles des membres de son parti, là où Emmanuel Macron s’est exonéré de ce problème en créant sa propre organisation. Son prédécesseur justifie par ailleurs en permanence son action politique par la nécessité de faire respecter ses promesses de campagne et de rendre compte de ses résultats aux Français, donnant ainsi de la substance à l’idée de représentation démocratique, là où le <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron%20--%209782706142635-page-39.htm ?contenu=article">programme d’Emmanuel Macron</a> fut plus succinct et d’inspiration technocratique.</p>
<p>Enfin, Nicolas Sarkozy évoluait encore dans un système politique relativement structuré, où les alliances et les oppositions <a href="https://theconversation.com/trianguler-ou-lart-de-sapproprier-les-idees-des-autres-en-politique-161326">demeuraient plutôt claires</a>. Au contraire, on pourrait arguer qu’Emmanuel Macron n’a pas réellement d’adversaires : il a en face de lui soit des formations accrochées à des configurations politiques archaïques et condamnées à disparaître (les partis de gouvernement traditionnels), soit des formations s’étant trouvé une place dans la vie politique actuelle, mais demeurant censément hors du spectre des acteurs pouvant prétendre à gouverner (les mouvements populistes). Privé de réelle alternative, il a alors repoussé hors de la vie politique institutionnelle les tempêtes que tout président de la République est amené à affronter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178669/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilien Houard-Vial a reçu des financements de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. </span></em></p>Le sarkozysme a-t-il préfiguré à la fois le discours d’Emmanuel Macron et sa manière de gouverner ?Emilien Houard-Vial, Doctorant en science politique, Centre d'études européennes (Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786652022-03-10T20:26:55Z2022-03-10T20:26:55ZPourquoi certains adorent détester Emmanuel Macron ?<p>Et si la campagne présidentielle française pouvait être analysée par le biais d’une série britannique ? La série multi-primée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Crown_(s%C3%A9rie_t%C3%A9l%C3%A9vis%C3%A9e)">The Crown</a>, documentant le règne d’Elisabeth II, offre en effet un éclairage intéressant. Dans l’épisode 3 de la saison 3, on suit la <a href="https://www.geo.fr/histoire/catastrophe-daberfan-les-regrets-eternels-delisabeth-ii-203935">reine, quadragénaire</a> lors de la catastrophe d’Aberfan : en octobre 1966, un éboulement un village minier au Pays de Galles cause la mort de plus de 80 enfants.</p>
<p>Les larmes furtives de la monarque bouleversent le pays et rappellent à quel point l’affichage de la perte de maîtrise des émotions peut entrer en phase avec l’attente du pays à son égard. Un dialogue étonnant avec son premier ministre illustre ce qui fait toute l’originalité de la série : bien que le pays soit obsédé par les conventions, les étiquettes et les protocoles, les deux protagonistes semblent en permanence tourmentés par les ressorts émotionnels du consentement du peuple dans les périodes de crise.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-larmes-des-puissants-incarnent-leur-force-politique-125007">Quand les larmes des puissants incarnent leur force politique</a>
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<p>Comment cet épisode dramatique du règne d’Elisabeth II peut-il nous éclairer sur la façon dont les représentants du peuple – élus ou désignés – sont systématiquement pris en étau entre « deux corps », la fonction publique à laquelle se mêle l’émotion personnelle ?</p>
<p>Il y a près d’un siècle le philosophe <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-Deux-Corps-du-roi">Ernst Kantorowicz</a> a théorisé ce qu’il a nommé « les deux corps du roi ».</p>
<p>Il souligne que le Roi est aimé et redouté parce qu’il n’est pas infaillible, qu’il souffre et qu’il doute, qu’il est fait de chair et de passions. Mais le chercheur ajoute que celui qui gouverne est aussi divin par la grâce du pouvoir qu’il exerce et qu’il va transmettre. Incarnation de la communauté, il porte en lui la forme perpétuelle de l’humanité. À la fois charnel et divin, il est le garant intemporel du consentement des individus à l’autorité.</p>
<h2>Emmanuel Macron et l’incarnation de la fonction</h2>
<p>En France, la monarchie de droit divin a certes cessé d’être le modèle de référence politique pour laisser place à la démocratie et à la République. Néanmoins sous la <a href="https://www.cairn.info/la-republique-incarnee--9782262033491.htm">Vᵉ République</a>, les présidents ont éprouvé ce puissant dédoublement de personnalité où le corps mortel de l’élu du suffrage universel entre en coexistence, presqu’en symbiose, avec le corps christique du souverain qui représente les lois, l’identité et le destin national. Depuis 1962 et l’élection du président au suffrage universel direct, la personnalisation du pouvoir a favorisé un <a href="https://www.cairn.info/l-esprit-de-la-ve-republique--9782262034443.htm">régime d’hyper-présidentialité</a>.</p>
<p>À l’instar de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est glissé dans la fonction en mobilisant des gestuelles et des rituels censés intégrer et favoriser ce puissant dualisme. Pendant la campagne électorale, lors de l’investiture jusqu’à l’Arc de Triomphe et à l’occasion de la première commémoration du 14 juillet en présence du président des États-Unis, de nombreux commentateurs ont souligné que son inexpérience et sa jeunesse l’obligeaient, pour être pris au sérieux, à en rajouter dans la gravité solennelle.</p>
<p>Cependant, contrairement à certains de ses prédécesseurs – on pense notamment à François Mitterand ou VGE à qui le jeune président a été comparé, il est rapidement apparu que, pour une partie de l’opinion publique – exprimée par exemple lors des <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2019-3-page-537.htm">élections européennes en 2019</a> –, cette juxtaposition de la chair et du spirituel provoquait de l’incompréhension et souvent même une sorte de malaise. La fiction de la double corporéité du roi ne fonctionnait pas vraiment sur son versant humain, elle était perturbée par un mécanisme d’exaspération par rapport à sa façon de se comporter sur la scène publique.</p>
<p>On cite volontiers des séquences filmées qui ont fait le buzz pour des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0FwOAlIwMFc">mots qui ont faché</a> mais le brouillage s’est lentement instauré au fil des trois crises qu’il a dû gérer durant son quinquennat (les réformes de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), des Aides Personnalisées au Logement (APL) et de système de retraite ; le mouvement social des « gilets jaunes » ; la contestation des mesures gouvernementales pendant la crise sanitaire du Covid). Sur chacun de ces temps de mécontentement social, la personne du président a été nominativement ciblée avec virulence sur les registres de la trahison, de l’arrogance et de l’autoritarisme.</p>
<p>Si la <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100861310">défiance des élites</a> est une composante bien documentée dans les sciences sociales, la détestation publique exprimée à l’encontre d’Emmanuel Macron, qu’il s’agisse de son physique, son verbe, son style, interroge.</p>
<p>En m’inspirant de la théorie des deux corps du Roi, je fais l’hypothèse que ces reproches cinglants illustrent pour partie un brouillage inédit des codes concernant les ressorts charnels et corporels de l’exercice du pouvoir présidentiel au quotidien.</p>
<h2>L’homme visé au-delà du président</h2>
<p>Dans les reproches adressés au président, on découvre un degré impressionnant de détestation personnalisée venu d’acteurs publics très différents : « super <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zpVrtq3Vezk">menteur</a> » selon son opposant politique Jean‑Luc Mélenchon, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Cf7uhCAHJFE">dictateur</a> pour l’influenceur Julien Malara, « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=51qSu7eVJOc">grand escroc</a> », autocrate, tyran, simulateur, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6bLW95dVtNE">tartuffe</a> pour de nombreux intellectuels… Et si la charge est parfois moins violente – on décrit un président ambivalent, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rrCLCLICfS0">arrogant</a>, opportuniste, méprisant, <a href="https://www.cairn.info/paradoxe-du-macronisme--9782724623000.htm?contenu=presentation">vertical</a>, maître des horloges, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jM4bV8YxYH0">roi soleil</a> –, chez Madame de Fontenay (organisatrice des Miss France), c’est bien l’homme qui est visé au-delà de la fonction.</p>
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<figcaption><span class="caption">Macron, giflé dans la Drôme lors d’un déplacement, en 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces expressions d’exaspération indiquent une discordance charnelle inédite. Le président suscite une aversion profonde qui semble faire référence, sur le plan émotionnel, à sa façon de sourire, d’interpeller, de gesticuler, de charmer, de sermonner, de promettre, de <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2021-3-page-29.htm">se mettre en colère</a>… Sa corporalité et sa façon d’être dérangent, y compris dans ses rangs.</p>
<p>En analysant les témoignages de personnes qui ont côtoyé ou combattu le président depuis cinq ans, on peut spécifier, dans la longue liste des exaspérations, trois reproches qui reviennent en boucle : le débatteur affiche sans cesse son empathie avec ses interlocuteurs alors qu’il semble dépourvu d’humanité ; le leader se réfère volontiers aux passions du collectif alors que l’on ne lui reconnaît ni enracinement ni attachement ; enfin le décideur affiche en toutes occasions une détermination volontaire qui cadre mal avec l’indétermination des orientations impulsées par son Gouvernement et la philosophie apartisane du « en même temps ». Le président est perçu comme insensible, hors sol et sans boussole. En s’additionnant, ces trois registres de critiques à l’encontre du corps mortel du roi brouillent la promesse divine du consentement au souverain.</p>
<h2>Un « Rastignac » à l’Elysée ?</h2>
<p>Le premier registre est sentimental, émotif, voire romanesque pour celui qui est parfois comparé à Rastignac, le célèbre <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/01/29/rastignac-a-l-elysee_1706192/">héros de Balzac</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=786&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450930/original/file-20220309-21-1m5usz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=988&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rastignac avec Vautrin dans la cour de la pension Vauquer (Le Père Goriot).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_de_Rastignac#/media/Fichier:BalzacOldGoriot02.jpg">anonyle -- Honoré de Balzac, Old Goriot. Philadelphia : George Barrie & Son, 1897/Wikimedia</a></span>
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<p>Emmanuel Macron n’a que la quarantaine et tout, dans les <a href="https://www.babelio.com/livres/Besson-Un-personnage-de-roman/965776">récits</a> sur son itinéraire et sa prestance, fait référence aux atours insolents et parfois arrogants de cette jeunesse. La silhouette, la démarche, le langage, les mimiques du visage, la joie de vivre, l’entrain, la malice, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=18xBviDj0zw">l’empathie</a>. Chaque apparition met en discussion une fierté juvénile qui surprend, qui détonne et finalement agace souvent les interlocuteurs et les observateurs par rapport au rôle attendu.</p>
<p>Ceux qui l’ont rencontré en tête à tête confient par exemple que le président a de l’allant et de la répartie, qu’il sait entrer en communion avec ses hôtes, qu’il les interpelle avec chaleur et empathie. Dans le feu des échanges, il touche même souvent le bras ou l’épaule d’un convive. Et en le quittant, ses invités reconnaissent qu’ils sont alors sous le charme, même s’ils découvrent ensuite combien cette empathie complice ne présage en aucun cas des possibles conséquences sur les décisions à venir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Macron et le « Grand débat » performance de 8 heures avec des intellectuels français en 2019.</span></figcaption>
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<p>Dans les débats publics aussi, qu’il prend visiblement plaisir à animer et à dynamiser, Emmanuel Macron se pose volontiers en séducteur. L’homme s’affiche attentif, offensif, précis, souvent mordant et joueur. Mais cette gestuelle de séduction, qui est le propre des élus charismatiques, dégage un sentiment de prétention et elle provoque souvent la désagréable impression que ses désirs et ses élans restent insondables, indéchiffrables, en suspension. On perçoit des lueurs et des ardeurs mais aussi une forme de cynisme, et personne ne parvient à décrypter les fondations intimes et les ressorts affectifs liés à son numéro de séducteur.</p>
<h2>Une trajectoire qui interroge</h2>
<p>Le tableau se complique avec sa trajectoire de vie. L’homme n’affiche pas de blessures visibles pour ceux qui l’ont côtoyé dans ses années universitaires. Il a un grand amour précoce difficile à décrypter et rien ne filtre sur ses amis d’enfance. On ne lui connait pas de cercle d’affidés ni de réseaux de complices comparables à ceux de ses prédécesseurs. Dans sa <a href="https://fr-fr.facebook.com/EmmanuelMacron/videos/avec-eric-ami-denfance-il-ne-faut-jamais-oublier-do%C3%B9-lon-vient/1946358318930078/https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/emmanuel-macron-et-sa-grand-mere-manette-cette-preuve-damour-quil-noubliera-jamais_485380https://www.closermag.fr/politique/qui-sont-les-celebres-amis-de-jeunesse-d-emmanuel-macron-718283">communication</a>, il affiche des « racines » et des « amis » qui sont aussi des célébrités. Mais on a l’impression qu’il est de marbre et que, toujours, il semble avancer en <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/le-solitaire-du-palais/9782221254752">solitaire</a>. Son entourage proche reconnaît en off que sa façon même d’exprimer son attachement aux autres relève d’une posture qui ne semble ni paternaliste, ni genrée, ni même sexuée. L’attitude intrigue et déroute.</p>
<p>Le deuxième registre est cérébral, moral, littéraire. Là aussi, le cursus universitaire, la vivacité d’esprit et la trajectoire intellectuelle et professionnelle du président produisent un curieux cocktail d’attrait et de rejet. Il se pique de <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/macron-un-president-philosophe-aucun-de-ses-mots-nest-le-fruit-du-hasard">philosophie</a> et son mandat est jalonné de longs discours sur les grandes questions de société et de rencontres au sommet qui mobilisent des concepts et usent de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2017-9-page-21.htm">procédés rhétoriques élaborés</a>. Sur la scène internationale par exemple, les observateurs étrangers tarissent rarement d’éloges sur l’éloquence, l’érudition et l’audace du <em>French president</em>. Et certains déplorent même son <a href="https://www.rollingstone.fr/selon-le-new-york-times-laction-du-president-macron-face-a-la-crise-merite-plus-de-reconnaissance/">incompréhensible impopularité</a> sur ses propres terres.</p>
<h2>Hors sol ?</h2>
<p>Précisément, son logiciel technocratique et son look policé de <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/emmanuel-macron-un-jeune-homme-si-parfait/9782259217057">premier de la classe</a> sont systématiquement mis en relation avec son déficit <a href="https://theconversation.com/municipales-un-echec-cuisant-pour-emmanuel-macron-141669">d’ancrage et son absence de terres électives</a>, presque son absence de racines et de valeurs autres que le statut de « président des riches ».</p>
<p>L’impression n’a presque pas changé six ans plus tard. Il a beau eu faire le récit introspectif de la densité et de la profondeur de son <a href="https://www.zadiglemag.fr/emmanuel-macron/">attachement à la France</a>, le sentiment de son aterritorialité persiste. Il y évoquait pourtant les « forces telluriques » ou son lien fort avec sa grand-mère.</p>
<p>Rien n’y fait. Le jeune élu parait toujours trop lisse, hors sol, éthiquement et physiquement, sans terroir, sans accent, sans ancêtres ni sentiers de dépendances. On retrouve à cet égard des résultats mis en avant dans la littérature scientifique qui attachent l’éligibilité présidentielle aux critères sensibles de <a href="https://www.hachette.fr/livre/les-emotions-du-pouvoir-larmes-rires-coleres-des-politiques-9782200621940">l’authenticité</a> et de la <a href="https://www.belin-editeur.com/penser-au-dela-de-letat">territorialité</a>.</p>
<h2>Sans boussole</h2>
<p>Le troisième registre est performatif, pragmatique, concret. <a href="https://www.pug.fr/produit/1969/9782706151613/l-entreprise-macron-a-l-epreuve-du-pouvoir">« L’entreprise Macron »</a> s’est installée dans le paysage politique en annonçant une transformation en profondeur du système partisan, du fonctionnement des élites et de la façon d’administrer la France.</p>
<p>La métaphore « En marche » annonçait le mouvement, les nouveaux chemins, les voies escarpées, la progression cadencée et déterminée. Pourtant, si la composition des deux gouvernements successifs a permis de découvrir une palette diversifiée de profils avec des ouvertures remarquées sur la société civile, elle n’a jamais permis de repérer, dans la course, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/tout-ca-pour-ca-le-livre-qui-conte-les-ambitions-ratees-du-nouveau-monde-20210120">celles et ceux</a> qui semblaient incarner avec lui la fameuse doctrine du « macronisme ». Dans leur ouvrage réquisitoire, <a href="https://www.fayard.fr/le-traitre-et-le-neant-978221370530"><em>Le traître et le néant</em></a>, les deux journalistes du Monde constatent que le président « fait le vide » et qu’il « prospère sur le vide » en ne construisant aucune équipe durable autour de lui. Ses ex-soutiens lui reprochent d’avoir trahi François Hollande, d’avoir renoncé aux ambitions de départ, d’exercer le pouvoir sans partage, de négliger les projets portés par son parti…</p>
<p>Le cas Macron ouvre aussi une autre perspective analytique concernant les controverses scientifiques sur la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/lsp/2021-n86-lsp06205/1079497ar/">place des épreuves émotionnelles dans le jugement politique</a>.</p>
<h2>Le consentement à l’autorité</h2>
<p>L’attachement viscéral du peuple à ses gouvernants fait penser à la célèbre thèse sur la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire">servitude volontaire</a>. Etienne de la Boétie (XVI<sup>e</sup> siècle) y défendait l’idée que la légitimité de toute autorité se construit sur une obéissance qui n’est pas imposée, presque accidentelle historiquement. Cette acceptation de la domination bute depuis cinq ans sur une transaction charnelle contrariée. Dans l’énigme politique du consentement des individus à l’autorité, Emmanuel Macron est en quelque sorte disruptif à son corps défendant…</p>
<p>À cet égard, pour conclure sur la théorie d’Ernst Kantorowicz et non sans lien avec la reine Elisabeth dans <em>The Crown</em>, le rôle que le président français joue depuis quelques semaines dans la guerre déclarée par la Russie à l’Ukraine esquisse peut-être un tournant dans sa façon corporelle d’incarner le pouvoir. Il s’exprime aussi au nom de l’Union européenne, s’expose. Il réconforte, encourage, interpelle ou tance les principaux protagonistes du conflit. Au gré de ses appels téléphoniques quotidiens, sa personne centralise mots et émotions. L’épreuve de la guerre rend désormais évidente et nécessaire la cohabitation des deux corps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Faure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La théorie « deux corps du roi » permet de comprendre pourquoi l’actuel chef de l’État est autant attaqué sur sa personne plutôt que sa fonction.Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786712022-03-09T19:16:19Z2022-03-09T19:16:19ZLe bilan d’Emmanuel Macron : agenda néo-libéral et pragmatisme face aux crises<p>Dans sa <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/01/13/lettre-aux-francais"><em>Lettre aux Français</em></a> par laquelle il annonce sa candidature à un second mandat à la présidence de la République, Emmanuel Macron n’annonce plus la <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/revolution-le-livre-programme-de-macron-se-hisse-dans-le-top-des-ventes_440991">« révolution »</a> mais vante son bilan, comme il se doit, soulignant les transformations engagées et la crédibilité acquise au cours des cinq dernières années.</p>
<p>C’est sur ce quinquennat qui s’achève que revient l’ouvrage collectif <a href="https://www.pug.fr/produit/1969/9782706151613/l-entreprise-macron-a-l-epreuve-du-pouvoir"><em>L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir</em></a> (PUG). Les contributions des 29 auteurs et autrices permettent d’apprécier l’ampleur de la transformation du système partisan, des glissements de l’électorat et du renouvellement des élites politiques, mais aussi de faire le bilan de l’action entreprise par Emmanuel Macron avec les gouvernements qu’il a nommés et la majorité parlementaire qui l’a soutenu.</p>
<h2>Quel changement ?</h2>
<p>Analyser le changement n’est pas chose facile : la mesure des transformations dépend du point de référence, de l’accord sur le degré d’évolution qui autorise à parler de changement, de la hiérarchisation des enjeux, mais aussi de l’attribution toujours délicate des causalités (ainsi, dans quelle mesure les éventuels changements sont-ils dus à la présidence d’Emmanuel Macron ?).</p>
<p>La « rupture » est une figure imposée du discours politique et les analyses de sciences sociales sont toujours promptes à en réduire la portée. Le cadre institutionnel, le poids des choix antérieurs comme les mobilisations que peuvent susciter certaines entreprises réformatrices ont vite fait d’atténuer la portée des postures volontaristes, d’autant que les discours de rupture peuvent cacher des projets politiques dans la continuité des politiques antérieures.</p>
<p>Là où l’homme politique vante sa capacité à réformer « en profondeur » et le caractère exceptionnel de son action, l’analyste conclut à une forme de continuité, constate la résilience des clivages institués de la vie politique ou des figures classiques de l’élu, qui cherche à concilier « présidentialisme et proximité ».</p>
<p>De ce point de vue, le quinquennat Macron n’échappe pas à la règle. Les ruptures amorcées, expérimentées ou tentées dans la pratique du pouvoir ont souvent été contrariées. Le renouvellement des élites n’est que partiel, malgré la forte proportion de députés novices en politique (un tiers des députés, la plupart sous l’étiquette LREM) : <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/tout-ca-pour-ca-le-livre-qui-conte-les-ambitions-ratees-du-nouveau-monde-20210120">ceux-ci ont été dominés</a> par les plus expérimentés tandis que les catégories socio-professionnelles supérieures restent surreprésentées ; au niveau gouvernemental, la haute fonction publique garde une place centrale, malgré le nombre élevé <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/23/aux-origines-du-pantouflage_6085272_3232.html">au regard des pratiques antérieures</a>, de ministres passés par des groupes privés.</p>
<p>Enfin, les politiques publiques du quinquennat Macron s’inscrivent très largement dans le prolongement de mouvements anciens : l’analyse des politiques de logement, de santé comme celle des politiques fiscales ou des réformes territoriales montre ainsi surtout une continuité et une accélération d’orientations néo-libérales, <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">celles-ci étant clairement assumées</a>, au nom de la priorité donnée à la croissance économique et aux entreprises.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">Portrait(s) de France(s) : Alerte sur l’aggravation des inégalités françaises</a>
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<h2>Deux crises majeures sans remise en cause profonde</h2>
<p>Les changements d’orientation au cours du quinquennat sont eux aussi à prendre à leur juste mesure. Certaines réformes annoncées n’ont finalement pas été menées à bien (le renforcement des <a href="https://theconversation.com/la-police-peut-elle-changer-dethique-129710">exigences déontologiques</a> en matière policière, la suppression d’un quart des départements) ; d’autres réformes emblématiques ont été arrêtées (la réforme des retraites).</p>
<p>Pourtant, le cap général a été maintenu. Les crises qui ont émaillé le quinquennat pouvaient pourtant laisser présager d’importantes réorientations. L’irruption des <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">Gilets jaunes</a>, même si elle répond en partie à des transformations socio-économiques de long terme, est en effet une réaction au pouvoir en place et aux politiques qu’il mène ; le président de la République est d’ailleurs pris à partie <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/07/15/emmanuel-macron-pris-a-partie-par-des-gilets-jaunes-aux-tuileries_6046202_823448.html">très personnellement</a> tandis que le patronat n’est pas interpellé, alors que ce sont les conditions de travail, de salaires, de niveau de vie qui sont dénoncées.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 questionne quant à elle les politiques de santé évidemment mais aussi, plus généralement, le rôle de l’État et de la dépense publique. Pourtant, si ces deux crises ont eu un impact fort sur le tempo du quinquennat, si elles n’ont pas été sans effet sur les mesures adoptées, elles n’ont finalement pas remis en cause les orientations libérales défendues par le Président de la République et ses soutiens.</p>
<h2>Un certain pragmatisme dans l’exercice du pouvoir</h2>
<p>Ainsi, les deux crises des Gilets jaunes et de la Covid-19 mettent en évidence un certain pragmatisme dans l’exercice du pouvoir, qui se traduit par l’adoption de mesures « exigées » par les circonstances sans que cela remette en cause les grandes orientations idéologiques. Quelques concessions sont faites face au mouvement des Gilets jaunes et conduisent l’exécutif à prendre des décisions qu’il n’envisageait pas (chèque énergie, moratoire sur la taxe carbone, annulation de la hausse de la CSG pour les retraités les plus modestes), mais ce dernier ne revient pas sur la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et « profite » même du mouvement pour accélérer l’augmentation de la prime d’activité et la baisse des cotisations sociales.</p>
<p>De la même façon, si E. Macron déclare en mars 2020 que « la santé n’a pas de prix, [que] le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies, quoi qu’il en coûte », si le gouvernement déploie tout un ensemble d’aides aux entreprises et à certaines professions pour pallier les conséquences des confinements – laissant filer les dépenses publiques et la dette –, si la réforme des retraites lancée fin 2019 est suspendue (mais pas abandonnée), les grandes orientations du quinquennat sont réaffirmées fermement en 2021.</p>
<p>En mars le ministre de l’économie Bruno Le Maire <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/279139-bruno-le-maire-22032021-dette-publique">rappelle à l’Assemblée nationale</a> les « piliers de la sagesse financière », parmi lesquelles la croissance et la baisse de la dépense publique. La réforme de l’assurance-chômage est bien actée en mars 2021. Les revendications des personnels hospitaliers en termes de budget, d’effectifs, de lits et de rémunérations restent pour leur part sans réponse malgré l’organisation d’un « Ségur de la santé ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-la-grande-secu-mythe-ou-realite-177665">Débat : La « Grande Sécu », mythe ou réalité ?</a>
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<p>Les mesures qui caractérisent l’orientation du quinquennat ne sont pas celles « imposées » par les crises mais bien les « ordonnances travail », la suppression progressive de la taxe d’habitation, le remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière, l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus des placements financiers, la baisse de l’allocation logement (APL), la réforme de l’assurance chômage.</p>
<p>C’est d’ailleurs bien la poursuite de la baisse des impôts « pesant sur le travail et la production » et la « reconquête productive par le travail » qu’annonce la Lettre aux Français. Face à cela, les mesures « sociales » (doublement des classes en CP et CE1 en zone d’éducation prioritaire ; « zéro reste à charge » pour le remboursement des lunettes et des prothèses auditives ou dentaires) ou « sociétales » (PMA) apparaissent secondaires.</p>
<p>Si la crise sanitaire et le mouvement des Gilets jaunes apparaissent moins comme des facteurs de réorientation que comme des révélateurs de la présidence d’E. Macron c’est aussi parce qu’ils illustrent une forme singulière d’exercice du pouvoir.</p>
<h2>Omniprésence présidentielle</h2>
<p>La présidence Macron se caractérise par une forte personnalisation et une omniprésence du Président sur la scène publique et politique. Elles sont liées à la forme et à la nature du rôle présidentiel sous la V<sup>e</sup> république. Cependant, Emmanuel Macron a particulièrement forcé le trait, intervenant bien au-delà des seuls domaines régaliens. Par ailleurs, l’inféodation des députés à l’exécutif a renforcé la centralité de la figure présidentielle. Les deux crises marquantes du quinquennat sont aussi très révélatrices de cette personnalisation. Face au mouvement des Gilets jaunes, le Président <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753580268/petite-sociologie-des-gilets-jaunes">apparaît</a> comme une « cible individualisée ».</p>
<p>Cet épisode ne conduit pas pour autant à la remise en cause de la conception extensive et personnalisée du pouvoir présidentiel d’E. Macron, qui se remet volontairement au centre de la scène politique en surinvestissant et monopolisant le Grand débat national mis en place en réponse au mouvement de contestation. La crise sanitaire est aussi l’occasion de réaffirmer cette conception extrêmement personnifiée de l’exercice du pouvoir et de mettre en scène sa capacité à tout contrôler.</p>
<p>Comme le souligne la chercheuse Brigitte Gaïti, cette personnalisation n’est pas un exercice solitaire du pouvoir – le président est toujours très entouré – mais plutôt un exercice « informalisé », qui conduit à une « prolifération organisationnelle », les instances existantes étant dédoublées par d’autres, tel le « conseil scientifique », pour ne pas se voir imposer de « partenaire institué ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mPylVWZlHV4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Brigitte Gaïti sur les entourages du président qui l’aident dans sa prise de décision, AFSP, 2021.</span></figcaption>
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<h2>La désintermédiation</h2>
<p>La personnalisation du pouvoir rejoint ici une deuxième caractéristique de l’exercice présidentiel d’Emmanuel Macron : la désintermédiation. Celle-ci est d’abord symbolisée par les caractéristiques de la communication présidentielle. Passant <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse">outre les journalistes politiques</a>, il a trouvé des voies de contournement, via les réseaux sociaux notamment, au risque de se mettre, pour reprendre l’un de ses termes, à « portée d’engueulade » de la population.</p>
<p>La crise sanitaire illustre aussi ce souci de désintermédiation, vis-à-vis des instances administratives mais aussi, parfois, vis-à-vis des scientifiques. Le mouvement des Gilets jaunes a traduit pour sa part un même mouvement de méfiance vis-à-vis des corps constitués et institués, ce qui révèle sans doute un mouvement profond d’affaiblissement des organisations traditionnelles et de désintermédiation de la politique en France. Cette « expression inversée » (« par le haut » et « par le bas ») d’une même dynamique permet d’ailleurs au président de la République de mieux délégitimer certains corps intermédiaires, comme lorsqu’il rejette la proposition de « grande conférence » faite par le secrétaire général de la CFDT.</p>
<p>Qu’il s’agisse des partis politiques, des syndicats, des élus locaux et de leurs associations ou des cabinets ministériels, Emmanuel Macron et ses proches collaborateurs ont le souci de ne pas trop s’embarrasser d’intermédiaires, ce qui ne signifie pas qu’ils parviennent toujours à faire sans eux : les cabinets ministériels, d’abord resserrés, ont repris leur taille habituelle. Emmanuel Macron est revenu vers les élus locaux et, dans certains domaines comme la police, les syndicats ont joué un rôle central de gardien de l’agenda.</p>
<h2>Une base sociale et électorale évolutive et fragile</h2>
<p>Face à une telle pratique du pouvoir, l’électorat Macron semble avoir quelque peu évolué. En 2017, il était composé pour une petite moitié d’anciens électeurs de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/22/que-sont-devenus-les-electeurs-de-francois-hollande-dix-ans-apres-le-discours-du-bourget_6110521_823448.html">François Hollande</a>. Dès la fin de l’été 2017, la perception d’Emmanuel Macron dans l’opinion change et ses soutiens à gauche s’estompent en même temps que sa position se décale sur l’axe gauche-droite.</p>
<p>Si l’on en croit les <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/enquete-electorale-vague-5">dernières enquêtes pré-électorales</a>, Emmanuel Macron est désormais perçu par l’opinion comme un homme de centre-droit ; il parvient à attirer encore un quart des sympathisants socialistes, tout en séduisant désormais une proportion presque identique d’anciens électeurs de François Fillon.</p>
<p>L’ancrage électoral du macronisme doit cependant être apprécié aussi au regard des résultats des différents scrutins du quinquennat, qui ne dessinent pas un bilan univoque : le score de LREM aux élections européennes de 2019 (22,4 % des suffrages exprimés, en première place) contraste avec celui, beaucoup plus modeste, des régionales de 2021 (7 % au niveau national au deuxième tour). En miroir, la résistance des partis du « vieux monde » est tout aussi ambiguë : si les listes conduites par <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/resultats-europeennes-2019-raphael-glucksmann-evite-le-pire_fr_5ce95326e4b0512156f22873">Raphaël Glucksmann</a> (PS et alliés) et <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/europeennes/europeennes-francois-xavier-bellamy-la-deception-20190526">François-Xavier Bellamy</a> (LR) aux européennes de 2019 font des scores à un chiffre, ces partis ont préservé leurs positions lors des scrutins municipaux, départementaux et régionaux.</p>
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<p><em>Les auteurs viennent de co-publier l’ouvrage collectif <a href="https://www.pug.fr/produit/1969/9782706151613/l-entreprise-macron-a-l-epreuve-du-pouvoir"><em>L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir</em></a> co-dirigé par Bernard Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien Fretel et Rémi Lefebvre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Cécile Douillet a reçu des financements de la MESH pour la publication de l'ouvrage L'entreprise Macron à l'épreuve du pouvoir. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bernard Dolez, Julien Fretel et Rémi Lefebvre ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Nos recherches font le bilan de l’action entreprise par Emmanuel Macron et son impact sur la transformation politique de la France.Anne-Cécile Douillet, Professeure de science politique, Université de LilleBernard Dolez, Professeur de sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneJulien Fretel, Professeur de sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneRémi Lefebvre, Professeur de science politique université Lille 2, Université de Lille - initiative d'excellenceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1769062022-02-23T18:38:22Z2022-02-23T18:38:22ZLes gouvernements agissent-ils sur les priorités affichées dans leur programme ?<p>Les campagnes électorales contribuent-elles à façonner les politiques publiques comme elles sont supposées le faire en démocratie ? Ou bien devient-il de plus en plus difficile pour les représentants d’incarner de véritables alternatives et, une fois au gouvernement, de marquer leur différence ?</p>
<p>Cette question concerne notamment la façon dont les problèmes innombrables qui se posent en permanence sont hiérarchisés : la priorité est-elle à l’adoption de mesures pour le pouvoir d’achat, à la lutte contre le changement climatique ou à l’égalité femmes-hommes ? Les campagnes jouent-elles un rôle dans ce processus de hiérarchisation ? Dans un <a href="https://global.oup.com/academic/product/do-elections-still-matter-9780192847218?cc=fr&lang=en&">ouvrage récent</a>, nous questionnons la thèse du déclin des mandats en nous appuyant sur des données originales recueillies par le <a href="https://www.comparativeagendas.net/">Comparative Agendas Project</a> (CAP).</p>
<p>Notre étude portant sur cinq pays d’Europe occidentale depuis les années 1980, révèle que les priorités électorales sont un facteur majeur d’influence des agendas politiques. Pour autant, les programmes présentés se ressemblent souvent plus que ce que leurs auteurs aimeraient admettre. Et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour la démocratie.</p>
<h2>Les tunnels de l’attention</h2>
<p>D’où viennent les thèmes de campagne ? La littérature existante en science politique offre deux visions opposées. Les théories de compétition sur enjeux (voir notre chapitre dans <a href="https://www.larcier.com/fr/analyses-electorales-2017-9782802755715.html"><em>Analyses electorales</em></a>) prédisent des priorités très contrastées d’un parti à l’autre, correspondant à des identités et des profils très marqués. Ainsi un parti de gauche est censé mettre en avant des questions de justice sociale ou d’éducation, alors qu’on s’attend à ce qu’un parti droite parle davantage d’insécurité ou de discipline budgétaire.</p>
<p>D’autre part, les visions plus stratégiques des programmes, dont notamment l’ouvrage classique d’Anthony Downs sur la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2014-v33-n1-ps01449/1025597ar/">« théorie économique de la démocratie »</a> (publié en 1957, et en 2013 en français), mettent l’accent sur les incitations des partis à converger vers les priorités les plus prometteuses. Pour gagner une élection, les principaux partis devront convaincre l’électeur médian, celui qui fera pencher la balance en leur faveur. La compétition a donc lieu au centre et quel que soit le vainqueur, les politiques correspondront aux préférences de l’électeur médian.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-droits-de-succession-sont-ils-un-outil-efficace-pour-reduire-les-inegalites-177405">Les droits de succession sont-ils un outil efficace pour réduire les inégalités ?</a>
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<p>Nous avançons un argument intermédiaire selon lequel les partis sont comme des serpents dans un tunnel : ils ont des identités et des priorités distinctes (la composante du « serpent » dans notre modèle), mais doivent répondre aux problèmes du moment et aux propositions de leurs concurrents, ce qui se traduit par un chevauchement ou un recoupement transpartisan considérable (le « tunnel »).</p>
<p>Alors que la littérature a tendance à se concentrer le plus souvent sur des questions très spécifiques (principalement la protection de l’environnement et l’immigration) qui donnent lieu à des niveaux de priorité contrastés, les données recueillies par les équipes <a href="https://www.comparativeagendas.net/news">projet agendas comparés (CAP)</a> permettent, elles, de couvrir l’ensemble des enjeux électoraux. Les priorités inscrites au programme des partis reflètent-elles plutôt leurs priorités passées, suivant l’idée que chacun resterait sur ses thèmes de prédilection (stabilité) ou répondent-elles aux priorités de leurs concurrents (chevauchement) comme l’implique l’idée de tunnel d’attention ? Nos analyses révèlent que des tunnels d’attention existent sur presque tous les sujets. Le chevauchement domine tandis que la stabilité est faible sur la plupart des sujets, comme l’illustre le graphique ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447837/original/file-20220222-27-x1mjgk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 1. Effet des priorités passées (stabilité) du parti et des priorités actuelles dans les programmes des partis concurrents (recoupement) sur l’attention à chaque enjeu dans le programme d’un parti. Note : les codes de 1 à 23 sur la gauche correspondent aux grands thèmes selon la grille CAP : (1) politique macro-économique ; (2) droits ; libertés et discriminations ; (3) santé ; (4) agriculture et pêche ; (5) travail et emploi ; (6) éducation ; (7) environnement ; (8) énergie ; (9) immigration ; (10) transport ; (12) justice et sécurité ; (13) politiques sociales ; (14) logement et aménagement ; (15) régulations économiques ; (16) défense ; (17) science et technologies ; (18) commerce extérieur ; (19) politique étrangère ; (20) état et institutions ; (23) culture.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Grossman, I.Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les tunnels d’attention sont également visibles lorsqu’on cible un secteur particulier, comme l’illustre le graphique ci-dessous sur l’attention portée par les partis allemands au logement, par exemple, ou lorsqu’on suit une campagne particulière. Le livre cite plusieurs exemples tirés de campagnes françaises et danoises.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447838/original/file-20220222-23-v33dlw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2. Attention au logement dans les programmes des partis parlementaires allemands (1980-2017).</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Grossman, I. Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lors de la campagne présidentielle 2017, par exemple, des sujets nombreux ont été abordés par de multiples candidats (sinon par tous), par exemple l’augmentation de l’allocation adulte handicapé, la lutte contre la fraude fiscale, le remboursement des lunettes ou la réduction de la fracture digitale. Ces tunnels, qui forment sans doute la partie immergée de l’iceberg, ne sont pas le résultat d’une concentration naturelle de tous les partis sur les mêmes questions, mais plutôt le résultat d’une concurrence intense et d’un équilibre du pouvoir de définition de l’agenda.</p>
<h2>Les agendas des systèmes de partis</h2>
<p>Les tunnels d’attention sont intéressants en soi pour leur influence sur les politiques publiques. Les modèles classiques de représentation par le mandat supposent que les élections servent à sélectionner et à autoriser des programmes politiques parmi plusieurs alternatives distinctes. La mise en œuvre des politiques promises dépendrait, ensuite, largement des marges de manœuvre institutionnelles des élus.</p>
<p>Notre perspective suggère, de façon assez différente, que les élections servent aussi à agréger un agenda politique de campagne dans le cadre d’un tunnel d’attention qui restera structurant une fois l’élection passée. Les contre-pouvoirs et l’influence des partis d’opposition ne doivent, dès lors, pas être vus comme des freins entravant l’exécutif dans la mise en œuvre de son « mandat » : ils peuvent, au contraire, exercer des pressions contraignant un gouvernement qui souhaiterait s’en éloigner.</p>
<p>Le tunnel fonctionne comme un mandat collectif : si l’exécutif ne prend aucune mesure dans un domaine qui a été mis en avant pendant la campagne, l’opposition et les partenaires de coalition ne manqueront pas de l’interpeller et de le mettre sous pression.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447839/original/file-20220222-21-q9smpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 3. Effet des niveaux d’attention sur les lois adoptées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Grossman, I. Guinaudeau</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Nos résultats comparatifs corroborent cette lecture (voir le graphique 3). Les priorités des programmes électoraux ont bien un impact important sur les politiques gouvernementales. Le poids respectif des priorités mises en avant dans le manifeste du parti du Premier ministre, du gouvernement et du système de partis dans son ensemble diffère selon les institutions politiques. Cet impact n’a pas diminué avec le temps. Il est significatif dans tous les pays étudiés, à l’exception frappante du Royaume-Uni.</p>
<h2>Exception britannique</h2>
<p>Cette exception britannique est d’autant plus surprenante qu’il s’agit en principe du cas le plus probable d’action sur les priorités du programme, étant donné son système majoritaire qui donne à l’exécutif un <a href="https://books.google.fr/books/about/Patterns_of_Democracy.html?id=GLtX2zJrflAC&redir_esc=y">pouvoir comparativement fort</a> pour agir.</p>
<p>Comme nous le montrons, les incitations des partis peuvent aider à démêler ce paradoxe britannique. Nous nous concentrons sur leur forme la plus évidente : les incitations électorales telles qu’elles varient au cours du cycle électoral. Et nous confirmons que des incitations élevées en période électorale sont associées à des liens particulièrement forts entre les programmes et les politiques, en particulier au Royaume-Uni. Mais cette adéquation disparaît quelques mois après l’élection.</p>
<p>En France, l’effet des élections est un peu différent : fort dans la période post-électorale, faible au milieu du mandat et à nouveau plus fort à l’approche de la prochaine élection.</p>
<p>Notre étude bat en brèche l’idée selon laquelle la mise en œuvre de politiques publiques est plus efficace dans les systèmes dits majoritaires, où le pouvoir est concentré, comme la France, par rapport aux systèmes plus proportionnels, comme le Danemark.</p>
<p>Les systèmes majoritaires donnent des pouvoirs étendus aux partis au pouvoir pour mettre en œuvre leur politique, mais cela peut, en retour, limiter leurs incitations face à une opposition plus faible, moins susceptible d’examiner minutieusement tout écart. En revanche, les systèmes consensuels limitent les pouvoirs institutionnels des gouvernements, mais le « tunnel » d’attention peut les inciter à s’en tenir aux priorités de la campagne.</p>
<p>Ces résultats offrent non seulement une cartographie complète des agendas électoraux et politiques dans cinq pays d’Europe occidentale depuis 1980. Elles renouvellent également les théories de la représentation par le mandat et remettent en question le lieu commun selon laquelle les systèmes majoritaires seraient plus favorables à la mise en œuvre des programmes électoraux que les systèmes consensuels.</p>
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<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://global.oup.com/academic/product/do-elections-still-matter-9780192847218">« Do Elections (Still) Matter ? »</a>, aux éditions Oxford University Press.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emiliano Grossman a reçu des financements de l'Agences nationale de la Recherche (ANR-08-GOUV-005 et ANR-15-FRAL-006). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Guinaudeau a reçu des financements de la fondation Humboldt.</span></em></p>Les partis ont des identités et des priorités distinctes mais doivent répondre aux problèmes du moment et aux propositions de leurs concurrents.Emiliano Grossman, Associate Professor en Science politique, Sciences Po Isabelle Guinaudeau, Chargée de recherches CNRS, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749802022-01-16T17:15:58Z2022-01-16T17:15:58ZDisruption ou irruption ? La République dans l’impasse présidentielle<p>Il est tard, bien tard pour réparer ce qui, selon nous, restera l’erreur fondamentale du quinquennat d’Emmanuel Macron : n’avoir pas entrepris dès son élection une réforme des institutions afin de les mettre au diapason d’une France qui doute d’elle-même et de ses élus.</p>
<p>Il avait certes réussi un fameux « coup du roi » en faisant, d’un seul et premier tir, tomber dans ses bras la magistrature présidentielle. Son irruption surprise a fait voler en éclat le vieux système des partis dominants : exclus du jeu de l’alternance qui les rendait épisodiquement maîtres du jeu, privés du commode saute-mouton sur le dos de l’extrême droite, brouillés dans leurs repères par un Président qui s’affirmait et de droite et de gauche, subissant mécaniquement un lourd revers lors des législatives, ceux-ci n’étaient pas seulement défaits, ils risquaient <a href="https://theconversation.com/macron-la-french-deconnexion-89058">l’effondrement</a>.</p>
<p>La vague de « dégagisme » qu’avait habilement épousée le vainqueur les rendait gravement vulnérables. Restait au nouveau Président à profiter de cet affaiblissement pour réaliser son programme de campagne : élu sur une promesse de disruption, il lui fallait au moins mettre en route les moyens de la provoquer et tracer la voie d’une reconstruction de la légitimité des gouvernants. « Tout l’art de la politique, <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/tout-art-politique-servir-conjectures-29756.php">disait Louis XIV</a>, est de se servir des conjonctures. »</p>
<p>Mais la vague intention fut vite oubliée. Dès septembre 2017, on laissa dans l’indifférence les partis se refaire un début de santé en s’appuyant sur leurs bastions lors des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/senatoriales/">sénatoriales</a>. On se garda bien de transformer en <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france--9782200628727-page-97.htm">véritable parti</a> le mouvement original qui avait appuyé l’élection présidentielle. Et l’on succomba à la tentation d’un <a href="https://theconversation.com/traverses-presidentielles-le-caillou-dans-la-chaussure-du-president-macron-93871">président démiurge</a> concentrant la plénitude de l’espace et de la décision politiques.</p>
<h2>Désalignement des élus et des citoyens</h2>
<p>Ignorer le caractère illusoire de cette vision n’était pas la meilleure manière de restaurer la confiance entre élus et citoyens. Après une année tranquille, le pays entra dans une phase de turbulences dont il ne sortira plus, de gilets jaunes en réforme des retraites, d’antivax en antipasse… Entre violences sociales et violences verbales, s’enracine dans le pays une croyance à l’impuissance du politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-2022-comment-les-candidats-a-lelection-presidentielle-se-sont-saisis-de-la-colere-des-francais-174171">En 2022, comment les candidats à l’élection présidentielle se sont saisis de la colère des Français</a>
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<p>À une brève euphorie succède un climat profondément dysphorique, installant un véritable mur de méfiance et entraînant une montée constante des abstentions qui frisent les <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/taux-de-participation-definitifs-au-second-tour-elections-des-20-et-27-juin">deux tiers</a> du corps électoral lors des régionales !</p>
<p>Cette désaffection croissante traduit en creux <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">l’effondrement des vieux partis dominants</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-gauche-francaise-vit-elle-son-tournant-americain-174065">Particulièrement à gauche</a>, où tous les candidats à la présidentielle réunis atteignent péniblement 25 % des intentions de vote dans les sondages. La soustraction est particulièrement lourde pour les socialistes auxquels l’extinction de voix interdit même de trouver une candidature crédible pouvant prétendre au rassemblement.</p>
<p>La droite de gouvernement, moins fracturée en apparence, paraît mieux résister. Malgré cette impression relative de <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763?s=09&utm_source=pocket_mylist">droitisation</a>, la situation des Républicains reste fragile et instable, tiraillés qu’ils sont entre un centre qui regarde vers Macron et une extrême droite qui, réunie, est estimée à 30 % et exerce un fort tropisme sur son autre flanc.</p>
<h2>Vers un nouveau choix par défaut ?</h2>
<p>L’image d’Emmanuel Macron reflète cette situation fracturée et incertaine de désalignement vis-à-vis des partis. D’un côté, il tire le juste bénéfice de sa fermeté internationale et de sa gestion de la crise sanitaire, avec ce « quoiqu’il en coûte » qui atténue son étiquette libérale. Cela lui permet de se maintenir à un niveau de satisfaction envié : le tableau de bord de <a href="https://www.ifop.com/publication/le-tableau-de-bord-des-personnalites-paris-match-sud-radio-ifop-fiducial-janvier-2022/">janvier</a> des personnalités Paris Match/Sud Radio-IFOP/Fiducial le crédite de 43 % d’approbation de son action.</p>
<p>Mais dans la même enquête, 70 % des Français estiment qu’il n’est pas proche de leurs préoccupations. <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-les-opposants-a-emmanuel-macron-dans-le-cadre-de-lelection-presidentielle-de-2022/">Un sondage concomitant</a> IFOP pour le JDD indique qu’aucun de ses opposants déclarés ou potentiels ne ferait mieux que lui : Valérie Pécresse, par exemple, ne se voit reconnaître cette qualité que par 17 % des sondés, 53 % considérant qu’elle ne ferait ni mieux ni moins bien !</p>
<p>Absence de réelle concurrence donc, qui relativise lourdement la primauté du Président en exercice, et qui risque de déboucher sur un nouveau choix par défaut. D’autant que dans tous les baromètres, Emmanuel Macron reste fixé <a href="https://elabe.fr/presidentielle-2022-7/">entre 23 et 26 %</a> d’intentions de vote, soit un score reproduisant celui de 2017. Un quart des exprimés, une abstention en hausse, moins de 17 % des inscrits, voilà qui n’augure pas d’un renforcement de sa légitimité en cas de réélection.</p>
<h2>La perte du sens de l’élection</h2>
<p>Tout le quinquennat a été marqué par un procès en illégitimité contre le Président, perçu comme élu dans une logique de rejet plus que d’adhésion. Et rien n’indique donc qu’on en ait tiré les conséquences. Pourtant, voici déjà vingt ans qu’une sirène d’alarme avait violemment retenti. Souvenons-nous du <a href="https://theconversation.com/discordance-des-temps-le-resistible-declin-du-regime-de-la-v-republique-125148">21 avril 2002</a> : un président sortant rassemblant moins de 20 % des exprimés, un chef du gouvernement peu contesté pendant cinq ans éjecté dès le premier tour, près de 30 % d’abstention…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dLFsEkogzUA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean‑Marie Le Pen arrive au second tour des élections le 21 avril 2002, archives INA, France 2.</span></figcaption>
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<p>Il n’était pas difficile de voir que le régime était à un tournant. La V<sup>e</sup> République avait alors montré sa capacité à exprimer autre chose qu’un présidentialisme exacerbé, en autorisant une gestion plurielle de la politique, un jeu institutionnel plus équilibré que la monarchie républicaine qu’on avait voulu en faire. Au lieu d’intégrer l’évolution, on s’est livré à ce que j’avais appelé, dans un article tragiquement anticipateur, la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/05/gymnopolis_4210466_1819218.html">« gymnopolitique »</a> : cette inversion du calendrier électoral qui enchaînait mécaniquement les élections législatives au résultat de la présidentielle et qui, interdisant aux Français de s’exprimer sur le bilan de la législature, dévitalisait le scrutin.</p>
<p>Et comment ne pas avoir anticipé que les différentes sensibilités composant la majorité parlementaire sortante prétendraient défendre leurs couleurs pour peser sur le débat ? L’écrasante logique majoritaire binaire aura raison de ce que seule une <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/video-les-motse-la-campagne-presidentielle-de-2022-proportionnelle_4780031.html">proportionnelle</a> aux élections législatives permettrait de respecter.</p>
<h2>Couper le cordon</h2>
<p>Pourtant, la vie politique française s’est poursuivie en exacerbant son hyperprésidentialisation qui pourrait se résumer ainsi : « le Président de la République concentre l’essentiel du pouvoir, or le Président ne résout pas nos problèmes, donc nous n’avons pas confiance dans le Président. »</p>
<p>Néanmoins, cette triple assertion n’est ni fondée juridiquement, ni inéluctable politiquement. <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quelle-place-la-constitution-fait-elle-au-president-de-la-republique">La constitution de 1958</a> donne les bases d’un régime parlementaire rationalisé, aucunement présidentiel.</p>
<p>Paradoxalement, ce sont ceux contre qui le régime s’est mis en place, les partis politiques, qui ont imposé et entretenu cette lecture et transformé les partis en machines électorales sans projet ni vision. Ils en sont morts cérébralement, tant il est devenu évident qu’un individu seul, ne paraît plus aujourd’hui en situation de représenter la pluralité citoyenne.</p>
<h2>Sauver la démocratie</h2>
<p>Il y a donc un préalable à toute régénération des institutions, sans qu’il soit besoin de recourir à une amphigourique VI<sup>e</sup> République : redonner souplesse, liberté de mouvement, représentativité, aux différents rouages de l’État. Seul un acte symbolique fort, accompagné d’un programme de réformes, pourra marquer cette intention.</p>
<p>Il faut couper la corde qui étrangle le Parlement, et dissocier les élections législatives de la présidentielle (les élections législatives sont actuellement prévues pour les 12 et 19 juin 2022).</p>
<p>L’opportunité s’en offre aujourd’hui : le Président pourrait dissoudre l’Assemblée nationale à la fin de février, et organiser le premier tour des législatives en même temps que celui de la présidentielle. De la sorte, le second tour de la désignation de députés aurait lieu avant que l’on connaisse le nouveau président.</p>
<p>Il y aurait là un signe fort de la volonté de combler sans tarder le fossé entre le pays citoyen et le pays électif. L’affaire est urgente : dans une enquête d’Harris Interactive publiée par Challenges en décembre 2021, <a href="https://www.challenges.fr/politique/pourquoi-il-faut-sauver-la-democratie_792492">61 % des sondés</a> estiment que la démocratie est en danger. Si le sentiment de frustration des Français continue de croître, on court le risque d’une rupture totale de la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Puisque l’image monarchique reste prégnante, laissons le mot de la fin à Louis XIV, qui écrivait dans ses mémoires : « Pour venir à bout des choses, le premier pas est de le croire possible. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 2002 à 2022, le système politique n’a pas cherché à sortir d’un schéma où le président concentre les pouvoirs au détriment d’une volonté de rupture clairement affichée par l’électorat.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738832022-01-02T17:26:28Z2022-01-02T17:26:28Z2022 : un contexte politique original ?<p>À quatre mois du premier scrutin de l’élection présidentielle de 2022, les candidats des principaux partis sont déjà en campagne et le président de la République lui-même, non officiellement candidat, multiplie les interventions publiques pour mettre en valeur son bilan et souligner la nécessité de poursuivre son action, comme ce fut notamment le cas dans <a href="https://www.lci.fr/replay-lci/video-l-instant-pol-du-15-decembre-interview-d-emmanuel-macron-ou-en-etaient-les-autres-presidents-le-15-decembre-avant-leur-candidature-2204697.html">l’entretien télévisé du 15 décembre 2020</a>. Pourtant, la situation politique reste beaucoup plus confuse qu’elle ne pouvait l’être au même moment lors des scrutins antérieurs.</p>
<p>L’élection de 2017 avait été atypique, en permettant la victoire d’un candidat qui n’était issu d’aucun des grands partis qui s’étaient partagé le pouvoir depuis les années 1960. Le scrutin qui s’annonce s’inscrit également dans un contexte politique original, marqué par l’éclatement de l’offre politique, la persistance d’une crise politique structurelle et les incertitudes liées à la crise sanitaire.</p>
<h2>Une offre politique éclatée…</h2>
<p>L’élection présidentielle de 2017 a marqué une rupture majeure dans l’histoire électorale de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100505760">façonnée jusqu’alors par le clivage gauche-droite</a>.</p>
<p>Pour la troisième fois seulement, sur dix scrutins de ce type, le second tour n’a pas mis aux prises un candidat de la droite gouvernementale et un représentant de la gauche socialiste : les deux précédents avaient eu lieu en 1969 (avec un second tour opposant le centriste <a href="https://www.elysee.fr/alain-poher">Alain Poher</a> au gaulliste Georges Pompidou) et en 2002 (où Jacques Chirac s’était fait le défenseur de la République face à Jean‑Marie Le Pen).</p>
<p>Mais surtout les deux grands partis de gouvernement, le Parti socialiste (PS) et l’Union pour un mouvement populaire (UMP), se sont alors retrouvés marginalisés en raison de l’éclatement d’une offre politique où les propositions nouvelles (Emmanuel Macron) ou les discours protestataires (Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon) ont été plus attractifs. Cet éclatement explique que, pour la première fois depuis 2002, aucun des deux candidats présents au premier tour n’a dépassé 25 % des voix au premier tour. Or, cet affaiblissement des grands partis qui structuraient la vie politique française depuis les années 1980 a favorisé, lors des élections législatives qui ont suivi, la victoire d’une majorité nouvelle, constituée autour du nouveau président Emmanuel Macron.</p>
<p>Certains observateurs pouvaient alors penser que le paysage politique se réorganiserait autour de cette majorité « <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/macron-et-en-meme-temps-trois-questions-alice-baudry-laurent-bigorgne-et-olivier-duhamel">et de droite et de gauche</a> ».</p>
<h2>… et toujours plus fragmentée</h2>
<p>Cinq ans plus tard, on ne peut que constater qu’il n’en est rien et que l’offre politique proposée aux électeurs s’est encore davantage fragmentée. Au cours de son mandat, le président n’a pas réussi à élargir son socle électoral, qui se situe toujours entre 20 et 25 % des voix : aux élections européennes de juin 2019, la liste qui se réclamait de son action a obtenu 22,5 % ; et en décembre 2021, les instituts de sondage lui attribuent en moyenne 24 % d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/derniers-sondages-sur-election-presidentielle-2022-en-france-infographies-explorez-les-tendances-visualisez-les-marges-d-erreur-agregateur_4879975.html">intentions de vote</a>. Il a donc simplement consolidé son électorat, en le positionnant davantage au centre-droit, ce qui libère potentiellement un espace à gauche que personne n’est aujourd’hui en mesure de prendre.</p>
<p>La gauche n’a en effet pas réussi à dépasser les divisions qui séparent ses organisations partisanes. Même la gauche contestataire, qui s’était réunie autour de Jean‑Luc Mélenchon en 2012 et 2017, présente aujourd’hui deux candidats, l’un issu de la France insoumise, l’autre du Parti communiste. Et si la droite de gouvernement réussit à présenter une candidature unique (avec Valérie Pécresse), comme cela a été le cas au cours des trois précédents scrutins (avec Nicolas Sarkozy et François Fillon), l’extrême droite est, pour la première fois depuis 2002 (avec la candidature de Brunot Mégret), représentée par deux candidats, Marine Le Pen et Eric Zemmour.</p>
<p>Comme en 2017 ou en 2002, cette dispersion des candidatures rend plus incertain le résultat du scrutin, puisque le seuil d’accès au second tour est réduit. Si le président sortant est seul à occuper l’espace politique qu’il revendique, au centre, sa position est plus inconfortable que celle de ses prédécesseurs qui briguaient une réélection (Nicolas Sarkozy en 2012, Jacques Chirac en 2002, François Mitterrand en 1988 ou même Valéry Giscard d’Estaing en 1981) dans la mesure où il doit subir les attaques des forces politiques gouvernementales de gauche comme de droite. Son statut de favori, que lui octroient les sondages de l’automne 2021, reste donc très fragile.</p>
<h2>Une crise persistante</h2>
<p>Cet éclatement de l’offre politique est un des symptômes d’un mal plus profond qui ronge la démocratie française depuis les années 1980 : la crise de la représentation politique. Les Français se sont peu à peu éloignés de la vie politique telle qu’elle était organisée depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, autour des partis de masse et des élections au suffrage universel. Les militants se font plus rares, les électeurs aussi. Analysée dans un rapport remis en novembre 2021 au président de l’Assemblée nationale par la <a href="https://www.fondapol.org/etude/rapport-pour-lassemblee-nationale/">Fondation pour l’innovation politique</a>, l’abstention progresse à chaque scrutin, même si elle affecte moins les élections présidentielles (en 1981, elle était de 19 % au premier tour ; en 2017, elle s’élevait à 21 %) que les municipales (21 % en 1983, 36 % en 2014) ou, pire encore, les législatives (29 % en 1981, 51 % en 2017).</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent cette crise : la <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/plus-rien-faire-plus-rien-foutre-la-vraie-crise-de-la-democratie">déception de l’opinion</a> face à l’échec des alternances qui se sont succédé depuis 1981 ; les « affaires » qui ont affecté l’image des hommes politiques, suspectés au mieux de ne pas tenir leurs promesses, au pire d’être corrompus ; et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/notre-histoire-intellectuelle-et-politique-pierre-rosanvallon/9782021351255">l’avènement d’une société individualiste</a>, qui préfère aux mobilisations collectives les engagements individuels et ponctuels.</p>
<h2>La fin de la disruption ?</h2>
<p>L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 était une conséquence de cette crise de la représentation politique traditionnelle. C’est bien parce qu’il apparaissait comme un candidat nouveau, étranger au « système » – notamment à celui des partis – et chantre de la « disruption » qu’il a supplanté les tenants de ce qu’on a alors significativement appelé « l’ancien monde ». Mais son incapacité à restructurer durablement l’offre politique, le discours et les pratiques politiques ont renforcé encore davantage ce sentiment de crise. Le fossé se creuse sans cesse davantage entre le peuple et des élites jugées arrogantes et coupées des <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/une-crise-de-la-representation-politique-plus-forte-que-jamais">réalités du Français</a>. Et Emmanuel Macron est justement considéré comme l’archétype de cette élite.</p>
<p>Comme leurs prédécesseurs, le Président et les membres du gouvernement ont été confrontés à une impopularité durable ; une fois passés les premières semaines de leur mandat, ils ne recueillent que très rarement plus de <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/10/117823-Indices-de-popularite-Octobre-2021.pdf">40 % d’opinions favorables</a>.</p>
<p>Le mécontentement qui parcourt la société française s’est également traduit par une succession de mouvements sociaux, qui expriment à la fois le rejet des médiations politiques traditionnelles, l’exaspération face à des décisions politiques jugées déconnectées des attentes des Français anonymes et parfois même la tentation du recours à la violence.</p>
<p>En 2016, François Hollande avait dû faire face au mouvement « Nuit debout » et, plus largement, à une mobilisation de rue contre la « loi Travail ». En novembre-décembre 2018, son successeur a été confronté à un mouvement d’une toute autre ampleur, celui des « gilets jaunes », qui a révélé la fracture entre le pouvoir politique et la « France des ronds-points », celle des territoires périurbains <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-fond-de-l-air-est-jaune-collectif/9782021426205">hantés par le déclassement</a>. Cette contestation l’a poussé à renouer un contact direct avec les Français et à susciter une nouvelle forme de participation citoyenne, par l’organisation d’un « grand débat national » au premier semestre 2019. Mais cette tentative n’a pas eu de réel débouché politique et est restée sans lendemain.</p>
<h2>L’abstention, donnée majeure de l’élection à venir</h2>
<p>L’irruption d’une crise sanitaire sans précédent n’a pas enrayé cette crise du politique, même si, sur le long terme, elle a contribué à renforcer la légitimité de l’exécutif. À l’automne 2021, les mouvements d’opposition au passe-sanitaire ont emprunté aux Gilets Jaunes une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/de-l-essence-au-passe-sanitaire-la-mutation-des-groupes-de-gilets-jaunes-sur-facebook_2162504.html">partie de leur discours et de leur mode de mobilisation</a>.</p>
<p>Et les scrutins qui se sont déroulés au cours de cette période particulière ont été sanctionnés par une <a href="https://theconversation.com/la-democratie-de-labstention-ou-les-defis-demmanuel-macron-163478">abstention sans précédent</a> : plus de 55 % pour les élections municipales de mars-juin 2020, plus de 66 % pour les élections régionales et départementales de juin 2021.</p>
<p>Le niveau de l’abstention est d’ailleurs l’une des clefs de la prochaine élection présidentielle, qui se déroulera dans ce même contexte de crise sanitaire, au cours duquel il est plus difficile de mobiliser directement les militants et les électeurs. Le renforcement des tensions qui parcourent la société française est ainsi l’un des éléments essentiels du contexte de l’élection présidentielle de 2022. Cette crise se traduit, au cours de ces premiers mois de campagne, aussi bien par la multiplication des candidatures qui entendent refuser le « système » (Eric Zemmour, Arnaud Montebourg) que par l’omniprésence des thématiques identitaires dans le débat public.</p>
<p>Mais le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont Auvergne.</span></em></p>Le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1624842021-07-20T23:00:15Z2021-07-20T23:00:15ZEn politique, comment les droites ont redécouvert la nature<p><em>Ce jeudi 10 octobre, Les Républicains organisent une « Nuit de l'écologie » consacrée aux questions environnementales. Objectif : se distinguer tant de l'exécutif que du RN, tout en se positionnant sur les enjeux écologiques. L'écologie, une question de droite ? En 2021, l'exécutif avait dû renoncer à inscrire la préservation de l'environnement dans la Constitution face à une levée de boucliers venue, justement, de la droite… Des positions qui s'inscrivent dans un héritage politique complexe. L'écologie politique que l'on connaît aujourd'hui est née à gauche, mais la droite n'est pour autant pas insensible aux questions environnementales, expliquait alors Sébastien Repaire, chercheur en histoire de l'écologie politique. A cette occasion, nous republions son texte.</em></p>
<p>La France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Tel aurait pu être le nouveau principe inscrit dans l’article premier de la Constitution en 2021, si l’Assemblée nationale et le Sénat s’étaient accordés sur sa formulation, et que le <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-449.html">texte</a> avait pu être soumis à référendum conformément au projet de l’exécutif.</p>
<p>Au lieu de cela, le Sénat a été, au coeur de l'été 2021, le terrain d’une bataille rangée entre le centre et la droite – ou, diront certains, entre deux droites : au centre, le gouvernement et ses soutiens voulaient inscrire l’environnement dans la Constitution et ainsi concrétiser l’engagement pris par Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne pour le climat ; à droite, les sénateurs Les Républicains (LR) s'étaient opposés au terme « garantir », trop contraignant à leurs yeux, et avaient conduit l’exécutif à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/06/l-executif-renonce-a-reviser-la-constitution-pour-y-inscrire-la-preservation-de-l-environnement-et-a-son-adoption-par-referendum_6087233_823448.html">renoncer</a> à son projet de réforme constitutionnelle.</p>
<p>Cette bataille rangée a mis en lumière les divergences profondes qui traversent la droite et le centre dans leur rapport à l’écologie.</p>
<p>Historiquement, d’ailleurs, l’écologie politique telle que nous la connaissons aujourd’hui naît à gauche de l’échiquier politique, dans les années 1960, avant de se diffuser notamment au Parti socialiste (PS) et d’engendrer des alliances telles que la <a href="https://www.cairn.info/c-etait-la-gauche-plurielle--9782724608984-page-9.htm">Gauche plurielle</a> (Verts, Parti socialiste, Parti communiste) en 1997. Pour autant, à la même époque, la droite n’est ni insensible ni hermétique aux enjeux environnementaux, parfois au prix de contradictions flagrantes.</p>
<h2>Redécouvrir la nature</h2>
<p>Ainsi, dès 1970, le président Pompidou s’inquiète-t-il de « l’emprise de l’homme sur la nature » dans son <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/controle/delat/dates_cles/discours_chicago.asp">discours de Chicago</a>, alors que dans le même temps il promeut l’expansion économique et veut adapter la ville à la voiture.</p>
<p>La préoccupation environnementale à droite se lit également au niveau local : <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/calvados/deauville/michel-d-ornano-entre-paris-et-la-normandie-retour-sur-un-parcours-hors-norme-1974019.html">Michel d’Ornano</a>, ministre de l’Environnement et candidat giscardien aux élections municipales dans la capitale en 1977, annonce ainsi « un programme vert pour Paris » (dans <em>Protection et renouveau pour Paris</em>, n° 5, 28 février 1977).</p>
<p>En cette fin des « Trente Glorieuses », la société française prend conscience du défi écologique et la droite de gouvernement semble suivre le mouvement. Elle traduit d’ailleurs cette préoccupation nouvelle en politiques publiques, depuis la création du ministère de l’Environnement en <a href="http://www.editions-recherches.com/fiche.php?id=37">1971</a> jusqu’aux différentes lois environnementales adoptées sous le <a href="https://www.lopinion.fr/edition/economie/vge-precurseur-politiques-environnementales-tribune-guillaume-sainteny-231721">septennat de Valéry Giscard d’Estaing</a>.</p>
<p>Sous la présidence de Jacques Chirac, le ralliement de la droite à la cause environnementale se précise.</p>
<h2>« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »</h2>
<p>Celui-ci est symbolisé par la formule choc que Jacques Chirac <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques-2016-2-page-157.htm">prononce</a> lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »</p>
<p>Conseillé par Nicolas Hulot (alors journaliste), Jacques Chirac confirme cette tendance durant son second mandat, lors duquel est adoptée la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement</a>, de valeur constitutionnelle. L’écologie semble désormais faire consensus à droite comme à gauche et, en 2007, les principaux candidats à la présidentielle signent le Pacte écologique proposé par Nicolas Hulot.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Chirac, sommet de Johannesburg, 2002.</span></figcaption>
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<p>Il y a cependant, entre les discours favorables à la préservation de l’environnement et les actes, un pas que les responsables de droite se sont parfois exemptés de franchir.</p>
<p>Le quinquennat de Nicolas Sarkozy est, de ce point de vue, un cas emblématique : alors que les premiers mois de la présidence semblent marquer <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques-2016-2-page-157.htm">« un tournant doctrinal »</a>, à travers notamment l’organisation en 2007 du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grenelle_de_l%27environnement">Grenelle de l’environnement</a>, le volontarisme des premiers temps laisse rapidement la place à une attitude beaucoup plus timorée, nombre de recommandations du Grenelle ne se traduisant pas en réalisations concrètes.</p>
<p>Il émane de cette période l’impression d’une ambiguïté fondamentale dans le rapport entretenu par la droite à la question écologique.</p>
<h2>Une droite conservatrice rétive à l’écologie</h2>
<p>En réalité, un clivage au sein de la droite de gouvernement se dessine à partir de cette période. Il est nettement visible au moment de transcrire les engagements pris lors du Grenelle de l’environnement dans le projet de loi qui en est issu : alors que Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie avec le rang de ministre d’État, et Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie, se font les avocats d’un texte ambitieux, ils doivent faire face à une vive opposition sur les bancs de la majorité, tant au Sénat qu’à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2010/11/27/nathalie-kosciusko-morizet-l-image-du-grenelle-s-est-brouillee_1445736_823448.html">l’Assemblée nationale</a>.</p>
<p>Or, devant la division de son propre camp, Nicolas Sarkozy choisit celui des détracteurs de l’écologie <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-agriculture/20100306.RUE5401/pour-sarkozy-l-environnement-ca-commence-a-bien-faire.html">lorsqu’il explique</a>, au Salon de l’agriculture de 2010 que « toutes ces questions d’environnement […] ça commence à bien faire ».</p>
<p>La droite conservatrice se détourne alors ostensiblement de l’environnement, notamment en raison d’un électorat peu porté sur ces questions. Ce refus de l’écologie va jusqu’à frôler le climatoscepticisme, ce dont <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/09/15/pour-nicolas-sarkozy-l-homme-n-est-pas-le-seul-responsable-du-changement-climatique_4997984_823448.html">témoignent les déclarations</a> de Nicolas Sarkozy visant à minorer la part anthropique du réchauffement climatique, en 2016.</p>
<p>Sans nécessairement atteindre cette extrémité, l’aile « dure » de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), puis de LR, rejette avec force « l’écologie idéologique », incarnée à ses yeux par les Verts et par la gauche, et lui préfère une « écologie du bon sens », aux contours et au contenu volontairement indéfinis et peu contraignants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1288175812202692610"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, dans cette fraction de la droite, l’argument écologique est parfois désormais utilisé pour justifier des positions conservatrices en matière de bioéthique plutôt que pour développer un discours sur la préservation de l’environnement. C’est ce que l’on observe chez <a href="https://lvsl.fr/francois-xavier-bellamy-lecologie-est-une-preoccupation-eminemment-conservatrice/">François-Xavier Bellamy</a>, tête de liste LR aux européennes de 2019, hostile à l’extension de la PMA aux couples de femmes.</p>
<h2>Un centre davantage porté sur l’écologie</h2>
<p>À l’inverse de cette droite conservatrice qui décide d’ignorer l’écologie ou d’en redéfinir le sens, la droite modérée semble quant à elle plus soucieuse d’acclimater la notion au sein de son logiciel idéologique. Parmi les anciens ténors de la droite sarkoziste, on peut identifier une poignée de personnalités atypiques, dont celles, déjà citées, de <a href="https://generationecologie.fr/archives/2014/12/jean-louis-borloo-le-politique-qui-a-mis-l-ecologie-au-centre.html">Jean-Louis Borloo</a>, qui avait participé à la fondation de Génération Écologie en 1990, ou de Nathalie Kosciusko-Morizet, seule candidate à mettre en avant l’écologie lors de la primaire de la droite en 2016. On peut leur adjoindre, à certains égards, la figure d’Alain Juppé.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/16/chez-lr-les-questions-ecologiques-gagnent-du-terrain_6039887_823448.html">l’environnement n’est pas totalement absent</a> de la frange modérée de LR, mais il y fait figure de question marginale. En réalité, c’est surtout dans les formations centristes que l’attrait pour l’écologie s’avère palpable.</p>
<p>Le Mouvement démocrate (MoDem), lancé en 2007 après la rupture de François Bayrou avec Nicolas Sarkozy, <a href="http://ipolitique.free.fr/francepolitique/bayrou2007.pdf">s’ouvre ainsi très tôt à l’écologie</a> en promettant de « déclarer l’urgence » climatique et environnementale. Il accueille d’ailleurs quelques transfuges issus des Verts, comme Jean-Luc Bennahmias ou Yann Wehrling.</p>
<p>Plus encore, La République en Marche (LREM), mouvement composite puisant ses références idéologiques tant à gauche qu’à droite, affiche dès sa création des prétentions élevées en matière environnementale. Pendant la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron promet ainsi <a href="https://www.lesechos.fr/2017/02/emmanuel-macron-je-veux-inventer-un-nouveau-modele-de-croissance-152514">« un nouveau modèle de croissance »</a> et rallie des personnalités issues de l’écologie politique, comme François de Rugy, Barbara Pompili, ou Matthieu Orphelin, trois ex-militants d’Europe Écologie Les Verts (EELV).</p>
<p>Une fois élu, il parvient à nommer Nicolas Hulot, un visage bien identifié dans l’opinion, ministre de la Transition écologique et solidaire. Le président de la République se permet même un coup d’éclat quelques semaines après son élection, avec la formule « Make Our Planet Great Again », lancée à la suite du retrait américain de l’accord de Paris sur le climat, en juin 2017.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron, 2 juin 2017.</span></figcaption>
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<p>Ce détournement du slogan trumpiste « Make America Great Again », qui bénéficie d’un retentissement international, évoque alors chez certains une filiation avec le discours de Jacques Chirac à Johannesburg. La même année, devant la communauté internationale réunie pour la COP 23 à Bonn, Emmanuel Macron <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/15/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-lors-de-la-cop23-a-bonn">confirme sa vision</a> de l’écologie comme « l’un des combats majeurs de notre temps ».</p>
<p><a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-interdiction-production-hydrocarbures-adoption-finale-30307.php4">L’interdiction de la production d’hydrocarbures</a> sur le territoire national, la <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/decret-fonctionnement-organisation-missions-agence-francaise-biodiversite-afb-28160.php4">promulgation</a> du décret d’application de la loi sur la biodiversité votée sous le quinquennat précédent, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/fermeture-des-centrales-charbon-aura-lieu-dici-2022">l’annonce de la fermeture des dernières centrales à charbon</a> d’ici à 2022, ou encore la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/279701-convention-citoyenne-pour-le-climat-experience-democratique-inedite">constitution d’une « Convention citoyenne pour le climat »</a>, sont autant de décisions prises en ce sens par la majorité actuelle.</p>
<p>Pourtant, l’action d’Emmanuel Macron se heurte aussi à des critiques et à des difficultés. Ainsi, Nicolas Hulot <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/08/28/nicolas-hulot-annonce-qu-il-quitte-le-gouvernement_5346903_823448.html">démissionne en septembre 2018</a>, évoquant les « lobbys » qui l’auraient conduit à « abaisser (son) seuil d’exigence ». Quant à l’association Greenpeace, elle évoque un <a href="https://www.greenpeace.fr/ecologie-et-climat-le-bilan-catastrophe-de-macron/">« bilan catastrophe »</a>, reprochant au gouvernement d’avoir, entre autres torts, entériné le CETA, traité de libre-échange avec le Canada.</p>
<p>En réalité, il convient de constater ici le face-à-face entre des conceptions et des définitions de l’écologie profondément divergentes : alors qu’une ONG comme Greenpeace ou un parti comme EELV affirment de plus en plus nettement leur attachement à l’idée de décroissance, <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/06/30/il-existe-une-doctrine-ecologiste-commune-en-europe-conversation-avec-david-cormand/">comme en témoignent les déclarations de leurs responsables</a>, la plupart des autres acteurs politiques qui développent un discours environnemental, parmi lesquels le PS, le MoDem, ou LREM, misent quant à eux sur l’idée d’une « croissance verte » qui ne renoncerait pas au principe de la croissance économique. L’écologie modérée et graduelle des formations centristes ne peut pas, dans ces conditions, rencontrer l’approbation des premiers.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, l’évaluation rétrospective des mesures prises par la majorité actuelle dira, dans les décennies à venir, quel a été leur impact réel.</p>
<h2>À l’extrême droite, une réinterprétation identitaire de l’écologie</h2>
<p>Pour avoir un panorama complet de l’hémisphère droit de la vie politique française, il conviendrait, pour finir, de dire un mot de la place de l’écologie à l’extrême droite. Or, en la matière, le Front national (FN) puis le Rassemblement national (RN) oscillent entre un souverain mépris pour les considérations environnementales, longtemps assimilées par Jean-Marie Le Pen puis Marine Le Pen à une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/15/derriere-le-virage-ecologique-de-marine-le-pen-l-obsession-de-l-immigration_5450173_823448.html">lubie de « bobos »</a>, et une libre réinterprétation des enjeux écologiques selon des critères propres à l’extrême droite.</p>
<p>Cette réinterprétation insiste sur le rejet des grands accords de libre-échange et promeut un « localisme » qui, dans le contexte actuel de développement des circuits courts, pourrait passer pour une idée d’avant-garde alors qu’il plonge ses racines dans la pensée de la <a href="https://laviedesidees.fr/Le-ble-noir.html">Nouvelle Droite</a> des années 1970.</p>
<p>Dès 2017, Marine Le Pen <a href="https://www.europe1.fr/politique/a-lyon-marine-le-pen-promet-de-remettre-la-france-en-ordre-2970029">explique ainsi dans son programme</a> que « pour préserver l’environnement, [il faut] rompre avec le modèle économique fondé sur la mondialisation sauvage », ajoutant que « la véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près ». Au sein de l’actuel RN, l’essayiste et eurodéputé Hervé Juvin, défenseur d’une « écologie identitaire », est un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/comme-personne/herve-juvin-lhomme-qui-murmure-a-loreille-de-marine-le-pen">ardent promoteur de cette vision</a>.</p>
<p>En fin de compte, ce rapide panorama des droites et du centre dans leur rapport à l’écologie dessine une forme de tripartition qui n’est pas sans rappeler la théorie des trois droites, autrefois développée par <a href="https://www.franceculture.fr/%C5%93uvre/les-droites-en-france">l’historien René Rémond</a> : une droite légitimiste, réactionnaire par définition ; une droite orléaniste, d’orientation libérale ; et enfin une droite bonapartiste, attachée à l’autorité du chef de l’État. Le rapport des droites et du centre à l’écologie confirmerait-il ce schéma, né au XIX<sup>e</sup> siècle ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162484/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sebastien Repaire est membre de la Société française d'histoire politique (SFHPo) et du Réseau universitaire des chercheurs en histoire environnementale (RUCHE). </span></em></p>Ce jeudi 10 octobre, Les Républicains organisent une « Nuit de l'écologie ». L'occasion de revenir sur les divergences profondes qui traversent la droite et le centre dans leur rapport à l’écologie.Sébastien Repaire, Chercheur, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635072021-06-29T07:45:36Z2021-06-29T07:45:36ZRégionales et départementales : quels enjeux avant la présidentielle ?<p>Les élections régionales et départementales étaient les dernières organisées avant l’échéance présidentielle de 2022. <a href="https://theconversation.com/regionales-et-departementales-2021-un-premier-tour-aux-abonnes-absents-163085">Le premier tour</a> avait surpris par l’énormité de l’abstention, la bonne tenue des vieux partis de gouvernement (LR et PS), le faible score du parti présidentiel et la baisse du RN. Ce second tour des élections régionales et départementales n’a pas véritablement changé la donne.</p>
<p>L’offre électorale régionale pour ce nouveau scrutin <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/25/elections-regionales-un-second-tour-inedit-pour-transformer-l-essai_6085655_823448.html">était pourtant large</a>. Il n’y avait qu’un seul duel métropolitain en région PACA entre le président sortant, Renaud Muselier (LR avec quelques LREM en appui dès le premier tour) et Thierry Mariani (RN et ex-LR), après le retrait de la liste de gauche conduite par Jean‑Laurent Félizia. Par ailleurs, trois duels avaient lieu dans les Outre-mer (Guadeloupe, Réunion, Guyane).</p>
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<p>Trois triangulaires se préparaient également en Hauts-de-France, Auvergne-Rhônes-Alpes et Occitanie, où la droite, la gauche et le RN s’affrontaient. On a pu assister à huit quadrangulaires et même deux quinquangulaires, en Bretagne et Nouvelle-Aquitaine. Soit 59 listes présentes au second tour contre 46 en 2015. Cette large offre tient à deux éléments : la présence de LREM, <a href="https://www.leparisien.fr/elections/regionales/regionales-en-ile-de-france-pourquoi-lrem-se-maintient-22-06-2021-ICPZ4EVBRRDQDFMBJWVFPXISKA.php">sans alliés</a> dans neuf régions, et une fusion entre certaines listes de gauche, sans que l’unité soit cependant réalisée partout.</p>
<p>Pour les départementales, au contraire, l’offre était très ramassée. La forte abstention du premier tour a eu pour conséquence de restreindre considérablement le nombre de binômes élus dès le premier tour. Seuls 119 l’ont été sur 2028 à élire. Les règles sont en effet beaucoup plus strictes pour se maintenir aux départementales qu’aux régionales. Alors que, <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/38404-regionales-2021-quel-mode-de-scrutin">pour les secondes</a>, il suffit d’avoir obtenu 10 % des suffrages exprimés, 12,5 % des inscrits sont nécessaires <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20176-quel-est-le-mode-de-scrutin-pour-les-elections-departementales">pour les premières</a>. Il n’y a donc eu dimanche que deux triangulaires contre 325 en 2015. Du fait de son recul au premier tour par rapport aux régionales de 2015, le RN n’était présent que dans 567 cantons, contre 1073 il y a six ans.</p>
<h2>Des résultats clairs</h2>
<p>Les résultats du second tour des régionales sont très clairs, comme on peut le voir sur le tableau 1. L’abstention massive <a href="https://www.lesechos.fr/elections/regionales/second-tour-des-regionales-faible-participation-de-1266-a-midi-1327263">s’est confirmée</a>, baissant seulement d’1,3 point par rapport au premier tour. Il n’y a pas eu de forte mobilisation qui aurait pu modifier les rapports de force entre listes.</p>
<p>Même en PACA où le RN était arrivé en tête au premier tour, ce qui aurait pu pousser à une forte mobilisation, la baisse de l’abstention <a href="https://www.nicematin.com/politique/regionales-l-abstention-reste-record-au-second-tour-leger-rebond-en-paca-697883">n’est que de trois points</a>. Cependant, le Front républicain y a bien fonctionné, la gauche ayant probablement assez massivement reporté ses voix sur le candidat de droite afin de faire barrage au RN.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Tableau du score de la liste en tête au premier et au second tour des régionales" src="https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408671/original/file-20210628-17-wxefiv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1. Scores des listes élues au second tour et rappel de leur résultat au premier tour des régionales (résultats définitifs en % des exprimés ; abstention sur les inscrits).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’information sur les résultats du premier tour et sur sa forte abstention ont été au cœur de l’actualité de la semaine, les <a href="https://www.lci.fr/politique/resulats-regionales-2021-marine-le-pen-denonce-un-desastre-civique-et-appelle-a-la-mobilisation-au-second-tour-2189332.html">appels</a> de tous les leaders politiques ont été nombreux. Tout cela n’a pas été suffisant pour faire bouger sensiblement le niveau de l’abstention. Ce qui montre une indifférence envers les élections locales, une incapacité d’entendre ces messages électoraux, une persistance sans mauvaise conscience dans l’abstention. Les électeurs ne suivent plus vraiment les pressions externes des élites et des médias. Si les Français sont <a href="https://wwww.cairn.info/la-france-des-valeurs--97822706142659-page-253.htm">aussi politisés qu’avant</a>, ils semblent indifférents à la victoire d’un camp ou d’un autre.</p>
<h2>La prime aux sortants</h2>
<p>De fait, tous les sortants sont très largement réélus, sauf en Outre-mer. <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/avec-sa-victoire-aux-elections-huguette-bello-fait-basculer-la-region-reunion-a-gauche-1046407.html">La Réunion</a> passe – de justesse – de la droite à la gauche, avec un président en place depuis 2010 et condamné récemment pour corruption. C’est aussi la fusion des listes de gauche au second tour qui permet la victoire sur le président sortant, en tête à l’issue du premier tour. <a href="https://www.20minutes.fr/elections/3072343-20210628-resultats-regionales-outre-mer-participation-record-mayotte-victoire-gauche-guyane-martinique">Même phénomène en Guyane</a> : les trois listes de gauche ayant fusionné, elles remportent de justesse la victoire face au président sortant (divers gauche). En Martinique, le président sortant est également battu de deux points par la gauche.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409251792026804232"}"></div></p>
<p>Par rapport au premier tour, les sortants gagnent entre 9 et 25 points ; l’écart entre le gagnant et le second est presque partout très important. Ces deux éléments traduisent une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-8-h/journal-de-8h-du-lundi-28-juin-2021">prime aux sortants</a> renforcée, pour les présidents de gauche comme ceux de droite. La carte des régions métropolitaines est donc d’une très grande stabilité. Il n’en avait pas été de même en 2015, où le PS perdait de nombreuses régions, dans un contexte de très forte sanction à l’égard de la politique présidentielle. Le désaveu actuel est moins évident que celui subi par François Hollande, dont la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-sa-cote-de-popularite-grimpe-a-48--28-05-2021-2428638_20.php">cote de popularité</a> était en décembre 2015 beaucoup plus catastrophique que celle d’Emmanuel Macron.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-democratie-de-labstention-ou-les-defis-demmanuel-macron-163478">« La démocratie de l’abstention » ou les défis d’Emmanuel Macron</a>
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<p>Les résultats départementaux témoignent aussi d’une grande stabilité. Deux départements basculent de droite à gauche, la Charente et les Côtes-d’Armor. Quatre suivent la trajectoire inverse, de la gauche à la droite : le Finistère, le Puy-de-Dôme, Les Alpes-de-Haute-Provence et le Val-de-Marne, dernier département présidé par un communiste. L’Ardèche et le Tarn-et-Garonne sont indécis et tout s’y jouera au <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/departementales/elections-regionales-et-departementales-quel-est-ce-troisieme-tour-dont-vous-allez-entendre-parler-cette-semaine_4681669.html">« troisième tour »</a>, lors de l’élection du président par l’Assemblée départementale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409411643432488966"}"></div></p>
<h2>LREM et RN grands perdants</h2>
<p>Aussi bien aux départementales qu’aux régionales, le RN confirme son affaiblissement, déjà visible au soir du premier tour. Il ne parvient toujours pas à conquérir un exécutif départemental. Son électorat ne s’est pas mobilisé, comme si certains Français mécontents n’avaient plus autant que par le passé confiance dans le parti de droite radicale. Toutefois, ils pourraient se remobiliser pour une campagne présidentielle : dans sa prise de parole dimanche soir, Marine Le Pen leur lançait d’ailleurs un <a href="https://www.leparisien.fr/elections/regionales/regionales-2021-apres-lechec-du-rn-pour-marine-le-pen-le-plus-dur-commence-27-06-2021-SVYBLKVH45C73BJ33QCU6TY63I.php">appel à la soutenir</a> dans cette bataille.</p>
<p>LREM n’a pas non plus corrigé le tir. Ses candidats ont assez souvent fait des scores plus faibles qu’au premier tour, certains électeurs LREM préférant émettre un vote utile pour départager les listes arrivées en tête au premier tour. Le parti présidentiel est certainement sanctionné par une partie de son électorat. Déçu par la politique présidentielle, celui-ci s’est réfugié dans l’abstention ou est revenu vers son orientation antérieure. <a href="https://www.leparisien.fr/elections/europeennes/resultats-elections-europeennes-2019-bardella-rn-et-loiseau-lrem-en-tete-les-ecolos-3e-26-05-2019-8080248.php">Lors des élections européennes de 2019</a>, LREM avait fait un bon score de 22,4 % des suffrages exprimés, proche des 24 % d’Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle. Il a beaucoup perdu depuis.</p>
<h2>Les dix mois à venir</h2>
<p>A dix mois de l’élection présidentielle, il est tentant de tirer de ces résultats des pronostics pour le scrutin fondamental à venir. Bien sûr, les enjeux ne sont pas les mêmes et il est clair que l’abstention ne sera pas aussi forte. En effet, celle-ci <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abstention_%C3%A9lectorale_en_France#:%7E:text=En%202017%2C%20l%E2%80%99abstention%20lors,deux%20pour%20les%20%C3%A9lections%20l%C3%A9gislatives.">n’a jamais dépassé 28,4 %</a> à une élection présidentielle.</p>
<p>Plusieurs candidats de droite semblent vouloir utiliser leur victoire régionale comme plate-forme pour leur stratégie présidentielle. Le cas le plus emblématique est celui de Xavier Bertrand, dont une grande partie de l’allocution dimanche soir, esquissant les principaux thèmes de sa campagne à venir, s’adressait aux Français plus qu’aux électeurs des Hauts-de-France.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0QBQrOB2AR0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais les dix mois à venir seront riches en événements susceptibles de rebattre les cartes. Il y aura notamment d’abord des <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/quel-champion-pour-2022-lr-avance-sur-la-forme-20210609_MHH7ULF4QVBAPLH7DWP4ALMXWY/">problèmes de sélection des candidats</a> avant même que ne s’engage la campagne électorale et les débats sur les programmes. Pour être présentes au tour décisif, la droite et la gauche doivent chacune s’entendre sur un candidat unique. Or la méthodologie pour y parvenir est loin d’être décidée, certaines tendances refusant l’organisation d’une primaire pour cette sélection, d’autres parlent d’enquêtes qualitatives et quantitatives larges, d’autres encore ne veulent croire qu’en leur force de conviction charismatique. Droite et gauche risquent de butter sur ce problème, d’autant plus que rien n’est encore arrêté. Au fond, le RN et LREM, étant hors des alliances politiques, n’ont pas de réel problème de choix de leur candidat. Cela pourrait être un atout sérieux…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163507/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les leaders de partis et les candidats ont appelé durant toute la semaine à un sursaut démocratique, le second tour des régionales confirme au contraire toutes les tendances du premier.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1631792021-06-22T19:16:16Z2021-06-22T19:16:16ZRégionales : doit-on y lire le triomphe de la droite « hors les murs » ?<p>Les élections régionales et départementales de 2021 ont été préparées comme une rampe de lancement pour la séquence présidentielle des Républicains (LR), grâce à leur implantation territoriale censée en faire un parti à ne pas oublier trop rapidement dans la lutte pour la conquête du pouvoir national.</p>
<p>Eclipsés par les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/20/regionales-xavier-bertrand-et-laurent-wauquiez-en-tete-le-rn-et-lr-au-coude-a-coude-en-paca_6084921_823448.html">bons, voire très bons scores</a> réalisés par les candidats de droite au premier tour, ces derniers mois ont pourtant représenté un défi de taille pour une organisation semblant incapable de contrôler ses cadres et de moins en moins à même de déterminer seule les plans de bataille de la famille de la droite française.</p>
<p>Les disputes autour de possibles dissidences se sont concentrées sur deux régions. Premièrement en PACA, où La République en marche (LREM) a tenté de labelliser la candidature de Renaud Muselier « majorité présidentielle » avant de se contenter d’y rallier quelques militants et de la soutenir de manière tacite – une initiative qui a suscité l’ire de plusieurs responsables des Républicains, dont le président de la plus importante fédération LR (les Alpes-Maritimes), Eric Ciotti, qui a annoncé <a href="https://www.nicematin.com/politique/regionales-en-paca-je-ne-voterai-pas-renaud-muselier-au-premier-tour-eric-ciotti-temporise-quand-meme-pour-le-second-688199">ne pas voter pour le candidat de son propre parti au premier tour</a>. Deuxièmement dans le Grand Est, où les rumeurs de possible fusion au second tour de la liste de Jean Rottner avec celle de LREM et son refus d’intégrer Nadine Morano sur la liste de Meurthe-et-Moselle a poussé cette dernière <a href="https://www.dna.fr/politique/2021/05/17/chuchotements-nadine-morano-ne-votera-pas-rottner-mais-qui-alors">à exclure de même un vote pour la liste LR</a>.</p>
<p>Le parti dirigé par Christian Jacob s’est donc retrouvé à réparer les pots cassés en multipliant les déplacements et les marques de soutien pour regagner la confiance des électeurs de droite se sentant légitimement perdus. Au contraire, dans d’autres régions, le parti courait plutôt derrière les candidats indépendants pour tenter de s’associer à leur future victoire : ainsi du soutien à Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, qui ont respectivement quitté le parti en décembre 2017 et en juin 2019, voire même <a href="https://www.ouest-france.fr/elections/regionales/elections-regionales-a-rouen-francois-baroin-en-soutien-a-herve-morin-0fe91a6a-cd3b-11eb-9738-36a14b1f8485">à Hervé Morin en Normandie</a>, trois candidats présidant leur propre formation politique mais dont l’action régionale repose majoritairement sur les élus LR.</p>
<h2>Des élus locaux à l’influence renforcée</h2>
<p>Les contorsions auxquelles ont dû se plier Les Républicains sont avant tout le signe que les élus locaux sont aujourd’hui une des principales ressources de ce parti, qu’ils en soient membres ou non. D’une part, car ils bénéficient d’une confiance et d’une légitimité qui manquent cruellement aux organisations partisanes : <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Round%2012%20-%20Barome%CC%80tre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague12-1.pdf">dans la 12ᵉ vague du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF</a> publiée en février dernier, seuls 16 % des Français disaient faire confiance aux partis politiques contre 65 % au maire de leur commune et respectivement 51 et 50 % à leurs conseillers régionaux et départementaux. De manière générale, et en dépit de l’abstention record de ces régionales, les Français semblent moins distants des politiques avec qui ils entretiennent une forme de proximité territoriale – un luxe que les partis fortement dotés en élus locaux ne peuvent que chercher à exploiter.</p>
<p>D’autre part, les élus locaux sont naturellement amenés à jouer un plus grand rôle à droite alors que nombre de figures politiques, parfois implantées localement mais surtout connues pour leurs rôles nationaux dans les plus hautes sphères exécutives, ont été balayées lors de la primaire ou de l’élection présidentielle de 2017, à l’instar de Nicolas Sarkozy, d’Alain Juppé, de François Fillon ou de Nathalie Kosciusko-Morizet, ou sont parties avec Emmanuel Macron comme Bruno Le Maire.</p>
<p>Les principaux ténors de la droite, les « présidentiables », sont désormais présidents de région – comme Xavier Bertrand, Valérie Pécresse ou Laurent Wauquiez – ou maires de grandes villes comme François Baroin.</p>
<p>Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter sachant la dynamique de <a href="https://youtu.be/yn-V4nTLk1Y?t=780">présidentialisation des régions françaises élargies</a> qui accorde de plus en plus de notoriété et de pouvoir aux exécutifs régionaux.</p>
<h2>Le parti a-t-il encore son mot à dire ?</h2>
<p>Comment expliquer ces difficultés du parti central à peser sur les considérations locales, et comment des barons locaux ont-ils pu s’affranchir du cadre de l’institution partisane en construisant leur propre mouvement ou en tissant des alliances controversées <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/regionales-une-alliance-lr-debout-la-france-suscite-des-remous-en-bourgogne-20210429">avec Debout La France comme en Bourgogne-Franche-Comté</a> sans trop craindre pour leur (ré)élection ?</p>
<p>Le fait est que le maillage territorial des Républicains – quand bien même la droite n’a jamais été particulièrement adepte du <a href="http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/diversafsp/collhistscpo04/hist04fretel.pdf">centralisme démocratique pyramidal</a> – n’est plus exactement ce qu’il était il y a quelques décennies.</p>
<p>Comme le Parti socialiste et nombre de partis de gouvernement en Europe, la droite française a entrepris des réformes visant à démocratiser son fonctionnement interne, ne serait-ce que pour l’élection directe du président du mouvement <a href="https://www.jstor.org/stable/43119718">par les militants</a> qui n’eut lieu pour la première fois qu’en 1999, rendant de fait plus direct le rapport entre la base et la tête du parti. Aidé par l’essor du numérique, ce phénomène a mené à l’affaiblissement des intermédiaires que représentaient typiquement les secrétaires de section et diminué l’intérêt de l’engagement militant sur le terrain, ce que le politiste italien Piero Ignazi nomme la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1354068818754599">« face obscure » de la démocratisation intrapartisane</a>.</p>
<p>De facto, quel est encore l’intérêt aujourd’hui pour les candidats de s’embarrasser des contraintes que peut imposer la vie partisane quand le parti n’a que peu de réalité au niveau local, qu’il ne paraît plus à même de garantir leur réélection et que les grands élus tirent toutes leurs ressources et leurs marques de loyauté de leurs réseaux d’interconnaissance ? Quel avantage retire-t-on à être membre d’un parti quand même l’adhésion peut ne plus être nécessaire pour recevoir l’investiture qui permet aux électeurs les moins informés de vous positionner facilement dans l’espace politique sans pour autant vous amalgamer aux pratiques supposément sectaires des partis politiques ?</p>
<h2>La droite a-t-elle encore des murs ?</h2>
<p>Tout cela a été largement assimilé par certains ténors de la droite dans ou hors les murs, encouragés par la victoire d’Emmanuel Macron en 2017, vendue comme l’avènement d’un « nouveau monde » où les organisations partisanes n’y avaient qu’une place marginale. Certains de ses ministres <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Bruno-Le-Maire-Je-suis-le-mec-de-droite-1576453">ne renient d’ailleurs pas leurs convictions « de droite »</a> au sein d’un gouvernement où les étiquettes passées comptent peu, et il est permis de dire que la droite existe aujourd’hui, par ses actes et ses discours, pour une partie significative au sein de la majorité présidentielle – même si cette idée <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5534604/christian-jacob-lr-macron-ne-fait-pas-une-polemique-de-droite.html">exaspère particulièrement au sein des Républicains</a>.</p>
<p>De même, Thierry Mariani et Jean‑Paul Garraud, en dépit de leurs liens étroits et évidents avec le Rassemblement national, demeurent seulement membres de leur mouvement La Droite populaire, en <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/6388611/video-thierry-mariani-les-gens-de-droite-ont-compris-quil-ny-avait-rien-a-esperer-de-ce-parti.html">appellent explicitement aux électeurs de droite</a>, et <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/thierry-mariani-il-faut-un-accord-avec-le-fn-3595874">ont promu l’union des droites</a> incluant jusqu’au Rassemblement national avant même leur départ des Républicains.</p>
<p>De droite ou d’extrême droite, leur changement de positionnement idéologique a bien moins compté que leur affranchissement des frontières partisanes pour leur permettre d’obtenir des positions électorales de choix.</p>
<p>Ainsi, si les derniers résultats <a href="https://twitter.com/ChJacob77/status/1406986848484855811">invitent effectivement à reconsidérer les analyses</a> qui faisaient des Républicains un parti mort-vivant, celui-ci semble de moins en moins hégémonique dans sa propre famille politique, et la question se pose plus que jamais pour lui de savoir ce qu’il peut offrir comme avantages aux ambitieux et ambitieuses de la politique française contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163179/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilien Houard-Vial a reçu des financements de la Fondation Nationale des sciences politiques dans le cadre d'un contrat doctoral.</span></em></p>Ces derniers mois ont représenté un défi de taille pour le parti LR, semblant de moins en moins à même de déterminer seul les plans de bataille de la famille de la droite française.Emilien Houard-Vial, Doctorant en science politique, Centre d'études européennes (Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1630852021-06-21T18:37:40Z2021-06-21T18:37:40ZRégionales et départementales 2021 : un premier tour aux abonnés absents<p>Initialement prévues en mars 2021, les élections régionales et départementales avaient été reportées en juin du fait de la flambée de Covid. Ce dimanche 20 juin, les électeurs étaient donc conviés à voter pour élire leurs représentants dans les assemblées de deux collectivités territoriales, les départements et les régions. Si les départements datent de la Révolution française avec une <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/le-suffrage-universel/la-republique-et-le-suffrage-universel/1870-1940-la-iiieme-republique-ou-l-avenement-du-suffrage-universel-masculin">assemblée départementale élue au suffrage universel</a> à partir de la III<sup>e</sup> République, les régions sont récentes.</p>
<p>Elles ne deviennent une collectivité territoriale qu’au début des années 1980, dans le cadre d’une volonté de décentralisation et de développement de la démocratie locale. Dans le même mouvement, les compétences des départements sont augmentées, ce qui n’a pas alors eu d’effet notable sur la participation électorale.</p>
<h2>L’effet covid</h2>
<p>Au soir du premier tour, l’abstention bat un record (tableau 1) : au moins deux tiers des électeurs ne sont pas allés voter. L’abstention est en progression de 16 points, ce qui semble indiquer que l’effet covid, qu’on avait observé aux deux tours de l’élection municipale de 2020 (avec une progression d’environ 20 points par rapport au scrutin de 2014, aussi bien en mars qu’en juin), n’a pas disparu.</p>
<p>L’effet covid comporte plusieurs aspects : une certaine peur d’aller dans un bureau de vote pour certains, surtout la faiblesse de la <a href="https://theconversation.com/elections-ces-rituels-de-campagne-bouleverses-par-la-crise-160066">campagne électorale</a>, avec peu de meetings, pas de porte à porte et une couverture médiatique restreinte, un climat du déconfinement qui n’incite probablement pas à aller voter.</p>
<p>De plus, les professions de foi des candidats n’ont pas été distribuées partout, ce qui a empêché certains de connaître à l’avance l’offre électorale. Le tsunami touche toutes les régions à l’exception de la Corse (abstention à 43 %), où les enjeux de la gouvernance dans cette région à compétences élargies sont beaucoup plus fortement perçus.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407500/original/file-20210621-35149-yszept.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1. % d’abstention aux élections régionales et départementales (1er tour).</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ce record d’abstention n’est pas dû qu’à ces circonstances particulières. Le tableau 1, qui donne le niveau de l’abstention depuis 1986, permet de le comprendre.</p>
<h2>Une double élection délicate</h2>
<p>En 1986, l’abstention était basse du fait de l’organisation le même jour d’élections législatives, beaucoup plus mobilisatrices, où l’abstention fut de 21,5 %. En cas d’organisation de deux scrutins le même jour, le plus mobilisateur tire vers le haut la participation à l’autre scrutin. Le phénomène a plusieurs fois joué entre élections départementales (dites cantonales jusqu’à 2011, avec renouvellement par moitié en principe tous les 3 ans) et régionales.</p>
<p>L’augmentation de l’abstention, aussi bien aux régionales qu’aux départementales, est très forte depuis 2010. Au fond, le rapport des Français à la politique a changé, en lien avec <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34377">l’évolution des valeurs</a>.</p>
<p>On ne vote plus par devoir, mais si on comprend les enjeux de l’élection et si on estime qu’un candidat ou une liste mérite d’être soutenu, ou si on veut faire barrage à une tendance rejetée.</p>
<p>La campagne électorale est donc beaucoup plus importante qu’autrefois pour mobiliser l’électeur. Et, même en dehors d’une situation exceptionnelle comme celle de la pandémie, mobiliser l’électeur pour des élections locales apparaît de moins en moins évident, notamment chez les jeunes et dans les catégories populaires. L’électeur fidèle, qui vote systématiquement, quel que soit le type d’élection, est beaucoup moins fréquent qu’autrefois.</p>
<p>Si les Français aiment le département et la région où ils habitent, et s’ils sont favorables à l’accroissement des compétences locales, ils s’intéressent assez peu à la politique départementale et régionale. Seulement 35 % des Français pouvaient citer spontanément le nom du président de leur région en octobre 2019 (<a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-francais-et-leur-region/">sondage Harris Interactive</a>). Ils font cependant davantage <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">confiance</a> aux conseils départemental et régional (56 %) qu’à l’Assemblée nationale (38 %).</p>
<p>La participation dépend aussi de la conjoncture, plus ou moins mobilisatrice d’une élection, en fonction des enjeux nationaux du moment.</p>
<h2>Le poids du mécontentement</h2>
<p>Les régionales de 1992 et de 2004 mobilisent assez fortement car il y a un très <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-4.htm">fort mécontentement</a> à l’égard du gouvernement, à la fin du second mandat de François Mitterrand en 1992 et après deux ans de second mandat de Jacques Chirac en 2004. Le mécontentement est certainement aussi une dimension de la très forte abstention de 2021. Ainsi, 34 % des abstentionnistes <a href="https://www.ifop.com/publication/regionales-2021-sondage-jour-du-vote-profil-des-electeurs-et-cles-du-scrutin-1er-tour/">citent</a> le mécontentement comme une raison déterminante de leur comportement.</p>
<p>Il y a aussi une sorte de fatalisme à l’égard des élus : 40 % des abstentionnistes disent que ce vote ne changeait rien à leur vie personnelle et 35 % que ça ne change rien non plus à la situation de la région.</p>
<p>Beaucoup ont le sentiment que ça ne sert à rien de voter à ce type d’élection où les différences entre les tendances politiques sont difficiles à décrypter. À trois semaines du premier tour, les élections régionales ne viennent qu’en 11<sup>e</sup> position des sujets dont les Français ont parlé dans la semaine avec leur entourage, très loin derrière le déconfinement, la vaccination, le passe sanitaire, le niveau de l’épidémie en France, 31 % disent en avoir parlé selon le sondage Ifop <a href="https://www.ifop.com/publication/le-tableau-de-bord-politique-mai-2021/">publié</a> en mai 2021.</p>
<h2>Une offre électorale un peu plus réduite qu’en 2015</h2>
<p>En 2021 104 listes se sont présentées dans les 12 régions hexagonales contre 119 en 2015, soit une moyenne de 8,7 listes par région contre 9,9 en 2015. Tous les présidents sortants se <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/regionales-une-offre-electorale-qui-evolue.html">représentent</a> (7 de la mouvance LR, un UDI soutenu par le MoDem, 5 PS). Les grandes tendances politiques sont présentes partout, la pluralité des listes de gauche est plus faible qu’en 2015. Le choix des têtes de liste et des alliances a été beaucoup plus contrôlé par les instances nationales des partis pour les régionales que pour les départementales.</p>
<p>La République En Marche (LREM) et le MoDem ne dirigent aucune des 12 régions métropolitaines. LREM est à la tête de 3 départements et le MoDem de 2 (alors que la droite préside 62 départements et la gauche 28). La majorité présidentielle dispose de moins de cent conseillers départementaux sur 4108.</p>
<p>La restriction de l’offre s’observe aussi pour les départementales, avec 15 % de listes en moins par rapport à 2015. L’offre est nettement plus resserrée qu’aux régionales puisqu’il n’y a que 7892 binômes en compétition pour environ 2000 cantons, soit en moyenne un peu moins de 4 binômes par circonscription cantonale (site ouest-France). Depuis la réforme de 2013-2014, on élit, avec un mode de scrutin majoritaire à deux tours, un binôme de candidats (un homme et une femme) pour assurer la parité des assemblées.</p>
<h2>Deux grands perdants et la prime aux sortants</h2>
<p>Quand on considère les résultats par grandes tendances (tableau 2), plusieurs conclusions émergent. Il y a deux grands perdants.</p>
<p>Les scores de la majorité présidentielle sont faibles, elle n’a pas réussi à mobiliser son électorat, comme lors des municipales de 2020, car la majorité nationale concentre les mécontentements. Elle pâtit aussi beaucoup de son manque d’implantation territoriale.</p>
<p>Le Rassemblement national subit aussi une défaite importante, la droite radicale perdant environ 11 points par rapport à 2015, soit un tiers de sa force. Ses électeurs se sont peu mobilisés, au contraire de décembre 2015, un mois après les attentats parisiens du 13 novembre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/regionales-2015-sept-situations-tres-contrastees-51924">Régionales 2015 : sept situations très contrastées</a>
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<p>Au contraire, la gauche et la droite, qui dirigeaient toutes les régions, ont bien résisté. Il y a incontestablement eu une prime aux sortants, faisant souvent un meilleur score qu’en 2015. Les exécutifs régionaux profitent de leur présence et de leurs actions pendant les périodes de confinement. La gauche retrouve des couleurs, mais elle est assez divisée, les jours à venir diront si elle a réussi à s’unir pour aborder le second tour dans de bonnes conditions pour elle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=173&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407452/original/file-20210621-62599-5zq47y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=217&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 2. Résultat du premier tour aux régionales en 2015 et 2021 (en % des suffrages exprimés). 2015, ministère de l’Intérieur 2021, d’après Estimations Ipsos soir du vote.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les tendances qui se dégagent des élections départementales sont très semblables. D’assez nombreux conseillers départementaux sortants obtiennent la majorité absolue mais ne sont pas élus à l’issue du premier tour car ils n’ont pas réuni 25 % des électeurs inscrits.</p>
<p>Ce premier tour confirme qu’au niveau local et régional, les partis traditionnels résistent bien. Ils ne subissent pas l’éclatement du système partisan, observable seulement au niveau national, avec une force centrale très importante, une gauche très affaiblie, une droite pas très vaillante non plus, et un RN en embuscade.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Beaucoup de Français ont le sentiment qu'il ne sert à rien de voter dans un type d’élection où les différences entre les tendances politiques sont difficiles à décrypter.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627752021-06-17T17:22:11Z2021-06-17T17:22:11ZRégionales dans le Grand Est : vers une nationalisation du scrutin ?<p>L’élection régionale dans le Grand Est ne déroge pas à la tension entre nationalisation et régionalisation qui parcourt le scrutin. C’est un grand classique de la politique française : les élections <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-4-page-533.htm">« intermédiaires »</a> ou de « second ordre » peuvent avoir une dimension nationale ou locale selon leur proximité avec un scrutin national. En l’occurrence, le laps de temps relativement bref <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/departementales/ces-regionales-vont-nous-envoyer-des-signaux-extremement-interessants-pour-la-presidentielle-analyse-le-politologue-bruno-cautres_4662049.html">entre les régionales et le scrutin présidentiel</a>, de moins d’un an, tendrait à nationaliser ce scrutin. Pourtant, dans le Grand Est, ce constat doit être nuancé pour plusieurs raisons, qui tiennent à certaines spécificités territoriales.</p>
<h2>Mêmes spécificités, candidats différents</h2>
<p>En 2015 également, neuf têtes de liste se présentaient, mais la configuration était sensiblement différente : l’union n’était pas réalisée entre le Parti socialiste (PS), Écologie Europe Les Verts (EELV) et le Parti communiste (PC). La tête de la liste Les Républicains (LR) était Philippe Richert. Élu Président de la région en 2015, il a été finalement <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/09/30/philippe-richert-president-du-grand-est-demissionne-et-quitte-la-politique_1600023/">poussé à la démission en 2017</a> par l’hostilité des adversaires du nouveau redécoupage régional <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/loi-portant-sur-la-nouvelle-organisation-territoriale-de-la-republique-notrepr%C3%A9ciser">(loi Notre 2015)</a>, notamment en Alsace.</p>
<p>L’élu qui l’a remplacé est Jean Rottner (LR), ancien maire de Mulhouse, un paradoxe quand l’on sait que celui-ci était un <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/jean-rottner-elu-sans-surprise-president-de-la-region-grand-est-1508510774">farouche adversaire</a> de la nouvelle grande région, initiateur d’une pétition contre la fusion. Il reprend aujourd’hui la tête de la liste LR.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"914183078674878464"}"></div></p>
<p>Autre point commun entre l’élection régionale de 2015 et celle de 2020, l’existence de <a href="https://www.lesechos.fr/elections/regionales/regionales-le-grand-est-toujours-pas-accepte-par-une-partie-de-ses-membres-1320168">listes autonomistes</a> toujours hostiles à l’institution de la grande région, notamment les listes intégrant Unser Land, le parti autonomiste alsacien.</p>
<p>Par ailleurs, si la droite était unie en 2015 dans une liste LR-UDI-MoDem, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2015/09/27/nadine-morano-evoque-la-race-blanche-de-la-france_4773927_823448.html">Nadine Morano</a> en a été exclue pour avoir présenté la France comme un « pays de race blanche ». En 2021, même chose : elle est à nouveau écartée par Jean Rottner, malgré la décision initiale de leur parti, pour sa proximité avec les thèses du Rassemblement national. Un des enjeux est de savoir ce que sera l’effet électoral de cette division.</p>
<p>Nadine Morano est une figure nationale et locale de LR et apparait comme une dissidente localement. Elle ne soutient pas la liste officielle de son parti ce qui pose problème. Pour l’heure elle ne soutient pas non plus la liste du RN, qui s’efforce d’obtenir son ralliement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/j-9y9SuKEDM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La liste Rottner est concurrencée aujourd’hui par celle dirigée par <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/brigitte-klinkert-candidate-aux-regionales-de-juin-prochain-dans-le-grand-est-1619790216">Brigitte Klinkert</a> (LREM-DVD), ministre issue de l’UMP et encouragée par l’Élysée.</p>
<p>Certains candidats de 2015 se présentent par ailleurs sous une nouvelle étiquette : Florian Philippot est passé du FN aux Patriotes, qu’il a fondés, Laurent Jacobelli migre de Debout la France au RN, dont il est porte-parole.</p>
<p>En 2021, une liste « l’Appel inédit » est également <a href="https://www.lalsace.fr/politique/2021/05/04/ps-cinq-renforts-de-marque-pour-l-appel-inedit">initiée par Aurélie Filippetti</a>, ancienne ministre de la Culture aux côtés de Pernelle Richardot, trésorière nationale du PS, et Caroline Fiat, issue de la France insoumise, avec le soutien de Génération·s et Place publique.</p>
<p>Il s’agit de proposer une liste alternative aux logiques d’appareil, animée par trois femmes, ainsi qu’une nouvelle identité pour le Grand Est. Cette liste est concurrencée par celle d’EELV-PS-PC, soutenue par d’autres mouvements du centre gauche, et animée par l’écologiste Éliane Romani (« Il est temps »).</p>
<h2>Des enjeux locaux dont la remise en question de la région Grand Est</h2>
<p>L’enjeu national de la présidentielle est nuancé par une affirmation localiste, voire identitaire, de certaines listes. La difficulté du Grand Est réside dans l’hétérogénéité démographique et économique de son territoire, très étendu.</p>
<p>Traversé par la <a href="https://labs.letemps.ch/interactive/2019/longread-france-vide/">« diagonale du vide »</a>, il est également marqué par une configuration frontalière particulière (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=561&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=705&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=705&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406969/original/file-20210617-27-19lf9uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=705&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une carte démographique de la répartition de la population française sur le territoire. Un rouge plus foncé correspond à une densité plus élevée. Du Havre à Marseille, la ligne imaginaire à l’est de laquelle 60 % de la population française réside. En pointillés, les limites de la « diagonale du vide », qui englobe dans le Grand Est Ardennes, Meuse, Marne, Haute-Marne et Aube.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benjamin Smith/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En outre, les débats autour de la restructuration régionale persistent, puisque ses objectifs en termes d’économies d’échelle et d’efficience <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/regionales-2021-dans-le-grand-est-pourquoi-le-reforme-territoriale-n-a-pas-tenu-toutes-ses-promesses-d-economies-2104357.html">n’ont pas été réalisés</a>. Le nombre d’élus et de personnel n’a pas diminué : la région dispose toujours de deux assemblées régionales, à Metz et Strasbourg. En ce qui concerne le régime indemnitaire des agents de la région, c’est-à-dire le montant des primes et indemnités versées en plus du traitement de base, celui-ci a augmenté entre 2016 et 2021.</p>
<p>Nombre d’élus et une partie de la population d’Alsace souhaiteraient remettre en question la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030985460/">loi NOTRe</a> et revenir aux trois anciennes régions. C’est d’ailleurs au programme de trois listes sur neuf : les régionalistes de « Stop Grand Est, en avant l’Alsace ! », le RN et les Patriotes de Florian Philippot.</p>
<h2>Enjeux linguistiques</h2>
<p>Certains candidats font également du développement des <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/regionales-2021-le-grand-est-toujours-en-quete-d-identite-2116147.html">langues régionales</a> un enjeu de campagne, comme Éliane Romani, Aurélie Filipetti, et les autonomistes de la liste « stop Grand Est ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lalsacien-nexiste-pas-was-isch-los-quen-est-il-159487">« L’alsacien n’existe pas » : wàs isch los ? (qu’en est-il ?)</a>
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<p>Dans ce contexte, l’Alsacienne Brigitte Klinkert assoit son implantation territoriale en suggérant d’accorder des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19627-quest-ce-quun-conseil-regional">vice-présidences</a> aux trois anciennes composantes du Grand Est, la Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace, et en rappelant son rôle dans la construction de la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/dix-choses-a-savoir-sur-la-collectivite-europeenne-d-alsace-qui-verra-le-jour-le-1er-janvier-2021-1606919795">Collectivité européenne d’Alsace</a>, lorsqu’elle était présidente du Conseil départemental du Bas-Rhin.</p>
<p>Elle oppose ainsi sa conception de la région « girondine », basée sur une décentralisation locale où les anciennes régions disposeraient de plus de pouvoirs, au « jacobinisme » régional de Rottner. Dans les anciennes régions, on critique l’hégémonisme alsacien incarné par le président sortant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402716815218839555"}"></div></p>
<h2>Jean Rottner, un bilan à l’épreuve de la pandémie</h2>
<p>La « régionalisation » du scrutin doit aussi à l’évolution de l’image de Jean Rottner, peu connu de la France et des autres anciennes régions. L’Alsacien a eu l’occasion de se <a href="https://www.lepoint.fr/politique/grand-est-jean-rottner-un-ex-urgentiste-a-la-tete-d-une-region-convalescente-15-05-2021-2426567_20.php">révéler pendant la crise du Covid</a>, passant de président d’une collectivité qu’il rejetait, à président expert, spécialiste de la crise sanitaire grâce à son statut de médecin urgentiste. <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/jean-rottner-la-crise-a-accelere-le-fait-regional-879909.html">Il affirme ainsi que</a> : « la crise a accéléré le fait régional ». Dans les faits, la pandémie a été l’occasion d’un interventionnisme régional renforcé, en coopération avec la préfète de région. <a href="https://theconversation.com/le-prefet-et-la-pandemie-comment-le-coronavirus-revele-les-transformations-de-letat-162194">Ce rôle</a> a été notamment crucial dans la distribution des ressources de lutte contre le virus (masques et vaccins).</p>
<p>Sa position est en rupture avec celle de plusieurs responsables départementaux, pour qui l’espace pertinent en matière de santé est le département.</p>
<p>Le discours de la proximité et du localisme devient donc un enjeu majeur pour certains candidats, auquel s’ajoutent des préoccupations sécuritaires (RN), environnementales, au sujet des transports gratuits, du développement de la recherche (listes de gauche), de la démocratie participative et des services publics de proximité (Filippetti), ou de l’investissement de la région dans la santé (Rottner).</p>
<h2>Des alliances à géométrie variable</h2>
<p>La nature hybride du scrutin, <a href="https://www.gouvernement.fr/tout-ce-qu-il-faut-savoir-sur-les-elections-regionales-et-departementales">simultanément départemental et régional</a>, révèle la dualité des logiques d’alliances, selon les types de collectivité, et les limites des allégeances partisanes.</p>
<p>Ainsi, la liste Klinkert, liée à la majorité présidentielle, comporte le républicain alsacien Georges Schuler, secrétaire départemental LR, mais aussi l’ancien socialiste Christophe Choserot. Président du groupe majoritaire de gauche de la métropole de Nancy, il en a démissionné en intégrant cette liste.</p>
<p>À gauche, Pernelle Richardot, trésorière nationale du PS, première secrétaire fédérale du PS 67 et l’une des animatrices de la liste « l’Appel inédit », est <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/dans-le-grand-est-chasse-croise-chez-les-socialistes-20210505_6BMQZDLCVFEG5KUCS3BXGIFJAM/">désavouée par sa fédération</a>, qui n’a pas voulu la suivre dans cette initiative.</p>
<p>Elle n’a donc pas rejoint la liste EELV-PS-PC, officiellement soutenue par la direction nationale du PS. Cela a entraîné certaines confusions, agaçant les animateurs de la liste « Il est temps », lorsque par exemple la publicité pour le grand débat télévisé régional, dans <em>l’Est Républicain</em>, accole à Aurélie Filippetti l’étiquette « Parti socialiste ». Lors du débat, c’est l’étiquette « Union de la gauche » qu’on lui associe, un concept que la liste d’Éliane Romani prétend aussi incarner.</p>
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<p>À cela s’ajoute une différence d’alliance, paradoxale et source de dissonances, entre le scrutin départemental et le scrutin régional, alors que les cumuls de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/departementales/infographies-age-parti-profession-plongee-dans-les-33-000-candidatures-aux-elections-regionales-et-departementales_4658735.html">candidatures sont relativement fréquents</a>. En effet, dans le département de Meurthe-et-Moselle, par exemple, un accord d’union a pu être réalisé pour les départementales entre EELV-PS-PC-LFI, contrairement à l’élection régionale.</p>
<p>Ainsi, Caroline Fiat (LFI) est candidate de la majorité de gauche sortante au Conseil départemental, comme le premier secrétaire fédéral du PS, Bertrand Masson. Or tous deux s’affrontent pour la régionale, ce dernier étant tête de liste en Meurthe-et-Moselle sur la liste d’Éliane Romani, alors que Caroline Fiat est co-initiatrice de la liste « l’Appel inédit ».</p>
<h2>Une alliance de gauche peu crédible</h2>
<p>La perspective de la présidentielle aboutit inévitablement à une comparaison entre régions pour repérer les logiques d’alliances.</p>
<p>De ce point de vue, la constitution de la liste Romani peut être perçue à l’aune d’une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/16/a-gauche-derriere-l-unite-un-axe-social-ecologiste-se-dessine-pour-2022_6076995_823448.html">stratégie de domination</a> de la gauche par EELV, dans la perspective de l’élection présidentielle.</p>
<p>De fait, le PS n’a pu qu’accepter cet accord compte tenu de sa faiblesse électorale dans le Grand Est. La liste « l’Appel inédit » en a d’ailleurs fait un argument de campagne, justifiant sa présence comme une résistance à la tentation hégémonique d’EELV. Mais Éliane Romani est à 14 %, en 4<sup>e</sup> position pour le moment. Certes, son succès renforcerait l’idée d’une Union PS-EELV au niveau national et accréditerait l’idée d’une recomposition de la gauche.</p>
<p>Cependant, pour l’heure, les schémas de coalition PS-EELV sont plutôt marginaux en France pour ce scrutin régional : dans six des treize régions, l’accord PS-PC est privilégié. Comme dans le Grand Est, l’alliance PS-EELV est plutôt dirigée par un·e écologiste, comme dans les régions PACA ou Hauts-de-France. La seule union de la gauche et des écologistes animée par une socialiste <a href="https://www.paris-normandie.fr/id180304/article/2021-04-05/regionales-2021-en-normandie-un-accord-trouve-entre-socialistes-et-ecologistes">se réalise en Normandie</a>.</p>
<h2>Un scrutin troublé par les désistements</h2>
<p>Malgré son <a href="https://www.lci.fr/politique/regionales-jean-rottner-lr-fustige-les-clins-d-oeil-au-rn-de-nadine-morano-2187068.html">refus d’accueillir Nadine Morano</a>, la liste Rottner s’inscrit tout à fait dans la ligne nationale de LR, à savoir « pas d’alliance avec les partis de la majorité présidentielle ».</p>
<p>Comme partout ailleurs plane l’ombre de la désaffection pour les partis « de gouvernement », de l’abstention et du Rassemblement national, représenté par Laurent Jacobelli. L’issue du scrutin demeure néanmoins incertaine, tout dépendant des désistements. Si la liste Klinkert se désiste ou fusionne, la victoire de la liste Rottner sera nette. En revanche, en <a href="https://www.lunion.fr/id264071/article/2021-06-09/elections-regionales-quadrangulaire-fatale-jean-rottner-lr-selon-un-sondage-qui">cas de quadrangulaire</a>, le RN peut arriver en tête, devant la liste Rottner.</p>
<p>En 2015, lors du scrutin régional, avec 36,08 %, le FN était en tête au premier tour dans la région Grand Est (à l’époque ACAL) avec 9 points de plus qu’au niveau national. Les stratégies d’alliance sont ainsi déterminées partiellement par le débat sur la pertinence d’un front républicain. La tête de liste RN Laurent Jacobelli, tout en se positionnant clairement contre la grande région, s’efforce d’éviter un débat sur les enjeux identitaires locaux et cherche à nationaliser le débat, pour y ramener des <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-de-la-redaction-de-7h45/alsace/laurent-jacobelli-tete-de-liste-du-rassemblement-national-aux-elections-regionales-dans-le-grand-est">questions sécuritaires</a> qui ne relèvent pas des compétences de la région.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1404701721901797376"}"></div></p>
<h2>Manque de lisibilité</h2>
<p>En 2015, l’abstentionnisme, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/13/doit-on-craindre-une-abstention-massive-aux-elections-regionales-et-departementales_6083944_823448.html">traditionnellement important</a> pour les élections régionales, a été légèrement plus élevé qu’au niveau national, de 2 points (52,09 %), dans cette région. Il peut se nourrir de la confusion qui naît de deux élections simultanées, où la nationalisation du scrutin et le manque de lisibilité de l’offre électorale contribuent à rendre le rôle de ce scrutin peu clair.</p>
<p>En 2021, le <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/regionales/regionales-la-victoire-du-rn-n-est-plus-a-exclure-dans-le-grand-est-20210615">poids notable du Rassemblement national</a> dans le Grand Est, donné en tête dans un premier sondage, puis en deuxième position après la liste LR et devant la liste LREM depuis, suggère l’idée d’un ralliement au second tour.</p>
<p>Toutefois, le premier tour reproduira l’affrontement LR-LREM qui existe au niveau national, à la différence de ce qui s’est produit pour certains scrutins municipaux et dans la plupart des <a href="https://www.estrepublicain.fr/politique/2021/05/06/departementales-2021-qui-sont-les-candidats-dans-votre-departement-meurthe-et-moselle">cantons de Meurthe-et-Moselle</a>, par exemple.</p>
<p>Ainsi, à l’image de ce qui se passe dans toutes les régions, on peut lire ce scrutin dans le Grand Est comme un test pour la présidentielle et les chances de réussite du RN. Cependant, c’est également l’avenir de la région qui s’y jouera, entre pressions autonomistes alsaciennes et sentiment nouveau d’appartenance régionale issue de la crise sanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Olivier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le Grand Est, le scrutin régional et départemental est l’occasion de répéter les alliances pour la présidentielle, mais aussi de régler des questions locales, comme l’autonomisme alsacien.Laurent Olivier, maître de conférences, IRENEE, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625422021-06-10T21:56:53Z2021-06-10T21:56:53Z« Recevoir en pleine face la colère populaire » : la gifle ou les aléas du voyage présidentiel en province<p>Quelle importance accorder à la gifle que le président de la République, Emmanuel Macron, a reçue lors d’un déplacement à Tain-l’Hermitage le 8 juin 2021 ? Le corps physique de l’individu Emmanuel Macron a apparemment peu souffert de cette violence somme toute contenue et ritualisée : la gifle relève des atteintes physiques mineures mais <a href="https://blogs.letemps.ch/veronique-dreyfuss-pagano/2021/06/09/la-gifle-un-geste-qui-a-une-longue-histoire/">symboliquement stigmatisantes</a>, et pouvait autrefois donner lieu à réparation lors <a href="https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/CORNEILLEP_CID.pdf">d’un duel</a>.</p>
<p>En revanche, dans le registre de la symbolique politique, l’attaque du corps du monarque républicain n’est pas anodine en ce qu’elle s’attaque à la fonction.</p>
<p>L’ensemble du personnel politique a d’ailleurs condamné cet acte violent selon cette lecture (« il en va des fondements de notre démocratie » a déclaré le premier ministre applaudi à l’Assemblée), tandis que paradoxalement le président en minimisait la portée (« il faut relativiser cet incident… c’est de la bêtise »). En soulignant cependant qu’« il ne faut rien céder à la violence, en particulier la violence contre tous les représentants de la chose publique ». Il invitait en concluant cette brève déclaration <a href="https://www.lci.fr/politique/gifle-emmanuel-macron-appelle-a-relativiser-dans-une-interview-au-dauphine-2188213.html">« à remettre toute cette violence à sa juste valeur »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402291941270827014"}"></div></p>
<h2>Des épiphénomènes dissonants</h2>
<p>Si une telle violence est en France globalement rare et marginale – sachant que les services de sécurité font en sorte qu’elle ait de moins en moins d’occasions de s’exprimer –, une violence du même ordre a pu resurgir épisodiquement dans le passé récent, que cela soit lors des campagnes présidentielles (Emmanuel Macron avait aussi reçu un œuf sur la tête lors de celle de 2017), ou lors des moments mettant en contact le personnel politique avec des foules (Nicolas Sarkozy fut agrippé par le revers de la veste, Manuel Valls giflé, François Hollande enfariné).</p>
<p>Sans compter les chahuts, les insultes, les chants hostiles et les affrontements avec les forces de l’ordre de « comités d’accueil » tenus de plus en plus éloignés des cortèges officiels.</p>
<p>Ces quelques épiphénomènes dissonants sont souvent hypertrophiés dans les comptes-rendus médiatiques. Ils ne doivent pourtant pas faire oublier que, depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la mécanique parfaitement rodée <a href="https://journals.openedition.org/lectures/360">du voyage présidentiel en province</a> fonctionne le plus souvent sans fausses notes, conjuguant acclamations des foules en liesse et applaudissements nourris de citoyens ravis d’accueillir le président de la République.</p>
<p>Cela n’a rien de fortuit, c’est même la justification principale de ces dispositifs.</p>
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<h2>Le voyage présidentiel : cadrage formel et nécessité de l’informel</h2>
<p>L’événement violent s’est produit dans le contexte d’un « Tour de France » morcelé, entrepris par Emmanuel Macron quelques jours plus tôt, à un an de l’élection présidentielle. Il s’agit en fait d’un ensemble d’aller-retour dans le pays, étalés sur plusieurs mois.</p>
<p>Cette nouvelle « itinérance », selon le mot des communicants du président, avait commencé sans heurts peu avant dans le département du Lot, à Saint-Cirq-Lapopie. Ce petit village touristique paisible avait déjà servi de toile de fond à d’autres immersions d’Emmanuel Macron « dans les territoires » alors qu’il était ministre.</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans rappeler l’« itinérance mémorielle » de novembre 2018, à l’occasion de la fin de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait, le temps de quelques jours, de « briser la vitre qui sépare traditionnellement le président du pays », selon les mots de son entourage, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/en-direct-emmanuel-macron-le-programme-de-l-itinerance-memorielle-7795457232">« quitte à recevoir, en pleine face, la colère populaire »</a>. Ce nouveau voyage est envisagé autant comme un temps de célébration du président que comme un moment agonistique, où il pourra défendre sa politique si l’occasion lui en est donnée.</p>
<p>Le sens politique de tels déplacements est objectivement très faible tant ils sont prévisibles. Ils ne prennent un poids politique qu’à travers les commentaires médiatiques qu’ils suscitent. Ceux-ci portent d’ordinaire sur des éléments périphériques et quelques anecdotes, en marge de la routine officielle auxquelles les exégètes professionnels entendent donner de l’importance. Tout compte fait, la gifle reste comme le seul moment notable d’un déplacement qui reprend les modalités classiques d’un genre désormais stabilisé.</p>
<p>Le déplacement des commentaires des éditorialistes, des chaînes d’information, des professionnels et des profanes sur les réseaux sociaux numériques, vers le micro-événement constitué par « la gifle » illustre bien, en creux, les conditions ordinaires de félicité de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0263276486003002002">ces « rencontres » avec le « peuple »</a>. Entre déclinaison formelle et routinière d’un genre et moments informels planifiés, le déroulé habituel de ces déplacements ne suscite ordinairement que peu de commentaires.</p>
<h2>Le bain de foule, un rituel bien rodé</h2>
<p>Les voyages présidentiels font en effet l’objet depuis longtemps d’une organisation rigoureuse. Le bon déroulement du rituel impose de maîtriser l’agencement des divers éléments qui peuvent le constituer. Il faut pour cela tenir compte des multiples contraintes d’un planning minuté, avec ses aspects protocolaires (choix des interlocuteurs à rencontrer, notamment les élus locaux), ses « temps forts » à réaliser (inauguration d’un équipement, retrouvailles, remise de médaille, rencontre avec des citoyens ordinaires, des responsables d’associations, des fractions particulièrement méritantes de la population, etc.), ses moments de convivialité. Tout cela constitue la mise en récit d’une immersion harmonieuse et d’une communion avec les autochtones.</p>
<p>Parmi les séquences ritualisées, celle du bain de foule occupe une place particulière : elle est l’acmé de la rencontre avec le Peuple et se présente comme un des moments d’« informalisation ». Il s’agit dans ce cas de prévoir de brefs temps de relâchement des contraintes au sein d’un dispositif qui reste globalement sous contrôle.</p>
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<p>Mu par un élan irrépressible, le président s’approche des citoyens, tenus jusqu’alors à bonne distance derrière des barrières. Il serre des mains, embrasse femmes et enfants, prononce un compliment pour chacun, s’attarde parfois pour quelques phrases. Surtout, il manifeste sens de l’écoute et contentement d’approcher les « vrais » Français dont il se sentirait trop souvent éloigné par sa charge.</p>
<p>On a vu ainsi, juste avant la scène de la gifle, Emmanuel Macron, « échapper » à son service de sécurité pour se précipiter vers les habitants. Tout compte fait, la séquence de la gifle vient s’insérer au seul bref moment véritablement informel, dans un court interstice de flottement, avant que les services de sécurité ne se repositionnent et maîtrisent l’agresseur. Le président poursuit ensuite (presque) sans encombre le rituel informalisé, selon le plan prévu.</p>
<h2>Le corps du monarque républicain au centre de la cible</h2>
<p>Pour être ancien, le rituel républicain du voyage présidentiel comme temps de « rencontre » avec les Français n’est pas pour autant resté à l’écart des enjeux politiques contemporains. Le président sous la V<sup>e</sup> République tient sa légitimité du suffrage universel direct : il a donc un rôle politique beaucoup plus central que dans les régimes précédents. Cette importance est également symbolique, puisque sa place <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique">s’est transformée</a> au fil du temps depuis 1958 selon les pratiques et les usages des différents occupants de l’Élysée.</p>
<p>La médiatisation grandissante de la vie politique, déjà importante dans les années 1980, a pris un tournant décisif avec les possibilités offertes de recueil et de circulation accélérée de l’information à partir des années 2000. <a href="https://www.armand-colin.com/lego-politique-essai-sur-lindividualisation-du-champ-politique-9782200283100">L’individualisation plus générale de la vie publique</a> a contribué au succès d’entreprises politiques, qui se présenteront au fil du temps de <a href="https://www.puf.com/content/La_fin_des_partis">moins en moins comme les émanations de collectifs partisans</a> que comme des aventures individuelles de conquête du pouvoir. Les primaires avec leurs affrontements télévisés ont été le symptôme le plus visible de ce changement en 2017, et le cas de la campagne d’Emmanuel Macron est à cet égard exemplaire.</p>
<p>La mobilisation de tous les outils de valorisation individuelle par le personnel politique de premier plan – <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4939">qui n’est pas propre à la France</a> – au service d’une présence constante dans les médias, notamment socionumériques, valorise l’action mais elle banalise en même temps le corps et la fonction présidentielle.</p>
<p>L’inflexion du rôle symbolique du président lors du quinquennat d’Emmanuel Macron est pour beaucoup dans le fait qu’il apparaisse, sans doute encore plus nettement que ses prédécesseurs, comme l’auteur et l’incarnation quasi unique de la politique menée.</p>
<h2>La part de risque</h2>
<p>A de multiples reprises au cours du quinquennat, le président est apparu au centre des dispositifs pensés comme des réponses politiques aux crises qui se sont présentées. Le « Grand Débat » dans ses diverses déclinaisons, la gestion de la crise sanitaire (qui articule notamment le conseil de Défense aux décisions personnelles du président), l’instrumentalisation de dispositifs délibératifs soumis ensuite au bon vouloir présidentiel (comme dans le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat) : autant de rappels constants d’une incarnation personnelle de l’autorité politique.</p>
<p>Les écarts langagiers qu’Emmanuel Macron s’est autorisés (« qu’ils viennent me chercher », « ceux qui ne sont rien », « le pognon de dingue », « travailler pour se payer un costard », « traverser la rue pour trouver du travail »…) ont sonné comme des marques personnelles d’arrogance. Elles semblaient parfois adresser un défi à des fractions de la population déjà éloignées socialement et géographiquement des décideurs politiques et plus encore du « nouveau monde » promu par le président.</p>
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<p>Résultat d’un choix assumé, mais sans doute aussi en grande partie contraint, puisque <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34148">l’entreprise Macron</a> n’a pas les bases solides et anciennes de ses principaux opposants, l’extrême personnalisation du pouvoir a placé symboliquement le président au cœur de la responsabilité politique. Emmanuel Macron apparaît pour ces raisons le seul et unique interlocuteur du ressentiment des oubliés de sa politique. Y compris quand ce ressentiment se cristallise dans la violence d’une gifle.</p>
<p>Après le mouvement des « gilets jaunes » et les nombreuses manifestations qui ont émaillé ses précédents déplacements, la gifle rappelle que, symboliquement au moins, ce retour au terrain comportera encore longtemps pour Emmanuel Macron, peut-être plus que pour tout autre, une part de risque difficile à maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Leroux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La gifle d’Emmanuel Macron a résonné dans la sphère médiatique comme un coup de tonnerre. Quelle importance donner à ce geste, pour l’homme comme pour la fonction qu’il représente ?Pierre Leroux, Professeur en sciences de l’information et de la communication, chercheur titulaire au Laboratoire Arènes, Université catholique de l’Ouest Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1603712021-05-24T18:49:40Z2021-05-24T18:49:40ZQue reste-t-il de la « deuxième gauche » ?<p>Dans la nuit suivant son élection, le 7 mai 2017, Emmanuel Macron aurait, selon certains commentateurs, rédigé la <a href="https://www.editionsarchipel.com/livre/cetait-rocard/">préface de l’ouvrage</a> consacré par Jean‑Paul Huchon à <a href="https://urlz.fr/fxvo">Michel Rocard</a>. Quelle que soit la genèse de son écriture, ce court texte rappelle que l’héritage de la « deuxième gauche », mouvement social, intellectuel et politique dont Michel Rocard fut la principale incarnation, continue d’être revendiqué.</p>
<p>À gauche cependant, la référence reste rare. Quelques candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2022 continuent de s’en réclamer au détour d’une interview – <a href="https://urlz.fr/fxvp">Yannick Jadot</a>, <a href="https://urlz.fr/fxvr">Anne Hidalgo</a> – sans jamais s’y attarder.</p>
<p>Reste à savoir de quelle « deuxième gauche » parlait Emmanuel Macron. L’expression renvoie principalement pour lui à la référence rocardienne et à une forme de « social-démocratie à la française » très liée à la mémoire du rocardisme des <a href="https://urlz.fr/fxAA">années 1980</a>.</p>
<p>Il affirmait ainsi se reconnaître dans un triple legs : l’exercice du pouvoir doit être soutenu par une pensée charpentée ; la rigueur gestionnaire et l’efficacité de l’État constituent des principes cardinaux de l’action publique ; la société civile est un puissant levier de transformation sociale.</p>
<h2>Une mémoire fixée sur le rocardisme des années 1980</h2>
<p>Cette mémoire a le mérite de pointer des invariants importants de la « deuxième gauche ». Elle explique aussi pourquoi une figure de la droite libérale comme Édouard Philippe, dont les cercles d’expertise rocardiens furent la première instance de socialisation politique, érigea Michel Rocard et Pierre Mendès France en chefs de gouvernement modèles, au même titre que Georges Pompidou et son mentor <a href="https://urlz.fr/fxvL">Alain Juppé</a>.</p>
<p>Réduire la « deuxième gauche » à cet avatar social-démocrate empêche toutefois d’en saisir pleinement l’épaisseur, en particulier ses dimensions contestataires et révolutionnaires forgées dans les <a href="https://www.theses.fr/1992PA010550">combats contre la guerre d’Algérie</a>.</p>
<p>Une focalisation trop étroite sur son versant politique, qui s’affirme surtout après le congrès du PS de Nantes en juin 1977, où Michel Rocard pointe l’existence d’une <a href="https://urlz.fr/fxx8">« deuxième culture dans le socialisme français »</a>, conduit également à oublier son impact dans les mutations sociologiques de la gauche non communiste française des années 1960-1970.</p>
<p>Nébuleuse aux contours flous et mouvants, la « deuxième gauche » fut le sas d’entrée principal des chrétiens en <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/a-la-gauche-du-christ-jean-louis-schlegel/9782021044089">socialisme</a>.</p>
<p>Ce mouvement social et politique présente enfin une forte dimension intellectuelle : la réflexion théorique dense relayée par des revues et des journaux appelant à la naissance d’une gauche alternative au Parti communiste (PCF), à la SFIO puis au PS dans sa version mitterrandienne favorisa l’émergence d’une <a href="https://books.google.fr/books/about/Pour_une_nouvelle_culture_politique.html?id=G_hXDwAAQBAJ&redir_esc=y">« nouvelle culture politique »</a>, dont l’originalité et les réalisations sont toutefois à relativiser.</p>
<h2>Une gauche de combat aspirant à régénérer le socialisme</h2>
<p>L’existence de la « deuxième gauche » précède de beaucoup la naissance de l’expression, que l’on peut dater de <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay?vid=33UDL_INST:UDL&docid=alma991000193769705596&lang=fr&context=L&adaptor=Local%20Search%20Engine">l’ouvrage publié en 1982</a> par les journalistes Hervé Hamon et Patrick Rotman sur l’histoire de la CFDT. Avant d’être une méthode de gouvernement ou une culture politique, cette mouvance se construisit dans la protestation morale et le combat anticolonial.</p>
<p>Les pionniers de ce qu’on appelle alors la « nouvelle gauche » rejettent simultanément le PCF, dont ils se méfient au plus haut point pour y avoir souvent milité, et la SFIO de Guy Mollet. Ce dernier, en cautionnant à la tête d’un gouvernement de coalition de Front républicain (1956-1957) une politique de répression contre les militants nationalistes algériens, notamment marquée par le recours de l’armée française à la torture, fut accusé d’avoir trahi le socialisme. Son soutien en 1958 à la V<sup>e</sup> République du général de Gaulle précipita les hésitants vers une <a href="https://www.theses.fr/1992PA010550">rupture</a> déjà consommée par d’autres, entraînant une scission de la SFIO. Produit de multiples recompositions, le Parti socialiste unifié (PSU) fut le débouché politique fragile de cette <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3268">refondation</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guy Mollet arrive à Alger, 1956.</span></figcaption>
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<p>Nul ne parle alors de « deuxième gauche » pour qualifier <a href="https://www.abebooks.fr/9782708953543/gauche-dissidente-nouveau-Parti-Socialiste-2708953540/plp">ces gauches dissidentes et éclatées</a>. Les sécessionnistes de la SFIO constituent le gros des effectifs d’une nébuleuse militante qui, par-delà des divergences idéologiques importantes, souhaite construire une gauche morale sur le modèle de Pierre Mendès France, figure tutélaire <a href="https://urlz.fr/fxwD">quoiqu’ambiguë</a>.</p>
<h2>Réforme ou révolution ?</h2>
<p>De cette époque, les responsables politiques actuels se réclamant de la « deuxième gauche » ont retenu le plaidoyer pour une modernisation du socialisme fondée sur l’efficacité économique, la rupture avec la tradition marxiste et le rejet d’un « social-étatisme » attribué au PCF et à la SFIO. Un tel prisme mémoriel occulte la dimension révolutionnaire dont cette alternative était aussi porteuse.</p>
<p>Pour de nombreux théoriciens que l’on retrouve dans les années 1960 au PSU, à la CFDT et/ou dans des clubs de réflexion en plein essor, il s’agissait d’élaborer une « nouvelle culture politique » offrant d’autres leviers que la conquête de l’État pour rompre avec le capitalisme.</p>
<p>Dans les années 1970, la méfiance envers le Léviathan s’accroît pour des raisons tactiques – l’hostilité foncière à l’égard de François Mitterrand et de sa stratégie d’union avec le PCF – mais aussi culturelles. La critique de l’État, exposée dans de nombreuses revues intellectuellement proches comme <em>Esprit</em>, se nourrit de la pensée libertaire de 1968 et des recherches qui s’amorcent sur le <a href="https://urlz.fr/fzcb">totalitarisme communiste</a>.</p>
<h2>Transformer le socialisme par le local</h2>
<p>Cette volonté de relativiser le rôle de l’État dans l’art de gouverner s’accompagne logiquement d’un intérêt marqué pour le local. En 1966, Michel Rocard donne à cette revendication un slogan fort, « décoloniser la province », reflet d’un investissement des gauches dissidentes dans les municipalités.</p>
<p>Des Groupes d’action municipale (GAM), collectifs de femmes et d’hommes souvent issus des classes moyennes et supérieures, s’efforcent alors de peser sur la politique de municipalités gérées le plus souvent par les gaullistes, en dépit de quelques contre-exemples importants comme Grenoble, dirigée par un édile PSU <a href="https://books.openedition.org/pur/101994?lang=fr">Hubert Dubedout</a>.</p>
<p>Le plaidoyer pour une action au plus près des citoyens trouve aussi sa traduction économique. La direction de la CFDT, dont les effectifs oscillent autour du million d’adhérents tout au long des années 1970, exige que les conflits du travail soient réglés au plus bas niveau possible, en l’occurrence celui de l’entreprise.</p>
<p>Dans la décennie suivante, cet attachement au principe de subsidiarité (partagé avec la démocratie-chrétienne), selon lequel l’action publique doit toujours privilégier l’échelon le plus proche des citoyens, est relayé au niveau européen par Jacques Delors, président de la Commission entre <a href="https://urlz.fr/fxyf">1985 et 1995</a>.</p>
<h2>L’utopie d’un socialisme autogestionnaire</h2>
<p>Pour une large partie de la « deuxième gauche » des années 1970, ce souci réformateur est indissociable d’une dimension révolutionnaire dont le concept d’autogestion résume l’ambition. S’il faut rappeler la prudence de ses chefs de file vis-à-vis de la rupture avec le capitalisme, Michel Rocard, Jacques Delors et Edmond Maire restant attachés au maintien du marché comme mode principal d’allocation des ressources, la tendance à la radicalisation des troupes est indéniable. Entre 1970 et 1978, la CFDT se réclame ainsi du <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1996_num_43_1_1811_t1_0184_0000_2">socialisme autogestionnaire et de la lutte des classes</a>. L’aspiration ne survit pas à la crise économique des années 1970 et à l’hostilité des tenants de l’union de la gauche qui, au sein du PS, ne mobilisent la référence autogestionnaire qu’à des fins stratégiques.</p>
<p>De manière plus profonde cependant, l’émergence dès la fin des années 1950 de cette « nouvelle culture politique » qui s’efforçait de concilier <a href="https://urlz.fr/fxz6">« idéalisme et technicité »</a> impulsa une mutation sociologique majeure en convainquant les chrétiens de s’engager en socialisme.</p>
<h2>Un creuset de l’engagement chrétien</h2>
<p>Ces derniers, en particulier les catholiques, jouent en effet un rôle central dans la structuration des gauches dissidentes. La CFTC puis la CFDT accueillent de nombreux militants issus de l’Action catholique : Jeunesse ouvrière chrétienne, Jeunesse agricole catholique et Jeunesse étudiante catholique, cette dernière disposant de <a href="https://urlz.fr/fxzi">puissants relais au sein de l’UNEF</a>. Ces chrétiens de gauche sont également séduits par les clubs, à l’image de Jacques Delors, catholique pratiquant, animateur de Citoyens 60 et expert de la CFTC au début des années 1960. On les retrouve aussi dans les combats locaux où ils constituent le gros des bataillons des GAM.</p>
<p>Leur entrée en socialisme provoque des grincements de dents au PCF, à la SFIO puis au PS, formations où l’athéisme et la laïcité restaient des valeurs centrales.</p>
<p>François Mitterrand, bien que lui-même catholique conservateur, leur voue une franche animosité, notamment lorsque sa rivalité avec Michel Rocard pour le leadership sur le parti atteint son paroxysme entre 1978 et 1981.</p>
<p>Son élection à la présidence de la République et l’installation durable du PS au pouvoir estompent toutefois les crispations internes autour de la question religieuse, l’exercice des responsabilités conduisant les socialistes de toutes obédiences à la convergence.</p>
<h2>La « deuxième gauche » soluble dans l’exercice du pouvoir ?</h2>
<p>Une lecture superficielle des premières années de la gauche au pouvoir pourrait laisser penser que la « deuxième gauche », vaincue politiquement par François Mitterrand, prit sa revanche sur le terrain économique avec l’officialisation en mars 1983 d’un « tournant de la rigueur » dont les premiers signes remontaient à la fin de l’année 1981.</p>
<p>Or, si la « deuxième gauche » impose progressivement sa ligne économique, elle essuie une lourde défaite sur son projet de réduction et de partage <a href="http://www.theses.fr/2015PA010700">du temps de travail</a>. En outre, des réformes chères à ses partisans, comme la décentralisation, sont pensées et mises en œuvre par le Premier ministre Pierre Mauroy et son ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, deux personnalités qui ne sont pas du sérail.</p>
<p>En 1988, la nomination de Michel Rocard à Matignon ne marque pas davantage l’arrivée au pouvoir de cette nébuleuse. Nombre des amis du Premier ministre, ignorant quelque peu le faisceau de contraintes dans lequel il déploya son action, lui reprochèrent d’ailleurs de ne pas avoir été suffisamment rocardien dans l’exercice des responsabilités.</p>
<p>Il y eut cependant quelques secteurs où la méthode rocardienne de gouvernement, fondée sur la concertation et la négociation, fut mise en œuvre avec <a href="https://urlz.fr/fxAA">succès</a>, ainsi dans la conclusion de la paix en Nouvelle-Calédonie (accords Matignon-Oudinot du 26 juin 1988), la modernisation de la fonction publique ou encore l’instauration du RMI – même si l’idée n’était l’apanage ni du rocardisme ni de la « deuxième gauche ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Delors face à Anne Sinclair, dans l’émission 7/7 en 1994.</span></figcaption>
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<p>Alors que cette dernière semble avoir le vent en poupe lorsque Michel Rocard quitte Matignon avec une cote de popularité supérieure à 50 %, l’élan se brise rapidement. L’échec de son chef de file à la tête de la liste PS aux élections européennes de 1994, suivi quelques mois plus tard du refus de Jacques Delors d’être le candidat du parti à l’élection présidentielle, sonne le glas de la « deuxième gauche » comme <a href="https://urlz.fr/fxAH">« aventure collective »</a>.</p>
<p>L’éclipse est d’autant plus rapide que la CFDT, recentrée sur ses activités syndicales depuis 1978, s’était définitivement éloignée du socialisme en 1988, avait reconnu le marché comme « cadre réformable mais indépassable du syndicalisme » quatre ans plus tard avant <a href="https://urlz.fr/fxEI">d’apporter fin 1995</a> « un “soutien critique” au plan Juppé, malgré les mobilisations amples qu’il déclenche dans la société française. »</p>
<h2>Une référence en voie de disparition</h2>
<p>Au sein du PS, le déclin de la référence épouse celui du courant rocardien, en dépit de quelques résurgences éphémères. Dans la dernière année du gouvernement Jospin (1997-2002), Élisabeth Guigou, qui succède à Martine Aubry au ministère de l’Emploi, propose de renouer avec la « démocratie sociale », ce que la presse ne manque pas d’interpréter comme une volonté d’un État moins autoritaire dans ses relations avec les partenaires sociaux par rapport à la <a href="https://urlz.fr/fxEW">période Aubry</a>.</p>
<p>Un parfum de « deuxième gauche » semble également souffler lorsque Ségolène Royal remet à l’honneur la « démocratie participative » à l’occasion de sa campagne présidentielle de 2007.</p>
<p>Mais lorsque le Premier ministre (et ancien rocardien) Manuel Valls évoque en 2016 l’opposition entre « deux gauches irréconciliables », celle-ci ne recouvre plus les débats opposant les « deux cultures » socialistes des <a href="https://urlz.fr/fxBb">années 1970</a>.</p>
<h2>Une trace de la « deuxième gauche » à l’Élysée</h2>
<p>Alors que la « deuxième gauche » disparaît de la galaxie socialiste, il faut se tourner vers l’Élysée pour en déceler une trace récente, quoique superficielle et (très) libérale.</p>
<p>Après la crise non-anticipée des Gilets jaunes, Emmanuel Macron appelle auprès de lui Philippe Grangeon. Familier des cabinets ministériels socialistes des années Mitterrand aux années Hollande et ancien secrétaire confédéral CFDT sous Nicole Notat, celui qui fut l’un des fondateurs d’En marche se présente comme le défenseur d’une « société de l’engagement, du contrat, du compromis », leitmotiv rocardo-cédétiste-deloriste <a href="https://urlz.fr/fxJl">s’il en est</a>. La crise sanitaire semble toutefois avoir fermé cette brève parenthèse, comme en témoigne la démission de ce conseiller spécial <a href="https://urlz.fr/fxKV">« lassé de ne pas être écouté »</a>.</p>
<p>Depuis le milieu des années 1990, l’héritage de la « deuxième gauche » tend donc à se réduire comme peau de chagrin. Bien qu’elle puisse encore rayonner épisodiquement à travers l’invocation de quelques-unes de ses figures tutélaires – Rocard et Mendès France plus que Delors –, son existence en tant que mouvement social, politique et intellectuel appartient à un passé révolu faute d’héritiers véritables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Fulla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « deuxième gauche » imaginée et portée par Michel Rocard est parfois revendiquée par Emmanuel Macron. Mais de quoi s’agit-il ?Mathieu Fulla, Agrégé et docteur en histoire, membre permanent du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1602642021-05-05T17:56:38Z2021-05-05T17:56:38ZLa résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »<p>Quelle trace le quinquennat d’Emmanuel Macron laissera-t-il dans l’histoire de la presse et des médias ? Même s’il a été présenté comme l’homme du « nouveau monde », le président « jupitérien » est revenu dans ses rapports avec les journalistes aux origines mêmes de la V<sup>e</sup> République. Il n’a pas hésité pour cela à utiliser les méthodes de la modernité, en diffusant par exemple ses propres images sur les réseaux sociaux tout en tenant la presse à distance. C’est le constat que je dresse dans l’ouvrage <a href="http://www.lespetitsmatins.fr/collections/jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse/"><em>Jupiter et Mercure, le pouvoir présidentiel face à la presse</em></a> (éditions Les Petits Matins).</p>
<p>Le projet de ce livre est né le soir même de l’élection présidentielle de 2017, au moment où Emmanuel Macron entamait sa marche solennelle dans la cour du Louvre. Je venais de publier un ouvrage, <a href="http://www.lespetitsmatins.fr/collections/le-contact-et-la-distancele-journalisme-politique-au-risque-de-la-connivence/"><em>Le Contact et la distance</em></a>, qui portait sur la très forte porosité qui caractérise les mondes politique et journalistique en France.</p>
<p>Emmanuel Macron avait annoncé très tôt sa volonté de rompre avec cette tradition, et notamment avec le goût pour les <a href="https://www.dailymotion.com/video/x6clqfu">« propos d’antichambre »</a>, comme il les nommera quelques mois plus tard.</p>
<p>Cette rupture me semblait bienvenue, mais elle portait déjà en elle une ambiguïté : Emmanuel Macron semblait moins attaché à l’idée d’une distance entre ces deux mondes, sur le modèle anglo-saxon, qu’à la volonté de rétablir une relation ouvertement hiérarchique entre le pouvoir politique et la presse.</p>
<h2>Deux entretiens fondateurs</h2>
<p>En juillet 2015 et en octobre 2016, dans deux entretiens fondateurs accordés à <a href="https://le1hebdo.fr/journal/macron-un-philosophe-en-politique/64/article/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html">l’hebdomadaire <em>Le 1</em></a> et au <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886">magazine <em>Challenges</em></a>, il avait en effet revendiqué une manière de gouverner très verticale.</p>
<p>Il avait même exprimé dans <em>Le 1</em> son admiration pour les précédents gaulliens ou bonapartiste, et regretté ouvertement la disparition de la « figure du Roi ». Or, l’attachement à un tel héritage ne pouvait être qu’annonciateur de potentielles dérives à l’égard de la presse : lorsque le pouvoir se veut « jupitérien », selon le terme employé par le candidat dans son interview à Marianne, il est presque toujours tenté de restreindre la liberté des journalistes.</p>
<p>Dès le mois de mai 2017, j’ai donc choisi d’observer ce quinquennat à travers le prisme des rapports entre le président et la presse, avec la volonté de confronter Emmanuel Macron à ses prédécesseurs et d’inscrire son mandat dans l’histoire des médias. L’histoire n’est pas tout à fait finie au moment où paraît cet ouvrage, et la période préélectorale qui s’ouvre changera peut-être en partie la donne.</p>
<p>Mais, quatre ans après la déambulation victorieuse d’Emmanuel Macron, il me semble d’ores et déjà possible d’isoler plusieurs périodes, et de tirer quelques enseignements des difficultés rencontrées par ce jeune président dans ses relations avec la presse.</p>
<h2>Manières abruptes</h2>
<p>Dans un premier temps au moins, la rupture voulue par Emmanuel Macron a été bien accueillie par une partie du monde des médias. Certes, dès la campagne, plusieurs rédactions ont dénoncé le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/video-faites-votre-boulot-les-gars-aussi-quand-sibeth-ndiaye-envoie-valser-les-journalistes_3261533.html">vocabulaire méprisant et les pratiques rugueuses</a> revendiqués par l’équipe du candidat d’En marche.</p>
<p>Mais en dépit des propos parfois insultants tenus à leur égard par Sylvain Fort ou Sibeth Ndiaye, les journalistes ont été nombreux à accepter ces manières abruptes : malgré sa brutalité, ce bouleversement avait le mérite de mettre un terme à la confusion généralisée entre presse et pouvoir qui avait <a href="http://www.lespetitsmatins.fr/collections/le-contact-et-la-distancele-journalisme-politique-au-risque-de-la-connivence">caractérisé</a> le quinquennat précédent.</p>
<p>Même dans le domaine de la mise en scène de l’intime, les protestations devant la mainmise de « Mimi » Marchand sur l’image du couple présidentiel ont d’abord été limitées. La « reine de la presse people », comme elle est souvent surnommée, a pourtant eu un accès privilégié à Emmanuel et Brigitte Macron dès l’année 2016, au détriment de toutes les autres agences.</p>
<p>« Mimi », personnage romanesque dont la vie est liée au <a href="https://www.grasset.fr/livres/mimi-9782246815327">banditisme et au monde de la nuit</a>, a ainsi d’emblée joué un rôle clé dans la célébration de la vie privée des deux époux.</p>
<p>Une photographie datée de juin 2017 la montre même debout derrière le bureau présidentiel à l’Élysée : un sourire extatique aux lèvres, et ses deux mains dessinant le V de la victoire, elle semble fêter le triomphe d’Emmanuel Macron comme s’il était aussi le sien.</p>
<h2>Le déclic : l’affaire Benalla</h2>
<p>Un tel déséquilibre dans les rapports entre presse et pouvoir ne pouvait cependant durer indéfiniment. Le basculement a eu lieu avec l’affaire Benalla qui, au cours de l’été 2018, a montré les limites propres à la communication « jupitérienne ».</p>
<p>Pendant six jours, entre le 18 et le 24 juillet, un bras de fer spectaculaire oppose en effet un président obstinément silencieux et le journal <em>Le Monde</em>, à l’origine de cette révélation, qui consacre toutes ses Unes à l’enquête et à ses répercussions politiques. L’affaire provoque ainsi un renversement du rapport de force et une libération de la parole des journalistes, puisqu’elle révèle les zones d’ombre de la communication du président. L’un des rôles d’Alexandre Benalla était en effet d’empêcher les journalistes indésirables d’accéder au couple présidentiel. Le collaborateur d’Emmanuel Macron n’avait d’ailleurs pas hésité, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uIZmUcy262A">dès la campagne</a>, puis <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/hautes-pyrenees/tarbes/benalla-menace-journalistes-lors-vacances-macron-mongie-noel-2017-1516435.html">durant la première année du quinquennat</a>, à s’en prendre physiquement à certains d’entre eux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le conseiller Alexandre Benalla semblait être de toutes les occasions ?</span></figcaption>
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<p>Cette première crise, aggravée ensuite par l’épreuve des « gilets jaunes », a obligé le président à transformer ses relations avec la presse. Interviews plus nombreuses, recours à la pratique du « off », signes d’apaisement envoyés aux rédactions nationales ou régionales : à partir de la fin de l’année 2018 et du début de l’année 2019, Emmanuel Macron a multiplié les efforts pour « normaliser » en apparence sa communication.</p>
<p>Mais j’ai voulu montrer dans ce livre qu’il n’a jamais renoncé pour autant à être un président « jupitérien », <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/jacques-pilhan-le-sorcier-de-l-elysee_788394.html">au sens où l’entendait le conseiller de François Mitterrand, Jacques Pilhan</a>. En témoignent par exemple les <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2019/05/28/les-questions-que-posent-les-convocations-de-journalistes-par-la-dgsi_5468604_3236.html">nombreuses convocations à la DGSI qui ont jalonné l’année 2019</a>.</p>
<p>En témoigne aussi l’article 24 de la loi « sécurité globale » qui, dans sa première version, limitait la possibilité pour les journalistes de filmer les forces de l’ordre <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/11/21/les-journalistes-dans-la-rue-pour-demander-le-retrait-de-la-loi-securite-globale_1806329/">lors des manifestations</a>. En témoigne surtout la volonté du président d’instrumentaliser les médias et, dans le secret, de les utiliser pour « trianguler » avec l’extrême droite dans l’optique de la présidentielle de 2022. Je reviens par exemple dans le livre sur les liens du président avec la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/10/31/entre-emmanuel-macron-et-valeurs-actuelles-les-secrets-d-un-flirt_6017528_823448.html">rédaction de <em>Valeurs actuelles</em></a> ou avec certaines des figures les plus clivantes de la chaîne <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/05/04/cnews-depasse-bfm-tv-pour-la-premiere-fois-dans-les-audiences_6079062_3234.html">CNews</a>.</p>
<h2>Une mise en cause des droits de la presse</h2>
<p>Du début jusqu’à la fin, ce quinquennat aura donc été marqué par une mise en cause, et à certains égards, par un recul des droits de la presse. Les journalistes ont même été menacés dans leur intégrité physique lorsqu’ils ont cherché à couvrir les mouvements sociaux : durant les six premiers mois du mouvement des Gilets jaunes, 54 d’entre eux ont par exemple été blessés par les forces de l’ordre, <a href="https://rsf.org/fr/actualites/six-mois-de-manifestations-gilets-jaunes-et-de-violences-policieres-au-moins-54-journalistes-blesses">selon un décompte de Reporters sans frontières (RSF)</a>.</p>
<p>Dans le même temps, beaucoup de journalistes ont vu leur situation professionnelle se dégrader dans des proportions considérables, en <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/la-chronique-eco-du-mercredi-17-juin-2020">raison notamment de la crise sanitaire</a> <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/01/rtl-europe-1-m6-le-risque-de-concentration-agite-les-medias-francais_6071524_3232.html">et des mouvements de concentration en cours dans le monde des médias</a>.</p>
<p>Dans ces conditions, comment ne pas dresser un constat très sombre sur la fonction laissée à la presse durant ces quatre années, et sur les perspectives qui s’offrent à elle pour la décennie qui vient ?</p>
<h2>Quelques motifs d’espoir</h2>
<p>Ce livre voudrait cependant montrer qu’il existe d’authentiques raisons d’espérer. On peut se réjouir en particulier, à plus d’un titre, du rôle joué par une partie de la presse depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Malgré les convocations à la DGSI ou la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/040219/le-parquet-de-paris-tente-de-perquisitionner-mediapart?onglet=full">perquisition ratée à Mediapart en février 2019</a>, les médias concernés ont continué leurs investigations sur l’affaire Benalla et refusé de livrer leurs sources.</p>
<p>On peut rappeler aussi l’attitude très digne de Georges Malbrunot le 1er septembre 2020 : à l’issue d’une conférence de presse à Beyrouth, le président a violemment pris à partie ce journaliste, lui <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7vxim5">reprochant plusieurs articles consacrés à la situation au Liban</a>.</p>
<p>Malgré cette humiliation publique peu respectueuse de la liberté de la presse, le reporter du <em>Figaro</em> n’a rien renié du contenu de ses articles et <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/trois-questions-sur-le-coup-de-sang-d-emmanuel-macron-contre-un-journaliste-du-figaro_2133986.html">il a même jugé « inacceptable » le comportement du président</a>.</p>
<p>Ariane Chemin a montré elle aussi quelle pouvait être l’attitude à adopter face à un pouvoir aussi impérieux. Son nom apparaît en effet tout au long du quinquennat, lors d’affaires ou d’événements qui supposaient une capacité du journalisme à jouer le rôle critique qui doit être le sien dans une démocratie.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/07/18/le-monde-identifie-sur-une-video-un-collaborateur-de-m-macron-frappant-un-manifestant-le-1er-mai-a-paris_5333330_823448.html">Elle a bien sûr publié le 18 juillet 2018 l’article qui a déclenché l’affaire Benalla</a>. Mais elle est aussi l’une des premières, en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/17/entre-campagne-municipale-et-crise-du-coronavirus-le-chemin-de-croix-d-agnes-buzyn_6033395_823448.html">interrogeant Agnès Buzyn le 17 mars 2020</a>, à avoir mis en évidence les manques, les ambiguïtés et même les mensonges dont le pouvoir a fait preuve dans sa gestion initiale de la crise sanitaire. Avec d’autres, elle a également largement contribué à révéler la stratégie utilisée désormais par Emmanuel Macron et l’un de ses principaux conseillers, Bruno Roger-Petit, pour nouer des liens avec l’extrême droite par médias interposés.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398857/original/file-20210505-19-1nxz264.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de l’article d’Ariane Chemin et de Franck Joannès (<em>Le Monde</em>) sur la rencontre entre Bruno Roger-Petit et Marion Maréchal (27 décembre 2020).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/27/un-conseiller-d-emmanuel-macron-a-dejeune-secretement-avec-marion-marechal-en-octobre-a-paris_6064601_823448.html">Le Monde</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398858/original/file-20210505-15-1fgdaby.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Article d’Ariane Chemin et François Krug (<em>Le Monde</em>) sur les coulisses des liens entre le président et l’hebdomadaire <em>Valeurs Actuelles</em> (2019).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/10/31/entre-emmanuel-macron-et-valeurs-actuelles-les-secrets-d-un-flirt_6017528_823448.html">Le Monde</a></span>
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</figure>
<p>La force de ces enquêtes tient à la manière dont Ariane Chemin a privilégié l’attention aux faits, à la traque inlassable de la vérité, en maîtrisant autant que possible sa propre subjectivité.</p>
<p>Sa démarche est ainsi allée à contre-courant d’une tendance de plus en plus perceptible dans la presse écrite, et plus encore dans les médias audiovisuels : l’abandon de l’information au bénéfice de cette « société du commentaire » dont parlait récemment Nicolas Truong dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/09/l-avenement-de-la-societe-du-commentaire_6076109_3232.html">longue enquête pour <em>Le Monde</em></a>.</p>
<p>De tels articles constituent ainsi une leçon et peut-être même un modèle pour l’ensemble de la presse. Ils montrent que, face à l’hubris de Jupiter, la meilleure réponse ne réside ni dans la flagornerie ni dans le déchaînement de critiques ad hominem, mais dans le choix d’un journalisme attentif aux faits – et à eux seuls.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur vient de publier <a href="http://www.lespetitsmatins.fr/collections/jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse/"><em>Jupiter et Mercure, le pouvoir présidentiel face à la presse</em></a> (éditions Les Petits Matins).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160264/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quatre après la déambulation majestueuse d’Emmanuel Macron, il semble possible de tirer quelques enseignements des difficultés rencontrées par ce jeune président dans ses relations avec la presse.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences, chercheur associé au GRIPIC, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1525882021-01-04T19:18:58Z2021-01-04T19:18:58ZCe que révèlent les noms des partis politiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376953/original/file-20210104-17-1jwlv62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C0%2C1024%2C702&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des personnes regardent les affiches officielles des candidats aux élections cantonales et municipales, le 06 mars 2008 à Strasbourg. </span> <span class="attribution"><span class="source">Olivier Morin/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Fin décembre, le Parti communiste français célébrait un siècle d’existence, donnant lieu à de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/le-pcf-a-100-ans-le-parti-du-20e-siecle-avec-bruno-fuligni-et-marion-fontaine">nombreuses analyses</a> quant à l’évolution de ce mouvement dans le paysage politique actuel.</p>
<p>Aujourd’hui discutés voire contestés dans un environnement politique mouvant, les <a href="https://www.cairn.info/les-partis-politiques--9782130803904.htm">partis</a> n’en restent pas moins des acteurs fondamentaux de la vie politique d’un pays.</p>
<p>Organisations fondées sur le rassemblement de membres animés de convictions politiques communes – définition de <em>parti</em> dans le <a href="http://atilf.atilf.fr/">Trésor de la langue française informatisé</a> –, ils adoptent des stratégies afin de séduire des électeurs potentiels. Parmi ces stratégies, le choix du nom.</p>
<p>Le nom de parti est porteur d’enjeux symboliques sur la scène politique. Vis-à-vis de l’électorat et de l’opinion publique, il doit être reconnu, retenu, manipulable dans les discours ; surtout, il doit être évocateur – porteur d’un projet, d’une mémoire, d’une histoire.</p>
<p>Il sert au groupe dénommé à se situer vis-à-vis des adhérents, des électeurs potentiels, mais aussi des <a href="https://journals.openedition.org/mots/25090">autres partis</a>. De ce fait, à l’enjeu politique s’associe une dimension sémantique.</p>
<h2>Des noms propres atypiques</h2>
<p>À l’instar des noms de personnes, les noms de partis peuvent être considérés comme des noms propres.</p>
<p>Conformément aux critères principaux de <a href="http://www.ophrys.fr/fr/catalogue-detail/1831/le-nom-propre-en-francais.html">cette catégorie</a>, ils renvoient de manière stable et univoque à un référent unique (un individu – le parti).</p>
<p>Une fois créé, <a href="http://dx.doi.org/10.1051/shsconf/20140801063">ce lien dénominatif</a> est transmis et mémorisé, ce qui constitue une sorte de « contrat dénominatif », indépendant de la signification du nom – si signification il y a.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lIEdHGBpbTw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">4 mai 1969 : Naissance du Parti socialiste (Franceinfo INA).</span></figcaption>
</figure>
<p>Par rapport à ces critères, les noms de partis présentent néanmoins quelques particularités :</p>
<ul>
<li><p>ils dénotent un groupe, donc une pluralité d’éléments humains – les membres du parti ;</p></li>
<li><p>le nom n’est pas conféré au parti depuis l’extérieur (comme les parents pour un enfant par exemple), mais par les acteurs eux-mêmes ; généralement d’ailleurs, la création du nom et la transmission de celui-ci sont situées dans le temps et l’espace et peuvent même <a href="https://editions-croquant.org/livres-numeriques/519-pdf-rencontres-avec-michel-offerle.html">être datés</a> ;</p></li>
<li><p>ils sont constitués de matériau lexical (nom commun, adjectif – <em>Parti radical</em>, <em>Rassemblement national</em>) et grammatical (article, préposition – <em>Parti</em> <strong>de</strong> <em>gauche</em>, <strong>les</strong> <em>Verts</em>), parfois d’un autre nom propre (<em>la</em> <strong>France</strong> <em>insoumise</em>, <strong>Europe</strong> <em>Écologie–les Verts</em>) ; ils peuvent former un nom composé (<em>Place publique</em>), une phrase (<em>En marche !</em>, <em>Debout la France</em>, <em>Podemos</em> pour l’Espagne), et leur forme est (souvent) compositionnelle ; par voie de conséquence, elle est (souvent) descriptive.</p></li>
</ul>
<h2>Des noms de partis, pour qui ? Pour quoi ?</h2>
<p>Comme élément d’une stratégie politique, le nom de parti doit être « parlant ».</p>
<p>De fait, il s’adresse à tout un feuilleté de destinataires : citoyens (distraits, indifférents, dépassés, curieux, experts), journalistes, analystes et commentateurs, scientifiques, personnels politiques, auxquels il faut ajouter les citoyens, commentateurs, scientifiques et personnels politiques étrangers.</p>
<p>Vis-à-vis des adhérents, des militants, voire des sympathisants, c’est le nom d’un collectif auquel des individus adhèrent et dans lequel ils doivent se reconnaître : ainsi, le nom de parti a une valeur identitaire.</p>
<p>Vis-à-vis du corps électoral et plus largement de l’opinion publique, c’est une marque, mise sur le marché électoral sous la forme de candidats et de programmes. À cet égard, pour ses créateurs, le nom entre dans des stratégies qui évoquent <a href="https://journals.openedition.org/mots/20562">l’univers de la publicité</a>.</p>
<p>Sur la scène politique d’un pays, il participe du positionnement parmi l’ensemble des acteurs collectifs de même statut : choisir un nom pour un parti suppose de se situer vis-à-vis des autres, coprésents dans le même espace politique, ou encore dans une histoire, parfois une filiation.</p>
<p>Cela suppose parfois aussi d’affronter les autres sur le terrain du nom ou, dans certains pays, <a href="https://journals.openedition.org/mots/25246">comme la Turquie</a>, de contourner la censure du pouvoir politique.</p>
<h2>Un modèle classique reproductible</h2>
<p>Pour la France, même si de nouvelles formes apparaissent actuellement, beaucoup de noms de partis relèvent de « patrons » assez classiques, déjà décrits par les chercheurs <a href="https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1981_num_2_1_1020">Maurice Tournier</a> et Paul Bacot, comportant à l’initiale un <a href="http://www.lambert-lucas.com/livre/les-noms-collectifs-humains-en-francais/">nom collectif</a> classificatoire tel que <em>parti</em>, <em>front</em>, <em>union</em>, <em>mouvement</em>, <em>ligue</em> ou <em>rassemblement</em>, complété d’éléments (adjectifs, compléments de noms) de choix plus libre (<em>radical</em>, <em>indépendant</em>, <em>nouveau</em>, <em>démocrate</em>, <em>démocratique</em>, <em>national</em>, <em>révolutionnaire</em>, <em>des travailleurs</em>, <em>de gauche</em>).</p>
<p>Mais l’on y retrouve des classiques, parfois déclinés pour différents pays (<em>Parti socialiste</em>, <em>communiste</em> ; <em>Parti des Travailleurs</em> (Brésil, Algérie, Tunisie)), ce qui dénote continuité (le « label » <em>socialiste</em>, <em>communiste</em>) et nécessité de particulariser au sein d’un regroupement plus vaste (l’adjectif de nationalité).</p>
<p>Cette structure syntaxique se retrouve pour d’autres langues que le français : en turc, en arabe, en anglais, en russe.</p>
<h2>Que désigne le nom de parti ?</h2>
<p>Les partis correspondent à une pluralité de membres, mais ils sont aussi des entités constituées.</p>
<p>Comme pour les groupes en général, on peut les considérer comme constitués de deux niveaux : celui des éléments (ici, les membres du parti) et celui du tout (le groupe, ici le parti). Dès lors, le nom de parti permet principalement de désigner le parti comme institution, mais aussi l’ensemble de ses membres.</p>
<p>Ceci explique peut-être que bon nombre de noms de partis reflètent sémantiquement la pluralité, que ce soit <em>via</em> les noms collectifs classificatoires mentionnés <em>supra</em>, qui renvoient donc à la fois à l’unité du groupe et à la pluralité des éléments, <em>via</em> des expressions au pluriel – <em>les Républicains</em>, <em>les Verts</em>, <em>les Patriotes</em>, ou encore <em>Génération·s</em> –, ou plus indirectement de par le sens des mots choisis (<em>Ensemble</em>, <em>Place publique</em>), et même <em>via</em> des éléments grammaticaux (le <em>-mos</em>, marque de la première personne du pluriel pour <em>Podemos</em>).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1002607168925962240"}"></div></p>
<p>Quant aux noms collectifs, ceux adoptés ne le sont évidemment <a href="https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1981_num_2_1_1020">pas au hasard</a> : si <em>parti</em>, par son étymologie, évoque la division, <em>front</em> parle de combat commun (<em>faire front</em>), et <em>union</em> ou <em>rassemblement</em> d’union, voire de cohésion – voir le changement de <em>Front national</em> en <em>Rassemblement national</em> en 2018.</p>
<h2>Lexique existant et évocation</h2>
<p>On l’a vu, le nom de parti est formé de matériau linguistique préexistant. De ce fait, les noms de partis ne surgissent pas <em>ex nihilo</em>, ni sur le plan du lexique employé ni sur celui de la structure syntaxique – ils répondent aux structures grammaticales de leur langue.</p>
<p>Que les noms de partis relèvent ou non d’un format classique, ils déclinent différentes nuances (descriptives, évocatrices, parlant à la raison, à la mémoire ou aux affects).</p>
<p>C’est sur ces bases que l’imagination parfois, ou que les valeurs peuvent être sollicitées : valeur de la nation, de la république (<em>les Républicains</em>, <em>place Publique</em>), du mouvement (<em>Agir</em>, et surtout <em>En Marche !</em>), valeurs morales (la solidarité par exemple – <em>Ensemble</em>) et parfois <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/democratie-chretienne-en-france-la/">religieuses</a>, comme en France (<em>Parti Chrétien-Démocrate</em>), en Allemagne (<em>CDU – Christlich Demokratische Union Deutschlands</em>), ou dans certains <a href="https://journals.openedition.org/mots/25394">pays arabes</a> (<em>Hezbollah</em> « parti de Dieu », pour le Liban), ou encore valeurs de rupture (<em>la France insoumise</em>, <em>Nouveau parti anticapitaliste</em>, <em>Parti pirate</em> – l’étymologie de l’adjectif <em>pirate</em>, rappelée sur le site français du parti, renvoie à l’essai, à l’aventure).</p>
<h2>Renouvellement des formes, tentatives et stratégies</h2>
<p>Si les patrons classiques restent présents (y compris pour des nouveaux partis comme le Parti pirate ou le Parti animaliste), la forme des noms de partis tend actuellement à se renouveler, en France du moins (voir Génération·s, Place publique, En Marche !).</p>
<p>Deux cas parmi d’autres peuvent être signalés : celui de En Marche ! d’une part, et d’autre part celui de la forme (<em>les</em> + adjectif nominalisé, c’est-à-dire nom provenant d’un adjectif) – <em>républicains</em>, par exemple –, qu’on trouve notamment avec les Républicains, les Patriotes et les Verts, il y a peu.</p>
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<figcaption><span class="caption">En Marche !</span></figcaption>
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<p>Le nom initial du parti présidentiel actuel (renommé depuis <em>La République en marche</em>) est peut-être un cas extrême, très élaboré, puisqu’il procède d’une stratégie signifiante où <a href="https://journals.openedition.org/mots/25201">rien n’est laissé au hasard</a>, ni la forme injonctive (avec son point d’exclamation), ni les mots, ni les initiales (<em>EM</em>) qui, lorsque le nom est employé siglé, se superposent à celles de son fondateur.</p>
<p>Quant à <em>les Républicains</em>, parmi ceux de la forme les [+ adjectif nominalisé], l’astuce consiste (comme d’ailleurs avec <em>les Patriotes</em>) à rassembler sous une même forme nom du groupe et désignation des membres du groupe ; ceci combiné au choix d’un adjectif nominalisé (<em>républicain</em>) porteur de valeurs et pouvant également s’appliquer à des personnes.</p>
<p>De sorte que <em>les Républicains</em> peut désigner des individus quelconques (qui seraient républicains), les membres du parti et le parti lui-même – qui devient, si la stratégie fonctionne, une référence incontournable pour qui se revendiquerait républicain. À quoi il faut ajouter l’allusion à la vie politique étasunienne.</p>
<p>De même que le parti prend position par rapport à d’autres partis, le nom lui-même appartient à un univers, politique bien sûr, mais aussi culturel et historique, un univers peuplé d’autres noms auxquels il fait parfois explicitement écho.</p>
<p>Ainsi, des influences croisées s’exercent <a href="https://journals.openedition.org/mots/19859">sur le nom</a> de parti politique : celles de la langue elle-même de par le matériau linguistique disponible, celles impliquées par les caractéristiques (réelles, supposées, affichées) du référent, celles liées aux enjeux et aux stratégies en termes de lisibilité, de mémorisation, de transmissibilité, voire de « désirabilité » vis-à-vis des <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/">publics</a> qui en sont les destinataires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michelle Lecolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le nom de parti est porteur d’enjeux symboliques sur la scène politique. Il doit être reconnu, retenu, manipulable dans les discours et surtout évocateur.Michelle Lecolle, Linguiste, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1470582020-10-07T17:21:49Z2020-10-07T17:21:49ZL’union de la gauche a-t-elle un avenir ?<p>La gauche partira finalement unie dans les Hauts-de-France pour les élections régionales de juin prochain : le Parti socialiste, le Parti communiste, la France Insoumise et Europe Écologie-Les Verts<a href="https://www.ouest-france.fr/europe/france/regionales-a-gauche-une-union-dans-les-hauts-de-france-qui-cache-bien-des-divisions-7187137"> se sont rassemblés derrière l'écologiste Karima Delli</a>.</p>
<p>Mais cette union peut-elle se généraliser à d'autres régions et, surtout, à l'élection présidentielle, qui approche à grand pas ?</p>
<p>À l'automne dernier, déjà, <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/francois-hollande/entretien-exclusif-francois-hollande-le-ps-ne-peut-pas-rester-dans-l-etat-ou-il-est-6952452">François Hollande</a>, <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20200902.OBS32812/exclusif-lionel-jospin-sort-du-silence.html">Lionel Jospin</a> et <a href="https://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-anne-hidalgo-je-prendrai-toute-ma-part-17-09-2020-2392386_20.php">Anne Hidalgo</a> ont, chacun de leur côté, réclamé une social-démocratie rénovée, soulignant en creux que la crise du socialisme français ouverte par la présidence Hollande était loin d’être résorbée. Au cours des cinq années d’exercice du pouvoir, la démission de plusieurs ministres, l’émergence de « frondeurs » au sein du groupe parlementaire et la division du Parti socialiste (PS) au moment de l’élection présidentielle de 2017 ont profondément fracturé cette famille politique.</p>
<p>Plusieurs ténors du gouvernement refusèrent de soutenir la candidature du vainqueur de la primaire socialiste, Benoît Hamon, et 9 % des cadres du parti rallièrent le mouvement En Marche <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/11/30-de-departs-en-cinq-ans-au-parti-socialiste-la-fuite-massive-des-cadres_6029124_4355770.html">d’Emmanuel Macron</a>.</p>
<p>Un mécanisme classique dans l’histoire socialiste s’enclencha alors après la défaite de 2017, celui des appels à la refondation et à l’unité de la gauche.</p>
<h2>Rebâtir la gauche</h2>
<p>À l’instar de François Hollande, Lionel Jospin et Anne Hidalgo, des personnalités au centre, aux marges ou en dehors du PS appellent à la rebâtir sur un projet conciliant efficacité économique, justice sociale, transition écologique et respect des valeurs démocratiques – avec des nuances importantes sur le contenu et la stratégie pour y parvenir.</p>
<p>Dès juillet 2017, Benoît Hamon fonde le mouvement Génération·s dont l’objectif affiché est de « refaire la gauche ». Au PS, la nouvelle direction ambitionne de construire la « gauche d’après », <a href="https://www.parti-socialiste.fr/un_espoir_s_est_leve_discours_du_premier_secre_taire_en_cl_ture_du_conseil_national_du_30_juin_2020">thème central</a> de sa récente université d’été.</p>
<p>Si la gravité de cette crise est indéniable, la replacer dans une perspective historique de longue durée permet de nuancer sa singularité et d’éviter de céder à la thèse trop simple de la « mort » du socialisme politique en France, énoncée par certains commentateurs <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/il-faudrait-que-quelqu-un-ait-le-courage-de-prononcer-l-acte-de-deces-du-ps-l-edito-de-christophe-barbier_1976249.html">comme une évidence</a>.</p>
<h2>Une crise inscrite dans une histoire longue</h2>
<p>Depuis les dernières années du quinquennat Hollande, les effectifs du PS n’ont cessé de décliner, ce qui n’avait pas été le cas lors des précédentes crises de 1993 (défaite historique aux élections législatives), du 21 avril 2002 ou encore de 2005, lorsque le parti s’était divisé au moment du référendum pour l’adoption d’une Constitution européenne. En janvier 2016, le PS comptait environ 100 000 adhérents à jour de cotisations.</p>
<p>Ils n’étaient plus que <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/491-que-faire-des-partis-politiques.html">40 000 fin 2017</a>.</p>
<p>Comme le relevait justement l’ancien sénateur <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/04/27/l-ancien-senateur-socialiste-henri-weber-figure-de-mai-68-et-du-trotskisme-francais-des-annees-1960-et-1970-est-mort_6037833_3382.html">Henri Weber</a>, fin connaisseur de l’histoire et de la doctrine socialistes récemment disparu, l’ampleur de cette hémorragie militante n’est comparable qu’à celle qui frappa la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) à l’issue du congrès de Tours de décembre 1920 entérinant la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/23/mouvement-citoyens-la-grande-mue-du-politique_5150074_3232.html">scission</a> entre socialistes et communistes.</p>
<p>Deux tiers environ de ses 178 000 militants la quittèrent alors pour fonder la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) et <a href="https://www.cairn.info/magazine-l-histoire-2010-12-page-40.htm">adhérer au Komintern</a> créé un an plus tôt par Lénine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Léon Blum, la vie mouvementée d’un humaniste.</span></figcaption>
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<p>Dès 1923 cependant, le Parti socialiste redevint le premier parti ouvrier français. De nombreux militants communistes, hostiles à la discipline exercée par Moscou sur les <a href="https://www.puf.com/content/Histoire_du_Parti_communiste_fran%C3%A7ais">structures et la presse du nouveau parti</a>, réintégrèrent la « vieille maison » (Léon Blum), qui maintenait son identité révolutionnaire tout en garantissant le respect des principes démocratiques dans ses débats internes.</p>
<p>Un tel retour de flamme militant apparaît improbable en <strong>2021</strong> et aucune des personnalités appelant à la refondation ne l’envisage sérieusement.</p>
<h2>Le PS, une force parmi d’autres</h2>
<p>La configuration politique de la gauche post-2017 est en effet fort différente de celle de 1920. Le PS est désormais une force parmi d’autres et subit la concurrence d’EELV et de La France insoumise (LFI), cette dernière dominant la gauche de la gauche loin devant le Parti communiste (PCF).</p>
<p>Il faut remonter à la période antérieure à l’« ère Mitterrand » (1965-1995) pour trouver une <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france--9782707147370-page-275.htm">situation comparable</a>.</p>
<p>La SFIO est alors très affaiblie. Le silence face à l’usage de la torture en Algérie par le gouvernement de Guy Mollet (1956-1957), secrétaire général de l’organisation, suivie quelques mois plus tard du ralliement de la direction à la V<sup>e</sup> République du général De Gaulle provoquèrent une <a href="https://www.theses.fr/1992PA010550">scission dans ses rangs</a>.</p>
<p>À partir de 1960, elle doit ainsi faire face à la <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3268">concurrence</a> du Parti socialiste unifié (PSU). De très loin la principale force de gauche, le PCF maintient quant à lui la position adoptée depuis les débuts de la guerre froide en 1947, à savoir le refus de tout rapprochement durable avec les organisations socialistes, qui ne l’empêchait cependant pas, depuis la mort de Staline en 1953, de soutenir ponctuellement des candidats de gauche au niveau local et national.</p>
<p>Ses députés se prononcèrent ainsi pour la nomination de Pierre Mendès France à la tête du gouvernement en 1954 et votèrent l’investiture du gouvernement Mollet en 1956.</p>
<p>Sans pousser trop loin la comparaison, la situation actuelle de la gauche évoque cette période sur plusieurs points. Si LFI ne jouit pas du même rayonnement intellectuel et militant que le PCF de l’époque, elle apparaît difficilement contournable dans la perspective d’une reconquête du pouvoir.</p>
<p>EELV présente quant à lui un air de famille avec le PSU : faibles effectifs, tendance aux <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/22/empetre-dans-ses-courants-et-ses-contradictions-eelv-louvoie-recule-devant-l-obstacle-de-la-presidentielle_6053094_3232.html">divisions</a> et place importante accordée à la réflexion intellectuelle qui lui permet d’être un laboratoire d’idées pour la gauche, les dérèglements climatiques renforçant sa légitimité.</p>
<p>Par-delà les limites de cette comparaison qu’il convient maintenant de préciser, la manière dont la gauche se recomposa dans les années 1960 peut donner à réfléchir à son héritière.</p>
<h2>Sortir de la crise</h2>
<p>Une première différence majeure tient à la relation qu’entretient le PS avec EELV et LFI. Préoccupée avant tout par ses rapports avec le PCF, la SFIO d’alors considérait le PSU comme une composante négligeable et un frein à l’union.</p>
<p>De même, le PS a longtemps vu dans les Verts une simple force d’appoint qu’il pouvait être utile d’avoir avec soi mais à qui les concessions accordées tant au niveau des postes gouvernementaux que des idées restaient mineures – que l’on songe à la <a href="https://www-cairn-info.acces-distant.sciencespo.fr/revue-commentaire-2000-3-page-682.htm?contenu=resume">« gauche plurielle »</a> du gouvernement Jospin ou à la place des écologistes dans le gouvernement Ayrault (2012-2014).</p>
<p>Les <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/hors-collection-litterature-francaise/un-president-ne-devrait-pas-dire-ca-9782234075481">confidences</a> candides de François Hollande aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme concernant l’écologie ne laissent guère de doute sur son rapport principalement instrumental à EELV tout au long du quinquennat :</p>
<blockquote>
<p>« Je me suis intéressé à ce sujet tardivement, quand on a eu la COP 21 […]. Ségolène est beaucoup plus écolo que moi. Elle faisait du tri sélectif […]. Moi, je laissais faire. […] Les poubelles, je les descendais, mais elle faisait le tri. Je pensais que l’écologie était un sujet, mais qu’il n’y avait pas de traduction électorale. »</p>
</blockquote>
<p>Les succès municipaux d’EELV, auxquels s’ajoutent ceux obtenus lors des dernières élections européennes, ont changé la donne pour une <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/491-que-faire-des-partis-politiques.html">organisation</a> considérée jusqu’à peu comme un « petit parti de gouvernement » particulièrement « vulnérable aux OPA politiques à l’heure où chacun peut se dire écologiste ».</p>
<p>Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui se positionne en faveur d’une candidature unique de la gauche, envisage la possibilité que son parti <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/blois/olivier-faure-pas-de-victoire-sans-une-gauche-unie">se range</a> derrière un candidat ne sortant pas de ses rangs lors de la prochaine élection présidentielle.</p>
<p>La relation entre le PS et LFI est également très différente de celle prévalant entre la SFIO et le PCF. On peut toutefois rappeler que l’hostilité radicale du PCF à toute union de la gauche, stratégie aujourd’hui privilégiée par <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/08/20/pour-melenchon-le-solo-plutot-que-les-ecolos_1797318">Jean‑Luc Mélenchon</a>, évolua rapidement face à la menace d’une hégémonie gaulliste sur la vie politique nationale.</p>
<p>En 1962, la direction du PCF accepta la proposition de Guy Mollet de renouer un dialogue idéologique avec la SFIO.</p>
<p>Après la mort de Maurice Thorez en 1964, le nouveau secrétaire général du PCF, Waldeck Rochet, approfondit cette stratégie d’ouverture, dont le résultat le plus visible fut le soutien apporté par les communistes au candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle de 1965, François Mitterrand.</p>
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<figcaption><span class="caption">Waldeck Rochet annonce le soutien de son parti à François Mitterand, 23 septembre 1965, INA.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un rassemblement autour des partis passé de mode ?</h2>
<p>Ce rassemblement des gauches orchestré par les partis semble toutefois passé de mode. Une deuxième différence importante entre les années 1960 et la période actuelle réside en effet dans le discrédit de cette structure politique.</p>
<p>À l’image de LFI, qui se définit comme un mouvement, beaucoup de ténors socialistes, en particulier ses grands édiles, considèrent que le PS doit se fondre dans un ensemble plus large et horizontal, fortement implanté dans les milieux associatifs.</p>
<p>L’originalité de cette approche ne doit cependant pas être surestimée. La SFIO et le PS ne furent jamais des partis de masse ; leur audience reposa toujours sur un enracinement dans des réseaux et des milieux dépassant largement le cadre partisan, par exemple dans le Nord au sortir de la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-4-page-47.htm">Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>La symbiose entre le PS et de larges couches de la société fut aussi particulièrement forte dans les années suivant la refondation de l’organisation lors du congrès d’Épinay de 1971. Sa popularité dans les milieux syndicaux (notamment la CFDT) et associatifs lui permit de vivre jusqu’en 1981 une <a href="https://croquant.atheles.org/savoiragir/lasocietedessocialistes/">parenthèse militante</a> rare dans son histoire.</p>
<p>Cette implantation dans la société s’est progressivement relâchée, notamment après 2002 où le PS devient clairement un parti dominé par les élus locaux et leurs collaborateurs.</p>
<p>Cette mutation sociologique lourde, qui l’éloigne voire le coupe des milieux populaires et intellectuels dans certains territoires, explique le déclin des engagements multiples de ses militants. Comme le constate le <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/491-que-faire-des-partis-politiques.html">politiste Rémi Lefebvre</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Être adhérent implique moins que par le passé d’être syndiqué (les statuts l’exigent pourtant toujours), membre d’une association de parents d’élèves, de militer dans l’éducation populaire »</p>
</blockquote>
<p>Dans leur enquête sur les adhérents socialistes, les politistes Claude Dargent et Henri Rey soulignent quant à eux que 38 % seulement des adhérents du PS étaient syndiqués en 2011 contre <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/cahier_59.pdf">64 % en 1998 et 71 % en 1985</a>.</p>
<h2>Quel enracinement sociétal pour demain ?</h2>
<p>Le renouvellement idéologique promu par tous ceux qui appellent à la refondation permettra-t-il à cette organisation de retrouver un ancrage social comparable à celui des années 1970 ?</p>
<p>Un consensus semble en tout cas émerger autour d’un projet où les questions sociétales, environnementales et régaliennes seraient plus centrales et mieux articulées à la problématique des inégalités sociales.</p>
<p>A contrario, des thématiques conflictuelles <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2016-1-page-193.htm">comme la laïcité</a>, l’identité ou l’économie apparaissent volontairement mises en retrait. Cette marginalisation stratégique s’explique par les divisions profondes et anciennes des gauches sur ces sujets.</p>
<p>L’économie en offre un bel exemple. Depuis les années 1980, la régulation de la mondialisation et le rapport à l’UE constituent une pomme de discorde récurrente entre le PS et la gauche de la gauche. Les positions apparaissant irréconciliables à court terme, les « refondateurs » font le choix de mettre ces questions en sourdine.</p>
<p>François Mitterrand avait tenu un raisonnement comparable en 1965. Au cours de cette campagne qui le vit mettre de manière assez inattendue le général de Gaulle en ballottage, il entretint un flou volontaire sur sa politique économique, très éloignée de celle du PCF, <a href="https://www.cairn.info/les-socialistes-francais-et-l-economie--9782724618600.htm">afin de ne pas s’aliéner son soutien</a>.</p>
<p>L’évocation de cette candidature unique de 1965 permet de revenir sur la dimension probablement la plus cruciale pour la « gauche d’après », celle de son incarnation. Recourant à une rhétorique classique dans le jeu politique, les « refondateurs » socialistes appellent aujourd’hui leur camp à s’accorder d’abord sur les idées avant de désigner celui ou celle qui incarnera le projet.</p>
<p>À l’heure de la personnalisation toujours plus forte du pouvoir en démocratie, notamment sous la pression des <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Peuplecratie">divers mouvements populistes</a> et dans une Ve République où <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/La-force-de-gouverner">prédomine le pouvoir exécutif</a>, ce souhait s’apparente à un vœu pieu.</p>
<p>L’élection présidentielle est en effet bien plus centrale pour la gauche actuelle qu’elle ne l’était pour celle des années 1960. François Mitterrand, qui en faisait dès 1962 l’objectif prioritaire de sa carrière politique, constituait alors une exception et non la norme : le PCF ne jugeait pas utile de présenter un candidat ; Guy Mollet ne souhaitait pas engager sa formation dans la conquête du pouvoir tandis que Pierre Mendès France, la personnalité la plus rassembleuse à gauche, ne cachait pas son animosité à l’égard du suffrage universel direct.</p>
<p>Ce rapport à l’élection présidentielle tranche avec la situation présente, marquée par un afflux de prétendants (Jean‑Luc Mélenchon, Yannick Jadot voire de manière plus hypothétique Anne Hidalgo) rendant bien incertaine la perspective d’une candidature unique en 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147058/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Fulla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la gravité de la crise à gauche est indéniable, la replacer dans une perspective historique évite de céder à la thèse trop simple de la « mort » du socialisme politique en France.Mathieu Fulla, Agrégé et docteur en histoire, membre permanent du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466832020-09-30T17:31:28Z2020-09-30T17:31:28ZSéparatisme : une loi est-elle vraiment nécessaire ?<p>La préparation d’un projet de loi de lutte contre le(s) séparatisme(s), promis désormais pour décembre 2020, est l’aboutissement d’un long cheminement. Le <a href="https://www.leparisien.fr/politique/discours-sur-le-separatisme-pourquoi-macron-a-choisi-les-mureaux-29-09-2020-8393865.php">discours</a> très attendu d’Emmanuel Macron aux Mureaux le vendredi 2 octobre s’inscrit dans cette démarche.</p>
<p>Le président de la République avait, dans un premier temps, plutôt envisagé de faire évoluer l’instance représentative de l’Islam de France, le Conseil français du culte musulman (CFCM), peu efficace pour lutter contre la progression de l’islam radical.</p>
<p>Mais, confronté à la poursuite des attentats terroristes sur le territoire français, Emmanuel Macron a fini par fondre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/07/macron-veut-structurer-l-islam-de-france-pour-lutter-contre-le-separatisme_6028767_823448.html">dans une même approche</a> la lutte contre la radicalisation et la réponse à la progression des « communautarismes » – rebaptisés « séparatismes ».</p>
<p>Ceux-ci se définissent comme des tentatives par des groupes religieux prosélytes de séparer une partie des communautés confessionnelles – implicitement, l’islam est le principal sujet de préoccupation – du reste de la nation, en refusant de partager les mêmes modes de vie, de respecter certains principes fondamentaux de la République (notamment égalité et fraternité), et de placer les prescriptions religieuses au-dessus des lois.</p>
<p>Pourtant, la montée des séparatismes est un phénomène ambigu voire qui reste à prouver, et si l’arsenal juridique peut être amélioré, les pouvoirs publics possèdent déjà l’essentiel des instruments nécessaires.</p>
<h2>L’essor ambigu des expressions du communautarisme</h2>
<p>La notion de séparatisme tend à faire l’amalgame entre lutte contre l’islamisme et lutte contre la radicalisation. Cette deuxième, qui s’est développée véritablement à partir de 2014, a visé dans un premier temps les djihadistes et candidats à l’action terroriste, considérant le <a href="https://www.babelio.com/livres/Khosrokhavar-Radicalisation/682884">comportement de ceux-ci comme singuliers</a> et relevant <a href="https://www.babelio.com/livres/Bronner-La-pensee-extreme/817748">d’une certaine forme d’enfermement mental</a>. En fait, parler de séparatisme revient à considérer qu’il existe un « <a href="https://livre.fnac.com/a13846668/Bernard-Rougier-Les-territoires-conquis-de-l-islamisme">continuum » idéologique entre l’intégrisme religieux et la radicalisation violente</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/07/macron-veut-structurer-l-islam-de-france-pour-lutter-contre-le-separatisme_6028767_823448.html">Le séparatisme a été préféré par l’Élysée au terme « communautarisme</a> », afin d’insister sur la rupture que l’attitude d’un intégrisme religieux portait à la cohésion nationale.</p>
<h2>Répondre à la ghettoïsation du peuplement urbain</h2>
<p>La réponse adéquate devrait d’abord viser à lutter contre la ghettoïsation du peuplement urbain, conséquence habituelle d’une concentration du logement social sur certains quartiers. cette dernière entraîne une concentration spatiale des populations immigrées, entravant l’intégration dans la culture majoritaire. Or, pour beaucoup d’immigrés sont issus de <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2015-2-page-31.htm">sociétés de départ gagnées</a> par une <a href="https://livre.fnac.com/a1715897/Francois-Burgat-L-Islamisme-a-l-heure-d-Al-Qaida">réislamisation</a> des modes de vie et des normes sociales.</p>
<p>En France, ils se confrontent aussi au <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2014-2-page-201.htm">retour du religieux, avéré depuis les années 1990</a>, en particulier dans les quartiers sensibles – et beaucoup moins parmi les individus vivant dans des quartiers mixtes.</p>
<p>Les discriminations ou le ralentissement des possibilités de mobilité sociale des jeunes issus de l’immigration ont favorisé l’essor d’un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-islam-mondialise-olivier-roy/9782020676090">fondamentalisme religieux largement « bricolé »</a>, individualisé et traduisant une <a href="https://www.cairn.info/revue-europeenne-des-sciences-sociales-2018-2-page-107.htm">revendication identitaire contre la société des gagnants</a>.</p>
<h2>Un purisme impressionnant à relativiser</h2>
<p>Au demeurant, l’adhésion à cette idéologie est <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Loyaut__s_radicales-9782707196293.html">elle-même ambiguë et réversible</a>. Et, au sein des communautés musulmanes, caractérisées par ailleurs par leur hétérogénéité des origines nationales, les salafistes ne représentent <a href="https://livre.fnac.com/a3399451/Samir-Amghar-Le-salafisme-d-aujourd-hui">qu’une minorité de quelques dizaines de milliers</a> de personnes au plus.</p>
<p>Leur purisme impressionne une partie de la population des quartiers qui pensent trouver dans le rigorisme des pratiques religieuses un <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2017-4-page-683.htm">refuge face à la dureté d’une condition sociale</a> et à un manque de perspectives.</p>
<p>Mais les quartiers freinent les trajectoires sociales sans les empêcher, et sont abusivement conçus comme des ghettos : <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Rapports-de-l-IGA/Rapports-recents/L-efficacite-des-politiques-publiques-mises-en-oeuvre-a-Roubaix">l’enquête administrative</a> récente sur le bilan des politiques publiques de Roubaix montre au contraire le caractère dynamique des parcours individuels et des liens avec le reste de l’agglomération.</p>
<h2>Quelle menace pour les pouvoirs publics ?</h2>
<p>L’islamisme se caractérise aussi par un projet politique, nécessaire à la diffusion de ses normes cultuelles.</p>
<p>Les pouvoirs publics s’inquiètent aujourd’hui aussi des soutiens venant de l’étranger, que ce soit pour le financement des lieux de culte ou le détachement d’enseignants (pour les <a href="https://www.cairn.info/revue-administration-et-education-2020-2-page-107.htm">Enseignements des langues et cultures d’origine</a>, appelées à disparaître) ou d’imams prosélytes. Ces initiatives peuvent être le fait de mouvements non étatiques transnationaux, comme les Frères musulmans (organisation islamiste créée en Égypte en 1928), ou encore le Tabligh (d’origine indo-pakistanaise).</p>
<p>Mais si l’Arabie saoudite a financé la propagation du salafisme dans le monde, <a href="http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2015-3-page-177.htm">elle n’envisage pas d’instrumentaliser</a> les bénéficiaires en France contre les pouvoirs publics. Il en est de <a href="http://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-1-page-101.htm">même pour le Qatar</a>, dont les financements visent plutôt à améliorer son image au sein de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oumma">oumma</a> face aux autres États du Golfe.</p>
<p><a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/09/27/01003-20180927ARTFIG00296-comment-les-reseaux-turcs-s-insinuent-dans-l-islam-de-france.php">L’attitude de la Turquie</a>, en revanche, est plus préoccupante car l’islamo-nationalisme de Recep Tayyib Erdogan utilise les instances religieuses encadrant la diaspora en Europe, afin de la mobiliser pour soutenir son pouvoir et peut-être pour faire pression sur des États européens.</p>
<h2>Une proposition de loi qui laisse perplexe</h2>
<p>La mobilisation politique de l’islam, lorsqu’elle existe, est plutôt le fait d’acteurs locaux. <a href="https://www.senat.fr/leg/ppl19-108.html">La proposition de loi du sénateur Bruno Retailleau</a> visait à exclure des élections les candidats ayant « ouvertement mené une campagne communautariste » en tenant des propos contraires à la souveraineté nationale, la démocratie, la laïcité…</p>
<p>Or, tant les textes constitutionnels que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme s’opposent à une telle initiative : <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-65493%22%5D%7D">dans son arrêt REFAH</a> contre Turquie de 2003, la Cour a considéré que :</p>
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<p>« un parti politique qui s’inspire des valeurs morales imposées par une religion ne saurait être considéré d’emblée comme une formation enfreignant les principes fondamentaux de la démocratie ».</p>
</blockquote>
<p>Les listes ouvertement confessionnelles restent très marginales. <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2020/07/06/municipales-le-flop-des-listes-communautaires_6045328_6038514.html">L’échec de l’Union des démocrates musulmans français aux dernières élections municipales</a> le confirme ; toutefois, il faut reconnaître que dans certaines communes, des groupes islamistes bien organisés savent <a href="http://hommesmigrations.revues.org/3791">marchander leur influence</a> sur le quartier pour obtenir gain de cause auprès des édiles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-le-fantasme-des-listes-communautaires-130897">Débat : Le fantasme des « listes communautaires »</a>
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<h2>Un arsenal juridique déjà bien important</h2>
<p>La progression des convictions et attitudes islamistes parmi les jeunes est un phénomène ancien mais que l’Éducation nationale a mis du temps à reconnaître. <a href="https://www.education.gouv.fr/les-signes-et-manifestations-d-appartenance-religieuse-dans-les-etablissements-scolaires-8888">Le rapport Obin</a>, produit par des inspecteurs du ministère en 2003, alertait pourtant sur les atteintes répétées à la laïcité et aux règles de l’école au nom de préceptes religieux.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2019-3-page-129.htm">Le responsable du rapport a expliqué</a> comment le ministère avait tenté d’étouffer cette mise en garde, et, <a href="https://livre.fnac.com/a14837049/Jean%E2%80%91Pierre-Obin-Comment-on-a-laisse-l-islamisme-penetrer-l-ecole">dans un récent ouvrage</a>, il confirme que la situation dans certains établissements scolaires s’est encore dégradée.</p>
<p>L’attitude de certains jeunes, révélée au grand public aux moments des attentats de 2015 (« je ne suis pas Charlie »), et les conclusions inquiétantes de certaines <a href="https://sites.google.com/a/iepg.fr/les-adolescents-et-la-loi/documents-a-telecharger">enquêtes sociologiques</a> sur la progression de la <a href="https://www.puf.com/content/La_tentation_radicale_Enqu%C3%AAte_aupr%C3%A8s_des_lyc%C3%A9ens">radicalité chez les jeunes</a>, a sans doute accéléré la prise de conscience et la réponse de l’Éducation nationale.</p>
<p>Un meilleur suivi statistique des incidents liés au rejet de la laïcité a été mis en place : il révèle, <a href="http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-595-1-notice.html">sur l’année scolaire 2018-2019</a> 783 signalements pour atteinte à la laïcité et 349 signalements d’actes racistes ou antisémites – mais de très nombreux faits, peu graves, ne sont pas signalés au ministère.</p>
<h2>Surveiller le contournement de l’institution scolaire</h2>
<p>L’islamisme se développe également au sein de nombreux établissements hors contrat ou par l’instruction à domicile.</p>
<p><a href="http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-595-1-notice.html">Le nombre des élèves dans ce cas a doublé en dix ans</a>, sans qu’il soit possible de préciser si cette tendance fait suite à des motivations religieuses.</p>
<p>Le contrôle des obligations des familles est insuffisant. Par ailleurs, le nombre des établissements hors contrat a doublé mais ce phénomène concerne également beaucoup d’établissements proposant une <a href="http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-595-1-notice.html">pédagogie alternative</a>.</p>
<p><a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl16-589.html">La loi Gatel (2018)</a> a obligé ces établissements à préciser les origines de leur financement, mais ces obligations pourraient encore être renforcées.</p>
<h2>Des obligations encadrées depuis… 1905</h2>
<p>Un certain nombre de faits divers impliquant des lieux de culte et des imams prosélytes ont inquiété l’opinion publique : des prêches incitant à la haine, des prises de contrôle de mosquées par des salafistes, etc.</p>
<p>La loi permet déjà d’expulser tout étranger qui trouble l’ordre public, et la loi du 9 décembre 1905 sanctionne, entre autres, les faits d’outrage et de diffamation commis par un ministre des cultes ainsi que les comportements portant directement atteinte à la liberté de conscience et au principe du libre exercice du culte.</p>
<p>Par ailleurs, la loi du 30 octobre 2017 <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl16-587.html">renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme</a> dite loi « SILT », permet au préfet de fermer, pour une durée maximale de 6 mois, de tout lieu de culte dans lequel</p>
<blockquote>
<p>« les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination… ».</p>
</blockquote>
<p>Les associations cultuelles et culturelles peuvent être dissoutes, notamment si leur objet est illicite – provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes –, ou qu’elles portent atteintes au territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement soit par voie judiciaire, soit par décret en conseil des ministres. Mais la lourdeur de la procédure fait qu’elle est rarement mobilisée.</p>
<h2>Un contrôle plus lucide sur les acteurs de la société civile</h2>
<p>Le prosélytisme et le séparatisme sont dénoncés dans le comportement de nombreuses associations, notamment dans le domaine sportif. Si le droit commun défini plus haut repose sur la solidité de la liberté associative, certains aménagements sont souhaitables. <a href="http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-595-1-notice.html">La commission d’enquête</a> « sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre » a avancé, dans son rapport rendu au mois d’août, quelques propositions qui devraient nourrir le futur projet de loi.</p>
<p>Par exemple, mettre en place une procédure de suspension des activités d’une association séparatiste, inspirée de la procédure existante pour sanctionner les associations de supporters auteurs d’actes de hooliganisme.</p>
<p>Par ailleurs, pour pouvoir bénéficier d’une subvention versée par l’État ou l’un de ses opérateurs, le représentant légal de l’association s’engage à respecter les principes et valeurs de la Charte des engagements réciproques du 14 février 2014, au titre desquels figurent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.</p>
<p>Un tel engagement pourrait être étendu à toutes les demandes de subventions publiques.</p>
<p>Le projet de loi viendra compléter plus que révolutionner les dispositifs de lutte contre les acteurs et les comportements ne respectant pas les principes fondamentaux de la république, tout en évitant de faire du salafisme un délit d’opinion.</p>
<p>Mais, dans un combat culturel de cette ampleur, c’est aussi la mobilisation de l’administration et des associations refusant la fracture au sein de la société qui décidera de l’issue. Or, il est important que les moyens des services publics et le financement de ces associations dans les quartiers sensibles soient revalorisés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yannick Prost est également Chef de Mission Réserve civique, DJEPVA / Ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse.</span></em></p>La montée des séparatismes est un phénomène ambigu voire qui reste à prouver, et si l’arsenal juridique peut être amélioré, les pouvoirs publics possèdent déjà l’essentiel des instruments nécessaires.Yannick Prost, enseignant en relations internationales (Sciences Po) - responsable de l'unité d'enseignement "aire juridique et administrative'" (Master Lisi, UFR EILA, Université Paris VII Denis DIderot), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.