tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/loi-pacte-49810/articlesloi Pacte – The Conversation2023-10-29T18:11:25Ztag:theconversation.com,2011:article/2162412023-10-29T18:11:25Z2023-10-29T18:11:25ZDes investisseurs à mission pour les sociétés à mission ?<p>De multiples prises de paroles d’acteurs très divers convergent pour intimer aux acteurs de la finance d’aller plus loin dans leurs <a href="https://theconversation.com/finance-verte-faut-il-croire-au-nouvel-engagement-des-grandes-banques-a-la-cop26-171413">volontés d’opérer une mue</a>, voire une révolution culturelle, afin de promouvoir des entreprises et des projets engagés dans les <a href="https://theconversation.com/finance-responsable-et-durable-le-monde-academique-se-doit-dagir-98119">multiples transitions</a> sociales et environnementales dont le monde a besoin. Larry Fink, le <a href="https://qz.com/blackrock-ceo-larry-fink-is-focusing-on-goals-other-tha-1850580124">patron de Blackrock, plus grand fonds de pension mondial</a>, Philippe Zaouati, financier engagé qui dialogue dans un <a href="https://www.actes-sud.fr/la-finance-face-aux-limites-planetaires">ouvrage récent</a> avec le philosophe Dominique Bourg, ou bien encore <a href="https://www.linfodurable.fr/investir-durable/en-bref/macron-reunit-les-grands-financeurs-pour-le-climat-21462">Emmanuel Macron</a> ou le <a href="https://www.philonomist.com/fr/article/que-peut-attendre-de-la-finance-verte">Pape François</a>, des acteurs variés invitent la finance à <a href="https://theconversation.com/que-faire-pour-que-la-transition-energie-climat-devienne-enfin-laffaire-de-tous-160519">soutenir des modèles économiques plus vertueux</a> ou moins consommateurs de ressources.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-et-comment-la-finance-doit-revenir-a-plus-de-responsabilite-68251">intégration progressive des considérations éthiques et responsables dans les décisions d’investissement</a> a constitué un premier tournant. De nouvelles <a href="https://theconversation.com/finance-responsable-comment-la-reglementation-europeenne-dessine-une-trajectoire-favorable-205766">réglementations</a> poussent également dans cette direction. Plus récemment, on a pu voir émerger une finance responsable et durable avec des acteurs engagés tels que les <a href="https://theconversation.com/effectuer-des-investissements-responsables-ce-nest-pas-renoncer-a-leur-rentabilite-199021">« investisseurs à impact »</a> ou encore les « investisseurs à mission ». Ils placent la création de valeur sociale et environnementale au cœur de leur démarche, dépassant les priorités purement financières.</p>
<p>C’est à ces investisseurs très particuliers et très engagés que nous nous sommes intéressés dans une recherche récente. Notre équipe travaille notamment sur le volet financier d’un projet collectif de recherche plus large qui s’intéresse plus largement aux sociétés à mission, <a href="https://www.economie.gouv.fr/cedef/societe-mission">mention juridique créée par le la loi Pacte de 2019</a>. Plus de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/c-est-mon-boulot/les-entreprises-a-mission-sont-desormais-plus-de-1-000-en-france_5646005.html">1000 entreprises</a> ont depuis fait le choix d’ajouter dans leur statut une ligne détaillant cette mission ou raison d’être et se sont dotées d’un organisme pour en contrôler le suivi.</p>
<h2>Une prise de conscience</h2>
<p>Dans le cadre de cette recherche, présentée lors de l’<a href="https://conferences.euram.academy/2023conference/">EURAM 2023</a>, nous avons interrogé quinze acteurs (sociétés d’investissement ayant adopté volontairement le statut de société à mission) et quatre sociétés comparables n’ayant pas ce statut mais gravitant dans l’écosystème de l’investissement responsable. Ces investisseurs à mission s’attachent à déployer des objectifs précis, souvent liés aux objectifs de développement durable, crédibles et mesurables. Ils adoptent également une aussi une approche novatrice de l’investissement et une vision écosystémique permettant d’aligner parties prenantes internes et externes à leur entreprise autour de la mission.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706393905099325875"}"></div></p>
<p>Plusieurs facteurs ont contribué à l’émergence des investisseurs à mission. On retrouve d’une part, la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et sociaux. Dans tous les entretiens menés, l’engagement personnel des dirigeants ou fondateurs de ces sociétés financières (qui veulent faire de la finance « <em>utile</em> » ou de la finance « autrement ») nous est apparu comme déterminant.</p>
<p>Les crises environnementales et les mouvements sociaux ont amené à une réflexion profonde sur le rôle de la finance dans la construction d’un avenir durable. Des pionniers et des leaders dans le domaine de l’investissement à mission ont aussi été des sources d’inspiration à l’instar de <a href="https://www.raise.co/mission">Raise</a> et de son pari de « développer un écosystème innovant et généreux pour soutenir des entrepreneurs visionnaires et construire avec eux une économie responsable et durable » ou encore de <a href="https://fr.sycomore-am.com/sycomore">Sycomore Asset Management</a> en quête d’« humanisation de l’investissement ». Ces éléments ont créé un terreau fertile pour le développement de cette nouvelle approche d’investissement.</p>
<p>Beaucoup recherchent désormais cet « impact supplémentaire » qu’ils peuvent générer grâce à leurs « actions d’engagement et constructivistes ». Selon leurs mots ils « contribuent à un mouvement positif au sein des entreprises, ce qui multiplie à son tour l’impact ».</p>
<h2>Être exigeant et cohérent</h2>
<p>Les entretiens avec les investisseurs à mission mettent en lumière plusieurs thèmes centraux qui finissent par les démarquer du reste des acteurs financiers. Le premier est celui du « bien commun », « placer l’intérêt collectif au-dessus de leurs intérêts personnels ». Ils cherchent à faire « grandir les individus » au sein des entreprises et à favoriser une transformation durable de l’économie.</p>
<p>De fortes exigences envers les entreprises qui rejoignent leur portefeuille ressortent également, en particulier en ce qui concerne leur contribution à des objectifs sociaux et environnementaux et la qualité du partage d’information ou de métriques. Ils exigent transparence et responsabilité pour assurer l’impact positif et la crédibilité des entreprises.</p>
<p>Les investisseurs à mission mettent enfin l’accent sur un besoin de cohérence entre les exigences qu’ils posent aux entreprises dans lesquelles ils investissent et leur propre fonctionnement interne. Celui-ci repose notamment sur une politique de partage de la valeur très avancée et s’appuie en général sur une gouvernance participative. C’est dans cette direction qu’ils accompagnent aussi les entreprises dans lesquelles ils ont investi. Beaucoup insistent :</p>
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<p>« Le principal mot, c’est alignement. C’est l’alignement entre la manière dont on s’est défini et la manière dont on travaille. »</p>
</blockquote>
<h2>Un écosystème précurseur</h2>
<p>En somme, les investisseurs à mission cherchent à agir comme des catalyseurs du changement. Ils mettent l’accent sur l’engagement actif, la cohérence entre les paroles et les actes, l’exemplarité, ainsi que sur la responsabilité envers la société dans son ensemble.</p>
<p>On ne peut pas, pour l’heure, rapprocher ces investisseurs d’une catégorie existante. Pour l’heure, il s’agit d’un phénomène émergent et donc encore « à la marge » avec des encours relativement minimes. Les théories du changement institutionnel soulignent que les innovateurs ont toujours été isolés au début, vus comme avant-gardistes avant que leurs pratiques novatrices deviennent peu à peu la norme. C’est ceux que, par exemple, le sociologue Howard Becker a nommés <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2014-1-page-213.htm?ref=doi">« entrepreneurs de morale »</a>. À terme, cette nouvelle catégorie d’investisseurs pourrait représenter une alternative crédible ou bien être précurseur d’un mouvement missionnaire de plus grande ampleur, qui chercherait à réconcilier la finance avec la société et l’intérêt général.</p>
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<p>Dans cette dynamique émergente, le rôle des organismes tiers indépendants (OTI) en charge de la <a href="https://www.entreprisesamission.org/les-organismes-tiers-independants/">vérification de la mission</a> que se donne les entreprises, la première devant intervenir dans les 18 ou 24 mois suivant la publication de la qualité de société à mission au registre du commerce et des sociétés, sera également clé dans leur capacité à valoriser et soutenir des investisseurs de cette nature. Ces OTI seront surtout chargés de vérifier l’existence de la poursuite de la mission, des moyens dédiés et associés et de l’atteinte des objectifs visés.</p>
<p>Dans notre étude, nous avons ainsi observé un renforcement des liens entre ces différents acteurs. Cela se traduit par un soutien accru des investisseurs à mission envers les entreprises de l’écosystème des sociétés à mission ou un encouragement formulé à d’autres entreprises à adopter ce statut. Cette dynamique s’accompagne aussi d’une importante reconfiguration et stabilisation de la structure actionnariale avec une association croissante des salariés aux résultats de l’entreprise largement encouragée par les <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-recompenser-travail-salaries">dispositions de loi Pacte</a>.</p>
<p>Ainsi, dans une seconde étude en cours sur les structures actionnariales privilégiées par les sociétés à mission, nous observons un retrait des investisseurs financiers dits « classiques » ainsi qu’un renforcement sensible de l’actionnariat salarié et public. Cela permet en outre aux entreprises d’avoir <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2022/05/18/la-loi-pacte-a-convoque-la-question-du-partage-de-la-valeur-dans-les-entreprises_6126585_1698637.html">« une gouvernance plus équilibrée et une compétence plus proche de l’activité »</a> et de se protéger du <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2019.0238">risque de compromission</a> avec l’intervention de fonds activistes.</p>
<p>Ainsi cette nouvelle catégorie de sociétés financières représente peut être la concrétisation d’une finance plus durable et en capacité de soutenir des entreprises ou des projets de même nature. La loi Pacte a ainsi contribué de façon peut-être indirecte à cristalliser ou à sédimenter une catégorie très émergente mais qui incarne sans doute une voie d’avenir pour l’ensemble des acteurs financiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216241/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Exigeants envers eux-mêmes comme envers les entreprises qu’ils accompagnent, les investisseurs à mission restent peu nombreux mais entraînent de plus en plus d’acteurs de la finance dans leur sillage.Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolCarine Girard-Guerraud, Full professor in corporate finance, AudenciaMarie Baudoux, Professeure assistante en Finance, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1953442022-12-01T17:24:14Z2022-12-01T17:24:14ZDeux conceptions de l’entreprise « responsable » : Friedman contre Freeman<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497341/original/file-20221125-17-jnwjk1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C8%2C1187%2C772&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour Milton Friedman (à gauche) la responsabilité sociale des entreprises est «&nbsp;d’accroître leurs profits&nbsp;». Pour Edward Freeman, le capitalisme est contraint de prendre en compte toutes «&nbsp;les parties prenantes&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><span class="source">Montage Wikimedia commons / University of Virginia</span></span></figcaption></figure><p>Dans la littérature sur la gouvernance d’entreprise, deux principes s’opposent : celui énoncé par l’économiste Milton Friedman en 1970, dans un célèbre article intitulé <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-540-70818-6_14"><em>The social responsability of business is to increase its profits</em></a> (« La responsabilité sociale des entreprises est d’accroître leurs profits »<em>)</em>, à celui proposé près de 40 ans plus tard par les universitaires Edward Freeman, Kristen Martin, et Bidhan Parmar dans leur article <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1410852"><em>Stakeholder capitalism</em></a> (« Le capitalisme des parties prenantes »).</p>
<p>D’un côté, Milton Friedman, qui a été brillamment <a href="https://www.researchgate.net/publication/273202727_Qu%27est-ce_que_l%27ethique_des_affaires">traduit en français</a> par Alain Anquetil, affirme que la poursuite des intérêts égoïstes des actionnaires sera finalement la meilleure contribution possible à la prospérité générale de la nation. De l’autre, le philosophe américain Freeman et ses co-auteurs affirment que le capitalisme ne peut survivre et se légitimer qu’en prenant en compte et en conciliant les intérêts de tous ceux qui sont impactés par l’activité des entreprises. En un mot, pour le bien de l’humanité, les entreprises devraient toutes devenir « socialement responsables ».</p>
<p>Ces doctrines peuvent paraître inconciliables. À lire ce qui s’écrit en France en 2022 et, tout particulièrement depuis la publication de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000037080861/">loi Pacte en 2019</a>, on peut avoir l’impression que cette <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">opposition radicale</a> subsiste. En France, les partisans d’un État interventionniste auquel on demande de « réguler » des marchés semblent en outre plus nombreux que les tenants de la ligne de Friedman. Dans ce contexte, on demande aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> de s’autocontrôler et de s’autoréguler.</p>
<p>Le débat gagnerait aujourd’hui à se rééquilibrer, car d’un point de vue analytique, les travaux de Friedman rendent en effet toujours compte de nombreuses pratiques qui persistent dans les entreprises.</p>
<p>L’observation attentive de la conduite des dirigeants, qui fait l’objet de nos <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2011-4-page-134.htm">recherches ethnographiques</a>, et de la manière dont les décisions se prennent montre même que, partant de prémisses opposées, les partisans de l’une ou l’autre de ces doctrines parviennent, <em>in fine</em>, s’ils sont placés devant les mêmes choix et dans les mêmes circonstances, à des résultats semblables.</p>
<p>Autrement dit, deux doctrines qui paraissent incompatibles et suscitent des mouvements idéologiques d’adhésion pour l’une, et de rejet violent pour l’autre, peuvent aboutir, en pratique et une fois la complexité du réel prise en compte, à des résultats quasi identiques. Les chercheurs disent que, dans ce cas, il y a « <a href="https://www.dunod.com/sciences-techniques/theorie-generale-systemes">équifinalité</a> ».</p>
<p>L’explication réside dans le fait que les doctrines qui définissent des grands principes de gouvernance sont inévitablement des formes stylisées de la réalité du gouvernement privé des entreprises. Elles énoncent des normes, disent comment les choses devraient se passer, définissent des intentions, mais négligent évidemment les détails de la mise en pratique.</p>
<h2>Concessions</h2>
<p>Considérons d’abord le cas d’un dirigeant conforme à l’idéal de Milton Friedman : il serait à la tête d’une industrie polluante, dangereuse, exploitant une main-d’œuvre étrangère dans des conditions difficiles pour approvisionner les riches habitants d’un pays riche. S’il veut continuer à verser de gros dividendes à ses actionnaires et voir ses actions prendre de la valeur, ne sera-t-il pas le premier à vouloir se concilier les bonnes grâces des gouvernements des États-nations dont dépend la bonne marche de ses affaires ?</p>
<p>Ne sera-t-il pas aussi le premier à annoncer des mesures environnementales dès que des études marketing lui indiqueront qu’il s’agit là d’un thème auquel les clients sont devenus sensibles ? Aussi cynique soit-il – et il ne l’est pas forcément – aussi soucieux de servir en priorité ses actionnaires, s’il est intelligent et bien informé, il se glissera dans les politiques sociales et environnementales du moment. En effet, c’est pour lui la meilleure solution pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/smj.750">rétribuer au mieux et sécuriser le capital</a>.</p>
<p>On peut même montrer que c’est précisément parce que l’industrie qu’il dirige est polluante, risquée et avec de fortes externalités négatives qu’il fait de gros <a href="https://www.researchgate.net/profile/Stephen-Brammer-3/publication/5208488_Profit_maximisation_vs_agency_An_analysis_of_charitable_giving_by_UK_firms/links/548e9cce0cf225bf66a60740/Profit-maximisation-vs-agency-An-analysis-of-charitable-giving-by-UK-firms.pdf">investissements dans le socialement et écologiquement responsable</a>. Ce faisant, il protège l’intérêt bien compris des actionnaires.</p>
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<p>Dans un tel cas, tout dépend de la pression exercée de l’extérieur par les puissances publiques et la société civile. Si ceux-ci ont des exigences morales, notre dirigeant cynique, intelligent et rusé en tiendra compte. Si ce n’est pas le cas (par exemple si les responsables politiques sont corrompus et indifférents à l’intérêt général), il corrompra au lieu de contribuer au bien commun, car il a de toute façon besoin d’une solide alliance avec les dirigeants des États-nations pour développer son business. Il doit leur faire des concessions.</p>
<h2>Tant que l’entreprise est profitable…</h2>
<p>Considérons maintenant le cas opposé d’un dirigeant se comportant selon les vœux de Edward Freeman, mais qui dirige par chance une entreprise peu polluante, employant une main-d’œuvre peu nombreuse, hautement qualifiée et très bien payée dans un pays riche. Il peut parfaitement se faire passer pour le plus écolo et le plus socialement responsable des dirigeants d’entreprise. Cela ne lui coûte pas très cher.</p>
<p>À la différence de son collègue pollueur, il peut annoncer un excellent bilan carbone et un excellent bilan social. Moyennant quelques efforts supplémentaires, il peut annoncer chaque année quelques menus progrès en la matière, par exemple en remplaçant un emballage plastique par un emballage en carton, en posant des panneaux solaires sur le toit de ses entrepôts ou en augmentant le nombre de femmes dans son comité de direction. Tant que son entreprise est profitable, il peut aussi s’adonner au plaisir du mécénat, et distribuer des fonds pour lutter contre la pauvreté ou soutenir les activités culturelles et sportives.</p>
<p>Cependant, il ne peut pas aller trop loin dans cette voie. Si la rentabilité de son entreprise vient à baisser, si le chiffre d’affaires stagne, si le cours de bourse commence à s’effondrer, notre dirigeant, malmené par les marchés financiers et critiqué par des investisseurs influents, concentrera immédiatement sa stratégie sur la maximisation du rendement du capital, et <a href="https://www.annales.org/gc/2009/gc98/acquier.pdf">réduira discrètement ses dépenses</a> en matière de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale et environnementale</a> (RSE).</p>
<p>Alors que, l’année précédente, le rapport annuel insistait sur la dimension sociale, écologique et vertueuse de l’entreprise, le nouveau discours de politique générale insistera sur la rentabilité des capitaux investis. Ce dirigeant sera simplement réaliste. Il se souviendra que pour pouvoir donner à toutes les « parties prenantes », ce qu’elles demandent, l’entreprise doit être profitable.</p>
<h2>Nouveau « paternalisme »</h2>
<p>Même dans les phases les plus dures du capitalisme, au XIXe siècle, un industriel qui construisait une usine au milieu de nulle part et qui avait besoin d’une main-d’œuvre fidèle et de qualité, devait inévitablement se mettre à faire du social et s’attaquer à des problèmes de logement, d’éducation et de santé.</p>
<p>On a appelé cela le « paternalisme ». Or, à y regarder de près, ce n’était pas toujours parce que le patron était inspiré par une doctrine religieuse ou par une utopie socialiste qu’il se mettait à prendre en compte le sort des ouvriers. C’était tout simplement indispensable pour assurer la réussite du projet industriel. Il fallait faire de nécessité vertu.</p>
<p>Une entreprise qui importe et installe des panneaux solaires dans les régions françaises n’aura évidemment aucun mal à se définir comme « écologiquement responsable », puisqu’elle est en pleine croissance précisément en raison du boum écologique et de l’explosion du prix de l’énergie.</p>
<p>En revanche, la tâche sera plus difficile pour le concessionnaire qui vend et entretient des camping-cars. Ces lourds véhicules de loisir qui marchent au diesel sont évidemment le type même de l’objet technique très polluant né de la société de consommation des années 1970.</p>
<p>Qu’importe ! Le dirigeant de cette entreprise pourra tout de même se présenter comme extrêmement vertueux sur le plan écologique puisque ses engins permettent aux habitants des villes un retour à la nature. S’il annonce de surcroit qu’il va poser des panneaux solaires sur le toit de ses hangars, il peut tout à la fois empocher une subvention, réduire ses coûts d’énergie et entrer dans la catégorie enviée des entreprises socialement responsables.</p>
<p>Entre la doctrine de Freeman et celle de Friedman, il n’y a qu’une différence d’intention et de justification. Un cynique Friedmanien, s’il dirige une industrie très polluante a toute chance de faire plus pour lutter contre le dérèglement climatique qu’un missionnaire Fremanien dont les activités sont peu polluantes. Un cynique Friedmanien qui gagne beaucoup d’argent et emploie peu de main-d’œuvre à toute chance de payer beaucoup mieux son personnel qu’un missionnaire Freemanien dont l’entreprise ne fait que des pertes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195344/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Villette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les manières dont l’entreprise doit contribuer au bien public opposent deux courants de pensée. Cependant, la mise en œuvre de leurs principes peut aboutir à des résultats très proches.Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1918822022-10-10T19:00:14Z2022-10-10T19:00:14ZGouvernance : une loi Pacte II serait-elle suffisante pour mieux associer les salariés ?<p>Dans leur article paru dans The conversation le 27 septembre 2022 et dans leur <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/reforme-lentreprise-modele-francais-codetermination">livre</a> intitulé <em>La réforme de l’entreprise : un modèle français de codétermination</em>, les chercheurs Xavier Hollandts et Nicolas Aubert ont retracé l’histoire de la codétermination française, c’est-à-dire la détermination <em>en commun</em> des décisions par les salariés et les actionnaires.</p>
<p>Ils décrivent notamment les prémisses françaises de cette codétermination en citant le socialisme utopique, le catholicisme social ou encore le mouvement coopératif. Montrant que la réhabilitation du pouvoir des salariés dans les organes de gouvernance a en partie des racines historiques, les auteurs invitent à une extension de la codétermination.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/associer-les-salaries-a-la-gouvernance-dentreprise-une-invention-francaise-et-pas-allemande-191197">Associer les salariés à la gouvernance d’entreprise, une invention française (et pas allemande)</a>
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<p>Nous rejoignons parfaitement leur propos tant les avancées françaises en ce domaine, bien qu’enracinées dans une histoire, demeurent encore timides. Le pacte plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a>, promulguée le 22 mai 2019, a certes abaissé de 12 à 8 le seuil d’effectif du conseil d’administration ou de surveillance déclenchant l’obligation d’avoir deux représentants des salariés.</p>
<p>Dans les entreprises de plus de 1,000 salariés, les sociétés doivent ainsi désigner au moins deux représentants des salariés lorsque le conseil d’administration est composé de plus de 8 membres et un représentant lorsque le conseil d’administration est composé de 8 membres ou moins.</p>
<p>Cependant, on est encore bien loin du <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/politique-et-enjeux/simplifications/rapport-louis-gallois-competitivite.pdf">rapport</a> Gallois de 2012 qui posait les jalons de la loi Pacte mais qui recommandait la mise en place d’au moins 4 représentants des salariés au conseil d’administration ou de surveillance. On est également bien loin d’un objectif plus ambitieux qui consisterait à donner le même pouvoir aux représentants du travail qu’aux représentants du capital, voire même à conférer aux salariés un rôle de premier plan dans les organes de décision.</p>
<h2>Une réforme de l’ensemble du droit</h2>
<p>Pour se rapprocher de cet objectif, on pourrait augmenter le nombre de représentants du travail dans les organes de gouvernance, imposer l’association des salariés à la gouvernance dans d’autres structures sociétaires, et étendre la règle à des entreprises de plus petite taille. Voilà les trois orientations que l’on pourrait attendre d’une loi Pacte II en la matière.</p>
<p>Mais est-il vraiment possible de faire de la codétermination la forme normale du gouvernement d’entreprise sans réformer le droit dans sa globalité ? En d’autres termes, les évolutions touchant à la participation des salariés au pouvoir de décision ne seraient-elles pas condamnées à être symboliques, fragmentées ou secondaires dès lors qu’elles feraient fi du droit dans son intégralité ?</p>
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<p>Entendons par là que ce n’est pas seulement la composition des organes de gouvernance qui mérite d’être réformée, mais la définition même de la structure sociétaire. Actuellement, l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006444041/">article 1832 du Code civil</a> indique que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. » Ainsi, la structure sociétaire poursuit une seule finalité, faire des bénéfices et les partager entre ses associés.</p>
<p>Ne faudrait-il pas, pour redéfinir la structure sociétaire, repenser la structuration du droit dans son ensemble et, comme le révélaient déjà depuis un certain temps les chercheurs du Collège des Bernardins, questionner la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/7965">séparation entre le droit des sociétés et le droit du travail</a> ?</p>
<p>Si l’on osait remettre en cause cette séparation entre deux droits (droit des sociétés et droit du travail) et deux contrats (contrat de société et contrat de travail), on pourrait alors concevoir un droit de l’entreprise… L’entreprise serait alors juridiquement composée d’un ensemble de parties prenantes (associés et salariés) et orientée vers une finalité supérieure au partage des bénéfices.</p>
<h2>Une recherche d’une finalité supérieure</h2>
<p>Quelle pourrait être cette finalité supérieure ? Peut-on faire du bien commun une finalité supérieure ? Qu’est-ce que le bien commun ? Nous avons tenté de répondre à ces questions dans notre récent <a href="https://www.nouvellecite.fr/product/128505/l-entreprise-et-le-bien-commun/">ouvrage</a>, <em>L’entreprise et le bien commun</em>, (Nouvelle Cité, 2022)</p>
<p>À première vue, le bien commun se rapproche des notions constitutives de l’intérêt commun : intérêt social ou intérêt de l’entreprise. Ces notions juridiques visent à éviter des comportements abusifs fondés sur des intérêts personnels distincts de l’intérêt collectif. Cependant, la notion de bien commun va plus loin : elle cherche certes à empêcher le sacrifice de l’intérêt collectif au nom d’un intérêt individuel, mais elle s’efforce également d’allier poursuite du bien communautaire et poursuite du bien personnel.</p>
<p>En d’autres termes, la recherche du bien commun commence par une prise de conscience de l’intérêt commun. Parce que la poursuite de l’intérêt commun nous aide à nous libérer d’une focalisation sur nos intérêts individuels, il y a dans l’intérêt commun l’amorce d’une démarche ascendante. Mais la notion d’intérêt commun présente un risque, celui d’une focalisation sur les intérêts économiques d’une catégorie d’individus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lentreprise-et-le-bien-commun-191885">Bonnes feuilles : « L’entreprise et le bien commun »</a>
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<p>C’est là que la perspective du bien commun se révèle pertinente : elle invite les individus, quels qu’ils soient, salariés, associés, clients, partenaires, peut-être même concurrents, à dépasser leurs intérêts catégoriels en s’interrogeant sur la possibilité de créer ou de rejoindre une communauté de travail. Pas n’importe quelle communauté de travail, une communauté à la fois soucieuse 1) de répondre aux besoins réels de la société, et 2) de porter attention aux besoins personnels de chacun des membres de la communauté.</p>
<h2>Une nouvelle définition juridique comme tremplin</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1173&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1173&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1173&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« L’entreprise et le bien commun », de Sandrine Frémeaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nouvellecite.fr/product/128505/l-entreprise-et-le-bien-commun/">Nouvelle Cité, 2022</a></span>
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</figure>
<p>La communauté parfaite n’existe pas, certes. Elle est en construction permanente et ne se fortifie que par nos actions, nos efforts pour la faire vivre. Il n’y a pas d’entreprise du bien commun sans une quête partagée du bien commun. Mais pour que cette quête du bien commun soit rendue possible, il faut encore que les règles, en particulier les règles du droit de l’entreprise, soient ainsi faites que nous pouvons percevoir l’orientation éthique qu’elles délivrent.</p>
<p>Comme l’énonçait dès 1949 la philosophe Simone Weil dans <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-enracinement"><em>L’enracinement</em></a>, les règles doivent être « assez stables, assez peu nombreuses, assez généreuses pour que la pensée puisse se les assimiler une fois pour toutes ».</p>
<p>En faisant référence à la quête du bien commun, la définition juridique de l’entreprise pourrait devenir un tremplin à des actions dont l’utilité économique, sociale et écologique ne ferait aucun doute. Elle soutiendrait l’émergence ou la réorientation d’activités permettant de répondre aux besoins réels et non artificiels de la société tout en donnant sens aux actions des différentes parties prenantes, investisseurs et travailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Frémeaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La codétermination en entreprise pourrait être renforcée par une évolutiuon du droit qui définirait clairement des notions comme la structure sociétaire ou encore le bien commun.Sandrine Frémeaux, Professeur, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1911972022-09-27T20:00:51Z2022-09-27T20:00:51ZAssocier les salariés à la gouvernance d’entreprise, une invention française (et pas allemande)<p>Par une étrange ironie de l’histoire, la France semble aujourd’hui se réconcilier, notamment via la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) <a href="https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte">promulguée en 2019</a>, avec une tradition séculaire, historique, vivace et qui a fondé un des piliers de notre système de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gouvernance-23847">gouvernance</a>. Alors que la vision financiarisée de l’entreprise exclut par principe et <em>sui generis</em> les salariés, les évolutions les plus récentes des entreprises permettent en effet de <a href="https://ideas.repec.org/a/dij/revfcs/v22y2019i1p63-88..html">réhabiliter la présence des salariés au cœur de la gouvernance</a>.</p>
<p>Avec la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a>, la codétermination, c’est-à-dire la détermination <em>en commun</em> des décisions par les salariés et les actionnaires, se manifeste concrètement par la participation, au sein du conseil d’administration ou de surveillance de représentants désignés par les salariés.</p>
<p>Ainsi, les articles <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000042012257/">184</a> à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000038497812">186</a> de la loi Pacte (à la suite de la loi Rebsamen de 2015) rendent obligatoire et renforcent la présence des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance dans les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (Société anonyme et Société en commandite par actions de plus de 1 000 personnes en France ou 5 000 personnes en France et à l’étranger). La loi introduit la présence d’un administrateur salarié lorsque le conseil compte jusqu’à 8 administrateurs, et de deux administrateurs salariés au-delà de ce seuil qui était jusqu’alors fixé à 12 administrateurs.</p>
<p>Cela n’est pas sans rappeler les systèmes germaniques et nordiques d’association des salariés à la gouvernance regroupés sous le terme de codétermination. Pourtant, cette idée d’impliquer les salariés dans la gouvernance émerge en France dès 1945, soit 30 ans avant la généralisation de ce modèle en Allemagne (1976), qui sert très souvent de point de référence historique sur le sujet. La participation des salariés figure d’ailleurs au <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">huitième alinéa du préambule de la Constitution</a> française du 27 octobre 1946 :</p>
<blockquote>
<p>« Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »</p>
</blockquote>
<p>Certes, le système allemand fait figure de modèle incontournable mais peu de personnes savent que la France a développé après-guerre une école de pensée autonome et novatrice dont les influences sont (partiellement) traduites dans les dernières lois qui permettent aux salariés de participer à la gouvernance et donc à l’orientation de leur entreprise.</p>
<h2>Dépasser la conflictualité</h2>
<p>Les prémisses proviennent de courants aussi différents que le socialisme utopique et le catholicisme social au XIX<sup>e</sup> siècle ou encore le mouvement coopératif au début de XX<sup>e</sup> siècle. Ces courants ont un peu plus tard influencé le général de Gaulle lorsqu’il a développé l’idée d’association du capital et du travail dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’association, cette troisième voie qu’il appelait de ses vœux était censée permettre d’éviter une fracture de la société.</p>
<p>L’association est ensuite devenue la participation des salariés (mise en place entre 1959 et 1967) qui comprenait trois volets : la participation au capital au travers de l’actionnariat salarié, la participation aux profits évoquée ces derniers mois avec le débat sur le dividende salarié et enfin, la participation aux décisions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-participation-des-salaries-ameliore-le-pouvoir-dachat-et-limite-la-financiarisation-des-entreprises-181531">La participation des salariés améliore le pouvoir d’achat… et limite la financiarisation des entreprises</a>
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<p>Nous avons montré dans un <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/reforme-lentreprise-modele-francais-codetermination">ouvrage</a> récent que différents textes ou ouvrages jalonnent notre histoire de celui de l’ex-ministre du Travail Paul Bacon (1946) à la loi Pacte (2019). Ils convergent autour d’une réflexion : la « Réforme de l’entreprise ». À la différence des pensées marxistes ou collectivistes, l’ambition n’est pas de renverser l’entreprise capitaliste. L’idée est plutôt de la faire évoluer vers un modèle dépassant la conflictualité pour fonder une organisation plus équilibrée et respectueuse des parties prenantes internes. Une forme de préfiguration des travaux ultérieurs sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale de l’entreprise</a> (RSE).</p>
<h2>Propositions enterrées</h2>
<p>Cette « Réforme de l’entreprise » connut son apogée en 1975 avec le comité et le rapport sur le sujet confiés au haut fonctionnaire Pierre Sudreau par le président Valéry Giscard d’Estaing. Pierre Sudreau réunit un comité qui rassemble tous les partenaires sociaux pour travailler à un véritable projet de réforme de l’entreprise.</p>
<p>Il réussit le tour de force de réunir et de faire travailler ensemble tous les représentants des partenaires sociaux, sans exception, pour proposer des réformes novatrices de l’entreprise. Le comité rédige un <a href="https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1976_num_28_4_16781">rapport</a> comprenant 69 propositions de réformes dont la modernité est plus que frappante. Le rapport est très attendu et est même un succès de librairie : il se vend à plus de 200 000 exemplaires.</p>
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<p>La proposition la plus médiatique est la cosurveillance. Ce terme désigne une forme allégée de codétermination avec des conseils d’administration ou de surveillance composés de salariés pour un tiers. Un an avant l’implantation d’un système similaire en Allemagne, la France manque ce rendez-vous historique puisque le rapport Sudreau comme ses propositions seront enterrés. Seule la <a href="https://www.doctrine.fr/l/texts/lois/JORFTEXT000000339023">loi Beullac de 1977</a> sur le bilan social constituera la traduction d’une de ces 69 propositions.</p>
<p>La cosurveillance proposée par le rapport Sudreau n’a pas été adoptée pour plusieurs raisons liées à la conjoncture économique et politique. En 1975, l’économie française entre en récession avec une croissance du PIB négative pour la première fois depuis 30 ans. Les désaccords au sommet de l’État qui culmineront avec la démission de Jacques Chirac de son poste de premier ministre en 1976 ne sont sans doute pas étrangers aux changements de priorités. L’absence d’un réel soutien politique a ainsi relégué la cosurveillance au second plan au moment où l’Allemagne généralisait ce système en 1976.</p>
<h2>Communauté humaine</h2>
<p>Oubliée pendant quarante ans, la codétermination a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/05/la-codetermination-est-une-idee-porteuse-d-avenir-qui-doit-trouver-sa-place-dans-la-loi_5196511_3232.html">resurgi dans le débat public</a> ces dernières années. Elle partait d’une réflexion sur la nature de l’entreprise, une entreprise analysée comme une communauté humaine. Cette analyse fait aujourd’hui défaut pour comprendre les problèmes de recrutement et de fidélisation que traversent les entreprises. Le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-cours-du-college-de-france/le-travail-n-est-pas-une-marchandise-contenu-et-sens-du-travail-au-XXIe-si%C3%A8cle-par-alain-supiot-4554405">travail n’étant pas une marchandise</a>, il ne peut être dissocié de la personne qui le réalise qui éprouve un besoin naturel de participer à la définition de sa finalité. Cela est d’autant plus vrai pour les entreprises où le travail est le principal ingrédient de leur valeur.</p>
<p>Au sein de cette communauté humaine, le travail n’est pas une partie prenante comme les autres mais une partie prenante constitutive de l’entreprise. Par une pirouette de l’Histoire, au regard de la prédominance des sujets de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou de durabilité, la place des salariés n’est désormais plus fondamentalement remise en cause comme dans les années 1970 ou 1980.</p>
<p>Les crises successives, tant financières que sociétales, du début du XXI<sup>e</sup> siècle ont en effet révélé la responsabilité des entreprises et par conséquent de son mode de décision et sa gouvernance. L’entreprise est tenue responsable vis-à-vis de ses parties prenantes et, parmi ces parties prenantes, les salariés jouent un rôle de premier plan.</p>
<p>Les conclusions des rapports qui ont précédé la loi Pacte, de nombreux rapports internationaux et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2018-2-page-181.htm">vont dans ce sens</a> : elles préconisent sans ambiguïté la participation des salariés à la gouvernance. Ce même raisonnement qui était au cœur du courant français de la réforme de l’entreprise, il y a près de 40 ans…</p>
<h2>Extension de la loi Pacte</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « La réforme de l’entreprise : un modèle français de codétermination », par Nicolas Aubert et Xavier Hollandts" src="https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« La réforme de l’entreprise : un modèle français de codétermination », par Nicolas Aubert et Xavier Hollandts (2022).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Presses universitaires d’Aix-Marseille</span></span>
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<p>Quelle perspective s’ouvre dans les prochaines années ? Si l’on considère que la loi Pacte préfigure des tendances à venir, on devrait en toute logique assister à une généralisation de la codétermination. Son extension était d’ailleurs prévue dans la loi après une <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/comite-de-suivi-devaluation-de-loi-pacte-deuxieme-rapport">évaluation du dispositif actuel réalisée par France Stratégie</a> en 2021.</p>
<p>L’extension de la codétermination aurait pour conséquence que les salariés soient de plus en plus présents au sein des conseils d’administration ou de surveillance de plus en plus d’entreprises. Une telle extension pourrait également concerner les petites et moyennes entreprises (PME) à l’avenir et non plus seulement les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) comme à l’heure actuelle.</p>
<p>L’approfondissement de la codétermination alignerait le modèle de gouvernance sur le modèle allemand. Parmi les autres pays européens, plus de la moitié associent les salariés aux conseils avec des nuances diverses. La codétermination est ainsi analysée comme la <a href="https://riodd.net/colloque-college-des-bernardins-paris-16-17-mars-2018-gouvernement-participation-et-mission-de-lentreprise/">forme normale du gouvernement d’entreprise</a>. Le Danemark le prévoit par exemple pour les PME.</p>
<p>Dans les grandes entreprises allemandes de plus de 2000 salariés, les conseils de surveillance sont pour moitié composés de salariés. Ces particularités interrogent sur la constitution d’un véritable régime européen de codétermination qui ferait figure de modèle très avancé, largement alimenté par des courants historiques puissants dont l’objectif était bel et bien de réformer l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle développait l’idée d’une meilleure association du capital et du travail dans le but d’éviter une fracture de la société.Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolNicolas Aubert, Professeur des Universités en Finances, IAE, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1866922022-07-12T18:30:37Z2022-07-12T18:30:37ZAvant la loi Pacte, une forme de raison d’être existait déjà dans les marques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473228/original/file-20220708-18-q9zmu3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C4%2C1020%2C685&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche de publicité espagnole pour le yaourt Danone, en 1919.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Affiche_yoghourt_1919.JPG">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Même si elle quitté l’actualité car <a href="https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte">promulguée en 2019</a>, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> a constitué une innovation radicale. Elle institutionnalise une nouvelle catégorie d’entreprises dites « <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-a-mission-50865">à mission</a> », liées par des engagements et une gouvernance à même d’évaluer la réalisation de ceux-ci.</p>
<p>Trois ans après il est possible de tirer les premières leçons de sa mise en œuvre. L’impact de cette loi est indéniable : il va au-delà du nombre d’entreprises qui inscrivent un objet social élargi dans leurs statuts ou – étape ultime – adoptent les engagements et la gouvernance du statut d’entreprise à mission. Mais la consultation des sites corporate des entreprises du CAC 40, dont une minorité est « à mission », révèle qu’elles présentent toutes leur « raison d’être », « purpose » ou « vocation ».</p>
<p>Certes la plupart le font de façon déclarative, donc non contraignante. L’essentiel reste que la raison d’être de l’entreprise fait son chemin dans le vocabulaire des comités exécutifs. Cela signifie l’irruption du long terme et du sociétal dans les réflexions et choix stratégiques des entreprises. Démarche authentique ou plutôt « purpose washing » ? La recherche académique devra répondre à cette question.</p>
<p>Nous abordons ici un autre problème, inattendu, posé aux entreprises : faire cohabiter cette nouvelle raison d’être – de l’entreprise – et une autre raison d’être, antérieure et connue – celle de la marque. Le législateur n’avait pas anticipé que la notion de raison d’être était déjà ancrée dans le management de marque, mais avec pour finalité la différenciation et désirabilité dans un marché et non la vertu.</p>
<h2>La raison d’être, un concept indéfini</h2>
<p>Chose paradoxale, la loi Pacte ne fournit pas de définition précise de la raison d’être. Elle laisse aux entreprises une liberté de formulation, d’étendue du concept. Elle indique néanmoins la philosophie sous-jacente en opposant la « raison d’être » à la « raison d’avoir », renvoyant ainsi à une vieille opposition morale, au conflit traditionnel du partage des richesses, au cœur du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/capitalisme-23342">capitalisme</a>, devenu saillant par la financiarisation des décisions motivées par les intérêts des seuls actionnaires. La raison d’être manifesterait la préoccupation du capitalisme de devenir vertueux car soucieux d’un autre enjeu, celui du futur environnemental et social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/danone-ou-lultime-paradoxe-de-la-societe-a-mission-157905">Danone, ou l’ultime paradoxe de la société « à mission »</a>
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<p>Le caractère indéfini de la notion de raison d’être explique la variété de formulations constatée à ce jour. Ainsi entreprises à mission, la banque Crédit Mutuel Alliance Fédérale définit sa raison d’être par la devise « Ensemble, Écouter, Agir », le groupe de cosmétiques Yves Rocher se mobilise pour « Reconnecter ses communautés à la nature », le géant de l’agroalimentaire Danone veut « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », l’assureur Maif croit que « seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun », etc.</p>
<p>Plus prosaïquement, l’enseigne Nature et Découvertes définit sa raison d’être comme « offrir des solutions concrètes – produits et expériences – à tous ceux qui veulent changer leur mode de vie ». La Camif, aménagement local et durable de la maison, veut « Changer le monde de l’intérieur ».</p>
<p>Malgré la diversité des styles, depuis la devise jusqu’à l’exposé de convictions profondes on peut classifier ces raisons d’être selon un axe allant de la redéfinition du métier, du besoin auquel on répond de façon concrète, jusqu’à l’énoncé d’une utopie sociétale ou environnementale.</p>
<h2>Raisons d’être de la marque</h2>
<p>Nouvelle pour la loi Pacte, la notion de raison d’être de marque n’est pourtant pas une nouveauté. Le management de marque a depuis <a href="https://www.koganpage.com/product/the-new-strategic-brand-management-9780749465155">longtemps reconnu le besoin de spécifier ce qui fonde l’existence</a> de la marque, comme nous l’expliquions il y a dix ans dans <em>The New Strategic Brand Management</em>.</p>
<p>La raison d’être de marque figure en tête de toute plate-forme de marque, ce document stratégique qui résume comment l’entreprise veut être perçue pour se développer et asseoir sa désirabilité dans le marché par rapport à ses concurrents.</p>
<p>Quels sens la raison d’être de la marque a-t-elle pris ?</p>
<ul>
<li><p>En premier lieu la raison microéconomique pour laquelle la marque fut créée. Ainsi la majorité des profits du secteur automobile provenant du segment premium, il était vital pour PSA (devenu Stellantis) de créer une <a href="https://business-crunch.com/la-ds-se-separe-de-citroen-et-devient-une-marque-a-part/">marque premium</a> et donc de dissocier DS de Citroën à cette fin.</p></li>
<li><p>Nous expliquions dans <em>Ré-inventer les marques</em> (Eyrolles, 2013) que la marque étant une mémoire, on puise aussi dans son histoire les <a href="https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782212555448/re-inventer-les-marques">faits, convictions, intuitions</a> qui ont contribué à sa naissance. Ainsi Isaac Carasso créa Danone convaincu dès 1919 des bienfaits des probiotiques pour la santé. Il en alla de même de l’économiste et homme politique prussien Friedrich Wilhelm Raiffaisen, l’initiateur en 1882 du Crédit Mutuel qui se fonde sur la solidarité entre sociétaires (et non les actionnaires). Yves Rocher créateur en 1959 de l’entreprise éponyme était mû par la conviction profonde des bienfaits de l’insertion dans la nature.</p></li>
<li><p>Dépassant le concept un peu statique et figé d’identité de marque, plusieurs auteurs ont préconisé d’inscrire la marque dans une finalité dynamique : ce qui manquerait au marché si la marque n’existait pas (donc sa raison d’exister), le besoin des clients auquel jusqu’alors il n’était pas répondu, le problème non résolu, voire le « big ideal », c’est-à-dire son but sociétal élargi, à l’image de l’enseigne de distribution d’articles de sport Decathlon, qui « démocratise le sport ».</p></li>
</ul>
<p>Depuis 2009, suite au succès du livre du conférencier américano-britannique Simon Sinek, toutes les marques désormais formulent leur « why ? » (pourquoi ?), ce que l’on appelait avant « leur intense nécessité » dans leur plate-forme de marque.</p>
<h2>La vertu et le désir</h2>
<p>Quel rapport faire alors entre ces deux raisons d’être, d’entreprise et de marque ? Rappelons leurs différences.</p>
<ul>
<li><p>La raison d’être de l’entreprise se veut long termiste, tournée vers le futur de la société dans son ensemble, dont l’entreprise désire être un acteur majeur pérenne. Les engagements associés à cette raison d’être concrétisent les chemins vers ce but. Cette raison d’être embarque en premier lieu les employés, puis les fournisseurs, citoyens, en dernier les consommateurs.</p></li>
<li><p>La raison d’être de marque nourrit les attributs et valeurs qui feront la différence/préférence par rapport aux concurrents dans le même marché. Quelle est la raison d’être des constructeurs Peugeot, Citroën et Opel face aux Renault, Nissan ou Toyota ? Elle se nourrit de son histoire, son ADN mais surtout de la compréhension fine des attentes changeantes des clients, auxquelles la marque veut répondre mieux que quiconque.</p></li>
</ul>
<p>Comment alors articuler ces deux raisons d’être ? La première doit-elle remplacer l’autre désormais ou attendre un alignement strict ou simplement une cohérence ? C’est la question concrète que découvrent les entreprises depuis 2019.</p>
<p>Naturellement, les marques étant le bras de l’entreprise, la raison d’être de l’entreprise contraint sa ou ses marques en indiquant la perspective dans laquelle elles doivent se situer à long terme. Mais inscrite aux statuts elle fige dans le temps alors que la marque doit être agile et réactive, à l’affût de changements affectant les préférences des clients. L’une ne remplace donc pas l’autre. La vertu recrute sûrement les talents et suscite la bienveillance des parties prenantes mais fait-elle gagner des parts de marché ? Là encore, la recherche académique devra analyser la performance commerciale et financière des entreprises à mission comparée à celles qui ne le sont pas ce qui ne veut pas dire qu’elles ne se préoccupent pas du futur.</p>
<p>En outre, la raison d’être à vocation sociétale va devenir une obligation pour l’ensemble des entreprises, et donc de moins en moins différenciatrice, ce qui est la première fonction de la marque. Si elle prolifère, cette raison-là deviendra donc un « océan rouge » c’est-à-dire en évoluant dans un marché extrêmement concurrentiel ». A la marque de trouver l’inverse, son « océan bleu » !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186692/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Noël Kapferer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La recherche en marketing a démontré il y a longtemps l’existence du besoin pour l’entreprise de spécifier ce qui fonde l’existence de la marque.Jean-Noël Kapferer, Professeur émérite de marketing, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1727892022-01-04T19:07:57Z2022-01-04T19:07:57ZLa représentation de l’intérêt général en entreprise, un modèle qui reste à trouver<p>Depuis quelques années, à la faveur du développement du concept de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), la question de la « démocratisation » de l’entreprise devient celle de la représentation légitime de l’intérêt général dans l’entreprise. Mais comment représenter cet intérêt général dans la gouvernance dans l’entreprise ?</p>
<p>C’est une question qui est aujourd’hui au cœur à la fois de la <a href="https://www.omneseducation.com/2021/11/16/seminaire-annuel-de-recherche-lentreprise-du-21eme-si%C3%A8cle-au-service-de-linteret-general/">recherche en RSE</a>, des <a href="https://www.te.minesparis.psl.eu/societes-a-mission/">efforts du législateur</a> et des nouvelles pratiques des entreprises. On peut citer par exemple la <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/dans-les-entrailles-de-la-cour-supreme-de-facebook-1306784">« cour suprême »</a> lancée fin 2020 par Facebook pour la modération des comptes, ou encore la création de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000038496249">société à mission</a> en France par la loi Pacte de 2019.</p>
<p>Cependant, cette question de la représentation de l’intérêt général dans la gouvernance des entreprises n’est <a href="https://businesscorporation.sites.uu.nl/people/work-in-progress/">pas totalement nouvelle</a>.</p>
<h2>De la corporation à la loi Pacte</h2>
<p>Ainsi, jusqu’au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle les régimes spéciaux d’incorporation aux États-Unis et en Angleterre ne sont accordés par le politique que pour des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/beyond-public-and-private-toward-a-political-theory-of-the-corporation/23BF8CB7FBBFC1BE29C5771A887862A9">missions d’intérêt général</a>, souvent sous forme de monopole. Ce régime s’accompagne en théorie d’un pouvoir de contrôle de l’État, mais celui-ci n’est pas ou peu exercé. Puis tout cela périclite, ce système étant <a href="https://ora.ox.ac.uk/objects/uuid:061223ec-be77-4c78-9760-b97daa20fb54">critiqué pour son coût, son manque d’efficacité</a>, et le <a href="https://www.amacad.org/publication/american-corporation">clientélisme politique</a> induit.</p>
<p>Le régime d’incorporation est alors ouvert, s’appliquant à toutes les entreprises, avec une interprétation progressive de l’intérêt de la société comme priorité donnée à la maximisation de la valeur actionnariale. En conséquence, la gouvernance actionnariale, dans les limites de la loi, s’impose comme équivalent de gouvernance indirecte pour l’intérêt général.</p>
<p>Puis les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/joms.12660">externalités négatives</a> que ces entreprises génèrent, tels les dommages environnementaux ou sociaux, et les inévitables <a href="http://revue-philosophie-economique.com/num/2015-2-vol-16/responsabilite-sociale-des-entreprises-un-sursaut-ethique-pour-combler-un-vide-juridique/">lacunes du droit</a>, par exemple dans le domaine de la fiscalité, ont réactivé à partir des années 1990 l’idée d’une responsabilité sociale étendue de l’entreprise. Est ainsi remise sur la table la question de l’intérêt général, et de sa représentation dans l’entreprise.</p>
<p>Encore récemment, l’éviction d’Emmanuel Faber de la direction de Danone <a href="https://theconversation.com/danone-ou-lultime-paradoxe-de-la-societe-a-mission-157905">sous la pression de fonds activistes</a> récemment entrés au capital, a marqué les esprits. L’ancien patron avait en effet fait de la RSE l’un des marqueurs de sa présidence, mais pour les actionnaires, qui avaient d’ailleurs approuvé que l’entreprise se dote du statut de société à mission quelques mois plus tôt, l’argument de la sous-performance du cours boursier par rapport à ses concurrents du secteur agroalimentaire l’emportait dans la décision.</p>
<p>Alors où en est-on, aujourd’hui, de la réflexion sur la représentation de l’intérêt général dans l’entreprise ? La première idée, c’est la piste traditionnelle de l’entreprise codéterminée, de représentation à 50 % des salariés dans les conseils de surveillance, lancée dans l’après-Seconde Guerre mondiale en Allemagne et étendue modestement ailleurs en Europe.</p>
<p>Ce système a toutefois montré certaines limites, comme l’a illustré le scandale du « dieselgate » chez le constructeur allemand Volkswagen qui a éclaté en 2015. Cette forme d’entreprise codéterminée n’a en effet pas permis d’éviter <a href="https://theconversation.com/scandale-volkswagen-la-justice-americaine-va-t-elle-bouleverser-les-comportements-des-managers-103153">l’utilisation de logiciels frauduleux</a> pour masquer une partie des émissions de particules lors des tests d’homologation. Indépendamment de cette affaire, les intérêts légitimes des salariés ne se confondent pas forcément avec l’intérêt général.</p>
<h2>Mieux surveiller le respect de l’intérêt général</h2>
<p>Quelles sont dès lors pistes alternatives ? Une semble aujourd’hui se dégager dans la mise en place de nouvelles formes de comités de surveillance.</p>
<p>Dans le prolongement des sociétés du type « société à mission » en France ou <a href="https://benefitcorp.net/">benefit corporation</a> aux États-Unis, qui affichent un objectif de contribution sociale ou environnementale, il s’agit de créer des instances légitimes et efficaces, dotées des bons pouvoirs, pour contrôler cette mission. La société à mission comprend ainsi un comité de mission et un audit par des organismes tiers indépendants.</p>
<p>Certains chercheurs proposent de façon prospective des sortes de <a href="https://businesscorporation.sites.uu.nl/2020/12/10/246/">comités d’audits de citoyens</a>, pour valider la mission de l’entreprise, et contrôler sa bonne réalisation. D’autres demandent en outre que le statut de public benefit corporation soit rendu <a href="https://fortune.com/2020/09/13/milton-friedman-anniversary-business-purpose/">obligatoire pour les grandes entreprises</a>.</p>
<p>Pour le simple respect de l’intérêt général, par exemple éviter des externalités négatives, mes <a href="https://recherche.inseec.com/en/intellectual-contributions/faculty/sandrineblanc/">travaux de recherche</a> explorent l’idée de ce que j’appelle une « cour constitutionnelle d’entreprise », ou un « conseil de surveillance représentatif de l’intérêt des citoyens » et de leurs droits fondamentaux. Ici, l’instance ne contrôle pas tant la bonne réalisation d’une mission sociale ou environnementale qu’elle ne vérifie que l’activité de l’entreprise n’enfreigne pas d’autres valeurs fondamentales de la société (par exemple, les droits de l’homme).</p>
<p>Dans ce sens, la « cour suprême » de Facebook constitue un <a href="https://www.oversightboard.com/meet-the-board/">conseil de surveillance</a> composé de personnalités visibles politiques, du monde des ONG et du monde académique. Il joue un rôle de contrôle des décisions de Facebook en matière de publication de posts, au regard des exigences parfois en tension, de la liberté d’expression, de la stabilité politique de la démocratie américaine, et de divers droits, à la vie privée ou à la sécurité par exemple. Facebook, en tant que plate-forme, reste moins contraint par la loi qu’un éditeur traditionnel, et a ainsi décidé, sur ces questions, de s’en remettre à ce comité, qui par analogie avec une cour suprême, devrait avoir le dernier mot.</p>
<p>Cette tentative soulève cependant une nouvelle série de questionnements : quel est le pouvoir réel de cette cour au sein de Facebook ? Comment peut-elle traiter le volume de cas ? Comment comprendre cela au regard des révélations récentes par une lanceuse d’alerte sur la <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/facebook/facebook-files-ce-qu-il-faut-retenir-des-revelations-accablantes-de-la-lanceuse-d-alerte-frances-haugen_4796783.html">prise de conscience interne de l’impact négatif</a> de Facebook sur l’intérêt général. Faut-il y voir la volonté de l’entreprise défausser de sa responsabilité ? Ou d’apporter effectivement une réponse légitime ?</p>
<p>Au-delà de ces questions, il s’agit de poser la question : ces instances de contrôle du type cour constitutionnelle d’entreprise sont-elles réellement légitimes ? Ce que peut dire le philosophe sur cette question toute récente, c’est qu’un libéral privilégiera sans doute une cour sur le modèle de Facebook, à savoir un comité d’expert s’assurant du respect de normes fondamentales. En revanche, un démocrate préférera peut-être des audits de parlementaires ou de jurys de citoyens.</p>
<p>C’est pour répondre à cette question de la légitimité que se poursuivent aujourd’hui nos recherches, dans le cadre, par exemple, d’un projet qui inclut un observatoire des sociétés à mission pour évaluer au mieux la mise en œuvre et les résultats dans ces entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172789/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Blanc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les formes de gouvernance qui affichent des missions au-delà de l’objectif de maximisation du profit ou celles qui instaurent une « cour suprême » manquent encore de maturité.Sandrine Blanc, Enseignante-chercheuse en Ethique des affaires et Responsabilité sociale de l'entreprise, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1637512021-07-04T17:17:03Z2021-07-04T17:17:03ZLa société à mission, une influence encore modeste<p>L’introduction du label de « société à mission » avec la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi pour la croissance et la transformation des entreprises</a> (ou loi Pacte) de 2019, vise à inciter les entreprises à s’engager davantage dans des initiatives sociales et environnementales de façon transparente et suivie. C’est aller au-delà de la nécessaire prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux posée par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038589931/">l’article 1833 du Code civil</a> révisé par la même loi. La décision du gouvernement de proposer cette loi devait être une réponse aux attentes et aux pressions des citoyens, des organisations non gouvernementales (ONG) et des partis politiques vers plus de responsabilités sociales et environnementales des entreprises.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409290/original/file-20210701-5437-1pw3bwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://observatoire.entreprisesamission.com/premier-barometre-osam">Observatoire des sociétés à mission</a></span>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://observatoire.entreprisesamission.com/premier-barometre-osam">Observatoire des sociétés à mission</a></span>
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<p>Bien qu’en phase de croissance, le label société à mission reste relativement peu diffusé. La loi Pacte demeure en effet relativement récente. Au 1<sup>er</sup> juillet 2021, <a href="https://observatoire.entreprisesamission.com/societes-a-mission">l’Observatoire des sociétés à mission</a> recensait 202 entreprises ayant adopté ce statut. Fin 2020, elles étaient 88, parmi lesquelles les <a href="https://observatoire.entreprisesamission.com/premier-barometre-osam">deux tiers</a> comptaient moins de 50 salariés. Cela concernait ainsi surtout des entreprises de petite taille. 79 % relevaient des activités de service et 11 % de l’Économie sociale et solidaire.</p>
<p>Pour le moment, les sociétés cotées en bourse semblent faire montre d’un faible intérêt pour ce label. Une des pionnières à avoir opté pour cette qualité, le groupe agroalimentaire Danone, a rencontré quelques difficultés. Son PDG, Emmanuel Faber, a été <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/danone-tourne-la-page-des-annees-faber-1315697">évincé de la direction</a> en mars 2021, n’ayant pas réussi à convaincre les actionnaires que la perte de valeur économique encourue par l’entreprise au cours de son mandat était compensée par ses performances sociétales.</p>
<p>Nos travaux et notre <a href="https://academ.escpeurope.eu/pub/IP%202021-20-FR.pdf">« Impact Paper »</a> publié par ESCP Business School, cherche à comprendre quels sont les avantages et les limites de ce nouveau label pour les entreprises et d’identifier des propositions pour améliorer son efficacité.</p>
<h2>Objectifs hétérogènes</h2>
<p>Le principal défi au moment d’adopter le label de « société à mission » provient du fait que les dépenses pour poursuivre des objectifs de RSE pourraient réduire les profits de l’entreprise et mettre en péril sa soutenabilité.</p>
<p>Toutefois, en faisant des champs social et environnemental un terrain d’innovations et en créant ainsi des avantages compétitifs, de nombreuses entreprises réussissent à réaliser en <a href="https://hbr.org/2011/01/the-big-idea-creating-shared-value">même temps des profits pour l’entreprise et de la valeur sociétale</a>.</p>
<p>Outre le canal de l’innovation, peut-on attendre quelconque incitation à l’adoption du label provenant des consommateurs ? Certes, ceux-ci tiennent de plus en plus compte de valeurs éthiques quand ils font leurs courses ou leur shopping. Ils semblent néanmoins encore une majorité à arbitrer en fonction de la <a href="https://www.editions-ems.fr/livres/collections/societing/ouvrage/479-d%C3%A9-penser-la-consommation.html">défense de leur pouvoir d’achat</a> et de leurs préoccupations personnelles à court terme, plutôt que des valeurs sociétales et de la défense de l’environnement à long terme.</p>
<p>D’ailleurs, si en règle générale l’obtention d’un label par une entreprise apporte la garantie aux consommateurs que l’offre proposée dispose bien de certaines qualités, le processus d’obtention de la qualité de société à mission <a href="https://academ.escpeurope.eu/pub/IP%202021-20-FR.pdf">n’éclaire, lui, pas vraiment</a> sur les conditions de fond nécessaires pour valider la déclaration des entreprises. L’hétérogénéité des objectifs poursuivis par les sociétés à mission ne permet pas d’identifier clairement ce qui est du ressort de la RSE et ce qui ne l’est pas.</p>
<p>Il n’est ainsi pas garanti que la mission soit plus que l’habillage communicationnel d’une intention stratégique dépourvue de volonté réelle de création de valeur sociétale. Cela limite par là même la légitimité et l’avantage que les entreprises peuvent tirer de l’adoption de la qualité de société à mission.</p>
<p>Même quand les entreprises peuvent compter sur une demande croissante des consommateurs, elles rencontrent parfois des limites à la satisfaire en raison de leurs contraintes technologiques et organisationnelles. Parfois, l’intégration du développement durable dans les anciens modèles peut être fortement déstabilisante pour les entreprises et elles doivent <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.p20151072">investir de façon plus proactive</a> dans les nouvelles initiatives à valeur partagée.</p>
<p>Face à ce type de blocages, devenir société à mission ne peut avoir qu’une influence modeste. C’est pourquoi l’adoption du label s’avère plus facilement envisageable pour les PME et les start-up plutôt que pour les grandes entreprises pour lesquelles se posent aussi des problèmes de gouvernance, comme l’a montré le cas Danone.</p>
<h2>Une gouvernance peu remaniée</h2>
<p>L’actualité récente indique que les initiatives RSE des entreprises, comme leur capacité d’innovation et de création de valeur, peuvent rencontrer des limites à cause de leurs actionnaires. Ceux-ci exigeraient des dividendes très élevés, <a href="https://hbr.org/2014/09/profits-without-prosperity">aux dépens d’autres parties prenantes</a> – dirigeants ou salariés – voire des investissements en R&D.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Notat-Senard</a> qui a servi de base à la loi Pacte, pareils cas peuvent se présenter en France. Pour les éviter, les auteurs proposaient de modifier la gouvernance de l’entreprise en faveur des salariés. Les réformes de la gouvernance prévues par la loi paraissent cependant très modestes et non susceptibles de modifier significativement les relations de pouvoir dans les entreprises.</p>
<p>Les salariés et leurs représentants devraient être associés à la prise de décisions et le management être capable de les amener à partager la mission et à renforcer ainsi leur adhésion. Or, selon le baromètre 2019 de la raison d’être, plus des deux tiers des salariés voyaient dans la désignation du sens que les entreprises donnent à leurs activités « une opération de communication » et pour plus des trois quarts, c’est surtout un sujet important pour les clients.</p>
<p>Il y a là des pistes d’amélioration. Les critères d’obtention du label, qui pourrait par ailleurs être confié à un organisme autonome, semblent également à revoir. Notons enfin que l’intervention directe de l’État reste incontournable, notamment en ce qui concerne la défense de l’environnement, pour les entreprises dont le modèle actuel rend difficile le passage au label de société à mission. Des incitations financières finalisées et une taxe carbone à un niveau adéquat restent les principales mesures qui font l’unanimité parmi les experts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163751/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Enrico Colla est membre du Cercle de l'ObSoCo et de l'Académie des Sciences Commerciales</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Catherine Chastenet de Géry et Laurence-Claire Lemmet ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des blocages relatifs aux investissements et aux évolutions organisationnelles nécessaires, mais aussi au comportement du consommateur, freinent l’adoption du label prévu par la loi Pacte.Enrico Colla, Professeur émérite, ESCP Business SchoolCatherine Chastenet de Géry, Enseignant-chercheur en gestion, ESCP Business SchoolLaurence-Claire Lemmet, Professeur associé en droit, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1624732021-06-10T21:57:01Z2021-06-10T21:57:01ZDébat : L’entreprise à mission détourne l’entreprise de sa mission<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/06/05/g7-finances-les-etats-unis-saluent-un-engagement-sans-precedent_6083011_3234.html">récente décision du G7 Finances</a> d’instaurer une taxe mondiale d’au moins 15 % sur les multinationales constitue une occasion de revenir sur la création du statut d’« entreprise à mission ». En effet, la première mission des entreprises dans une économie capitaliste est de contribuer à l’enrichissement de la collectivité, et notamment, au travers de l’impôt, au financement des services publics et des systèmes sociaux.</p>
<p>L’ambition du statut apparu avec la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a>, est de « donner du sens » à l’activité des entreprises, en élargissant leur responsabilité à de multiples parties prenantes, jusqu’à leur attribuer un rôle actif dans des causes sociales ou environnementales.</p>
<p>Se constituer en société à mission est le troisième étage du nouvel arsenal prévu à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038589926/">l’article 1835</a> du Code civil. Une société peut se doter d’une raison d’être, l’inscrire dans ses statuts et devenir société à mission lorsqu’elle met en place un organisme chargé de veiller au respect de cette raison d’être.</p>
<p>Antoine Frérot, PDG de Véolia, premier groupe du CAC 40 à s’être doté d’une raison d’être, a ainsi <a href="https://www.societal.fr/antoine-frerot-une-entreprise-est-prospere-parce-quelle-est-utile">affirmé</a> début mars dans Sociétal, le média du think tank l’Institut de l’Entreprise :</p>
<blockquote>
<p>« C’est parce qu’une entreprise est utile qu’elle est prospère, et non l’inverse ».</p>
</blockquote>
<p>D’économique, la nature des entreprises devient ainsi de plus en plus politique.</p>
<p>Or, comme je l’ai expliqué dans <a href="https://www.hbrfrance.fr/xerfi-100-idees-impertinentes-pour-mieux-manager/">mon dernier ouvrage</a>, et pour inverser l’affirmation d’Antoine Frérot, les entreprises sont utiles parce qu’elles sont prospères. Leur prospérité leur permet de créer des emplois, d’innover, de rémunérer leurs actionnaires, de rembourser leurs dettes, et par-dessus tout de payer leurs impôts. Plus elles engrangent de profits, plus elles doivent être contributives.</p>
<h2>Une légitimité contestée</h2>
<p>Au cours des cinquante dernières années, le capitalisme a démontré une capacité sans équivalent à assurer la prospérité du plus grand nombre. Avec la chute de l’Union soviétique et la libéralisation économique, une part significative de l’humanité a enfin été <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-nombre-de-pays-pauvres-a-ete-divise-par-deux-en-vingt-ans-1026500">sortie de la misère</a>, de la famine et de la maladie.</p>
<p>Cependant, cet élan progressiste a été corrompu par la volonté politique de certains gouvernements, dont ceux de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, qui ont drastiquement <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-triomphe-de-l-injustice-emmanuel-saez/9782021412123">réduit la contribution fiscale des entreprises et de leurs actionnaires</a>. Cette dérive a encore été encouragée par la tolérance à l’égard des paradis fiscaux, ce qui a stimulé l’émergence d’une vaste industrie de l’optimisation fiscale.</p>
<p>Peu à peu, les grandes entreprises ont perdu leur légitimité citoyenne en échappant à l’impôt. Parmi celles-ci, les géants de l’Internet ont notamment démontré l’étendue de leurs <a href="https://academie-des-sciences-commerciales.org/les-gafa-et-leur-strategie-doptimisation-fiscale/">talents pour l’évasion fiscale</a>.</p>
<p>Face à cette désertion, l’image des entreprises s’est dégradée. Puisque leur authentique mission sociale – créer des richesses pouvant être partagées – a été altérée, les critiques se sont élevées pour réclamer qu’elles retrouvent une forme de légitimité citoyenne. C’est ainsi que, peu à peu, encouragée notamment par des courants de pensée catholiques et/ou marxistes, la réflexion sur les entreprises à mission a émergé.</p>
<h2>Conçues pour être rentables</h2>
<p>Or, vouloir donner un rôle politique aux entreprises relève d’une confusion malheureuse entre, d’une part, la création du profit et, d’autre part, son partage. En effet, dire que le rôle premier d’une entreprise est de faire du profit n’est pas une affirmation connotée politiquement, idéologiquement ou philosophiquement : c’est une affirmation technique.</p>
<p>Dans le vaste ensemble des organisations, qui comprend – outre les entreprises – les services publics, les associations, les partis politiques, les syndicats, les armées ou les églises, la seule caractéristique distinctive des entreprises est en effet leur but lucratif. Les entreprises sont par définition des organisations conçues pour être rentables.</p>
<p>Si l’on souhaite conduire un projet social ou politique, il est certainement très pertinent de fonder un parti, un syndicat ou une association, mais si l’on fonde une entreprise, c’est que l’on cherche à créer des richesses. Le partage de ces richesses est bien entendu une question éminemment politique. En revanche, celle de leur création ne l’est pas, à partir du moment où elle s’inscrit dans le respect des lois.</p>
<p>Comme l’a souligné l’économiste Milton Friedman dans son célèbre article <a href="https://www.nytimes.com/1970/09/13/archives/a-friedman-doctrine-the-social-responsibility-of-business-is-to.html"><em>The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits</em></a>, l’entreprise a nécessairement une responsabilité sociale par le fait qu’elle contribue – si elle est bien gérée – à la prospérité de la société. Il compare d’ailleurs les dirigeants qui se découvrent une responsabilité sociale à Monsieur Jourdain qui réalise qu’il fait de la prose sans le savoir.</p>
<p>Pour autant, ce n’est pas à l’entreprise de décider des bénéficiaires de cette prospérité. Les dirigeants d’entreprise ne sont pas des élus politiques. Ils ne doivent pas inféoder l’entreprise à leurs convictions. L’entreprise est le moteur de la prospérité sociale, mais elle ne doit pas devenir son architecte. Or, c’est très exactement l’ambition des entreprises à mission.</p>
<h2>L’impératif du sens</h2>
<p>Chercher à donner un sens à l’activité d’une entreprise est éminemment respectable. Les incitations financières ne se substituent pas à la motivation. Pire, elles finissent par la détruire, en transformant des individus motivés en agents calculateurs et en substituant l’appât du gain à l’implication. Pour assurer la performance d’une entreprise, mais aussi pour garantir l’épanouissement et la santé de son personnel, la quête de sens est absolument nécessaire.</p>
<p>Pourquoi faudrait-il rajouter un surplus de sens à l’activité des entreprises ? à partir du moment où elles ont des clients disposés à acheter leurs offres, les entreprises répondent à une attente. Vendre des yaourts, des assurances ou du papier toilette, vêtir, distraire, transporter, financer ou informer, c’est intrinsèquement utile. Prôner le contraire est soit une pose intellectuelle de mépris du travail, soit l’aveu d’impuissance de dirigeants incapables de motiver leurs équipes.</p>
<p>La première mission d’une entreprise, c’est de faire son métier et de le faire bien, en dégageant une rentabilité qui permettra d’embaucher, d’investir, d’innover, de rembourser ses dettes et de payer ses impôts. Cela n’a rien de facile, c’est déjà admirable d’y parvenir, et cette fierté de l’accomplissement constitue une puissante motivation.</p>
<h2>Une dangereuse dérive</h2>
<p>Depuis la promulgation de la loi Pacte en 2019 qui a modifié l’article 1835 du Code civil, <a href="https://www.entreprisesamission.com/">on dénombre à ce jour plus de 180 sociétés françaises à mission</a> qui se sont dotées d’une raison d’être, dont <a href="https://www.ecommercemag.fr/Thematique/retail-1220/Breves/entreprises-sont-devenues-societes-mission-2020-356582.htm">88 au cours de l’année 2020</a>. Cette raison d’être mobilise, la plupart du temps, des termes à première vue positifs tels que « avenir meilleur » ou « démarche responsable ».</p>
<p>Or, ces affirmations reposent sur des présupposés implicites rarement discutés. Les pires régimes politiques ou religieux de l’histoire n’ont-ils pas systématiquement employé des termes comparables pour justifier leurs ambitions ? De leur point de vue aussi, il s’agissait de rendre le monde « meilleur » et plus « responsable », et l’impératif de leur mission a légitimé leurs exactions.</p>
<p>En fait, ce qu’oublient les défenseurs des entreprises à mission, c’est que leurs opinions n’ont aucune raison d’être partagées par tous et que « meilleur » et « responsable », cela ne veut pas dire la même chose selon le pays, l’industrie ou la culture. Ce qui est « bien » pour les uns peut tout à fait être « mal » pour les autres, et attendre des entreprises qu’elles fassent le « bien », c’est risquer qu’elles se mettent à faire le « mal ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1346495627555983361"}"></div></p>
<p>Derrière ses atours bienveillants et son discours inclusif, l’entreprise à mission constitue une dangereuse dérive. En effet, si l’entreprise devient politique, rien ne dit que les idéaux qu’elle défendra seront partagés par tous, et notamment par ses salariés, ses actionnaires ou ses clients. Par définition, le militantisme est partisan. Par nature, l’engagement politique est discriminant. Par essence, les opinions ne sont jamais unanimes.</p>
<p>Donner une dimension politique aux entreprises, c’est accepter qu’elles puissent se mettre à défendre des idées conservatrices, éventuellement réactionnaires, voire extrémistes. Souhaite-t-on vraiment que les GAFAM, mais aussi Huawei, Aramco ou Gazprom, par exemple, endossent ouvertement un rôle politique en plus de leur pouvoir économique et technologique ? Qui pourrait alors s’y opposer ? Le scandale Cambridge Analytica, qui a vu Facebook s’immiscer dans l’élection de Donald Trump, est là pour nous rappeler ce danger. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, les pires desseins prétendent parfois mener au paradis.</p>
<h2>Deux propositions</h2>
<p>Il serait paradoxal qu’un mouvement issu de la critique de l’entreprise finisse par lui donner un rôle politique qu’elle ne réclamait pas. Une nouvelle fois : laissons aux états, aux législateurs et aux gouvernements la tâche de mettre en place ce qu’est le « mieux » et le « bien ». Utilisons les entreprises pour ce quoi elles sont faites : répondre aux attentes de leurs clients, créer des emplois et financer la puissance publique au travers de l’impôt. Au public de fixer les règles, au privé de les respecter. La véritable raison d’être d’une entreprise, sa véritable mission, c’est d’être profitable.</p>
<p>Bien entendu, cela doit passer par un sursaut collectif à l’encontre de l’évasion fiscale. L’instauration de la taxe mondiale d’au moins 15 % sur les multinationales semble aller dans le bon sens.</p>
<p>Dans cette optique, on peut proposer deux autres pistes, en apparence anodines. D’abord, plutôt que de classer les entreprises selon leur chiffre d’affaires ou leur rentabilité, les magazines économiques devraient publier un classement des entreprises qui payent le plus d’impôts. Gageons que certaines se battraient – parmi lesquelles, espérons-le, les entreprises à mission – pour être les mieux classées. Saine concurrence.</p>
<p>Deuxième piste : la prochaine fois qu’une entreprise publiera sa raison d’être ou adoptera le statut d’entreprise à mission, mettez sa sincérité à l’épreuve en effectuant une simple vérification : est-ce qu’au sein de ses équipes juridiques elle emploie des fiscalistes ? Si oui, c’est que – d’une manière ou d’une autre – elle tente d’échapper à la forme la plus fondamentale de citoyenneté pour une entreprise : payer ses impôts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162473/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Fréry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le statut apparu avec la loi Pacte donnerait aux entreprises un rôle politique qu’elles ne devraient pas avoir, leur vocation sociale étant avant tout de réaliser des profits… et de payer des impôts !Frédéric Fréry, Professeur de stratégie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1579052021-03-29T17:32:17Z2021-03-29T17:32:17ZDanone, ou l’ultime paradoxe de la société « à mission »<p>Avec ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire « Danone », serions-nous en train de vivre le premier crash test du nouveau statut juridique de société « à mission » ? Rappelons que ce statut prévu par la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), entrée en vigueur mi-2019 et qui peut être présenté rapidement comme un moyen de se libérer de l’obsession de la création de valeur pour l’actionnaire, est d’abord conçu comme une « poison pill » (pilule empoisonnée) pour empêcher des prises de contrôle… hostiles.</p>
<p>Le paradoxe dans le cas de Danone – dont pourrait être symptomatique <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/15/danone-les-ferments-de-l-eviction-de-faber_6073176_3234.html">l’éviction du PDG</a> sous la pression de fonds activistes américains récemment entrés au capital et estimant les performances commerciales et financières ainsi que l’évolution du cours de bourse décevantes – réside dans le fait que ce statut d’entreprise à mission, vu comme une sorte de pilule du lendemain pour empêcher les rapports non désirés, pourrait bien accélérer des projets en germe depuis déjà longtemps.</p>
<h2>Une OPA manquée en 1968</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391721/original/file-20210325-13-1xavdsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Antoine Riboud, fondateur et président de Danone (1918-2002).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://u.afp.com/UYGZ">Philippe Bouchon/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour bien comprendre l’affaire, rapide rappel sur l’histoire de Danone. Au milieu des années 1960, BSN (Boussois-Souchon-Neuvesel) n’est pas encore Danone. L’entreprise est spécialisée dans le verre d’emballage et le verre plat. <a href="https://www.lesechos.fr/2015/08/bsn-saint-gobain-lopa-qui-ebranla-le-capitalisme-francais-1107912">L’offre publique d’achat (OPA) lancée en décembre 1968</a> sur l’honorable et historique maison Saint-Gobain par Antoine Riboud fera grand bruit : c’est une première en France et le chiffre d’affaires du très respectable producteur de verre et matériaux est alors 7 fois plus important que celui de BSN !</p>
<p>L’objectif d’atteindre une taille critique mondiale dans l’emballage et le verre échoue avec l’OPA, mais la question de la taille critique restera un problème et un leitmotiv constant dans les activités et stratégies ultérieures du groupe.</p>
<p>Après cet échec, changement de pied avec une idée de génie : dans le développement de l’agroalimentaire d’alors, Antoine Riboud, président de BSN, pressent que le conditionnement va jouer un rôle déterminant. D’où l’idée d’associer au contenant, le verre et le plastique, le contenu. L’entreprise, à l’époque de sa plus large diversification en 1990 sous la conduite de ce même Antoine Riboud, constituera ainsi cinq branches – produits frais, épicerie et biscuiterie, brasserie, champagne et eaux minérales, emballage.</p>
<p>Le groupe n’était internationalisé qu’à hauteur d’un tiers, surtout en Europe, et gérait un important portefeuille de marques, articulant contenant-contenu. La gestion sociale se voulait « avant-gardiste » selon le fameux <a href="https://go-management.fr/wp-content/uploads/2016/07/Discours-dAntoine-Riboud-aux-Assises-nationales-du-CNPF-le-25-octobre-1972-%c3%a0-Marseille.pdf">double projet</a> économique et social lancé par le provocateur Antoine Riboud aux assises du Conseil national du patronat français (CNPF, devenu le Medef) à Marseille en 1972. La culture d’entreprise était centrée sur ce PDG charismatique, des processus organisationnels et des relations humaines fluides.</p>
<h2>Consolidation de l’entreprise</h2>
<p>Toujours proie potentielle d’une OPA en raison de son capital dispersé, le PDG de BSN mit en place la limitation des droits de vote, des « poison pills » imaginatives, comme les obligations à bons de souscription d’actions (OBSA), susceptibles d’être mobilisées en cas de tentative de prise de contrôle. L’entreprise s’est ainsi consolidée par une croissance organique poussée par une forte sensibilité aux besoins des marchés et une stratégie financière affectionnant l’autofinancement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1146651100629667840"}"></div></p>
<p>En 1996, Franck Riboud est nommé PDG – désignation qui confirme alors la robustesse de la gouvernance mise en place par son père – et BSN puis Groupe Gervais-Danone devient en 2009 tout simplement… Danone. Sur la période, une stratégie assumée de positionnement sur les produits « sains » est menée à vive allure, qui conduit à se désengager du <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2005/07/05/avec-mumm-un-retour-au-premier-plan-en-champagne_669553_3234.html">champagne</a> dans les années 1990, de la <a href="https://www.lesechos.fr/2000/03/le-groupe-danone-se-desengage-de-la-biere-en-europe-740242">bière</a> (dont Kronenbourg) en 2000, puis de la <a href="https://www.lefigaro.fr/societes-francaises/2007/10/29/04010-20071029ARTFIG00197-danone-se-separe-des-biscuits-lu.php">biscuiterie</a> (notamment la marque Lu, jouissant pourtant d’une immense notoriété spontanée) en 2007.</p>
<p>Le changement de paradigme est radical. Le groupe adopte dès lors tous les atours du « style » stratégico-organisationnel, largement promu et valorisé par l’industrie financière : recentrage assumé sur le <em>core business</em> (cœur de métier) et développement de marques mondiales et globales ; cessions et désinvestissements (profitables à court terme) des activités jugées non stratégiques (si le groupe ne peut espérer y occuper une position de leader) ; extension géographique vers les marchés émergents (et notamment la Chine…) des deux activités phares : les produits laitiers frais et les eaux minérales.</p>
<p>Totalement focalisé depuis dix ans sur ce qui sera décrit plus tard comme sa « <a href="https://www.danone.com/fr/about-danone/sustainable-value-creation/our-mission.html">raison d’être</a> » (« apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre »), l’évolution stratégique se traduit sur le plan du financement : les rachats d’actions systématiques, en particulier, soutiennent le cours, et les dividendes sont réglés en numéraire.</p>
<p>Avec Emmanuel Faber, c’est d’ailleurs l’ancien directeur financier qui succède en 2014 à Franck Riboud à la direction générale, ce dernier restant quelque temps président avant que le premier ne cumule les deux fonctions… La complémentarité des deux hommes, aux compétences et aux personnalités très contrastées, offrait à n’en pas douter un potentiel supérieur. Emmanuel Faber, aujourd’hui évincé donc, est remplacé par Gilles Schnepp, l’ancien PDG du groupe industriel Legrand.</p>
<h2>L’attaque vient souvent « d’ailleurs »</h2>
<p>Ce bref « retour vers le futur » reste utile pour rappeler qu’un statut de société « à mission » ne signifie pas la poursuite d’un projet d’entreprise qui serait ainsi dégagé de la contrainte de maximisation de création de valeur pour l’actionnaire.</p>
<p>Assurément, quand on n’a d’autres choix pour maintenir son indépendance que de complaire aux attentes des marchés, une bonne vieille logique darwinienne s’applique : celle qui fait que les PDG jugés insuffisamment performants sont remplacés et/ou leurs entreprises prises d’assaut. De tels anciens groupes diversifiés puis recentrés deviennent en effet des proies potentielles particulièrement tentantes, puisque l’essentiel du travail de restructuration a été fait.</p>
<p>Restent alors les seules vraies questions qui comptent aujourd’hui pour l’avenir de Danone : l’entreprise peut-elle rester indépendante ? D’où viendraient les éventuels prédateurs et qui seraient-ils ? Le statut de société à mission paraît-il susceptible de la prémunir de leurs assauts ?</p>
<p>Il est bien sûr impossible de répondre à ce stade à ces trois questions, mais on peut déjà se risquer à verser quelques éléments au débat.</p>
<p>D’abord, l’indépendance du groupe est, aujourd’hui plus encore qu’hier, fragilisée pour les raisons que l’on sait (crise sanitaire, résultats inférieurs aux principaux concurrents, cours de bourse déprimés…) ; c’est d’ailleurs aussi la raison de l’éviction d’Emmanuel Faber. L’avenir dira si les « évolutions organisationnelles », avec le plan « <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/covid-danone-va-supprimer-jusqua-2000-postes-administratifs-dont-400-a-500-en-france-1267328">local first</a> » de restructuration et d’allégement, permettent ici de redresser durablement la barre. Élaboré sans doute pour donner des gages jugés insuffisants par certains actionnaires, ce plan pourrait bien être remisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369212541549879296"}"></div></p>
<p>Ensuite, les éventuels prédateurs ne se bornent pas aux champions les mieux installés du secteur (on se souvient des rumeurs de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoire-de-folles-rumeurs/histoire-de-folles-rumeurs-danone-rachetee-par-pepsi_3542535.html">rachat de Danone par PepsiCo</a>, il y a quinze ans). L’Union européenne joue en effet le rôle pointilleux plus que stratégique de gardien du temps du seul droit de la concurrence, rendant de fait difficile la constitution de champions européens capables de rivaliser avec des groupes soutenus, eux, par les puissances politiques nationales (Chine, États-Unis, etc.).</p>
<p>Le recentrage sur les cœurs de métier, pratiqué jusqu’ici avec zèle par les dirigeants du CAC 40, pourrait ainsi céder la place à de nouvelles diversifications que nombre de groupes étrangers (notamment asiatiques) ont d’ailleurs toujours conservées et qui consacrent le retour en force des conglomérats (le groupe Tata en Inde, par exemple). C’est pourquoi l’attaque vient souvent « d’ailleurs », ainsi que nous l’exposions dès 2002 dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-5-page-57.htm">article de la <em>Revue française de gestion</em></a> qui traitait précisément du cas Danone et qui résonne curieusement 20 ans après.</p>
<p>C’est précisément avec cette idée que la « mission », juridiquement opposable, a aussi été pensée comme arme de dissuasion. C’est sans doute ce qu’avait en tête le patron de Danone en 2020, lorsque le changement de statut juridique a été adopté.</p>
<p>Et c’est là qu’il convient de souligner un dernier point absent des très nombreux commentaires de l’« affaire Danone » : que se passerait-il si, en cas de tentative d’OPA, les missions de la proie comme du prédateur paraissaient soudainement compatibles ? On peut ici faire l’hypothèse que la mission pourrait alors agir comme une manière de provoquer un accouchement en gestation, ou à tout le moins un engendrement inédit rendu possible par les circonstances.</p>
<p>À la lumière de ces trois points, et avec la prudence qui s’impose, on rappellera que la stratégie d’entreprise est comme l’Histoire : intrinsèquement faite de paradoxes. Dans le cas présent, Gilles Schnepp, le nouveau président de Danone est également <a href="https://www.saint-gobain.com/fr/groupe/gouvernance/conseil-d-administration-et-comites">administrateur indépendant</a> de la compagnie de Saint-Gobain depuis 2009, et entre « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre » et « Making the world a better home » (« Faire du monde un meilleur foyer », la <a href="https://www.saint-gobain.com/fr/le-groupe/notre-raison-detre">raison d’être</a> de Saint-Gobain), les synergies de la « mission » et de la « raison » – surtout énoncées de manière aussi large ! – sont fortes.</p>
<p>Ouvriraient-elles alors la porte à l’une ironie de ces histoires de l’Histoire dont le capitalisme « à la française » a le secret, avec une possible « revanche » de Saint-Gobain cinq décennies plus tard ?</p>
<p>C’est en tout cas ce type d’hypothèse qu’invite à instruire la recherche en stratégie et management, par-delà les débats sans fin sur la « financiarisation » vs le « projet économique et social » ou l’incompatibilité par nature entre objectifs de court et de long terme. On notera que seul le regard de longue-vue, mais à hauteur des organisations – qui fait la singularité des sciences de gestion et du management, entendues sur ces thèmes comme une science morale et politique des temps présents – permet d’oser les esquisser, fût-ce de façon apparemment iconoclaste.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs remercient Laurent Faibis, président du l’institut d’études économiques privé <a href="https://www.xerfi.com/qui-sommes-nous">Xerfi</a>, rédacteur en chef de <a href="https://www.xerficanal.com">Xerfi Canal</a> et membre invité du conseil de rédaction de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a> (RFG) pour ses conseils et commentaires qui ont permis d’améliorer très sensiblement les versions antérieures de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Ce statut devait permettre au géant alimentaire de mieux se protéger d’une éventuelle OPA. Une stratégie qui semble s’être retournée contre Emmanuel Faber, récemment évincé de la présidence.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayAlain-Charles Martinet, Professeur émérite en Sciences de Gestion, Management stratégique, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1565442021-03-08T19:40:36Z2021-03-08T19:40:36ZDanone, une illustration des fragilités du statut d’entreprise à mission<p>Le dimanche 14 mars, le conseil d'administration du géant français de l’agroalimentaire Danone a acté <a href="https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/danone-change-de-patron-en-quete-de-meilleurs-profits-cab1faca7729dddeeb5ea3fc8827866e">l’éviction avec effet immédiat</a> de son PDG, Emmanuel Faber. Gilles Schnepp, ex-patron du fabricant de matériel électrique Legrand, lui succèdera à la présidence. Quand à la direction générale, elle sera assurée par le duo intérimaire en attendant de trouver un nouveau directeur général « d'envergure internationale ».</p>
<p>Cette décision, réclamée par des fonds activistes récemment entrés au capital qui reprochaient une trop faible performance du cours boursier, semble aujourd’hui révéler les fragilités du statut d’« entreprise à mission » dont Danone fut la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/danone-veut-devenir-la-premiere-entreprise-a-mission-cotee-en-bourse-20200520">première entreprise cotée à se doter</a>, en mai 2020.</p>
<p>Le cas Danone fait en effet ressortir les impasses et les angles morts de la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a>, promulguée en 2019, qui officialise ce statut d’entreprise à mission et prévoit que l’entreprise puisse également se doter d’une « raison d’être », validée en assemblée générale par les actionnaires.</p>
<p>Ces dispositifs permettent à une entreprise d’affirmer son engagement dans la poursuite d’objectifs qui ne sont pas exclusivement centrés sur une performance économique et financière et visent à répondre aux grands défis qui traversent nos sociétés (mobilité durable, transition alimentaire, énergie propre, etc.). Ils ouvrent la voie vers un capitalisme responsable.</p>
<h2>La menace des fonds activistes</h2>
<p>Comme l’ont très bien montré les chercheurs Rodolphe Durand, Mark Desjardine et Emilio Marti, les <a href="https://www.hec.edu/sites/default/files/2020-06/HEC%20Paris%20-%20les%20fonds%20sp%C3%A9culatifs%20activistes%20-%20Rodolphe%20DURAND.pdf">fonds spéculatifs activistes compromettent</a> la responsabilité sociale des entreprises. Ces fonds interprètent les engagements en faveur de la responsabilité sociale et du développement durable comme des dépenses inutiles qui se font au détriment d’une maximisation des bénéfices pour les actionnaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331826497225682944"}"></div></p>
<p>Les chercheurs montrent également qu’une entreprise cotée qui s’engage sur le chemin de la RSE a deux fois plus de chance d’être ciblée par un fonds activiste. Telle une proie sans défense, les fonds activistes se jettent sur l’entreprise responsable en demandant des changements de stratégie et de gouvernance.</p>
<p>C’est exactement ce qui vient d’arriver à Danone.</p>
<p>Il y a à peine trois mois, les fonds activistes qui ont poussé Emmanuel Faber vers la sortie étaient absents du capital de Danone. Ils n’étaient pas actionnaires. À l’approche de l’assemblée générale, ils sont progressivement montés dans le capital en mettant la pression sur le PDG et le conseil d’administration en mobilisant savamment la presse et les réseaux sociaux. Dans quelques mois, ils auront sans doute déserté pour se concentrer sur une nouvelle cible.</p>
<h2>Mieux protéger les entreprises à mission</h2>
<p>Le cas Danone confirme que, malgré la loi Pacte, certains actionnaires peuvent toujours grandement déstabiliser le projet de durabilité et compromettre les projets des dirigeants comme nous l’avions souligné dans un <a href="https://www.researchgate.net/publication/339028498_La_raison_d%27etre_de_l%27entreprise">essai</a> consacré à la raison d’être de l’entreprise. Trois propositions sont susceptibles de mieux protéger les entreprises à mission cotées.</p>
<p>Tout d’abord, abaisser les seuils de déclaration. Quand un actionnaire franchit un certain niveau dans le capital d’une entreprise cotée (5 % aujourd’hui), il doit faire une déclaration pour indiquer sa présence. Ce seuil doit être abaissé à 1,5 % pour que les dirigeants et le conseil d’administration prennent très tôt la mesure du danger qui les guette avec l’arrivée de fonds activistes.</p>
<p>La deuxième proposition consiste à rendre le droit de vote proportionnel au temps passé. Un fonds activiste présent dans le capital pour quelques semaines a actuellement les mêmes droits de vote qu’un actionnaire engagé depuis plusieurs années dans l’entreprise. On pourrait stipuler que les nouveaux actionnaires d’une entreprise à mission obtiendront la « citoyenneté actionnariale » au bout d’un certain temps. Dans le cas de Danone, les fonds, entrés en début d’année (et qui, étant donné leur mode de fonctionnement habituel, auront probablement déserté dans quelques mois), n’auraient ainsi pas pu contrarier les équipes de Danone dans la poursuite d’objectifs non financiers.</p>
<p>Il s’agit enfin de changer nos critères d’évaluation de la performance. Les ambitions d’une entreprise à mission doivent faire l’objet d’une évaluation d’ensemble avec d’autres indicateurs que le cours de bourse ou le rendement du capital, comme c’est le cas aujourd’hui. De nouvelles normes d’évaluations plus larges doivent s’imposer et en particulier de nouvelles <a href="https://www.cairn.info/comptabilite-financiere--9782100774968-page-288.html">normes comptables</a>.</p>
<h2>Un nouveau chapitre législatif ?</h2>
<p>Le cas Danone pointe certaines lacunes de la loi Pacte et un nouveau chapitre législatif doit s’ouvrir si nous ne voulons pas que les entreprises à mission et la raison d’être ne constituent la dernière ruse d’un capitalisme qui semble à bout de souffle.</p>
<p>Si nous m’aménageons pas la loi Pacte, il y a toutes les chances pour que Danone soit la première et la dernière entreprise cotée à mission.</p>
<p>En effet, cette loi a laissé en friche la question des droits et devoirs des actionnaires. Or, nous savons, comme le dit très justement le chercheur Pierre-Yves Gomez, qu’il ne peut pas y avoir d’entreprises responsables <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-8-page-369.htm">sans actionnaires responsables</a>.</p>
<p>L’ouverture d’une nouvelle réflexion législative devient donc urgente, d’autant plus que, comme le montre le <a href="https://www.entreprisesamission.com/2021/01/21/barometre-de-lobservatoire-des-societes-a-mission/">premier baromètre des entreprises à mission</a>, on observe un réel engouement pour cette nouvelle conception de l’entreprise. Les enjeux de « citoyenneté actionnariale » devraient donc devenir de plus en plus essentiels dans les toutes prochaines années.</p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/388054/original/file-20210305-17-dz8s5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1087&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Bertrand Valiorgue est l’auteur de l’essai « <a href="http://pubp.univ-bpclermont.fr/public/Fiche_produit.php?titre=La%20raison%20d%E2%80%99%C3%AAtre%20de%20l%E2%80%99entreprise">La raison d’être de l’entreprise</a> » publié aux Presses universitaires Blaise Pascal (PUBP) en mars 2020</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156544/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éviction du PDG du groupe français sous la pression de fonds activistes révèle la nécessité de mieux protéger les entreprises qui s’engagent à viser des objectifs autres que financiers.Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1542012021-02-03T20:19:09Z2021-02-03T20:19:09ZPourquoi les entreprises déjà engagées dans la RSE deviennent-elles aussi des « sociétés à mission » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/381971/original/file-20210202-19-kz83rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=231%2C186%2C794%2C600&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Afin d’aller plus loin dans l’affirmation de ses engagements en termes de RSE, la MAIF a acquis le statut de société à mission.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Vincent NGuyen / MAIF</span></span></figcaption></figure><p>Le statut de « société à mission », défini depuis 2019 par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, est censé permettre de redessiner les contours de la contribution de l’organisation qui l’adopte à la société. Cette nouvelle forme d’engagement favorise l’articulation de l’impératif économique aux nécessités sociales et environnementales, et invite les entreprises à appréhender leur <a href="https://www.ademe.fr/expertises/produire-autrement/production-industrielle-services/passer-a-laction/dossier/performance-globale/quest-performance-globale">performance globale</a>.</p>
<p>Depuis que ce dispositif existe, certaines entreprises se sont dotées de ce nouveau statut juridique qui devient ainsi opposable, par exemple, aux actionnaires. Pour ces organisations, cela permet d’aller plus loin dans l’affirmation de leurs engagements en termes de responsabilité sociétale et environnementale (RSE), dont les chartes n’ont pas de valeur juridique.</p>
<p>Dans ce contexte, certaines entreprises qui déclarent placer la RSE au cœur de leurs activités, comme la mutuelle d’assurance <a href="https://www.maif.fr/files/pdf/annexes/adherer-a-la-maif/statuts-maif.pdf">Maif</a>, la société de commerce en ligne <a href="https://www.camif.fr/lesbelleshistoires/la-camif-une-entreprise-mission-la-francaise.html">Camif</a>, ou en encore le fabricant de produits bio <a href="https://corporate-leanature.com/nous-y-croyons/lea-nature-entreprise-a-mission/">Léa Nature</a>, ont récemment franchi le pas.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/381100/original/file-20210128-23-1c6p7qr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« La raison d’être » d’entreprises à mission « bisociées » à la RSE.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ces entreprises, les deux concepts, RSE et « société à mission » coexistent désormais et se renforce même dans certains cas.</p>
<h2>La MAIF, une entreprise « politique »</h2>
<p>À l’origine, la MAIF fut créée en 1934 pour proposer une alternative aux pratiques tarifaires des sociétés d’assurance de l’époque. Au départ, centrée sur les instituteurs, la MAIF a progressivement ouvert la base de son sociétariat et élargi ses offres.</p>
<p>Comme nous l’avons observé dans nos <a href="https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2018-4-page-84.html">travaux de recherche</a>, les évolutions stratégiques successives ont permis aux mutuelles de se différencier de ses concurrents : d’une organisation mutualiste avec objet social vers une responsabilité sociétale affirmée (RSE), celles-ci ont souhaité réaliser une étape supplémentaire dans leur engagement.</p>
<p>Cette singularité s’est même invitée dans les derniers plans stratégiques de la MAIF : engagement dès 2006 dans les objectifs du <a href="http://www.globalcompact-france.org">Global Compact des Nations unies</a>, <a href="https://www.ethifinance.com">évaluation de sa performance par Ethifinance</a> en 2010 ; puis par l’Association française de normalisation (<a href="https://www.afnor.org">Afnor</a>) en 2016, investissements prenant en compte depuis 2019 une analyse des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), etc.</p>
<p>La formulation de sa mission en 2020 engramme cette expertise accumulée et les engagements successifs. De plus, le passage en société à mission ne constitue pas une finalité, mais bien une étape supplémentaire pour représenter sa performance globale dans laquelle celle-ci s’inscrit comme une <a href="https://entreprise.maif.fr/actualites/2019/publication-livre-pascal-demurger">organisation « politique »</a>. Le débat n’entend pas porter sur la primauté d’une démarche sociétale plus qu’une autre (RSE ou « société à mission ») mais plutôt sur l’articulation et la cohérence d’engagements sociétaux recherchées par la MAIF.</p>
<h2>La Camif, « société à mission » depuis… 2017</h2>
<p>Depuis 2009, la Camif a placé la RSE au cœur de son modèle. Pourtant animée par une stratégie de différenciation, sa démarche s’est inscrite rapidement dans la continuité d’un engagement de responsabilité sociale.</p>
<p>Alors qu’elle publie son premier rapport RSE en 2013 et qu’elle obtient la <a href="https://start.lesechos.fr/societe/environnement/comprendre-le-label-b-corp-en-5-questions-1175344">certification BCorp</a> en 2015, la Camif se dote à cette période de ce qui va préfigurer son comité à mission, une « Cellul’OSE ». Cette entité s’assure de l’articulation des orientations stratégiques avec les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de l’entreprise.</p>
<p>La volonté d’être un des acteurs du changement des modes de production et de consommation se concrétise par des actions symboliques qui avaient pris sens dans sa stratégie RSE : transparence sur l’origine des produits et leur lieu de fabrication, fermeture du site Internet pour le Black Friday, plaidoyer pour une TVA réduite pour des produits responsables à impacts positifs, promotion d’une plate-forme pour rénover, réparer ou recycler les meubles, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1335856579858497539"}"></div></p>
<p>Nourrie par sa responsabilité sociale, la Camif avait déjà, dès 2017, inscrit une mission dans ses statuts alors que la loi Pacte n’était pas encore promulguée ! Devenue une société à mission en 2020 conformément aux dispositions légales, la Camif s’inscrit désormais dans une volonté d’organiser au mieux ses actions sociétales à l’aide de sa politique RSE appuyé par sa stratégie d’entreprise à mission.</p>
<h2>Léa Nature « grave dans le marbre » ses engagements</h2>
<p>Léa Nature est une entreprise agroalimentaire spécialisée dans la production de produits naturels et bio. Son leitmotiv est « agir en cohérence pour concilier économie et écologie ».</p>
<p>Depuis plus de 20 ans, Léa Nature s’est construite à travers une durabilité de l’ensemble de sa chaine de valeur. À travers une politique RSE forte, l’entreprise a pu diminuer son impact carbone, optimiser sa consommation énergétique, aider au développement de filières bio locales, etc. Léa Nature a ainsi versé 13,5 millions d’euros à 1 900 projets environnementaux avec le 1 % for the Planet.</p>
<p>L’entreprise a aussi créé la fondation Léa Nature/Jardin Bio dès 2011 afin de sensibiliser à des causes d’intérêt général. Enfin, en 2013 elle a pu obtenir le niveau excellence par <a href="https://www.ecocert.com/fr/home">l’organisme Ecocert</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331183354797027329"}"></div></p>
<p>Pourtant, l’avènement de l’entreprise à mission en 2019 lui a permis d’élargir différemment la soutenabilité de son organisation. « Nous nous sentions déjà entreprise à mission depuis longtemps. La loi nous a juste permis de l’inscrire officiellement ».</p>
<p>Le DG de Léa Nature affirmant que « La loi Pacte nous permet de graver dans le marbre, c’est-à-dire dans nos statuts, notre mission environnementale. Nous essayons d’exercer cette mission au mieux depuis plus de 20 ans. Les engagements environnementaux ne sont plus une option mais une obligation pour nous ».</p>
<h2>Vers une performance globale ?</h2>
<p>Comment les concepts de RSE et société à mission peuvent-ils conjointement aider une entreprise à concevoir et à prendre en charge sa performance globale ? Cette question nécessite d’opérer un développement théorique au regard des pratiques de plus en plus prégnantes à ce stade. Le concept de <a href="https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management-de-l-innovation--9782847698121-page-615.htm">bisociation</a> formulé par l’essayiste Arthur Koestler nous permet d’apporter un éclairage sur les liens que peuvent entretenir société à mission et RSE.</p>
<p>Le lien entre les deux matrices de pensée, l’expertise opérationnelle en RSE et la formalisation de la qualité de société à mission, repose sur l’objectif commun d’une responsabilité élargie de l’entreprise pour réduire des externalités négatives et favoriser des externalités positives. Le lien repose aussi sur l’apport d’une démarche de RSE pour fixer et atteindre les objectifs sociaux et environnementaux que la société à mission aurait formalisés.</p>
<p>Penser par bisociation permet de dépasser les éventuelles mises en opposition des deux approches et la recherche de simples complémentarités ou synergies. Elle permet aussi de mieux comprendre pourquoi les deux concepts coexistent et s’entre-renforcent dans certaines entreprises.</p>
<p>Les trois exemples étudiés montrent avec acuité que les engagements RSE et le statut de « société à mission », loin d’être antinomiques, apparaissent complémentaires. S’emparer du dispositif prévu par la loi Pacte permet même d’affirmer un peu plus la volonté d’améliorer la performance globale visée par ces organisations. Ces exemples peuvent ainsi inspirer d’autres entreprises qui souhaitent renforcer leurs engagements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154201/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Adopter le statut prévu dans la loi Pacte de 2019 renforce la performance globale des organisations affichant depuis longtemps leurs engagements sociaux et environnementaux. Trois cas l’illustrent.Thibault Cuénoud, Professeur associé en Economie, ExceliaPhilippe Schäfer, Professeur associé en sciences de gestion, ExceliaVincent Helfrich, Professeur, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1508482020-11-25T20:43:55Z2020-11-25T20:43:55ZDanone : le statut d’entreprise responsable ne signifie pas s’affranchir de l’exigence des actionnaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/371250/original/file-20201125-20-1u4mvqf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=41%2C55%2C946%2C610&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’entreprise a pour ambition de devenir à terme une «&nbsp;B. Corp&nbsp;» à 100&nbsp;%, une certification traduisant sa volonté de créer de la valeur en la partageant notamment avec les salariés.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ricochet64 / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La nouvelle est tombée le 23 novembre 2020 : entre 1 500 et 2 000 postes seront supprimés chez le groupe agroalimentaire Danone, dont <a href="https://www.lepoint.fr/economie/covid-19-danone-va-supprimer-jusqu-a-2-000-postes-dont-400-a-500-en-france-23-11-2020-2402192_28.php">près de 400 en France</a>. L’annonce faite par son PDG, Emmanuel Faber, est tombée comme un couperet. Elle s’inscrit dans un plan d’adaptation tracé par le patron du groupe d’agroalimentaire français, soucieux de renouer avec la croissance et la rentabilité.</p>
<p>M. Faber a réitéré son objectif d’une croissance des ventes de 3 % à 5 % à moyen terme, mais a dopé son ambition en termes de marge opérationnelle, évoquant désormais une marge comprise entre 15 % et 20 %. Un premier palier a été fixé pour 2022, avec le passage de la barre des 15 %. </p>
<p>En 2020, la rentabilité est attendue à 14 %, alors qu’elle était initialement prévue à 16 %. Pour atteindre ce nouvel objectif, le propriétaire des marques Evian, Vittel, Activia ou Blédina promet de se restructurer. Une telle augmentation de la marge opérationnelle ne se fera pas sans douleur que ce soit pour les salariés comme pour les sous-traitants.</p>
<h2>La première « entreprise à mission » cotée</h2>
<p>Naturellement, une telle annonce tranche avec les objectifs « sociaux, sociétaux et environnementaux » introduits dans les statuts de l'entreprise en juin dernier après un <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Danone-devenu-entreprise-mission-2020-06-27-1201102151">plébiscite des actionnaires</a>. Le groupe était alors devenu la première société française cotée à se doter du statut d’ « entreprise à mission » comme le permet la loi Pacte promulguée un an auparavant. </p>
<p>L'annonce du plan de suppression d'emplois tranche également avec le projet du PDG de transformer Danone en une « B. Corp » à 100% à terme. Cette certification, délivrée à quelque 3 500 sociétés dans le monde par un organisme sans but lucratif localisé aux États-Unis, traduit en effet la volonté de l'entreprise de créer de la valeur en la partageant avec tous, notamment ses salariés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276910298629312517"}"></div></p>
<p>Selon la communication de Danone : </p>
<blockquote>
<p>« Notre ambition de devenir une B Corp exprime notre engagement de longue date à créer durablement de la valeur et la partager avec tous, en ligne avec notre double projet économique et social. Aujourd'hui, les grandes entreprises et leurs marques doivent rendre compte des intérêts qu'elles servent réellement. La certification B Corp est une marque d’authenticité pour les entreprises qui ont des standards élevés de performance sociale et environnementale ».</p>
</blockquote>
<p>Aujourd’hui, 27 entités de Danone ont obtenu la certification B Corp. En conséquence, plus de 45 % des ventes mondiales Danone sont désormais couvertes par la certification B Corp, ce qui représente une avancée significative vers l'ambition de Danone de devenir l'une des premières multinationales certifiées. Mais est-ce que cela met Danone à l’abri de l’exigence de rentabilité des actionnaires ? Visiblement non.</p>
<p>Selon Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière (FO), Danone se comporterait en réalité comme n'importe quelle entreprise capitaliste et ne ferait pas mieux que Brigestone : le fabricant de pneumatiques japonais avait annoncé le 12 novembre la <a href="https://www.20minutes.fr/lille/2906931-20201112-bridgestone-direction-ferme-site-bethune">fermeture de son site de Béthune</a> (Pas-de-Calais) qui emploie 863 personnes.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/syndicats/plan-deconomies-chez-danone-le-gouvernement-doit-interdire-les-licenciements-secs-alors-qu-on-debourse-des-aides-publiques-a-coups-de-milliards-estime-yves-veyrier_4192989.html">interview</a> accordée à Franceinfo, Yves Veyrier s'était étonné que le géant agroalimentaire français soit en difficulté quand il a « versé plus d'un milliard d'euros de dividendes aux actionnaires ». Selon lui, « les entreprises font tout pour favoriser la rentabilité de l'entreprise et Danone est encore plus clair. Il s'agit de rassurer les actionnaires. Il est temps qu'on mette fin à ces attitudes d'entreprises ».</p>
<p>Difficile de ne pas entendre ce que dit le secrétaire général de F0. Danone se retrouve bien entre l’enclume des marchés et sa volonté d’être une entreprise socialement responsable. Mais in fine, le PDG a tranché : il faut rassurer les actionnaires en améliorant sa performance économique et financière. Et cela contrairment de ce qu’il écrivait en 1992 dans son <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48153529.texteImage">livre</a> <em>Main basse sur la cité : Éthique et entreprise</em> : « Pourra-t-on établir un devoir au regard de la performance ? Non, bien sûr, puisque la performance est un sens vide ». </p>
<h2>Moins rentable que ses pairs</h2>
<p>Comme nous le mentionnons dans un précédent article « Et Danone changea de modèle… et transforma ses salariés en actionnaires » en juin 2018, aucun actionnaire connu ne dispose de plus de 10 % du capital et, avec un flottant de plus de 60 %, Danone est une société « opéable », c'est-à-dire particulièrement exposée à un rachat éventuel ; c’est dire si le management doit prendre au sérieux les exigences des actionnaires. À noter que malgré la politique sociale affichée, l’actionnariat salariés reste peu développé : les salariés n’ayant que 1,3 % du capital de leur société. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1008567034668552193"}"></div></p>
<p>En plus de cette dispersion de l’actionnariat, la faiblesse des performances financières de l’entreprise ont conforté ce statut de société opéable de Danone dans les conditions de marché actuelles. L'amélioration de la rentabilité opérationnelle de l’entreprise apparaît dès lors comme une arme de protection contre un éventuel rachat.</p>
<p>Le tableau ci-dessous permet de voir la comparaison faite en 2017 par le hedge fund Third Point en matière de rentabilité globale (<em>Total Shareholder Return</em> : TSR) pour l’actionnaire sur les périodes de 5 et 10 ans des concurrents de Danone.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Third Point Public." src="https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=119&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=119&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=119&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=149&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=149&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371252/original/file-20201125-21-bwyii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=149&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Note : le TSR prend en compte les dividendes versés et la plus-value de l’action.</span>
<span class="attribution"><span class="source">www.thirdpointpublic.com</span></span>
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<p>Selon le hedge fund, si Danone sous-performe à long terme par rapport à ses concurrents, c’est notamment du fait d’une croissance et des marges insuffisantes. La feuille de route apparaît donc clairement.</p>
<p>La performance boursière du titre Danone sur l’année écoulée reste également insuffisante par rapport à l’indice des biens de consommation ; preuve que la contre-performance du groupe agroalimentaire ne s’explique pas que par la crise sanitaire liée au Covid-19. Alors que sur les 12 derniers mois l’indice des biens de consommation a progressé de 12,8 %, l’action Danone a perdu 30,7 %.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371253/original/file-20201125-15-lm3va1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution du cours de Danone par rapport à l’indice des biens de consommation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Boursorama</span></span>
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<p>En un an, le cours de bourse a chuté de 75 euros à un peu plus de 52 euros. Il était temps de réagir pour rassurer les actionnaires. Cependant, le plan dévoilé par le PDG n'a pas convaincu les marchés. À la suite de l’annonce, le titre continuait de baisser, affichant un recul de 2,6 % dans un marché faiblement orienté à la hausse. </p>
<p>Parmi les critiques, on note celles de la banque UBS qui conseillait de vendre, déplorant qu'il faille « attendre le deuxième semestre 2021 pour retrouver la croissance profitable » promise par Emmanuel Faber. </p>
<p>Certains chercheurs se sont interrogés sur le fait que la gouvernance des entreprises privées était <a href="https://hal-mines-paristech.archives-ouvertes.fr/hal-00643704">davantage actionnariale que partenariale</a>. Pour eux, l’explication se trouverait dans une insuffisance du droit des sociétés qui donnerait toujours la primauté aux actionnaires. Ainsi, le statut de B Corp serait une réponse à cette insuffisance. Le cas Danone montre bien que ce n’est pas le cas. </p>
<p>Dans un <a href="https://ideas.repec.org/a/dij/revfcs/v14y2011iq4p7-19..html">article</a> publié en 2011, nous expliquions pourquoi, malgré les critiques, la gouvernance actionnariale reste la référence. Enfin, dans une <a href="https://journals.openedition.org/fcs/1904">recherche</a> plus récente, nous montrions l’impact des actionnaires activistes sur les performances à court, moyen et long terme des entreprises européennes. De facto, et sans intervention manifeste des actionnaires activistes, le patron de Danone a intégré dans son projet de restructuration la demande des investisseurs.</p>
<p>Comme nous l’écrivions à l’époque du changement de modèle de Danone en juin 2018, le fait que Danone devienne une B Corp n’a pas fondamentalement changé l’équation financière auquel toute société cotée et non contrôlée doit résoudre. On concluait en écrivant : « L’avenir nous dira comment Emanuel Faber va pouvoir concilier les exigences des consommateurs et des marchés financiers avec sa volonté de faire en sorte que le but final d’une entreprise est social et sociétal ». Le 23 novembre 2020, nous avons eu la réponse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150848/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le groupe agroalimentaire, dont une partie des activités est certifiée « B Corp », a annoncé vouloir supprimer jusqu’à 2 000 emplois dans le monde pour améliorer sa rentabilité.Michel Albouy, Professeur émérite de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1485402020-10-26T22:16:22Z2020-10-26T22:16:22ZDans l’entreprise libérée, la raison d’être bouscule la dictature du profit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/364686/original/file-20201021-19-1vd52rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C9%2C724%2C486&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises qui laissent les employés prendre les décisions à la place des dirigeants prouvent que l’on peut allier plus de liberté et plus de performance.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/action-analysis-business-collaborate-collaboration-colleagues-595">Pickpic</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, on assiste à un remodelage progressif des modes de gouvernance des entreprises. Les enjeux sociétaux et environnementaux viennent <a href="https://journals.openedition.org/trivium/5988">bousculer l’idéologie dominante</a> de la corporate governance et de la maximisation du profit, héritée de la pensée de Milton Friedman, et instituée en « norme internationale » depuis les années 1980.</p>
<p>La <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-redefinir-raison-etre-entreprises">loi Pacte</a>, entrée en vigueur en 2019, confère désormais une réalité juridique à cette nouvelle ambition de société et à l’entreprise en tant que projet collectif. Désormais, les entreprises peuvent inscrire dans leurs statuts « une raison d’être » et se doter d’un statut d’« entreprise à mission », opposable en cas de litige. Le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/comite-de-suivi-devaluation-de-loi-pacte-premier-rapport">premier rapport de suivi de la loi Pacte</a>, publié en septembre 2020, montre que de plus en plus d’organisations modifient leurs statuts en ce sens.</p>
<p>Cette transformation s’accompagne d’une redéfinition du système de gouvernance d’entreprise, plaçant la « raison d’être » au centre des décisions.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/299624357" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Objet social : enjeux et portée de la loi Pacte, conversation avec Blanche Segrestin, professeur à Mines ParisTech (Xerfi canal, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le concept d’« entreprise libérée » offre une illustration intéressante et radicale de ce mode de gouvernance. Décrite par le professeur français <a href="https://cmr.berkeley.edu/search/articleDetail.aspx?article=5523">Isaac Getz en 2009</a>, la « libération » d’entreprise prône « la liberté totale des salariés pour prendre les décisions qu’eux – et non leurs patrons – jugent les meilleures pour l’entreprise ». Cette approche managériale s’appuie sur les principes d’autonomie et de responsabilité, en s’affranchissant du lien de subordination hiérarchique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364682/original/file-20201021-19-r53jkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://isaacgetz.com/books/freedom-inc/">Site d’Isaac Getz</a></span>
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<p>Le sous-titre du premier ouvrage <em>Freedom Inc</em>. issu de ces travaux, vante toutes les promesses : <em>Free your employees and let them lead your business to higher productivity, profits, and growth</em> (Libérez vos employés et laissez-les diriger votre entreprise vers une productivité, des profits et une croissance plus élevés).</p>
<p>Or, est-il possible de prétendre en même temps à davantage de profits et davantage de liberté ? À ce jour, aucune étude ne s’est penchée sur la manière dont l’entreprise libérée prétend rendre compatibles ces objectifs.</p>
<h2>La « maximisation du profit » rejetée</h2>
<p>Dans le cadre du <a href="https://www.researchgate.net/profile/Eymeric_Guinet">mémoire de Master</a> à l’ESCP de l’un des co-auteurs de cet article (E. Guinet), une recherche a été menée de septembre 2019 à juin 2020 auprès de onze « leaders libérateurs », occupant un rôle central dans le processus de libération d’entreprise, les invitant à s’exprimer sur la place du profit, de la raison d’être, de la performance et du bien-être des salariés dans leur organisation.</p>
<p>Dans cette étude, l’échantillon d’organisations est composé de trois start-up et huit PME, dont neuf entreprises privées et deux entreprises « publiques-privées ». Les secteurs représentés sont variés : conseil (3), industrie (2), agroalimentaire (1), propreté (1), service routier (1), santé (1), relation client (1), économie sociale et solidaire (1).</p>
<p>Tout d’abord, la quasi-totalité des « leaders libérateurs » interrogés (10 sur 11) déclare renoncer à l’objectif de maximisation du profit : « pour moi une entreprise libérée, elle est libérée de la dictature de la maximisation du profit. » (Leader 1), « nous avons renoncé à l’idée de faire du profit à tout prix, au détriment de nos valeurs et de notre projet collectif. » (Leader 7).</p>
<p>Si l’objectif de « maximisation » du profit est rejeté, la contrainte du profit, quant à elle, est entièrement intégrée à la logique de l’entreprise libérée. Elle est à la fois admise et normalisée : « une entreprise qui ne gagne pas d’argent, elle meurt. » (Leader 5).</p>
<p>Ces dirigeants sont donc prêts à financer des projets non rentables, s’ils ont du sens au regard de la mission et des valeurs de l’entreprise, tant que l’équilibre financier global n’est pas menacé. Cette nouvelle hiérarchisation, précise un des leaders interrogés, « n’implique pas d’oublier les résultats financiers, mais de les remettre à leur juste place » (Leader 1). La logique est donc inversée par rapport à la vision capitalistique : la fin devient le moyen. Le profit prend un statut de « condition nécessaire de survie » et se met au service de la raison d’être.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/364683/original/file-20201021-15-1iapfzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le profit apparaît comme une contrainte plus qu’un objectif chez les dirigeants d’entreprises libérées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/download/1801908/accountant-accounting-admin-alone-america-american-bills-business-owner-calculator">Rawpixel/Needpix</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Toutefois, la recherche de performance n’est pas abandonnée : le projet collectif et la raison d’être de l’entreprise étant la finalité première, cette performance est simplement redéfinie en lien avec ce projet.</p>
<p>Ce faisant, ces dirigeants réaffirment la finalité première du projet collectif, qu’il s’agisse de fabriquer des logos, de transporter des marchandises ou d’optimiser l’habitat sur un territoire. « L’entreprise est là pour faire une œuvre, elle doit être payée pour ça. Et c’est l’œuvre commune qui a du sens. » (Leader 5).</p>
<p>Plutôt que de maximiser le profit, il s’agira de « faire le meilleur travail possible » (Leader 8) ou de « fournir le meilleur service possible » (Leader 4). La notion de performance globale émerge : intégration des intérêts des parties prenantes (dont les collaborateurs), « performance sociale et sociétale », qualité des produits ou services, « impact sur l’éco-système » dans son ensemble, « création de valeur commune », etc.</p>
<h2>« Un coup de poker »</h2>
<p>La totalité des leaders interrogés exprime une conviction forte : la libération bien ordonnée des salariés s’accompagnerait d’une hausse significative de leur potentiel, donc de leur performance, et <em>in fine</em> de la réussite économique de l’entreprise. Dans cette optique, le profit devient le « bénéfice collatéral » d’un management libéré.</p>
<p>Dès lors, le statut du profit change : il n’est plus considéré comme un objectif mais comme une conséquence naturelle de la bonne application des principes de l’entreprise libérée : « on ne libère pas les gens pour devenir plus productif, mais la liberté peut rendre productif, vous voyez c’est différent. » (Leader 1).</p>
<p>À ce jour, aucune démonstration scientifique ne prouve l’exactitude d’un tel lien de causalité. En effet, cette incertitude fondamentale fait de la « libération » un « acte de foi » (Leader 7), un pari osé, voire « un coup de poker » (Leader 9) et non une décision rationnelle.</p>
<p>Il n’en reste pas moins que, au-delà de ces convictions bien ancrées et de ces représentations clairement exprimées, l’équilibre visé est en pratique difficile à atteindre. Partager le pouvoir et changer le moteur de l’organisation ne va pas de soi et tous les dirigeants interrogés évoquent « un véritable défi » qui « prend du temps ».</p>
<p>La question de la maturité, individuelle et collective, et de l’accompagnement reste donc très présente chez tous les leaders interrogés. À défaut, des cas de surengagement sont mentionnés, ou de rejets par le collectif d’individus semblant aller à l’encontre du projet, ou d’abus de la liberté octroyée, ou encore des situations de mise en échec par défaut de compétence.</p>
<p>Tous les dirigeants interrogés s’accordent à dire que les erreurs et les incohérences font partie du processus de libération d’entreprise. La liberté de parole, l’ouverture à la critique, le droit à l’erreur constituent selon eux des éléments nécessaires de la transformation et sont autant de moyens de dépasser ces écueils.</p>
<h2>« Une poule et des œufs »</h2>
<p>La réussite économique est donc le résultat espéré d’un paradoxe : la renonciation véritable à la maximisation des profits est la condition <em>sine qua non</em> pour qu’une profitabilité élevée et pérenne se réalise. Comme le résume un des dirigeants interrogés : « Il n’y a pas un choix à faire entre l’argent et un style de management. Il y a une poule et il y a des œufs. Il faut savoir où on met la poule. » (Leader 10).</p>
<p>Ce parti pris alternatif et cet engagement ne trouvaient jusqu’à présent pas de traduction juridique pertinente. Les dirigeants des entreprises libérées pourraient donc bien être séduits par le statut d’entreprise à mission. Le nombre de celles-ci devrait augmenter rapidement dans cette montée générale des réflexions « post-capitalistiques ».</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Eymeric Guinet, co-fondateur de each One (ex-Wintegreat), et a bénéficié de la supervision de Gilles Arnaud, professeur de psychologie des organisations à ESCP Business School</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilie Poli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une série d’entretiens montre que les dirigeants qui autonomisent leurs équipes sont davantage enclins à placer la mission de l’organisation au cœur de leurs décisions.Emilie Poli, Doctorante, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1476322020-10-15T19:53:56Z2020-10-15T19:53:56ZResponsable ? Vous avez dit responsable ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362695/original/file-20201009-19-1fb2y8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=161%2C253%2C3628%2C4349&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tous responsables.</span> <span class="attribution"><span class="source">Anna Shvets/Pexels</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>En parodiant la célèbre réplique de Jacques Prévert dans le film « Drôle de drame » (1937), nous voulons attirer l’attention sur la soudaine célébrité de cet adjectif qui surgit de toute part pour qualifier l’évolution souhaitable de notre société mais qui est assez mal défini.</p>
<h2>Un État responsable ?</h2>
<p>Au sommet de l’État tout d’abord. Il était courant que le gouvernement comprenne un Secrétaire d’État à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) mais, depuis juillet 2020, le gouvernement Castex comporte une Secrétaire d’État à l’économie sociale, solidaire et responsable, Mme Olivia Grégoire.</p>
<p>Or, si <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042237955/#:%7E:text=Pour%20l%E2%80%99exercice%20de%20ses,relance%2C%20ou%20dont%20il%20dispose.">l’ESS</a> est bien définie, c’est le monde des associations, des mutuelles, des coopératives et des fondations, en revanche l’économie « responsable » ne l’est pas.</p>
<p>Ce qui est connu, c’est la RSE, la « responsabilité sociale de l’entreprise », qui exige ou parfois suggère aux entreprises de limiter leur impact environnemental et de ne pas causer de dommages sociaux ou sociétaux. Mais la RSE concerne toutes les entreprises et même toutes les organisations quel que soit leur statut. C’est très différent de l’ESS. Il convient donc d’attendre pour savoir ce que recouvre « l’économie responsable » et son nouveau Secrétariat d’État.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dUNWz4pZToU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">C’est quoi la RSE ? par Réseau Alliances.</span></figcaption>
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<h2>Le capitalisme responsable</h2>
<p>Si l’économie responsable n’est pas définie, le capitalisme responsable vient de l’être à travers un rapport de l’Institut Montaigne intitulé, <a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/le-capitalisme-responsable-une-chance-pour-leurope-rapport_0.pdf">« Le capitalisme responsable, une chance pour l’Europe »</a></p>
<p>Comme le précisent Yves Perrier (directeur général d’Amundi) et Jean‑Dominique Sénard (président du conseil d’administration de Renault), il ne s’agit pas d’évoquer simplement la RSE mais de penser le capitalisme dans son ensemble. Nous vivons actuellement sous la domination d’un capitalisme financier, par nature court-termiste, tourné essentiellement vers l’intérêt des actionnaires et il s’agit pour les auteurs d’envisager un autre type de capitalisme qui penserait la prospérité économique à long terme et prendrait en compte la société dans son ensemble. Ils voient poindre à travers la notion de « raison d’être » les prémisses du capitalisme responsable.</p>
<p>Jean‑Dominique Sénard a été l’un des deux rédacteurs du rapport <a href="https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=FAA5CFBA-6EF5-4FDF-82D8-B46443BDB61B&filename=entreprise_objet_interet_collectif.pdf">« Sénard/Notat »</a> remis au gouvernement en mars 2018 qui visait à « redonner de la substance à l’entreprise et l’amener à réfléchir à sa raison d’être ». Les recommandations de ce rapport ont été partiellement reprises dans la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> qui a donné lieu à des évolutions législatives notables notamment sur la définition même de l’entreprise. Or la notion de « raison d’être » était déjà le pilier essentiel du rapport « Sénard/Notat » et, depuis la loi Pacte, plus de la moitié des entreprises du CAC 40 s’en sont dotées.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CxbqBYwsPQQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comprendre la loi Pacte.</span></figcaption>
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<p>Le capitalisme responsable serait donc le capitalisme de la raison d’être mais pour les auteurs il ne suffit pas que les entreprises fassent leur mue en se dotant d’une « raison d’être », il faut aussi que les investisseurs les accompagnent voire les précèdent et l’essentiel des 17 recommandations que contient le rapport a trait au financement des entreprises. La première recommandation donne le ton, il s’agit de dégager des ressources financières européennes pour de l’investissement de long terme.</p>
<p>Ces recommandations ne surprennent pas car les conditions de financement des entreprises constituent effectivement une question centrale du capitalisme : sans capitaux pas de capitalisme…</p>
<p>En revanche, ce qui est plus surprenant est de limiter le capitalisme au financement des entreprises car le capitalisme est aussi lié à un mode de représentation et d’exercice du pouvoir que le rapport n’aborde pas.</p>
<p>La notion de « partie prenante » est présente dans le rapport mais leur place et leur rôle dans la gouvernance de l’entreprise responsable ne sont pas abordés. Or, ce point fait aujourd’hui débat entre ceux qui optent pour l’intégration des parties prenantes au sein des Conseils d’Administration (CA) et ceux qui pensent qu’à côté du CA et du Conseil de Surveillance il convient de créer un Conseil (ou Comité) des Parties Prenantes dont les fonctions et pouvoirs doivent être clairement précisés comme l’expriment Jacques Igalens, et Sébastien Point dans leur <a href="https://www.dunod.com/entreprise-economie/vers-une-nouvelle-gouvernance-entreprises-entreprise-face-ses-parties-prenantes">livre</a> <em>Vers une nouvelle gouvernance des entreprises. L’entreprise face à ses parties prenantes</em>. Chacune des deux solutions présente des avantages et des inconvénients. Mettre les parties prenantes dans le conseil d’administration c’est courir le risque de diminuer l’efficacité d’un organe essentiel du capitalisme car le CA est un organe de direction qui a pour mission de définir la stratégie. S’il représente des intérêts divergents, il risque de ne pas trouver de consensus et de sombrer dans la vaine palabre.</p>
<p>Constituer un comité des parties prenantes c’est souvent un coup d’épée dans l’eau car ce comité devient rapidement une chambre d’enregistrement. Le capitalisme responsable reste donc encore à préciser, notamment en ce qui concerne sa gouvernance.</p>
<h2>Responsabilité individuelle</h2>
<p>Après l’économie et le capitalisme, l’adjectif responsable apparait également avec force dans la recherche actuelle pour qualifier le comportement individuel du salarié, du client, du demandeur d’emploi ou du citoyen de manière générale.</p>
<p>Le concept support de ces recherches est celui de la « micro RSE ». Dans une <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2017.00520/full">récente analyse</a> David Jones, Chelsea Wilness et Ante Glavas, évoquent même à son sujet « une explosion de la recherche en micro-RSE ». Les résultats permettent de mieux comprendre les raisons qui président à des comportements tels que le bénévolat, la consommation responsable, les pratiques écologiques. Ils mettent en évidence la dimension altruiste et l’alignement entre les valeurs de la personne et celles des organisations.</p>
<p>Ainsi, on a pu mettre en évidence, en appliquant la <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1967_num_9_1_1294_t1_0101_0000_3">théorie de l’échange social</a> de Peter Blau dans son étude <em>Exchange and Power in Social Life</em>, que les salariés des entreprises qui se comportent de façon responsable se sentent redevables et s’engagent à leur tour dans des causes environnementales ou sociales.</p>
<p>Le qualificatif « responsable » est donc devenu un nouvel horizon pour l’économie et le capitalisme mais cet horizon n’est pas encore très précis. En revanche si l’économie et le capitalisme responsables devaient reposer demain sur les comportements responsables des individus la recherche serait en mesure de nous donner quelques pistes de réflexion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’instauration d’une responsabilité sociétale et environnementale se traduit-elle ?Najoua Tahri, Maître de conférences en Sciences de Gestion, IAE Montpellier et MRM., Université de MontpellierJacques Igalens, Professeur Sciences de Gestion, IAE Toulouse et CRM-CNRS, Université Toulouse 1 CapitoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1440072020-08-16T19:00:41Z2020-08-16T19:00:41ZLa pandémie nous rappelle la véritable raison d’être des entreprises : survivre<p>Rappelons-nous, c’était en mai 2019 dans ce que l’on appelle « le monde d’avant ». Avant la crise sanitaire liée au Covid-19. Le 22 mai 2019, la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises#">loi Pacte</a> relative à la croissance et à la transformation des entreprises était présentée par le gouvernement de l’ex premier ministre Édouard Philippe. Ses objectifs principaux étaient de « <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-developper-entreprises">faire grandir les entreprises</a> » mais surtout de repenser la place des entreprises dans la société.</p>
<p>C’est ainsi que la définition de l’objet social de l’entreprise <a href="https://www.village-justice.com/articles/loi-pacte-objet-social-prise-compte-des-enjeux-sociaux-environnementaux-raison,31903.html">a été modifié dans le Code civil</a> pour offrir la possibilité aux entreprises volontaires de se doter d’une raison d’être, et que la qualité juridique de société à mission a été créée.</p>
<p>À la suite de divers travaux universitaires, le concept de « raison d’être » a gagné en visibilité dans le débat public français suite à son apparition médiatisée dans le rapport « <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2018/entreprise_objet_interet_collectif.pdf">L’entreprise, objet d’intérêt collectif</a> », élaboré sous la supervision de Jean‑Dominique Senard, alors président du groupe Michelin, et de Nicole Notat, alors présidente de Vigeo-Eiris.</p>
<p>Aujourd’hui, la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 nous rappelle avec une très grande violence que les entreprises ne sont pas des organisations insubmersibles et qu’elles doivent constamment s’adapter pour faire face à leur environnement.</p>
<p>Pour cela, elles n’ont d’autre choix que de jongler avec les enjeux de court et de long termes : maintenir leurs équilibres financiers, s’adapter à la demande de leurs clients et préserver leurs marges de manœuvre pour construire l’avenir. Tout cela passe par des décisions de gestion difficiles et courageuses. En définitive, la seule raison d’être des entreprises est bien de chercher à survivre.</p>
<h2>Une loi de plus</h2>
<p>Pour Bruno Le Maire, déjà ministre de l’Économie et des Finances lors de l’entrée en vigueur de la loi Pacte en 2019, l’introduction du concept de « raison d’être » répondait à la nécessité d’adapter le capitalisme pour <a href="https://www.la-croix.com/Economie/France/Bruno-Le-Maire-LEurope-doit-etre-continent-capitalisme-responsable-2019-09-05-1201045525">mieux concilier intérêt général et intérêt particulier</a>.</p>
<p>Dans le monde d’avant, les entreprises agroalimentaires comme Danone vendaient des yaourts, les fabricants de pneumatiques comme Michelin vendaient des pneus, les entreprises de distribution comme Carrefour vendaient des produits de grande consommation, et les constructeurs d’avions comme Airbus vendaient des avions.</p>
<p>Mais avec la loi Pacte, les entreprises sont invitées à ajouter un sens à leur activité industrielle et commerciale – comme si répondre aux besoins de leurs clients et les satisfaire tout en anticipant les tendances de consommation n’était déjà pas un défi suffisant dans une économie mondialisée et concurrentielle et n’avait pas suffisamment de sens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1263213454879535105"}"></div></p>
<p>Avec l’introduction de cette raison d’être, les entreprises de toutes tailles peuvent choisir de se montrer vertueuses et d’aller au-delà de leurs obligations légales. En effet, il s’agit, au titre de leur « responsabilité sociale » d’aller bien au-delà des obligations fixées par la loi dans un pays comme la France pourtant déjà fortement réglementé. A cet égard on peut citer les lois suivantes :</p>
<ul>
<li><p>la <a href="https://plan-vigilance.org/la-loi/">loi sur le devoir de vigilance</a> (2017) qui oblige les entreprises donneuses d’ordre à prévenir les atteintes aux droits fondamentaux des employés sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement ;</p></li>
<li><p>la <a href="http://www.bourgogne-franche-comte.developpement-durable.gouv.fr/la-loi-relative-a-la-transition-energetique-pour-r2261.html">loi sur la transition énergétique pour la croissance verte</a> (2015) qui instaure notamment l’obligation de communication sur la gestion du risque climatique ;</p></li>
<li><p>les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=392889BC15AB0606336FB7E69068E1A3.tpdila12v_2?cidTexte=JORFTEXT000020949548&dateTexte=20151016">lois « Grenelle I</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=227BCD693BA476F07AE9E43064051D62.tpdila22v_3?cidTexte=JORFTEXT000022470434&idArticle=LEGIARTI000022472978&dateTexte=20100713&categorieLien=id">et II</a> » (2007 et 2010) sur la gouvernance écologique, la croissance durable, la réduction des émissions de gaz à effet de serre…</p></li>
</ul>
<p>À ces lois françaises s’ajoutent les réglementations et recommandations issues du <a href="https://www.ioe-emp.org/fr/organisations-internationales/pacte-mondial-des-nations-unies/">pacte mondial</a> (2000) et des <a href="https://www.novethic.fr/entreprises-responsables/les-objectifs-de-developpement-durable-odd.html">objectifs de développement durable</a> (2015) de l’Organisation des Nations unies (ONU), de la <a href="https://www.afnor.org/wp-content/uploads/2016/08/ISO26000-en-10-questions.pdf">norme ISO 26000</a> (2010), etc.</p>
<p>Avec la loi Pacte et la raison d’être de l’entreprise, toutes les causes sociétales peuvent être mobilisées, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de la préservation de l’environnement ou de la cause de l’égalité entre hommes et femmes dans l’entreprise.</p>
<h2>La raison d’être, un placebo managérial ?</h2>
<p>Parmi les grandes entreprises françaises ayant formulé une raison d’être, on peut citer les exemples suivants :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://institut-economie-circulaire.fr/interview-jean-dominique-senard-president-du-groupe-michelin/">Michelin</a> : « Offrir une meilleure façon d’avancer » ;</p></li>
<li><p><a href="https://atos.net/fr/a-propos-d-atos">Atos</a> : « Contribuer à façonner l’espace informationnel » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.sncf.com/fr/engagements/developpement-durable/raison-etre-de-notre-groupe">SNCF</a> : « Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.orange.com/fr/Groupe/Orange-devoile-sa-raison-d-etre-toute-l-entreprise-s-engage">Orange</a> : « Être l’acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.lesechos.fr/thema/economie-nouvelle-generation/veolia-repense-la-raison-detre-de-lentreprise-1147705">Veolia</a> : « Contribuer au progrès humain, en s’inscrivant résolument dans les objectifs de développement durable définis par l’Organisation des Nations unies (ONU), afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.pwc.fr/fr/code-de-conduite/pwc-code-de-conduite.pdf">PwC</a> : « Bâtir la confiance en notre société » ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.edf.fr/groupe-edf/raison-d-etre">EDF</a> : « Construire un avenir énergétique neutre en CO<sub>2</sub> conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants ».</p></li>
</ul>
<p>Mais ces déclarations de principe révolutionnent-elles vraiment le quotidien des entreprises concernées et suffisent-elles à produire les effets désirés sur la société ?</p>
<p>On peut le déplorer, la mise en place d’une raison d’être relève souvent de la stratégie de communication voire du « fairwashing » comme le dénonçaient il y a un an treize représentants d’organisations non gouvernementales et du secteur de l’économie sociale et solidaire dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/loi-pacte-le-projet-de-societe-a-mission-est-une-fausse-bonne-idee_5436689_3232.htmlhttps://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/loi-pacte-le-projet-de-societe-a-mission-est-une-fausse-bonne-idee_5436689_3232.html">tribune du journal Le Monde</a>. Mais, la crise sanitaire liée au Covid-19 a rebattu les cartes des belles déclarations.</p>
<h2>La dimension économique en première ligne</h2>
<p>Bien évidemment, les auteurs de la loi Pacte ne pouvaient imaginer qu’un an après son adoption la pandémie du Covid-19 se propagerait sur la planète entière entraînant le plus grand choc économique que nous avons connu <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/coronavirus-la-plus-grave-crise-depuis-la-seconde-guerre-mondiale-selon-l-ocde-849870.html">depuis la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, la réalité des entreprises est juste de survivre à cette terrible crise sanitaire dont on ne sait toujours pas quand elle se terminera. Certes, les gouvernements ont tous réagi – du reste de façon différente – pour sauver ce qui pouvait l’être mais un lourd tribut repose tout de même sur les entreprises.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1293458726632947712"}"></div></p>
<p>Le Covid-19 nous rappelle que les entreprises, <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-economie/20081018.RUE6207/dans-quelles-conditions-un-etat-peut-il-etre-en-faillite.html">à la différence des États</a>, ne sont pas des institutions pérennes. Les exemples de grandes entreprises internationales considérées comme insubmersibles et qui ont disparue sont légion : <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/ces-stars-de-la-bourse-balayees-par-la-bulle-internet-176662">Compaq</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/2001/10/polaroid-sest-declare-en-faillite-728729">Polaroid</a>, <a href="https://www.latribune.fr/journal/edition-du-2412/enquete/324622/septembre2001-moulinex-en-faillite.html">Moulinex</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/21/apres-la-faillite-que-reste-t-il-de-kodak_3464191_3234.html">Kodak</a> ou <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/superfail/comment-nokia-a-rate-le-virage-du-smartphone">Nokia</a>, pour ne citer qu’elles.</p>
<p>Les raisons de leur disparition sont diverses mais on retrouve toujours comme facteur explicatif la non-adaptation à la nouvelle donne économique et/ou technologique : l’éclatement de la bulle Internet, la concurrence du marché asiatique ou l’arrivée des smartphones et des appareils photo numériques par exemple.</p>
<p>Ainsi, avec la crise sanitaire, les entreprises doivent se battre sur deux fronts à la fois : préserver les marges de manœuvre à court terme en gérant au mieux leur trésorerie mais aussi se transformer voire se réinventer pour tenir compte de nouveaux usages et modes de consommation apparus notamment avec la crise. Tout cela pour ne pas subir le même sort que Nokia ou Kodak.</p>
<h2>Quel arbitrage entre court et long termes ?</h2>
<p>Les dirigeants des entreprises qui réussissent sur la durée, quand bien même ils seraient soumis à la pression des investisseurs et des marchés financiers, ne peuvent faire l’économie d’une vision à long terme. Mais la crise actuelle pose des questions en matière de priorisation et d’arbitrage. Dans ce contexte critique, on peut douter de l’efficacité d’une raison d’être trop floue ou générique pour éclairer la prise de décision.</p>
<p>Actuellement, on ne compte plus les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/08/la-seconde-vague-celle-des-plans-sociaux-touche-la-france_6045541_3234.html">plans sociaux</a> des grandes et des moins grandes entreprises de façon à survivre à cette tempête. Les plus grands noms de l’industrie aéronautique, de l’automobile, du transport aérien, ou de la construction, sont atteints.</p>
<p>Nombreuses sont les entreprises qui se trouvent contraintes de stopper ou reporter leurs programmes d’investissements. Selon un sondage, <a href="http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/A-noter/Covid-19-grandes-entreprises-et-ETI-signalent-moins-de-difficutes-ardues-de-tresorerie-mais-les-deux-tiers-reportent-leurs-investissements">68 % des grosses entreprises ou entreprises de taille intermédiaire</a> seraient concernées et chercheraient par ce moyen à limiter les sorties de liquidités. Par ailleurs, elles sont 55 % à avoir augmenté la part du cash dans leurs actifs par mesure de précaution.</p>
<p>Ainsi, il ne s’agit plus pour Michelin d’offrir « une meilleure façon d’avancer », mais bien de survivre en <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/michelin-compte-traverser-la-crise-sans-aide-publique.N959301">gérant au mieux ses comptes</a>.</p>
<p>Par ailleurs, on peut facilement imaginer que les raisons d’être de demain seront différentes de celles d’aujourd’hui. À cet égard, on connaît beaucoup d’entreprises qui ont changé d’activité industrielle et commerciale au cours de leur existence parfois même en conservant le même nom. Par exemple, BSN qui était initialement un fabriquant de glaces et de verre est devenue une entreprise agroalimentaire et a pris en 1994 le <a href="https://www.lesechos.fr/1994/05/bsn-se-transforme-en-danone-pour-renforcer-son-internationalisation-881958">nom de Danone</a>, sa marque de produits frais.</p>
<p>Les entreprises sont des organismes vivants : elles naissent, grandissent et finissent par mourir surtout quand elles sont soumises à des chocs imprévisibles.</p>
<p>Leur pérennité passe par des décisions de gestion complexes et ambitieuses. Face à la crise actuelle, seules les entreprises capables de gérer le présent sans compromettre l’avenir survivront.</p>
<p>Ainsi, dans le « monde d’après », toute raison d’être dépourvue <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/raison-detre-les-investisseurs-veulent-des-engagements-concrets-1208534">d’engagements et d’actions concrètes</a> sur lesquelles rendre des comptes aura du mal à convaincre clients, salariés et investisseurs de la bonne gestion d’une entreprise, et ce peu importe à quel horizon on se place.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans ce contexte, la loi Pacte et la définition d’une « raison d’être » se révèlent peu efficaces pour éclairer la prise de décision des dirigeants.Michel Albouy, Professeur émérite de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1316902020-02-16T16:31:52Z2020-02-16T16:31:52ZLes compétences collaboratives au service de la paix économique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/315043/original/file-20200212-61947-rsj9mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La paix économique est « une orientation pour laquelle une entreprise (...) créent de la richesse au profit du bien commun et de l’épanouissement de l’ensemble des parties prenantes dans le cadre plus vaste de leur responsabilité sociale et humaine » selon Dominique Steiler.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/young-man-suit-tie-standing-his-461657866">ImageFlow / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les transformations organisationnelles, notamment induites par la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> en France, découlent tant de l’évolution des objectifs (voire des missions) des entreprises que de celle des moyens mis en œuvre pour contribuer à l’atteinte de ces derniers. Elles requièrent une évolution importante des compétences des entreprises et amènent à repenser la place de ces dernières dans la société.</p>
<p>Les compétences individuelles y sont, généralement, bien appréhendées et développées. Les compétences collectives, mobilisées en interne lorsque l’on collabore avec des collègues ou en contexte interorganisationnel lorsque l’on coopère avec des concurrents, des clients ou des fournisseurs, demeurent trop souvent délaissées ou oubliées.</p>
<p>Pourtant, la mutation des compétences individuelles occasionnée par la loi Pacte, bien que nécessaire, s’avère insuffisante, voire vouée à l’échec, si une profonde réflexion sur les transformations organisationnelles ne l’accompagne pas.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Zoom sur les relations collaboratives avec les fournisseurs » avec Hugues Poissonnier (GEM, 29 nov. 2017).</span></figcaption>
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<h2>Le rôle clé des compétences émotionnelles</h2>
<p>Les transformations organisationnelles s’appuyant sur l’émergence de nouvelles solutions technologiques (robotisation, numérisation, digitalisation) reposent avant tout sur une évolution des compétences humaines.</p>
<p>Plus précisément, les compétences relationnelles et émotionnelles apparaissent comme de plus en plus indispensables à l’heure où la collaboration à l’intérieur de l’organisation, mais aussi entre cette dernière et ses partenaires extérieurs, s’impose comme l’une des principales clés de succès.</p>
<p>Bien sûr des exemples de plus en plus nombreux montrent que le curseur de la collaboration est parfois poussé un peu trop loin. Des cas de <a href="https://www.clubic.com/pro/actualite-e-business/actualite-808214-travail-collaboratif-overdose.html">burn-out collaboratif</a> apparaissent, témoignant de l’importance du bon équilibre entre travail individuel et collectif.</p>
<p>Mais de la start-up à la très grande entreprise, le sens de l’histoire est bien celui qui consiste à s’appuyer de plus en plus sur le développement des compétences dites sociales des personnes, notamment les <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2018/03/19713-de-lacheteur-manager-ressources-externes-developper-competences-emotionnelles-mieux-collaborer/">compétences émotionnelles</a>. Ces dernières sont celles qui supportent la collaboration, rares étant désormais les tâches et activités pouvant être exercées seules, sans contribution de plusieurs collègues et/ou partenaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315061/original/file-20200212-61958-1816rpc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les cinq compétences émotionnelles de base.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.erudit.org/en/journals/ncre/2016-v19-n1-ncre03146/1040665ar.pdf">Doeck, 2016</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Des organisations « florissantes » reposant sur davantage d’autonomie</h2>
<p>Si les compétences individuelles, grâce à la formation et aux nouvelles expériences vécues, progressent et accompagnent les changements, les compétences collectives, notamment organisationnelles, s’avèrent souvent plus difficiles à faire évoluer.</p>
<p>Ces dernières reposent sur la collaboration en interne et une vision plus transversale de la performance. Les références théoriques ne manquent pourtant pas pour donner de bonnes idées et des exemples concrets de pratiques vertueuses. Des organisations au fonctionnement original sont ainsi régulièrement qualifiées de « libérées », « nutritives » ou <a href="https://www.mindfulness-at-work.fr/images/pdf/Envies_de_changer_2.pdf">« florissantes »</a>.</p>
<p>Elles se caractérisent par ces points communs essentiels : davantage d’autonomie et de liberté données au salarié pour une contribution élargie, reposant pour l’essentiel sur ce qu’il est possible d’appeler le « dépassement de fonction », aux performances de l’organisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=587&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315064/original/file-20200212-61952-v0ry5d.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=737&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Modèle type de l’entreprise florissante.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mindfulness-at-work.fr/images/pdf/Envies_de_changer_2.pdf">Grenoble Ecole de Management</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Si le management suit, dans un souci de cohérence, devenant plus participatif, bienveillant, voire « slow », les conditions peuvent être réunies pour casser les silos qui caractérisent encore trop souvent nos organisations, publiques ou privées, petites ou grandes. Mais c’est précisément à cet endroit que le bât blesse. La difficile montée en maturité organisationnelle freine les transformations que les évolutions des compétences individuelles rendraient possibles.</p>
<h2>Soigner ses fournisseurs et rendre son écosystème plus résilient</h2>
<p>Que dire alors des compétences interorganisationnelles, qui permettent de mieux travailler ensemble ? Et bien que c’est peut-être là que se trouve un levier non négligeable de réussite de la transformation des organisations. C’est notamment l’une des retombées indirectes, sorte de bénéfice induit, de la démarche visant à mieux collaborer avec ses fournisseurs ou, plus généralement, ses partenaires extérieurs.</p>
<p>Elle contribue en effet, et sans effort démesuré, à instaurer une culture de collaboration plus forte en interne chez chacun des partenaires. Si la collaboration en interne facilite la collaboration avec les partenaires extérieurs et rend possible un véritable « management des ressources externes » (le nouveau nom que l’on donne, de plus en plus, à la fonction achats), l’inverse, et de nombreux travaux récents le montrent, est également vrai.</p>
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<figcaption><span class="caption">« De la fonction achats au management stratégique des ressources externes » avec Hugues Poissonnier (Xerfi Canal, avril 2018).</span></figcaption>
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<p>Il s’agit même de l’un des principaux bénéfices induits par la mise en œuvre de véritables relations collaboratives et responsables avec les fournisseurs. De Tefal, qui pratique avec ses fournisseurs le mécénat de compétence, à Armor-Lux qui a su développer une culture collaborative forte entre ses fournisseurs étrangers et les usines situées en France pour gagner en agilité, en passant par le groupe Safran dont les multiples innovations s’appuient essentiellement sur la qualité croissante des échanges entre les différents services en interne et les fournisseurs, nombreux sont les exemples de diffusion de bonnes pratiques de collaboration en interne lorsque celles-ci sont initiées avec les fournisseurs.</p>
<h2>Une paix économique aux nombreuses vertus</h2>
<p>Tout le monde a donc décidément bien tout à gagner à œuvrer en faveur de relations inter-entreprises pacifiées et plus harmonieuses : les donneurs d’ordres (si on continue à les appeler ainsi malgré le caractère de moins en moins pertinent de l’appellation), mais aussi évidemment leurs fournisseurs et, par extension, l’ensemble de l’écosystème économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Oser la paix économique plutôt que l’hypercompétition » avec Dominique Steiler (XerfiCanal, 8 mars 2018).</span></figcaption>
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<p>Le groupe ARaymond, leader mondial de la fixation pour l’industrie, Schmidt Groupe, qui fabrique et commerciale des meubles, ou Outilacier, distributeur responsable de matériel et outillage pour les entreprises, contribuent ainsi, chacun à leur manière à renforcer la résilience de leur écosystème économique en tirant bénéfice de la qualité des relations avec leurs fournisseurs.</p>
<p>La paix économique ainsi promue ne cesse de voir ses multiples intérêts cachés apparaître au grand jour et se trouver validés par des pratiques vertueuses aux retombées renforcées. Outre une meilleure capacité à innover ensemble (entre organisations), elle contribue en effet à une meilleure résilience de l’écosystème et de ses membres et permet aux personnes de travailler dans une sérénité propice au développement des compétences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement aux compétences individuelles, les compétences collectives se développent peu dans les organisations. Ces dernières sont pourtant clés pour pacifier les relations entre organisations.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1299232020-01-15T17:56:11Z2020-01-15T17:56:11ZLa « raison d’être » de l’entreprise rebat les cartes du jeu concurrentiel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309920/original/file-20200114-151844-1hc6bmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C160%2C3864%2C2683&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avec la loi Pacte, publiée le 23 mars 2019, l’entreprise doit définir son rôle au-delà de la sphère économique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/miniature-businessmen-figurines-making-deal-on-1051526582">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En définissant la « raison d’être » de l’entreprise, les dirigeants déterminent l’ambition d’utilité sociale qu’ils souhaitent poursuivre. C’est l’expression de ce qui est « indispensable pour remplir <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2018/entreprise_objet_interet_collectif.pdf">l’objet social</a> » et apporter des réponses concrètes aux défis sociaux, environnementaux et économiques contemporains.</p>
<p>L’entreprise formule un énoncé concis en une ou deux phrases, pour une compréhension immédiate par le plus grand nombre de l’engagement pris.</p>
<p>Cette formulation, en devenant juridique, impose de traduire la raison d’être en objectifs précis et de se doter des moyens pour en contrôler la mise en œuvre.</p>
<h2>Un mouvement de refondation de l’entreprise</h2>
<p>La multinationale alimentaire française Danone a ainsi résumé sa raison d’être au travers de cette formulation : « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre » et s’oblige à organiser collectivement son activité inventive pour rendre concrète cette contribution.</p>
<p>Sur <a href="https://rai2018.danone.com/performance/performance-extra-financiere-vers-les-objectifs-danone-2030/developper-des-marques-engagees/">son site Internet</a>, le groupe explique en quoi son modèle d’innovation est le fruit d’un processus plus ouvert impliquant des partenaires et des consommateurs. La firme se présente au service de marques dites engagées qui poursuivent un engagement fondé sur des enjeux sociaux, de santé et/ou environnemental tout en générant une croissance durable et rentable.</p>
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<figcaption><span class="caption">Danone présente sa raison d’être (Danone, 2018).</span></figcaption>
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<p>De son côté, la SNCF a défini d’une manière simple et explicite des défis sociaux et environnementaux que le groupe souhaite combler. La raison d’être de l’entreprise ferroviaire : « apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète ».</p>
<p>C’est au travers de <a href="https://medias.sncf.com/sncfcom/finances/Publications_Groupe/RAPPORT_ENGAGEMENT_SOCIETAL_ENTREPRISE_GROUPE_SNCF_2018.pdf">son rapport d’engagement sociétal 2018</a> que la SNCF précise ses objectifs, actions et indicateurs qu’elle a choisi de s’attribuer pour traduire concrètement la mise en œuvre de sa raison être. En inventant autour du train, colonne vertébrale de l’entreprise, de nouvelles formes de mobilité, la SNCF pense pouvoir apporter aux voyageurs la possibilité de se déplacer facilement et efficacement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/A3iyVlDiJ-A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le Groupe SNCF : apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète (SNCF, 2018).</span></figcaption>
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<p>Ces deux exemples illustrent bien ce que peut être la contribution d’une entreprise aux biens communs. La raison d’être élargit le rôle de l’entreprise au-delà de la sphère économique et l’engage dans un processus de résolution de problèmes aux côtés des États-nations, des associations et des organisations non gouvernementales (ONG). Les collaborations et les partenariats multipartites peuvent devenir une <a href="https://www.strategie-aims.com/events/conferences/27-xxveme-conference-de-l-aims/communications/4115-un-framework-pour-reperer-les-pratiques-de-rse-dune-meme-industrie-cas-des-dix-plus-grandes-entreprises-pharmaceutiques-mondiales/download">solution pour l’intérêt collectif</a>.</p>
<p>Or, la notion de raison d’être de l’entreprise risque d’être dévoyée et affadie, non seulement par les maladresses et incompréhensions propres à l’adoption de toute nouveauté conceptuelle, mais aussi, plus fondamentalement, par une incorporation de la raison d’être dans un jeu concurrentiel classique alors même que le concept rebat les cartes du jeu concurrentiel lui-même : la loi Pacte, publiée en mai 2019, qui porte la réintroduction de la raison d’être, s’inscrit dans un mouvement plus large de refondation de l’entreprise et de réexamen de la nature de sa contribution à la société. Utiliser la raison d’être comme un simple moyen de différenciation entre concurrents, c’est donc passer à côté des enjeux.</p>
<h2>Une concurrence au service du bien commun</h2>
<p>Les règles habituelles du jeu concurrentiel, en regard du modèle classique de recherche de profit comme objectif central, sont encore aujourd’hui une référence. Autrement dit, cette culture de la concurrence constitue toujours une « matrice de conception » redoutable des stratégies et, au-delà, d’objets managériaux aussi fondamentaux qu’une raison d’être. Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle logique de marché au service du bien commun ?</p>
<p>C’est bien la culture même du jeu concurrentiel qui évolue avec la raison d’être. En développant un <a href="https://www.danone.com/content/dam/danone-corp/medias/medias-fr/2018/corporatepressreleases/Danone_Nestle_Waters_et_Origin_Materials_accueillent_PepsiCo_au_sein_de_l_Alliance_NaturALL_Bottle.pdf">partenariat de R&D</a> en vue de développer des <a href="https://www.nestle.fr/sites/g/files/pydnoa566/files/asset-library/documents/communiqu%C3%A9%20de%20presse%20-%20natur%20all%20bottle%20alliance%20.pdf">bouteilles 100 % bio-sourcées</a>, Nestlé Waters, Origin Materials, Danone et PepsiCo participent à la réinvention des biens communs de demain.</p>
<p>Il ne s’agit pas de constituer un <a href="https://books.google.fr/books/about/Le_march%C3%A9_de_la_vertu.html?id=zjplPAAACAAJ&redir_esc=y">« marché de la vertu »</a>, pour reprendre l’expression du professeur d’éthique des affaires David Vogel. Une forme de jeu concurrentiel propre au marché demeure pour stimuler l’innovation au service d’un futur désirable et souhaitable pour tous, mais sans compétition sur des raisons d’être.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310002/original/file-20200114-151887-18y33ra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle logique de marché au service du bien commun ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/business-team-partners-put-fists-circle-1059179723">Fizkes/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
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<p>Nous pouvons nous réjouir de la dynamique enclenchée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038496102&categorieLien=id">loi Pacte</a> : celle du réexamen de la nature profonde de l’entreprise en replaçant cette dernière au cœur des enjeux de notre société. La notion de raison d’être invite au rassemblement, à la cohésion collective et transforme le jeu concurrentiel pour l’intérêt de tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129923/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La raison d’être invite au rassemblement et à la cohésion collective pour relever les défis du monde contemporain. Ne pas en tenir compte, c’est passer à côté d’enjeux majeurs.Albert David, Professeur de Management, Université Paris Dauphine – PSLNathalie Gimenes, Présidente BE-CONCERNED Docteure en sciences, Enseignante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283582019-12-08T21:10:49Z2019-12-08T21:10:49ZPourquoi fallait-il une loi Pacte, cinq ans après la loi ESS ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/305233/original/file-20191204-70126-ezluj8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=56%2C41%2C941%2C615&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La loi Pacte aurait pu capitaliser sur le modèle de l’ESS défini dans la réglementation depuis 2014 pour créer plus de synergies.</span> <span class="attribution"><span class="source">Viorel Sima/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038496102&categorieLien=id">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), adoptée le 22 mai 2019, entend réconcilier l’entreprise et la société. Cet impératif se justifie du fait des scandales financiers et autres dérives de la financiarisation qui ont mis au banc des accusés l’entreprise, accusée de ne servir que les seuls intérêts de ses actionnaires. Cette loi entend répondre à cette préoccupation en rendant possible la création d’entreprises à mission et en donnant à chacune d’elles la possibilité d’inscrire dans ses statuts une « raison d’être » afin de rendre opposable, sur un plan juridique, les manquements aux missions affichées.</p>
<p>Désormais, les structures soucieuses de montrer leur engagement vis-à-vis du développement durable ou des enjeux sociaux et sociétaux disposent donc de différentes options : s’inscrire dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), obtenir un statut d’entreprise ESS (économie sociale et solidaire) et/ou un agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale), ou encore se doter d’une raison d’être.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029313296&categorieLien=id">loi ESS</a> du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire consacre les principes fondamentaux de ce modèle et offre déjà la possibilité à des entreprises commerciales d’utilité sociale de faire reconnaître leur conformité à ces principes. Ces principes sont les suivants : un but qui ne se limite pas au seul partage des bénéfices, une gouvernance statutairement démocratique et non fondée sur le capital détenu, ainsi qu’une distribution des excédents qui obéit à des règles strictes assurant que ceux-ci sont majoritairement consacrés à la pérennisation de la structure.</p>
<h2>Modèle dépassé ?</h2>
<p>Propres aux entreprises d’ESS, ils reflètent, s’ils sont correctement mis en pratique, une démarche de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-11-page-199.htm">RSE intégrée</a> où les objectifs sociaux et environnementaux sont au cœur de l’activité économique et non d’éventuels effets induits. Le modèle de l’entreprise d’ESS, regroupant coopératives, mutuelles, associations, fondations et entreprises commerciales d’utilité sociale, semble a priori en mesure d’apporter une réponse tout à fait pertinente à l’enjeu de la prise en compte d’attentes sociétales.</p>
<p>Dès lors, on ne peut qu’être surpris de l’absence de référence à l’entreprise de l’ESS dans la loi Pacte. En lisant le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Notat et Senard</a> qui a inspiré le texte, on s’aperçoit que l’ESS est perçue comme un modèle dépassé, allant à l’encontre de son développement important depuis une trentaine d’années et de sa reconnaissance par la Loi de 2014. Ces auteurs écrivent en effet que :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’économie sociale et solidaire (ESS) a constitué une “troisième voie” entre l’action publique et l’économie de marché, il semble qu’une autre voie puisse se dessiner, celle d’une économie responsable, parvenant à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, le modèle d’ESS est considéré au mieux comme marginal, pouvant apporter éventuellement une réponse originale à la seule question de la participation des salariés à la gouvernance.</p>
<h2>L’ESS peu prise en compte</h2>
<p>Pourquoi cette méconnaissance, et comment expliquer deux lois distinctes pour parler d’une entreprise responsable ? S’agit-il d’une remise en cause voilée de l’entreprise de l’ESS, d’un parti pris idéologique sur l’entreprise ? Faut-il en déduire que ce que propose l’entreprise d’ESS en matière de responsabilité de l’entreprise soit trop contraignant ? A contrario, comment comprendre le choix de la Maif, entreprise historique de l’ESS, d’adopter le <a href="https://www.argusdelassurance.com/les-assureurs/mutuelles/la-maif-devient-la-premiere-entreprise-a-mission.148210">statut d’entreprise à mission</a> ? Assisterait-on à un renouvellement de l’entreprise de l’ESS ?</p>
<p>Nous avons <a href="http://recma.org/article/repenser-lentreprise-de-less-laune-de-la-rse-et-de-la-loi-pacte">investi ce questionnement</a> en croisant une analyse bibliographique et une analyse des pratiques mises en œuvre par les organisations de l’ESS. En revenant sur les attentes sociétales auxquelles les démarches RSE et la loi Pacte tentent de répondre, nous montrons le caractère paradoxal de la faible prise en compte de l’ESS dans le texte promulgué en 2019.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1137269062071922688"}"></div></p>
<p>Cela nous semble donc aussi l’occasion de repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2003-1-page-162.htm">modèle de l’entreprise de l’ESS</a>. Nous soulignons que la contribution environnementale de l’ESS n’est pas inhérente au modèle lui-même et que la variété des pratiques dans ce domaine n’apporte pas de réponse solide et univoque. L’exercice de la gouvernance est <a href="https://www.larcier.com/fr/les-cooperatives-agricoles-2013-9782804462758.html">dès lors essentiel</a>. Il y a donc un enjeu majeur à disposer d’outils appropriés de mesures d’impact pour identifier plus précisément la contribution des entreprises de l’ESS à la dimension environnementale de la RSE.</p>
<p>Il en est de même en matière sociale, notamment en termes de conditions de travail, de participation des salariés aux instances de décision, et de qualité des emplois créés par l’ESS. Ces difficultés propres à l’évaluation de leurs performances, de leurs impacts et de leurs innovations masquent pourtant leur résilience particulière, notamment en temps de crise et leurs réelles avancées.</p>
<p>On pourra donc regretter que la loi Pacte n’ait pas davantage capitalisé sur le modèle de l’ESS pour créer plus de synergies. Les entreprises de l’ESS sont en effet des <a href="https://www.cairn.info/revue-innovations-2012-2-page-15.htm">lieux d’expérimentation</a> pour apporter une réponse originale aux besoins sociétaux. Elles s’appuient sur des investissements citoyens pour répondre à l’échelle locale à la complexité des problèmes posés initiant des innovations sociales. Elles sont des viviers d’apprentissage. Elles pallient aussi des désengagements de l’État. Elles peuvent enfin contribuer durablement à réconcilier l’entreprise et la société s’inscrivant dans l’objectif de la loi Pacte. Le positionnement plus général des entreprises de l’ESS dans la réalisation des <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/08/19/les-objectifs-de-developpement-durable-des-nations-unies-sont-loin-d-etre-atteints_5174113_3234.html">objectifs de développement durable</a> des Nations unies participe ainsi à une certaine régénérescence pour elles tout en inspirant les entreprises tentées par l’expérimentation de leur « raison d’être ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128358/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les promulgations successives de la loi sur l’Économie sociale et solidaire en 2014 puis de la loi Pacte en 2019 qui introduit le modèle d’entreprise à mission interrogent.Maryline Filippi, Professeur d'économie Université de Bordeaux BSA, Chercheur associé INRAE, AgroParisTech – Université Paris-SaclayEric Bidet, Maître de conférences, Responsable du Master ESS, Le Mans UniversitéNadine Richez-Battesti, Maître de conférences en sciences économiques, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1255022019-10-23T19:58:58Z2019-10-23T19:58:58ZParticipation aux résultats : des effets disparates sur la productivité des entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/298121/original/file-20191022-117981-g5dmg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C32%2C973%2C604&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’introduction de dispositifs de participation conduirait à des gains de productivité de l’ordre de 2 % en moyenne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Fizkes / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En 2017, près de la moitié des salariés du secteur privé ont pu bénéficier de dispositifs de participation aux résultats des entreprises (cf. figure 1). Les derniers chiffres de la <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_resultats_participation_interessement_epargne_salariale_2017.pdf">Dares</a> montrent que l’exercice 2017 a permis de distribuer 19 milliards d’euros à 7,5 millions de salariés, soit une prime moyenne de 2 512 euros, ce qui est loin d’être négligeable.</p>
<p>Depuis 2012, le plan d’épargne entreprise (PEE) est le dispositif le plus répandu dans les entreprises françaises avec 42,8 % des salariés couverts, suivi de la participation aux résultats des entreprises (37,9 %) qui est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés et de l’intéressement qui est facultatif mais qui concerne tout de même 32,9 % des salariés.</p>
<h2>Un contexte favorable à l’intéressement</h2>
<p>Ces dispositifs sont majoritairement présents dans les grandes entreprises mais la loi Pacte (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000037080861&type=general&legislature=15">Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises</a>), promulguée le 22 mai 2019, a levé plusieurs freins à son développement dans les PME en proposant de supprimer le forfait social sur l’intéressement et de simplifier la rédaction des accords. Cette réforme laisse donc augurer de nouvelles perspectives de développement de ces dispositifs, et en particulier de l’intéressement.</p>
<p><strong>Figure 1. Les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2017 en France</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297688/original/file-20191018-56234-tv5y6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2017 en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dares, enquêtes Acemo-Pipa 2007 à 2018</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà d’un traitement fiscal de plus en plus favorable en France, le succès des dispositifs de partage des bénéfices auprès des entreprises tient au fait que ceux-ci sont réputés garantir la motivation et la fidélisation des salariés, et indirectement leur productivité. Mais qu’en est-il exactement ? Que nous apprennent les études récentes consacrées aux effets de ces dispositifs sur la productivité des salariés ?</p>
<h2>Le partage des profits encourage la productivité</h2>
<p>Avec mes collègues Chris Doucouliagos, Douglas L. Kruse et T.D. Stanley, nous avons réalisé une synthèse des études menées sur cette question qui vient d’être publiée dans le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/bjir.12483"><em>British Journal of Industrial Relations</em></a>.</p>
<p>Notre méta-analyse suggère que les dispositifs de participation aux résultats (<em>profit-sharing</em>, <em>gain sharing</em> aux États-Unis, participation et intéressement en France) améliorent bien, en moyenne, la productivité des entreprises.</p>
<p>Le tableau 1 présente les différents résultats tirés des 56 études empiriques menées entre 1983 et 2015 sur le sujet dans différents pays. En général, ces enquêtes observent une relation positive entre les pratiques de partage des profits et la productivité du travail.</p>
<p><strong>Tableau 1. Partage des bénéfices et productivité</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297729/original/file-20191018-56238-1lfb7i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cependant, on peut observer une dispersion des résultats assez importante, notamment en fonction des caractéristiques de chaque dispositif de participation. Les écarts observés s’expliquent aussi par la qualité des études réalisées (évaluée ici par la précision ou puissance statistique de l’étude, cf. figure 2) et par l’existence de cadres institutionnels différents d’un pays à l’autre qui peut affecter l’efficacité de ces dispositifs.</p>
<p><strong>Figure 2. Corrélations partielles entre dispositifs de partage de profits et productivité du travail selon le niveau de précision des études.</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297690/original/file-20191018-56224-fosihu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Notes : La corrélation partielle est la corrélation restant entre deux variables après avoir contrôlé plusieurs autres variables comme le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, etc.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Doucouliagos, Laroche, Kruse et Stanley (2019)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nos résultats mettent également en évidence l’importance du type d’actionnariat qui caractérise les organisations. Ainsi, les dispositifs de partage collectif des bénéfices sont plus souvent associés à des gains de productivité dans les entreprises coopératives, c’est-à-dire dans les organisations qui appartiennent à leur membre et sont contrôlées par eux (cf. tableau 1).</p>
<p>Ce constat renforce l’idée selon laquelle ce type de pratique de rémunération collective ne peut être efficace que si les individus disposent d’une forme de contrôle sur les décisions qui sont prises dans l’organisation.</p>
<h2>Le poids des syndicats</h2>
<p>En France, des travaux avaient déjà montré dès les années 1990 que l’introduction de dispositifs de participation conduisait à des gains de productivité de <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1992_num_257_1_5679">l’ordre de 2 % en moyenne</a>. Les effets sur la productivité semblent d’autant plus importants que le niveau des primes d’intéressement ou de participation est élevé, mais il apparaît aussi que d’autres facteurs rendent plus ou moins efficaces ces dispositifs.</p>
<p>Ainsi, notre étude indique que les dispositifs de participation aux résultats sont plus efficaces en présence de syndicats sur le lieu de travail. Ce constat est finalement compatible avec l’idée d’une complémentarité entre les dispositifs de partage des profits et ceux relatifs à la participation des salariés et au contrôle de l’entreprise. Ces dispositifs peuvent relever de pratiques participatives introduites par l’employeur (cercles de qualité, groupe autonome de travail, etc.) mais aussi relever de dispositifs de participation/consultation des représentants du personnel et des syndicats.</p>
<p>Des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjir.12135">études récentes</a> ont ainsi montré que les pratiques de <em>profit sharing</em> fonctionnent mieux si elles sont associées à des pratiques d’information et de consultation des salariés visant à renforcer la motivation et l’implication des salariés. En tant que forme d’expression collective, les syndicats pourraient au même titre que les pratiques d’information et de consultation contribuer à renforcer l’internalisation des objectifs de l’entreprise favorisant ainsi l’impact positif de ces dispositifs sur la productivité de l’entreprise.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298122/original/file-20191022-28120-l1uj4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les syndicats, s’ils sont associés à des pratiques d’information et de consultation des salariés, jouent un rôle clé dans le dispositif de la participation aux résultats.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Matej Kastelic/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Or, comme l’a en effet montré la recherche, les effets positifs sur la productivité résultent d’une <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/102/1/23/1926194">meilleure coopération et information</a> au sein de l’entreprise qui provient de l’émergence d’un contrôle horizontal et informel. L’une des principales critiques formulées à l’égard des modes de rémunération collective est l’apparition du phénomène de « passager clandestin » (<em>free-rider</em>) dans la mesure où chaque individu peut espérer bénéficier du travail des autres sans lui-même fournir d’effort. Un climat de coopération et de contrôle informel entre les salariés peut donc atténuer cet effet et réduire le nombre de « resquilleurs ».</p>
<p>En définitive, les dispositifs de participation aux résultats ne peuvent donc à eux seuls assurer une véritable convergence d’intérêts entre employeurs et salariés. Pour que les dispositifs de partage du profit entraînent une hausse de productivité significative, il est crucial que les salariés comprennent en quoi l’augmentation de leur niveau d’effort aura une réelle influence sur leur rémunération. Il faut aussi qu’ils aient le sentiment de pouvoir influencer les décisions prises au sein de l’entreprise. Dès lors, les syndicats peuvent jouer un rôle essentiel dans le partage d’informations et la clarification des objectifs organisationnels, autant de facteurs permettant d’assurer le succès des pratiques de partage des profits.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrice Laroche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si leur impact reste globalement positif, l’efficacité des dispositifs partage des bénéfices dépend de paramètres comme le contexte institutionnel ou la présence de syndicats.Patrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1252492019-10-21T20:10:54Z2019-10-21T20:10:54ZDéclaration du « Business Roundtable » sur le rôle de l’entreprise dans la société : quoi de neuf exactement ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296880/original/file-20191014-135529-18x83i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C19%2C989%2C639&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quelque 181 PDG des plus grandes entreprises américaines se sont engagés en faveur d'un « capitalisme des parties prenantes », le 19 août dernier.</span> <span class="attribution"><span class="source">Rido / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les débats sur le <a href="https://theconversation.com/quel-role-pour-lentreprise-au-xxi-siecle-90576">rôle de l’entreprise dans la société</a> demeurent animés, même si les tenants de la doctrine selon laquelle seule doit importer la maximisation de la valeur pour l’actionnaire sont de moins en moins audibles. Leurs arguments peinent en effet de plus en plus à convaincre à l’heure où les effets délétères des pratiques de gestion et de management associées à la création de valeur pour les seuls actionnaires sautent un peu plus aux yeux chaque jour (focalisation excessive sur les <a href="https://theconversation.com/du-capitalisme-trimestriel-a-la-paix-economique-des-responsabilites-partagees-78685">performances à court terme</a> au détriment des performances à plus long terme, <a href="https://theconversation.com/podcast-uber-ou-lalgorithme-de-la-dependance-economique-108300">conception minimaliste</a> de la contribution de l’entreprise à son écosystème et à la société, <a href="https://theconversation.com/les-quatre-grandes-lecons-de-laffaire-casino-117844">financiarisation trop poussée</a> des stratégies, etc.)</p>
<p>Dans ce contexte, la récente loi Pacte invite les entreprises françaises à <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">redéfinir leur performance</a> et les moyens engagés pour l’atteindre. À une conception étriquée de leur rôle dans la société, beaucoup d’organisations opposent désormais, en la mettant en œuvre, une vision plus globale, intégrant leurs impacts sociaux et environnementaux. Danone, qui avait été un pionnier en opérationalisant le concept de <a href="https://blogs.ubc.ca/irisgu/2014/11/08/triple-bottom-line-of-danone/"><em>triple bottom line</em></a> (une appréciation de la performance sur les trois dimensions complémentaires que sont l’économique, le social et l’environnemental), ne se démarque plus tellement aujourd’hui sur ce point de nombre d’autres entreprises ayant souscrit à une <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rse-devient-incontournable-pour-fixer-la-remuneration-des-dirigeants-101075">vision plus responsable</a> de leur activité et de leurs performances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1041699444423569408"}"></div></p>
<p>Des relations nouvelles avec leurs partenaires que sont les clients, les fournisseurs, voire les concurrents, sont ainsi expérimentées, en cohérence avec l’idée de la <a href="https://theconversation.com/paix-economique-pleine-conscience-une-autre-vision-de-lentreprise-71129">paix économique</a> que certains chercheurs <a href="https://www.pug.fr/produit/1053/9782706117091/Manifeste%20pour%20une%20education%20a%20la%20paix%20economique">appellent de leurs vœux</a>.</p>
<p>Outre-Atlantique, la récente déclaration en faveur d’un « capitalisme des parties prenantes » signée le 19 août dernier par 181 PDG des plus grandes entreprises américaines, parmi lesquels figurent les dirigeants de Apple, Boeing, Johnson & Johnson, Amazon, ou encore JPMorgan Chase, s’inscrit dans le même sens.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IWy_hXSDvxU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les 2 missions de l’entreprise : 2 versions du capitalisme », Olivier Sibony, professeur affilié à HEC (Xerfi canal, septembre 2019).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Influencer les choix de politique publique</h2>
<p>C’est en 1972 que John Harper, PDG du groupe Alcoa, et Fred Borch, PDG de General Electric, créent la « Business Roundtable » <a href="https://www.businessroundtable.org/">businessroundtable.org/</a> regroupant les dirigeants des plus grandes sociétés américaines (211 membres aujourd’hui). L’objectif affiché était alors de faire entendre la voix de ces derniers dans le débat public au moment où l’hostilité des citoyens envers les grandes entreprises commençait à poindre et où la réglementation fédérale sur le marché du travail était perçue comme un danger.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297176/original/file-20191015-98674-gav3q9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Extrait du « Consumer Protection Act Memo » de 1977.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://assets.documentcloud.org/documents/3903380/Business-Roundtable-1977-05-02-Consumer.pdf">Documentcloud.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est cette organisation, ayant largement fait la preuve de son efficacité par le passé en infléchissant de façon sensible les décisions et politiques publiques américaines (contribuant notamment, comme premiers faits d’armes, aux <a href="https://www.nytimes.com/1975/11/16/archives/antitrust-bill-stopped-by-a-business-lobby-top-executives-united-in.html">échecs du projet de loi antitrust en 1975</a> et de création d’une agence de <a href="http://www.documentcloud.org/documents/3903380-Business-Roundtable-1977-05-02-Consumer.html">protection des consommateurs en 1977</a>) qui a fait sensation en publiant un texte semblant particulièrement subversif de l’autre côté de l’Atlantique où la primauté des actionnaires est <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-modernisation-du-capitalisme-est-annoncee-1129097">moins spontanément remise en cause</a>.</p>
<p>Les signataires s’engagent à « fournir de la valeur à leurs clients », à « investir dans les employés », à « traiter équitablement et éthiquement les fournisseurs », à « soutenir les communautés dans lesquelles ils travaillent », à « protéger l’environnement » et à « générer de la valeur à long terme pour les actionnaires ». Rien de bien nouveau au regard de ce que préconise depuis les années 1970 la <a href="https://www.piloter.org/strategie/theorie-parties-prenantes.htm">théorie des parties prenantes</a>, ou, plus récemment le concept de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-expansion-management-review-2014-3-page-10.htm">« symétrie des attentions »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1163405284129353728"}"></div></p>
<p>Rien de nouveau non plus au regard des pratiques des entreprises multicentenaires (connues sous le nom de <a href="https://www.henokiens.com/content.php?id=41&lg=fr">« Henokiens »</a>) qui, et c’est sans doute la clé de leur pérennité, ont toujours su travailler pour l’ensemble de leurs parties prenantes, sans jamais sacrifier certaines d’entre elles.</p>
<p>Si un cercle vertueux peut exister entre rentabilité (une mesure de la création de valeur actionnariale) et compétitivité (une mesure de la création de valeur pour le client), rendant possible la dynamique de la résilience et de la pérennité, un cercle vicieux peut également rapidement s’instaurer lorsque la recherche de rentabilité surpasse les autres conceptions de la performance.</p>
<p>De nombreuses entreprises, sombrant dans les travers du <a href="https://theconversation.com/du-capitalisme-trimestriel-a-la-paix-economique-des-responsabilites-partagees-78685">« capitalisme trimestriel »</a> ont ainsi disparu faute d’avoir su tempérer les possibilités d’améliorer la rentabilité à court terme au détriment de l’investissement préparant la compétitivité et la rentabilité future.</p>
<p>Car voici, de façon très concrète, la nature du choix à opérer : sommes-nous capables de renoncer à un peu de rentabilité à court terme pour améliorer la compétitivité, asseoir la pérennité et sans doute générer davantage de rentabilité à plus long terme ? Conscients des dérives liées au court-termisme, nombreux sont les dirigeants qui, de façon très utilitariste, et sans faire preuve de philanthropisme, ont compris où se trouvait leur intérêt, <a href="https://prophil.eu/fr/presentation/">et celui de leur entreprise</a>.</p>
<h2>Une ambition limitée</h2>
<p>Finalement, l’ambition de la déclaration du 19 août semble limitée et peu novatrice à l’heure où le réchauffement climatique appelle sans doute des <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-ou-en-sont-les-promesses-des-entreprises-60141">réponses d’un tout autre ordre</a> (réduction drastique de notre empreinte environnementale, développement de la solidarité envers les migrants climatiques, etc. Autant de solutions non apportées par la récente déclaration, dont ce n’est clairement pas l’objet, et qui encourage finalement un renforcement léger de l’attention portée aux parties prenantes). Les engagements pris ont toutefois le mérite de faire entrer dans une démarche des acteurs de taille mondiale jusqu’ici peu impliqués, même si certains faisaient déjà plus que ce qu’ils promettaient.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1177125402810159104"}"></div></p>
<p>Si les actes sont au rendez-vous, le potentiel de diffusion des principes adoptés dans toute l’économie, auprès des PME notamment, sera, on peut néanmoins l’espérer, important. En effet, les objectifs des grandes entreprises cotées en bourse ont tendance à se répercuter rapidement et fortement sur les ETI, PME et TPE qui, intégrées dans des chaînes de valeur pilotées par les grandes entreprises, se voient soumises par ces dernières à des conceptions évolutives de la performance, comme en témoignent par exemple les <a href="https://sociology.duke.edu/people/gary-gereffi">travaux</a> du sociologue américain Gary Gereffi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125249/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’engagement des grandes entreprises américaines de réorienter leur activité en faveur de l’ensemble de leurs parties prenantes reprend des préconisations formulées par la théorie dès les années 1970.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1239362019-09-22T17:57:38Z2019-09-22T17:57:38ZLa raison d’être de l’entreprise peut-elle vraiment être globale ?<p>En tant que citoyenne et consommatrice française, je n’ai pu que me réjouir de voir l’Assemblée nationale adopter en avril 2019 la <a href="https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte">loi dite Pacte</a> (pour Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en ce qu’elle permet d’intégrer la raison d’être d’une entreprise dans ses statuts.</p>
<p>Comme la définit le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Notat-Senard</a> qui a servi de point de départ à la loi Pacte, cette raison d’être précise « le motif, la raison pour laquelle la société est constituée », « détermine le sens de la gestion d’une société, et en définit l’étude et la vocation » avec l’objectif de mieux considérer notamment les enjeux sociaux et environnementaux.</p>
<p>Cette disposition de la loi s’est avérée d’autant plus pertinente que, quatre mois plus tard, Business Roundtable (association à but non lucratif basée à Washington regroupant les dirigeants de grandes entreprises américaines) a publié son nouveau <a href="https://www.businessroundtable.org/business-roundtable-redefines-the-purpose-of-a-corporation-to-promote-an-economy-that-serves-all-americans">manifeste sur la raison d’être de l’entreprise</a>, signé par 181 dirigeants qui s’engagent à créer de la valeur pour l’ensemble de leurs parties prenantes et non plus seulement pour leurs actionnaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oeKWywi3AwE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Business Roundtable member on the changing role of corporations », vidéo CNBC, août 2019 (en anglais).</span></figcaption>
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<p>Ils promettent en particulier d’« apporter de la valeur à leurs clients […]. D’investir dans leurs salariés. Cela commence par les rémunérer justement et leur fournir des prestations importantes. […] De soutenir les communautés au sein desquelles ils travaillent. […] De générer de la valeur de manière pérenne pour les actionnaires qui apportent le capital permettant aux entreprises d’investir, de se développer et d’innover ».</p>
<h2>« Dans l’air du temps »</h2>
<p>Cependant, en tant que dirigeante d’une société présente sur trois continents (l’agence de conseil en stratégie <a href="http://compasslabel.fr/">Compass Label</a>), citoyenne franco-espagnole et membre des Franco-British Young leaders (programme dont l’objectif est de renforcer la compréhension mutuelle et la coopération entre la France et le Royaume-Uni, et de créer un dialogue bilatéral durable au plus haut niveau), cette mesure m’interroge.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293369/original/file-20190920-50928-t6eb0q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nancy Koehn.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/lbjlibrarynow/47006818621/in/album-72157676265733887/">LBJ Library/Flickr</a></span>
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<p>Certes, la raison d’être est désormais au cœur du débat sur l’entreprise et sa gouvernance et des préceptes en matière de responsabilité d’entreprise, et, comme le souligne l’historienne et professeure titulaire de la Chaire d’administration des entreprises à la Harvard Business School, <a href="http://www.hbs.edu/faculty/product/35591">Nancy Koehn</a>, le nouveau manifeste sur la raison d’être de l’entreprise, tout comme la loi Pacte, constitue « une réponse à une <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/19/business/business-roundtable-ceos-corporations.html">préoccupation dans l’air du temps</a> ».</p>
<p>Mais au sein des groupes internationaux, le chemin à parcourir entre la théorie et la pratique est long et sinueux lorsqu’il s’agit de raison d’être de l’entreprise. Il n’est par ailleurs pas si évident qu’une multinationale soit capable de définir sa raison d’être indépendamment de sa nationalité. Dès lors, n’est-il pas hypocrite pour un groupe international de définir une raison d’être globale qui n’assumerait pas une forme de préséance donnée aux intérêts de ses compatriotes parmi ses parties prenantes et actionnaires ?</p>
<h2>Le dilemme du patriotisme économique</h2>
<p>Prenons un exemple dans le secteur des transports. Pour la SNCF, entreprise ferroviaire qui opère quasiment exclusivement sur le territoire français, il n’est pas difficile de définir sa raison d’être. Il s’agit d’« apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète ». Pour le constructeur automobile Renault, l’exercice est plus délicat. Officiellement, la raison d’être du groupe est la suivante : « rendre la mobilité durable et accessible à tous, partout dans le monde ». En réalité, neuf mots manquent à cette définition : en préservant prioritairement l’emploi en France et l’influence française. Pour quelle raison ? Parce que Renault est l’un des fleurons de l’industrie française avant d’être l’un des leaders mondiaux de la construction automobile, ce qui a un impact direct sur sa capacité à participer du développement d’une auto-mobilité plus durable dans les années à venir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149435844786307079"}"></div></p>
<p>Le récent fiasco de l’accord Fiat-Renault illustre cette problématique. L’accord était guidé par la nécessité pour les géants de l’industrie automobile de partager les coûts de la transition écologique, c’est-à-dire des investissements en recherche et développement pour la voiture électrique et la voiture autonome. Il a échoué en raison des garanties demandées par le ministre de l’Économie et des Finances concernant la préservation de l’emploi et des sites de production en France.</p>
<p>Définir la raison d’être d’une entreprise constitue un engagement de création de valeur pour les parties prenantes (salariés, clients, communautés…) et pas seulement pour les actionnaires. Mais cet engagement peut-il véritablement bénéficier à « toutes » les parties prenantes d’une entreprise dès lors que nous parlons d’une multinationale ?</p>
<h2>De bons employeurs… sur le territoire d’origine</h2>
<p>Il est important de souligner que l’échec de l’accord Fiat-Renault ne résulte pas seulement du fait que l’État français détient 15 % du capital de Renault. En 2019, dans le <a href="https://www.forbes.com/best-large-employers/#6dc839cefb3e">classement Forbes des meilleurs employeurs américains</a>, 9 des 10 entreprises arrivant en tête sont américaines. Le classement des meilleurs employeurs en France 2018-2019 réalisé par <a href="http://business-cool.com/carriere/entreprises/classements-meilleurs-employeurs-france-2018-2019/">Capital</a> révèle un phénomène identique : parmi les 10 premières entreprises, 9 sont françaises.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293368/original/file-20190920-50973-z8hego.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une seule entreprise française figure dans le classement Forbes des meilleurs employeurs aux États-Unis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.forbes.com/best-large-employers/#42cf9e32fb3e">Capture d’écran Forbes.com</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dit autrement, il fait particulièrement sens pour un salarié américain de travailler pour une entreprise américaine, pour un salarié français de travailler pour une entreprise française, etc. Les salariés sont aujourd’hui à la recherche d’une forme de cohérence entre leurs valeurs, ce en quoi ils croient, et leur activité professionnelle. Ils ont besoin de se sentir inspirés par la raison d’être de leur entreprise, par son comportement et ses décisions. Par conséquent, les entreprises sont conduites à introduire dans leur raison d’être une forme de patriotisme économique s’agissant des valeurs et des priorités portées.</p>
<p>Cela ne signifie pas que cette raison d’être doit inclure de manière systématique un volet sur la création ou la préservation des emplois locaux – les dirigeants d’Apple assument depuis fort longtemps qu’une fabrication américaine <a href="https://www.nytimes.com/2012/01/22/business/apple-america-and-a-squeezed-middle-class.html">n’est selon eux pas une option viable</a> pour la production de l’iPhone et de l’iPad. Cela signifie que les multinationales sont appelées à assumer un positionnement social, économique, des initiatives et des engagements qui prennent de facto en compte leur nationalité. Notons d’ailleurs que Tim Cook, le PDG d’Apple, est membre de Business Roundtable. Et que le premier mot du nouveau manifeste sur la raison d’être de l’entreprise est le mot « Américains », et non pas « salariés » ou « consommateurs » :</p>
<blockquote>
<p>« Les Américains méritent une économie qui permet à chacun de réussir en travaillant durement et en étant créatif, pour vivre dans la dignité, vivre une vie qui a du sens ».</p>
</blockquote>
<p>Mais ne nous méprenons pas ; il ne s’agit pas pour moi d’affirmer que les multinationales devraient abandonner leur ambition de définition d’une raison d’être. Il s’agit de souligner le fait que le processus de définition d’une raison d’être cohérente et porteuse de sens doit intégrer les implications du monde global actuel. Les dirigeants sont amenés à répondre à des enjeux sociaux de première importance en tenant compte de certaines priorités et valeurs du pays d’origine de l’entreprise, tout en définissant une raison d’être qui fasse sens pour des parties prenantes, des clients et des salariés d’une multitude de pays différents, sans opter pour autant pour le plus petit dénominateur commun.</p>
<p>Alors de quelle manière pour une entreprise définir une raison d’être globale ambitieuse ? Les grandes entreprises pourraient s’inspirer des conférences de consensus dans le secteur de la santé. Une conférence de consensus permet aux décideurs publics de dépasser les clivages philosophiques, éthiques et moraux initiaux pour faire ressortir des enjeux vitaux et prendre en compte des témoignages personnels forts et bien réels. Concevoir un modèle similaire pour la définition par les grands groupes internationaux de leur raison d’être offrirait à leurs dirigeants l’opportunité de piloter des organisations véritablement guidées par une raison d’être réellement globale et porteuse de sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123936/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Cagé est associée-cofondatrice, et présidente, de l'agence de conseil en stratégie Compass Label. </span></em></p>Les écarts qui peuvent exister entre les enjeux locaux et internationaux peuvent compliquer la définition de la finalité d’une multinationale.Agathe Cagé, Docteure en Sciences politiques associée au (CESSP) du CNRS, de l'EHESS, et de , Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1223872019-08-27T15:13:45Z2019-08-27T15:13:45ZAcademic All-Star Game, épisode V : la renaissance des sciences de gestion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/289448/original/file-20190826-8889-qgurl3.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C3%2C1286%2C771&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Albert David et Armand Hatchuel (de gauche à droite).</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p><em>Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/fr/formation/master/management-strategique#mention">Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay</a>) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’<a href="http://ens-paris-saclay.fr">ENS Paris-Saclay</a> et de la <a href="http://www.jm.u-psud.fr/fr/index.html">faculté Jean‑Monnet</a> (droit, économie, gestion) de l’<a href="http://www.u-psud.fr/fr/index.html">Université Paris-Sud</a>. Ce cycle est soutenu par la <a href="http://msh-paris-saclay.fr">MSH Paris-Saclay</a>.</em></p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Programme complet de l’Academic All-Star Game.</span>
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</figure>
<p>Le cinquième épisode du cycle de conférences de l’Academic All-Star Game 2018-2019, a pris place au sein de la faculté Jean‑Monnet le jeudi 14 mars 2019. L’enjeu initial, rappelons-le, est de s’interroger sur l’avenir de la recherche en stratégie et en management, sur son rôle mais aussi ses apports pour les praticiens, car une recherche fonctionnant en cycle fermé ne peut être que sclérosée. Les interventions de Albert David et Armand Hatchuel, marquées par un ton optimiste, ont recontextualisé les sciences de gestion et surtout montré ce qu’elles peuvent apporter par rapport aux autres disciplines scientifiques.</p>
<p>En premier lieu, il convient de présenter les deux intervenants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289365/original/file-20190826-170906-1pd27zo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les nouvelles fondations des sciences de gestion.</span>
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<p>Albert David détient un doctorat en méthode scientifique de gestion et il est professeur à l’université Paris-Dauphine. Il a été le rédacteur en chef de la revue scientifique <em>Finance, Contrôle, Stratégie</em> et a fondé le Cercle de l’innovation en 2013. Ses recherches portent notamment sur la décision (voir David A., Damart S., <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2011-5-page-15.htm">« Bernard Roy et l’aide multicritère à la décision »</a>, <em>Revue française de gestion</em>, 2011/5 N°214), l’innovation et l’étude de la recherche en sciences de gestion. (voir David A., <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-3-page-173.htm">« Décision, conception et recherche en sciences de gestion »</a>, <em>Revue française de gestion</em>, 2002/3-4 N° 139).</p>
<p>Armand Hatchuel est professeur à MINES ParisTech. Véritable figure de la recherche en gestion francophone, il a pris part à de nombreux comités et conseils scientifiques et a été très impliqué dans l’élaboration de la loi Pacte en liaison avec le Collège des Bernardins. Ses publications portent sur la théorie de l’action collective ou théorie C-K (<em>concept-knowledge</em>), mais aussi sur les finalités de l’entreprise (Levillain K., Segrestin B., Hatchuel A., <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2014-8-page-179.htm">« Repenser les finalités de l’entreprise. La contribution des sciences de gestion dans un monde post-hégélien »</a>, <em>Revue française de gestion</em>, 2014/8 N°245). Il a publié l’un des 19 articles les plus influents de l’histoire de la <em>Revue française de gestion</em> : Hatchuel, A. (2015), <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2015-8-page-121.htm?contenu=article">« Apprentissages collectifs et activités de conception »</a>, <em>Revue française de gestion</em>, 253(8), 121-137.</p>
<p>Voici maintenant, en substance, ce que l’on pouvait retenir de cette cinquième conférence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/academic-all-star-game-episode-iv-dieselgate-et-affaire-carlos-ghosn-116907">Academic All-Star Game, épisode IV : « Dieselgate » et affaire Carlos Ghosn</a>
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<h2>Redécouvrir la gestion</h2>
<p>Albert David et Armand Hatchuel nous ont d’abord invités à nous interroger sur la place de la gestion, en tant que discipline scientifique, et surtout à en redécouvrir certains pans. En effet, pour paraphraser les deux professeurs, il y a une forme « d’amnésie » concernant les penseurs d’après-guerre.</p>
<p>Armand Hatchuel note qu’en cette période tout tourne autour des « tayloriens » : chaque théorie, chaque pensée est étudiée, débattue, affirmée ou infirmée, mais toujours par rapport au canon taylorien. Cela se ressent encore aujourd’hui puisque les Henri Fayol et autre Mary Parker Follett, s’ils sont certes étudiés, le sont toujours en parallèle du taylorisme. Là où le phénomène est devenu préjudiciable, c’est qu’il a eu tendance à occulter certains grands apports de ces auteurs, apports que l’on redécouvre seulement aujourd’hui.</p>
<p>Par ailleurs, deux dualités ont longtemps concouru à limiter l’analyse des sciences de gestion. La première a amené à séparer responsabilité et rationalité. Or, l’une ne peut être analysée sans l’autre. La seconde est la séparation entre management et gouvernance, séparation qui aujourd’hui n’est plus d’actualité. C’est en dépassant ces éléments que la gestion est revenue en force.</p>
<h2>La gestion, une science de premier plan</h2>
<p>S’il y a un élément qui ressort dans les discours de Albert David et Armand Hatchuel, c’est bien la conviction que la gestion, loin d’être une science de second plan et dépérissante, est devenue une discipline dynamique, dont le prisme analytique n’a rien à envier aux sciences fondamentales.</p>
<p>La première raison est que celle-ci, via le développement des théories de l’action collective, a enfin pu définir clairement son objet : non plus juste une théorie du faire ou de l’agir, mais l’étude des actions collectives. Par ailleurs, dans sa démarche scientifique, la gestion bénéfice de trois atouts. Le premier est un grain d’analyse beaucoup plus fin que les autres sciences. Le second est sa grande variété d’objets d’analyse, la théorie de l’action collective se présentant comme universelle. Enfin, elle bénéficie de la longitudinalité de ses observations : son analyse pouvant s’inscrire dans une échelle de temps relativement longue (étude d’une entreprise sur plusieurs décennies par exemple).</p>
<p>La place importante qu’occupe aujourd’hui la gestion est due à l’émergence de théories fortes telle que la théorie C.K (<em>concept-knowledge</em>), dont l’usage a largement dépassé les frontières de la gestion. Dans un de leurs domaines de prédilections, l’innovation, les deux chercheurs ont développé cette théorie à la force de frappe importante. D’après celle-ci, la propriété d’un bon concept innovant est d’explorer l’inconnu en relisant le connu, en d’autres termes « innover, c’est créer de l’inconnu avec du connu ».</p>
<p>Après la discipline, passons on chercheurs. Les deux ont insisté sur l’importance de la culture pour un chercheur en gestion. Armand Hatchuel rappelle que l’aspect longitudinal de la discipline implique une connaissance historique de celle-ci. La gestion n’est pas une accumulation d’outils. Il est nécessaire de contextualiser ces derniers, pour en saisir les tenants et les aboutissants, mais aussi de savoir rechercher dans le passé des solutions à des problèmes contemporains. Albert David, au-delà de ce bagage historique, insiste, quant à lui, sur le besoin pour un chercheur d’avoir une culture littéraire. En effet, la gestion est caractérisée par des variations terminologiques où de nouveaux termes apparaissent et d’autres disparaissent continuellement. Une culture littéraire est ainsi nécessaire non seulement pour apporter précision et clarté à la pensée, mais aussi pour forger de nouveaux concepts.</p>
<h2>Reconnaissance publique</h2>
<p>Ce que nous pouvons appeler le renouveau des sciences de gestion se matérialise plus spécifiquement par la reconnaissance de la recherche en gestion. La discipline occupe en effet une place de plus en plus importante dans les politiques publiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-chevet-de-la-recherche-en-management-academic-all-star-game-episode-3-115973">Au chevet de la recherche en management : Academic All-Star Game, épisode 3</a>
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<p>Pour illustrer cela, les deux chercheurs, et plus particulièrement Armand Hatchuel, ont insisté sur ce qu’ils nomment la « nouvelle entreprise », naissant grâce au projet de loi pour le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (loi Pacte). Cette nouvelle entreprise vient bouleverser, bien au-delà des seules sciences de gestion, notre société tout entière.</p>
<p>Cette volonté de changement peut être expliquée par plusieurs points. Premièrement, la crise de 2008 constitue le paroxysme des déviances de comportements des dirigeants, surtout dans les sphères bancaires et financières. Deuxièmement, la logique actionnariale prédominante a conduit à 30 ans « d’appauvrissement », de découplage entre profits et investissements (les profits augmentent et les investissements stagnent). Enfin, l’idée selon laquelle seuls les investisseurs prendraient des risques est dorénavant largement contestée. En effet, n’est-il pas complètement absurde d’avancer que les salariés ne sont pas exposés aux risques ? Et d’ailleurs lorsqu’une entreprise fait face à des difficultés les salariés ne sont-ils pas les premiers à être interviewés ? Il existerait un décalage excessivement important entre ce qu’a longtemps été l’entreprise pour les dirigeants et les actionnaires et ce qu’est l’entreprise d’un point de vue sociétal. Ainsi, il existait un réel vide intellectuel sur la définition de l’entreprise, d’après Armand Hatchuel.</p>
<p>Mais alors quels sont les contours de cette nouvelle entreprise ? À noter tout d’abord que ce sont les gestionnaires (ainsi que leurs collègues en droit) qui ont largement inspiré cette nouvelle loi. Les principaux points relatifs à la définition de l’entreprise qu’ils ont retenus sont les suivants. Premièrement, percevoir l’entreprise comme processus de création collective où toutes les parties engagées prennent des risques. Deuxièmement, reconnaître qu’une entreprise a des responsabilités sociales et environnementales. Troisièmement, une entreprise, pour exister, devrait définir une raison d’être. Quatrièmement, créer un cadre de loi apparaît être absolument nécessaire.</p>
<p>À la question « faut-il une loi pour donner une définition à l’entreprise ? », Armand Hatchuel répond que la loi permet d’acter les doctrines, et que certaines théories doivent parfois passer par la loi pour vivre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-chevet-de-la-recherche-en-management-academic-all-star-game-episode-2-114149">Au chevet de la recherche en management : Academic All-Star Game, épisode 2</a>
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<p>Le chercheur a clos cette conférence par une phrase particulièrement marquante : « aujourd’hui les sciences de gestion sont les sciences de la critique contemporaine, car elles posent les questions fondamentales de ce que veut dire agir ensemble ». Difficile de demeurer indifférent·e…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-chevet-de-la-recherche-en-gestion-aasg2019-episode-1-112494">Au chevet de la recherche en gestion : #AASG2019, episode 1</a>
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<p>En conclusion, cette cinquième conférence a mis en exergue des avancées majeures, tant en gestion que sur l’importance prise par la gestion. En effet, celle-ci occupe aujourd’hui une place majeure notamment dans la sphère publique, mais, qui plus est, d’autres disciplines s’inspirent dorénavant des avancées dans la recherche en gestion.</p>
<p>À la question qui justifiait ce cycle de conférences « recherche en stratégie et management : mort clinique ou renaissance ? », la réponse apparaît sans aucun doute : c’est renaissance.</p>
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<p><strong>À visionner, l’intégralité de l’épisode 5 de l’Academic All-Star Game avec Albert David et Armand Hatchuel.</strong></p>
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<p><strong>À voir également, l’interview d’Albert David et Armand Hatchuel par les élèves de l’ENS Paris-Saclay.</strong></p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/122387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le cycle de conférences Academic All-Star Game est soutenu par la MSH Paris-Saclay.</span></em></p>Dans ce nouvel épisode, Albert David (Paris-Dauphine) et Armand Hatchuel (Mines ParisTech) interviennent sur les thèmes des rationalités créatrices et de la nouvelle entreprise.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1197502019-07-03T20:28:38Z2019-07-03T20:28:38ZSe prémunir des OPA hostiles, l’effet inattendu de la raison d’être des entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/282198/original/file-20190702-126369-5ikwrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C1012%2C9382%2C5746&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En cas d'offre publique de rachat, une entreprise peut convoquer une assemblée générale extraordinaire pour modifier rapidement les statuts et opposer aux intitiateurs une incompatibilité avec la raison d'être dont se sera dotée l'entreprise.</span> <span class="attribution"><span class="source">Rawpixel.com / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=2E06B79BA0448A6B82659B5911F5D957.tplgfr32s_1?idArticle=JORFARTI000038496242&cidTexte=JORFTEXT000038496102&dateTexte=29990101&categorieLien=id">loi Pacte du 22 mai 2019</a> (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) introduit dans le droit français la notion de « raison d’être », autorisant toute société, civile comme commerciale, à l’inscrire désormais dans ses statuts. L’objectif affiché de cette mesure est de reconnaître et d’encourager la mise en valeur de l’utilité sociale et environnementale des firmes, et de sortir l’entreprise d’une logique uniquement économique voire financière, comme avait pu le souhaiter le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/26/la-raison-d-etre-pour-l-entreprise-peut-attendre_5321377_3232.html">rapport Notat-Sénard</a> relatif à l’entreprise comme objet d’intérêt collectif, initiateur de la loi Pacte.</p>
<p>Dans cette lignée, certaines grandes entreprises françaises comme Veolia, Schneider Electric ou Danone se sont saisies du sujet, et ont notamment créé le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/15/definir-la-raison-d-etre-de-l-entreprise-un-nouvel-exercice-strategique_5436480_3232.html">« Cercle des entreprises à raison d’être »</a> en mars dernier. Carrefour a ainsi proposé d’inscrire sa raison d’être dans les statuts de l’entreprise lors de son assemblée générale du 14 juin dernier. Cette démarche s’inscrit dans la stratégie de l’entreprise, et en particulier, de la <a href="https://www.lsa-conso.fr/carrefour-va-se-doter-d-une-raison-d-etre,317836">mise en œuvre du plan Carrefour 2022</a>.</p>
<h2>Un outil stratégique</h2>
<p>Début juin, la société d’assurance mutuelle MAIF a annoncé vouloir être la <a href="https://www.lepoint.fr/economie/loi-pacte-la-maif-veut-devenir-la-premiere-grande-entreprise-a-mission-03-06-2019-2316564_28.php">première « société à mission »</a>, autre nouveauté de la loi Pacte, en lien direct avec celle de raison d’être. Le groupe agroalimentaire <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/04/26/emmanuel-faber-en-rendant-tous-les-salaries-de-danone-coactionnaires-nous-mettons-fin-au-mode-de-decision-pyramidal_5291107_3234.html">Danone</a> a de son côté déclaré souhaiter obtenir d’ici à 2030 la certification <a href="https://bcorporation.net/">« BCorp »</a>, délivrée aux sociétés commerciales intégrant des exigences sociales et environnementales.</p>
<p>Longtemps ignorée des juristes, la raison d’être n’est pas à rattacher à la <a href="https://brunodondero.com/2018/03/10/la-raison-detre-des-entreprises-rapport-notat-senard/">psychologie</a> ou la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-raison-d-etre-jacques-ellul/9782757805428">philosophie</a>. En fait, pour les stratèges de tous bords, ce soudain regain d’intérêt pour la raison d’être de l’entreprise a pu paraître surprenant. Pour n’importe quel étudiant d’école de commerce ou d’université ayant suivi un cursus en gestion, la raison d’être est en effet un <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2015/01/5859-pourquoi-est-il-aussi-important-pour-une-entreprise-davoir-une-raison-detre/">concept incontournable</a> de tous les cours de stratégie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282191/original/file-20190702-126369-ydx3o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Schneider Electric, comme Veolia ou Danone, fait partie des entreprises qui ont rejoint le « Cercle des entreprises à raison d’être ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">g0d4ather/Shutterstock</span></span>
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<p>En stratégie, la mission de l’entreprise est en effet définie comme le but général de l’organisation. Elle <a href="https://hbr.org/2008/04/can-you-say-what-your-strategy-is">se distingue de la vision stratégique</a>, qui est l’état futur souhaité pour l’organisation, et des objectifs de l’entreprise, plus opérationnels et précis. La mission de l’entreprise a été reconnue comme un outil stratégique permettant de donner du <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/ame.1987.4275821?journalCode=amp">sens à l’action des managers</a> et <a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/02756661011012769?journalCode=jbs">d’atteindre la performance</a>.</p>
<p>Depuis de longues années, les entreprises se sont ainsi livrées à des exercices de définition de leurs missions, et affichent ces dernières dans leurs rapports annuels et autres sites Internet. Certains chercheurs ont d’ailleurs pointé les risques d’écarts entre les missions affichées, et la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S000768130080018X">réalité des entreprises</a>. La loi Pacte remet ainsi au goût du jour une notion classique en management stratégique.</p>
<h2>Une arme très simple d’utilisation</h2>
<p>Au-delà de ses effets sur la réputation, intégrer la raison d’être aux statuts de l’entreprise peut être un moyen d’affirmer son ancrage dans la société et de donner un nouvel élan à l’engagement des salariés, <a href="http://observatoire-engagement.org/">parfois en berne</a>. Elle peut être aussi à l’évidence un <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/franck-aggeri/entreprises-a-mission-raison-detre-place-a-lexperimentation/00088252#footnote1_o4zwn4l">argument commercial de poids</a>. De plus, des chercheurs ont également montré un lien entre la performance financière de l’entreprise et l’<a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/EUM0000000005404">inclusion de certains objectifs dans sa mission</a>, par exemple le respect des employés, se comporter de manière responsable dans les contextes où l’entreprise fait des affaires ou communiquer et mettre en avant ses valeurs.</p>
<p>Enfin, inclure la raison d’être dans les statuts des sociétés pourrait avoir un autre effet, plus inattendu : celui d’être un rempart contre les OPA hostiles. Au-delà des <a href="https://hal-essec.archives-ouvertes.fr/hal-01240851/document">défenses préventives anti-OPA déjà connues</a>, les sociétés cibles vont en effet désormais pouvoir en ajouter une nouvelle : l’inscription d’une raison d’être dans leurs statuts.</p>
<p>Pour lutter contre une vision court-termiste, la financiarisation accrue des sociétés et un intérêt social réduit à l’intérêt des actionnaires les plus activistes, les entreprises ont désormais à leur disposition une nouvelle arme d’une efficacité inégalée car très simple – une modification des statuts votée en assemblée générale extraordinaire – et d’une mise en œuvre relativement aisée. Il suffira ensuite que les dirigeants l’opposent aux éventuels initiateurs d’une offre publique en arguant <a href="https://www.lextenso.fr/bulletin-joly-societes/BJS119j0">d’une incompatibilité « existentielle »</a> entre cet initiateur et la raison d’être statutairement adoptée, comme le suggère le professeur Antoine Gaudemet dans un article publié dans le « Bulletin Joly Sociétés » de janvier 2019.</p>
<p>Ainsi, la raison d’être ou le statut de société à mission peuvent permettre aux firmes d’atteindre simultanément plusieurs objectifs stratégiques parfois jugés contradictoires. Prenons par exemple le cas du groupe Danone. Une <a href="https://www.xerfiknowledge.com/presentationetude7000/Danone-(etude-de-groupe)_8ENT16">étude récente</a> montre que Danone est un acteur de taille moyenne relativement aux grandes entreprises du secteur agroalimentaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282190/original/file-20190702-126364-1yu67oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Danone vise la certification « BCorp » délivrée aux sociétés commerciales intégrant des exigences sociales et environnementales d’ici 2030.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nikolay Antonov/Shutterstock</span></span>
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<p>L’entreprise a connu plusieurs repositionnements stratégiques, avec l’abandon progressif d’un certain nombre de segments de marché, comme les biscuits, par exemple, pour se recentrer sur les produits santé et bien-être, tels que l’eau minérale et le bio. Danone fait régulièrement l’objet de spéculations concernant la perspective d’une OPA. Par exemple, en <a href="https://www.lerevenu.com/bourse/coulisses/danone-warren-buffet-relance-la-rumeur-dopa">2018</a>, une rumeur a couru sur une éventuelle acquisition par Kraft Heinz, l’un des leaders de l’agroalimentaire. D’autre part, Danone s’est engagée notamment depuis 2005 dans une politique active montrant son engagement sociétal, avec par exemple la création d’une <a href="https://www.processalimentaire.com/vie-des-iaa/danone-adopte-un-business-model-solidaire-au-bangladesh-6708?sso0=1">coentreprise au Bangladesh</a> pour rendre ses produits plus accessibles et lutter contre la malnutrition, sous l’impulsion d’Emmanuel Faber, alors responsable de l’Asie pour le groupe.</p>
<h2>D’une pierre deux coups</h2>
<p>Aujourd’hui PDG du groupe, Emmanuel Faber souligne l’importance de donner du sens à l’entreprise et de partager la <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/loi-pacte-la-raison-detre-seduit-les-entreprises-1002572">création de valeur</a> avec les différentes parties prenantes : collaborateurs, fournisseurs, collectivité. Dans ce contexte, l’intégration d’une raison d’être aux statuts de l’entreprise, ainsi que le statut de société à mission permettront à Danone de renforcer sa réputation en termes de responsabilité sociétale, tout en la protégeant d’éventuels prédateurs – une manière élégante de faire d’une pierre deux coups.</p>
<p>La loi Pacte permet ainsi l’alliance de deux objectifs : l’ancrage des entreprises dans la société, et la protection de leur indépendance. Le groupe Danone, en route vers la certification BCorp et la transformation récente de sa filière américaine en <a href="https://www.lemonde.fr/entreprises/article/2017/05/08/danone-fer-de-lance-des-nouvelles-societes-a-benefice-public_5124042_1656994.html"><em>public benefit corporation</em></a>, équivalent aux États-Unis de la nouvelle société à mission introduite par la loi Pacte, est un bon exemple du chemin à suivre. Les entreprises du « Cercle des entreprises à raison d’être » lui emboîtent d’ailleurs, semble-t-il, le pas.</p>
<p>À cet égard, une communication accrue des dirigeants sur la mise en place de ces nouveaux outils pourrait s’avérer stratégiquement efficiente. Ce dispositif s’ajoute à ceux de la loi Florange qui, depuis 2014, a donné aux dirigeants la possibilité de mettre en place <a href="https://cms.law/fr/FRA/Publication/Defenses-anti-OPA-aux-armes-dirigeants">des défenses anti-OPA « à chaud »</a>, pendant les offres, dès lors que l’intérêt social et le pouvoir des assemblées sont respectés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Bufflier travaille pour.SKEMA Business School en tant qu'enseignante</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aurore Haas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette notion introduite dans la loi Pacte permet aux entreprises de se doter indirectement d’un nouvel argument pour résister aux éventuelles tentatives d’OPA hostiles.Isabelle Bufflier, Professeur de droit des affaires, SKEMA Business SchoolAurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1189392019-06-18T20:50:24Z2019-06-18T20:50:24ZPrivatisation de la FDJ : pour qui est-ce la fin des chiffres « avec plein de zéros derrière » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/279808/original/file-20190617-118543-yrpscz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C22%2C994%2C631&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'activité de la FDJ, pour laquelle la voie de la privatisation a été ouverte par la loi Pacte, affiche une progression constante.
</span> <span class="attribution"><span class="source">LMWH/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Après plusieurs mois de débats, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été promulguée le 22 mai dernier. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=8E86033376B2AF489820E641F068EBB7.tplgfr38s_3?idArticle=JORFARTI000038496332&cidTexte=JORFTEXT000038496102&dateTexte=29990101&categorieLien=id">article 137</a> de ce texte ouvre la voie à une privatisation de la Française des jeux (FDJ), la majorité du capital pouvant être désormais cédée.</p>
<p>La FDJ, deuxième loterie européenne et quatrième mondiale, est aujourd’hui une <a href="https://www.dalloz-avocats.fr/documentation/Document?id=DZ/OASIS/000937">Société anonyme d’économie mixte</a>. Elle jouit d’un monopole confié par l’État sur les jeux de loterie (tirage et grattage) en ligne et en points de vente, ainsi que sur les paris sportifs en points de vente (les paris sportifs en ligne sont ouverts à la concurrence). La loi précise également que la FDJ conservera le monopole en l’état, mais dans le cadre d’une concession d’un maximum de 25 ans. En dehors des considérations générales, les modalités exactes de la privatisation de la FDJ ne sont pas connues même si des acteurs gouvernementaux ont à l’occasion lancé des idées, notamment une réduction de la participation de l’État de 72 % à 20 % et une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/francaise-des-jeux-lenvironnement-juridique-de-la-privatisation-se-dessine-1012361">introduction en bourse</a>.</p>
<h2>Une entreprise qui ne connaît pas la crise</h2>
<p>La FDJ a une activité en progression constante et n’est que peu affectée par la conjoncture même si l’on constate une petite faiblesse lors de la crise de 2007-08. On note également que la part distribuée aux joueurs progresse régulièrement (différence entre le volume des mises et le produit brut des jeux), le dynamisme de l’activité permettant de répartir plus largement les coûts. Ce dynamisme mérite d’être signalé alors que la concurrence a explosé avec la démultiplication des possibilités de jouer en ligne où la notion de monopole national perd de sa pertinence.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279802/original/file-20190617-118518-10fp3rh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Rapports annuels</span></span>
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<p>Sur le produit brut des jeux, l’État prélève une taxe définie par arrêté du ministre chargé du budget et encadrée par la loi. Pour 2018, cette taxe s’élève à environ 65 % (3 346 millions d’euros) sans compter l’impôt sur les sociétés (83 millions en 2017), les cotisations diverses et les dividendes sur le résultat (130 millions pour 2017, dont 72 % pour l’État), le tout représentant environ 3,5 milliards d’euros. Le système de taxation a été rénové dans le cadre le cadre la loi Pacte (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038496102#LEGIARTI000038497676">article 138</a>), mais sous certaines réserves. La privatisation ne changera donc pas grand-chose, la part des dividendes étant relativement faible dans les reversements à l’État.</p>
<p>Pour autant, la FDJ parvient à dégager des marges honorables avec un <a href="https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/ebitda.html">EBITDA</a> représentant 17,5 % des produits des activités ordinaires (équivalent du chiffre d’affaires, après prise en compte des reversements aux joueurs et des prélèvements publics) et un <a href="https://www.compta-facile.com/resultat-net-comptable-definition-calcul-interet/">résultat net</a> représentant près de 9,5 %. Une ouverture du capital aura donc des conséquences limitées sur les revenus de l’État qui tire davantage profit de la taxation que de la rémunération du capital.</p>
<h2>Une composition baroque du capital</h2>
<p>Au niveau européen, même si les situations respectives des différentes sociétés nationales sont difficiles à comparer, la FDJ est l’opérateur qui « rend » aux joueurs la part la plus importante des mises (67,6 %). Un niveau équivalent à celui de la Selae (<em>Sociedad estatal loterias y apuestas del estado</em>) en Espagne, mais largement supérieur à celui de la <em>National Lottery</em> au Royaume-Uni (53 %), géré par une société commerciale (Camelot) détenue à 100 % par le fonds de pension des enseignants de l’Ontario au Canada, ou du monopole Deutsche Lotto-Toto Block (DTLB, « Lotto ») en Allemagne (près de 50 %). Dans ces pays, ce sont notamment vers les « bonnes causes » (sport, éducation, environnement, charité, etc.) que sont réorientées les recettes, même si l’État n’est pas désintéressé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279803/original/file-20190617-118530-16u0usd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapports annuels des sociétés et calculs de l’auteur</span></span>
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<p>In fine, la privatisation de la FDJ, contrairement à <a href="https://theconversation.com/aeroports-de-paris-au-secours-yvonne-ils-vendent-les-bijoux-de-famille-95762">celle envisagée d’Aéroports de Paris</a> (ADP), ne semble donc pas poser de problèmes économiques insurmontables entre un monopole relatif, une préservation globale de l’intérêt financier de l’État et des mécanismes de régulation des jeux améliorés par la loi Pacte (sous réserve d’en connaître les modalités concrètes).</p>
<p>En revanche, la composition baroque actuelle de son capital pose plus de questions. Comme le soulignait déjà en 2007 Sébastien Turay dans son ouvrage consacré à la Française des jeux (« La Française des jeux : jackpot de l’État ? »), si l’État est l’actionnaire majoritaire de la FDJ avec 72 % du capital, 28 % sont répartis entre des acteurs plus ou moins « folkloriques » qui s’inscrivent dans l’histoire de la FDJ et qui représentent pour certains une orientation en faveur des bonnes causes (mais pas tous). À l’exception du personnel, ils sont les héritiers des systèmes de loterie qui ont précédé la création de la FDJ, en particulier les associations d’anciens combattants. Ce sont ces derniers qui seraient le plus exposés en cas de privatisation qui pourrait signer la fin d’un certain nombre de privilèges.</p>
<h2>« Gueules cassées » et privilèges</h2>
<p>Parmi ceux-ci, les « Gueules cassées » (aujourd’hui Union des blessés de la face et de la tête du fait de l’élargissement de leurs missions, 9,2 %) et la Fédération André Maginot (4,23 %) sont les actionnaires les plus emblématiques. Ce sont les principaux créateurs des jeux de loterie en France dans leur version moderne (les jeux de loterie sont beaucoup plus anciens). Ils ont au cours du temps vu leur participation baisser, l’État ayant <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/loto-la-rente-des-gueules-cassees_2000541.html">repris progressivement la main</a> en raison de la nature monopolistique de l’activité.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=213&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=213&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=213&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279813/original/file-20190617-118518-17795ot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=267&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.groupefdj.com/fr/groupe/lorganisation-du-groupe.html">Capture d’écran du site du groupe FDJ.</a></span>
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<p>Comme l’indique le rapport annuel 2018 des « gueules cassées », la plus grosse partie des revenus de l’association provient des revenus financiers (principalement les dividendes de la FDJ, mais aussi des revenus des placements en raison d’une trésorerie confortable de près de 180 millions d’euros). Ces revenus alimentent aussi de façon régulière une fondation associée <a href="http://www.slate.fr/story/17113/comment-les-gueules-cassees-ont-perdu-11-millions">à la gestion parfois discutable</a>. On note d’ailleurs que l’association persiste à avoir une gestion financière risquée de ses placements puisqu’en 2018, des moins-values de 7,2 millions d’euros ont été enregistrées (avec il est vrai aussi des <a href="https://www.boursedescredits.com/lexique-definition-value-latente-3440.php">plus-values latentes</a> de 5,1 millions d’euros).</p>
<p>C’est pour le moins une façon inhabituelle de gérer les placements pour une association. La structure est d’ailleurs très susceptible sur le sujet de l’indépendance de sa gestion, vis-à-vis de l’État en particulier, dans la mesure où elle se considère comme l’actionnaire d’une entreprise, ne reçoit pas d’argent public et ne fait pas appel aux dons. En effet, un rapport de la Cour des comptes en 2000 décrivait une organisation peu orthodoxe, avec par exemple des salariés contractant des <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/loto-la-rente-des-gueules-cassees_2000541.html">prêts aux tarifs imbattables</a>… auprès de l’association.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/279814/original/file-20190617-118539-1blw56w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’origine du loto français, les « Gueules cassées ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hôpital_1914-1918.jpg">Yelkrokoyade/Wikimedia</a></span>
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<p>Alors que la sécurité sociale a été crée entre-temps (1946) et que les « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale sont aujourd’hui décédées, et avec tout le respect que l’on peut avoir pour les mutilés de la face contemporains, le maintien de ce privilège semble anachronique au regard de l’ensemble des causes qui pourraient de façon tout aussi légitime bénéficier de ce support financier. Le motif de créateur de la loterie nationale semble très usé sachant que ce n’était au fond que la concession d’un privilège par l’État à une catégorie de la nation qui l’avait particulièrement mérité.</p>
<h2>Pérenniser les « fromages »</h2>
<p>D’autres actionnaires, à la participation encore plus réduite, sont dans la même situation. Par exemple, la Confédération des buralistes, organisme de représentation des débitants de tabac, contrôle 2 % du capital de la FDJ et touche de confortables dividendes de la FDJ (2,6 millions d’euros en 2018) sans que nous ayons toutefois pu identifier de communication à ce sujet de la part de la confédération. La Mutuelle du Trésor détient quant à elle 1 % sans qu’il nous ait été possible d’identifier clairement son affectation compte tenu des évolutions des structures mutualistes. Nous pouvons néanmoins constater que les fonctionnaires de Bercy à la manœuvre dans les opérations successives de restructuration de la FDJ et très présents dans le conseil d’administration de la FDJ ne se sont pas oubliés.</p>
<p>Citons encore la Comalo (Compagnie marseillaise de loteries), société privée possédée à hauteur de 66,6 % par deux particuliers, et qui détient 0,6 % des actions. Son compte de résultat 2017/18 signale un chiffre d’affaires de 0 euro, des revenus uniquement financiers (872 000 euros, les dividendes de la FDJ majoritairement) mais des charges d’exploitation (dont des salaires) de 266 000 euros, le tout avec une trésorerie confortable d’environ 2,9 millions d’euros…</p>
<p>N’oublions pas non plus parmi les actionnaires le personnel de la FDJ. Au travers d’un FCPE (Fonds commun de placement d’entreprise), les salariés détiennent environ 5 % du capital. Pour 2017, ils ont ainsi touché des dividendes de 6,5 millions d’euros (2 929 euros par personne sur la base des 2 219 salariés de la FDJ et de ses filiales), sans compter une participation et un intéressement des salariés de 23,4 millions d’euros (10 545 euros par personne) ainsi que des avantages à long terme de 3 millions d’euros (soit 1 352 euros par personne). Avec un salaire moyen annuel de 84 137 euros (charges sociales salariales et patronales incluses), on peut avancer sans crainte que la statut de salarié de la FDJ est enviable.</p>
<p>Mais ce statut est-il menacé ? Tout comme le sont les avantages des actionnaires minoritaires ? Le gouvernement a d’ores et déjà indiqué que les actionnaires historiques pourraient conserver leur participation et que le personnel <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/ESPACE-EVENEMENTIEL/PACTE/pacte-cessions-participations-publiques.pdf">pourrait même progresser</a> au capital, ce qui revient à pérenniser des « fromages » à la légitimité contestable puisqu’il s’agit d’un monopole concédé par l’État qui a désormais vocation a être remis en jeu régulièrement via le système concessionnaire. Reste toutefois à savoir quelles pourraient être les conséquences juridiques et financières d’une « expropriation » des actionnaires historiques…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Caby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus que l’État ou les joueurs, ce sont les actionnaires historiques qui détiennent une part réduite du capital qui ont le plus à perdre en cas de fin du monopole.Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1176182019-05-22T18:46:54Z2019-05-22T18:46:54Z« Fenêtres ouvertes sur la gestion » : l’entreprise après la loi Pacte, Distribution 4.0, management et perversité…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/275884/original/file-20190522-187153-1cjelvy.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C579%2C473&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 18 mai 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40C8I31sfNzWXk2swKm5XO4lAI%2FhC%2Bj%2BZNbjsyvlDAP70%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=">lettre datée du 18 mai 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Stéphane Vernac, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Amiens, évoque la réforme de l’entreprise et du droit.</p>
<p>Bon visionnage, et à la semaine prochaine pour sept nouvelles conversations « Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
<hr>
<h2>À la une</h2>
<p><strong>L’entreprise et le droit : où en est-on ? conversation avec Stéphane Vernac, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Amiens</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/324187755" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>Dirigeants : quelles pratiques de rémunération à long terme ? conversation avec Franck Bancel et Henri Philippe, respectivement professeur à ESCP Europe et maître de conférences associé à l’École des Ponts ParisTech</strong></p>
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<p><strong>Le marketing et la distribution à l’heure du 4.0, conversation Jean‑François Lemoine, professeur à l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne</strong></p>
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<p><strong>Le management est-il pervers par essence ? conversation avec Sébastien Damart et Thomas Loilier, professeur des universités à l’Université Paris Dauphine et professeur des Universités IAE de Caen</strong></p>
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<p><strong>Devenir Pro en management, c’est possible ! conversation avec Thierry Burger-Helmchem et Sophie Raedersdorf Bollinger, respectivement professeur agrégé des Universités en sciences de gestion à l’Université de Strasbourg et chercheuse à l’Université de Strasbourg</strong></p>
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<p><strong>Quel management pour l’hôpital ? le cas tunisien, conversation avec Hédi Guelmami, docteur in Business Administration (DBA), Business Science Institute</strong></p>
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<p><strong>Faire de la recherche en contexte international, conversation avec Liliana Mitkova, professeur à l’université d’Evry</strong></p>
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<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117618/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le Business Science Institute est membre du cercle des partenaires de l'émission "Fenêtres Ouvertes sur la Gestion".</span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine, « l’entreprise et le droit : où en est-on ? »Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.