tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/notre-dame-des-landes-49634/articlesNotre-Dame-des-Landes – The Conversation2020-04-19T18:04:03Ztag:theconversation.com,2011:article/1361262020-04-19T18:04:03Z2020-04-19T18:04:03ZAéronautique : le Covid-19 signe-t-il la fin des privilèges ?<p>Jusqu’au 12 mars 2020, à l’échelle du globe, FlightRadar24 comptabilisait plus de 100 000 vols commerciaux quotidiens. Puis le trafic <a href="https://www.flightradar24.com/data/statistics">s’est effondré</a> avec un creux de 26 774 vols le 7 avril. La violence de ce choc est <a href="https://www.aci-europe.org/european-airports-passenger-traffic-in-march-2020">sans égal</a> dans l’histoire des compagnies aériennes.</p>
<p>Fin 2019, Alexandre de Juniac, le directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui représente les intérêts des compagnies aériennes, avait prévu des bénéfices de plus de 29 milliards de dollars pour 2020. C’était un autre monde, et anéanti quelques mois plus tard avec des menaces sur 25 millions d’emplois et un plongeon attendu de 252 milliards de dollars, soit une <a href="https://www.iata.org/en/pressroom/pr/2020-04-07-02/">baisse de 44 %</a> par rapport au chiffre d’affaires de 2019 !</p>
<h2>L’aérien, facteur aggravant de la pandémie</h2>
<p>Au-delà de ces chiffres, les compagnies aériennes se sont en effet retrouvées en première ligne en raison de leur capacité involontaire et foudroyante à diffuser le virus. Le boom du transport aérien, en Asie notamment, est venu aggraver la situation. Rappelons qu’en 1992, la Chine n’avait connu que 500 000 mouvements d’avions, mais 10 249 millions en 2017, dont 869 000 à l’international.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327135/original/file-20200410-51889-1yde9yp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Baisse du trafic aérien en Europe corrélée à la propagation du coronavirus (en nombre de cas confirmés).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.aci-europe.org/european-airports-passenger-traffic-in-march-2020">Airports Council International Europe</a></span>
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<p>Dans les années qui viennent, reviendra-t-on à la « normale », c’est-à-dire à une croissance du marché aérien selon les critères du seul libéralisme économique ? Si c’est le cas, ce retour au rythme de croisière d’avant-crise porterait le risque de nouvelles crises pandémiques mondiales. De nombreuses souches de coronavirus ne demandent en effet qu’à s’activer. De manière structurelle, la pression anthropique sur les milieux naturels et ruraux rapproche les hommes et les animaux, et favorise ainsi le franchissement de la barrière des espèces par les virus.</p>
<p>En prendre conscience pourrait donc amener à une rupture, exactement comme les attentats du 11-Septembre l’ont été dans la <a href="http://www.rfi.fr/fr/ameriques/20110909-securite-aerienne-change-depuis-le-11-septembre-attentats-lutte-anti-terroriste">réorganisation</a> de la sécurité aérienne. Au minimum, un confinement radical et brutal du ciel mondial devrait être envisageable en cas de crise sanitaire. Au mieux, cela pourrait passer par la fin du statut particulier de l’aviation commerciale dans le droit international.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1247554584375148544"}"></div></p>
<p>La remise en cause de ce statut permettrait d’endiguer le risque de nouvelles pandémies, mais aussi d’engager la lutte contre la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/20/ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-pollution-generee-par-le-trafic-aerien_6012443_3244.html">pollution grandissante</a> générée par le transport aérien, qu’il s’agisse du dérèglement climatique comme des aéroports destructeurs des milieux « naturels » et problématiques en matière de santé publique.</p>
<h2>Une liberté subventionnée</h2>
<p>Ce statut particulier a été mis en place au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. En 1948-49, le <a href="http://www.alliiertenmuseum.de/fr/themes/le-pont-aerien-de-berlin.html">pont aérien</a> de Berlin avait en outre frappé les esprits par la capacité du fret avionné à défendre la liberté.</p>
<p>Les États-Unis avaient alors déjà mis en avant la liberté de voler avec un ciel régulé par l’Organisation des Nations unies (ONU). Dès 1944, les conventions de Chicago et de Montréal avaient posé les bases juridiques de ce principe. Ainsi, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) garantit le fonctionnement concret d’une circulation <a href="https://www.icao.int/about-icao/Pages/FR/default_FR.aspx">aussi libre</a> que possible. Sur le terrain, l’IATA veille à l’application concrète des deux conventions.</p>
<p>C’est ainsi que l’aviation civile a réussi, plusieurs décennies plus tard, à s’affranchir de la lutte contre la pollution. En 1997 à <a href="https://www.ina.fr/video/2092055001012">Kyoto</a>, le lobbying de l’IATA avait été efficace puisque les « soutes internationales » avaient été exclues des calculs des émissions de gaz à effet de serre.</p>
<p>L’argument avait été de dire qu’on ne saurait attribuer des quotas nationaux d’émission aux compagnies puisque celles-ci ont des activités principalement internationales : faudrait-il taxer le pays siège de la compagnie, celui de l’aéroport de départ ou d’arrivée, ou encore l’espace aérien du pays survolé ?</p>
<p>Depuis 1997, au gré des COP successives, les « soutes internationales » ont ainsi continué à se défendre <a href="http://circo70.ac-besancon.fr/wp-content/uploads/2015/10/circo70.ac-besancon.fr_fiche-historique-cop.pdf">avec succès</a>. Mais cette exception apparaît de moins en moins tenable alors que la prise de conscience du risque climatique s’accroît.</p>
<p>L’analyse des comptes des compagnies aériennes nous permet de dire que le prix du carburant représente entre le cinquième et le tiers des charges, en fonction de l’évolution du cours du baril de pétrole. Elles sont par conséquent opposées à la taxation du kérosène – un peu comme si les automobilistes payaient le litre entre 30 et 50 centimes.</p>
<p>En outre, les <a href="https://www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/2019_07_Report_analysis_state_aid_Ryanair_airports.pdf">aides publiques</a> sont une pratique courante. Les compagnies low-cost demandent des subventions et des aides diverses au prétexte qu’elles peuvent sauver de petits aéroports déficitaires, ce qui est vrai, et que la puissance publique récupérera la mise grâce aux activités ainsi induites (ce qui n’a jamais été prouvé).</p>
<p>En France, les élus locaux poussent eux aussi dans ce sens, au nom de l’<a href="http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2019/2019_Infographies/20191003_Rapport-TAAT.pdf">aménagement du territoire</a> et de la défense de la ruralité. Dans certains pays émergents, l’argent public ruisselle sur la compagnie nationale et sur les chantiers aéroportuaires.</p>
<p>Ailleurs, la collusion entre les milieux d’affaires et les élus conduit à <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/11/19/des-folies-en-espagne_1606380_3214.html">surdimensionner les infrastructures</a>, voire à en construire inutilement.</p>
<p>C’est ainsi que la concurrence est faussée et que le prix d’un billet ne correspond pas nécessairement à ce qu’il coûte réellement. Supprimer les subventions, produire un prix du carburant « loyal », égaliser la fiscalité, voilà encore une utopie pour un monde post-libéral.</p>
<h2>Taxer, compenser ou plafonner ?</h2>
<p>Ce n’est que très récemment, pendant l’été 2019, que la pression a commencé à monter avec par exemple la <a href="https://www.air-journal.fr/2019-07-10-ecotaxe-sur-les-billets-davions-colere-generale-5213671.html">taxe Borne</a>, de 1,5 à 18 euros par billet d’avion, dont la mise en place est prévue l’année prochaine sur les vols au départ de la France. En parallèle, le gouvernement néerlandais a appelé la Commission européenne à imposer une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/les-pays-bas-veulent-amener-leurope-a-taxer-le-transport-aerien-1031574">taxe sur l’aviation</a> dans toute l’Union européenne.</p>
<p>Certes, l’avion propre et silencieux existera un jour, probablement dans <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/airbus-travaille-sur-un-premier-avion-decarbone-pour-les-annees-2030-1157570">quelques décennies</a>, et d’abord pour les liaisons court-courrier. D’ici là, si l’aviation civile veut porter sa part du fardeau de la lutte contre le dérèglement climatique, seul un plafonnement de l’activité apparaît comme une solution crédible, tout en poursuivant les progrès techniques permettant de limiter la consommation par passager transporté/kilomètre parcouru ; ainsi l’étau pourrait-il être progressivement desserré.</p>
<p>Dès à présent, les <a href="https://calculcarbone.org/">compensations carbone</a> sont revendiquées par certaines compagnies aériennes. Mais ces compensations ne peuvent constituer qu’un pis-aller, car l’ampleur qu’il faut leur donner et les effets que l’on en attend sont difficiles à mesurer en toute objectivité puisqu’on ne connaît pas encore la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AUgmJnGgv1Q">quantité de biomasse</a> globalement existante.</p>
<p>Ainsi le choc entre le libéralisme défiscalisé mais subventionné et le monde de la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg ne peut aboutir à ce jour à un consensus entre les deux parties. En 2020, lors du 40<sup>e</sup> Forum économique mondial de Davos, le président des États-Unis Donald Trump avait déclaré que « nous devons <a href="https://www.lepoint.fr/monde/entre-trump-et-greta-thunberg-davos-a-l-epreuve-du-defi-climatique-21-01-2020-2358756_24.php">rejeter les éternels prophètes de malheur</a> et leurs prédictions d’apocalypse ». Il avait souligné qu’il ne laisserait pas « des socialistes radicaux » s’attaquer aux énergies fossiles. En réponse, Greta Thunberg avait affirmé qu’il fallait « paniquer » et « cesser immédiatement tous les investissements dans l’exploration et l’extraction d’énergies fossiles » et cela « pas en 2050, pas en 2030 ou même en 2021, mais maintenant ». Bloc contre bloc.</p>
<hr>
<p><em>Raymond Woessner est l’auteur de lu livre <a href="https://www.furet.com/livres/geographie-du-transport-aerien-raymond-woessner-9782350306582.html">« Géographie du transport aérien. Quelle croissance pour quelle planète ? »</a> à paraître aux éditions Atlande.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raymond Woessner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rôle du trafic aérien dans l’essor de la pandémie actuelle pourrait remettre en cause son statut particulier dans un contexte plus large de lutte contre le dérèglement climatique.Raymond Woessner, Professeur honoraire de géographie, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1092722019-01-03T21:30:48Z2019-01-03T21:30:48ZLes contestations des violences policières ont une histoire<p>Une image a retenu l’attention médiatique lors du passage à l’an 2019 : celle d’une <a href="https://www.bfmtv.com/societe/etreintes-entre-policiers-et-gilets-jaunes-le-soir-du-nouvel-an-sur-les-champs-elysees-1602356.html">étreinte</a>, brève, entre quelques « gilets jaunes » et des CRS, à Paris.</p>
<p>Cette image symbolique vient contraster avec les nombreux témoignages de violences et de confrontations entre les « gilets jaunes » et les forces de l’ordre. Marque-t-elle pour autant un tournant dans les relations entre manifestants et police ?</p>
<p><a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/12/22/97001-20181222FILWWW00066-3gilets-jaunes-des-dizaines-d-arrestations-a-paris.php">Arrestations de « gilets jaunes »</a> et plaintes de ces derniers pour <a href="http://www.lavoixdunord.fr/515574/article/2019-01-02/les-gilets-jaunes-denoncent-des-violences-policieres-et-cherchent-se-poser">brutalité ou violences policières</a> continuent d’attirer l’attention médiatique, notamment en raison des moyens utilisés : lanceurs de balles de défense (LBD – communément appelés « flash-ball »), grenades lacrymogènes, <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/12/06/grenades-gli-f4-des-avocats-montent-au-creneau_1696480">grenades de GLI-F4</a> (la France étant le seul pays européen à les utiliser dans le cadre du maintien de l’ordre).</p>
<p>Des <a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-et-violences-policieres-ce-que-lhistoire-nous-apprend-108796">spécialistes du maintien de l’ordre</a> n’ont pas manqué de relever l’usage de ces armes dites « non-létales » qui blessent très grièvement, <a href="https://desarmons.net/index.php/2018/10/30/mise-a-jour-de-la-liste-des-personnes-mutilees-par-des-armes-de-police/">mutilent</a> et <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/dossier-sivens-et-la-mort-de-remi-fraisse">tuent</a>.</p>
<p>Si elles sont en effet significatives d’une évolution du maintien de l’ordre, pour comprendre comment les individus dénoncent des violences policières, il convient de revenir sur une histoire longue de ces mobilisations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252408/original/file-20190103-32142-6l5jiu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Liste non exhaustive des victimes de violences policières écrites sur le sol de la Place de la république, le 18 mai 2016, pour protester contre le rassemblement « contre la haine anti-flic » organisé par des syndicats de police.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Pregnolato</span></span>
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<h2>Une histoire de mobilisations dans les quartiers populaires</h2>
<p>Même s’il n’est pas possible de comptabiliser les violences des forces de l’ordre en l’absence d’un instrument de mesure systématique, hormis les moments de fortes répressions des manifestations, les violences touchent principalement une <a href="https://laviedesidees.fr/L-art-francais-de-la-deviance-policere.html">population</a> « cible » des policiers : des jeunes hommes vivant dans les cités des quartiers populaires, provenant des classes sociales précarisées, immigrés ou héritiers de l’immigration post-coloniale.</p>
<p>Cette population est la plus sujette à des <a href="https://www.cesdip.fr/police-et-minorites-visibles-les-controles-didentite-a-paris/">contrôles d’identité</a> – souvent une prémisse aux violences policières – et trouve le plus souvent la mort dans une interaction avec la police. Le tableau à la fin de l’ouvrage d’Abdellali Hajjat, <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-marche-pour-legalite-et-contre-le-racisme/"><em>La Marche pour l’égalité et contre le racisme</em></a> sur la marche de 1983 et le recensement de <a href="https://bastamag.net/webdocs/police/"><em>Basta !</em></a> donnent les chiffres à ce jour les plus complets.</p>
<p>L’histoire des dénonciations des violences policières se retrouve essentiellement dans les mobilisations de l’immigration post-coloniale et des quartiers populaires dès les années 1960.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252409/original/file-20190103-32154-3o3z5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiches à Belleville, le 10 juin 2017, lors de la commémoration des 10 ans de la mort de Lamine Dieng.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Pregnolato</span></span>
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<h2>Rock against the Police</h2>
<p>Ces mobilisations sont notamment marquées par <a href="http://rapdocsonores.org/">Rock against the police</a> de 1980 à 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, et par la mobilisation du Comité contre la double peine puis du Mouvement de l’immigration et des banlieues dans les années 1990 et 2000 (les ouvrages de <a href="http://www.editionslibertalia.com/catalogue/hors-collection/Rengainez-on-arrive">Mogiss H. Abdallah</a> et de <a href="https://solnitsata.fr/commander/on-est-chez-nous-version-papier/">Karim Taharount</a> retracent cette histoire militante).</p>
<p>Mais cette histoire comprend aussi une récurrence des rébellions après qu’un jeune habitant d’une cité soit tué par la police, et par une succession de plaintes portées par des collectifs de familles de victimes – au prix de plusieurs années de procédure judiciaire, qui aboutissent peu à un procès – qui demandent « Justice et Vérité ». Ces victimes de violences policières suscitent généralement peu l’attention médiatique en dehors de la catégorie « faits divers » pour deux raisons principales. D’une part elles appartiennent aux franges les plus marginalisées, ne disposant pas forcément de ressources en terme de capital culturel, économique ou politique. Et d’autre part il existe un traitement politique et <a href="https://agone.org/lordredeschoses/labanlieuedu20heures/index.html">médiatique stigmatisant</a> qui reprend les cadres de représentations policiers et criminalise ces quartiers.</p>
<p>Cependant, certaines de ces mobilisations parviennent exceptionnellement à exister médiatiquement et politiquement – en fonction de ressources militantes ou du contexte pouvant être plus favorable à l’attention porté aux faits – comme récemment le Comité Justice pour Adama ou l’affaire de Théo Luhaka. Ces mobilisations c’est aussi une histoire de la répression de l’engagement politique.</p>
<h2>Criminalisation des victimes</h2>
<p>L’incarcération des proches d’Adama Traoré en témoigne, rappelant les accusations d’« outrages », de « violences » sur agents, ou de « diffamation » qu’ont connus les habitants et militants à Mantes-la-Jolie en 1991, à Châtenay-Malabry en 2001, à Dammarie-les-Lys en 2002, à Villiers-le-Bel en 2007 – de même qu’Amal Bentounsi <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/la-soeur-d-un-homme-tue-par-un-policier-attaquee-en-diffamation-par-valls-06-04-2014-3745877.php">attaquée en justice</a> par Manuel Valls en 2014, ou encore l’intensification des contrôles et des violences policières dans le quartier de la victime.</p>
<p>L’observation menée durant <a href="http://www.isp.cnrs.fr/?PREGNOLATO-Anthony">mon travail de thèse</a> révèle qu’au regard de la police, de la justice, des autorités étatiques et de l’espace médiatique, les victimes de violences policières et leurs proches qui se mobilisent font l’objet d’une criminalisation, d’un soupçon de culpabilité (elles doivent prouver qu’elles n’ont pas « mérité » cet usage de la force), et d’une remise en question du statut de victime.</p>
<p>L’un des enjeux pour elles est donc la reconnaissance politique et juridique du statut de victime, en plus de la reconnaissance de la culpabilité de ou des agents de police. Il faut comprendre aussi que cette légitimité à être une victime – et donc l’illégitimité de l’usage de la force par la police – dépend en partie du groupe social d’appartenance (réel ou supposé) de la personne qui porte plainte et de sa position sociale dans la société – donc de sa légitimité aux yeux des institutions policières, judiciaires et politiques.</p>
<h2>Concurrence de légitimité ?</h2>
<p>Ainsi, on peut se demander si, à la mort de Rémi Fraisse en 2015, puis lors de la COP 21 ou durant le printemps 2016 jusqu’aux mobilisations actuelles, la médiatisation et la politisation des violences des forces de l’ordre ne résulte pas en partie de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-4-page-38.htm">émergence de « nouvelles » figures de victimes</a> apparaissant comme plus légitimes (militant écologique, manifestants retraités ou personnes âgées « gilets jaunes ») ?</p>
<p>Cela aurait pu favoriser une transformation des cadres de représentations de l’espace médiatique et une attention plus favorable aux dénonciations des violences des forces de l’ordre.</p>
<p>La même question se pose aujourd’hui lorsque <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/12/14/gilets-jaunes-vingt-quatre-photographes-et-journalistes-vont-deposer-plainte-pour-violences-policieres_5397844_1653578.html">des journalistes portent plainte pour violences policières</a> subies en couvrant les manifestations – même si cela était déjà dénoncé en 2016.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252374/original/file-20190103-32130-136jjpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation à Brest le 8 décembre 2012 contre le projet d’aéroport Notre-Dame des Landes : certains manifestants apparaissent-ils plus légitimes que d’autres ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nddl/8259123592/in/photolist-dzQaGC-dzPZYf-dZBWsD-kp6E9j-GZKNJE-knQts4-e5jMKf-eb1hzS-knRxjG-e8U6Hn-dZjkB8-dZqqML-dLeTyx-dFJGyv-dZHc43-dVELS1-dZjK1z-dVEdYC-dZiCBD-dVELxS-dZkCM2-dZiYg6-dZj8zc-dZktCr-dZpuuf-eaZXgb-e5dXpK-eaZtDU-e3BSPc-e7hFCv-knRbkC-e5e59K-e7ondd-e5e7bR-e8ZKM7-eb4a7q-e6wVYH-edGBES-eb23G1-e8Eenn-e8U71F-knNWF8-e5xqSu-eb4jYh-eawcpB-eaTvVV-e7Xrwh-eb1RZL-e8ZJHq-e3Hxab">Non à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Une évolution du maintien de l’ordre plus violente ?</h2>
<p>Mais cette hypothèse ne doit pas relativiser les transformations du maintien de l’ordre des dernières années pointées par plusieurs spécialistes, avec une évolution allant à l’encontre de la logique de <a href="https://laviedesidees.fr/Un-splendide-isolement.html">« désescalade »</a>, l’accroissement de l’usage des armes dîtes « non-létales », ainsi qu’une extension du spectre de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/20/face-aux-gilets-jaunes-l-action-repressive-est-d-une-ampleur-considerable_5400077_3232.html">criminalisation des individus – qui touche les manifestant-e-s</a>.</p>
<p>Censée répondre à ce qui est perçu comme une augmentation des violences protestataires (qui est loin d’être nouvelle), depuis les années 2000 et particulièrement depuis la décennie 2010, l’usage de grenades lacrymogènes, de grenades explosives et de LBD se font de plus en plus fréquents dans les mobilisations collectives.</p>
<p>Dans la même période, après avoir été grièvement blessés ou ayant perdus un œil à cause d’un tir de LBD, des victimes, leurs proches et des militants dénoncent leur usage (<a href="https://collectif8juillet.wordpress.com/">Collectif 8 juillet</a>, <a href="https://www.acatfrance.fr/actualite/geoffrey-tidjani--le-visage-brise-d-un-lyceen">Geoffrey Tidjani</a>, <a href="https://desarmons.net/">Désarmons-les</a> ou l’<a href="https://blogs.mediapart.fr/assemblee-des-blessees">Assemblée des blessés</a>).</p>
<p>Dans les procès pour usage abusif de LBD que j’ai observé dans le cadre de mon doctorat, la défense ou le tribunal mettent souvent en avant un manque de formation à l’usage de l’arme et la <a href="https://blogs.mediapart.fr/romain-j/blog/170416/lordre-et-la-force-flashballs-ou-lanceurs-de-balles-de-defense">marge d’erreur du tir</a>. Même s’il y a des condamnations à du sursis ou à l’interdiction de port d’arme, la responsabilité a ainsi tendance à être renvoyé aux supérieurs hiérarchiques.</p>
<p>C’est notamment suite à ce constat que plusieurs membres de l’Assemblée des blessés décident de <a href="https://desarmons.net/index.php/2018/11/10/22-et-24-novembre-2018-deux-evenements-a-venir-contre-les-armes-de-police/">lancer des requêtes collectives auprès du tribunal administratif contre l’usage de ces armes</a>. Tout récemment, des victimes de grenade GLI-F4 portent plainte au <a href="https://reporterre.net/Des-victimes-de-la-grenade-explosive-GLI-F4-portent-plainte">parquet de Paris</a> ou contre le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/171218/grenades-contre-gilets-jaunes-castaner-vise-par-une-plainte?onglet=full">ministre de l’Intérieur</a> pour avoir autorisé son usage dans les manifestations.</p>
<h2>Des manifestants criminalisés ?</h2>
<p>Même si ce n’est pas nouveau, depuis Notre-Dame-des-Landes et durant les mobilisations de 2016, de plus en plus de personnes tentent de se protéger (casque, masque à gaz, lunettes de plongée ou de ski). La pratique du <a href="https://theconversation.com/le-black-bloc-quand-lantisysteme-effraie-80857">black bloc</a> s’étend pour faire face physiquement aux forces de l’ordre. Et des équipes médicales mobiles – « street médic » – se développent pour apporter les premiers soins.</p>
<p>Ces modes d’organisation sont alors criminalisés, notamment à partir de l’application de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000021926074">article 222-14-2</a> du code pénal (mis en place sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy en 2010) qui permet de condamner une supposée volonté de s’en prendre aux forces de l’ordre ou de vouloir s’en défendre.</p>
<p>Face à cela, le traitement médiatique et politique donne l’impression d’une augmentation de la violence dans les cortèges. Cependant, des spécialistes rappellent que la <a href="https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/gilets-jaunes-on-veut-montrer-que-la-foule-est-hysterique-sauvage-barbare">désignation de « mauvais manifestants » par le terme de « casseurs »</a> n’est pas nouvelle, et qu’elle sert tant à délégitimer un mouvement social qu’à en légitimer sa répression. D’autres chercheurs rappellent la tendance à oublier les violences qu’ont connus les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=79f8hr-ZuCw">soulèvements populaires (à cinq minutes)</a>, ou celles des <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/Maintien-de-l-ordre-La-France-est-un-regime-malade-de-sa-police-784157">groupes autonomes des années 1970</a>.</p>
<h2>Des condamnations perçues comme iniques</h2>
<p>Lorsque les violences et abus policiers sont reconnus, les condamnations sont presque exclusivement à <em>minima</em> des peines maximales prévues par la loi, même lorsque la <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/03/10/un-policier-condamne-en-appel-a-5-ans-de-prison-avec-sursis-pour-avoir-tue-un-fugitif-d-une-balle-dans-le-dos_5092860_1653578.html">légitime défense n’est pas reconnue pour une balle dans le dos</a>.</p>
<p>L’étude de <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2009-3-page-119.html">Cédric Moreau de Bellaing</a> sur l’Inspection générale des services (IGS) – l’ancêtre de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) – révèle que « les dénonciations d’usage abusif de la force par la police aboutissent moins souvent à une sanction que celles de tout autre type d’atteintes ; et, lorsque ces cas de violences sont sanctionnés, ils le sont proportionnellement moins gravement que les autres formes de déviances policières ». Si le même type d’enquête systématique était fait pour les condamnations au pénal, on pourrait s’attendre à une conclusion similaire.</p>
<p>Enfin, la reconnaissance politique et juridique du statut de victime et de la culpabilité de l’agent de police accusé dépend en partie de deux facteurs. D’une part, dans les procès on retrouve des logiques sociales de légitimation de la parole policière et de délégitimation de la parole de la victime (même s’il peut arriver que le <a href="http://www.leparisien.fr/montreuil-93100/montreuil-un-policier-a-nouveau-condamne-en-appel-pour-un-tir-de-flash-ball-28-03-2017-6803355.php">« faux et usage de faux »</a> soit reconnu et condamné). D’autre part, des catégorisations politiques (« casseurs », « voyous ») et des dispositions juridiques (« outrage et rébellion », <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000021926074">article 222-14-2</a>) rendent possible la criminalisation de tout individu en interaction conflictuelle avec les forces de l’ordre.</p>
<p>Aujourd’hui, l’attention est portée sur l’usage de la force policière dans les manifestations des « gilets jaunes ». Au regard de l’histoire de ces mobilisations contre les violences des forces de l’ordre, concernant les plaintes engagées ces derniers jours, il reste à voir si les tribunaux remettront en cause la légitimité de cet usage de la violence physique de l’État.</p>
<p>Que ce soit dans les quartiers populaires ou dans les manifestations, l’expérience des violences des forces de l’ordre et de la répression peut entraîner des formes de défiance vis-à-vis de l’État et de ses institutions, et peut avoir des effets sur les modes de politisation des individus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Pregnolato a reçu des financements du Centre Marc Bloch de Berlin dans le cadre d'un contrat doctoral (2013-2016), et de l'Université de Paris Nanterre en tant qu'Attaché temporaire d'enseignement et de recherche (2016-2018). </span></em></p>Pour comprendre les logiques sociales des modes de dénonciations des violences policières, il convient de les replacer dans une histoire longue de ces mobilisations.Anthony Pregnolato, Doctorant en science politique, Institut des sciences sociales du politique / Centre Marc Bloch, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1090112018-12-18T21:29:10Z2018-12-18T21:29:10Z« Gilets jaunes », les trois dangers du recours systématique à la force publique<p>Si la révolte des gilets jaunes peut sembler en rupture par rapport à des formes plus traditionnelles de protestation sociale, en revanche la gestion policière de ce mouvement par le gouvernement s’inscrit dans des habitudes bien établies. Surprises dans un premier temps par l’amplitude – largement sous-estimée – de la mobilisation, les forces de sécurité se sont ensuite surmobilisées afin d’éviter de donner l’impression d’être dépassées par les événements, au point de disposer de ratios policier/manifestant rarement égalés à Paris. </p>
<p>D’abord fragilisé par l’ampleur – réelle ou supposée – de la menace contre les institutions, réfugié sous la protection de ces forces qui ont un temps constitué le dernier rempart contre une « prise » supposée de l’Élysée, le gouvernement, aujourd’hui <a href="https://theconversation.com/le-mouvement-des-gilets-jaunes-est-il-vraiment-termine-108930">fort de la décrue du nombre de participants aux actions</a>, réaffirme une posture d’autorité qui tranche avec l’attitude plus discrète des semaines passées. </p>
<p>Après avoir tenté de dissuader par tous les arguments possibles les potentiels manifestants de se joindre aux manifestants les plus motivés, invoquant les risques qu’ils prenaient pour leur intégrité physique, le gouvernement, et en premier lieu son ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, tente désormais de réaffirmer son autorité via la maîtrise de l’outil policier. </p>
<h2>Un outil policier à manier avec prudence</h2>
<p>Pourtant, les semaines précédentes ont montré combien celui-ci était complexe et ambigu à utiliser. Entre, d’une part, la relative tolérance par rapport à certains des débordements et, d’autre part, la volonté de montrer sa maîtrise du terrain ; entre son désir de discréditer un mouvement par ses actions les plus violentes et l’obligation de tenir compte de la sympathie rencontré par celui-ci auprès d’une majorité de la population, le maniement de la force s’est avérée difficile. </p>
<p>L’apparent essoufflement du mouvement des gilets jaunes a ressuscité la figure traditionnelle du gouvernement fondant sa légitimité sur la détention de la violence légitime. Les appels au retour à l’ordre se sont multipliés d’autant plus volontiers que la situation paraissait s’apaiser.</p>
<p>Sans vouloir disserter sur la résurgence possible, ou probable, d’une seconde vague de gilets jaunes, qui prendront peut-être des formes différentes, il semble néanmoins que le recours aux policiers et gendarmes pour sonner la fin du mouvement relève de la stratégie de court terme. Ou plutôt d’un retour à une stratégie « à l’ancienne », qui ne prend en compte ni les évolutions de la population vis-à-vis de la sécurité <a href="https://theconversation.com/des-policiers-fragilises-et-en-mal-decoute-au-bord-de-la-rupture-90179">ni les sentiments que peuvent ressentir les policiers eux-mêmes</a>. </p>
<p>Le retour à une forme de gestion du débat public – ou plutôt du non débat public - par un recours systématique à la force publique risque de se heurter à plusieurs dangers potentiels.</p>
<h2>« L’usure » des policiers</h2>
<p>Le premier danger renvoie à « l’usure » des policiers, si souvent mise en avant par leurs représentants syndicaux. Fatigués d’être sans cesse mobilisés contre le terrorisme, ceux-ci pourraient être amenés soit à baisser les bras, soit à réagir de manière excessive – plus que lors des derniers weekend end « jaunes ». Les deux hypothèses sont crédibles, même si elles ne sont pas certaines. </p>
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<p>La première nous amène à regarder <a href="https://theconversation.com/stress-et-suicide-dans-la-police-lorganisation-policiere-en-question-91783">l’évolution du climat social dans la police ces dernières années</a>. Les termes d’usure et de fatigue reviennent sans cesse dans les discours policiers, comme l’ont montré les grandes protestations des « policiers en colère » en octobre et novembre 2016. Bien avant les gilets jaunes, certains d’entre eux s’étaient spontanément regroupés au centre des grandes villes pour manifester leur colère face à des élites gouvernementales et policières décriées. </p>
<p>Comme pour les gilets jaunes, les responsables politiques cherchaient à identifier la main de l’extrême droite derrière cette mobilisation – ce qui leur permettaient d’éviter les questions de fond soulevées par celle-ci : celle de policiers se sentant mal traités et mal considérés par un pouvoir politique qui les utilisait trop et de manière inadéquate, selon eux. La proximité avec certaines revendications avec les gilets jaunes s’est d’ailleurs exprimée sur certains ronds-points, avec des policiers et des gendarmes finalement assez en phase avec les revendications qui s’y exprimaient.</p>
<h2>Le risque du « pétage de plombs »</h2>
<p>A contrario, la réaction violente n’est pas à exclure. Qu’on trouve acceptable ou non l’argument selon lequel la fatigue peut mener au « pétage de plombs », pour reprendre une expression très utilisée en interne, et à une réaction violente des policiers qui conduirait à un drame, ce risque n’est pas à exclure. </p>
<p>De multiples exemples de violences policières montrent comment dans d’autres circonstances, l’usure morale ou physique des policiers a débouché sur un engrenage vicieux avec des blessés graves. Or, concrètement, l’addition de la lutte contre le terrorisme et de l’encadrement des protestations sociales mène, aujourd’hui comme en 2016, à une irritation croissante. Cela ne veut pas dire que tous les policiers sont touchés, mais il suffit du dérapage de quelques-uns pour enclencher une action regrettable. </p>
<p>Les primes supplémentaires versées aux policiers ne suffiront pas forcément à combler les manques nés de mobilisations tous les weekend end pour encadrer un nombre finalement restreint de protestataires en jaune, et qui se font aux dépens de la vie de famille ou de périodes de repos psychologiquement et physiologiquement bienvenues dans ce type de métier dur.</p>
<h2>La légitimité de l’usage de la force en question</h2>
<p>Un second danger nait de l’interrogation sur la légitimité de l’usage de la force. L’argument est utilisé en boucle par les ministres et représentants de la majorité, qui fondent leur bon droit sur l’élection qui a fait d’eux les détenteurs du pouvoir. Or, les citoyens qui ont revêtu le gilet jaune contestent justement cette légitimité, en invoquant assez souvent les divers articles de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789">la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789</a>. </p>
<p>A côté des articles 14 sur les impôts et l’article 15 précisant que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », l’article 12 sur la force publique souligne que celle-ci « est instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Sans faire l’exégèse de ce passage, de plus en plus de citoyens sont amenés à s’interroger sur l’utilisation de la force publique au profit de la protection de ceux qu’ils identifient comme appartenant à l’élite. </p>
<p>La gestion relativement dure de l’acte IV des samedis de protestation a eu, comme dans <a href="https://theconversation.com/cagoule-noire-sur-gilet-jaune-decrypter-les-violences-durant-les-manifs-108357">d’autres mouvements auparavant</a> – loi Travail, Notre-Dame-des-Landes, fermeture de sites industriels manifestations lycéennes, sans parler des banlieues – la conséquence d’une délégitimation de l’action policière, cette fois-ci dans des groupes sociaux qui avaient plutôt une image positive de la police et, en tous cas, n’avaient pas l’habitude de s’affronter avec elle. </p>
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<p>L’usure n’est donc pas à observer exclusivement du côté des policiers, elle concerne également la police comme instrument de pouvoir. Mieux vaudrait-il l’économiser que de la surexposer dans une période où s’instaure une accalmie, par essence provisoire. L’évacuation des derniers ronds-points est-elle une victoire si indispensable ?</p>
<h2>L’utilisation fréquente et manifeste de la force pour résoudre des débats publics</h2>
<p>Un troisième danger, plus insidieux peut-être, s’exprime dans l’utilisation fréquente et de plus en plus manifeste de cette force pour résoudre des débats publics, certes complexes et longs, qui sont interprétés par les pouvoirs publics comme autant de signes d’inefficacité, comme le montre le projet de réforme concernant <a href="https://theconversation.com/les-grands-projets-inutiles-et-imposes-nouveaux-champs-de-laction-politique-96142">les débats autour des aménagements</a>. </p>
<p>Cette utilisation n’est pas neuve. L’interdiction de manifestations lors de la COP21 à Paris, en invoquant la menace terroriste, ou l’engagement massif de gendarmes à Notre-Dame-des-landes ou Sivens ne datent pas du gouvernement d’Edouard Philippe. Mais tout montre que ce procédé est aujourd’hui usé. La peur ne suffit plus à « calmer » les citoyens, comme l’a montré Nuit Debout en plein Paris ou d’autres mouvements en région.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251253/original/file-20181218-27767-bzby6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur le site de Notre-Dame des Landes,</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nddl/8532360324">DR</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La lassitude vis-à-vis des gouvernants et la demande de débats dominent. Mais si l’appel à un ordre considéré comme autoritaire devient la norme, il est alors possible que de plus en plus de protestataires envisagent de se rallier à un type d’ordre encore plus autoritaire. En d’autres termes, si l’ordre policier devient la règle, alors on glisse subrepticement vers une autre forme de gouvernement.</p>
<p>Que ces dangers existent ne signifient pas qu’ils sont inéluctables. Mais il convient de rappeler que l’usage de la force – y compris celle légitime dévolue au gouvernement – doit se faire avec modération, et qu’elle ne doit pas servir à occulter les demandes d’une partie très importante des citoyens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109011/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le retour à une forme de gestion du débat public – ou plutôt du non débat public - par un recours systématique à la force publique risque de se heurter à plusieurs dangers potentiels.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Cesdip, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1064032018-11-07T21:47:32Z2018-11-07T21:47:32ZLa délicate évaluation des politiques d’aménagement du territoire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/244162/original/file-20181106-74763-18vv27z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C0%2C2048%2C1355&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes en août 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/nonaeroportNotreDamedesLandes/photos/a.204003813041339/976935799081466/?type=3&theater">Zone à Défendre/Facebook</a></span></figcaption></figure><p>Depuis les années 1960, les revendications des habitants en matière de politiques d’aménagement du territoire font l’objet d’une plus forte considération des institutions. Cela se traduit par des « attentions » dans les discours, et par l’attribution de subventions publiques dédiées au fonctionnement ou à l’investissement.</p>
<p>Ces moyens d’« arrosage » des territoires sont nombreux et souvent concertés : entre autres, des fonds européens et des subventions des régions ou des départements.</p>
<p>« L’arroseur » gagne ainsi l’estime de « l’arrosé ». Les exécutifs centraux, quant à eux, revendiquent la pureté de leurs ambitions lorsqu’ils financent un effort de « réduction des inégalités territoriales », des compensations envers les territoires ruraux délaissés, ou des politiques spécifiques envers les massifs montagneux ou les îles… Tous prétendent soutenir un développement plus équilibré et surtout plus « durable ».</p>
<h2>Peu d’études d’impact</h2>
<p>Délaissant les aspects électoraux, <a href="https://www.lgdj.fr/connaissance-et-action-publique-9782717859539.html">nous nous sommes demandés</a> sur quelles connaissances s’appuient aujourd’hui les prévisions d’impact de ces politiques d’aménagement « équilibré et durable » dans les territoires métropolitains.</p>
<p>Notre premier constat est le suivant : les études longitudinales sur l’impact territorial des politiques publiques en France ne sont pas légion. Elles posent, avons-nous pu constater, trois difficultés majeures : choisir une échelle pertinente ; démêler la complication, dans les faits, de la « théorie du programme » qui « conduirait un changement local » ; identifier enfin les aspects politiques.</p>
<h2>Choisir la bonne échelle</h2>
<p>Le local peut se concevoir à l’échelle du hameau, d’un site, d’une zone naturelle, d’un village mais aussi d’une commune ou d’une intercommunalité : le « grain » d’une politique publique se définit au cas par cas. Faire de l’aménagement du territoire, c’est rénover certaines pièces d’un puzzle, pour un impact sur ces pièces mais aussi sur l’ensemble du puzzle : aider la moyenne montagne en Hautes-Alpes, c’est aussi développer une partie de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.</p>
<p>Le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes a retenu l’attention de l’État, des autorités régionales et départementales. Mais la zone d’intérêt à considérer était à la fois plus étroite et plus large : chaque commune ou intercommunalité voisine aurait pu être concernée, tout comme le Grand Ouest national et l’Île-de-France – il s’agissait à l’origine de décharger Paris et Orly d’un fardeau de congestion.</p>
<p>Il faut aussi souligner que travailler sur la zone de proximité du projet est nécessaire mais peut s’avérer trompeur. Aider l’implantation d’infrastructures sur un site bien localisé ne bénéficie pas nécessairement aux alentours. Les territoires concernés peuvent être éparpillés ou désunis. Un aéroport en Nord-Loire n’intéresse pas forcément le Sud-Loire. Une nouvelle gare sert aux riverains proches de la gare, mais un TGV qui ne s’arrête pas sur son parcours n’apporte guère aux électeurs ou aux entreprises locales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244150/original/file-20181106-74769-1rboxwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, février 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10210943732163319&set=bc.Abo9sALCkZMWZFswrhDjBnELocbZDX4eHmCuP72jy1Va6-2osd-GcTv25H1_LfdkTGIvnmtwkFEKu21BkDAa4y5UsFiCJZBcKTn3Aj_RZnpc3f4wO895K_F957xidGFB3ocpFaz_Pele85k7IldJln0x&type=1&opaqueCursor=AbrGX62ZTWSJ5MsUrBNcxOR-Xte80SzRWqg4f3IsqmgKuYqhI22PULLw2rVULSYuC4G5qRGyyaAn1Gm9Euqv5fV4ztURuWFWL2dY2InOSRJqU7nzG_24jkI4eT4bn_1gY03OHD42O1ov4a5X22yfYUrBV7_n7Kw1NOHJ83I4IJmhrXGsXUTgwq3PWcewFycTdqwpaT8UFNoRqSw9LQ-hafJ04yRAqgGMEbzRnDBGlHwrOyzfTezSax6yCW6QV-lKFgq_XEzlgQ_MejMS5W76_qDkQVISPAeaWV7GZ_fjqSxweAV-TVVVrSC69DKnMKnNdCH3ec3B1otPavWnewBzDi_DGHD2Hrry6jHh11fu0DRDwYxCUnBv_I5cn6SRlaFfRakF7m9NlWe14c9EKrGAshu0AYDI6eqtu1wSt0F2MwAkhbrG32BTTJhmH42GX5j3oCj0GLkpK2thrP5zIatSiMR6&theater">Joelle Nicolle-Ronnet/Facebook</a></span>
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<h2>Difficile à concevoir, donc à évaluer</h2>
<p>De manière générale, on croit qu’un grand investissement est « naturellement » utile et bénéfique par ses retombées, immédiates et à long terme, sur des territoires proches.</p>
<p>Cette croyance conduit souvent à ne pas expliciter comment l’action publique va provoquer le changement voulu, c’est-à-dire sa théorie du programme d’action publique. Toute évaluation commence par choisir « une théorie du programme », c’est-à-dire une « logique d’intervention pour atteindre les objectifs fixés ».</p>
<p>Deux aspects entrent en jeu : une représentation basée sur une chaîne simple et sur une chaîne logique d’impact – par exemple, les aides aux entreprises d’un fonds européen contribuent logiquement au développement économique régional ; le fonds social européen contribue logiquement à la formation de chômeurs de longue durée et se traduit en emplois locaux ou départementaux.</p>
<p>Une chaîne logique d’impact territorial se compose ainsi : « réalisations – premiers résultats – effets escomptés ». Le programme se conçoit comme un <em>input</em>, l’intervention, avec ses réalisations et sa mise en œuvre, comme un <em>output</em>. Les inputs-outputs produisent des résultats, et si possible les résultats escomptés. L’ensemble des effets conjugués à l’échelle territoriale concernée révèle « l’impact territorial » que l’on espère en rapport avec l’objectif officiel.</p>
<p>Plusieurs chaînes logiques sont parfois activées simultanément. C’est le cas des programmes territoriaux multi-acteurs et multi-échelles : un parc naturel régional, un périmètre d’éoliennes en mer ou encore un centre d’enfouissement de déchets provenant de centrales nucléaires. La complexité du système des effets produits par des programmes enchevêtrés et superposés oblige à se doter de représentations de « réseaux d’impact » et à en faire la pédagogie auprès des acteurs du programme public.</p>
<p>Autrement dit, un effet territorial donné – par exemple, le maintien d’emplois régionaux ou la création de PME sur un territoire donné – doit être compris comme le <a href="https://cordis.europa.eu/docs/projects/cnect/5/249025/080/deliverables/001-OASEWP6D63IMINDS31012013V10.pdf">résultat d’un faisceau</a> d’interventions et de programmes.</p>
<h2>Faire preuve de pédagogie</h2>
<p>La multiplicité des programmes à prendre en considération conduit à la multiplication des causes à considérer comme « mécanismes » produisant ou pas le bon résultat et l’impact souhaité.</p>
<p>Ces « machines à faire du résultat » doivent être entendues et intégrées par les groupes d’intérêt concernés, ceux qui vont tenter de s’exprimer dans un processus « de mise en débat » ou de « participation ». La théorie du programme fait en effet l’objet d’un « crash-test » auprès des parties prenantes. Il s’agit donc de conduire auprès d’elles un travail de pédagogie pour tenter d’obtenir de la crédibilité pour la convention d’impact territorial d’un programme.</p>
<p>Dans le cas du projet d’aéroport de Notre-Dame des landes, une évaluation à partir des enjeux économiques nationaux ne suffisait pas. Il aurait fallu un recensement plus exhaustif et plus détaillé des causes pouvant conduire à un impact territorial (le réseau d’impact) avant de commencer à justifier et légitimer l’éventuel fort impact territorial du nouvel aéroport.</p>
<p>Une évaluation socio-économique et environnementale plus précise aurait également été nécessaire, couplée à une évaluation « politique », incluant des votes locaux à différentes échelles : par exemple, a minima, le vote séparé des communes de Sud-Loire et de Nord-Loire, celui des communes ligériennes au moins en remontant la Loire jusqu’à Angers ; mais aussi un vote à l’échelle du « Grand Ouest », dans la mesure où il aurait pu être prouvé que ce périmètre était pertinent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244163/original/file-20181106-74766-1596brk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fresque humaine contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en septembre 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/pg/nonaeroportNotreDamedesLandes/photos/?ref=page_internal">Zone à Défendre Notre-Dames-des-Landes/Facebook</a></span>
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<h2>Impact territorial</h2>
<p>Les acteurs publics de l’aménagement du territoire veulent tous faire la même chose. Proches ou lointains, qu’ils aient compétence propre, compétence partagée, ou même s’ils sont sans compétence directe, ils veulent endosser le rôle d’aménageur.</p>
<p>L’adoption d’un regard plus systémique, vu la complexité des effets de programmes, serait nécessaire dès le départ d’un programme à fort impact territorial. Ce regard pourrait être nourri par la théorie des programmes d’interventions publiques.</p>
<p>Mais la validation de cette théorie est affaiblie quand la recherche des preuves d’efficacité territoriale, de cohérence et de pertinence des programmes d’aménagement équilibré et durable des territoires n’a pas été menée à bien : soit parce que les chercheurs se heurtent à des effets d’équilibre général – un territoire donné n’est qu’une partie du monde – soit en raison de la division des intérêts – les effets peuvent être contradictoires et les groupes d’intérêt peuvent ne pas vouloir de consensus.</p>
<p>Dans de telles situations, il est toujours difficile de justifier ou, à l’inverse, d’exclure certaines interventions publiques d’aménagement du territoire : c’est le rapport de force, ou bien l’inaction publique, qui reste le dernier recours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106403/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maurice Baslé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’adoption d’un regard plus systémique devrait s’imposer dès le départ des programmes à fort impact territorial.Maurice Baslé, Professeur émérite en sciences économiques chercheur CNRS au CREM, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1022802018-08-28T11:51:25Z2018-08-28T11:51:25ZDébat : la démission de Nicolas Hulot, rien de nouveau sous le soleil<p>Décidée et annoncée ce matin sur France Inter, la démission de Nicolas Hulot est, en réalité, un non-événement. Elle agitera le petit monde médiatique ces prochains jours – c’est certain –, elle conduira à un remaniement gouvernemental – ne couvait-il pas depuis plusieurs semaines déjà ? –, mais elle ne bouleversera ni les orientations politiques de l’exécutif, ni les rapports de force politiques et sociaux qu’il conviendrait justement de transformer pour relever les défis auxquels l’humanité est confrontée.</p>
<h2>Une décision attendue</h2>
<p>Respectant le mode opératoire dont l’homme est coutumier – il décide seul, annonce sa décision sans avoir informé son entourage et la justifie sur ce mode égotique qui consiste à croire que son geste donnera à penser –, la démission de Nicolas Hulot ne surprend guère. Elle est un énième renoncement personnel à un espoir dont on se demande surtout au nom de quoi Nicolas Hulot l’avait nourri.</p>
<p>Fils chéri de la télévision, converti après bien des excès à l’écologie, il passait plutôt, ces derniers temps, pour un soutien d’une écologie de gauche et radicale fort éloignée des convictions qui structurent la trajectoire et l’action politique d’Emmanuel Macron.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/2017-la-mission-impossible-de-nicolas-hulot-62152">Fier de ne pas appartenir au sérail politique</a>, de n’être représentant d’aucune formation partisane, de n’être le porte-parole d’aucun des acteurs associatifs ou syndicaux engagés en écologie, Nicolas Hulot avait-il sérieusement pensé qu’il changerait la donne ? Si tel est le cas, son année passée au gouvernement démontre que l’écologie d’un seul homme, fut-il l’une des « personnalités préférées des Français », ne peut rien.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YJZa90g9WSk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Quarante-sept ans après la création, en 1971, du premier ministère de la Protection de la nature et de l’Environnement, occupé par Robert Poujade, Nicolas Hulot, 29<sup>e</sup> ministre en charge, n’aura engrangé que bien peu d’avancées significatives.</p>
<p>Son bilan, sorte de moindre mal si l’on en croit l’intéressé, ressemble plutôt à un gâchis d’énergie et de temps : <a href="https://theconversation.com/interdiction-des-insecticides-neonicotino-des-pourquoi-a-t-il-fallu-attendre-plus-de-20-ans-95759">pesticides</a>, forages pétroliers, nucléaire, protection de la diversité et des espèces, grands projets imposés et inutiles… En dehors de l’<a href="https://theconversation.com/les-grands-projets-inutiles-et-imposes-nouveaux-champs-de-laction-politique-96142">emblématique Notre-Dame-des-Landes</a>, et encore, il faudrait voir en détail, il n’y a pas de quoi pavoiser.</p>
<p>Les acteurs indépendants mobilisés sur toutes ces thématiques ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, soulignant à chaque fois les décisions en demie teinte, voire contestables, que Nicolas Hulot, en bon soldat, assumait après chacun des arbitrages présidentiels.</p>
<h2>Pour que vive l’écologie ?</h2>
<p>L’impuissance de Nicolas Hulot n’est, malgré tout, pas sa marque personnelle. <a href="https://theconversation.com/les-verts-font-ils-vraiment-de-la-politique-autrement-48602">Largement partagée par les écologistes de tous bords</a> qui ont occupé quelque fonction ministérielle, elle signe l’incapacité de gouvernements successifs, et au-delà, d’une société tout entier dans laquelle il est encore bien peu coûteux de se dire écologiste sans avoir rompu, si ce n’est de manière cosmétique, avec les croyances et les pratiques les plus prédatrices en « ressources » humaines et environnementales.</p>
<p>Le sort fait aux espoirs de Nicolas Hulot ne signe donc en rien l’échec de l’écologie politique. Il dit, tout au contraire, l’impérieuse nécessité de pouvoir compter sur des écologistes capables de défendre les formes de radicalité et de conflictualités politiques qui sont nécessaires à la transformation écologique de la société. L’écologie se porte d’ailleurs bien sur nombre de territoires où les militants et les élus écologistes contribuent activement à amender les politiques publiques locales et à en inventer de nouvelles.</p>
<p>En cette veille d’élections européennes, toutes les stratégies, les alliances, les programmes qui ne tiendraient pas ceci pour acquis seront, une fois encore, sûrement tout à fait vains. Et puisque chacun s’accorde au moins sur le fait que le temps presse, au moins pourrait-on commencer par déclarer nulle et non avenue l’écologie <em>mainstream</em> et invertébrée idéologiquement qui a tenu lieu de paravent aux lobbies et aux libéraux-conservateurs de tous poils ces dernières années.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vanessa Jérome est membre d'EELV et du Conseil scientifique de la Fondation de l'écologie politique.</span></em></p>Son année passée au gouvernement démontre que l’écologie d’un seul homme, fut-il l’une des « personnalités préférées des Français », ne peut rien.Vanessa Jérome, politiste au LabEx Tepsis, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/961422018-05-21T21:56:26Z2018-05-21T21:56:26ZLes grands projets inutiles et imposés, nouveaux champs de l’action politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/218865/original/file-20180514-100690-1x9nb1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=141%2C109%2C4076%2C2644&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Barricade montée en 2012. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes n'est qu'un des multiples exemples de luttes démocratiques décentralisées.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Zone_to_Defend#/media/File:Against_the_Airport_and_its_World.jpg">Bstroot56</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>ZAD de Notre-Dame-des-Landes, occupations à Bure, Center Parc de Roybons, Ligne Grande Vitesse du Sud-Ouest… Autant de projets socio-économiques d’envergure (aéroport, autoroute, barrage, gare, mine, etc.), qui, à l’échelle locale puis régionale, suscitent des réticences voire de vives oppositions de la part des populations.</p>
<p>Or, à partir de 2010, on observe une nouvelle tendance : ces mouvements de lutte se regroupent et, bien que situés sur tout le territoire européen, décident de joindre leurs forces lors de forums annuels autour d’analyses, de propositions et d’un acronyme commun : la lutte contre les <a href="http://forum-gpii-2012-ndl.blogspot.fr/2013/05/grands-projets-inutiles-imposes-la.html">« grands projets inutiles et imposés »</a> (GPII).</p>
<h2>Grands, inutiles, imposés</h2>
<p>Ces derniers sont qualifiés de « grands » de par leur démesure, que ce soit en termes de coûts ou d’impacts sur les territoires ou simplement de <a href="http://stophs2.org/wp-content/uploads/2014/12/D-Robert-Social-movements-against-UIMP.compressed.pdf">l’imaginaire qui les sous-tend</a>.</p>
<p>Le qualificatif d’« inutile » pose immédiatement le débat sur la question des besoins des populations et donc sur la définition de l’intérêt général. Quant à l’adjectif « imposé », il a été ajouté pour signifier que les promoteurs de ces grands projets tentent souvent un passage en force sur les territoires sans véritable concertation locale. Ce dernier terme ajoute un questionnement sur le <a href="http://www.editions-croquant.org/les-collections/product/381-en-finir-avec-l-interet-general">mode de fonctionnement de la démocratie</a>, qui est au cœur de ces contestations.</p>
<p>Ainsi aujourd’hui, partout des femmes et des hommes se réunissent et s’organisent pour s’opposer à une décharge, une ligne à grande vitesse, une autoroute, un parking, un supermarché.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219456/original/file-20180517-26300-h0cxux.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des différents sites de contestations politiques citoyennes à travers le monde, principalement pour des luttes environnementales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">http://ejatlas.org/country</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des centaines de mobilisations territorialisées</h2>
<p>Nous souhaitons souligner les liens qui existent entre ces résistances a priori disparates menées contre de petits ou de grands projets d’aménagement.</p>
<p>Si ce vaste mouvement de lutte a été illustré en France par l’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou au barrage de Sivens, il est en réalité irrigué par des centaines de mobilisations territorialisées.</p>
<iframe width="100%" height="500px" frameborder="0" src="https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/la-carte-des-projets-inutiles_12246#6/46.732/6.855"></iframe>
<p>Un mouvement dans lequel s’engagent tout autant des militants aguerris que des <a href="http://www.cnr.it/commesse/Allegato_46691.pdf">citoyens ordinaires</a>.</p>
<p>Ces luttes multi-situées, décentralisées, s’élèvent contre « l’aménagement du territoire », souvent interprété sur le terrain comme un « déménagement des territoires », une expression entendue maintes fois dans les discours des militants.</p>
<hr>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">Les « ZAD » et leurs mondes</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Ce mouvement interroge notre modèle écologique et social, fondé sur la concurrence territoriale, la bétonisation des sols, la métropolisation des territoires et plus largement la poursuite de la croissance à tout prix. <a href="http://www.editionstextuel.com/index.php?cat=020377&id=711">Dans un ouvrage récent</a>, nous donnons des pistes pour comprendre ce mouvement, sa nature, ses revendications, et montrer pourquoi il constitue, du fait de son ancrage dans les territoires, une source importante de (re)politisation des enjeux écologiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aECXhaGRGEI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les grands projets inutiles et imposés, Attac, août 2015.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Des collaborations politiques inédites</h2>
<p>Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ces mouvements peuvent en effet être porteurs d’une force transformatrice car ils induisent une reconfiguration des liens sociaux. Ainsi, une contestation contre une décharge en Beauce (Saint-Escobille, à 55 kms du sud-ouest parisien) a conduit à la mise en place de réseaux techniques, associatifs et locaux et des alliances improbables entre des acteurs aux visions antagonistes. Sans communication jusqu’alors, les céréaliers beaucerons ont oeuvré ensemble avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2009-2-page-231.htm">néorésidents</a>, et plus étonnant encore, avec les associations de protection de la nature, contre le projet de décharge ; des collaborations inédites.</p>
<p>À travers cette dynamique sociale engagée, l’acquisition et l’échange de savoirs très divers, ainsi que de nouveaux attachements au lieu menacé, ce sont finalement, des <a href="http://sup.ups-tlse.fr/uved/infrastructures-transport/nimby/co/5Nimby-Seq.html#segment_riBtQcSiqal0t9FN1IrKmc1">propositions politiques</a> qui émergent.</p>
<p>Et c’est avant tout le lien au territoire menacé qui engendre cette conscience citoyenne : ces lieux dont on se souvient, que l’on aime, où l’on habite… Ces lieux revivent et créent de <a href="https://journals.openedition.org/norois/5846">nouvelles identités individuelles et collectives</a>.</p>
<p>Sur ces lieux menacés se côtoient ceux qui veulent défendre une vision du monde et ceux qui veulent défendre un territoire, ceux qui s’opposent et ceux qui proposent ; la lutte contre un projet va de pair avec la proposition d’alternatives politiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219457/original/file-20180517-26308-bxaz4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le projet de décharge à Saint-Escobille (91).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.adse-saintescobille.com/">Association ADSE</a></span>
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<p>Les mouvements d’opposition ne devraient pas être considérés de manière indépendante mais plutôt comme des éléments de ce que nous appelons un mouvement social décentralisé qui prend peu à peu conscience de lui-même et qui fait de l’écologie une question politique.</p>
<p>Ce mouvement s’inscrit d’une certaine manière dans l’occupation de l’espace, des pratiques qui induisent une spatialisation du politique, telle qu’elle a été utilisée lors des mouvements Occupy Wall Street ou <a href="https://theconversation.com/nuitdebout-le-retour-des-indignes-57183">Nuit debout</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nuitdebout-le-retour-des-indignes-57183">#NuitDebout : le retour des indignés ?</a>
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<p>Les militants critiquent le bien-fondé de ces infrastructures, qui ne participent pas à régler la crise socioécologique, mais plutôt à l’amplifier. Les mouvements se battent <a href="https://zad.nadir.org/IMG/pdf/action.pdf">contre les projets et « leur monde »</a> et en ce sens, articulent revendications globales et locales, et font surgir dans l’espace public une conception de l’intérêt général radicalement différente de celle que l’État.</p>
<h2>Exprimer les préoccupations locales</h2>
<p>Rares bastions où les citoyens réinvestissent le politique, les conflits d’aménagement engendrent une vitalité démocratique à la fois dans l’espace (du local au global) et dans le temps (du court terme au long terme).</p>
<p>Ainsi, à propos de la <a href="http://www.leparisien.fr/authon-la-plaine-91410/dix-questions-autour-de-la-decharge-geante-05-06-2009-537233.php">décharge de Beauce</a>, les actions politiques s’enchaînent et, petit à petit, les arguments des militants changent d’échelle (actions locales, régionales, nationales puis européennes sur la question des déchets), de thème (de la décharge aux déchets en général puis aux problèmes de santé et d’environnement) et de temporalité (vision à court puis moyen et long terme sur le territoire et le collectif).</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/165355385" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce, <em>L’intérêt général et moi</em>, un documentaire de Sophie Metrich et Julien Milanesi, 2015.</span></figcaption>
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<p>Bien loin du <a href="https://theconversation.com/vu-du-moyen-age-quand-la-reine-berengere-creait-des-compromis-pour-lutter-contre-le-nimby-85618">qualificatif de NIMBY</a> dont on les affuble (<em>not in my backyard</em>, traduction de « pas de ça chez moi »), les mouvements d’opposition à des grands projets représentent des forces de démocratisation qui luttent contre les excès du capitalisme directement sur leur territoire, notre territoire. Les préoccupations locales ne sont pas en contradiction avec le bien commun, bien au contraire. C’est par l’<a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=SOPR_027_0143">expression des préoccupations locales</a> que l’on parvient à comprendre le bien commun.</p>
<p>À travers de multiples associations, leurs membres vont à la recherche d’informations et deviennent peu à peu des experts du côté tant technique, juridique, qu’écologique, ce qu’on appelle la <a href="https://philpapers.org/rec/IRWCSA">science citoyenne</a>.</p>
<p>Ils passent alors à l’offensive, ce qui rappelle la force du petit, du territoire en tant qu’élément rassembleur et vecteur de repolitisation.</p>
<p>La belle notion de « gouvernance participative » censée inclure les acteurs locaux dans le processus décisionnel <a href="https://www.fayard.fr/la-gouvernance-par-les-nombres-9782213681092">n’a pas tenu ses promesses</a>. Au contraire, comme nous le soutenons, elle s’est révélée génératrice d’exclusion et de violence.</p>
<p>Pouvoirs publics en question, société civile en pointe, la résistance aux grands projets d’aménagement expose crûment l’inadéquation de nos institutions pour gérer des différends proprement politiques, particulièrement sur les enjeux environnementaux.</p>
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<a href="https://theconversation.com/mobilisations-anti-macron-et-emotion-une-convergence-conservatoire-95165">Mobilisations anti-Macron et émotion : une convergence conservatoire</a>
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<p>Derrière l’apparence des enjeux locaux, de nombreux conflits s’articulent en fait autour de choix de société et de conceptions divergentes, voire irréconciliables, de l’intérêt général.</p>
<p>L’expulsion violente des habitants de la ZAD de NDDL l’a bien montré : l’État – censé incarner l’intérêt général- ne peut accepter sur son territoire des visions divergentes au modèle capitaliste ni que ces dernières puissent s’exprimer. Il récuse ainsi les quelques modes de vie alternatifs expérimentés et réprime leurs acteurs.</p>
<p>Sur cet espace d’innovations écologiques et sociales, malgré l’appel à la défense <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/060418/comme-la-zad-de-notre-dame-des-landes-defendons-dautres-manieres-d-habiter">d’autres manières d’habiter</a> par de nombreux architectes et paysagistes, les écohabitats ont été détruits sur la ZAD ; de même, les formes d’organisation collective qui structurent cet espace ont été officiellement empêchées au nom de principes individualistes.</p>
<h2>Urgence écologique</h2>
<p>Pourtant, le constat scientifique sur l’urgence de répondre aux enjeux environnementaux est sans appel et la nécessité des transitions écologiques est aujourd’hui vitale.</p>
<p>Dans ce contexte actuel de répression, quel avenir pour les militants, pour ces territoires, pour les idées avancées, pour les expérimentations proposées ?</p>
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<a href="https://theconversation.com/energie-climat-nos-techniques-ne-sont-pas-des-solutions-miracles-88543">Énergie, climat : nos techniques ne sont pas des solutions miracles</a>
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<p>Comme à NDDL, les mouvements ont vocation à se maintenir dans le temps pour créer quelque chose, que l’infrastructure soit construite ou non.</p>
<p>Les composantes révolutionnaires et réformistes des mouvements arriveront-elles à s’entendre et à pouvoir s’exprimer ? En définitive, ce que les citoyens réclament, c’est davantage d’autogestion de leur énergie, de leur mobilité, de leurs déchets ; ils veulent réellement participer à définir collectivement leur projet de territoire et les infrastructures qui vont avec.</p>
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<p><em>Article rédigé pour le collectif Des plumes dans le goudron, qui vient de publier aux éditions Textuel <a href="http://www.editionstextuel.com/index.php?cat=020377&id=711">« Résister aux grands projets inutiles et imposés. De Notre-dame-des-Landes àBure »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96142/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léa Sébastien, est membre du collectif Les Plumes dans le Goudron et travaille sur les conflits d'aménagement et l'attachement au lieu. Ce collectif est également composé d'Anahita Grisoni sociologue et urbaniste ayant travaillé sur le mouvement de résistance contre le projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin; Julien Milanesi, maître de conférence en économie àl’université Toulouse 3; Jérôme Pelenc, géographe, impliqué dans la lutte contre la maxi-prison de Haren à Bruxelles.</span></em></p>Sur différents lieux en lutte se côtoient ceux qui défendent une vision du monde et ceux qui veulent défendre un territoire, ceux qui s’opposent et ceux qui proposent des alternatives politiques.Léa Sébastien, Maître de conférence en géographie, Université Toulouse Jean Jaurès, laboratoire Géode, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/966522018-05-15T21:04:22Z2018-05-15T21:04:22ZSurvivalistes : les Cyniques d’aujourd’hui. Où le langage a déserté le champ du politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/218959/original/file-20180515-122909-o9syz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C5%2C3578%2C2489&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Diogène, Jean-Léon Gérôme, XIXᵉ siècle, </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.syndrome-diogene.fr/diogene-de-sinope/">Walters Art Museum</a></span></figcaption></figure><p>Les survivalistes, ces personnes qui se préparent à la catastrophe (laquelle peut prendre différents visages, la catastrophe écologique étant la plus probable) s’entraînent à vivre de façon autonome, ne comptant que sur leurs propres forces et leur capacité à survivre dans des conditions extrêmes.</p>
<p>Ils ont le vent en poupe : un « salon » leur a même été consacré à Paris, porte de la Villette, <a href="https://www.salondusurvivalisme.com/">« Salon du survivalisme »</a>, sous-titré « Autonomie et développement durable ». Ils sont la figure extrême de la décroissance et de l’autonomie – valeurs qu’on a pu retrouver dans la ZAD de Notre Dame des Landes. De la même manière que certains zadistes, les survivalistes brandissent par cette manière de vivre une certaine idée de la vérité. Or ce faisant, ils s’apparentent à une école fondée au V<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ en Grèce, par Antisthène, et dont le plus célèbre représentant est <a href="https://bit.ly/2rKRMjj">Diogène de Sinope</a> : les Cyniques.</p>
<h2>Les descendants de Diogène de Sinope</h2>
<p>Ces derniers articulaient aussi une vision de la vérité et une praxis ; ou plutôt pour eux aussi le discours n’avait de légitimité que s’il était porté par un homme vivant en accord avec ses idées. C’est du reste le sens même des écoles philosophiques de la Grèce antique, où la théorie n’était que le soubassement de la pratique, et où la philosophie était avant tout un art de vivre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Huile sur toile de Pugons (1902), représentant Diogène le Cynique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Diog%C3%A8ne_par_pugons.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>Le Cynique est un contestataire</strong> : il se demande pourquoi il vivrait dans un palais, vêtu d’or et festoyant, alors qu’il peut dormir par terre, manger ce que la nature prodigue, boire de l’eau au lieu du vin, se vêtir d’un simple manteau au lieu des dernières créations de la mode. Et il le montre sur la place publique, n’hésitant pas à mendier, menant la vie du chien, urinant n’importe où, prêt à mordre. Mais ces provocations sont en réalité l’affirmation d’un mépris des règles sociales, au profit de la seule nature qui doit dicter ses lois. L’autosuffisance est l’un des piliers de cette sagesse, qui n’attend rien des hommes.</p>
<p><strong>Le Cynique est l’ancêtre du militant anti-consommation</strong>, de la décroissance, et d’une radicalité qui le marginalisait déjà dans la Grèce du V<sup>e</sup> siècle av. J.-C., alors que ni Nike, ni H&M, ni Monsantos, ni les OGM n’avaient envahi la planète.</p>
<p>Dans les deux cas cela pose en creux la question de la vérité, dans le rapport qu’elle entretient avec la manière de vivre. Ce qui place les survivalistes à l’autre bout du spectre de la question de la vérité telle qu’elle est traitée (ou justement non traitée) aujourd’hui, sous sa forme de « post-vérité ».</p>
<p>À l’indifférence relative à la question de la vérité de fait au profit des seules opinions qui se substituent littéralement aux faits (post-vérité), s’oppose le fanatisme de la vérité comme seul référent et seul critère de choix : seule la factualité (identifiée à la nature) débarrassée de ses oripeaux culturels doit être considérée comme réelle <em>et</em> comme vraie.</p>
<p>La culture est soupçonnée de n’être que décadence, dans le sillage d’un Rousseau, la nature serait la seule mesure de la valeur de la vie qui s’y confronte et apprend à l’apprivoiser, mais hors technologie de pointe, par la recherche d’un lien primitif entre elle et l’homme, avant que ce dernier ne la détruise.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">A la ZAD de NDDL (mars 2013).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nddl/8528244279/in/photolist-dZHfcA-dZBtUt-dNzYRC-dNzYwf-dNzYs5-dZBYaz-qqYRzZ-egypFU-dZHk9u-dZBTjR-dZBtkz-dHedCK-dLRLW6-dZT2Zc-dQq9zz-dS3EX9-dLRTHn-dLXt6U-dLXsAL-dHeeGx-7mCq5F-dWt658-dWt3bz-dzJw2e-dWyMFu-dWt1wV-dS3h8u-dzJBte-dzPTzL-dRWHck-dzJpAK-dWyCGu-dzJrXe-dzJAUM-dzJp3n-dzPX3N-dWyPmu-dzPU8u-dzJMzp-dzJEfV-dzQ32L-d4derw-dWsXMp-dzQa7u-dzJmer-dWyynL-dWt8Xc-dWsWuR-TAeK1f-puyFtr/">Non à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes.</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La question de la vérité… et du « dire vrai » cynique</h2>
<p>Or on peut se poser la question de façon naïve : pourquoi la vérité (ainsi conçue) devrait-elle guider la vie ? Ou pourquoi <em>cette</em> vérité – celle qui revient à une manière de vivre, et qui s’en tient à une critique virulente de la culture et des différents types d’hypocrisie dont elle est porteuse – devrait-elle devenir prosélyte ?</p>
<p>Vérité sous-tendue par un engagement politique, qui considère que la culture est inutile, que le luxe et tout ce qu’on peut juger superflu n’a pas de valeur, et qu’enfin, au regard de la mort, qui non seulement menace l’individu, mais encore l’humanité (dans le cadre écologique), toute entreprise humaine oublieuse de cette condition en devient dérisoire.</p>
<p>Foucault, dans son dernier cours, <a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">« Le courage de la vérité »</a>, donné au Collège de France en 1983-84, revient sur ce qu’il appelle la « parrêsia » (qu’on pourrait traduire par dire vrai ou franc-parler), et plus spécifiquement sur la <a href="https://bit.ly/2jWcZ6f">parrêsia cynique</a>. Après avoir passé en revue la parrêsia politique (le tribun tel Solon ou Périclès, face à une assemblée), et la parrêsia socratique (le philosophe qui préfère dire le vrai au mépris de la mort, puisque la cité le condamne précisément pour cela), Foucault aborde cette forme extrême de courage, qu’est la parrêsia cynique.</p>
<p>Car le cynique va plus loin que Socrate dans la mesure où il n’accepte pas l’ordre établi : certes, Socrate inquiète cet ordre et se voit condamné par celui-ci, mais il accepte le verdict au lieu de le fuir, préfigurant en cela la désobéissance civile (une désobéissance dans une obéissance, une manière de révolution à travers une méthode réformiste) : le cynique ne possède rien, et montre à même son corps et sa manière de vivre son engagement philosophique. Sa vérité est incorporée et vécue, expérimentée :</p>
<blockquote>
<p>« Le cynisme ne se contente donc pas de coupler ou de faire se correspondre, dans une harmonie ou une homophonie, un certain type de discours et une vie conforme aux principes dans le discours. Le cynisme lie le mode de vie et la vérité sur un mode beaucoup plus serré, beaucoup plus précis. Il fait de la forme de l’existence une condition essentielle pour le dire vrai. Il fait de la forme de l’existence la pratique réductrice qui va laisser place au dire vrai. Il fait enfin de la forme de l’existence une façon de rendre visible, dans les gestes, dans les corps, dans la manière de s’habiller, dans la manière de se conduire et de vivre, de l’existence, du <em>bios</em>, ce qu’on pourrait appeler une <a href="https://bit.ly/2wN75xo">alèthurgie, une manifestation de la vérité »</a></p>
</blockquote>
<p>(Dans sa première leçon, du <a href="https://bit.ly/2wN75xo">1ᵉʳ février 1984, Foucault</a> définit l’alèthurgie ainsi : « l’alèthurgie serait étymologiquement, la production de la vérité, l’acte par lequel la vérité se manifeste »).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vAuO3bHxSpc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo survivaliste de la chaîne Primitive Technology.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le strict nécessaire</h2>
<p>Or cette conception de la vérité revient au choix du strict nécessaire pour survivre, autrement dit ce qu’il faut posséder ou cultiver pour ne pas mettre sa vie en danger : tout le reste peut être évacué. Étrange idée de la vérité, étrange association entre le vrai et la survie, alors qu’on pourrait émettre l’hypothèse contraire que la survie ne fait pas partie du champ de la vérité, ni du domaine symbolique construit par l’homme, celui où naissent les significations.</p>
<p>Autrement dit, que la survie ne fait pas sens, tandis que la vérité ne pourrait s’entendre hors du domaine du sens et de la prédication – hors du domaine du langage. Et de fait, le langage des Cyniques se réduit le plus souvent à des maximes, elles-mêmes sujettes à interprétation, nul dialogue, ni discours : on s’en tient en deçà du social attesté par le langage.</p>
<p>Ainsi, d’un côté, c’est le langage qui a remplacé la vérité en s’économisant la référence au réel (la post-vérité : le langage parle alors à tort et à travers, délié de toute assise hors de lui-même, indifférent à la factualité, indépendant du monde commun) ; de l’autre, la vérité se passe du langage, elle n’est que factualité pure, hors du social où se meut précisément ce langage. Survivre, résister à la catastrophe, résister à l’économie mondialisée. Or indexer la question de la vérité au besoin, c’est une manière de reconduire l’utilitarisme pourtant honni, caractéristique d’une société néo-libérale. Comme si l’on ne pouvait plus sortir du paradigme utilitariste où tout bien est un bien consommable, une donnée chiffrable, fongible, y compris les biens culturels.</p>
<p>Or celui qui refuse cette réduction immanentiste à tout ce qui est chiffrable au bénéfice du seul profit, en se dépouillant de façon ascétique et indifférenciée de tous ces biens parce qu’ils seraient une trace de cette société rejetée, accepte en réalité les mêmes prémisses. Dans les deux cas, c’est encore le monde symbolique qui disparaît. La question de la vérité est bien malmenée, rejetée aux extrêmes de l’indifférence et de la pure factualité.</p>
<h2>La survie, un programme ?</h2>
<p>La culture devrait pouvoir n’être réduite ni à un bien de consommation, ni à une donnée contingente et superflue. La culture d’un côté est rabaissée au rang de distraction, de l’autre d’hypocrisie. Les extrêmes se rejoignent en ceci qu’ils identifient le superflu au champ du symbolique.</p>
<p>Mais la question plus profonde est que les modes de vie alternatifs, s’ils constituent une mise en question légitime et bienvenue de la société de consommation qui attaque à sa façon insidieuse l’humanité en l’homme, comme les Cyniques par leurs provocations agressives, mettaient en cause les faux semblants de la société, et le confort de l’ordre établi, ne proposent pas une vision politique véritablement alternative, elle : à moins d’imposer à chacun un mode de vie ascétique, au nom d’une vérité – à moins donc de réintroduire l’idée d’une Vérité dans le champ politique, Vérité nécessairement coercitive, puisque la vérité, si elle est avérée, ne se discute pas.</p>
<p>Et c’est alors, du même geste, bannir toute possibilité de démocratie, la vérité étant autoritaire et Une, la démocratie consacrant au contraire l’idée de la pluralité, condition du débat.</p>
<p>Si s’en tenir à l’essentiel de la survie est une proposition politique, au nom d’une vérité qui serait en somme biologique, il est à craindre la fin de la culture (et plus généralement de l’univers du sens), au profit d’une idéologie latente et fort peu humaniste. Il est étonnant de voir le retour en force du biologique, que ce soit dans les luttes identitaires (et communautaristes) ou même dans la grammaire (naturalisation des genres grammaticaux), comme si cela pouvait constituer une valeur (et pourtant, associer valeur et biologie renvoie à de tragiques précédents).</p>
<p>Certes, on connaît les critiques adressées à la pensée universaliste, comme si elle n’était que la confiscation par la pensée dominante, de l’universel, et à ce titre l’expression d’une aliénation ; mais si à l’universel de la pensée l’alternative proposée est le seul retour à la biologie, qui en tant que telle ne fait pas sens, alors il y a de quoi s’inquiéter. Les modes de résistance ne sont pas des propositions, mais seulement des modes de résistances.</p>
<p>L’imaginaire politique n’est pas encore au rendez-vous, et le langage est confisqué d’un côté par la communication gouvernementale, de l’autre par l’idéologie. Le courage de la vérité ne serait-il pas de s’en rendre compte et de chercher une voie radicalement différente que celle proposée par les survivalistes d’un côté, les adeptes de la post-vérité de l’autre ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la même manière que certains zadistes, les survivalistes brandissent par cette manière de vivre une certaine idée de la vérité. Ils s’apparentent ainsi à l’école Cynique de Diogène de Sinope.Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/951652018-04-19T21:25:56Z2018-04-19T21:25:56ZMobilisations anti-Macron et émotion : une convergence conservatoire<p>Les manifestations à la SNCF, à Notre-Dame des Landes et à l’Université nous informent utilement sur la texture émotionnelle des combats politiques en présence. Trois registres connus sont mis en scène.</p>
<h2>Face à la violence symbolique de l’État</h2>
<p>Le premier concerne l’apprivoisement des passions face à la violence symbolique de l’État. L’indignation naît ici d’un réflexe intemporel de résistance face aux abus potentiels surplombants du pouvoir. Les cheminots, les <em>zadistes</em> et les étudiants ont le sentiment que la nation est en rupture de bienveillance à leur égard.</p>
<p>On sait que l’égalité du service public (ici ferroviaire), le droit à l’expérimentation locale (ici écologique) et la promotion sociale (ici par l’université) sont des priorités publiques qui charpentent l’imaginaire politique des Français.</p>
<p>Les contestataires s’estiment dépositaires d’une part intangible de cet héritage républicain et ils se sentent trahis par un gouvernement qui modifie les termes du contrat sans leur consentement inconditionnel. Sur le plan sensible, ils expriment un sentiment de trahison, une blessure non cicatrisable.</p>
<h2>Engagement politique et ivresses localisées</h2>
<p>Le deuxième registre concerne le passage à l’acte de l’engagement politique et des ivresses localisées qui en découlent.</p>
<p>Les trois luttes se rejoignent sur le diagnostic d’un double péril (l’ultralibéralisme et la mondialisation) qui creuse inexorablement les inégalités sociales et les déséquilibres environnementaux. Pour sauvegarder l’harmonie et la fraternité du monde, le <em>vivre ensemble</em> doit se réinventer à l’abri des effervescences marchandes, en petits comités, dans des micro-lieux et par la communion plutôt que dans la compétition.</p>
<p>Le combat est moral, il vise les forces du mal mondialisées et ses nouveaux héros sont des gens ordinaires qui ont les pieds sur terre : le conducteur de train épris de service public, le jeune créatif passionné d’écologie libertaire, l’étudiant terriblement inquiet face à l’avenir.</p>
<p>Les colères sont inscrites dans un espace public de proximité où le langage gouvernemental de la représentation et de la modernisation est jugé inaudible. Sur le plan sensible, cet esprit des lieux favorise une grammaire qui ignore joyeusement les enjeux de régulation publique.</p>
<h2>Le corps charnel plutôt que les corps intermédiaires</h2>
<p>Troisièmement enfin, l’intensité des mobilisations se nourrit de la superposition des mille et un émois personnalisés qui colorent ce moment politique. C’est le paradoxe libéral de la situation : les protagonistes du conflit (des grévistes aux usagers) exposent spontanément et sans filtre leurs affinités et leurs sensibilités (en moins de 120 caractères le cas échéant).</p>
<p>Ils revendiquent un droit au bonheur indexé à la quête autocentrée de leur bien-être. Ils sont rétifs aux médiations. Le débat public s’organise dans la défiance des savoirs experts et sur un mode à la fois pulsionnel et radical. Le corps charnel boute les corps intermédiaires. L’énergie des nombrils moque les raisons du nombre. Sur le plan sensible, les opinions se dessinent dans l’empilement des conceptions intimes sur ce que devrait être l’altérité, la nature et le marché.</p>
<h2>Le front des appels au statu quo</h2>
<p>Le sentiment d’abandon, les lieux incarnés et les émois égocentrés s’additionnent dans un cocktail inédit qui provoque un élan commun. Mais dans les trois cas, on peine à voir les convergences politiques ou idéologiques, tant les combats expriment des visions du monde différentes voire antinomiques.</p>
<p>L’appel vibrant à l’État bienveillant cohabite avec les plaidoyers libertaires. Le rejet radical de la mondialisation côtoie les envolées individualistes. Les élans territoriaux fraternels s’entremêlent avec des rhétoriques identitaires de repli. Les microcorporatismes s’affûtent de concert avec les revendications égalitaristes. La dynamique affective des mobilisations favorise un consensus en trompe-l’œil dont la seule convergence évidente concerne le front des appels au statu quo.</p>
<p>Même si les gauches classiques insistent à l’envi sur l’idée que l’émancipation politique vient toujours de la rue et de la <em>vox populi</em>, une analyse comparée des combats montre ici une obsession conservatoire « contre la destruction d’une civilisation » (pour reprendre la formule-choc utilisée par Pierre Bourdieu le 12 décembre 1995 pour soutenir les grévistes contre la loi Juppé).</p>
<h2>Des pensées critiques et des introspections visionnaires inaudibles</h2>
<p>Toute idée de changement ou de transformation suscite de la suspicion. L’heure est au repli, à la méfiance et à la défiance. Les transgressions interpartisanes des députés d’En marche d’où quelles viennent, sont systématiquement perçues comme des menaces ou des mirages. Le « pragmatisme » de ces nouveaux élus est considéré en bloc comme stratégie de domination et de manipulation. Le bruit d’un catéchisme basique (le <em>bon citoyen</em> face au <em>méchant marché</em>) rend inaudibles les pensées critiques, les attendus complexes et les introspections visionnaires. Les réformateurs, tous secteurs confondus, sont d’avance suspects d’avoir pactisé avec le diable.</p>
<p>Difficile, à ce stade, de ne pas penser à certaines ivresses néoconservatrices contemporaines (la lutte contre « le mariage pour tous » en France, le Brexit au Royaume-Uni, le mouvement 5 étoiles en Italie, le trumpisme aux États-Unis). Le sentiment d’indignation déclenche une puissante énergie collective mais le verbe contestataire, qui est bravache et décomplexé, donne à la triple allergie au <em>marché</em>, au <em>système</em> et à ses <em>élites</em> une place surdimensionnée sur le plan passionnel.</p>
<p>Les émotions politiques provoquent ici un rejet assez radical de toute prise d’initiative pour dynamiser et rénover l’intervention publique. Sans qu’on y prenne garde, cette <em>démocratie sensible</em> magnifie une pensée politique particulièrement conservatoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Faure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>ZAD, Universités, SNCF : on peine à voir les convergences politiques ou idéologiques, tant les combats expriment des visions du monde différentes voire antinomiques.Alain Faure, Directeur de recherche en science politique à Sciences Po Grenoble - Université Grenoble Alpes, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/899922018-02-12T21:24:59Z2018-02-12T21:24:59ZLes « ZAD » et leurs mondes<p>La route départementale traversant la Zone à Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes en Loire-Atlantique <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/01/27/dans-la-zad-de-notre-dame-des-landes-la-route-de-l-apaisement_5247947_3244.html">a été rendue à la circulation par ses occupants</a> selon l’injonction des autorités. Ces dernières ont donné « jusqu’au printemps » aux associations et personnes mobilisées contre le projet d’aéroport <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/notre-dame-des-landes/notre-dame-des-landes-les-opposants-demandent-du-temps-pour-liberer-la-route-des-chicanes_2568739.html">pour organiser l’évacuation des occupations jugées illégales</a>.</p>
<p>En attendant, habitants et sympathisants de la lutte contre ce qu’ils jugent un <a href="https://reporterre.net/Grands-projets-inutiles-le-delire-continue-Voici-la-carte-des-resistances">« Grand projet inutile et imposé »</a> <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/02/10/la-zad-de-notre-dame-des-landes-veut-construire-son-futur_5254652_3244.html">se sont retrouvés nombreux le 10 février afin de discuter de son avenir</a>, depuis l’annonce officielle de l’abandon du projet <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2018/01/18/abandon-du-projet-de-notre-dame-des-landes-la-victoire-discrete-de-nicolas-hulot_5243435_3244.html">par le gouvernement</a> le 18 janvier.</p>
<p>Mais qui sont-ils ces « zadistes » au juste ? Sont-ils des « terroristes » comme l’<a href="http://www.telerama.fr/television/a-notre-dame-des-landes,-le-vietnam-des-pauvres-menace-la-france-dune-guerilla,n5402676.php">insinuaient assez grossièrement certains journaux, d’ailleurs moqués par Télérama</a> ? Des hommes et femmes dont les intentions seraient funestes et l’organisation « paramilitaire », allant jusqu’à cacher – d’après ces mêmes journaux aux sources d’information <a href="http://www.acrimed.org/Desinformation-sur-la-ZAD-de-Notre-Dame-des">pour le moins douteuses</a> – des « boules de pétanques hérissées de clous » ?</p>
<h2>La ZAD, terre de fantasmes</h2>
<p>Les fantasmes et les clichés véhiculés par les politiques au sujet des militants ont été légion depuis au moins l’<a href="http://www.liberation.fr/societe/2012/11/29/notre-dame-des-landes-resistance-mode-d-emploi_863931">opération César de 2012</a> ordonnée en vue de détruire les installations jugées illégales, déloger par la force les occupants de la zone et réprimer dans son ensemble le mouvement anti-aéroport. En dépit de la dureté des affrontements et du nombre considérable de gendarmes mobiles alors déployés (2 000), l’opération avait viré au fiasco pour le gouvernement. La résistance pugnace de celles et ceux qui disaient « non » à l’aéroport, loin d’épuiser les énergies, avait largement contribué à renforcer la détermination de tous. D’ailleurs ceux qui sont appelés les « zadistes » réoccupèrent le bocage un mois seulement après, à l’occasion d’une opération ironiquement baptisée <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-planete/20121119.RUE3938/notre-dame-des-landes-operation-asterix-les-manifestants-reoccupent-la-zad.html">« Astérix »</a>.</p>
<p>Du côté des professionnels des médias, préjugés et conditions précaires d’exercice du métier s’ajoutent à la grande méfiance qu’ils suscitent du côté des habitant·e·s des ZAD pour expliquer en grande partie la récurrence de certains poncifs à l’égard des « zadistes ». N’ayant qu’un accès limité à certaines zones et certains occupants, des journalistes dépêchés sur place peinent alors parfois à recueillir autre chose que des déclarations convenues ou évasives, quand ils ne se voient pas carrément refouler en lisière de zone. Ils sont alors contraints à ne reproduire que caricature, amalgames ou éléments fournis par les pouvoirs publics.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/205709/original/file-20180209-51706-1hhdpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Armes « zadistes » ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nddl/36117345625/">Non à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Seules une présence et une confiance réciproque permettent, dans de rares cas, d’accéder à une information de qualité. Quelques médias en ligne y sont parvenus, on pense ainsi à <a href="https://reporterre.net/">Reporterre</a> ou <a href="https://www.mediapart.fr/biographie/jade-lindgaard">Mediapart</a>. <a href="https://letempsediteur.com/2017/09/01/retour-a-notre-dame-des-landes/">Quelques ouvrages signés de professionnels des médias</a> récemment publiés ont aussi eu le mérite de s’attacher à comprendre et analyser en profondeur les motivations des habitant·e·s de la ZAD.</p>
<p>Car les luttes prenant appui sur la désobéissance civile mettent souvent à mal les catégories d’analyse classiques. De ce point de vue, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1.htm&WT.rss_f=sciences-politiques&WT.tsrc=RSS">regards que posent les chercheur·e·s en sciences humaines et sociales</a> constituent des instruments précieux de dévoilement des chimères produites par les représentants de l’ordre social dominant et d’approfondissement des connaissances au sujet de cette modalité de protestation collective.</p>
<h2>Une population bigarrée</h2>
<p>Pour comprendre qui sont les groupes présents, qui apportent un soutien, s’installent dans une ZAD, plus ou moins durablement et participent à des chantiers ou y lancent de nouvelles activités, il convient tout d’abord de se déprendre de toute conception homogène. Ce qui frappe, c’est d’abord et avant tout l’<a href="https://www.mediapart.fr/studio/panoramique/la-zad-ca-marche-ca-palabre-cest-pas-triste">extrême diversité</a> des personnes qui résident sur les sites occupés, en particulier à Notre-Dame-des-Landes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/205712/original/file-20180209-51706-te9r0n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les « zadistes » forment une réalité bien plus composite, bigarrée et complexe que ce que laissent à croire les nombreux fantasmes qu’ils suscitent.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nddl/35725312730/">Notre-Dame des Landes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Diversité des profils et des statuts sociaux, mais aussi hétérogénéité des motivations, variété des raisons et des niveaux d’engagement, différences des trajectoires biographiques et des expériences préalables, divergences idéologiques aussi bien sûr qui exposent parfois cette petite société protestataire à la <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-4-p-61.htm">discorde</a>.</p>
<p>Enfermer les individus dans des catégories toutes faites ne rend alors pas justice à la réalité sociologique des multipositionnements identitaires, politiques, sociaux de celles et ceux qui deviennent à un moment donné des habitant·e·s des lieux. Cela ne permet pas non plus de saisir qu’un.e militant.e aguerri.e peut tout à fait s’avérer aussi féru.e de permaculture, passionné.e de rap, diplômé.e du supérieur, autoconstructeur de cabane, parent d’un enfant né sur la ZAD, etc. Et qu’en cas de menaces policières, celui ou celle-ci fasse barrage, y compris en usant de la force physique, pour défendre les lieux et ses idéaux.</p>
<p>Les identités sont rarement aussi simples (voire simplistes) que les dichotomies produites par les représentants de l’État (« bons agriculteurs » opposés aux « militants radicaux de l’ultra-gauche »).</p>
<p>Cela empêche aussi de percevoir le <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1-p-91.htm">caractère composite des violences sociales et symboliques subies depuis parfois longtemps</a> par certains des habitants, notamment par les plus enclins à la discrétion : pauvreté et son cortège de problématiques sociales, échec scolaire, institutions de placement, discriminations, insatisfactions liées au salariat et à son monde, déclassement social…</p>
<p>Car pour peu que l’on adopte une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2001-1-page-199.htm">approche processuelle de l’engagement</a>, ce sont surtout les bifurcations biographiques, les apprentissages croisés, les transformations de soi ainsi que l’expérience des métissages, des transgressions et des transfuges, qui <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1-p-7.htm">caractérisent la très grande majorité de cette population bigarrée</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/205710/original/file-20180209-51710-1oba7vo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Doux rêveurs ? Terroristes ? Ici, une chaîne humaine en 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cha%C3%AEne_humaine_NDDL_11_mai_2013_-_35.JPG">Jules78120/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>Rassemblés par la mobilité</h2>
<p>Au-delà des différences, l’un des points communs à de nombreux habitant·e·s des sites de contestation de projets d’équipement est la mobilité. Mobilité géographique surtout, mobilité sociale dans une moindre mesure.</p>
<p>Le nomadisme constitue en effet une caractéristique de nombre des « zadistes ». Beaucoup d’entre elles/eux circulent entre plusieurs espaces et formes de vie : au sein même de la ZAD parfois, à l’occasion d’un contrat de travail provisoire ailleurs ou d’une visite aux proches, mais aussi <a href="http://www.editionsdelaube.fr/catalogue/zones%C3%A0d%C3%A9fendre">entre plusieurs zones à défendre</a>. Divers modes de locomotion alternatifs à la voiture individuelle sont alors privilégiés, selon les ressources ou convictions de chacun.e : à pied, en vélo, en train, en auto- ou bateau-stop, ou encore dans son véhicule personnel (camionnette ou fourgons, souvent aménagés pour y dormir et cuisiner).</p>
<p>La mobilité et fluidité des habitant·e·s, aussi bien sur place qu’entre sites occupés, tout comme le caractère informel de certains des collectifs qui soutiennent les <a href="http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/diversite-lieux-implantation-zad.png">ZAD en France</a>, rendent <em>de facto</em> leur recensement difficile et les tentatives de catégorisation de leurs membres au mieux hasardeuses, au pire stigmatisantes.</p>
<h2>De la « maison-mère » aux « petites » ZAD</h2>
<p>Depuis la fin des années 2000, à la ZAD du bocage nantais s’ajoutent d’autres formes d’occupation provisoire ou permanente contre les « grands projets inutiles et imposés ». C’est le cas en Val de Suse en Italie contre la ligne à très grande vitesse, au <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/sivens-le-barrage-de-trop-gregoire-souchay/9782021227864">Testet</a> dans le Tarn <a href="https://reporterre.net/Une-nuit-sur-la-Zad-du-Testet">autour du barrage de Sivens</a>, devenue tragiquement célèbre suite à la mort du <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/dossier-sivens-et-la-mort-de-remi-fraisse">naturaliste militant Rémi Fraisse</a> et évacuée complètement en 2015, à Bure contre le <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/bure-la-bataille-du-nucleaire-gaspard-d-allens/9782021377095">projet d’enfouissement de déchets nucléaires radioactifs</a>, à <a href="http://zaddumoulin.fr/">Kolbsheim (Grand-Est)</a>, contre contre le projet de « grand contournement autoroutier » de Strasbourg ou encore à <a href="https://zadroybon.wordpress.com">Roybon (Isère)</a>, contre la création d’un parc d’attractions.</p>
<p>Aux yeux de beaucoup, Notre-Dame-des-Landes représente la « maison-mère » d’une forme de lutte qui se déploie en divers endroits en France et en Europe (<a href="https://reporterre.net/A-Bruxelles-une-ZAD-s-organise">Bruxelles</a>, <a href="https://lesechosduvent.wordpress.com/tag/hambacher-forst/">Cologne</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TfsqEgStZTk">Roumanie</a>) et vers laquelle il fait bon venir régulièrement se ressourcer, s’informer, revoir des ami·e·s, participer à tel chantier ou à un festival estival, soutenir les « copains » restés sur place, récupérer quelques effets laissés dans une cabane lors d’un précédent séjour…</p>
<p>C’est aussi d’elle que proviennent souvent les premiers militants qui occupent un nouveau site (comme ce fut par exemple le cas à Sivens), grâce aux savoirs et savoir-faire acquis en Loire Atlantique. La récente victoire des opposants au nouvel aéroport pourrait donner à ces autres espaces de contestation un nouvel élan comme en témoignent les récents appels à soutien <a href="https://www.neonmag.fr/reportage-embrouilles-avec-la-police-cabane-dans-les-bois-etait-avec-les-activistes-anti-nucleaire-de-bure-500113.html">des « Hiboux » du bois Lejuc</a> à Bure ou des « veilleurs d’arbre » de la ZAD du Moulin à Kolbsheim. Les appels à la convergence des luttes et le serment de solidarité entre causes ont été affirmés à plusieurs reprises lors du grand rassemblement du 10 février 2018.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sur la route des ZAD.</span></figcaption>
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<p>Rejoindre le bocage de Notre-Dame-des-Landes, <a href="https://theconversation.com/notre-dame-des-landes-pourquoi-les-zadistes-ne-veulent-pas-partir-90244">emblématique</a> par sa durée, la richesse des activités qui s’y déploient et, surtout désormais, la victoire contre le projet d’aéroport, permet ainsi de remettre du combustible dans l’engagement : on y trouve une grande variété de profils et de projets, une relative abondance alimentaire, spatiale et festive, une multiplicité d’occasions de mettre en œuvre des initiatives de toutes sortes, une richesse dans les discours et les pratiques mises en œuvre… qui nourrissent celles et ceux qui y séjournent.</p>
<p>Cela pare, sinon évite, les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/lsp/2004-n51-lsp758/008871ar.pdf">risques liés à un militantisme total</a> en offrant un havre aux personnes à la recherche d’un lieu pour s’isoler, se cacher, se réparer. Sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1-p-91.htm">« petites » ZAD</a>, moins peuplées, plus intermittentes, et donc moins couvertes médiatiquement, les activités tendent <em>a contrario</em> à se raréfier et les soutiens de collectifs, associations ou syndicats susceptibles de les soutenir à se montrer plus aléatoires. Tout cela rend inévitablement la lutte plus éprouvante et les rétributions de l’engagement plus rares.</p>
<h2>Politiser le moindre geste</h2>
<p>Autre élément de ressemblance, la <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1-p-35.htm">protestation en actes</a>, qui passe par une <a href="http://www.sociologiedutravail.org/spip.php?article109">« politisation du moindre geste »</a></p>
<p>Cette forme de vie implique de développer au quotidien des alternatives aux pratiques et normes en vigueur existant dans la société dominée par un système de normes standardisées et marchandes. Cela implique aussi de penser différemment la représentation politique, confinée principalement à l’élection : <a href="https://www.erudit.org/en/journals/socsoc/2009-v41-n2-socsoc3594/039260ar/">horizontalité des pratiques</a>, démocratie directe, rejet de la personnalisation et des porte-parolats, organisation en réseaux de réseaux.</p>
<p>Il en est aussi <a href="https://www.cairn.info/revue-norois-2016-1-p-109.htm">des façons d’habiter ou de se nourrir</a> qui sont conçus comme autant de modes d’agir aussi ordinaires que profondément critiques. Du choix d’un habitat léger (cabanes perchées ou au sol, tentes) ou plus « lourd » (maisons en pierre, bois, paille ou boue, caravanes ou yourtes), en passant par celui des matériaux de construction (uniquement naturels ou récupérés), la distribution des espaces de vie ou l’adoption de toilettes sèches, tout dans le <em>style résidentiel</em> adopté contient une remise en cause fondamentale de l’ordre social dominant.</p>
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<span class="caption">Cabane sur la ZAD du Testet, 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:3-jours-Testet,_r%C3%A9sistance-26,_cabane_haute.jpg">Sébastien Thébault/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Ce qui concerne l’habitat est aussi valable en matière agricole, alimentaire, mais aussi ludique, familiale… Les repas peuvent aussi bien résulter d’une préparation et consommation collectives, à partir des denrées produites sur place, que consommés de manière plus individuelle et en dehors des horaires socialement normés. Des espaces de gratuité ou encore un « non-marché » hebdomadaire durant lequel des biens divers peuvent s’échanger sans prix fixé à l’avance sont organisés. Des zones ou moments non-mixtes (entre femmes, entre homosexuels) sont proposés afin de favoriser la parole et de dénoncer les dominations et discriminations de genre. Des zones non motorisées voisinent les axes sur lesquels transitent tracteurs et autres engins agricoles, des éleveurs influencés par la biodynamie cohabitent avec des adeptes de l’alimentation vegan. En bref, il s’agit de formes variées du vivre autrement pour lutter différemment et… vice-versa !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89992/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Dechézelles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Penser l'après Notre-Dame-des-Landes implique de comprendre qui sont les défenseurs de cette ZAD, la pluralité de leurs profils et de leurs attentes, loin des sempiternels clichés sur les « zadistes ».Stéphanie Dechézelles, Maîtresse de conférences en Science politique, Sciences Po AixLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.