tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/organisation-du-traite-de-latlantique-nord-otan-23825/articlesOrganisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) – The Conversation2024-03-14T18:56:17Ztag:theconversation.com,2011:article/2249932024-03-14T18:56:17Z2024-03-14T18:56:17ZLa fulgurante conversion de la Finlande à l’OTAN<p>Le nouveau président finlandais, <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/finlande-le-conservateur-alexander-stubb-remporte-l-election-presidentielle/">Alexander Stubb</a>, a prêté serment le 1<sup>er</sup> mars 2024. Ancien premier ministre (2014-2015) et ministre des Affaires étrangères (2008-2011), le candidat du parti conservateur (<em>Kokoomus</em>) a devancé l’écologiste Pekka Haavisto, lui aussi ancien ministre des Affaires étrangères (2019-2023).</p>
<p>Stubb a succédé à un autre conservateur, Sauli Niinistö, qui avait occupé ce poste pendant 12 ans (et battu Haavisto lors des deux élections précédentes). Dès lors, faut-il s’attendre à ce que la continuité soit de mise en matière de politique étrangère et de sécurité, principale prérogative constitutionnelle du président finlandais ? Oui… mais avec une nuance, de taille : au cours des deux dernières années, la Finlande a connu le bouleversement le plus spectaculaire de sa politique étrangère et de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>La neutralité, <a href="https://www.cairn.info/les-democraties-europeennes--9782200601621-page-151.htm">terme étroitement associé au pays pendant près de 70 ans</a>, appartient désormais au passé. En avril 2023, la Finlande est devenue le 31<sup>e</sup> État membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).</p>
<h2>Consensus total</h2>
<p>La Finlande de 2024 n’est plus le même pays que la Finlande de 2018 ou de 2012, années des deux dernières élections présidentielles. Du fait de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, sa traditionnelle neutralité a rapidement été abandonnée au profit de l’adhésion à l’OTAN. <a href="https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2023/08/30/adhesion-de-la-finlande-a-lotan-gros-plan-sur-un-parcours-logique-mais-inattendu/index.html">Le drapeau finlandais a été hissé devant le siège de l’OTAN à Bruxelles le 4 avril 2023</a>, moins d’un an après le dépôt de la demande officielle d’adhésion.</p>
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<p>On aurait pu s’attendre à ce que cette décision, qui avait indéniablement constitué la plus grande transformation de la politique étrangère et de sécurité du pays depuis la Seconde Guerre mondiale, suscite d’âpres débats lors de la campagne présidentielle qui s’est déroulée quelques mois plus tard. Or il n’en fut rien. Stubb et Haavisto étaient sur la même ligne : le temps était venu pour le pays de rejoindre l’OTAN. Les sept autres candidats qui avaient participé au premier tour des élections en janvier, y compris Li Anderson, de l’Alliance de gauche, n’avaient pas non plus exprimé de doutes quant à la nouvelle orientation de la politique de sécurité de Helsinki. Les désaccords étaient essentiellement théoriques : la Finlande autoriserait-elle le déploiement d’armes nucléaires sur son territoire ? Alors que Haavisto s’est catégoriquement opposé à cette idée, Stubb a dit en substance qu’il fallait « ne jamais dire jamais ». En tout état de cause, cette éventualité ne paraît pas d’actualité.</p>
<p><a href="https://www.rferl.org/a/finland-nato-survey-membership/32145117.html">L’évolution de l’opinion publique</a> sur les questions de l’adhésion à l’OTAN et de la neutralité a été d’une rapidité tout à fait remarquable. En 2017, seuls 19 % des Finlandais étaient favorables à ce que le pays intègre l’alliance. Quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce chiffre a bondi à 68 %. En février 2023, il était de 80 %. Même les deux tiers des partisans de l’Alliance de gauche, traditionnellement méfiante envers l’OTAN, étaient en faveur de l’adhésion.</p>
<p>Comment en est-on arrivé à un tel consensus ? En réalité, le basculement n’a pas été aussi spectaculaire qu’on pourrait le penser de prime abord. L’histoire de la politique étrangère et de sécurité finlandaise a toujours été un exercice de funambulisme entre, d’une part, les réalités géopolitiques (la nécessité de faire en sorte que le pays subsiste) et, d’autre part, une forte adhésion aux valeurs « occidentales » (démocratie, droits de l’homme et État de droit). Cela n’a jamais changé.</p>
<h2>Un pays prisonnier de sa géographie</h2>
<p>La neutralité finlandaise est apparue comme une stratégie de survie après la Seconde Guerre mondiale. Ayant combattu et perdu, cédé 10 % de son territoire et été contrainte d’accepter la présence d’une base militaire soviétique à proximité d’Helsinki, la Finlande n’était pas en position de force. La signature d’un <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/858">traité avec l’URSS en 1948</a> empêchait expressément toute adhésion à une structure telle que l’OTAN, créée l’année suivante. « Nous ne pouvons pas changer la géographie », avait souligné le premier président de l’après-guerre, Juho K. Paasikivi. Tout soupçon de la possibilité que les puissances occidentales puissent attaquer l’URSS depuis le territoire finlandais <a href="https://www.jstor.org/stable/42670936">devait être écarté</a>.</p>
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<p>Alors que la guerre froide divisait l’Europe, les dirigeants finlandais ont usé d’acrobaties diplomatiques pour édifier une position crédible « entre l’Est et l’Ouest ». Dans les années 1970, leur persévérance a porté ses fruits et Helsinki a accueilli la première réunion de la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/cde6b81f-de28-4cf9-8581-77e6f0d93ee3">Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe</a> (CSCE), devenue plus tard, après la fin de la guerre froide, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont le siège se trouve à Vienne. Entre-temps, le traité finno-soviétique de 1948 a été remplacé par le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/129830-presentation-du-traite-signe-entre-la-france-et-la-russie-sur-la-coopera">traité finno-russe de 1992</a> ; celui-ci était fondé sur le concept d’« égalité souveraine » et reconnaissait donc le droit de la Finlande à conclure des traités sans tenir compte des intérêts sécuritaires de la Russie.</p>
<p>Du fait du succès apparent de la neutralité en tant que doctrine de politique étrangère et de sécurité depuis 1945, il n’y a pas eu dans le pays, durant toutes ces années, de discussion sérieuse sur une éventuelle adhésion à l’OTAN. Comme deux autres pays neutres, l’Autriche et la Suède, la Finlande a adhéré à l’Union européenne en 1995. Pendant plusieurs décennies, Helsinki a semblé ne pas avoir de raison de craindre la Russie. Cette dernière avait beau se comporter de façon de plus en plus impérialiste à l’extérieur de ses frontières (par exemple en Géorgie en 2008), seule une minorité de Finlandais a continué à mettre en garde contre toute complaisance excessive à l’égard de Moscou. Même après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la plupart des Finlandais (et des Suédois) sont restés méfiants envers l’OTAN.</p>
<h2>Février 2022, le moment charnière</h2>
<p>Ce qui a changé après l’annexion de la Crimée, en revanche, c’est la perception que la plupart des Finlandais se faisaient de la Russie de l’après-guerre froide. En novembre 2014, lors d’une conférence des dirigeants de l’Europe du Nord accueillie à Helsinki par Alexander Stubb, alors premier ministre, les dirigeants finlandais <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/nov/05/finland-warns-cold-war-russia-eu">ont insisté auprès de leurs homologues</a>, dont le premier ministre britannique David Cameron, sur la nécessité de reconnaître le danger que représente la Russie.</p>
<p>Dans les années suivantes, les rencontres entre les dirigeants finlandais et russes, y compris les présidents Niinistö et Poutine, sont devenues de plus en plus tendues. Des rapports réguliers ont font état <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/31/world/europe/sakkiluoto-finland-russian-military.html">d’actes d’espionnage russe en Finlande</a>. Comme la Suède, la Finlande a participé aux exercices militaires de l’OTAN en tant que « partenaire ». Toutefois, la majeure partie des hommes politiques finlandais ainsi que la majorité de l’opinion publique se montraient très réticents à rompre avec la tradition de neutralité chère à Helsinki. Élu haut la main pour un second mandat en février 2018, Niinistö avait alors déclaré : « Je pense qu’il n’y a aucune raison de demander l’adhésion [à l’OTAN] tant que les circonstances sont telles qu’elles sont aujourd’hui. » Mais, avait-il ajouté, « s’il y a des changements cruciaux dans notre environnement, alors il n’en irait peut-être plus de même ».</p>
<p>Ces changements cruciaux survinrent le 24 février 2022, lorsque les troupes russes pénétrèrent en Ukraine. Les dirigeants finlandais ont immédiatement <a href="https://yle.fi/a/3-12331397">condamné cette invasion en des termes très clairs</a>. Quatre jours après le début de l’offensive, un sondage a indiqué que, pour la première fois dans l’histoire, la majorité des Finlandais était favorable à l’adhésion à l’OTAN. Une semaine plus tard, Niinistö <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/03/04/readout-of-president-bidens-meeting-with-president-of-finland-sauli-niinisto/">rencontrait le président américain Joe Biden</a> à la Maison Blanche.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1644309046013440000"}"></div></p>
<p>Un seuil avait été franchi. Le 15 mai, en étroite coordination avec la Suède, la Finlande a annoncé sa demande d’adhésion à l’OTAN. Moins d’un an plus tard, le processus était achevé. Il a été incroyablement rapide.</p>
<h2>Pas le choix ?</h2>
<p>Il apparaît, à ce stade, que les dirigeants finlandais ont réagi avec une rapidité remarquable à un bouleversement brutal de la situation géopolitique dans leur voisinage immédiat. L’invasion russe a mis en évidence le fait que la géographie restait primordiale : la Finlande partage 1 300 kilomètres de frontière avec un pays qui vient d’envahir – et pas pour la première fois – un de ses voisins. Cette fois, l’opinion publique finlandaise exigeait une réaction rapide, une forme d’assurance que son pays ne serait pas la prochaine cible de Poutine. Dès lors, la demande d’adhésion à l’OTAN était presque une évidence.</p>
<p>Presque, mais pas entièrement. L’abandon de la neutralité n’était, en effet, pas la seule voie possible. Les Finlandais auraient pu réaffirmer leur engagement en faveur de la neutralité et suggérer que cela leur permettrait de jouer les médiateurs entre Russes et Ukrainiens. Niinistö et d’autres auraient pu mettre l’accent sur une version de la realpolitik soulignant la nécessité de « construire des ponts » (un discours similaire à celui que tenaient les États neutres de l’époque de la guerre froide). Ils auraient également pu souligner que la dépendance de la Finlande à l’égard de l’approvisionnement énergétique russe rendait <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/05/20/apres-l-electricite-la-russie-coupe-le-gaz-vers-la-finlande_6127027_3234.html">risqué</a> le fait de contrarier Moscou.</p>
<p>Le fait que les Finlandais aient préféré l’OTAN à la neutralité en dit long sur le choc qu’ils ont ressenti le 24 février 2022. Qu’ils restent unis deux ans plus tard ne prouve pas, en soi, qu’ils ont fait le bon choix. Mais cela témoigne d’un consensus national remarquable – rare dans les démocraties occidentales – en matière de politique étrangère. L’ironie de cette situation réside en cela que ce consensus est tel qu’il évoque inévitablement le consensus antérieur en Finlande sur la politique étrangère : celui sur la neutralité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224993/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jussi Hanhimäki a reçu des financements de Swiss National Foundation. </span></em></p>Dès le 24 février 2022, l’opinion publique et la classe politique finlandaises ont basculé d’un attachement marqué à la neutralité à une volonté partagée par tous d’adhérer au plus vite à l’OTAN.Jussi Hanhimäki, Professeur d'histoire et de politique internationales, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2250052024-03-12T16:07:02Z2024-03-12T16:07:02ZOTAN-Russie : pourquoi parler de « nouvelle guerre froide » est une dangereuse illusion<p>Deux années de guerre en Ukraine ont-elles ressuscité la vocation de l’OTAN, fondée le 4 avril 1949, il y a pratiquement 75 ans ? Privée depuis 1991 de son ennemi existentiel, l’URSS, la plus grande alliance militaire intégrée au monde avait traversé deux décennies de <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2016-1-page-71.htm">crise de vocation</a>. Rompant avec le bloc soviétique, la nouvelle Fédération de Russie était devenue un partenaire stratégique au sein du <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50091.htm">Conseil OTAN-Russie créé en 2002</a>. De plus, plusieurs anciens pays du « bloc de l’Est », y compris trois anciennes Républiques socialistes soviétiques (l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie) avaient même <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49212.htm">rejoint l’Organisation</a> entre 1999 et 2020. De 19 membres à la fin de la guerre froide, elle était passée à 28 membres en 2009 (32 aujourd’hui). Sa raison d’être était de contenir le bloc communiste en Europe et de contrer le Pacte de Varsovie sur le terrain militaire.</p>
<p>L’annexion de la Crimée en 2014, la guerre dans le Donbass depuis lors et l’invasion à grande échelle de 2022 ont mis fin à cette introspection inquiète. Dans la Russie de 2022, elle retrouvait son « ennemi » théorisé par Carl Schmitt dans <a href="https://editions.flammarion.com/la-notion-de-politique-theorie-du-partisan/9782081228733"><em>La notion de politique</em></a> (1932) comme celui avec lequel l’affrontement est radical et inévitable, dans la mesure où aucun terrain commun ne peut être trouvé.</p>
<p>L’impression de « déjà-vu » géopolitique est aujourd’hui si puissante que l’idée s’est partout imposée : l’Occident serait entré dans une « nouvelle guerre froide » avec une Fédération russe héritière agressive de l’URSS. Seule la carte des blocs aurait évolué, avec l’intégration dans l’Alliance d’anciens États communistes et de deux pays anciennement neutres (Finlande et Suède).</p>
<p>Le « désir du même », si rassurant soit-il, ne doit pas offusquer « la recherche de l’autre ». Le retour de l’histoire ne devrait pas se faire au prix de l’oubli de la géopolitique. Si l’Europe se considère elle-même engagée dans cette nouvelle guerre froide, elle risque de négliger les risques nouveaux auxquels elle est exposée. Les déclarations (provocatrices) <a href="https://www.leparisien.fr/international/propos-de-donald-trump-sur-lotan-ce-nest-pas-alliance-a-la-carte-sagace-la-diplomatie-europeenne-12-02-2024-Q4NZZ4GO7JARLCX565I2PPSHKM.php">du candidat Trump sur l’OTAN</a>, les annonces (isolées ou contestées) <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-emmanuel-macron-annonce-la-creation-d-une-coalition-pour-fournir-des-missiles-et-bombes-20240226">du président Macron sur l’envoi de troupes en Ukraine</a> et <a href="https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2023/08/30/adhesion-de-la-finlande-a-lotan-gros-plan-sur-un-parcours-logique-mais-inattendu/index.html">l’entrée de la Finlande</a> et celle (longtemps retardée par la Hongrie) du <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/otan-pourquoi-lentree-de-la-suede-inquiete-la-russie-de-poutine-ZWLZ5QID4FABHEE33OEWUIDK6Y/">Royaume de Suède dans l’OTAN</a> doivent nous alerter : le Vieux Continent fait aujourd’hui face à des risques géopolitiques de nature bien différente de ceux dont la guerre froide était porteuse. L’histoire bégaie rarement. Et, en tout cas, elle ne dit jamais la même chose. Et les dangers d’aujourd’hui ne gagnent pas à être réduits aux alertes d’hier.</p>
<h2>Retour vers le futur : l’Ukraine, guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie ?</h2>
<p>En géopolitique comme ailleurs, les adorateurs des cycles sont nombreux. Combien de fois l’adage de Marx sur les coups d’État des Bonaparte n’est-il pas invoqué aujourd’hui ? Selon lui, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1978/08/02/marx-et-la-repetition-historique_2995189_1819218.html">tout événement se produirait deux fois</a> : une première, sous une forme tragique et une deuxième, sous les dehors d’une farce – parfois sanglante. Il en irait ainsi de la guerre froide : sa première occurrence avait émergé du deuxième conflit mondial pour mettre aux prises les Alliés occidentaux et le bloc soviétique. Et nous serions entrés depuis 2022, ou même depuis 2013, dans la deuxième guerre froide.</p>
<p>Face à l’horreur de la guerre en Ukraine et à la crainte que suscite la Russie en Europe, il est tentant de retrouver une grille d’analyse éprouvée. La déstabilisation puis l’invasion de l’Ukraine au nom d’une « dénazification » fictive ne rappellent-elles pas les subversions politiques et les interventions militaires de l’URSS en <a href="https://www.herodote.net/17_juin_1953-evenement-19530617.php">Allemagne</a> en 1953, en <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2016/11/03/26010-20161103ARTFIG00310-le-4-novembre-1956-les-chars-sovietiques-deferlent-sur-budapest.php">Hongrie</a> en 1956, en <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/08/20/26010-20180820ARTFIG00203-21-ao%C3%BBt-1968-les-chars-du-pacte-de-varsovie-envahissent-la-tchecoslovaquie.php">Tchécoslovaquie</a> en 1968 ou encore en <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2016-3-page-55.htm">Afghanistan</a> en 1979 ? Comme lors de cette première guerre froide, on observe aujourd’hui une scission de l’Europe en deux blocs militaires, politiques, stratégiques et diplomatiques. Le Rideau de fer tomberait aujourd’hui sur la ligne de front en Ukraine plutôt que sur la frontière entre RFA et RDA, mais la même césure est en passe de s’installer, dans tous les domaines.</p>
<p>Sur le plan politique, les deux camps revendiquent des modèles radicalement opposés : la Russie <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-occident-vu-par-poutine-menace-et-decadence-1605991">critique ainsi le libéralisme décadent</a> des sociétés ouvertes pour mieux affirmer son modèle politique ouvertement et explicitement autoritaire, conservateur et nationaliste.</p>
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<p>Sur le plan stratégique, chacun des pôles de puissance se considère menacé par l’autre et contraint de développer à l’échelle continentale, puis à l’échelon mondial, une stratégie de refoulement de l’autre. Pour la Russie, les vagues d’élargissement de l’OTAN poursuivraient ainsi la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pactomanie_am%C3%A9ricaine">« Pactomanie »</a> des États-Unis dans les années 1940 et 1950 destinée à contenir et refouler le péril rouge. Pour l’Ouest, Moscou a multiplié les formats de coopération anti-occidentaux (OTSC, UEE, OCS, etc.) pour contrecarrer ces extensions otaniennes, de la même façon qu’elle avait à l’époque soviétique signé de nombreux accords, notamment militaires, avec des « États frères » aux quatre coins de la planète.</p>
<p>Sur le plan économique, les vagues de sanctions <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/les-sanctions-contre-la-russie-fonctionnent-2023-12-21_fr">européennes</a> et <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/les-etats-unis-declenchent-la-plus-importante-salve-de-sanctions-contre-la-russie-depuis-deux-ans-on-se-vengera-repond-medvedev-991311.html">américaines</a> se sont succédé et ont eu pour réponses des <a href="https://alrud.com/publications/62693dc8af5f2a5e0d0bb0f2">contre-sanctions</a> russes ; si bien que les anciens partenaires essaient désormais de se passer des approvisionnements de l’autre.</p>
<p>Sur le plan militaire et industriel, la course aux armements et la (re)militarisation battent leur plein, comme au moment de la phase stalinienne de la guerre froide. L’effort de défense des États de l’OTAN s’est considérablement accentué : en 2024, 18 des 32 membres consacrent plus de 2 % de leur PIB aux dépenses militaires. Quant à la Russie elle affiche pour 2024 un budget de défense représentant 6 % du PIB, en hausse de +70 % par rapport à 2023, pourtant déjà année de guerre.</p>
<p>Dans cette polarisation, la guerre d’Ukraine aurait accéléré, accentué et catalysé la renaissance d’un clivage indépassable entre l’OTAN et son Autre radical, la Russie, nouvel avatar de l’URSS. Bien plus, l’Ukraine serait le théâtre d’une « guerre par procuration » typique de la guerre froide comparable à celles que les deux Corées, le Vietnam ou encore l’Angola et le Mozambique avaient connues durant la guerre froide. Dans le Donbass, en Crimée et ailleurs en Ukraine, l’OTAN et la Russie se combattraient à distance, à l’ombre d’une menace nucléaire globale.</p>
<p>Certains attendus de cette grille d’analyse sont parfaitement exacts. En particulier, tous les mécanismes de dialogue, de négociation et de vérification sont bloqués à l’OTAN, à l’ONU et à l’OSCE. Avec « l’ennemi » schmittien ou « l’Autre » radical, la communication est devenue impossible – a fortiori toute forme de coopération.</p>
<h2>Les risques de l’illusion</h2>
<p>Si elle est suggestive, cette vision de la mission de l’OTAN et de la stratégie de la Russie est toutefois trompeuse. Outre qu’elle justifie la rhétorique obsidionale développée par le président russe depuis son fameux <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1886">discours sur l’OTAN à la Conférence sur la sécurité de Munich en 2007</a>, elle masque les dangers réels de la situation présente. Trois événements récents doivent nous en convaincre.</p>
<p>Le 10 février dernier, le candidat, ancien président et possible futur président des États-Unis Donald Trump a réitéré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/12/donald-trump-suscite-l-effroi-chez-les-allies-en-mettant-en-cause-le-principe-de-solidarite-au-sein-de-l-otan_6216070_3210.html">son souhait de prendre ses distances avec l’OTAN</a> et de réduire ainsi l’exposition de son pays aux conflits européens. Cette déclaration ne doit être accueillie ni comme une foucade coutumière d’un provocateur compulsif ni comme un argument électoral d’un novice en politique étrangère. Elle donne le ton du <em>Zeitgeist</em> international car elle résume plusieurs tendances lourdes incompatibles avec la guerre froide.</p>
<p>L’engagement dans l’OTAN n’est plus l’instrument privilégié d’intervention de Washington dans le rapport de force avec son Autre. La bipolarisation américano-soviétique et la gigantomachie OTAN-Pacte de Varsovie ont disparu parce des puissances tierces ont émergé : la République Populaire de Chine, les BRICS et l’Union européenne au premier chef. Le duopole militaire mondial OTAN-Pacte de Varsovie, relativement stable et axé sur la dissuasion nucléaire mutuelle, n’existe plus. Les risques de dérapage s’en trouvent accrus. Les provocations de Donald Trump sur l’OTAN se multiplieront car les déséquilibres européens ne sont plus régulés par la tension maîtrisée entre deux blocs stables et disciplinés. Voilà un risque spécifique à nos temps qu’il ne faut pas négliger au nom de la théorie de la « nouvelle guerre froide ».</p>
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<p>Facteur aggravant : tous les espaces de neutralité, de médiation ou de régulation sont en passe de disparaître entre l’OTAN et la Fédération de Russie appuyée sur son OTSC qui réunit plusieurs anciennes républiques soviétiques. <a href="https://theconversation.com/finlande-une-nouvelle-ere-203576">La fin de la neutralité finlandaise en 2023</a> puis de la neutralité suédoise cette année atteste de cette tendance. La guerre froide avait laissé subsister des espaces ouvertement ou implicitement neutres : les deux États nordiques avaient ainsi échappé au système communiste tout en assurant des relations correctes avec leur voisin soviétique. Des glacis, des zones tampons et des aires grises réduisaient les contacts directs entre OTAN et Pacte de Varsovie.</p>
<p>Les risques de frictions et de dérapage (réels) s’en trouvaient réduits. Désormais, l’espace européen est devenu une vaste zone de confrontation directe (Ukraine) ou indirecte (Baltique, mer Noire). L’abandon des neutralités nordiques – et, à terme, peut-être de la neutralité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_221155.htm?selectedLocale=fr">moldave</a> – fait de l’Autre russe le Voisin direct. Voilà un danger que la « nouvelle guerre froide » risque d’occulter. L’affrontement européen ne se fait plus à distance, par-delà des zones tampons.</p>
<p>Enfin, la déclaration si controversée d’Emmanuel Macron le 26 février au soir a souligné combien les dangers actuels sont distincts de ceux du deuxième XX<sup>e</sup> siècle. Pour l’OTAN, envoyer officiellement des troupes au sol dans un pays tiers, extérieur à l’Alliance, changerait la nature du conflit actuellement en cours. Pour le moment, celui-ci ne met aux prises que deux États, un agresseur et un envahi. Chacun mobilise ses propres réseaux d’alliances afin de soutenir son effort de guerre. Mais le conflit est bilatéral – et ce point n’est ni à minorer, ni à négliger, ni à récuser en fiction.</p>
<p>Même si l’OTAN comme tout, et ses États membres comme parties, soutiennent l’Ukraine de multiples façons, ils ne sont pas parties au conflit car la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_110496.htm">clause d’assistance mutuelle de l’article 5</a> ne peut être déclenchée pour l’Ukraine, non-partie au Traité de 1949. Le risque rappelé – à tort ou à raison – par le président français est qu’une confrontation armée OTAN-Russie est désormais possible. La régionalisation des hostilités, l’entrée en guerre d’autres États, la nucléarisation de certaines opérations, etc. : tels sont des risques actuels.</p>
<h2>Une guerre déjà chaude</h2>
<p>L’OTAN n’est aujourd’hui pas engagée dans une nouvelle guerre froide : la stratégie américaine ne repose plus principalement sur elle ; d’autres puissances militaires différentes de l’Organisation ont émergé ; son « ennemi » existentiel, le Pacte de Varsovie, discipliné, régulé et donc relativement prévisible, n’existe plus ; la guerre par procuration n’est plus la règle. Les risques sont ceux d’une guerre déjà chaude et même très chaude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225005/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La situation actuelle rappelle à bien des égards la guerre froide, mais il est dangereux de s’en tenir à ce parallèle, car les risques de conflit ouvert sont aujourd’hui nettement plus élevés.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2253872024-03-10T16:48:05Z2024-03-10T16:48:05ZL’Union européenne et Poutine : 24 ans de montagnes russes<p>Qui aurait pu imaginer, au début des années 2000, que l’Union européenne et la Russie de Vladimir Poutine se retrouveraient un jour au bord de la guerre à propos de l’Ukraine ? À l’époque, la Russie était un <a href="https://www.jstor.org/stable/24469972">partenaire de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme</a>. Elle avait accepté l’installation par les États-Unis de bases militaires en Asie centrale pour soutenir leurs opérations en Afghanistan. Des sommets se tenaient régulièrement (deux fois par an) entre l’UE et la Russie – plus souvent qu’avec les États-Unis – et l’Union envisageait de conclure un <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2012-v43-n4-ei0387/1013364ar/">« partenariat stratégique »</a> avec ce pays…</p>
<p>Au moment où Vladimir Poutine s’apprête à remporter un <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/g%C3%A9opolitique/20240309-pr%C3%A9sidentielle-russe-un-faux-scrutin">nouveau scrutin totalement contrôlé</a>, retour sur ce presque quart de siècle d’une relation qui a connu quelques hauts et, surtout, beaucoup de bas.</p>
<h2>Dans les années 2000, à la recherche de partenariats…</h2>
<p>Malgré <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/rmc_gomart_xp.pdf">l’élargissement de l’UE et de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale</a>, Moscou acceptait en 2002 la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_19572.htm">mise en place d’un Conseil OTAN-Russie</a> et bouclait entre 2003 et 2005 les négociations de <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/177/russie">« quatre espaces »</a> de coopération UE-Russie, sur proposition de la France et de l’Allemagne : un espace économique ; un espace de liberté, de sécurité et de justice ; un espace de recherche, d’éducation et de culture ; un espace de sécurité extérieure.</p>
<p>Alors que la Russie avait refusé d’être englobée dans la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/la-politique-europeenne-de-voisinage/">« politique de voisinage »</a> de l’UE, la feuille de route sur la sécurité extérieure, la plus difficile à conclure, envisageait une entente sur la gestion de l’espace postsoviétique, évoquant une coopération pour la stabilité des territoires adjacents aux deux ensembles.</p>
<p>L’UE se lançait en 2006 dans la négociation de deux nouveaux accords en parallèle avec l’Ukraine comme avec la Russie. Le démarrage de la négociation avec la Russie fut retardé par la Pologne et la Lituanie, mais il eut lieu en 2008. Malgré la guerre en Géorgie à l’été 2008, les discussions sur ce nouvel accord redémarraient dès le <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/107/article_74837.asp">sommet de Nice en novembre</a>, comme le souhaitait le président français Nicolas Sarkozy, qui exerçait alors la présidence tournante de l’Union.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, se saluent au sommet de Nice, le 14 novembre 2008, devant le maire de Nice Christian Estrosi et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dmitry_Medvedev_14_November_2008-1.jpg">Sergey Guneyev/Kremlin.ru</a></span>
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<p>En dépit du faux retrait de Vladimir Poutine, permutant avec Dimitri Medvedev les fonctions de président et de premier ministre en mai 2008, un partenariat de modernisation UE-Russie était même conclu en 2010 au <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20100601-bilan-mitige-sommet-ue-russie-rostov-le-don">sommet de Rostov</a>, et la Russie <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news11_f/acc_rus_16dec11_f.htm">faisait son entrée dans l’OMC en 2011</a>.</p>
<h2>… mais déjà des frictions de plus en plus sensibles</h2>
<p>Ce n’est pas que les problèmes n’apparaissaient pas déjà. Le dialogue sur les droits de l’homme, initié en 2005, tournait régulièrement au dialogue de sourds. Les Occidentaux, qui avaient obtenu de la Russie (sommet d’Istanbul de l’OSCE, 1999) l’engagement de retirer ses troupes des « conflits gelés » de l’ex-Union soviétique (Géorgie, Moldavie), considéraient que la Russie était en violation de ses engagements et refusaient systématiquement, à partir de 2002, d’agréer une déclaration politique aux rencontres annuelles de l’OSCE.</p>
<p>De son côté, Poutine durcissait ses positions. En 2005, il qualifiait la disparition de l’Union soviétique de <a href="https://www.rferl.org/a/1058688.html">« plus grande catastrophe géopolitique du XXᵉ siècle »</a>. En 2006, il menaçait les Occidentaux, tentés de reconnaître l’indépendance du Kosovo de la Serbie, d’appliquer la même solution aux conflits gelés de l’ex-URSS. En 2007, il prononçait un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/russie-ce-discours-de-vladimir-poutine-en-2007-qui-resonne-avec-la-crise-actuelle-en-ukraine_4968344.html">discours menaçant</a> contre les Occidentaux et l’unilatéralisme américain à la Conférence de sécurité de Munich. Parallèlement, la répression impitoyable visant les détracteurs russes du régime s’intensifiait comme le montraient, entre autres, les assassinats spectaculaires d’<a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2006-11-page-148.htm">Anna Politkovskaïa</a> et d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/alexandre-litvinenko-victime-d-un-permis-de-tuer-6453795">Alexandre Litvinenko</a> en 2006.</p>
<h2>Début des années 2010, la montée des tensions</h2>
<p>Si Vladimir Poutine s’est plié en 2008 aux demandes occidentales, surtout américaines, de ne pas effectuer plus de deux mandats à la présidence de la Russie, comme le stipulait la Constitution russe, c’était en réalité pour mieux conserver la réalité du pouvoir à travers le contrôle des « structures de force », notamment les services de renseignement et de sécurité (Poutine avait été officier du KGB avant de devenir directeur de la structure qui en avait pris la suite après la fin de l’URSS, le FSB). S’est dès lors nouée une évolution fatale, le leader russe légitimant son pouvoir par le durcissement face aux Occidentaux.</p>
<p>On l’a vu au moment de la guerre en Géorgie, lorsque le premier ministre Poutine tirait vers des positions dures pendant que le président Medvedev négociait une solution avec Sarkozy. Et à nouveau au moment de la crise libyenne en 2011, quand Poutine <a href="https://www.slate.fr/story/36013/russie-libye-medvedev-poutine">reprocha à Medvedev d’avoir laissé passer la résolution 1973</a> du Conseil de sécurité autorisant l’intervention de l’OTAN, cette dernière outrepassant le mandat qui lui était donné (la protection des civils à Benghazi) en poursuivant les opérations jusqu’à la chute de Kadhafi.</p>
<h2>L’Ukraine au cœur des contentieux</h2>
<p>Le retour à la présidence de Poutine en 2012, à la suite d’un changement constitutionnel (permettant désormais deux mandats présidentiels consécutifs de six ans chacun), ouvrait dès lors la voie à la confrontation. Elle se noua sur l’Ukraine. En 2004, déjà, la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2005-2-page-109.htm">« Révolution orange »</a> à Kiev avait causé une première crise. Mais l’action combinée de Jacques Chirac et Gerhard Schroeder, usant de leur influence pour apaiser le président russe, et de l’Union européenne, poussant à de nouvelles élections qui portèrent au pouvoir un président « pro-occidental », Viktor Iouchtchenko, permit de l’éviter. Et en 2010, l’Ukraine élut même un président « pro-russe », Viktor Ianoukovitch.</p>
<p>À l’époque, les États-Unis, dirigés depuis 2008 par Barack Obama, n’étaient plus sur une ligne aussi hostile à Moscou que l’Administration Bush, qui avait largement encouragé les « révolutions de couleur » en Géorgie et en Ukraine et avait ouvert à ces pays une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2008/03/07/l-otan-tempere-les-espoirs-d-adhesion-de-la-georgie-et-de-l-ukraine_1019968_3210.html">perspective d’adhésion à l’OTAN au sommet de Bucarest (2008)</a>. Barack Obama, lui, <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/us-russia-relations-reset-fact-sheet">proposa un « reset » à la Russie en 2009</a>. Mais l’UE, tout en poursuivant la négociation d’un nouvel accord avec la Russie, visait un accord d’association ambitieux avec l’Ukraine, incluant une zone de libre-échange très poussée, et c’est le refus de cet accord par Ianoukovitch, poussé par Poutine, qui déclencha la révolution de Maïdan à la fin 2013, précipitant la chute du président ukrainien.</p>
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<p>La Russie réagit brutalement en annexant la Crimée et en soutenant à bout de bras une insurrection dans le Donbass. Résultat : une vraie rupture entre l’UE et la Russie, la fin des sommets et des négociations de partenariat, et les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/">premières sanctions</a> incluant un embargo sur les armes, des sanctions financières et la restriction des investissements dans l’énergie. La France et l’Allemagne (Hollande et Merkel) jouèrent à nouveau un rôle médiateur en facilitant les <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/tout-ce-quil-faut-savoir-sur-les-accords-de-minsk-en-22-questions/">accords de Minsk</a> (2014-2015), qui gelèrent le conflit du Donbass sans parvenir à le résoudre.</p>
<p>L’Allemagne, à travers sa présidence de l’OSCE (2016), puis la France, avec les <a href="https://www.polkamagazine.com/quand-emmanuel-macron-accueillait-vladimir-poutine-a-versailles/">tentatives du président Emmanuel Macron de renouer avec la Russie</a>, ont essayé, sans succès, de débloquer la situation, bloquée par la non-mise en œuvre des accords de Minsk, lesquels prévoyaient la réintégration du Donbass dans l’Ukraine.</p>
<h2>La fracture du 24 février 2022</h2>
<p>Il demeure une part d’énigme quant à la motivation exacte qui a poussé Vladimir Poutine à attaquer l’Ukraine le 24 février 2022. Voyait-il le pays basculer de plus en plus dans le camp occidental ? Redoutait-il une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-volonte-ukrainienne-de-recuperer-la-crimee-constitue-une-menace-directe-pour-la-russie-20211202">attaque ukrainienne</a> sur la Crimée et sur les pseudo-républiques de Donetsk et de Lougansk, contrôlées par Moscou ? Ou pensait-il qu’il avait un coup à jouer en surinterprétant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/15/le-retrait-americain-d-afghanistan-tourne-a-la-deroute-pour-l-administration-biden_6091491_3210.html">l’affaiblissement des États-Unis après leur retrait d’Afghanistan</a> ? Isolé par la pandémie de Covid, s’était-il <a href="https://theconversation.com/vladimir-poutine-et-le-fiasco-des-services-secrets-russes-en-ukraine-194206">laissé intoxiquer par ses services</a> sur la facilité à remplacer le pouvoir à Kiev par un pouvoir prorusse ?</p>
<p>Toujours est-il qu’il a commis l’irréparable en endossant le rôle de l’agresseur (beaucoup plus clairement que dans la guerre en Géorgie, où <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/08/26/01003-20080826ARTFIG00361-le-pari-perdu-de-mikhail-saakachvili-.php">c’est le président géorgien qui avait pris l’initiative des hostilités</a>) et qu’il a échoué à prendre le contrôle de l’Ukraine. Les Occidentaux ont rapidement adopté des sanctions économiques très lourdes contre la Russie et fourni une assistance massive à l’Ukraine, sans que cela ait permis jusqu’à présent à celle-ci de reconquérir les territoires perdus.</p>
<p>Cet aboutissement tragique était-il inévitable ? Est-il attribuable à la seule personne de Poutine, despote assoiffé de pouvoir et de puissance, aux ambitions illimitées ? Est-il la conséquence du système russe, incapable de prendre le tournant de la modernité démocratique et faisant renaître de ses entrailles un impérialisme atavique ?</p>
<p>Une autre trajectoire aurait-elle été possible ? Elle aurait supposé que les Européens et les États-Unis s’accommodent de la dictature russe et traitent la Russie en grande puissance, en lui reconnaissant des intérêts privilégiés dans l’espace postsoviétique. Sur le premier point, malgré les critiques sur le renforcement de la répression interne, les Occidentaux ont accepté de traiter avec le maître du Kremlin jusqu’à la guerre en Ukraine. Sur le second en revanche, ils n’ont pas démordu du droit de l’Ukraine à sa liberté et à sa souveraineté.</p>
<p>Aujourd’hui, il est difficile d’envisager un arrêt de la guerre en Ukraine tant que Poutine sera au pouvoir ; or il sera sans l’ombre d’un doute réélu avec un score écrasant ce 17 mars pour six ans et pourra, s’il le souhaite, se présenter de nouveau pour six années supplémentaires en 2030 (cette année-là, il aura 78 ans). Pour les Européens, une épreuve redoutable s’annonce à l’heure où les États-Unis envisagent de réduire voire cesser leur soutien à l’Ukraine, surtout dans l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Slobodan Milosevic, le leader nationaliste serbe des années 1990, avait été arrêté par la force dans sa politique de répression ethnique, et avait fini par perdre le pouvoir. Un tel scénario n’apparaît pas en vue aujourd’hui face à la Russie de Poutine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une courte lune de miel lors des premières années de pouvoir de Vladimir Poutine a été suivie par une dégradation continue et une fracture nette le 24 février 2022.Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241372024-02-23T15:52:33Z2024-02-23T15:52:33ZHéritage d’Alexeï Navalny : ce sont aux Russes de poursuivre son combat, loin des «idéaux» occidentaux<p>La <a href="https://www.ledevoir.com/monde/europe/807355/alexei-navalny-principal-opposant-poutine-est-mort-prison">mort récente d’Alexeï Navalny</a> a suscité des condamnations immédiates de la part des dirigeants du monde entier, le <a href="https://www.forbes.fr/societe/joe-biden-poutine-est-responsable-de-la-mort-dalexei-navalny/">président américain pointant aussitôt Vladimir Poutine du doigt</a>.</p>
<p>On ne peut <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-68318742">affirmer avec certitude</a> que le président russe a fait assassiner Navalny. Mais la mort du dissident <a href="https://www.reuters.com/world/europe/russias-putin-run-again-president-2024-2023-12-08/">avant les élections présidentielles russes</a> de mars a des airs de déjà-vu. Dans le passé, de nombreux détracteurs de Vladimir Poutine sont décédés <a href="https://www.lessentiel.lu/fr/story/plusieurs-deces-suspects-dans-l-entourage-de-poutine-405586624221">dans des circonstances suspectes</a>.</p>
<p>Cependant, des déclarations comme celle de Joe Biden, qui a accusé Vladimir Poutine <a href="https://www.leparisien.fr/international/direct-mort-de-navalny-ses-avocats-en-route-vers-la-prison-poutine-informe-de-son-deces-16-02-2024-MQBOAQRMVVCUXMBVO4KDCFOIRA.php">d’être personnellement responsable</a> de la mort d’Alexeï Navalny, alimentent la propagande du Kremlin.</p>
<h2>« Agent de l’Occident »</h2>
<p>Le président Poutine est parvenu à diviser ceux qui soutiennent Navalny en conjuguant complaisance à leur égard et condamnation du dissident en tant <a href="https://www.reuters.com/world/europe/obituary-alexei-navalny-russian-opposition-politician-putin-nemesis-reported-2024-02-16/">qu’agent de l’Occident</a>.</p>
<p>La passion et l’ampleur de l’indignation occidentale apportent de l’eau à son moulin. La possibilité que <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wx3vHdFRvMo">Yulia Navalnaya</a>, veuve du dissident et d’autres réformateurs puissent provoquer des changements en Russie pourrait être compromise si leur cause est associée à l’Occident.</p>
<p>La popularité de Navalny en Russie va au-delà des positions démocratiques et <a href="https://acf.international/ru">anticorruption</a> qui lui ont valu d’êtr e <a href="https://www.nytimes.com/2022/04/24/movies/navalny-review.html">admiré en Occident</a>. Pour les Russes, il était avant tout un <a href="https://news.yahoo.com/alexei-navalny-russian-opposition-leader-122409296.html">nationaliste</a>.</p>
<p>Il représentait une menace pour Poutine parce qu’il <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1060586X.2013.872453">inspirait les nationalistes</a>, un mouvement politique russe qui a déjà été critique à l’égard du président.</p>
<p>Vladimir Poutine est assurément un dirigeant autoritaire qui dispose de <a href="https://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/russia-putin-press-freedom-independent-news/">pouvoirs extrajudiciaires</a> considérables. Mais il a toujours eu besoin du soutien des citoyens russes. Depuis plus d’une décennie les <a href="https://imrussia.org/en/analysis/3265-putin%E2%80%99s-dangerous-flirting-with-nationalism">nationalistes russes</a> lui permettent un règne d’une durée exceptionnelle.</p>
<p>Les troubles politiques des années 1990 et du début des années 2000 ont conduit de nombreux Russes à s’interroger sur leur place dans le monde. La Russie est passée d’une des superpuissances mondiales à une position que certains Russes percevaient comme leur valant d’être <a href="https://foreignpolicy.com/2022/03/03/putin-ukraine-russia-nato-kosovo/">ignorés ou dénigrés</a> pas les États-Unis.</p>
<h2>Successeur de Boris Eltsine</h2>
<p>En tant que successeur du premier président de la Russie, Boris Eltsine, Poutine a <a href="https://www.irishtimes.com/news/yeltsin-immunity-suggests-a-deal-done-with-putin-1.230365">hérité d’une position politique</a> quelque part entre les communistes, qui prônaient un retour à une nation du même type que l’Union soviétique, et les nationalistes, qui cherchaient à redonner à la Russie son statut de grande puissance.</p>
<p>Cet exercice d’équilibrisme a été évident dès le début du premier mandat de Poutine. Les nationalistes russes ont crié au scandale parce que les puissances occidentales ont mené des guerres pour préserver les droits de la personne dans divers pays, alors que les Russes des États postsoviétiques ont été négligés.</p>
<p>Vladimir Poutine, qui ne devait rien aux nationalistes à ce stade, a même <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-jour-ou-poutine-voulait-integrer-l-otan-24-11-2021-2453563_24.php#11">envisagé d’adhérer à l’OTAN</a>, bastion de l’Occident.</p>
<p>Les États-Unis <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/stone-interviews-putin-says-asked-russia-joining-nato">n’ont pas considéré sérieusement</a> la suggestion de Poutine. Par conséquent, et comme <a href="https://www.dw.com/en/russia-us-clash-over-russian-election-protests/a-15589210">ce dernier avait l’impression</a> que les Américains soutenaient ses adversaires politiques, il a cherché à cultiver une autre source de stabilité en se tournant vers les nationalistes russes.</p>
<p>Le <a href="https://carnegieendowment.org/politika/88451">sentiment anti-occidental</a> est une composante essentielle de l’idéologie de certains nationalistes russes. Aujourd’hui, Poutine adhère pleinement à cette vision. Sa crainte de voir les nationalistes remettre en cause sa position intérieure a d’ailleurs <a href="https://doi.org/10.5612/slavicreview.75.3.0702">alimenté ses manœuvres</a> en Ukraine au cours de la dernière décennie.</p>
<p>Vladimir Poutine ne pouvait se désengager de la région ukrainienne du Donbas — à majorité russophone — sans risquer de perdre le soutien des nationalistes russes. C’est un des facteurs qui l’a poussé à <a href="https://www.cnn.com/2022/09/13/europe/ukraine-advance-russia-war-analysis-intl-hnk-ml/index.html">envahir l’Ukraine</a> en février 2022.</p>
<h2>L’attrait de Navalny</h2>
<p>D’abord <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/the-evolution-of-alexey-navalnys-nationalism">très à droite</a> sur l’échiquier politique, <a href="https://www.aljazeera.com/news/2024/2/16/obit-navalny-putins-archenemy-and-anti-corruption-champion">Navalny est devenu plus modéré</a> au fil du temps. Néanmoins, sa vision de la Russie ne correspondait pas toujours aux idéaux occidentaux.</p>
<p>Ainsi, Navalny considérait que la Crimée <a href="https://www.themoscowtimes.com/2014/10/16/navalny-wouldnt-return-crimea-considers-immigration-bigger-issue-than-ukraine-a40477">ne devait pas être automatiquement restituée</a> à l’Ukraine après son annexion à la Russie en 2014. Cette position est cohérente avec les arguments nationalistes selon lesquels la <a href="https://www.usatoday.com/story/news/world/2014/03/18/crimea-ukraine-putin-russia/6564263/">Crimée fait partie de la Russie</a>. En outre, si les opinions de Navalny sur l’immigration ont évolué, elles sont restées <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/2/25/navalny-has-the-kremlin-foe-moved-on-from-his-nationalist-past">teintées de populisme</a>.</p>
<p>Navalny était tout à fait conscient qu’il pouvait séduire le peuple russe et représenter un danger pour Vladimir Poutine. En 2020, il a été transporté à Berlin pour y recevoir un traitement médical après avoir été empoisonné au <a href="https://www.themoscowtimes.com/2020/10/06/watchdog-says-novichok-type-nerve-agent-found-in-navalny-samples-a71674">Novitchok</a>. Il convient de noter que cet agent neurotoxique a été <a href="https://www.forbes.fr/politique/l-empoisonnement-la-strategie-russe-pour-faire-taire-les-opposants-de-vladimir-poutine/">fréquemment utilisé contre des dissidents russes</a>.</p>
<p>Avant de retourner en Russie pour continuer à défier Vladimir Poutine, Navalny a publié une vidéo au cas où il mourrait en détention.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1758477103962468366"}"></div></p>
<p>Voici ce qu’il y disait au peuple russe :</p>
<blockquote>
<p>S’ils décident de me tuer, cela signifie que nous sommes extrêmement puissants. Nous devons faire usage de ce pouvoir et nous souvenir que nous sommes une immense force qui est oppressée par de mauvaises personnes. Nous n’avons pas conscience de la force que nous possédons. </p>
</blockquote>
<h2>Nuire à l’héritage d’Alexeï Navalny</h2>
<p>En défendant Navalny, l’Occident risque d’amoindrir son héritage en tant que héros du peuple russe en raison du <a href="https://www.globalpolicyjournal.com/blog/22/09/2022/russian-anti-western-intellectualism">sentiment anti-occidental qui prévaut en Russie</a>.</p>
<p>Pendant des années, Vladimir Poutine a <a href="https://www.cnn.com/2024/02/17/europe/putin-navalny-existential-threat-analysis-intl/index.html">refusé de prononcer</a> le nom de Navalny. Ses partisans et son gouvernement n’ont toutefois pas été aussi circonspects. Le Kremlin est même allé jusqu’à accuser celui-ci d’être un <a href="https://www.reuters.com/article/idUSKBN26M4JA/">agent de la CIA</a>.</p>
<p>Les leaders mondiaux qui ont exprimé le plus d’indignation après le décès de Navalny sont occidentaux. Parmi eux figurent Joe Biden, le <a href="https://www.leparisien.fr/international/mort-de-navalny-macron-accuse-la-russie-de-condamner-a-mort-les-esprits-libres-16-02-2024-TGGHVJHPYFHS3OQXHBYUKFJTDQ.php">président français Emmanuel Macron</a> et le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/mort-de-navalny-loccident-accuse-poutine-2077009">premier ministre britannique Rishi Sunak</a>.</p>
<p>Le contraste entre leurs déclarations et celles du président brésilien <a href="https://www.msn.com/en-us/news/world/brazil-s-lula-says-navalny-s-death-should-be-probed-before-accusations/ar-BB1isWRR">Luiz Inácio Lula da Silva</a> et des <a href="https://www.msn.com/en-us/news/world/china-s-state-media-repeat-russian-talking-points-after-navalny-s-death/ar-BB1iwbko">médias d’État chinois</a> est saisissant. Ni l’un ni les autres n’ont condamné Poutine pour la mort de Navalny.</p>
<p>Que leur non-positionnement soit bien fondé ou non, ces dirigeants ont aidé le Kremlin à associer davantage <a href="https://www.tasnimnews.com/en/news/2024/02/19/3041870/kremlin-calls-western-politicians-statements-on-navalny-s-death-boorish">Navalny à l’Occident</a>.</p>
<p>Alexeï Navalny a fait preuve d’un grand courage dans ses convictions en revenant en Russie, tout en sachant qu’il allait très certainement être victime de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-02-18/mort-d-alexei-navalny/pourquoi-est-il-revenu.php">répression et d’emprisonnement</a>.</p>
<p>Ce sont des personnes comme son épouse, Yulia Navalnaya, et non les dirigeants occidentaux, qui sont les mieux placées pour poursuivre le combat pour l’avenir de la Russie. Mais pour que cela soit possible, il faut que la cause de Navalny ne soit pas perçue par les nationalistes russes comme étant ancrée dans les idéaux occidentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224137/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les successeurs de Navalny sont les mieux placés pour poursuivre le combat pour la Russie. Mais ils ne réussiront que si la cause de Navalny n’est pas perçue comme ancrée dans les idéaux occidentaux.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityJack Adam MacLennan, Associate Professor of International Relations and National Security Studies and Graduate Program Director for National Security Studies, Park UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2236712024-02-22T15:49:11Z2024-02-22T15:49:11ZL’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande<p>Comme le veut la coutume issue de la longue tradition d’amitié entre la France et l’Allemagne, le nouveau premier ministre français Gabriel Attal a réservé son premier déplacement à l’étranger en tant que chef du gouvernement à Berlin, le 5 février 2024. Il a assumé, lors de la conférence de presse conjointe donnée avec le chancelier Olaf Scholz, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/a-berlin-gabriel-attal-assume-les-divergences-avec-lallemagne-2074195">divergences existant entre les deux pays</a> sur de nombreux sujets, dont l’actuelle négociation de l’accord commercial avec le Mercosur. Ces divergences existent également dans le domaine de la coopération militaire bilatérale. Elles ne sont pas nouvelles, mais ont été réactivées par le contexte de la guerre en Ukraine et le réagencement de l’architecture de sécurité européenne.</p>
<p>Au cours de ces deux dernières années, <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-effects-of-the-war-in-ukraine-on-european-defence-deeper-eu-integration/">l’UE a lancé un certain nombre d’initiatives</a> pour produire en commun des munitions (l’instrument <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/07/asap-council-and-european-parliament-strike-a-deal-on-boosting-the-production-of-ammunition-and-missiles-in-the-eu/">ASAP</a>, adopté en juillet 2023) et pour renforcer l’industrie de défense européenne (plan <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/10/09/edirpa-council-greenlights-the-new-rules-to-boost-common-procurement-in-the-eu-defence-industry/">EDIRPA</a> annoncé en septembre 2023), sans avoir résolu la question de son lien à l’OTAN et à l’allié américain. Or la guerre en Ukraine vient souligner la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/13/otan-les-etats-unis-toujours-indispensables-a-la-defense-de-l-europe_6216254_3210.html">dépendance des Européens à l’égard de Washington</a>, tant sur le plan stratégique que logistique et capacitaire.</p>
<p>Dans ce contexte, comment la guerre en Ukraine affecte-t-elle la coopération militaire franco-allemande sur le plan politico-stratégique ?</p>
<h2>Une crise révélatrice de divergences stratégiques antérieures</h2>
<p>C’est un truisme que de dire que les <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-6-page-37.htm">cultures stratégiques française et allemande sont différentes</a>. L’armée et la politique de défense, façonnées par l’histoire de chacun des deux pays et le fonctionnement du système politique interne, n’occupent pas la même place et n’exercent pas tout à fait les mêmes fonctions – en dehors de la fonction fondamentale de défense du territoire et des populations commune à toutes les armées.</p>
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<p>L’armée expéditionnaire française, héritière d’une longue tradition historique, ressemble peu à une Bundeswehr construite en 1955 dans le cadre de l’Alliance atlantique pour faire face à la menace conventionnelle soviétique pendant la guerre froide.</p>
<p>Pour autant, les dernières années de l’ère Merkel, si elles n’avaient pas gommé les différences stratégiques entre Paris et Berlin, avaient semblé converger vers l’idée d’une défense européenne plus substantielle à côté de l’OTAN, mobilisant, certes avec des sous-entendus divergents, la notion <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/11/2027-lannee-de-lautonomie-strategique-europeenne/">d’autonomie stratégique européenne</a> du côté français, et de souveraineté européenne du côté allemand.</p>
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<p>Mais malgré le <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/notes-cerfa/livre-blanc-allemand-2016-consolidation-consensus-de-munich">consensus de Munich</a> qui actait dès 2014 du côté de Berlin la nécessité, pour la première puissance économique européenne, de prendre davantage de responsabilités en matière de sécurité internationale et de défense, la France continuait à voir en l’Allemagne un partenaire circonspect sur ces sujets. La littérature académique ainsi que nombre d’experts ont longtemps considéré l’Allemagne comme une <a href="https://www.economist.com/special-report/2013/06/13/europes-reluctant-hegemon">« puissance réticente »</a>.</p>
<p>L’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 semblait avoir changé la donne : trois jours plus tard, le chancelier allemand annonçait un changement d’époque (<a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/d%C3%A9claration-gouvernementale-du-chancelier-f%C3%A9d%C3%A9ral-2009510"><em>Zeitenwende</em></a>). L’Allemagne prenait conscience que la guerre conventionnelle en Europe était possible, et qu’elle avait trop longtemps négligé ses budgets de défense et ses capacités, malgré les critiques récurrentes des commissaires parlementaires aux forces armées successifs, dont les rapports annuels dénonçaient <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230314-allemagne-l-arm%C3%A9e-manque-de-tout-dit-la-commissaire-parlementaire-%C3%A0-la-d%C3%A9fense-au-bundestag">l’état critique de la Bundeswehr</a>.</p>
<p>La France y avait alors vu l’occasion de travailler enfin de manière plus efficace avec l’Allemagne en matière de défense, et même de promouvoir la politique européenne de défense en adoptant notamment – en mars 2022 une <a href="https://ecfr.eu/article/the-eus-strategic-compass-brand-new-already-obsolete/">Boussole stratégique européenne</a> dont le chantier avait été lancé sous présidence allemande du Conseil de l’UE en 2020.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-petit-pas-inapercu-de-lue-vers-une-defense-commune-203011">Le petit pas inaperçu de l’UE vers une défense commune</a>
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<p>Mais très rapidement, les divergences stratégiques franco-allemandes ont refait surface : là où Paris a vu dans la guerre en Ukraine la confirmation de la nécessité d’enfin donner à l’UE une défense substantielle et basée sur ses propres forces, l’Allemagne, comme une majorité des autres États européens, y a au contraire forgé la conviction qu’il fallait renforcer l’OTAN.</p>
<p>Cette divergence d’analyse se traduit notamment par le lancement de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/LAllemagne-brandit-bouclier-antimissile-europeen-sans-France-2022-10-13-1201237611">l’initiative de défense aérienne européenne</a> (<em>European Sky Shield Initiative</em>) par le chancelier allemand, sans réelle concertation avec Paris et au détriment d’une souveraineté européenne en la matière, en écartant le système de défense proposé par la France et l’Italie (SAMP/T) au profit d’un système israélien soutenu par Washington (Arrow 3).</p>
<p>S’y ajoute l’achat sur étagère de matériel militaire américain (notamment des <a href="https://www.letemps.ch/monde/allemagne-lachat-chasseurs-f35-americains-confirme">avions de combat F-35</a>), démontrant clairement l’invariant de l’ancrage allemand dans le pilier transatlantique de la sécurité européenne, et la méfiance de Berlin (partagée haut et fort par de nombreux pays européens, au premier rang desquels la Pologne et les États baltes) à l’égard des velléités françaises d’une Europe de la défense autonome.</p>
<p>Pourtant, la France a également pris conscience de l’importance de consolider un pilier européen au sein de l’OTAN afin de mieux dialoguer avec ses partenaires européens. Mais les espoirs de changement majeur dans la politique de défense allemande ont rapidement été mitigés par les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/olaf-scholz-se-defend-d-avoir-tarde-a-approuver-la-livraison-de-chars-lourds-a-l-ukraine_6159390_3210.html">atermoiements du chancelier autour de la livraison de chars de combat à l’Ukraine en janvier 2023</a>, démontrant l’ambigüité allemande sur les questions militaires malgré le fonds spécial de 100 milliards débloqué pour rééquiper la Bundeswehr, et une <a href="https://www.pwc.de/de/pressemitteilungen/2024/die-deutschen-wollen-verteidigungsfaehiger-werden.html">opinion publique allemande en phase de transition sur les questions militaires</a>.</p>
<h2>Une coordination bilatérale en déclin</h2>
<p>Si le « moteur franco-allemand » de l’Europe semblait régulièrement à la peine avant 2022 (malgré la signature en 2019 du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/relations-franco-allemandes-le-traite-d-aix-la-chapelle-risque-d-etre-depasse-par-l-evolution-de-la-politique-mondiale_6212237_3232.html">Traité d’Aix-la-Chapelle</a>, dont la mise en œuvre fut perturbée par la pandémie de Covid), il paraît aujourd’hui grippé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/60-ans-apres-le-traite-de-lelysee-le-couple-franco-allemand-a-change-de-nature-217137">60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature</a>
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<p>Plusieurs facteurs peuvent être convoqués pour l’expliquer. Tout d’abord, l’élément interpersonnel, qui joue un rôle important dans la relation franco-allemande, n’est pas au beau fixe : si les rapports entre les deux ministres de la Défense ou entre l’ancienne ministre française des Affaires étrangères et son homologue allemande semblaient de bonne qualité, nombre d’observateurs ne peuvent que constater l’absence d’alchimie entre le président Macron et le chancelier Scholz, dont le style de gouvernement très personnel <a href="https://www.economist.com/europe/2023/04/05/who-does-olaf-scholz-listen-to">déroute d’ailleurs outre-Rhin</a>.</p>
<p>Ainsi, l’absence de référence à la France dans le discours du chancelier à Prague en août 2022 sur l’avenir de l’Europe, et le peu de consultation avec l’allié français traditionnel dans l’exercice de la rédaction de la toute première <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/lopposition-allemande-interpelle-olaf-scholz-sur-ses-relations-au-plus-bas-avec-la-france/">stratégie de sécurité allemande</a> publiée en juin 2023, sont venues confirmer des tensions franco-allemandes qui ont conduit à des <a href="https://theconversation.com/conseil-des-ministres-franco-allemand-un-report-sur-fond-de-ralentissement-economique-europeen-193227">reports</a> et à des diminutions de fréquence du conseil des ministres franco-allemand en 2022 et 2023. S’y est substitué, en dehors du conseil symbolique de janvier 2023 célébrant les 60 ans du traité de réconciliation, un séminaire bilatéral à Hambourg en octobre 2023 afin que les deux équipes gouvernementales puissent apprendre à mieux se connaître.</p>
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<p>De la même façon, en matière d’aide militaire et financière à l’Ukraine, les deux pays n’agissent pas de façon coordonnée, mais plutôt en relation bilatérale directe avec Kiev. L’Allemagne a contribué à cette aide à hauteur de 20 milliards d’euros (dont 17 milliards d’aide militaire) depuis 2022, là où la France n’aurait versé jusqu’à présent qu’autour de 1,7 milliard (dont 544 millions d’aide militaire) selon les <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">chiffres de l’Institute for World Economy de Kiel</a>. Paris s’est engagé à verser une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lallemagne-sengage-a-soutenir-lukraine-militairement-a-long-terme-2076889">aide militaire supplémentaire de 3 milliards d’euros</a> lors de la visite du président Zelensky le 15 février 2024 à Paris, et Berlin a de son côté annoncé un milliard d’euros supplémentaires.</p>
<p>Enfin, sur le plan matériel, l’injection du fonds spécial de 100 milliards d’euros et la hausse importante du budget militaire allemand (estimé autour de <a href="https://www.zeit.de/news/2024-02/14/deutschland-meldet-rekordsumme-an-nato">2 % du PIB en février 2024</a>) ont intensifié la compétition industrielle déjà existante entre Paris et Berlin, remettant en cause le partage des tâches tacite en vigueur jusque-là entre la puissance économique allemande et la puissance militaire française. Ajoutons que ces derniers mois, les échanges entre les deux ministères de la Défense ont été émaillés par les aléas des projets de coopération industrielle militaire (notamment les <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/scaf-mgcs-derriere-les-discours-la-grande-panne-des-projets-militaires-franco-allemands_870322">programmes SCAF et MGCS</a>).</p>
<h2>Quel peut être l’avenir du partenariat franco-allemand en matière de défense ?</h2>
<p>Si les partenaires de Paris et Berlin ont par le passé souvent critiqué le poids du tandem franco-allemand dans la construction européenne, il semble aujourd’hui certain que celui-ci ne suffit pas, mais demeure une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/la-desunion-politique-de-la-france-et-de-l-allemagne-contribue-a-fragmenter-l-union-europeenne_6180154_3232.html">condition nécessaire</a> pour construire du consensus à Bruxelles, y compris sur les sujets militaires.</p>
<p>Une des leçons de la guerre en Ukraine en la matière est l’importance de mieux considérer les intérêts de sécurité des pays baltes et des pays d’Europe centrale et orientale, très critiques sur l’attitude de Paris et Berlin vis-à-vis de Moscou au début de la guerre, <a href="https://news.err.ee/1608613669/ft-baltic-politicians-annoyed-by-scholz-and-macron-s-putin-call">jugée trop compréhensive</a>. Un élément qui semble émerger en ce sens consiste à réinvestir le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/france-allemagne-et-pologne-relancent-le-triangle-de-weimar-pour-contrer-la-russie-2075825">triangle de Weimar</a>, la coopération franco-germano-polonaise étant rendue moins difficile par l’arrivée aux affaires à Varsovie du gouvernement pro-européen issu des élections de l’automne 2023.</p>
<p>Un second axe de rapprochement pour la France et l’Allemagne tient au facteur américain : l’élection présidentielle de 2024 pourrait favoriser un renforcement de l’Europe de la défense si Donald Trump revenait à la Maison Blanche, notamment au regard des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/14/otan-pourquoi-donald-trump-qualifie-t-il-les-allies-de-mauvais-payeurs_6216493_4355770.html">propos sans équivoque</a> qu’il a tenus en février 2024 sur la faiblesse de certaines contributions européennes au budget militaire de l’OTAN. C’est ce qui s’était produit entre 2016 et 2020, période d’avancées significatives pour la politique européenne de défense marquée notamment par le lancement de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:permanent_structured_cooperation">coopération structurée permanente</a>.</p>
<p>Même en cas de victoire démocrate, Paris et Berlin peuvent trouver une voie de rapprochement en travaillant sur la notion de pilier européen dans l’OTAN. <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-cour-des-comptes-appelle-la-france-a-mieux-simpliquer-dans-lotan-1984569">La France a d’ailleurs donné des gages de sa bonne volonté</a> en s’investissant très activement dans la présence de l’OTAN à l’Est du continent européen afin de contrer la menace russe.</p>
<p>Ainsi, si les désaccords, notamment industriels, ne manqueront pas de perdurer, c’est par la voie politique que la coopération militaire franco-allemande pourrait regagner de la souplesse. Beaucoup d’incertitudes demeurent toutefois sur ce point au regard des futures élections tant européennes que nationales, étant donné la montée des discours populistes dans les deux pays et les crises économiques et sociales dont ceux-ci se nourrissent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Deschaux-Dutard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux pays soutiennent fermement l’Ukraine, mais leurs visions de la meilleure organisation de la défense européenne et du rôle que doit y jouer l’OTAN continuent de diverger.Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106642023-08-24T17:01:49Z2023-08-24T17:01:49ZQuel avenir pour l’Ukraine ? Un exercice de prospective<p>À mesure que la guerre russe en Ukraine se prolonge, l’unité entre Kiev et ses alliés occidentaux, souvent soulignée dans nos médias, pourrait progressivement s’éroder si les opinions publiques occidentales <a href="https://edition.cnn.com/2023/08/04/politics/cnn-poll-ukraine/index.html">étaient gagnées par la fatigue de la guerre</a> et si l’Ukraine peinait à faire des avancées significatives sur le terrain <a href="https://www.wsj.com/articles/ukraine-war-counteroffensive-frontlines-russia-add3e4e4">face à des positions militaires russes fortement enracinées</a>. On constate déjà aujourd’hui que l’incertitude plane sur les intentions des différents protagonistes du clan occidental. Les nombreux retournements de situation de court terme, comme la mort de l’oligarque russe et patron de la compagnie militaire privée Wagner <a href="https://theconversation.com/wagner-groups-yevgeny-prigozhin-reportedly-died-in-private-jet-crash-if-confirmed-it-wouldnt-be-first-time-someone-who-crossed-putin-met-a-suspicious-demise-212168">Evgueni Prigojine</a>, contribuent également à la confusion et à l’incertitude quant à l’issue de ce conflit.</p>
<p>Dans ce contexte, <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-20684-0_9">l’analyse prospective</a>, mêlée de références historiques, peut nous aider à envisager les différents futurs possibles du pays.</p>
<p>Pour cela, il convient d’identifier les éléments les plus importants (les forces motrices, dans le langage de la prospective) pour l’issue du conflit. Dans le cas de l’Ukraine, on en distingue deux principaux. D’abord, la question de l’intégrité territoriale du pays : les autorités de Kiev et leurs partenaires sont-ils prêts à accepter l’éventualité d’une Ukraine fragmentée, ou bien le contrôle ukrainien sur l’ensemble du territoire sera-t-il, aux yeux des uns comme des autres, une condition absolue pour mettre fin au conflit ? Ensuite, l’orientation politique de Kiev : le conflit aboutira-t-il à un arrimage durable de l’Ukraine au camp occidental, ou au contraire à l’adoption d’un statut de neutralité ?</p>
<p>L’examen de ces deux questions clés permet de mettre en évidence quatre scénarios, mutuellement exclusifs, qui représentent des futurs possibles de l’Ukraine : celle-ci pourrait s’orienter vers un devenir comparable dans une certaine mesure soit à celui de la RFA de l’après-guerre, soit d’Israël, soit de Hong Kong, soit de la Finlande.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=570&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=570&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=570&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=716&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=716&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=716&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les quatre options possibles.</span>
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<h2>L’épineuse question de l’intégrité territoriale</h2>
<p>Si Kiev finissait par reconquérir l’ensemble de son territoire et par obtenir une ferme garantie de sécurité ultérieure de la part de ses alliés occidentaux, on entrerait dans une réalité similaire à celle que connaît aujourd’hui Israël (ou Taïwan, bien que l’île ne soit pas reconnue comme un État indépendant) : le camp occidental offrirait à l’Ukraine des garanties de sécurité significatives qui permettraient au pays de protéger sa souveraineté.</p>
<p>Ces garanties pourraient ressembler à l’aide militaire et économique, ainsi qu’au soutien politique que les États-Unis accordent actuellement à <a href="https://www.state.gov/u-s-security-cooperation-with-israel/">Israël</a> et à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/29/etats-unis-joe-biden-annonce-une-aide-militaire-de-345-millions-de-dollars-a-taiwan_6183790_3210.html">Taïwan</a>. D’ailleurs, l’écosystème politico-économique israélien, marqué par une collaboration très étroite entre investisseurs, ingénieurs et responsables militaires, est parfois <a href="https://www.economist.com/europe/2023/02/23/ukraines-tech-entrepreneurs-turn-to-military-matters">cité en exemple</a> par les autorités ukrainiennes, qui y voient un modèle à répliquer.</p>
<p>Mais ce scénario pourrait aussi avoir sa propre singularité : l’Ukraine, certes avec l’aide de ses alliés, aurait alors infligé une déroute incontestable à l’armée russe, ce qui lui conférerait une légitimité politique et militaire accrue au sein du camp occidental, comme l’a expliqué le général Michel Yakovleff.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1678664109737361409"}"></div></p>
<p>Cependant, les <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/ce7e9p8rrzlo">tensions</a> que l’on a pu observer notamment entre Joe Biden et Volodymyr Zelensky <a href="https://theconversation.com/lotan-et-lukraine-ou-va-t-on-apres-le-sommet-de-vilnius-210022">au dernier sommet de l’OTAN</a> démontrent les limites de l’alignement stratégique entre Washington et Kiev face à la puissance nucléaire qu’est la Russie.</p>
<p>Sur la question de <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/2023/07/13/zelensky-ukraine-nato-invitation/">l’adhésion à l’OTAN</a> et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, les positions ne sont pas strictement identiques : à l’inverse de Kiev, tant Washington que les Européens pourraient se satisfaire d’un scénario dans lequel l’Ukraine réaliserait des avancées territoriales significatives sans pour autant reconquérir l’ensemble des régions qu’elle a perdues. </p>
<p>De même, et en bonne partie pour permettre à Vladimir Poutine de ne pas perdre la face, les Américains pourraient chercher à favoriser une « simple » adhésion de l’Ukraine à l’UE, plutôt qu’à l’OTAN, comme l’a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BhocUmNKDFI">explicitement dit</a> le sénateur démocrate du Delaware Chris Coons, montrant ainsi que dès lors qu’il s’agit de prendre des engagements de long terme, Washington pourrait préférer une piste purement européenne plutôt que transatlantique. Du point de vue d’un certain nombre de responsables à Washington, la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-poutine-a-lance-le-deploiement-d-armes-nucleaires-tactiques-en-bielorussie">menace de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques</a> de la part de Moscou pourrait ainsi être contenue.</p>
<p>Un tel scénario impliquerait la fragmentation de l’Ukraine, à l’image de celle de <a href="https://foreignpolicy.com/2023/07/10/ukraine-nato-west-germany-vilnius/">l’Allemagne</a> au lendemain de la guerre. Elle permettrait au camp occidental de soutenir le développement d’une vraie démocratie en Ukraine, notamment en aidant les autorités du pays à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-autre-guerre-de-zelensky-10-08-2023-2531193_24.php">lutter contre la corruption</a>. Ce scénario n’exclut pas des velléités de revanche de la part de Kiev, qui pourrait espérer sa propre réunification à terme.</p>
<h2>La menace de la fatigue du reste de l’Occident</h2>
<p>Il ne faut cependant pas exclure que la fatigue de la guerre puisse atteindre les opinions publiques occidentales, et par voie de transmission, leurs décideurs politiques, dont Joe Biden, qui fait face <a href="https://www.wsj.com/articles/ukraines-stalled-offensive-puts-biden-in-uneasy-political-position">à une échéance politique capitale l’année prochaine</a>.</p>
<p>Au moment où les difficultés économiques pèsent sur les populations européennes, l’importance stratégique que les capitales occidentales ont accordée à l’Ukraine pourrait perdre de sa vigueur. La guerre a déjà déstabilisé le secteur agricole de l’Europe de l’Est, menant la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie à <a href="https://www.economist.com/europe/2023/04/27/a-spat-over-farming-bodes-ill-for-ukraines-future-european-prospects">suspendre</a> leurs importations alimentaires en provenance d’Ukraine en avril dernier (avant qu’elles ne reprennent en juin). Les alliés occidentaux pourraient aussi éprouver des difficultés logistiques à soutenir l’Ukraine militairement : la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/ukraine-derriere-la-penurie-de-munitions-les-failles-de-lindustrie-europeenne-20230710_B3QGTDQEBREGJPZTTJ5ATE57NM/">pénurie de munitions</a> au niveau international, qui explique pourquoi tant les Européens que les Américains peinent à approvisionner l’Ukraine, pourrait influencer l’issue du conflit.</p>
<p>La volonté politique des États-Unis, dans les faits, <a href="https://twitter.com/EHunterChristie/status/1676324983033790470">est également plus floue</a> que les déclarations politiques déterminées de l’administration Biden laisseraient penser. La <a href="https://www.nbcnews.com/news/world/former-us-officials-secret-ukraine-talks-russians-war-ukraine-rcna92610">révélation</a> de pourparlers secrets entre Washington et Moscou portant sur la fin du conflit montre bien que la possibilité de négociations avec la Russie <a href="https://www.foreignaffairs.com/ukraine/russia-richard-haass-west-battlefield-negotiations">n’est en rien exclue</a> par les États-Unis.</p>
<p>La réalité que connaîtrait l’Ukraine pourrait dès lors dépendre de l’importance de ses reconquêtes territoriales et des pressions occidentales qui pourraient forcer le pays à négocier.</p>
<p>Si l’Ukraine parvenait à reconquérir une majeure partie de son territoire, mais devait accepter un compromis avec la Russie, un scénario semblable à celui de la neutralité finlandaise, qui a duré de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la <a href="https://theconversation.com/finlande-une-nouvelle-ere-203576">récente adhésion de Helsinki à l’OTAN</a> pourrait s’imposer au pays : l’intégrité territoriale viendrait au prix de son non-alignement.</p>
<p>Au contraire, si l’Ukraine ne parvenait pas à reconquérir une majeure partie de son territoire, et subissait même des pertes supplémentaires, notamment parce que les Occidentaux venaient à abandonner le pays à son sort, Moscou serait en position de force pour imposer ses intérêts sur le terrain et pour continuer de déstabiliser le pays. Toutes choses égales par ailleurs, un scénario à la <a href="https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280">Hong Kong</a>, où une démocratie est aux prises avec la volonté d’une dictature, se ferait alors jour.</p>
<h2>Au-delà des scénarios, quelles leçons ?</h2>
<p>Les leçons que l’on peut tirer d’un tel exercice de prospective peuvent dépendre du point de vue que l’on adopte. Certaines d’entre elles s’imposent à tous les protagonistes.</p>
<p>La première concerne le rôle que les garanties de l’OTAN peuvent jouer. Force est de constater que les garanties que les capitales occidentales pourraient offrir à Kiev ne s’inscrivent pas exclusivement dans le cadre de l’Alliance atlantique, contrairement à ce que les discussions de court terme peuvent laisser penser (et à ce que l’exemple taïwanais suggère). </p>
<p>Les garanties d’ordre politique et économique (notamment par le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/12/g7-joint-declaration-of-support-for-ukraine/">biais du G7</a>) ainsi que des engagements officiels qui mettent l’accent sur la raison d’être du soutien occidental à l’Ukraine, au moment où la légitimité du système démocratique à économie de marché est mise en question, peuvent également jouer un rôle de garde-fou en inscrivant l’Ukraine durablement dans le camp occidental. En d’autres termes, une réelle feuille de route politique pour l’Ukraine qui dépasse les querelles intestines quant à l’adhésion du pays à l’OTAN jouerait un rôle significatif et peut-être non moins crédible qu’une intégration officielle à l’Alliance.</p>
<p>Encore faut-il, cependant, que les alliés occidentaux jugent le bénéfice de leur engagement en Ukraine suffisamment stratégique et justifié par rapport à l’alternative de voir émerger aux frontières de l’Europe une nouvelle Finlande ou un nouveau Hong Kong. Dans l’immédiat, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/21/livraison-d-avions-de-combat-a-l-ukraine-l-occident-franchit-le-pas_6186023_3210.html">l’annonce de la fourniture de F16 à Kiev</a> va dans ce sens.</p>
<p>Mais ce conflit, qui est devenu une guerre d’attrition, pourrait rendre ce type d’engagement de plus en plus difficile pour des décideurs occidentaux qui devront faire face à la fatigue de leurs opinions publiques. Moscou pourrait gagner en détermination. C’est pourquoi le risque d’une nouvelle Finlande ou d’un nouveau Hong Kong continue de planer sur l’Europe.</p>
<p>L’issue du conflit dépendra largement des dynamiques politiques européennes qui mettront dans la balance les bénéfices de ces engagements envers l’Ukraine et le coût de ce risque d’une nouvelle Finlande ou d’un nouveau Hong Kong. Cette lecture politique du conflit pourrait ainsi influencer la perception que les alliés européens ont d’eux-mêmes et du rôle qu’ils s’imaginent jouer sur le plan international à l’avenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Ghez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À ce stade, quatre « modèles » se dégagent pour l’avenir de l’Ukraine. Certains sont nettement plus souhaitables que d’autres pour les autorités de Kiev.Jeremy Ghez, Professor of Economics and International Affairs, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2100222023-07-24T18:34:39Z2023-07-24T18:34:39ZL’OTAN et l’Ukraine : où va-t-on après le sommet de Vilnius ?<p>L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, réclamée par Kiev depuis des années et plus encore depuis l’attaque russe du 22 février 2022, n’avait pas été en débat lors des deux premiers sommets de l’OTAN qui se sont tenus après le déclenchement de la guerre (celui de Bruxelles, convoqué en urgence en mars 2022, et celui de Madrid, en juin).</p>
<p>À l’époque, c’était le soutien immédiat à l’Ukraine qui était en jeu, plutôt que la réflexion sur des garanties de sécurité à plus long terme. Le sommet de Madrid avait toutefois permis d’enclencher l’adhésion de la Finlande, <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_213448.htm">devenue effective en avril 2023</a>, et celle de la Suède, qui a obtenu lors du sommet de Vilnius (11-12 juillet dernier) la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/adhesion-de-la-suede-a-l-otan-les-raisons-de-la-volte-face-turque-11-07-2023-2528046_24.php">promesse par la Turquie de ratifier son traité d’adhésion</a>.</p>
<p>Dans la capitale lituanienne, l’Ukraine espérait se voir fixer un horizon d’adhésion concret ; mais <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/12/a-vilnius-l-otan-serre-les-rangs-sans-s-engager-sur-l-adhesion-de-l-ukraine_6181565_3210.html">cela n’a pas été le cas</a>. </p>
<h2>Les résultats du sommet de Vilnius</h2>
<p>L’adhésion de l’Ukraine – et aussi de la Géorgie – à l’OTAN est sortie du principe ambigu de la « porte ouverte » pour devenir une perspective réelle au <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_8443.htm">sommet de Bucarest en avril 2008</a>. Malgré l’opposition de la France et de l’Allemagne, à l’époque, à l’octroi d’un « plan d’action pour l’adhésion » souhaité par l’administration Bush, le sommet de Bucarest avait clairement affirmé :</p>
<blockquote>
<p>« L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN. »</p>
</blockquote>
<p>Quelques mois plus tard, la <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2008-4-page-111.htm">guerre russo-géorgienne</a> donnait à la Russie l’occasion de faire la démonstration de sa domination stratégique dans la région.</p>
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<p>Le dossier de l’adhésion de ces candidats à l’OTAN n’a pas substantiellement évolué après 2008. La coopération de l’Alliance avec eux s’est renforcée. La promesse d’adhésion a été renouvelée. Mais aucune étape concrète vers l’adhésion n’a été franchie.</p>
<p>La Géorgie s’est montrée moins pressante après le départ du président Saakachvili en 2013. L’Ukraine, de son côté, confrontée depuis 2014 à la politique de force de Moscou (annexion de la Crimée, perte d’une partie du Donbass), a fait inscrire dans sa Constitution en 2019 (juste avant l’élection de Volodymyr Zelensky) l’objectif de rejoindre l’UE et l’OTAN – et cela, alors que l’adhésion à l’OTAN était auparavant un objectif <a href="https://www.kyivpost.com/post/8986">controversé en Ukraine</a>, contrairement à l’adhésion à l’UE, souhaitée par <a href="https://www.ukrinform.net/rubric-society/2845603-over-60-of-ukrainians-support-accession-to-european-union-51-joining-nato.html">près des deux tiers des citoyens</a>.</p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lukraine-peut-elle-adherer-rapidement-a-lue-178842">L’Ukraine peut-elle adhérer rapidement à l’UE ?</a>
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<hr>
<p>La guerre déclenchée par la Russie en février 2022 n’a fait que renforcer le souhait de l’Ukraine d’être protégée à l’avenir par l’Alliance atlantique. Cependant, malgré le soutien traditionnel à sa candidature d’une partie des Alliés (spécialement le Royaume-Uni et les pays d’Europe orientale), les États-Unis ont donné le « la » en adoptant en amont du sommet de Vilnius une position très retenue, Joe Biden déclarant d’emblée que l’Ukraine <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/ukraine/le-president-americain-joe-biden-estime-que-l-ukraine-n-est-pas-prete-a-rejoindre-l-otan_AN-202307090413.html">« n’est pas prête »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0Y846YXZD0s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le couple franco-allemand n’a pas existé dans ce débat : l’Allemagne a suivi la position américaine de prudence, tandis que la France, dans la lignée du <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/289645-emmanuel-macron-31052023-france-slovaquie">discours du président de la République à Bratislava</a> (31 mai), a poursuivi son offensive de charme auprès des pays d’Europe orientale en adoptant une position favorable à l’adhésion. Sans doute la prudence de nombreux pays s’explique-t-elle aussi par le fait qu’un traité d’adhésion devra être ratifié par chaque État membre, ce qui – comme l’a montré le cas de la Turquie avec la Suède – n’a rien d’automatique.</p>
<p>Le résultat du sommet, qui a <a href="https://www.chathamhouse.org/2023/07/ukraine-disappointed-after-nato-summit-not-discouraged">déçu les Ukrainiens</a>, reflète avant tout la position américaine. Si la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_217320.htm">bien réaffirmée</a> (« l’avenir de l’Ukraine est dans l’OTAN »), aucun processus d’adhésion concret n’est lancé. Il est seulement précisé que l’Ukraine sera dispensée, contrairement à la Géorgie, de « plan d’action pour l’adhésion ».</p>
<p>À la demande de Kiev, l’OTAN répond sèchement que l’Ukraine sera invitée « lorsque les Alliés l’auront décidé et quand les conditions seront réunies » (sans préciser davantage les conditions). Autrement dit, le choix et le moment de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN seront décidés par l’Alliance seule. En compensation, il a été décidé de renforcer davantage les relations entre l’OTAN et l’Ukraine, notamment en <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_217059.htm">créant un Conseil OTAN-Ukraine</a>.</p>
<h2>La peur d’un affrontement nucléaire</h2>
<p>Cette rebuffade doit être interprétée à deux niveaux : du point de vue de l’implication de l’OTAN dans le conflit et du point de vue de la solution qu’elle peut apporter à son règlement.</p>
<p>Rappelons d’abord cette évidence : l’OTAN n’est pas partie à la guerre. Celle-ci oppose la Russie à l’Ukraine, et pas la Russie aux Occidentaux. Si certains pays, telle la <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/belarus-un-etat-vassalise-par-moscou-acteur-ambigu-de-la-guerre-en-ukraine">Biélorussie</a> qui a laissé passer des troupes russes par son territoire, peuvent être regardés comme cobelligérants, les livraisons d’armes à l’Ukraine <a href="https://www.lefigaro.fr/international/ukraine-pourquoi-la-livraison-de-chars-occidentaux-ne-constitue-pas-un-acte-de-cobelligerance-20230126">ne relèvent pas de la cobelligérance</a>. Et les Occidentaux font preuve d’une grande prudence s’agissant des armements offensifs (chars, missiles, avions) susceptibles de frapper directement la Russie.</p>
<p>Malgré une coordination légère dans le cadre de l’OTAN (<a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/reunion-de-ramstein-creation-dun-%E2%80%89groupe-de-contact%E2%80%89-mondial-pour-soutenir-lukraine/">« groupe de Ramstein »</a>), les livraisons d’armes contournent plutôt l’OTAN en empruntant soit la voie bilatérale, soit la voie de l’UE (avec le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/european-peace-facility/timeline-european-peace-facility/">financement par la « Facilité européenne pour la paix »</a>), soit la coordination dans le G7 (l’engagement à soutenir l’Ukraine dans la durée et contre une future nouvelle attaque russe a été pris à Vilnius <a href="https://www.letemps.ch/monde/a-vilnius-l-agenda-charge-de-volodymyr-zelensky">dans un format G7 et non dans le format OTAN</a>).</p>
<p>La raison de cet effacement relatif de l’OTAN est simple : tout affrontement direct entre les Occidentaux et la Russie, entre l’OTAN et la Russie, entre les États-Unis et la Russie, serait susceptible de dégénérer en un conflit nucléaire. Les Russes ont passé plusieurs fois le message public qu’ils <a href="https://eng.globalaffairs.ru/articles/a-difficult-but-necessary-decision/">ne craignaient pas l’escalade nucléaire</a> et on peut penser qu’ils envoient des messages similaires dans leur dialogue avec leurs interlocuteurs américains. La mission principale de l’OTAN est une mission de défense collective de ses membres, ce qui fut d’ailleurs un aspect majeur de la rencontre de Vilnius.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1679593513862721536"}"></div></p>
<p>L’Ukraine pourrait-elle bénéficier un jour de cette garantie de sécurité ultime octroyée par l’OTAN à ses membres ? La question a suscité un vrai débat en amont du sommet de Vilnius.</p>
<p>La difficulté est d’appliquer la garantie de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/13/sommet-de-l-otan-ce-que-contient-l-article-5-du-traite-de-l-alliance-atlantique_6181842_4355770.html">l’article 5</a> (la clause de défense collective) à un État qui ne contrôle pas l’intégralité de son territoire. Aucun État membre de l’OTAN n’est dans cette situation (Chypre étant dans l’UE mais pas dans l’OTAN). Il faudrait au minimum adopter une interprétation selon laquelle la garantie de l’article 5 s’appliquerait seulement au territoire contrôlé par l’Ukraine, dans une optique défensive, et non au territoire ukrainien contrôlé par la Russie, pour éviter que l’OTAN soit entraînée contre son gré dans une opération de reconquête.</p>
<h2>Les « modèles » israélien et sud-coréen</h2>
<p>D’autres options ont été avancées. Par exemple, le modèle de la Corée du Sud, qui est liée depuis 1953 par un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/seoul-et-washington-renforcent-leur-cooperation-de-defense-face-a-la-coree-du-nord-1938968">traité de défense mutuelle aux États-Unis</a>, lesquels y stationnent des troupes, alors même que la péninsule de Corée est restée divisée et <a href="https://asiacentre.eu/fr/2022/01/05/la-coree-du-sud-pousse-a-un-traite-de-paix-mettant-fin-a-la-guerre-de-coree/">sans accord de paix</a>. Ou bien celui d’Israël, dont la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/09/14/l-alliance-militaire-entre-les-etats-unis-et-israel-renforcee-pour-dix-ans_4997467_3218.html">sécurité est soutenue par les États-Unis</a> à travers de multiples accords de coopération de défense.</p>
<p>Aujourd’hui, les « garanties de sécurité » proposées à Kiev par les Occidentaux (comme dans la déclaration du G7 à Vilnius) restent en deçà de ces exemples. Elles ne prévoient pas le déploiement de troupes alliées sur le territoire ukrainien. Elles ne prévoient pas, non plus, de clause d’assistance militaire contre une agression. Et si elles prévoient un engagement à soutenir la sécurité de l’Ukraine massivement et sur la durée, comme les États-Unis le font avec Israël, l’Ukraine est dans une position très différente : elle ne dispose pas de l’arme nucléaire et ne jouit pas avec sa seule armée, même équipée par les Occidentaux, d’une supériorité stratégique sur son voisin russe.</p>
<p>Un dernier élément doit entrer en considération. La Russie a toujours été opposée à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Envisager cette adhésion comme issue de la guerre n’est pas forcément de nature à la raccourcir ; cela pourrait au contraire inciter Moscou à la poursuivre pour empêcher cette issue.</p>
<p>Une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN supposerait que de nombreuses conditions soient réunies : que l’Ukraine reconquière une partie suffisante de son territoire pour estimer qu’elle peut accepter de geler les fronts par un cessez-le-feu ; que la clause d’assistance de l’article 5 soit limitée au territoire contrôlé par l’Ukraine (ce qui équivaudrait à une renonciation au moins temporaire de la part de l’Ukraine à la partie de son territoire internationalement reconnu qu’elle ne contrôle pas, par exemple la Crimée ou une partie du Donbass) ; et que la Russie se considère suffisamment vaincue pour accepter un cessez-le-feu à des conditions très défavorables (une réduction de son emprise en territoire ukrainien, l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN avec logiquement un déploiement de troupes alliées à la clé), ce qui passerait sans doute par un changement de pouvoir à Moscou. Mais, parce que la Russie est une puissance nucléaire, c’est une donnée stratégique fondamentale de ce conflit que l’OTAN ne peut se laisser entraîner dans une guerre avec la Russie et qu’il y a des limites à la défaite que l’Ukraine peut infliger à la Russie.</p>
<p>On comprend mieux pourquoi les stratèges à Washington ont préféré se laisser toutes les portes ouvertes sur l’issue du conflit, ce que permet la formule de Vilnius.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine veut rejoindre l’OTAN au plus vite, mais le sommet de Vilnius de l’Alliance atlantique a indiqué que cela ne pourrait pas se produire avant la fin de la guerre déclenchée par la Russie.Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068172023-06-01T16:18:02Z2023-06-01T16:18:02ZKosovo : comprendre le récent déchaînement de violence<p>La recrudescence des affrontements violents <a href="https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/05/30/kosovo-des-violences-inedites-contre-les-forces-de-l-otan_6175453_1669088.html">dans le nord du Kosovo</a> nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17502977.2023.2182994">conflits interconnectés</a> que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.</p>
<p>La <a href="https://www.rferl.org/a/nato-kosovo-tensions-police-clash-serb-majority-north/32430434.html">dernière montée des tensions en date</a> s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers kosovars et ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants. Les affrontements ont provoqué de nombreux blessés, dont une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/balkans-au-kosovo-une-trentaine-de-soldats-de-l-otan-blesses-dans-une-nouvelle-flambee-de-tensions">trentaine de soldats de la force de maintien de la paix de l’OTAN</a>.</p>
<p>Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont <a href="https://www.lindependant.fr/2022/12/27/des-barricades-a-mitrovica-pourquoi-les-tensions-ressurgissent-entre-la-serbie-et-le-kosovo-10891644.php">démissionné</a>. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.</p>
<p>Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des <a href="https://www.evropaelire.org/a/institucionet-paralele-te-serbise-qe-pritet-ti-menaxhoje-asociaiconi/32331435.html">structures administratives serbes parallèles</a>, qui sont <a href="https://balkaninsight.com/2022/11/07/kosovo-serbs-continue-mass-resignations-from-state-institutions/">financées par Belgrade</a>.</p>
<p>En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/kosovo-comment-des-plaques-d-immatriculation-ont-attise-les-tensions-avec-la-serbie-3c4cdb74-85cb-11ed-98b9-32dde9f7da8f">adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo</a>. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue_en">dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE</a> en 2013 et reconfirmés en 2015.</p>
<p>Après <a href="https://balkaninsight.com/2022/12/08/eu-us-civil-society-query-conditions-for-north-kosovo-elections/">avoir été repoussées à plusieurs reprises</a>, de nouvelles élections locales <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Nord-du-Kosovo-les-municipales-de-la-de-normalisation">ont finalement eu lieu le 23 avril dernier</a>. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le <a href="https://prishtinainsight.com/preliminary-results-vetevendosje-and-pdk-candidates-win-snap-elections-in-northern-municipalities/">taux de participation moyen</a> a été inférieur à 3,5 %.</p>
<h2>Les réactions de l’Occident</h2>
<p>La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement-spokesperson-elections-north_en">souligne</a> que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.</p>
<p>Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/evenements/article/declaration-conjointe-de-la-france-de-l-allemagne-de-l-italie-du-royaume-uni-et">déclaration commune</a> de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.</p>
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<p>La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.</p>
<p>Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.</p>
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<p>Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints <a href="https://www.europeafrica.army.mil/DefenderEurope/">Defender Europe 23</a>. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné <a href="https://xk.usembassy.gov/press_roundtable/">sans équivoque</a> le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.</p>
<h2>Des divisions profondément enracinées</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-145.htm">statut du Kosovo</a>, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.</p>
<p>La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49602.htm">l’intervention de l’OTAN en 1999</a> et a finalement conduit à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/kos2008.htm">déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008</a>. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo <a href="https://information.tv5monde.com/international/quels-pays-ont-reconnu-le-kosovo-21169">n’est pas reconnu</a> par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.</p>
<p>Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue-eu-proposal-agreement-path-normalisation-between-kosovo-and-serbia_en">proposition</a> a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.</p>
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<p>Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.</p>
<p>Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.</p>
<p>Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement%C2%A0-high-representative-josep-borrell-ongoing-confrontations%C2%A0_en">Josep Borrell</a>, le 30 mai :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »</p>
</blockquote>
<p>Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.</p>
<p>La recrudescence des affrontements violents <a href="https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/05/30/kosovo-des-violences-inedites-contre-les-forces-de-l-otan_6175453_1669088.html">dans le nord du Kosovo</a> nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17502977.2023.2182994">conflits interconnectés</a> que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.</p>
<p>La <a href="https://www.rferl.org/a/nato-kosovo-tensions-police-clash-serb-majority-north/32430434.html">dernière montée des tensions en date</a> s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants.</p>
<p>Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont <a href="https://www.lindependant.fr/2022/12/27/des-barricades-a-mitrovica-pourquoi-les-tensions-ressurgissent-entre-la-serbie-et-le-kosovo-10891644.php">démissionné</a>. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.</p>
<p>Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des <a href="https://www.evropaelire.org/a/institucionet-paralele-te-serbise-qe-pritet-ti-menaxhoje-asociaiconi/32331435.html">structures administratives serbes parallèles</a>, qui sont <a href="https://balkaninsight.com/2022/11/07/kosovo-serbs-continue-mass-resignations-from-state-institutions/">financées par Belgrade</a>.</p>
<p>En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/kosovo-comment-des-plaques-d-immatriculation-ont-attise-les-tensions-avec-la-serbie-3c4cdb74-85cb-11ed-98b9-32dde9f7da8f">adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo</a>. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue_en">dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE</a> en 2013 et reconfirmés en 2015.</p>
<p>Après <a href="https://balkaninsight.com/2022/12/08/eu-us-civil-society-query-conditions-for-north-kosovo-elections/">avoir été repoussées à plusieurs reprises</a>, de nouvelles élections locales <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Nord-du-Kosovo-les-municipales-de-la-de-normalisation">ont finalement eu lieu le 23 avril dernier</a>. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le <a href="https://prishtinainsight.com/preliminary-results-vetevendosje-and-pdk-candidates-win-snap-elections-in-northern-municipalities/">taux de participation moyen</a> a été inférieur à 3,5 %.</p>
<h2>Les réactions de l’Occident</h2>
<p>La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement-spokesperson-elections-north_en">souligne</a> que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.</p>
<p>Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/evenements/article/declaration-conjointe-de-la-france-de-l-allemagne-de-l-italie-du-royaume-uni-et">déclaration commune</a> de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.</p>
<p>La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.</p>
<p>Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.</p>
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<p>Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints <a href="https://www.europeafrica.army.mil/DefenderEurope/">Defender Europe 23</a>. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné <a href="https://xk.usembassy.gov/press_roundtable/">sans équivoque</a> le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.</p>
<h2>Des divisions profondément enracinées</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-145.htm">statut du Kosovo</a>, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.</p>
<p>La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49602.htm">l’intervention de l’OTAN en 1999</a> et a finalement conduit à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/kos2008.htm">déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008</a>. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo <a href="https://information.tv5monde.com/international/quels-pays-ont-reconnu-le-kosovo-21169">n’est pas reconnu</a> par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.</p>
<p>Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue-eu-proposal-agreement-path-normalisation-between-kosovo-and-serbia_en">proposition</a> a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.</p>
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<p>Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.</p>
<p>Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.</p>
<p>Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement%C2%A0-high-representative-josep-borrell-ongoing-confrontations%C2%A0_en">Josep Borrell</a>, le 30 mai :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »</p>
</blockquote>
<p>Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206817/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefan Wolff a bénéficié de subventions du Natural Environment Research Council du Royaume-Uni, du United States Institute of Peace, du Economic and Social Research Council du Royaume-Uni, de la British Academy, du programme "Science pour la paix" de l'OTAN, des programmes-cadres 6 et 7 de l'UE et d'Horizon 2020, ainsi que du programme Jean Monnet de l'UE. Il est chercheur principal au Foreign Policy Centre de Londres et co-coordinateur du réseau de think tanks et d'institutions universitaires de l'OSCE.</span></em></p>Les affrontements survenus dans le nord du Kosovo sont avant tout imputables au gouvernement de Pristina. Mais il n’y aura pas de solution durable si la Serbie ne joue pas un rôle plus constructif.Stefan Wolff, Professor of International Security, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044402023-04-28T14:00:33Z2023-04-28T14:00:33ZJustin Trudeau et l’OTAN : Le problème de la défense canadienne n’est pas une question d’argent, mais de culture<p>Dans une <a href="https://cdainstitute.ca/a-call-for-action-canadas-national-security-and-defence-in-peril/">lettre ouverte</a>, 61 personnalités canadiennes à la retraite ayant œuvré dans le domaine de la sécurité ont récemment exhorté le Canada à respecter son engagement envers l’OTAN de consacrer 2 % de son PIB aux dépenses militaires. Cette lettre a rapidement été suivie par un article du <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/2023/04/19/canada-military-trudeau-leaked-documents/"><em>Washington Post</em></a> où l’on révélait que le Canada n’atteindrait jamais cet objectif.</p>
<p>Le premier ministre Justin Trudeau aurait admis ce fait à des responsables de l’OTAN, selon des dossiers classifiés qui font partie <a href="https://www.theguardian.com/news/audio/2023/apr/18/the-pentagon-leaks-how-did-us-security-files-end-up-on-discord-podcast">d’une fuite du réseau social Discord</a>.</p>
<p>Cela illustre la crise au ralenti qui touche la politique de défense et de sécurité du Canada. Le pays a longtemps cherché à masquer son incapacité à atteindre les objectifs de l’OTAN par l’excellence de son personnel militaire et une <a href="https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/operations/operations-militaires/achevees-recemment.html">série d’engagements opérationnels</a> au fil des ans, où il a souvent <a href="https://publications.gc.ca/collections/collection_2020/mdn-dnd/D2-152-2003-fra.pdf">assumé un rôle de leadership</a>.</p>
<p>Ces actions ont occulté la dégradation de l’organisation interne liée au vieillissement des équipements et à <a href="https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/44-1/NDDN/rapport-1/page-87">l’affaiblissement du niveau de préparation</a> aux conflits militaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-canada-un-mauvais-joueur-sur-la-scene-internationale-141429">Le Canada, un mauvais joueur sur la scène internationale</a>
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<hr>
<h2>Demandes adressées au Canada</h2>
<p>Les révélations du <em>Washington Post</em> ont suscité des <a href="https://www.theglobeandmail.com/opinion/editorials/article-budget-2023-canadas-indefensible-military-spending/">appels pour que le Canada</a> <a href="https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-canadians-need-to-worry-more-about-defence-and-security/">augmente ses dépenses</a> et atteigne les objectifs qu’il s’est fixés en 2006 et de nouveau en 2014.</p>
<p>Il importe peu que le principe de dépenser 2 % du PIB constitue une <a href="https://carnegieendowment.org/files/CP_252_Techau_NATO_Final.pdf">norme artificielle qui n’a aucun sens du point de vue de la capacité de défense</a> – et qui est manipulée avec cynisme par tous les acteurs en termes de ce qu’on choisit de comptabiliser. L’OTAN s’est mise d’accord sur cette base, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1972932/financement-defense-canada-otan-pentagone-washtington-post">Canada s’est engagé à la respecter</a> et <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/788039/l-ambassadeur-francais-tend-la-main-au-canada-et-veut-plus-d-investissement-militaire">nos alliés nous observent</a>.</p>
<p>Cependant, aussi important que soit l’argent pour l’état général des Forces armées canadiennes (FAC), ce n’est pas le véritable problème qui affecte notre défense. Il s’agit plutôt d’une combinaison de facteurs qui gravitent autour d’une question de culture.</p>
<h2>1. Une affaire de culture</h2>
<p>Les FAC sont actuellement en <a href="https://ottawa.ctvnews.ca/canadian-armed-forces-facing-member-shortage-crisis-1.6344761">sous-effectif d’environ 16 000 personnes</a> sur un total de 101 500 postes autorisés.</p>
<p>Une grande partie du personnel manquant se situe <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/eyre-shortage-directive-1.6608107">au niveau des cadres intermédiaires</a>. Il y a eu un exode de personnel qualifié après des années de leadership et de gestion médiocres, de déploiements opérationnels intensifs successifs et de perturbations familiales constantes, le tout dans un environnement où le Canadien moyen n’a aucune idée ou ne se préoccupe pas des sacrifices consentis par les membres des forces armées.</p>
<p>Les exigences souvent sévères de la vie militaire et les révélations d’inconduite sexuelle <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/national/2022-10-07/problemes-de-recrutement/les-forces-armees-en-situation-tres-precaire.php">dissuadent de nombreux jeunes Canadiens de s’enrôler</a>.</p>
<p>Le manque de personnel a également entraîné une réduction des effectifs disponibles pour gérer les programmes en cours, ce qui signifie qu’en dépit des récentes hausses des fonds alloués à la défense, des <a href="https://ottawacitizen.com/news/national/defence-watch/analysis-will-billions-of-dollars-in-new-funding-for-the-canadian-military-be-wasted">milliards de dollars ne sont pas utilisés</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des soldats sont vus avec le drapeau canadien cousu sur leurs vestes camouflées" src="https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522225/original/file-20230420-28-uo41gs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les Forces armées canadiennes sont confrontées à une grave pénurie de personnel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Jeff McIntosh</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>2. Absence de réflexion stratégique</h2>
<p>La fonction publique fait également partie du problème, car elle n’a pas l’expérience requise pour comprendre l’interaction entre la guerre et la diplomatie.</p>
<p>Peu de fonctionnaires en dehors du ministère de la Défense nationale (MDN) saisissent les enjeux de la guerre et ils ont rarement l’occasion d’acquérir ces connaissances. Compte tenu de la nécessité de passer d’un ministère à l’autre pour progresser dans leur carrière, certains fonctionnaires du ministère de la Défense nationale n’ont pas non plus de vision globale de la question.</p>
<p>Le Collège des Forces canadiennes, où j’enseigne les études de la défense, <a href="https://www.cfc.forces.gc.ca/242-fra.html">forme chaque année environ dix hauts fonctionnaires dans le cadre de son programme de sécurité nationale</a>, mais la fonction publique ne s’occupe pas ensuite de leur « gestion de carrière ».</p>
<p>Cela signifie que lorsqu’ils reprennent leur travail, leurs responsabilités n’ont souvent que peu à voir avec la formation qu’ils viennent de recevoir.</p>
<h2>3. Complaisance des Canadiens</h2>
<p>Mais le plus grand défi pour la défense du Canada vient peut-être des Canadiens eux-mêmes. L’étendue géographique et l’éloignement de notre pays ont longtemps donné à ses citoyens le sentiment que peu de menaces militaires pesaient sur eux.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Une photo en noir et blanc montre deux hommes, dont l’un porte une barbe blanche, en tenue militaire" src="https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522221/original/file-20230420-14-phc4p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier ministre Mackenzie King, à gauche, et le sénateur Raoul Dandurand à Ottawa lors d’une visite royale en 1939.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(PC PHOTO via Archives nationales)</span></span>
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<p>C’est le sénateur Raoul Dandurand qui a le mieux exprimé cette idée lorsqu’il a déclaré en 1924 que le Canada est <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/ff5a8b25-ab40-43cb-8a83-9cb31e814204%7C_0.html">« une maison à l’épreuve du feu, loin des matières inflammables »</a>.</p>
<p>En 1875 déjà, un <a href="https://doi.org/10.1177/002070208704200401">homme politique déclarait</a> : « … dans la situation où nous nous trouvons, où nous ne risquons pas d’être impliqués dans une guerre et où nos ressources sont largement sollicitées pour des améliorations publiques, il est hautement souhaitable que nos affaires militaires soient gérées de la manière la moins onéreuse possible. »</p>
<p>L’attitude du Canada à l’égard de la défense s’inscrit dans une longue histoire fermement ancrée dans les réalités géopolitiques d’un continent dominé par seulement trois États amis – dont l’un est une superpuissance – dotés de riches ressources naturelles et séparés du reste du monde par trois immenses océans.</p>
<p>Les politiciens canadiens s’inspirent de l’opinion publique qui demeure <a href="https://www.ipsos.com/en-ca/canadians-outline-their-2023-federal-budget-priorities">plus préoccupée par les questions intérieures</a> d’inflation, de soins de santé et d’éducation <a href="https://www.ctvnews.ca/canada/canadians-split-on-raising-taxes-for-defence-spending-poll-1.5830763">que par la défense</a>.</p>
<p>Ce n’est toutefois pas en augmentant les dépenses de défense que l’on résoudra les trois problèmes mentionnés ci-haut.</p>
<h2>Ce n’est pas un enjeu</h2>
<p>La complaisance canadienne garantit en effet que l’aveu du premier ministre à nos alliés ne le hantera pas vraiment sur le plan intérieur, au-delà de quelques jours de mauvaises nouvelles. Il est également peu probable qu’il s’agisse d’un enjeu électoral.</p>
<p>Et si les conservateurs succèdent à ce gouvernement, ils ne feront sans doute rien de différent – la résolution de ces problèmes ne rapporte tout simplement pas sur le plan de la politique intérieure.</p>
<p>Le Canada court toutefois d’énormes risques politiques sur le plan international s’il poursuit dans cette voie. Son image en prendra un sérieux coup auprès de ses alliés les plus proches.</p>
<p>Bien que l’administration du président américain Joe Biden soit beaucoup plus diplomatique que celle de son prédécesseur sur cette question, il est évident que les États-Unis ne considèrent plus que le Canada se soucie réellement de son rôle et de ses engagements internationaux et qu’<a href="https://www.lapresse.ca/actualites/national/2023-03-13/alliance-militaire-tripartite-aukus/l-exclusion-du-canada-decoulerait-d-un-probleme-plus-vaste-selon-des-experts.php">ils ont commencé à nous mettre à l’écart</a>.</p>
<p>Le fait que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie n’ont pas inclus le Canada dans les discussions sur l’<a href="https://www.state.gov/translations/french/fiche-dinformation-le-partenariat-trilateral-australie-royaume-uni-etats-unis-sur-les-sous-marins-a-propulsion-nucleaire/">accord trilatéral AUKUS</a> avant sa signature en est une preuve éclatante. Dans un contexte de tensions internationales croissantes, s’aliéner ceux avec qui nous devons travailler ne constitue pas une bonne stratégie.</p>
<p>La population canadienne a été consternée par la fragilité de son système de santé lorsqu’il a été soumis aux pressions de la pandémie de Covid-19. Nos forces armées subissent le même genre de pression, et nous ne pouvons pas simplement supposer qu’elles seront prêtes à relever les défis du nouvel ordre mondial.</p>
<p>Le sous-investissement du Canada dans sa sécurité est justifié par des considérations culturelles qu’on ne peut écarter facilement. Malheureusement, parfois, il faut une catastrophe majeure pour comprendre qu’il est essentiel de s’occuper de certains enjeux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204440/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul T. Mitchell ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Canada a longtemps cherché à masquer son incapacité à atteindre les objectifs de l’OTAN par une série d’engagements opérationnels. Ces actions ont occulté la dégradation de l’organisation interne.Paul T. Mitchell, Professor of Defence Studies, Canadian Forces CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030112023-04-13T17:49:31Z2023-04-13T17:49:31ZLe petit pas inaperçu de l’UE vers une défense commune<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519821/original/file-20230406-21-u4lshj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C13%2C4585%2C3063&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’UE n’a pas d’armée, mais elle a depuis un an une boussole stratégique.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Roman Barkov/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans l’actualité internationale, un bouleversement peut rapidement en cacher un autre : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a éclipsé nombre d’autres sujets bien moins choquants pour les Européens. Il en est ainsi de la <a href="https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/strategic_compass_fr_4.pdf">Boussole stratégique</a>, adoptée par le Conseil européen (composé des chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept) fin mars 2022, soit un mois après le début de l’« opération militaire spéciale » de Vladimir Poutine. Il s’agit pourtant d’un texte important, qui va servir de feuille de route à l’UE concernant la sécurité et la défense de ses membres.</p>
<p>S’agit-il d’une avancée miraculeuse ou d’un énième texte assurément décevant ? À défaut de prédire l’avenir ou de parler d’<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-vers-une-defense-europeenne-178261">armée européenne</a>, il est déjà possible d’affirmer que la Boussole stratégique est un <a href="https://www.grip.org/la-boussole-strategique-de-lue-repond-elle-aux-enigmes-existentielles-de-la-defense-europeenne/">document innovant</a> par plusieurs aspects, qui mérite d’être considéré pour son apport au processus long et complexe de construction d’une Europe de la défense.</p>
<h2>Un texte fondé sur la concertation des Vingt-Sept</h2>
<p>Premier aspect novateur, les lignes directrices de la Boussole et les modalités pratiques de leurs mises en œuvre ont été déterminées par concertation entre tous les États membres. Cela peut paraître anecdotique : pourquoi un tel exercice est-il inédit, important et hautement symbolique pour l’Union ?</p>
<p>Tout d’abord, même si l’UE affiche un niveau d’intégration inégalé entre États – <a href="https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-la-zone-euro/">monnaie commune</a> pour 20 de ses 27 États, <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-marche-unique/">marché commun</a>, espace de libre circulation des <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/147/la-libre-circulation-des-personnes">personnes</a> et des <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/38/libre-circulation-des-marchandises">marchandises</a>, il lui a cependant fallu des décennies pour <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/revue-internationale-et-strategique-2002-4-page-119.htm">amorcer une coopération dans le domaine de la sécurité, et encore plus dans celui de la défense</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4pUGa-3mrJ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il y a bien eu des tentatives, mais le sujet est épineux, pour deux raisons principales. En premier lieu, parce que <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/quels-sont-les-pays-europeens-membres-de-l-otan/">21 des 27 des États de l’UE sont également membres de l’OTAN</a>, qui leur permet de compter sur l’appui des États-Unis, première puissance militaire mondiale. Ensuite, parce que la défense est encore intrinsèquement liée, pour certains, à la souveraineté étatique. Cette dernière serait donc mise en péril par le transfert de compétences à l’Union, dont le potentiel d’intégration inquiète davantage que celui de l’OTAN, qui n’a vocation qu’à fonctionner par consensus.</p>
<p>En outre, la concertation qui en est à l’origine <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/revue-defense-nationale-2022-3-page-99.htm">différencie la Boussole stratégique des précédents textes</a> qui visaient à doter l’UE d’une ligne de conduite pour sa Politique extérieure de sécurité commune (PESC), comprenant une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ces documents étaient le fruit d’un travail interne du <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/eeas_fr">Service européen pour l’action extérieure</a> et de <a href="https://www.eeas.europa.eu/node/410576_fr">son Haut représentant</a>, qui prenaient nécessairement en compte les points de vue étatiques, mais ne mettaient pas en place un exercice de concertation et de négociation.</p>
<p>Avec la Boussole, chaque État est censé être d’autant plus lié qu’il y a activement participé. Ainsi, les États ont non seulement fourni les renseignements permettant de réaliser l’analyse des menaces pesant sur la sécurité européenne, mais ont aussi participé au débat stratégique pour s’accorder sur le contenu concret des solutions à y apporter. Dès lors, quel est l’apport de ces solutions ?</p>
<h2>Un texte présentant un agenda précis</h2>
<p>Les États ne se sont pas seulement mis d’accord sur les menaces existantes, qu’il s’agisse de crises ciblées géographiquement (par exemple le recours à la force par la Russie, les risques pour la sécurité et la stabilité dans les Balkans occidentaux, les crises en Libye et en Syrie ou encore les conflits dans la région du Sahel et du golfe de Guinée) ou de défis transnationaux (le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive ou les cyberattaques). Ils ont également décidé d’un plan d’action à mettre en œuvre, selon un calendrier déterminé.</p>
<p>Cela passe tout d’abord par une révision de la Boussole stratégique tous les trois ans, toujours par un processus de concertation entre États. Cette actualisation systématique permettra aussi de développer une politique et une culture communes.</p>
<p>De surcroît, les États expriment clairement leur volonté d’assumer davantage de responsabilités en atteignant l’autonomie stratégique, à savoir la capacité d’agir seuls, sans aide extérieure (qui provient bien souvent des États-Unis). Pour cela, des objectifs clairs à court terme ont été décrétés, tels que la création d’une <a href="https://www.leprogres.fr/defense-guerre-conflit/2022/03/21/force-de-5000-soldats-hausse-des-budgets-l-europe-muscle-sa-defense">force de réaction rapide de 5 000 militaires</a> ou la tenue d’exercices réels réguliers destinés à préparer les différents acteurs civils et militaires pouvant participer à la sécurité du continent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1522243632413171713"}"></div></p>
<p>Il est également prévu de renforcer les mécanismes existants permettant la coopération entre États dans des domaines variés tels que le renseignement ou la sécurité du cyberespace. Ainsi, une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52022JC0049&from=EN">nouvelle politique de cyberdéfense</a> a été adoptée fin 2022, tandis que de nouveaux outils de prévention et de réponse aux cyberattaques ont été développés (afin de renforcer la <a href="https://www.cyber-diplomacy-toolbox.com/">« Cyber Diplomacy Toolbox »</a>).</p>
<p>Un autre point important de la Boussole stratégique touche aux investissements conjoints : l’argent est le nerf de la guerre, et donc de la défense. Or, il est indéniable que dépenser en commun permet de réaliser des économies d’échelle, et qu’investir ensemble permet de renforcer la recherche et le développement.</p>
<p>Les États membres se sont donc engagés à effectuer 35 % de leurs dépenses en commun, contre 18 % en 2021. Pour cela, une <em>Task Force</em> a été créée afin d’identifier les besoins urgents des États et les capacités de production pouvant y répondre. À plus long terme, <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/eda_fr">l’Agence européenne de défense</a> doit les accompagner pour développer l’industrie européenne de défense et des achats communs.</p>
<p>La Commission européenne finance également, avec un <a href="https://defence-industry-space.ec.europa.eu/eu-defence-industry/european-defence-fund-edf_en">Fonds européen pour la défense</a>, des projets collaboratifs de recherche et de développement dans le domaine de la défense. L’accent est mis sur l’implication de PME européennes et de consortiums européens qui bénéficieront d’une exemption de TVA.</p>
<h2>Un texte qui reste dépendant des États</h2>
<p>La Boussole stratégique comporte donc de nombreux éléments intéressants, mais reste un texte sur lequel des États se sont accordés à un moment donné. Pourraient-ils, à terme, si par exemple les dirigeants à leur tête changeaient ou se rétractaient, se désolidariser de ce texte ? Ou sont-ils désormais juridiquement contraints de s’y conformer en toutes circonstances ?</p>
<p>À court terme, la <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/court-justice-european-union-cjeu_fr">Cour de justice de l’UE</a> ne peut pas condamner les États s’ils ne respectent pas leurs engagements en matière de sécurité et de défense, car cette option a été expressément exclue (article 24 du <a href="https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF">Traité sur l’UE</a>). Théoriquement, il serait <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2388165">possible de condamner un État</a> en arguant qu’il ne respecte pas le principe de coopération loyale (article 4§3 du TUE), mais cela reste peu probable en cas de retard dans les objectifs, de manquement ponctuel ou relativement peu important, ou encore si une écrasante majorité d’entre eux s’y soustrait.</p>
<p>Une autre limite est due à des engagements au caractère plutôt vague, comme celui d’augmenter <em>considérablement</em> les dépenses en matière de défense. L’appréciation du <em>considérable</em> restant l’apanage des États, il n’y a donc aucune certitude sur ce que cette notion implique concrètement et sur ce qui constituerait un manquement.</p>
<p>Enfin, à plus long terme, rien n’oblige les États à s’accorder systématiquement sur leurs politiques, ni à accentuer leur coopération en matière de défense.</p>
<h2>Un texte qui ne peut révolutionner instantanément l’Union européenne</h2>
<p>La Boussole stratégique n’est donc pas une solution miracle pour ceux qui souhaitent des avancées plus rapides, mais un simple texte peut-il l’être ?</p>
<p>Il est indéniable que les États coopèrent beaucoup moins en matière de défense que dans d’autres domaines. La Boussole n’a pas drastiquement changé cette situation, ce qui n’a rien d’étonnant au regard de l’histoire de la construction européenne. En effet, si nous sommes aujourd’hui habitués à l’utilisation de l’euro, il ne faut pas oublier que la monnaie commune n’a été instaurée qu’entre 1999 et 2002, alors que les trois premiers traités de coopération économique ont été signés en 1951 et 1957.</p>
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<p>La Boussole stratégique doit donc être prise pour ce qu’elle a vocation à être : un nouveau texte prometteur, qui cherche à encadrer la coopération à court et moyen terme, et participe à la construction d’une culture stratégique commune à long terme. De ce point de vue, elle semble remplir efficacement son rôle et s’inscrit dans ce qui est prévu dans le traité : « La définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union [qui] conduira à une défense commune » lorsque les États en prendront la décision, à l’unanimité (article 42.2 du Traité de l’UE).</p>
<p>Dans cette perspective, il est notable que la Boussole stratégique s’appuie sur des mécanismes qui existent depuis plusieurs années, en les renforçant. Elle ne crée pas de nouveaux instruments susceptibles de tomber en désuétude. Par exemple, il a été décidé de renforcer le rôle du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (nommé par le Conseil européen avec l’accord du président de la Commission), ou de <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/institutions-and-bodies/institutions-and-bodies-profiles/eda_fr">l’Agence européenne de défense</a> qui aide les États afin de développer leurs ressources militaires en collaborant.</p>
<p>Une défense commune européenne ne peut donc pas être simplement instaurée par un texte révolutionnaire, et ce n’est d’ailleurs pas la vocation de la Boussole stratégique. Pour autant, il ne faut pas nier les avancées juridiques et politiques importantes qu’elle comporte, et qui méritent d’être reconnues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203011/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Hélène Bertana ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a un an, l’UE adoptait un document novateur : la Boussole stratégique. Si ce texte n’a pas instauré une politique de défense commune, il s’agit d’un pas dans cette direction.Anne-Hélène Bertana, Doctorante (ATER) en Droit international public, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035762023-04-12T21:48:25Z2023-04-12T21:48:25ZFinlande : une nouvelle ère ?<p>L’année qui vient de s’écouler a propulsé la Finlande à une place qu’elle évite d’ordinaire : l’avant-scène de la politique européenne.</p>
<p>En quelques jours, du 2 au 4 avril 2023, la République nordique est sortie de sa discrétion coutumière : lors des élections législatives, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/03/legislatives-en-finlande-les-conservateurs-l-emportent-apres-une-campagne-dominee-par-l-economie_6168006_3210.html">changé de majorité au Parlement</a> et remplacé au poste de premier ministre la sociale-démocrate Sanna Marin, au pouvoir depuis fin 2019 à la tête d’une coalition de centre gauche, par le conservateur Petteri Orpo, chef du parti de droite Coalition nationale.</p>
<p>Le surlendemain, la Finlande a <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/04/05/otan-pourquoi-l-integration-de-la-finlande-est-elle-un-fait-historique_6168366_3210.html">officiellement rejoint l’OTAN</a>, devenant ainsi le 31<sup>e</sup> membre de l’Alliance et aussi celui qui possède, de loin, la plus longue frontière commune avec la Russie (1 340 km), ce qui, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">dans le contexte actuel</a> constitue un enjeu majeur pour la protection des frontières externes de l’UE et de l’Alliance : la <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65173043">zone de contact OTAN-Russie double en longueur</a>, passant de 6 % à 12 % des frontières de la Russie.</p>
<p>La double décision de tourner la page du gouvernement Sanna Marin, très visible en Europe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et, surtout, de <a href="https://theconversation.com/candidature-de-la-finlande-et-de-la-suede-a-lotan-rester-neutre-nest-plus-possible-en-europe-183147/">rompre avec 75 ans de neutralité</a> a placé ce pays de 5,2 millions d’habitants au centre de l’attention internationale.</p>
<p>Après une année 2022 très intense, 2023 sera-t-elle celle d’un tournant historique, qui fera d’Helsinki un centre de gravité politique et stratégique pour l’UE et l’OTAN ? La Finlande cherchera-t-elle à peser davantage en Europe ou bien reviendra-t-elle à une politique nationale plus introvertie ?</p>
<h2>L’entrée dans l’OTAN, une rupture géopolitique majeure</h2>
<p>La primature de la trentenaire Sanna Marin a connu une dernière phase très active et très médiatisée en Europe.</p>
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<p>Dès l’hiver 2021, elle a adopté une posture extrêmement ferme à l’égard de la Russie, se plaçant à l’avant-garde stratégique de l’UE aux côtés des États baltes (en <a href="https://theconversation.com/lombre-de-la-guerre-en-ukraine-sur-les-legislatives-en-estonie-203102">particulier l’Estonie de Kaja Kallas</a>) et de la Pologne de Mateusz Moraviecki.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-de-leurope-en-miettes-a-leurope-en-blocs-179392">Guerre en Ukraine : de l’Europe en miettes à l’Europe en blocs ?</a>
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<p>La position du gouvernement Marin n’a pas manqué de panache : le pays, on l’a dit, partage une très longue frontière terrestre avec son puissant voisin ; il est confronté depuis une décennie à des <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/04/l-espace-aerien-de-la-finlande-viole-par-un-helicoptere-russe">incursions russes</a> dans ses espaces aérien, terrestre, maritime et cyber ; ses eaux territoriales se trouvent à proximité immédiate de la <a href="https://syria.mil.ru/fr/index/syria/news.htm?id=4790@egClassification&ra=egNews">Flotte de la mer Baltique</a>, basée à Kronstadt et Saint-Pétersbourg ; et, surtout, en entrant dans l’OTAN, la Finlande sort de sept décennies et demie marquées par la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/02/crise-ukrainienne-l-hypothese-de-la-finlandisation-ou-la-neutralite-obligee_6111937_3232.html">« finlandisation »</a> (<em>horresco referens</em> à Helsinki), cette politique de neutralité que <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/858">lui avait imposée l’URSS en 1948</a>, quatre ans après sa défaite dans la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/fronts-de-guerre/la-%C2%AB%C2%A0guerre-de-continuation%C2%A0%C2%BB-sovi%C3%A9to-finlandaise-25-juin-1941-19-septembre-1944">Guerre de continuation</a> qui l’avait privée d’une de ses régions historiques, la Carélie, annexée par l’URSS et appartenant aujourd’hui à la Russie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kvlGkKJ-EtE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La Finlande devient le 31ᵉ membre de l’OTAN • France 24, 7 avril 2023.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’adhésion à l’OTAN constitue une rupture majeure pour le pays : le voici désormais protégé par <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’Article 5</a>, dit d’assistance mutuelle, du Traité de l’Atlantique nord, et engagé dans un processus de remilitarisation significatif.</p>
<p>Il entend <a href="https://www.tf1info.fr/international/la-finlande-entame-la-construction-de-son-mur-a-la-frontiere-avec-la-russie-2249584.html">se séparer physiquement de la Russie par un mur dans la partie la plus vulnérable de sa frontière</a>. Ce mur a une portée politique et symbolique tout autant que militaire. En effet, la Finlande redoute de subir une instrumentalisation des migrants semblable à <a href="https://theconversation.com/crise-migratoire-entre-la-bielorussie-et-lue-tragique-geopolitique-171885">celle mise en œuvre en 2021 par la Biélorussie pour faire pression sur la Pologne</a>. Elle entend également marquer aux yeux de Moscou l’inviolabilité physique de cette frontière pour éviter les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/27/01003-20130927ARTFIG00550-moscou-poursuit-son-grignotage-en-georgie.php">« grignotages territoriaux »</a> que l’on constate en Géorgie depuis 2008. L’intérêt strictement militaire du mur est plus limité : la progression de troupes russes serait ralentie mais pas stoppée.</p>
<h2>En quatre ans, une évolution rapide sous l’effet de la guerre en Ukraine</h2>
<p>La rupture extérieure s’appuie sur une évolution politique intérieure.</p>
<p>Qu’on mesure le contraste entre la Finlande de 2019 et celle de 2023 : la campagne électorale des législatives du 14 avril 2019 avait été centrée sur des problématiques internes, comme la réforme du système de santé, la lutte contre le chômage et les controverses sur le multiculturalisme nourries par le nationaliste <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/le-parti-des-finlandais-rejoint-le-groupe-des-conservateurs-et-reformistes-europeens/">Parti des Finlandais</a>. Et la présidence finlandaise de l’UE (second semestre 2019) avait placé au premier plan la transparence des institutions européennes et la protection du climat, sous l’égide du très consensuel slogan « Europe durable – avenir durable ».</p>
<p>Le contraste est saisissant quatre ans plus tard : la Finlande de 2023 s’est affirmée comme l’un des acteurs majeurs de la réponse européenne à l’agression russe contre l’Ukraine. Elle a transféré à cette dernière pour <a href="https://um.fi/finland-s-support-to-ukraine">760 M€ d’équipements militaires</a> et a constamment milité pour l’adoption de sanctions plus dures contre la Russie. Ses entreprises, longtemps en symbiose avec le voisin russe, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/04/01/les-entreprises-finlandaises-font-une-croix-sur-la-russie_6167866_3234.html">se désengagent</a>. Alors que la candidature du pays à l’OTAN avait longtemps divisé les Finlandais, l’agression de l’Ukraine par la Russie a rallié une large majorité d’habitants à cette option. Si bien que, durant la campagne, les débats sur la Russie, l’Ukraine et l’OTAN ont eu un impact limité car un consensus transpartisan <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65141461">s’est instauré sur ces sujets</a>. Même le Parti des Finlandais, hostile à une adhésion à l’OTAN depuis sa création, s’est rallié à l’atlantisme.</p>
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<img alt="Sanna Marin et Volodymyr Zelensky" src="https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La première ministre finlandaise Sanna Marin s’était rendue à Kiev en mars dernier, pour assurer Volodymyr Zelensky du soutien. Sa défaite au législatives et son remplacement par Petteri Orpo ne devraient pas d’avoir d’impact sur l’appui de la Finlande à l’Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">photowalking/Shutterstock</span></span>
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<p>C’est dans ce contexte que les électeurs ont rétrogradé les Sociaux-Démocrates à la troisième place en sièges au Parlement (43 sièges) tout en leur confiant 3 sièges de plus que lors de l’élection législative de 2019, derrière les conservateurs (48 sièges, soit un gain de 10 sièges) et derrière le Parti des Finlandais (46 sièges, soit un gain de 7 sièges).</p>
<p>La défaite de Sanna Marin est à relativiser dans sa portée géopolitique : les Finlandais n’ont pas rejeté la ligne atlantiste de son gouvernement, partagée par son successeur Petteri Orpo, qui doit plutôt sa victoire au <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/04/why-did-sanna-marin-lose-finland-election">scepticisme de la population sur les ambitieux projets d’investissements publics</a> du gouvernement sortant.</p>
<p>À l’issue d’une année de guerre en Ukraine et de campagne électorale, la Finlande n’est plus un nain politique condamné à la discrétion par sa position géographique. Elle a diffusé sa vision de la géopolitique européenne en affirmant que la neutralité avait cessé d’être une assurance-vie pour <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/may/18/finland-sweden-nato-russia-vladimir-putin-ukraine">devenir une vulnérabilité</a>. Est-ce à dire que l’Union doit désormais se préparer à l’émergence d’un nouveau poids lourd politique en son sein ? Pas nécessairement. En réalité, bien des signes laissent penser qu’un « retour à la normale » – c’est-à-dire à une posture plus discrète – s’annonce à Helsinki.</p>
<h2>Vers un « retour à la normale » ?</h2>
<p>Sur le plan international, après la procédure d’adhésion à l’OTAN, marquée par <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/otan/la-turquie-approuve-l-adhesion-de-la-finlande-a-l-otan_5742569.html">d’âpres négociations avec la Turquie</a>, dernier pays de l’Alliance à donner son feu vert à l’adhésion d’Helsinki, la Finlande va tout faire pour montrer qu’elle reprend le fil de sa doctrine de sécurité nationale traditionnelle.</p>
<p>Adhérente depuis 1994 au <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50349.htm">Partenariat Pour la Paix</a> lancé par l’OTAN, elle a participé chaque année depuis cette date à des exercices militaires avec les Alliés en Baltique (<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_196240.htm">BALTOPS</a>). Son effort de défense – c’est-à-dire le rapport entre son budget militaire et le PIB – <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-finlande-va-augmenter-de-40-son-budget-de-la-defense-d-ici-2026-20220406">va assurément croître</a> ; mais la Finlande rappelle régulièrement qu’elle n’a jamais désarmé pour engranger les « dividendes de la paix » : même avant d’intégrer l’OTAN, elle avait conservé des effectifs consistants et <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-finlande-prefere-le-f-35-au-rafale-et-passe-une-commande-de-8-milliards-deuros-1371680">effectué des acquisitions militaires ambitieuses</a>, entretenant également une Base industrielle et technologique de défense (BITD) dotée de fleurons tels que <a href="https://www.patriagroup.com/">Patria</a>.</p>
<p>Autrement dit, par son entrée dans l’OTAN, elle rompt avec une « finlandisation » qu’elle a toujours récusée… mais elle adoptera, au sein de l’Alliance, un profil bas, soulignant la continuité entre le Partenariat pour la paix et l’adhésion pleine et entière à l’Alliance, de façon à ne pas attiser la <a href="https://www.ledevoir.com/monde/787894/la-russie-promet-des-contre-mesures-apres-l-adhesion-de-la-finlande-a-l-otan">réaction russe</a>. Celle-ci ne s’est pas fait attendre : Moscou a déclaré qu’elle <a href="https://www.lepoint.fr/monde/adhesion-de-la-finlande-a-l-otan-la-russie-va-renforcer-ses-capacites-militaires-03-04-2023-2514740_24.php">accentuerait son effort militaire dans la zone de contact avec la Finlande</a> et souligné que la Finlande devait d’attendre à supporter les conséquences de son choix.</p>
<p>La ligne pro-ukrainienne de Sanna Marin ne sera pas remise en cause, mais Petteri Orpo <a href="https://www.politico.eu/article/finland-elections-petteri-orpo-sanna-marin-mr-dependable-finlands-election-winner/">se concentrera avant tout sur les questions intérieures</a>. La formation du nouveau gouvernement <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-04-04/finnish-election-winner-asks-all-rivals-to-join-government-talks">s’annonce déjà ardue</a>, si bien que le pays retournera dans les prochaines semaines à une politique partisane très classique, <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/03/finland-shifts-to-the-right-coalition-talks-petteri-orpo-ncp-sanna-marin-election">se montrant moins présent sur la scène politique internationale</a>.</p>
<p>En somme, après une longue année d’extraversion contrainte, la Finlande semble tentée par un retour à sa discrétion politique coutumière et à ses préoccupations internes. La tentation du « pour vivre heureux, vivons cachés » est souvent forte à Helsinki. Les révolutions politiques y semblent immédiatement tempérées par une tendance à l’introversion… mais en renonçant à sa neutralité et en rejoignant l’Alliance atlantique au moment où celle-ci est aux prises avec son puissant et belliqueux voisin russe, la Finlande a franchi un Rubicon : même si Helsinki cherche désormais à adopter une posture plutôt apaisante envers la Russie, le « pays des mille lacs » sait que plus rien ne sera comme avant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En trois jours, la Finlande vient de changer de gouvernement et de rompre avec sa neutralité historique en rejoignant l’OTAN. Ce pays discret se retrouve au cœur de l’actualité internationale.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031022023-04-11T17:00:19Z2023-04-11T17:00:19ZL’ombre de la guerre en Ukraine sur les législatives en Estonie<p>Les législatives estoniennes tenues le 5 mars 2023 se sont soldées par une large victoire du Parti de la Réforme de la première ministre sortante, Kaja Kallas. Avec <a href="https://rk2023.valimised.ee/et/election-result/index.html">31 % des suffrages</a>, cette formation de centre droit devance nettement l’extrême droite (Parti populaire conservateur estonien, EKRE, 16,1 %) et le centre gauche (Parti du Centre, <em>Keskerakond</em>, 15,3 %). La Réforme dispose d’une majorité confortable (37 sièges sur les 101 du Parlement) et s’apprête à créer une coalition gouvernementale avec le parti Estonie 200 (droite progressiste et ultralibérale, 13,3 %) et les Sociaux-démocrates (gauche progressiste, SDE, 9,3 %).</p>
<p>Si les négociations en cours aboutissent, l’Estonie pourra se targuer d’avoir à sa tête une nouvelle coalition globalement représentative d’une démocratie libérale et progressiste. Même s’il y a des limites à cette belle unité (les SDE prônent une politique plus sociale que les deux autres formations, acquises aux modèles économiques ultra-libéraux ; et la Réforme émet des réserves sur l’adoption du mariage pour tous, souhaitée par les SDE et Estonie 200), le pays a, au grand soulagement de nombreux habitants, évité le retour d’une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/13/en-estonie-la-fin-de-la-coalition-entre-conservateurs-et-extreme-droite_1815898/">coalition réunissant les conservateurs et l’extrême droite</a> (comme celle issue des élections de 2019, et qui avait gouverné jusqu’en 2021).</p>
<p>Le contexte de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a évidemment pesé sur le scrutin. Kaja Kallas prône sans ambiguïté un <a href="https://dcubrexitinstitute.eu/2023/03/estonias-liberal-wave/">soutien résolu de Tallinn à Kiev</a>, même si ce soutien a un coût socio-économique certain que l’extrême droite estonienne a tenté d’exploiter à son profit durant la campagne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632565532095549440"}"></div></p>
<h2>La posture ambiguë de l’extrême droite à l’égard de Moscou</h2>
<p>À de très rares exceptions près (comme lors du référendum sur l’adhésion à l’UE en 2003 ou l’intervention des troupes estoniennes dans la guerre en Irak en 2003), l’orientation pro-occidentale et la politique étrangère n’ont jamais véritablement constitué un objet de débat en Estonie.</p>
<p>Dès le début de la guerre en Ukraine, un <a href="https://news.err.ee/1608913331/poll-two-thirds-of-estonian-residents-back-continued-ukraine-military-aid">large consensus</a> s’est fait jour dans le pays sur la nécessité de soutenir Kiev et de sanctionner Moscou. Tous les partis politiques estoniens ayant obtenu le seuil nécessaire de 5 % pour rentrer au Parlement (<em>Riigikogu</em>) en 2023 s’accordent également sur la nécessité d’augmenter les dépenses budgétaires visant d’accroître les garanties de sécurité du pays.</p>
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<p>Toutefois, si EKRE a soutenu cette dernière mesure, la formation d’extrême droite s’est distinguée durant la campagne avec des <a href="https://www.populismstudies.org/the-impact-of-the-russia-ukraine-war-on-right-wing-populism-in-estonia/">positions pour le moins ambivalentes</a>. Elle a ainsi critiqué l’envoi de matériel militaire estonien en Ukraine, et s’est opposée à l’accueil des <a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">réfugiés ukrainiens</a>, affirmant que leur immigration massive ferait des Estoniens une minorité dans leur propre pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516764823190654978"}"></div></p>
<p>S’y ajoutent les révélations, à la veille des élections, sur de supposés <a href="https://estonianworld.com/security/politico-russian-paramilitary-group-tried-to-interfere-with-estonian-politics-through-ekre/">liens de l’extrême droite estonienne avec Evguéni Prigojine</a>, le chef de la compagnie militaire privée <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Wagner</a> – ce que EKRE nie, évidemment.</p>
<p>Si ce positionnement visait en partie à attirer vers EKRE les électeurs russophones (près de 28 % des 1,3 million d’habitants), il lui a sans doute aussi coûté des voix parmi ses électeurs ultra-nationalistes, traditionnellement très hostiles envers la Russie. À l’inverse, la constance de la Réforme en matière de politique étrangère fut un élément déterminant de sa victoire.</p>
<h2>Les enjeux économiques de la campagne</h2>
<p>La campagne a également été marquée par de vifs débats autour du pouvoir d’achat, de l’inflation (25,4 % en août 2023) et des inégalités sociales et régionales.</p>
<p>En 2022, 1,4 % de la population vivait dans la pauvreté absolue et <a href="https://estonianworld.com/life/almost-a-quarter-of-estonians-live-at-the-risk-of-poverty/">22,8 % dans la pauvreté relative</a>, c’est-à-dire avec moins de 763 euros par mois. Le taux de pauvreté relative est le plus élevé dans deux régions périphériques : au Nord-Est (<em>Ida-Virumaa</em>), peuplé dans la ville de Narva de quelque 95 % de russophones, et au Sud-Est du pays (<em>Võrumaa, Valgamaa, Põlvamaa</em>), seules régions où la Réforme n’a pas dominé.</p>
<p>Dans ce contexte économique et social difficile, les Sociaux-démocrates et le Parti du Centre promouvaient une meilleure redistribution des richesses et une attention particulière aux régions sinistrées. En revanche, les programmes de la Réforme et d’Estonie 200, qui promeuvent un modèle économique libéral, une intervention minime de l’État dans l’économie et la baisse des impôts, ne disaient pratiquement rien sur le pouvoir d’achat ou sur les déséquilibres sociaux et régionaux.</p>
<p>Le fait que la première ministre semblait davantage préoccupée par la politique étrangère (Ukraine) que par la situation intérieure fut rapidement instrumentalisé par l’extrême droite. EKRE a en effet trouvé un terrain fertile pour ses messages populistes au vu de l’insécurité économique des électeurs, accusant l’élite au pouvoir d’incompétence dans la gestion de l’inflation et des prix de l’énergie.</p>
<p>Si la virulence de l’extrême droite sur ces questions lui a valu d’obtenir la deuxième position à l’échelle du pays et la première (26,5 %) dans le Sud-Est, l’absence d’une offre plus sociale face à la crise socio-économique n’a pas réussi à dissuader les électeurs de reconduire la Réforme.</p>
<p>En réalité, plus que les questions sociales et économiques (sujets moins mobilisateurs en Estonie), cette campagne fut particulièrement dominée par l’opposition entre libéraux et conservateurs. Ce clivage s’est constitué progressivement depuis des années en Estonie, bien avant la guerre en Ukraine.</p>
<h2>D’un clivage ethnique à un clivage politique</h2>
<p>La vie politique estonienne des années 1990 et 2000 se caractérisait essentiellement par un processus de déconstruction du passé soviétique, la consolidation de l’État-nation, l’intégration euro-atlantique et la mise en œuvre de réformes économiques libérales.</p>
<p>Le principal clivage de cette période consistait surtout en une division entre forces politiques présentées comme « pro-estoniennes » (Pro Patria, Réforme…), et celles s’adressant aussi aux minorités russophones et, souvent, plus conciliantes avec la Russie (le Parti du Centre, les Sociaux-démocrates…). Ce clivage « ethnique » fut particulièrement visible au moment du conflit autour du <a href="https://www.liberation.fr/planete/2007/03/05/estonie-statue-de-la-discorde_86640/">déplacement du monument soviétique « Le Soldat de Bronze »</a> au printemps 2007, décision prise par les forces de droite au pouvoir et qui se solda par <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-6.htm">d’importantes émeutes à Tallinn</a> entre des russophones nostalgiques de l’URSS et des militants nationalistes estoniens irrités par l’usage des symboles soviétiques dans l’espace public.</p>
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<p>À partir de 2012, ce clivage entre « pro-estoniens » et « pro-russes » s’efface progressivement au profit d’un clivage entre forces progressistes et forces conservatrices. Cette évolution s’explique d’abord par l’apparition en 2012 d’EKRE, issu de la fusion d’un parti conservateur et agrarien, l’Union populaire estonienne et d’un groupuscule ultranationaliste, le Mouvement patriotique estonien.</p>
<p>Dans les années suivantes, pendant les débats autour du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ailleurs/l-imbroglio-de-l-union-civile-pour-homosexuels-en-estonie-7845679">projet d’union civile pour les homosexuels</a> en 2014 puis ceux sur <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/europe/en-estonie-la-peur-des-migrants-et-le-poids-de-lhistoire-201509221610-00002141.html">l’accueil des réfugiés en 2015-2016</a>, EKRE mobilise avec succès les Estoniens les plus conservateurs, ce qui participe à une division de la société qui s’accentue encore plus au moment de la crise sanitaire, quand le parti (de nouveau dans l’opposition à partir de janvier 2021) <a href="https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2021-12-14_ACL-Biard_B-2021-Espace_de_libertes-extreme_droite_face_au_Covid-19_en_Europe_centrale_et_orientale.pdf">proteste</a> contre les mesures de restriction prises par le pouvoir.</p>
<p>Toutes ces situations de crise favorisent l’extrême droite qui réussit à attirer, aussi bien parmi les Estoniens « de souche » que parmi les russophones (la popularité de EKRE atteint 21 % chez les russophones en février 2022), un électorat conservateur et qui se méfie de « l’élite politique ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-au-parlement-europeen-ou-le-renard-dans-le-poulailler-194216">L’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler</a>
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<h2>Le retour de la « question russe »</h2>
<p>Face à l’émergence progressive de ce clivage entre conservateurs et progressistes, la division entre les forces « pro-estoniennes » et « pro-russes » s’est donc estompée, mais elle est revenue sur le devant de la scène depuis le début de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Le Parti du Centre, seule formation estonienne ayant pu vraiment être considérée comme « pro-russe », a formellement mis fin en 2022 au mémorandum de coopération qu’il avait signé en 2004 avec le parti du Kremlin <em>Russie unie</em> et a condamné l’invasion russe en Ukraine. Alors que, jusqu’à récemment, le Centre bénéficiait du soutien écrasant des russophones du pays (quasiment 78 % à son apogée), ce soutien est actuellement en baisse. La voix des russophones, une <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/22/le-dilemme-des-russophones-d-estonie-entre-soutien-a-poutine-et-loyaute-a-l-ue">communauté très hétérogène</a>, est aujourd’hui de plus en plus dispersée entre les partis centristes ou libéraux mais aussi entre les forces les plus radicales, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.</p>
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<p>Si l’électorat de base de l’EKRE est nationaliste, eurosceptique et anti-russe, ce parti a aussi gagné en popularité auprès des russophones les plus âgés, les plus conservateurs et les plus hostiles à l’accueil des réfugiés d’Ukraine ou du Moyen-Orient. D’autant que la solidarité des principaux partis estoniens avec Kiev et certaines mesures récentes (déplacement des monuments soviétiques, <a href="https://estonianworld.com/knowledge/estonias-russian-schools-to-switch-to-estonian-language-schooling/">plan de transition vers un enseignement intégralement en estonien dans toutes les écoles du pays)</a> ont incité une partie considérable des russophones (<a href="https://news.err.ee/1608906971/ida-viru-county-vote-magnet-they-paid-for-accommodation-and-tickets">30 % des voix dans le Nord-Est)</a> à voter pour les candidats les plus critiques envers la politique du parti de la Réforme.</p>
<p>La nouvelle coalition devra gérer ces dissensions tout en s’engageant sérieusement dans la <a href="https://regard-est.com/estonie-au-seuil-dune-transition-energetique-radicale">transition énergétique</a> et en faisant face aux problèmes socio-économiques suscités par la <a href="https://www.rse-magazine.com/L-UE-investit-354-millions-d-euros-pour-que-l-Estonie-abandonne-le-schiste-bitumeux_a5123.html">fin de la production de schistes bitumineux</a>, dont les gisements se trouvent dans le Nord-Est du pays. La situation est donc complexe ; il n’en reste pas moins que, à ce jour, il est peu vraisemblable que l’Estonie (ou, d’ailleurs, les autres pays baltes) prenne un tournant illibéral : les gouvernements de coalition y sont toujours la norme, ce qui réduit la probabilité pour un parti comme EKRE de gouverner un jour seul.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katerina Kesa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti de centre droit au pouvoir a remporté les législatives en Estonie, en prônant la poursuite d’un soutien résolu à l’Ukraine.Katerina Kesa, Politologue et Maîtresse de conférences en civilisation de l'espace baltique, membre du Centre de Recherches Europes-Eurasie (CREE) à l'INALCO. Co-rédactrice en chef de la revue Nordiques., Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016092023-03-29T18:19:45Z2023-03-29T18:19:45ZComment les ports de la mer Baltique s’adaptent à la nouvelle donne géopolitique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517027/original/file-20230322-26-ttsgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C4970%2C3330&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un porte-conteneurs quitte le port de Baltiïsk (Russie) pour entrer dans la mer Baltique, le 28&nbsp;novembre 2020. Hormis la Russie, les huit autres États riverains de cette mer sont soit déjà membres de l’OTAN, soit le seront bientôt (Suède et Finlande).
</span> <span class="attribution"><span class="source">Fedor Konoplin.Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis la fin de la guerre froide, la mer Baltique, bordée par neuf pays (Allemagne, Danemark, Suède, Finlande, Pologne, Estonie, Lettonie, Lituanie et Russie) est redevenue un espace d’échanges et d’interrelations. Si elle demeure à l’écart des grandes routes maritimes qui desservent les ports ouest-européens, le dynamisme y est tout de même de mise : les taux de croissance du trafic maritime depuis le milieu des années 1990 y sont parmi les plus élevés au monde.</p>
<p>Les dynamiques portuaires et l’évolution du trafic maritime sont révélatrices des changements géo-éco-politiques à l’œuvre. Au moment où la Finlande et la Suède s’apprêtent à rejoindre l’OTAN, dans un contexte marqué notamment par de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-tout-comprendre-aux-tensions-autour-de-l-enclave-russe-de-kaliningrad_2175707.html">fortes tensions autour de l’enclave russe de Kaliningrad</a> et les <a href="https://theconversation.com/la-lituanie-fer-de-lance-de-lue-et-de-lotan-face-a-la-russie-199491">rapports exécrables entre Moscou et les pays baltes</a> du fait de la guerre en Ukraine, il est utile de braquer le projecteur sur cette zone.</p>
<h2>Une croissance soutenue mais soumise à des soubresauts (géo)politiques</h2>
<p>Le système portuaire baltique se caractérise par des disparités entre les rives, voire entre les ports eux-mêmes.</p>
<p>Sur la rive orientale, les ports étaient spécialisés en fonction de leur situation sur le territoire soviétique comme Ventspils pour le pétrole ou Riga pour le faible trafic conteneurisé d’alors. Suite au démantèlement de l’URSS, la Russie, acteur régional majeur, a connu une importante perte de capacité portuaire, à laquelle elle a dû remédier en se tournant vers les ports des pays voisins, notamment le port estonien de Tallinn. Ainsi, son voisinage a d’abord été une opportunité sur laquelle se sont appuyés les ports de la région pour se développer.</p>
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<p>De fait, même si à partir du début des années 2000, la Russie a commencé à prôner l’évitement des ports non russes, les flux de marchandises sont restés fluides et massifs (en 2010, le transit de marchandises de la CEI représentait encore près de 80 % des trafics portuaires lettons ou estoniens) jusqu’au milieu des années 2010, quand ils ont commencé à se réduire du fait de la dégradation des relations russo-occidentales consécutive à l’annexion de la Crimée et à l’appui russe aux séparatistes du Donbass.</p>
<p>Le trafic global en mer Baltique a ainsi doublé de 1997 à 2019 (Figure 1), avec une croissance plus soutenue sur la rive orientale, plutôt équitablement partagée entre tous les ports, aussi bien baltes que russes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514706/original/file-20230310-20-lct3dl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1 : Évolution du trafic des ports baltiques de 1990 à 2019. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Serry</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le milieu des années 2000, la Russie a renforcé sa stratégie d’autosuffisance portuaire en développant ses propres capacités et en abandonnant partiellement certains oléoducs acheminant ses hydrocarbures jusqu’aux ports baltes. Les conséquences de cette politique ont d’abord été réduites et largement localisées, notamment <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2005-2-page-40.htm">sur le port letton de Ventspils</a>, autrefois spécialisé dans l’exportation d’hydrocarbures. Par la suite, la situation s’est détériorée, les sanctions économiques adoptées en 2014 à l’encontre de la Russie renforçant la concurrence interportuaire dans la région pour capter les trafics.</p>
<p>La stagnation de la demande russe et les sanctions économiques ont remis en cause la croissance partagée des trafics, au détriment notamment des ports de la Baltique orientale, fragilisés par leur hyper-dépendance à l’égard de l’économie russe. La décision de Moscou de cesser en 2018 l’exportation de ses produits pétroliers via les ports des pays baltes a radicalement changé la donne, les énergies fossiles demeurant essentielles dans la matrice des trafics importés et exportés par la quasi-totalité des ports du pourtour maritime régional.</p>
<h2>Sanctions, recul des trafics et concurrence portuaire</h2>
<p>Les événements récents ont replacé au centre de l’échiquier géostratégique les mers riveraines de la Russie, avec en exergue les approvisionnements énergétiques, qui empruntent autant la mer Baltique que les mers Noire ou d’Azov.</p>
<p>Comme l’illustrent les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/27/les-gazoducs-nord-stream-touches-par-des-fuites-inexpliquees-soupcons-de-sabotage_6143382_3244.html">incidents autour du gazoduc sous-marin <em>Nordstream</em></a>, outil russe destiné à permettre à Moscou de s’émanciper des ports baltiques, la logistique du gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe demeure largement tributaire des connexions aux réseaux de gazoducs.</p>
<p>Pour les états baltiques, la nécessité d’une diversification des approvisionnements énergétiques par voie maritime a généré un intérêt accru pour les installations dédiées au GNL. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, certains États ont su réduire les interdépendances. Par exemple, un premier terminal de GNL, baptisé <a href="https://www.energystream-wavestone.com/2014/12/gnl-la-lituanie-emprunte-la-voie-maritime-pour-conquerir-son-independance-energetique/"><em>Indépendance</em></a>, est devenu opérationnel dès fin 2014 à Klaipėda, ce qui permit à la <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-lituanie-s-interdit-d-importer-du-gaz-russe-20220628">Lituanie de devenir le premier pays européen à cesser d’importer du gaz russe</a> le 1<sup>er</sup> avril 2022.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514707/original/file-20230310-1750-i5k8dp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le terminal GNL « Indépendance » à Klaipeda.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Serry, 2018</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà du seul secteur énergétique, c’est bien l’ensemble de la structure des trafics et sa géographie qui sont remis en cause dans l’espace maritime et portuaire de la Baltique.</p>
<p>Ainsi, les ports de la Baltique orientale servent de <a href="https://www.cairn.info/revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2015-4-page-229.htm">plates-formes de distribution d’engrais</a> vers le marché mondial. Or, ces flux historiques sont liés à la présence d’importants producteurs d’engrais azotés utilisant le gaz naturel russe comme matière première dans l’ouest de la Russie et en Biélorussie.</p>
<p>Avec près de la moitié du total manutentionné, un port domine les flux d’engrais dans la région : c’est celui de Klaipeda, où cette seule commodité représente jusqu’à 32 % du trafic du port lituanien depuis le début des années 2000. À partir de 2021, la <a href="https://theconversation.com/le-soutien-total-de-la-lituanie-a-la-revolution-bielorusse-147002">condamnation par les autorités lituaniennes des agissements antidémocratiques du pouvoir biélorusse</a> est venue remettre en cause ce fonctionnement puisque les engrais sont touchés par les sanctions. Désormais, plus une seule tonne ne transite par les ports baltes et le seul port de Klaipeda a vu son trafic reculer de plus de 20 % en 2022.</p>
<p>Autre secteur encore plus volatil et stratégique, la desserte conteneurisée des ports baltiques a profondément évolué dans la région depuis février 2022 et l’entrée en guerre russe sur le sol ukrainien. Certaines compagnies maritimes ont choisi de ne plus escaler dans les ports russes. D’autres vont encore plus loin. À la mi-2022, <em>A.P. Moller-Maersk</em> <a href="https://www.maersk.com/news/articles/2022/09/13/maersk-completes-divestment-of-shares-in-global-ports">s’est retiré de <em>Global Ports Investments PLC (GPI)</em></a>, premier opérateur de terminaux à conteneurs sur le marché russe, via un échange d’actions sans contrepartie financière.</p>
<h2>Un avenir incertain</h2>
<p>L’inquiétude des acteurs ainsi que des signaux concrets comme l’encombrement des terminaux par des marchandises touchées par les sanctions ou de nombreux conteneurs vides sont révélateurs de la conjoncture compliquée. Toutefois, celle-ci profite ponctuellement à certains ports.</p>
<p>Le trafic de pétrole dans les ports russes a bondi d’une quinzaine de pourcents en 2022. Certains acteurs (occidentaux) semblent avoir fait des réserves d’hydrocarbures russes, notamment du gasoil, avant de ne plus pouvoir en acheter.</p>
<p>Les ports lettons ont pour le moment compensé leur perte de trafic par d’indispensables importations de charbon pour pallier la rupture des approvisionnements russes. Pour les conteneurs, à l’exception des ports russes, le trafic dans la région a progressé en 2022 : 24,6 % à Tallinn et 60,7 % à Klaipeda, ce dernier port ayant été inclus par les armateurs dans des lignes maritimes supplémentaires, contribuant à la croissance des volumes de manutention de conteneurs, en particulier du transbordement.</p>
<p>Néanmoins, sur un temps plus long, les ports baltiques apparaissent déstabilisés par les considérations géopolitiques, comme l’illustre l’évolution des trafics des ports de la région entre 2013 et 2022 (cf. Figure 2).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514709/original/file-20230310-14-4okcq0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2 : Évolution des trafics portuaires des principaux ports baltiques de 2013 à 2022. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Serry</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À terme, les ports les mieux intégrés dans les réseaux maritimes (conteneurisés), mais aussi les plus diversifiés en termes de marchandises et d’arrière-pays (l’arrière-pays ou hinterland est l’aire d’attraction et de desserte continentale d’un port ou en termes économiques son aire de marché continentale), sont ceux qui devraient le mieux s’en sortir ; c’est le cas de Gdańsk en Pologne, Klaipėda en Lituanie ou des ports finlandais.</p>
<p>Les crises successives affectant les ports baltiques sont-elles en train de modifier leur rôle ? La majorité des ports de la façade orientale perdent leur vocation d’interface avec l’espace post-soviétique en faveur d’un rapprochement entre les deux rives baltiques via leur insertion dans des réseaux structurés autour des pôles majeurs du transport maritime mondial.</p>
<p>Il apparaît clairement que la façade orientale de la Baltique pâtit des événements en Biélorussie et en Ukraine alors qu’à l’ouest, les ports s’en sortent mieux. Cependant, ce développement demeure fragile car largement exposé aux incertitudes géopolitiques internationales, aux décisions unilatérales du Kremlin et aux tensions énergétiques globales qui impactent directement les flux maritimes.</p>
<p>Consolider une stratégie « médiane », pérenniser leurs trafics, participer à assurer la sécurité des États sans compromettre le voisinage régional et continental, tel semble être désormais l’enjeu majeur qui concerne quasiment tous les ports baltiques.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec Yann Alix, <a href="https://www.sefacil.com/">Fondation SEFACIL</a></em>_</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201609/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les bouleversements géostratégiques en cours ont un impact direct sur la mer Baltique, important espace d’échanges entre la Russie et l’Europe.Arnaud Serry, Maitre de conférences en géographie, Université Le Havre NormandieBrigitte Daudet, Professeur de développement économique et territorial, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999192023-02-17T15:34:22Z2023-02-17T15:34:22ZUkraine : trois scénarios de rupture<p>Faut-il se préparer au pire ? Pour l’Ukraine ? Pour la Russie ? Et pour l’Europe tout entière ? Si le pire n’est jamais certain, le « déjà-vu » n’est pas nécessairement le plus probable. Avec ce conflit hautement évolutif, il ne faut exclure ni les ruptures majeures, ni les catastrophes inattendues. La guerre en Ukraine n’est pas finie. Mais rien ne dit qu’elle continuera comme elle a commencé.</p>
<p>Un an après le début de l’invasion russe, plusieurs scénarios probables se profilent (nous les avons <a href="https://theconversation.com/ukraine-trois-scenarios-pour-la-suite-et-la-fin-du-conflit-198093">détaillés</a>) : celui d’une reconquête par l’Urkaine de la partie est de son territoire ; celui de succès russes tangibles dans le sud et le nord du pays ; enfin, celui d’un conflit non résolu mais meurtrier de grande ampleur déstabilisant durablement la sécurité collective européenne.</p>
<p>Ces scénarios probables n’épuisent pourtant pas le champ des possibles.</p>
<p>Des scénarios de rupture doivent être également envisagés, sur un mode exploratoire, car la guerre d’Ukraine a multiplié les surprises tactiques et stratégiques : l’offensive russe a surpris les états-majors européens ; la résistance ukrainienne a pris de court les autorités russes ; l’unité européenne a battu en brèche les anticipations, etc. La guerre en Ukraine ne demande pas seulement la prospective des évolutions probables ; elle exige l’anticipation des ruptures possibles.</p>
<h2>Le scénario Mannerheim ou la partition forcée de l’Ukraine</h2>
<p>La hiérarchie militaire de Moscou estime au départ que quelques jours suffiront pour obtenir une victoire totale. Son attaque, visant à récupérer un ancien territoire de l’empire tsariste, lui vaut une très large condamnation internationale. La guerre est dure, la résistance adverse très déterminée. Malgré un bilan humain, économique et diplomatique très lourd, Moscou réussit à faire main basse sur une partie du territoire adverse.</p>
<p>Ce scénario est « bien connu » en Russie : c’est celui de la guerre de Finlande, il y a presque 85 ans.</p>
<hr>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Finlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?</a>
</strong>
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<hr>
<p>Lors de la <a href="https://www.cairn.info/1940-la-guerre-detraquee--9782700703252-page-85.htm">guerre d’Hiver (novembre 1939–mars 1940)</a>, l’URSS avait attaqué la Finlande, laquelle avait <a href="https://www.herodote.net/6_decembre_1917-evenement-19171206.php">obtenu son indépendance de la Russie fin 1917</a>, peu après la prise du pouvoir par les bolcheviks. L’agression soviétique fait suite à l’échec de la négociation soviéto-finlandaise au sujet de la création d’un espace tampon protégeant la ville de Saint-Pétersbourg ; elle découle également du Pacte Molotov-Ribbentrop, qui faisait entrer la Finlande dans la zone d’influence soviétique.</p>
<p>L’agression soviétique avait provoqué <a href="http://lhistoireenrafale.lunion.fr/2016/12/13/14-decembre-1939-lurss-expulsee-de-sdn/">l’exclusion de l’URSS de la Société des nations</a>. En dépit d’une résistance acharnée, à un contre quatre, et parfois bien moins, et du fait de l’épuisement de stock de ses munitions, Helsinki fut contrainte de céder une région essentielle de son territoire, la Carélie. La conclusion du <a href="http://pcf-1939-1941.blogspot.com/2013/08/traite-de-paix-sovieto-finlandais-du-12.html">Traité de Moscou</a>, signé à l’issue d’une <a href="https://www.secondeguerre.net/articles/evenements/es/39/ev_russofinlandais.html">guerre terrible</a> et meurtrière, doit beaucoup à l’autorité du maréchal finlandais <a href="https://finland.fi/fr/vie-amp-societe/mannerheim-soldat-president-homme-de-paix/">Mannerheim</a>, qui a appelé ses troupes à accepter de douloureuses concessions, lesquelles devaient néanmoins confirmer la souveraineté et l’indépendance de la Finlande.</p>
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<p>Certains cercles dirigeants de Kiev sont-ils en train de préparer l’opinion nationale à perdre une partie du territoire du pays afin d’éviter un alourdissement du bilan humain pour les Ukrainiens, ce qui correspondrait à une sorte de <a href="https://oliverboydbarrett.substack.com/p/the-mannerheim-moment">« moment Mannerheim »</a> ?</p>
<p>En décembre, le chef d’état-major des armées Valeri Zaloujny a <a href="https://www.economist.com/zaluzhny-transcript">demandé aux Occcidentaux</a> de fournir à l’Ukraine dès que possible 300 chars, 600-700 véhicules de combat d’infanterie et 500 obusiers. En dépit de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/guerre-en-ukraine-l-allemagne-donne-son-feu-vert-a-la-livraison-de-chars-leopard-a-kiev-9866990">l’annonce</a> de la livraison des chars Leopard de fabrication allemande, des Abrams américains et des Challenger 2 britanniques, il n’est pas certain que ces armes soient livrées à temps pour contenir une nouvelle offensive russe. En outre, une diversité de matériels engendre pour une armée des difficultés logistiques : les besoins ne sont pas les mêmes ; l’approvisionnement en pièces détachées est plus compliqué à organiser ; le temps de formation, incompressible, retarde d’autant l’effectivité du renfort armé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1603461462298591232"}"></div></p>
<p>En cas de reculs ukrainiens sur le terrain, le président Zelensky serait probablement tenu responsable par l’opinion publique des difficultés militaires, et l’armée deviendrait la valeur refuge d’une grande partie de la société. Les multiples <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230124-en-ukraine-plusieurs-hauts-responsables-d%C3%A9missionnent-dans-un-scandale-de-corruption">démissions et limogeages</a> des dernières semaines, sur fond de scandales de corruption, sont peut-être une manifestation de sourdes luttes intestines qui n’ont pas encore émergé, mais qui bouillonnent de manière sous-jacente.</p>
<p>Tout cela pourrait aboutir à une rupture dans la posture stratégique constante de l’Ukraine. Celle-ci consentirait, en partie peut-être sous la pression de ses partenaires, à une réduction de son territoire internationalement reconnu en 1991, en échange de garanties de sécurité.</p>
<h2>Le scénario de l’emploi de l’arme électromagnétique</h2>
<p>Tandis que se déroule dans le Donbass la sanglante <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-la-bataille-de-bakhmout-nouveau-point-de-bascule-du-conflit_214106.html">bataille de Bakhmout</a>, l’état-major ukrainien anticipe depuis plusieurs semaines la possibilité d’une puissante nouvelle offensive russe, pas seulement dans le Donbass, mais aussi depuis le Nord. Il ne s’agirait pas d’une attaque des seules forces biélorusses ; en dehors de quelques supplétifs et spécialistes sur des profils déterminés, l’apport armé de Minsk <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-putin-estonia-moscow-belarus-ee8b2557d1c1cfc031261bc282a96e6b">serait faible</a>.</p>
<p>En revanche, une véritable rupture serait le déclenchement d’une nouvelle offensive russe depuis (et avec) la Biélorussie. Cette attaque viserait Kiev, qui ne se situe qu’à 150 km de la frontière… à moins que l’objectif ne soit d’empêcher la livraison des armes occidentales, en se positionnant à la frontière polono-ukrainienne. Que le but fixé soit l’un ou l’autre (ou les deux), les Russes pourraient faire exploser une <a href="https://www.forbes.com/sites/jamesbroughel/2022/11/18/would-putin-launch-an-electromagnetic-pulse-attack-against-ukraine/">bombe à impulsion électromagnétique</a> de forte ampleur près de Lviv, la grande ville de l’ouest de l’Ukraine, située à proximité de la frontière polonaise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590789191645990921"}"></div></p>
<p>Les effets seraient dévastateurs pour la suite de la guerre. En effet, en libérant une onde électromagnétique très brève et de forte amplitude, une telle explosion rendrait les appareils électroniques inopérants à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Un cadre adéquat pour lancer une offensive dans un brouillard stratégique, et prendre l’armée ukrainienne à revers.</p>
<p>Un tel développement pourrait aussi entraîner des effets secondaires significatifs pour les voisins polonais et baltes, ainsi que pour les livraisons d’armes. Un moindre approvisionnement en armes, couplé à une fatigue des opinions publiques européennes, constituerait une rupture qui affaiblirait nettement le camp ukrainien. Le plus sûr moyen d’y arriver serait encore de <a href="https://www.ft.com/content/d6ecbf62-f26d-401f-936b-e5bd85f25c06">faire exploser une bombe atomique non au sol, mais en haute altitude</a>.</p>
<h2>Le scénario de l’escalade incontrôlée, jusqu’au nucléaire ?</h2>
<p>L’historien australien Christopher Clark a <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-216.htm">montré</a> comment un enchaînement de décisions a pu déboucher sur la Première Guerre mondiale, sans qu’aucun acteur n’ait recherché la guerre en première intention. Cette peur de l’escalade incontrôlée explique sans doute en partie la politique prudente de l’Allemagne vis-à-vis du conflit russo-ukrainienne, d’Angela Merkel à Olaf Scholtz.</p>
<p>Le scénario de l’escalade se nourrit d’abord des discours et des idées. La surenchère verbale constitue un véritable « piège rhétorique », qui contraint les acteurs : la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/de-stalingrad-a-l-ukraine-la-reference-permanente-du-pouvoir-russe-a-la-deuxieme-guerre-mondiale-9527673">référence récurrente à la « Grande guerre patriotique »</a> côté russe alimente une vision eschatologique du conflit : c’est la survie même de la Russie qui serait en jeu, ce qui implique que le recours au nucléaire, en dernière instance, doit être envisagé.</p>
<p>Au-delà de la rhétorique, les livraisons d’armes à l’Ukraine nourrissent évidemment cette escalade. Progressivement, les premières livraisons ont permis d’envoyer des armes soviétiques, puis des armes de type OTAN. La livraison des canons HIMARS et des Caesar a coïncidé avec la préparation de la <a href="https://theconversation.com/lukraine-contre-attaque-jusquou-190288">contre-offensive ukrainienne réussie de l’automne</a>. Il est parfaitement logique pour l’Ukraine de demander un soutien en armement toujours plus important. Après les tanks, la prochaine étape ne serait-elle pas d’envoyer des <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/113458-000-A/zelensky-demande-des-avions-de-combat-aux-europeens/">avions</a> ?</p>
<p>Dans cette situation, on observe des deux côtés une foi en la victoire et un profond effroi quant à la perspective d’une défaite : pour la Russie, une défaite contribuerait à déconsidérer le régime et pourrait conduire à sa chute, voire au démantèlement du pays ; pour le camp d’en face, une défaite signifierait non seulement la fin du rêve d’arrimage à l’ouest de l’Ukraine, mais aussi une humiliation de l’OTAN, ce qui pourrait inciter la Russie, et d’autres acteurs comme la Chine, à déclencher d’autres attaques dans un avenir prévisible.</p>
<p>Quand pour toutes les parties engagées, la victoire apparaît possible et la défaite catastrophique, faut-il craindre le risque d’un va-tout nucléaire ? Ce qui est certain, c’est que la période actuelle est celle de la <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/repenser-les-choix-nucleaires-benoit-pelopidas">« vulnérabilité nucléaire »</a>, une notion qui permet de prendre en compte la dimension matérielle du risque nucléaire (il n’y a pas de protection contre des explosions nucléaires, délibérées ou accidentelles), mais également du rôle de la chance, trop souvent occulté par la croyance dans la sûreté et la contrôlabilité parfaite de ces systèmes d’armes (en dépit des risques d’accident et de manipulation à distance).</p>
<p>Cette peur avait été très présente lors des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/08/28/zaporijia-une-centrale-nucleaire-au-c-ur-de-la-guerre_6139267_3244.html">combats autour de la centrale de Zaporijia</a> en août 2022, mais la menace de l’utilisation d’une arme nucléaire tactique est aussi <a href="https://theconversation.com/le-chantage-nucleaire-de-vladimir-poutine-178095">régulièrement agitée</a> dans les moments de difficulté par les autorités russes, afin d’impressionner l’opinion publique européenne. L’emploi en Ukraine d’une telle arme ne pourrait pas laisser les États-Unis sans réaction, <a href="https://www.rand.org/pubs/perspectives/PEA2510-1.html">sans qu’ils aillent pour autant jusqu’à une riposte nucléaire</a> contre le territoire russe. Il n’en reste pas moins que nous serions dans une situation inédite et face à un danger paroxystique.</p>
<p>Ces trois scénarios de rupture, dont aucun n’apparaît positif pour l’Ukraine, n’ont pas aujourd’hui une probabilité forte. Mais les risques qu’ils comportent sont si considérables, spécialement pour les deux derniers, qu’il est indispensable de les avoir à l’esprit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des trois scénarios les plus probables – victoire russe, victoire russe, enlisement –, la guerre en Ukraine pourrait réserver des surprises stratégiques qu’il convient d’évaluer.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984652023-01-27T15:21:41Z2023-01-27T15:21:41ZVoici pourquoi près d’un an plus tard, le conflit en Ukraine change de nature<p>L’ <a href="https://blogs.mediapart.fr/touriste/blog/270222/document-discours-integral-de-poutine-le-24-fevrier">« opération militaire spéciale »</a> de Vladimir Poutine en Ukraine approche de son premier anniversaire. Mais la nature même du conflit a changé depuis l’invasion.</p>
<p>En février 2022, l’attaque russe sur Kyïv — <a href="https://jmss.org/article/view/76586/56341">prétendument pour provoquer un changement de régime en Ukraine</a> — a vite échoué. Le régime ukrainien actuel, au lieu de s’effondrer comme un château de cartes, est sorti renforcé.</p>
<p>Pourtant, les forces séparatistes et russes combattant dans la région du Donbass depuis 2014 avaient pu constater <a href="https://www.businessinsider.com/ukraine-modernizing-military-to-make-war-more-costly-for-moscow-2021-6">l’amélioration des capacités militaires ukrainiennes</a> — malgré ce que croyait ou pensait le président russe. Néanmoins, les forces russes <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-60506682">se sont emparées d’un territoire important</a> dans l’est de l’Ukraine au début du conflit.</p>
<p>Cette guerre de mouvement initiée par la Russie s’est rapidement enlisée. À leur tour, les forces ukrainiennes ont également reconquis des territoires relativement rapidement à l’automne 2022, <a href="https://www.7sur7.be/monde/les-combats-entre-l-ukraine-et-la-russie-dans-l-impasse-nous-ne-pouvons-pas-battre-les-russes-mais-eux-non-plus%7Ea976361d/?referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F">mais cette phase de mouvement s’est également interrompue</a>.</p>
<p>Aucun des deux camps n’a su gagner un avantage décisif sur le champ de bataille. <a href="https://thehill.com/opinion/national-security/3727910-the-russian-armys-trouble-runs-deep/">Malgré les prédictions de nombreux observateurs occidentaux</a>, les forces russes en Ukraine ne sont pas effondrées — et n’en montrent aucun signe. Voici pourquoi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-vladimir-poutine-reagira-t-il-aux-recentes-victoires-ukrainiennes-190709">Comment Vladimir Poutine réagira-t-il aux récentes victoires ukrainiennes ?</a>
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<h2>Redéploiement russe</h2>
<p>La Russie a envahi l’Ukraine avec une <a href="https://jmss.org/article/view/76588/56337">force trop petite pour y mener une guerre d’envergure</a>.</p>
<p>La débâcle de l’attaque russe au nord de Kyïv a entraîné un redéploiement vers l’est. Ce mouvement a permis de simplifier considérablement les lignes d’approvisionnement russes et de concentrer les troupes à l’Est. Plus au sud, la retraite russe du territoire de Kherson a produit le même effet.</p>
<p>Même si Vladimir a longtemps refusé de reconnaître que sa prétendue « opération militaire spéciale » était en réalité une guerre ouverte, <a href="https://www.themoscowtimes.com/2022/12/23/lawmaker-attacks-putin-for-ukraine-war-reference-a79790">il l’a maintenant fait en paroles et en actes</a>.</p>
<p>Ce changement de cap s’est accompagné d’un renforcement important de l’armée russe en Ukraine. <a href="https://www.csis.org/analysis/what-does-russias-partial-mobilization-mean">La mobilisation partielle des réservistes</a> a considérablement accru ses ressources humaines par rapport à ce dont elle disposait au départ.</p>
<p>Les réservistes russes sont concentrés dans l’est de l’Ukraine en <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-odesa-mykolayiv-strikes-russia-invasion-svitlodarsk/31961614.html">position défensive sur presque tout le front</a>. Cette stratégie signifie moins de pertes et des ressources plus concentrées qu’un an auparavant quand l’armée russe menait l’offensive sur un très large front.</p>
<p>Les Russes ont axé leurs opérations <a href="https://article19.ma/accueil/archives/163407">offensives sur la sécurisation du territoire restant de Donetsk et de Louhansk</a> — ce qui était la <a href="https://www.cnbc.com/2022/04/19/why-does-russia-want-the-donbas-region-so-much.html">justification initiale de l’invasion</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme chauve serre la main d’un soldat en tenue de combat" src="https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505865/original/file-20230123-18-yykqto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président Vladimir Poutine visite un centre d’entraînement pour réservistes dans le district militaire occidental près de Riazan, en Russie, en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Mikhail Klimentyev, Sputnik, via AP)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une avancée fulgurante</h2>
<p>Les opérations actuelles de la Russie dans la région de Bakhmout, dans le Donbass, n’ont rien de fulgurant, mais à bien des égards, cette stratégie de <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-bakhmut-russia-assault-invasion-analysis/32174980.html">rouleau compresseur</a> convient mieux à l’armée russe.</p>
<p>Ces opérations de portée limitée corrigent aussi les <a href="https://www.janes.com/defence-news/news-detail/ukraine-conflict-russian-military-adapts-command-and-control-for-ukraine-operations">lacunes de la structure de commandement et de contrôle du début du conflit</a>. Cette approche limitée et méthodique convient également mieux à des réservistes généralement moins formés et peu expérimentés.</p>
<p>Les forces russes ont également une longue expérience des combats d’artillerie à forte intensité qui caractérise le conflit actuellement.</p>
<p>Fin 1994, les forces russes ont tenté de prendre d’assaut la capitale tchétchène de Grozny, d’une manière assez semblable à l’attaque de Kyïv en 2022. À la lumière de cet échec, elles ont adopté le type d’approche centrée sur l’artillerie, qu’ils avaient perfectionnée pendant la Seconde Guerre mondiale pour réduire la ville avant de la capturer. Cette approche <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/04/21/ukraine-russia-mariupol-fall-maps/">a été appliquée à Marioupol</a> avec succès.</p>
<p>En tant qu’historien de l’armée russe et soviétique, j’ai été en mesure de constater une tendance « culturelle » où les opérations offensives téméraires initiales sont suivies d’une approche plus méthodique et mesurée. Outre le cas de la prise de Grozny, la <a href="https://www.cambridge.org/core/books/red-army-and-the-second-world-war/2E01D8047C13AE63A3A92D6DEE2CD71F">Grande Guerre patriotique soviétique de 1941 à 1945 est jonchée d’exemples similaires</a>.</p>
<p>Cela s’est souvent accompagné d’un engagement plus profond dans la tâche à accomplir afin d’y mettre les bouchées doubles. De nombreux signes indiquent que telle est la situation de l’armée russe depuis l’automne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme âgée s’accroche à un arbre en regardant les décombres qui l’entourent" src="https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505944/original/file-20230123-7682-m0vi4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des Tchétchènes pendant une accalmie durant les combats à Grozny en janvier 1995.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mindaugas Kulbis)</span></span>
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</figure>
<h2>Méfiance envers l’Occident et l’OTAN</h2>
<p>Malgré les pertes et les revers subis, les <a href="https://www.levada.ru/en/2022/12/12/conflict-with-ukraine-november-2022/">sondages d’opinion indiquent que la population russe soutient toujours l’effort</a> de guerre en Ukraine. Ce soutien est crucial.</p>
<p>Bien des Russes considèrent la Crimée <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/11/guerre-en-ukraine-la-crimee-l-annexion-russe-qui-embarrasse-les-occidentaux_6145335_3210.html">comme une partie intégrante de la Russie</a>, et le soutien occidental aux tentatives de l’Ukraine de la reconquérir est un affront particulier.</p>
<p>L’appui à tout crin des Occidentaux aux Ukrainiens dans leur effort de reconquête des territoires perdus depuis 2014 favorise justement l’acceptation de la propagande russe. Devant « l’évidence » que l’Occident <a href="https://jmss.org/article/view/76584/56335">s’acharne sur la Russie</a> et que l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie fait partie d’un processus, la Russie ne peut que fixer une limite.</p>
<p>À mesure que le conflit s’éternisera, les deux parties souffriront de pénuries d’effectifs et de matériel. La Russie dispose <a href="https://news.err.ee/1608815692/edf-intelligence-chief-russia-still-has-long-term-offensive-capabilities">d’importantes réserves</a> et de quelques alliés déclarés comme l’Iran et la Corée du Nord. L’Ukraine, elle, est soutenue par le poids de l’OTAN.</p>
<h2>Une longue guerre est probable</h2>
<p>Dans un avenir prévisible, les deux parties conservent leur capacité de se battre. Davantage d’équipements, <a href="https://www.gov.uk/government/news/pm-accelerates-ukraine-support-ahead-of-anniversary-of-putins-war">y compris les chars dernier cri et autres véhicules blindés occidentaux</a>, renforceront l’armée ukrainienne à court terme. Mais cet avantage se verra réduit si la trop grande variété de véhicules complique la formation, l’entretien et l’approvisionnement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un grand char militaire sur un terrain plein d’ornières" src="https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505948/original/file-20230123-10641-ygqbvb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le char Léopard 2 lors d’une démonstration. L’Allemagne vient de décider d’envoyer les premiers chars à l’Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Michael Sohn)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950734/chars-assaut-blindes-combat-berlin-kiev-invasion-russe">L’envoi de chars allemands en Ukraine</a> renforcera de manière considérable la propagande de Vladimir Poutine. Les médias russes <a href="https://ria.ru/20230121/zapad-1846366533.html">tracent déjà le parallèle</a> entre l’invasion allemande de juin 1941 et la présence de chars allemands sur les champs de bataille ukrainiens aujourd’hui.</p>
<p>Si la guerre suit sa trajectoire actuelle, la victoire demeurera élusive. L’un ou l’autre camp pourra tirer un gain dans un scénario d’escalade et de contre-escalade, mais sans doute jamais de manière durable.</p>
<p>Mais jusqu’à ce que les deux parties acceptent d’amorcer de véritables pourparlers et de jouer à donnant-donnant, le bain de sang se poursuivra.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198465/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexander Hill ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’armée russe en Ukraine mène une guerre beaucoup plus intense en artillerie et plus méthodique qu’il y a un an. C’est devenu une guerre totale.Alexander Hill, Professor of Military History, University of CalgaryLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1956872022-12-05T19:01:45Z2022-12-05T19:01:45ZLa relation franco-allemande : une simple mauvaise passe ?<p>Pendant plusieurs semaines, les relations entre la France et l’Allemagne ont subi une véritable tempête médiatique au cours de laquelle il a été affirmé que le « couple franco-allemand » avait <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/allemagne/il-n-y-a-plus-de-couple-franco-allemand-depuis-longtemps-analyse-hubert-vedrine-ancien-ministre-des-affaires-etrangeres_VN-202211220766.html">volé en éclats</a>, voire qu’il n’avait jamais existé. Puis on a assisté à plusieurs tentatives d’apaisement de la part des gouvernements des deux pays, qui étaient pourtant eux-mêmes à l’origine de ces remous.</p>
<p>Que s’est-il passé au juste, et à quel point la crise est-elle profonde ?</p>
<h2>Griefs français et gestes diplomatiques</h2>
<p>Que reproche la France à l’Allemagne ? Pêle-mêle, sa politique énergétique telle qu’elle est défendue au niveau européen, qui mise essentiellement sur les énergies renouvelables quand la France s’en remet à nouveau au nucléaire ; sa politique de soutien aux ménages et aux entreprises, le gouvernement allemand ayant négligé d’avertir la France de la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/30/berlin-debloque-200-milliards-d-euros-pour-attenuer-la-hausse-des-prix-du-gaz_6143815_3234.html">mise en place d’un fonds d’investissement de 200 milliards d’euros</a> susceptible de provoquer des distorsions de compétitivité entre les pays membres de l’Union – alors que la France elle-même a prévu un programme de 120 milliards avec les mêmes objectifs, cumulant les multiples aides d’État pour lutter contre l’inflation et la crise énergétique ; l’absence de référence à la coopération franco-allemande dans le <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/service/scholz-discours-prague-2079562">discours sur l’Europe</a> prononcé à l’Université Charles de Prague par le chancelier Scholz, qui a donné à Paris le sentiment que Berlin cherchait à marginaliser la France dans les programmes d’équipements militaires européens, en particulier là où celle-ci en a la maîtrise d’œuvre, comme dans la <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/le-programme-mgcs-char-du-futur-enfin-relance-942109.html">réalisation du char de combat du futur</a>, etc.</p>
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<p>En outre, la France n’a pas apprécié que <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/15/berlin-rallie-quatorze-pays-de-l-otan-a-l-achat-d-un-bouclier-antimissile-au-grand-dam-de-paris_6145891_3210.html">l’Allemagne rallie quatorze pays de l’OTAN à l’achat d’un bouclier antimissile</a> alors qu’elle-même développe avec l’Italie son propre système de défense anti-aérien « Mamba ». Les désaccords portaient également sur la question sensible de la coopération sur « l’avion du futur » – nous y reviendrons.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le couple franco-allemand est-il en instance de divorce ? (Arte, 26 octobre 2022).</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte tendu, les ministres allemands de l’Économie Robert Habeck, des Affaires étrangères Annalena Baerbock (tous deux du parti Les Verts) et des Finances Christian Lindner (FDP) ont été reçus fin novembre à l’Élysée, mais la tentative la plus médiatisée de réparer le mal fait a été assurément la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/allemagne-elisabeth-borne-en-mission-deminage-20221125_U3QYGWEFEZD3VCUA5UMB6DZ2PI/">visite de la première ministre Élisabeth Borne à Berlin</a>, le 25 novembre, à l’occasion de laquelle une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/26/de-berlin-a-paris-elisabeth-borne-jongle-avec-les-crises_6151695_823448.html">« déclaration commune sur la solidarité énergétique »</a> a été publiée.</p>
<p>L’accent était mis sur la solidarité – cette solidarité dont la France avait reproché à l’Allemagne de ne pas faire suffisamment preuve à Bruxelles, précisément dans le domaine énergétique. Selon Paris, Berlin s’opposait à la mise en place d’un bouclier tarifaire sur le gaz alors qu’au même moment le gouvernement allemand n’excluait pas de mettre un « couvercle » sur les prix du gaz… tout en redoutant qu’un dirigisme des prix puisse être contre-productif. Rappelons que depuis la mi-octobre, la <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/la-france-livre-du-gaz-a-lallemagne-et-espere-de-lelectricite-en-retour-1868501">France livre du gaz à l’Allemagne</a>, en contrepartie de quoi celle-ci s’engage à livrer de l’électricité à la France pendant l’hiver dans le cas où la défaillance des centrales nucléaires venait à provoquer des black-outs dans le pays.</p>
<h2>Le dossier de l’avion du futur, nouvel épisode d’un débat ancien</h2>
<p>C’est à la mi-octobre 2022 que le report à janvier 2023 des consultations franco-allemandes sur la question de <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/accords-et-desaccords-autour-de-l-avion-de-combat-europeen-du-futur-36f0c758-698d-11ed-bd29-7d31c7eef0da.">l’avion de combat du futur</a> en raison d’« un besoin supplémentaire de coordination » avait manifesté au grand jour les divergences entre les deux gouvernements, alors qu’ils étaient pourtant sur le point d’aboutir à un accord.</p>
<p>Rappelons qu’on ne cessait en France, depuis des mois, de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/14/l-allemagne-prevoit-d-acheter-jusqu-a-35-avions-de-combat-f-35-americains_6117463_3210.html">reprocher à l’Allemagne d’acheter des avions américains F-35</a> pour remplacer les Tornados vieillissants de l’Armée de l’air allemande, jugeant que c’eût été un geste de solidarité européenne que de commander des Rafales français.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1503597870213120002"}"></div></p>
<p>C’était cependant oublier que les Tornados participaient au <a href="https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/forces-aeriennes-europeennes-mission-nucleaire-lotan-2019">« partage nucléaire »</a> dans le cadre de l’OTAN, ce pour quoi les Rafales ne sont pas équipés. C’était oublier, aussi, que l’on voyait mal la France permettre à l’Allemagne de partager un quelconque accès à la force de frappe française « sous double clé », comme elle le fait avec les États-Unis dans le cadre de l’OTAN. On est là au cœur des divergences franco-allemandes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>En 1963, de Gaulle avait cherché, en vain, à soustraire la RFA à l’influence américaine. L’Allemagne avait alors, sans équivoque possible, affirmé qu’il revenait à l’OTAN, dans le cadre de sa doctrine de dissuasion nucléaire, de garantir sa sécurité, et que la France, qui était en train de construire sa propre force de frappe nucléaire ; n’y suffirait pas. Pour compenser l’échec de la création d’une <a href="https://www.nytimes.com/1964/12/13/archives/multilateral-force-or-farce.html">« force multilatérale » (MLF)</a> au sein de l’OTAN – projet perçu en France, non sans raisons, comme la tentative de mettre la future force française de dissuasion sous tutelle américaine –, proposition avait été faite à l’Allemagne, qui avait accepté, de participer à la politique de dissuasion nucléaire de l’OTAN en armant des bombardiers allemands de l’arme nucléaire sous contrôle américain.</p>
<p>Depuis, et même si pendant la présidence de Donald Trump, l’Allemagne a pu <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2021-1-page-9.htm">être tentée</a> de commencer à se dégager de l’emprise américaine, rien n’a foncièrement changé. Certes, Berlin met davantage en avant la nécessité d’affirmer la « souveraineté européenne », reprenant en cela le vocabulaire du président français ; mais, en réalité, ce qui est mis en avant, c’est la nécessité pour l’Europe de prendre davantage de responsabilités au sein de l’OTAN, reprenant l’idée déjà ancienne, d’un pilier européen au sein de celle-ci.</p>
<p>C’est ce qu’a réaffirmé le chancelier allemand dans son discours de Prague du 29 août, puis dans le discours qu’il a tenu à Berlin le 16 septembre 2022 <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-de/suche/rede-von-bundeskanzler-scholz-bei-der-bundeswehrtagung-am-16-september-2022-2127078">devant la Conférence de la Bundeswehr</a>. Olaf Scholz y tire, sans fard, les leçons du « changement d’époque » provoqué par l’agression russe de l’Ukraine. Il insiste sur la nécessité, au-delà du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/04/l-allemagne-cree-un-fonds-special-pour-moderniser-la-bundeswehr_6128908_3210.html">fonds structurel de 100 milliards d’euros pour l’équipement de la Bundeswehr</a>, de porter le budget militaire de l’Allemagne à 2 % du PIB du pays. Il explicite également que l’objectif fondamental de la Bundeswehr est la défense du pays et de l’Alliance atlantique, et que l’Europe doit disposer d’un quartier général qui coordonne les opérations militaires décidées en commun. En matière d’équipement, il répète clairement que seule une plus grande coopération permettra de surmonter les concurrences entre entreprises de l’armement et les systèmes d’armement, et dit sa conviction qu’« une politique européenne commune d’équipement en matière d’armement » est possible. Il est plus que probable qu’il pensait ici à la réalisation du SCAF.</p>
<h2>Le SCAF enfin sur les rails ?</h2>
<p>Ce projet franco-allemand – auquel <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-espagne-rejoint-le-progamme-d-avion-de-combat-du-futur-scaf-20190214">l’Espagne s’est depuis associée</a> – remonte à un accord passé entre Emmanuel Macron et Angela Merkel en 2017. Il ne s’agit pas seulement de construire l’« avion du futur » destiné à remplacer à l’horizon 2040 le Rafale et l’Eurofighter, mais à constituer un ensemble associant à celui-ci des drones et à assurer la communication par l’intermédiaire d’un « cloud » numérique. Pendant des années, le projet a traîné, donnant le sentiment à Paris que Berlin n’en voulait pas et que la chancelière, comme dans les autres domaines de la relation franco-allemande, faisait attendre la France : elle louait les initiatives françaises, mais aux belles paroles ne succédaient pas les actes.</p>
<p>Pourtant, le 18 novembre 2022, la France et l’Allemagne ont fait état d’un <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/avion-de-combat-scaf-le-vrai-faux-accord-franco-allemand_836027">accord gouvernemental sur le SCAF</a>, un « grand pas » selon la présidence française : débloqué, le programme passera de la phase 1a à la phase 1b prévoyant la mise au point d’un prototype pour 2028.</p>
<p>L’accord prévoit une répartition des tâches entre Dassault, qui construirait l’essentiel du nouvel avion de combat, et Airbus, qui se chargerait prioritairement de la construction des drones et du « cloud ». On n’insiste pas trop, du côté français, sur le fait que les retards pris par le projet venaient largement de la réticence de Dassault Aviation à coopérer avec Airbus, société européenne certes issue de la coopération entre la France et l’Allemagne mais dont la culture d’entreprise fondée sur l’international s’accordait mal avec la gestion du fournisseur privilégié de l’armée française. Dassault renâcle aujourd’hui encore à des transferts de technologie vers son concurrent européen. Dassault Aviation a malgré tout confirmé le 1<sup>er</sup> décembre qu’il était disposé à signer un accord avec Airbus Defence and Space au prix d’un délai supplémentaire d’un an pour la sortie du prototype et la garantie que soit garantie la protection de ses secrets industriels.</p>
<h2>Le retour de la question de la centralité de l’Allemagne</h2>
<p>Une autre source de divergence franco-allemande porte sur l’élargissement de l’UE. L’Allemagne souhaite l’étendre assez rapidement aux Balkans occidentaux, comme l’a montré le <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-de/suche/bundeskanzler-scholz-nach-seiner-reise-auf-den-westbalkan-2052400">voyage du chancelier</a> dans cinq pays des Balkans les 10 et 11 juin derniers : le Kosovo, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et l’Albanie, les quatre derniers États ayant déjà le statut de candidat à l’entrée dans l’Union.</p>
<p>Pour Olaf Scholz, l’entrée de ces États doit avoir la priorité sur <a href="https://theconversation.com/lukraine-peut-elle-adherer-rapidement-a-lue-178842">celle de l’Ukraine</a> dont la préparation à l’intégration européenne durera, selon lui, plus longtemps. La guerre en Ukraine contribuerait par ailleurs à déstabiliser le couple franco-allemand par l’ouverture inévitablement plus grande de l’UE et de l’OTAN vers la Pologne et les Pays baltes. L’élargissement de l’UE et la guerre en Ukraine font ainsi naître la crainte d’une « nouvelle centralité » de l’Allemagne, la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/19/en-bouleversant-les-equilibres-en-europe-la-guerre-en-ukraine-destabilise-aussi-la-relation-franco-allemande_6146393_3232.html">France se retrouvant sur le flanc occidental de l’UE, et l’Allemagne en son centre, avec un rôle pivot</a>.</p>
<p>Géographiquement, la centralité de l’Allemagne ne peut être niée, mais est-ce bien nouveau ? Déjà dans <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-elargissements-de-l-union-europeenne-de-6-a-27-etats-membres/">l’Europe des Six</a> (1957-1973), l’Allemagne était au centre de l’Europe : elle était plus sensible aux évolutions en Europe de l’Est quand la France restait davantage orientée vers la Méditerranée et l’Afrique. Mais, à l’époque, les défenseurs de l’intégration européenne faisaient valoir, en France comme en Allemagne, qu’en créant de nouveaux équilibres cette construction permettait de dépasser la question des positionnements géographiques des États membres, puisque ceux-ci avaient, au sein de la Communauté européenne, les mêmes droits et les mêmes intérêts. Cet argument ne semble plus faire recette aujourd’hui, confirmant le repli des États nationaux sur eux-mêmes. La France redoute que l’élargissement de l’Union démultiplie les possibilités d’alliances entre États membres, ce que l’Allemagne semble davantage mettre à profit.</p>
<p>Ce devrait être une raison de plus pour les deux États – qui disposent d’instruments de coopération politique incomparable – d’intensifier leur dialogue et de mieux coordonner leur action en politique étrangère pour aboutir dans ce domaine, conformément à la formulation choisie en son temps dans le <a href="https://www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963.html">Traité de l’Élysée</a>, à des positions communes. Aujourd’hui, le moteur franco-allemand reste indispensable à la construction européenne mais avec l’élargissement de l’Union, si la coopération franco-allemande reste nécessaire, elle n’est plus, selon une formule devenue consacrée, suffisante. Il appartient aux deux pays de concilier autant que faire se peut leurs positions et de gagner à leur vision des choses autant de partenaires européens que possible…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Vaillant est affilié au parti Renaissance. Il est directeur de la publication de la revue Allemagne d'aujourd'hui éditée par l'Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui (ACAA) dont il est le secrétaire général.</span></em></p>Les récentes passes d’armes entre Paris et Berlin révèlent-elles une crise profonde, ou ne faut-il y voir qu’une brouille passagère ?Jérôme Vaillant, Professeur émérite de civilisation allemande, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917052022-10-06T18:32:41Z2022-10-06T18:32:41ZLe réarmement massif de la Pologne : causes, conséquences et controverses<p>À la faveur de la guerre en Ukraine, la Pologne a vu son image s’améliorer sensiblement en Europe. Varsovie a, en effet, massivement accueilli les réfugiés de guerre ukrainiens et fourni des armes à l’Ukraine, mettant à profit la proximité technique des matériels entre les deux pays.</p>
<p>Le gouvernement polonais a également marqué sa différence en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/16/visite-surprise-a-kiev-de-trois-premiers-ministres-europeens_6117720_3210.html">envoyant son premier ministre à Kiev dès mars 2022</a> en même temps que ses homologues tchèque et slovène, soit trois mois avant que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/16/emmanuel-macron-en-visite-de-rattrapage-a-kiev_6130551_3210.html">chefs d’État et de gouvernement allemand, français et italien</a> en fassent de même. Le parti de droite Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, s’est appuyé sur les atermoiements dont certaines capitales ouest-européennes ont fait preuve au début du conflit pour tenter d’accréditer la thèse d’un <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2022/04/28/poland-now-true-leader-free-europe/">glissement du leadership européen vers l’est de l’UE</a>.</p>
<p>De plus, en donnant davantage de visibilité aux enjeux de sécurité du flanc Est de l’OTAN, le conflit a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/16/mateusz-morawiecki-la-guerre-en-ukraine-a-aussi-revele-la-verite-sur-l-europe_6138131_3232.html">semblé valider les positions dures de Varsovie à l’égard de la Russie</a> – des positions qui font du reste l’objet d’un solide consensus en politique intérieure depuis plusieurs décennies, au moins en apparence.</p>
<p>Dans ce contexte, le ministère polonais de la Défense multiplie depuis quelques mois les <a href="http://www.opex360.com/2022/08/31/la-pologne-va-plus-que-doubler-ses-depenses-militaires-en-2023/">annonces en matière d’achats d’armements</a>, avec l’objectif revendiqué de construire une « grande armée » capable de résister au choc d’une agression armée de la Russie. L’analyse de cette politique de réarmement fait apparaître des lignes de division dans le consensus pro-occidental des élites politiques polonaises. Elle permet également de mettre en évidence les contours de l’ordre géopolitique que le PiS appelle de ses vœux, en Europe et au-delà.</p>
<h2>Un effort militaire sans précédent</h2>
<p>Le gouvernement, qui a annoncé que 3 % du budget seraient désormais consacrés à la défense, entend modifier le format de l’armée de terre, qui devrait <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/new-divisions-of-the-polish-army-equipped-with-modern-weapons-will-be-established">passer de quatre à six divisions</a> ; elle disposerait ainsi à terme de près de 300 000 combattants, contre 115 000 actuellement. Elle verrait également sa puissance de feu considérablement augmenter, en cohérence avec la <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/polish-defence-in-the-perspective-of-2032">doctrine de défense du pays</a>, qui exclut les frappes préventives mais vise à dissuader toute agression armée.</p>
<p>L’activisme de Varsovie porte aussi bien sur des acquisitions d’armements « sur étagère » (c’est-à-dire déjà existants) que sur des partenariats susceptibles de renforcer l’industrie nationale de l’armement.</p>
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<p>Les futures acquisitions devraient porter sur des chars lourds et des hélicoptères américains, ainsi que sur des missiles HIMARS, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-artillerie-de-precision-modifie-l-equilibre-en-ukraine-selon-des-experts-15-07-2022-2483421_24.php">dont l’efficacité a été prouvée lors des combats en Ukraine</a>. D’autres contrats ont été conclus <a href="http://www.opex360.com/2022/05/30/la-pologne-mise-sur-la-coree-du-sud-pour-se-doter-dobusiers-et-de-vehicules-de-combat-dinfanterie/">avec la Corée du Sud</a>, notamment pour renforcer l’artillerie en nouveaux canons automoteurs. Surtout, les achats auprès de Séoul semblent inclure des transferts de technologie et des coopérations qui pourraient, à terme, rendre plus autonome l’industrie de défense polonaise, et même la poser en concurrente de ses homologues ouest-européennes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Défense internationale : l’Ukraine a changé toutes les perspectives de réarmement du monde, France 24, 15 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Ce processus de modernisation ferait alors de l’armée de terre polonaise la plus puissante en Europe. Le site Méta Défense <a href="https://meta-defense.fr/2022/07/26/pologne-et-coree-du-sud-sassocient-sur-le-long-terme-pour-une-cooperation-industrielle-defense-ambitieuse/">souligne</a> ainsi le « renforcement spectaculaire des capacités des armées polonaises, qui aligneront à la fin de la décennie 1 500 chars modernes, autant de véhicules de combat d’infanterie, 1200 systèmes d’artillerie mobile et plusieurs milliers de blindés légers, soit davantage que les forces françaises, allemandes, britanniques, italiennes, néerlandaises et belges réunies ».</p>
<p>Au fil de ces annonces, les industries de défense de l’UE ont cependant été systématiquement écartées au profit d’équipements américains ou britanniques, ainsi que coréens (après Airbus, c’est l’Italien Leonardo qui a fait les frais du choix polonais en faveur des <a href="https://www.flightglobal.com/helicopters/poland-to-buy-almost-100-apaches-as-defence-spending-accelerates/150126.article">hélicoptères Apache produits par Boeing</a>). Récemment, le ministère de la Défense a englobé sa nouvelle politique sous le label de « Model 2035 », même si les orientations générales de ce plan n’ont pas été communiquées à ce jour.</p>
<h2>Le PiS préfère « le grand large » à l’UE</h2>
<p>L’ensemble de ces annonces illustre « l’imaginaire géopolitique » <a href="https://www.e-ir.info/2018/02/27/introducing-realism-in-international-relations-theory/">réaliste</a> qui travaille le PiS et une large partie des milieux conservateurs polonais, et éclaire incidemment leurs positions européennes.</p>
<p>Depuis le début des années 1990, la droite polonaise privilégie l’intégration à l’OTAN par rapport à l’appartenance à l’UE, tandis que les libéraux et les modérés affichent plus ouvertement des positions favorables à l’intégration européenne. Même si de telles nuances ont longtemps été noyées dans le souci plus général de rejoindre dans un même mouvement les organisations internationales européennes et occidentales, elles prennent aujourd’hui une vigueur inédite.</p>
<p>Pour le PiS, l’appartenance au camp occidental est avant tout assimilée à l’OTAN, tandis que l’UE apparaît comme un espace secondaire, d’autant qu’elle n’hésite pas à aller au bras de fer avec Varsovie quand elle estime que le gouvernement polonais s’affranchit de certains principes européens. </p>
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<figcaption><span class="caption">Pologne : fonds européens sous conditions, Euronews, 2 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>L’annonce de nouvelles coopérations avec la Corée du Sud montre clairement que le gouvernement PiS entend s’affranchir de toute dépendance et de toute solidarité interne à l’UE en matière de défense, pour créer des partenariats susceptibles de faire basculer le pays de sa position périphérique vers un statut d’acteur global.</p>
<p>On peut relier ces orientations aux tentatives amorcées dès janvier 2022 de créer une <a href="https://kafkadesk.org/2022/05/30/uk-proposes-european-commonwealth-with-poland-ukraine-and-baltics/">nouvelle alliance avec la l’Ukraine et le Royaume-Uni</a>, après le Brexit, lui-même adossé à une <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-facts/what-is-global-britain/">idéologie de Global Britain</a>. En creux, s’affichent ainsi des préférences idéologiques souverainistes, qui montrent que l’UE n’est aux yeux du PiS que l’une des modalités d’accès à la globalisation libérale, plus qu’un projet d’intégration et de solidarités nouvelles entre États-membres.</p>
<h2>Un réarmement tous azimuts qui ne fait pas l’unanimité</h2>
<p>Ces annonces se sont toutefois retrouvées sous le feu des critiques de l’opposition, qui tente de constituer une coalition pour les élections de 2023, autour de la Plateforme civique (PO), le parti de Donald Tusk. Les partis d’opposition dénoncent l’improvisation, l’incohérence et le peu de crédibilité de cette politique, au regard des perspectives économiques et démographiques du pays ; ils tentent, fait nouveau, d’en faire l’un des thèmes de la campagne électorale à venir, comme l’a montré le <a href="https://tvn24.pl/polska/warszawa-spotkanie-liderow-opozycji-donalda-tuska-wladyslawa-kosiniaka-kamysza-szymona-holowni-i-wlodzimierza-czarzastego-6120960">récent colloque</a> consacré à ces enjeux par deux anciens présidents polonais, Aleksander Kwasniewski et Bronislaw Komorowski.</p>
<p>De plus, si les partis d’opposition ont unanimement soutenu la <a href="http://dziennikzbrojny.pl/aktualnosci/news,1,11684,aktualnosci-z-polski,nawet-137-mld-pln-na-obronnosc-w-2023-roku">loi « Défense de la patrie » qui porte à 3 % du budget l’effort en matière de défense</a>, certaines voix dénoncent la surenchère de Jaroslaw Kaczynski, président du PiS et véritable leader du gouvernement, qui soutient que ce ratio devrait à l’avenir <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/poland-to-spend-5-of-gdp-on-defence/">atteindre les 5 %</a>.</p>
<p>Selon d’anciens ministres de la Défense qui ont occupé ce poste entre 2011 et 2015 dans le gouvernement de la PO, comme <a href="https://www.rmf24.pl/tylko-w-rmf24/siedem-pytan-o-7-07/news-siemoniak-o-modernizacji-polskiej-armii-mamy-tylko-festiwal-,nId,6295603#crp_state=1">Tomasz Siemoniak</a>, cette frénésie d’acquisitions va conduire à l’empilement de systèmes d’armes hétérogènes et se faire au détriment de l’industrie locale. Pour donner du poids à cet argument, ils rappellent que le directeur de l’entreprise polonaise produisant des canons automoteurs <a href="https://defence24.pl/przemysl/prezes-hsw-zlozyl-rezygnacje">a récemment démissionné</a>, pour protester contre le choix d’un nouvel équipement développé avec la Corée du Sud.</p>
<p><a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/helicopteres-caracal-quand-la-pologne-fache-tout-rouge-la-france-605889.html">L’affaire des Caracals français</a>, qui date de 2016, ressurgit également, à travers des fuites de mails internes au gouvernement appelant à tout faire pour <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,27990878,jak-mowic-o-klesce-caracali-medialna-instrukcja-w-mailach-dworczyka.html">instiller dans le débat public l’idée que ces appareils étaient peu performants</a>. Les hélicoptères Caracals d’Airbus devaient être livrés à la Pologne entre 2017 et 2022, tandis que les 96 Apache américains viennent à peine d’être commandés et que seules 18 livraisons sont pour l’instant actées – et ce, en dehors de toute procédure d’appel d’offre, au grand dam de l’opposition.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1568275564007505921"}"></div></p>
<p>Celle-ci dénonce d’autres goulets d’étranglement, par exemple avec les HIMARS, dont la production est lente et doit être répartie entre l’armée américaine elle-même et les clients des États-Unis.</p>
<p>Les leaders de l’opposition dénoncent, <em>last but not least</em>, les positions anti-européennes du PiS et soulignent que l’UE doit être l’un des espaces de coopération occidentale en matière de défense. Ces critiques attestent d’un réaménagement au sein du consensus pro-atlantique, comme si les ambiguïtés de celui-ci ne résistaient pas au contexte nouveau de la guerre en Ukraine. Au total, les <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,28760915,po-chce-po-wygranych-wyborach-przejrzec-wojskowe-kontrakty-blaszczaka.html">partis d’opposition promettent de revoir l’ensemble de cette politique</a> en cas de victoire aux élections de 2023.</p>
<h2>Des projets annulés si le PiS perd en 2023 ?</h2>
<p>De fait, l’actuelle politique de réarmement se déploie dans un contexte électoral de plus en plus défavorable au PiS, <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/poland/">dont les intentions de vote s’effritent dans les sondages</a>. À la crise du Covid sont venues s’ajouter <a href="https://www.reuters.com/markets/europe/polish-inflation-could-rise-september-finance-minister-says-2022-09-24/">l’inflation</a>, la plus élevée depuis les années 1990 (près de 16,4 % en 2022) et diverses crises mal gérées par le gouvernement, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/110698-000-A/catastrophe-de-l-oder-la-pologne-en-eaux-troubles/">comme la catastrophe écologique de l’Oder durant l’été 2022</a>.</p>
<p>L’explosion des prix de l’énergie et les <a href="https://tvn24.pl/biznes/z-kraju/wegiel-braki-w-polsce-lukasz-horbacz-z-izby-gospodarczej-sprzedawcow-polskiego-wegla-podaje-liczby-6126542">pénuries apparaissant sur le marché du charbon</a> pour les particuliers risquent en outre de pénaliser les groupes les plus enclins à voter pour le PiS (ménages âgés ou ruraux, zones géographique de moindre dynamisme économique), qui pourraient moins se mobiliser aux législatives de l’année prochaine.</p>
<p>Dans cette situation difficile, l’activisme du PiS en matière de défense et de discours souverainiste permet de raviver des lignes de clivage et de polariser le jeu politique, notammennt en jouant la carte anti-allemande. Jaroslaw Kaczynski a récemment déclaré, à propos de <a href="https://theconversation.com/lallemagne-face-a-la-guerre-en-ukraine-un-changement-depoque-189861">l’effort de défense annoncé en Allemagne par Olaf Scholz</a> qu’on pouvait <a href="https://goodwordnews.com/polands-kaczynski-raises-the-german-threat/">« se demander contre qui il était dirigé »</a> – réactivant une fois de plus un vieux mantra de la <a href="https://histmag.org/Propaganda-antyniemiecka-PRL-Pogrobowcy-Hitlera-z-NRF-16172">propagande du pouvoir communiste</a> d’avant 1989 qui faisait de l’Allemagne fédérale une menace pour la paix en Europe.</p>
<p>En outre, le PiS a réussi à imposer dans le débat public la question des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/01/la-pologne-veut-negocier-avec-berlin-des-reparations-pour-les-pertes-liees-a-la-seconde-guerre-mondiale-qu-elle-estime-a-1-300-milliards-d-euros_6139858_3210.html">réparations que l’Allemagne devrait à la Pologne pour les destructions de la Seconde Guerre mondiale</a>. Reste qu’il n’est pas certain que, cette fois, ces « grosses ficelles » électorales fonctionnent aussi bien que par le passé. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191705/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ambitieux programme de réarmement de la Pologne illustre la vision géopolitique du parti au pouvoir, qui fait la part belle à Washington, Londres et même Séoul au détriment des pays de l’UE.Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1919022022-10-05T14:32:06Z2022-10-05T14:32:06ZSerait-ce le début de la fin pour Vladimir Poutine ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/488311/original/file-20221005-14-zvm931.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C0%2C4071%2C2741&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président russe Vladimir Poutine lors d'une rencontre avec la ministre russe de la Culture à Moscou, le 3 octobre 2022. Son emprise sur la Russie s'effrite à mesure que la guerre qu'il a lancée en Ukraine s'enlise.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Gavriil Grigorov, Sputnik, Kremlin/Pool Photo via AP)</span></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://information.tv5monde.com/info/direct-ukraine-annexion-par-la-russie-de-quatre-regions-ukrainiennes-un-discours-de-vladimir">étranges cérémonies</a> de Vladimir Poutine officialisant l’annexion 15 % du territoire ukrainien révèlent encore une fois le gouffre béant entre le triomphalisme du Kremlin et la réalité.</p>
<p>Peu importe que les forces russes <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-63072113">n’aient jamais entièrement contrôlé</a> les territoires maintenant sous le drapeau russe. Peu importe que les « référendums » organisés par la Russie n’aient été qu’un simulacre éhonté où les électeurs votaient <a href="https://www.tf1info.fr/international/guerre-ukraine-russie-referendums-d-annexion-en-ukraine-porte-a-porte-soldats-armes-et-vote-oral-la-tres-polemique-organisation-des-votes-2233575.html">sous la menace</a>. Peu importe que davantage de Russes <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/ces-trois-graphiques-montrent-comment-les-russes-fuient-pour-echapper-a-la-mobilisation-en-ukraine-b66e665c-3d73-11ed-8fdd-0c50a46087ee">aient fui le pays</a> que la nouvelle cible de mobilisation, 300 000 hommes, pour soutenir un effort de guerre de plus en plus chancelant. Et peu importe que les forces russes battent en retraite dans les territoires annexés — les Ukrainiens ont libéré la ville stratégique de <a href="https://thepressfree.com/humiliation-pour-vladimir-poutine-alors-que-les-ukrainiens-liberent-la-ville-cle-de-lyman-ukraine/">Lyman</a> moins de 24 heures après l’annonce de son annexion.</p>
<p>Les élucubrations vitrioliques de Vladimir Poutine devant un auditoire fort peu enthousiaste étaient une accumulation de petites phrases d’un goût douteux. Il a qualifié l’<a href="https://nouvelles-dujour.com/poutine-declare-la-guerre-sainte-au-satanisme-occidental/">Occident</a> de satanistes aux « genres divers », appelant à la guerre sainte contre les épouvantails transsexuels occidentaux. Il a qualifié les Américains de <a href="http://kremlin.ru/events/president/news/69465">néo-colonialistes</a>, alors qu’il annonçait lui-même la recréation d’un empire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1575967494657179648"}"></div></p>
<p>Il a évoqué Catherine la Grande, affirmé que le sud de l’Ukraine a toujours été russe et invoqué plusieurs fois le vieux terme impérial « Novorossiya ». Dans ce tsunami de fiel xénophobe, Vladimir Poutine a à peine mentionné l’expansion de l’OTAN — laquelle était censée avoir provoqué l’invasion russe en plaçant celle-ci devant un danger existentiel.</p>
<p>Mais si le président russe fait tout ce cinéma, c’est parce qu’il a certainement parié sa survie politique sur une « victoire ». Or, les signes se multiplient que son emprise commence à s’effriter, même si sa disparition n’est pas pour demain.</p>
<h2>Les crises existentielles engendrent des crises internes</h2>
<p>Les dictateurs finissent souvent mal pour avoir visé trop haut. De même, la nouvelle fragilité de Poutine découle de ses propres choix. Par son obsession à redonner à la Russie ses frontières prétendument historiques et par ses accusations contre la décrépitude morale du monde occidental, Poutine a créé sa propre menace existentielle.</p>
<p>Ses forces conventionnelles se sont révélées être une <a href="https://www.24heures.ca/2022/06/01/la-guerre-en-ukraine-un-desastre-tactique-pour-larmee-russe">illusion d’optique</a> : mal entraînées, mal dirigées, désespérément corrompues et souvent mal équipées. Sa désastreuse campagne ukrainienne est en passe de devenir une menace interne que son message intérieur a du mal à expliquer.</p>
<p>Les « glorieuses victoires russes », après s’être enlisées, se transforment en déroute et les <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220913-cachez-cette-contre-offensive-ukrainienne-que-les-m%C3%A9dias-russes-ne-sauraient-voir">propagandistes du Kremlin</a> se savent plus où donner de la tête pour éteindre les feux. Faire passer les défaites pour des revers temporaires ne peut faire qu’un temps. Et il y a des limites à inventer des boucs émissaires en prétendant que les forces de l’OTAN combattant aux côtés des Ukrainiens ou que ceux qui commandent les forces russes manquent de patriotisme.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1569438668275974146"}"></div></p>
<p>Tôt ou tard, il deviendra évident que le principal responsable de ce gâchis est le seul homme que personne n’a le droit de critiquer : Vladimir Poutine.</p>
<p>Il y a quelques jours, <a href="https://twitter.com/M_Simonyan/status/1576522714093096960?s=20&t=y3sAnH1HFcxcbkbJVx7thw">Margarita Simonyan</a>, rédactrice en chef des publications en langue anglaise du réseau d’actualités RT (ex-Russia Today) et de l’agence gouvernementale d’informations Rossia Segodnia, s’est soudainement dissociée de la politique, affirmant qu’elle n’a aucune autorité politique.</p>
<p>Un dictateur devrait s’inquiéter lorsque ses loyaux porte-parole commencent à prétendre à l’impartialité.</p>
<h2>Poutine abandonne le centre</h2>
<p>Le poutinisme demeure une énigme. Même si personne depuis Staline n’a régné aussi longtemps au Kremlin, Vladimir Poutine n’a jamais formulé une vision directrice pour la Russie. Il ne s’est jamais identifié à une position idéologique particulière. En fait, il n’est même pas membre de Russie unie, le parti qui représente ses intérêts au parlement russe.</p>
<p>Vladimir Poutine a présidé un gouvernement autoritaire centralisé, montant les différentes cliques du Kremlin les <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/how-the-putin-regime-really-works/">une contre les autres</a>, tout en promouvant ses amis, avec une <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2022/03/22/au-pays-de-poutine-la-purge-suit-la-guerre-ERODZ7HZZZHY7PEJNRCUH2WFFI/">petite purge occasionnelle</a> pour faire bonne mesure.</p>
<p>Le gouvernement russe pratique normalement un système de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2336825X211061488">négociations bureaucratiques</a> entre les ministères régaliens et certaines personnalités d’envergure assez similaire aux méthodes de gouvernance occidentale. Mais dans la Russie actuelle, l’autorité de Vladimir Poutine est telle que les débats sur les orientations politiques sont court-circuités. Tout passe par la volonté d’un seul individu.</p>
<p>Cela a plutôt servi le président jusqu’ici en le faisant passer pour « centriste » entre les extrêmes ultranationalistes et communistes, tout en le tenant à l’écart de la politique partisane.</p>
<p>Mais les échecs militaires l’obligent désormais à <a href="https://theconversation.com/vladimir-poutine-deborde-par-lextreme-droite-russe-191137">composer avec l’extrême droite</a>. Celle-ci n’a jamais complètement soutenu Poutine, même si elle lui reste redevable de son influence politique. Mais ce camp jouit d’une faible faveur populaire et ses dirigeants se font fréquemment ridiculiser.</p>
<p>Vladimir Poutine mise plutôt sur le sentiment populaire envers lui. Dans cette démocratie bidon, il a peu de chance d’être destitué par scrutin et la population est peu portée aux manifestations publiques.</p>
<p>Il est à craindre qu’il prenne des mesures encore plus impopulaires que le fiasco de sa <a href="https://www.tf1info.fr/international/guerre-ukraine-russie-poutine-demande-de-corriger-les-erreurs-dans-la-mobilisation-2233892.html">mobilisation partielle</a> bâclée.</p>
<p>Ses détracteurs, comme le dirigeant tchétchène <a href="https://www.tf1info.fr/international/guerre-ukraine-russie-le-president-tchetchene-kadyrov-appelle-a-utiliser-des-armes-nucleaires-de-faible-puissance-2234055.html">Ramzan Kadyrov</a>, l’appellent à déclarer la loi martiale dans les régions frontalières et à utiliser des armes nucléaires tactiques contre l’Ukraine. De telles mesures accéléreraient non seulement la défaite militaire, mais elle affaiblirait encore davantage Vladimir Poutine sur le plan intérieur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1574308164664791041"}"></div></p>
<h2>Des boucs émissaires pour un échec collectif</h2>
<p>Par le passé, Poutine a pu procéder à des purges en toute impunité. Les militaires, les services de sécurité, les oligarques ont tous eu à subir ses foudres.</p>
<p>Mais les échecs russes en Ukraine ne se réduisent plus à quelques mauvais généraux ou à du mauvais renseignement. Leur caractère systématique révèle des failles dans la stratégie, la planification militaire, la gestion économique, l’analyse du renseignement et la direction politique.</p>
<p>Plus les échecs s’accumulent, moins la désignation de boucs émissaires par Poutine est tenable. <a href="https://foreignpolicy.com/2022/07/20/why-russia-keeps-losing-generals-ukraine/">Les chefs militaires ont été remplacés</a> et le président donnerait désormais des ordres directement aux commandants sur le terrain, refusant notamment de leur permettre de se replier et de se regrouper.</p>
<p>Les évaluations des services de renseignement, selon lesquelles les Ukrainiens allaient accueillir les envahisseurs russes, avaient pour prémisse un <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/putins-new-ukraine-essay-reflects-imperial-ambitions/">essai</a> de 2021 signé Vladimir Poutine qui dépeignait les Ukrainiens comme de vulgaires rebelles russes. La confiance excessive de Moscou dans son <a href="https://www.forbes.com/sites/johnhyatt/2022/03/08/sanctions-on-russian-fund-show-dashed-hope-of-moscows-cooperation-with-democracies/?sh=1066c529a431">fonds souverain</a> n’a pas suffi à protéger des pans vitaux de son économie contre les sanctions occidentales.</p>
<p>Et l’Occident est ressorti plus résolu que jamais devant sa tentative <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220928-fuite-des-gazoducs-nord-stream-les-th%C3%A9ories-derri%C3%A8re-le-sabotage">d’instrumentaliser l’énergie russe</a> à des fins militaires.</p>
<p>Bien sûr, rien de tout cela ne signifie que Poutine sera renversé demain. Il conserve un solide contrôle sur la population russe et sur ceux qui le servent parmi les élites. Mais ses démonstrations de force, si intenses soient-elles, trahissent sa vulnérabilité croissante. Sa décision de mobiliser a rompu son contrat avec le peuple. Et en rejetant la responsabilité de l’échec sur ses subordonnés, il incite, pour la première fois, les élites à s’unir contre lui.</p>
<p>Pour avoir une idée précise de l’évolution de la situation politique, il suffit de constater la confiance renouvelée du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Celui qui avait survécu de justesse à une tentative de décapitation russe en février appelle désormais ouvertement à un <a href="https://www.nouvelobs.com/guerre-en-ukraine/20220930.OBS63911/l-ukraine-va-demander-formellement-son-adhesion-acceleree-a-l-otan.html">changement de régime</a> en Russie. Il refuse toute négociation tant que son adversaire sera président de la Fédération de Russie. « Nous négocierons avec le nouveau président », a-t-il dit.</p>
<p>La fin de Vladimir Poutine pourrait arriver plus tôt que vous ne le pensez.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191902/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthew Sussex a reçu des fonds du Conseil australien de la recherche, de la Commission Fulbright, de la Fondation Carnegie et de diverses agences gouvernementales australiennes.
</span></em></p>Les signes se multiplient que l’emprise de Vladimir Poutine sur la Russie commence à s’effriter, même si sa disparition n’est pas pour demain.Matthew Sussex, Fellow, Strategic and Defence Studies Centre, Australian National UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1906222022-09-18T16:00:56Z2022-09-18T16:00:56ZFace à la contre-offensive ukrainienne, la Russie hésite sur la communication à adopter<p>Ce mois de septembre aura vu l’Ukraine mener des contre-offensives couronnées de succès aussi bien dans la région de Kharkiv (nord-est) que dans celle de Kherson (sud). <a href="https://theconversation.com/lukraine-contre-attaque-jusquou-190288">Kiev a récupéré des milliers de kilomètres carrés</a> précédemment occupés par l’armée russe.</p>
<p>Ces attaques ont été accompagnées par la diffusion de nombreuses images de <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/en-ukraine-des-soldats-russes-volent-des-velos-pour-fuir-les-combats-211717">forces russes fuyant les combats dans un relatif mouvement de panique</a> excluant un quelconque repli stratégique organisé – elles auraient d’ailleurs laissé derrière elles une <a href="https://www.newsweek.com/russians-leave-ammunition-tanks-retreating-kharkiv-photo-1742120">grande quantité d’équipements militaires</a> en état de marche.</p>
<p>Face à cette avancée ukrainienne et au repli désordonné des forces russes, les principaux canaux de propagande du Kremlin ont été contraints de revoir en catastrophe le discours qu’ils martelaient jusque-là, à destination aussi bien de l’opinion russe que du reste du monde.</p>
<h2>Le recul de l’armée et le flottement des médias</h2>
<p>Depuis quelques jours, les images de territoires reconquis par les forces ukrainiennes déferlent sur les blogs, mais aussi sur les réseaux sociaux. Si certains d’entre eux sont bloqués en Russie, de nombreux habitants <a href="https://theconversation.com/un-manuel-de-survie-numerique-pour-sinformer-et-eviter-la-censure-en-russie-181889">savent contourner ces blocages</a>. Bien que le Kremlin ait tenté de bloquer l’accès aux informations objectives sur l’invasion de l’Ukraine, il lui est néanmoins <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=22818&cidrevue=848">difficile de nier la réalité de faits vérifiables</a>. Dans ce contexte, les médias russes ont adopté un discours qui semblait flotter, faute de ligne directrice claire.</p>
<p>À titre d’exemple, le 11 septembre, la <a href="https://rg.ru/2022/09/11/ekipazh-mi-35-vs-rf-sorval-popytku-ukrainskih-vojsk-navesti-perepravu-v-kupianskom-rajone-harkovskoj-oblasti.html">Rossiyskaya Gazeta</a>, un organe de presse connu pour sa proximité avec le pouvoir, tentait de minimiser les gains ukrainiens. La manœuvre était assez malhabile, car si l’article encensait une opération menée par un hélicoptère MI-25 russe pour interdire le passage d’un fleuve aux forces ukrainiennes, il suffisait aux lecteurs de consulter une carte pour s’apercevoir que le lieu même de cette opération était situé à l’arrière des territoires préalablement contrôlés par la Russie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1568940469484224514"}"></div></p>
<p>Plus symptomatique, alors que les médias proches du pouvoir avaient toujours réagi rapidement aux évolutions du conflit en restant dans la ligne indiquée, on observe une forme de latence dans la construction d’un discours positif sur le déroulement récent de l’opération spéciale.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Parallèlement, des chaînes Telegram commencent à relayer une rhétorique cherchant à relativiser les mérites des forces ukrainiennes et, symétriquement, les revers russes. Si elle n’est pas nouvelle, une rhétorique bien rodée refait aujourd’hui surface pour expliquer que les difficultés des forces russes sont moins imputables à l’armée ukrainienne qu’à l’OTAN qui aurait déployé des forces sur place, et au concours de combattants étrangers autonomes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1568748943567110152"}"></div></p>
<h2>Une possible capitalisation par les conservateurs russes ?</h2>
<p>Ce type d’argumentaire est mis en avant par les conservateurs russes et la branche dure des nationalistes. Ils en tirent la conclusion que, puisqu’il a affaire non seulement aux forces ukrainiennes mais aussi à une coalition otanienne qui ne dit pas son nom, le Kremlin devrait mettre fin à la « retenue » dont il a fait preuve jusqu’ici et frapper l’Ukraine de façon plus violente. Cette frange s’est donc félicitée des tirs de missile russes, le 12 septembre, ayant visé des <a href="https://www.theguardian.com/world/live/2022/sep/11/ukraine-russia-war-zaporizhzhia-nuclear-power-plant-has-shut-down-says-operator-live?page=with:block-631e7ceb8f087fa006e15a1">infrastructures civiles à Kharkiv et ailleurs</a>, ce qui a pour un temps privé des millions de personnes d’eau et d’électricité.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : Kharkiv dans le noir, la centrale électrique visée, TF1, 12 septembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Cette <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9780230101234">partie la plus à droite</a> du spectre politique russe avait déjà été crispée par l’assassinat, le 20 août dernier, de Daria Douguina, fille du célèbre idéologue eurasiste Alexandre Douguine et elle-même étoile montante de cette mouvance. Moscou a rapidement <a href="https://www.vanityfair.fr/actualites/article/assassinat-de-daria-douguina-sans-preuve-les-renseignements-russes-pointent-un-second-coupable-ukrainien">imputé le crime à l’Ukraine</a>, laquelle conteste toute implication et déclarant que <a href="https://www.aa.com.tr/en/russia-ukraine-war/ukraine-denies-accusations-it-killed-russian-journalist-dugina/2667885#">ce sont les services russes</a> qui sont derrière l’explosion meurtrière.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-national-bolchevisme-a-leurasisme-qui-est-vraiment-alexandre-douguine-189515">Du national-bolchévisme à l’eurasisme, qui est vraiment Alexandre Douguine ?</a>
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<p>Beaucoup ont voulu, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/cion_def/l15cion_def1920023_compte-rendu">à tort</a>, présenter Douguine comme une éminence grise de Vladimir Poutine. Il était néanmoins une figure incontournable de l’eurasisme, un courant idéologique protéiforme né dans les années 1920 et ayant connu une renaissance dans les années 1990. À ce titre, l’attentat qui le visait probablement et qui a emporté sa fille pourra avoir un <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2022/08/22/putin-under-fire-from-the-ultranationalists-after-daria-dugina-s-assassination_5994386_4.html">effet sur les franges les plus conservatrices</a>. L’eurasisme étant un courant largement répandu et Douguine une figure célèbre, cet épisode a pu contribuer à radicaliser encore davantage ceux qui reprochent au président russe une position trop molle.</p>
<p>En outre, le discours russe s’appuie de longue date sur la thématique de la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-2-page-111.htm">« forteresse assiégée »</a> où la peur sert de levier pour fédérer la population autour d’un pouvoir fort réputé seul capable de la protéger. Or cette approche n’est efficace que si le pouvoir est en situation de garantir effectivement la sécurité de ses concitoyens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1569641576317521920"}"></div></p>
<p>À cet égard, l’attentat du 20 août, s’il permet de justifier la poursuite de l’action militaire en Ukraine, vient fragiliser la crédibilité de cette efficience sécuritaire. Même si cette attaque est exploitée pour justifier l’« opération spéciale » en Ukraine, il reste qu’elle risque de renforcer la position des conservateurs qui pourraient, à l’image de la famille Douguine, en venir à craindre pour leur sécurité. Il pourrait en découler une montée des tensions entre ces courants politiques radicaux et le pouvoir en place, au détriment du Kremlin.</p>
<h2>Un enjeu temporel</h2>
<p>Enfin, derrière les opérations militaires actuellement en cours en Ukraine, le temps peut représenter un enjeu pour les deux camps. Pour la Russie, qui sera obligée de modifier sa stratégie suite à la contre-offensive, il pourrait s’agir de tenir bon en limitant ses pertes, dans l’attente que l’hiver lui vienne en aide, militairement et politiquement.</p>
<p>Le Kremlin pourrait alors tenter de contenir le recul de ses forces tout en pariant simultanément sur une lassitude des Occidentaux. Cette dernière serait nourrie par des mouvements d’opinions publiques soumises à la double pression de l’inflation et d’une <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/energie/les-prix-du-gaz-en-europe-pourraient-encore-augmenter-de-60-avertit-gazprom_824393">possible crise énergétique aggravée par l’hiver</a>. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’en Occident, des voix dont une certaine proximité avec Moscou a pu être mise en lumière prêchent plus que jamais pour une <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-politique/jordan-bardella-estime-que-les-sanctions-prises-contre-les-russes-ne-servent-qu-a-enrichir-la-russie-et-se-retournent-contre-nous_VN-202209040150.html">levée des sanctions</a>, ce qui donnerait un ballon d’oxygène à l’économie et au pouvoir russe, accroissant d’autant sa capacité d’endurance.</p>
<p>Pour l’Ukraine aussi, il s’agit de ne pas méconnaître le facteur temps. L’arrivée prochaine de l’hiver, qui ralentit traditionnellement le cours des opérations militaires, accentue l’importance de reprendre au plus vite un maximum de terrain sur les zones occupées, mais aussi de stabiliser ces gains territoriaux, ce qui est gourmand en ressources. En outre, le soutien occidental est primordial pour l’Ukraine qui, toujours tributaire d’armements et d’appuis financiers extérieurs, doit pouvoir montrer que cette aide est fructueuse afin d’entretenir la motivation des États qui la soutiennent.</p>
<p>Il reste que des <a href="https://www.economist.com/europe/2022/09/03/the-g7-plans-to-cap-russian-oil-prices">discussions sont en cours en Europe pour plafonner le prix du gaz et du pétrole russes</a> ; si ces mesures sont prises, Moscou pourrait jouer d’autres cartes pour gagner du temps et ralentir les mouvements militaires ukrainiens. Si la création d’une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/guerre-en-ukraine-zelensky-accuse-la-russie-apres-de-vastes-coupures-d-electricite_2180016.html">zone neutre autour de la centrale nucléaire de Zaporijia</a> est fréquemment évoquée, la négociation d’un traité portant sur cette structure civile pourrait être un biais mis à profit pour gagner du temps sur le terrain militaire, au moins dans cette zone géographique, tout en exerçant une certaine pression sur les Occidentaux. La machine rhétorique russe pourrait, là encore, tenter de tisser un discours positif visant à présenter ces manœuvres à l’avantage du Kremlin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190622/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Dugoin-Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les médias du Kremlin ont été pris de court par la surprenante contre-offensive ukrainienne. Pendant ce temps, l’extrême droite russe se montre plus véhémente que jamais.Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris - Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1898612022-09-12T22:45:56Z2022-09-12T22:45:56ZL’Allemagne face à la guerre en Ukraine, un « changement d’époque » ?<p><em>Cet article est la version abrégée d’un article à paraître dans le tome 54,2-2022 de la <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/">Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande</a>.</em></p>
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<p>« Nous vivons un changement d’époque », a déclaré le chancelier social-démocrate Olaf Scholz lors de la <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20220227-replay-le-chancelier-allemand-olaf-scholz-s-exprime-au-bundestag">session extraordinaire du <em>Bundestag</em></a> du 27 février 2022, en référence à l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui avait commencé trois jours plus tôt. Il a répété cette même formule lors du <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/08/29/discours-de-prague-comprendre-le-tournant-de-scholz-sur-lunion/">discours de politique générale européenne</a> qu’il a prononcé le 29 août dernier à l’université Charles à Prague.</p>
<p>Ce « changement d’époque » (« Zeitenwende ») est notamment marqué, pour Berlin, par une nouvelle politique étrangère, plus engagée dans les conflits internationaux, à commencer, bien entendu, par la guerre en Ukraine.</p>
<h2>La fin d’une tradition bien établie de retenue</h2>
<p>La force doit-elle permettre à celui qui en dispose d’enfreindre le droit ? Le président russe Vladimir Poutine peut-il être autorisé à revenir à l’époque des grandes puissances du XIX<sup>e</sup> siècle ? Ou bien « avons-nous la force de fixer des limites aux belligérants comme Poutine ? », s’est interrogé Scholz en février devant le Bundestag.</p>
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<p>Dans la foulée de ce questionnement rhétorique, le chancelier a annoncé la <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-allemagne-brise-un-tabou-en-livrant-des-armes-a-l-ukraine_2168814.html">participation de l’Allemagne aux livraisons d’armes à l’Ukraine</a> – un engagement qu’il a confirmé à ses auditeurs à Prague –, ainsi qu’aux nouvelles sanctions contre la Russie et au <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136388.htm">déploiement de troupes supplémentaires</a> sur le flanc Est de l’OTAN. Il a également fait savoir que l’Allemagne allait <a href="https://www.reuters.com/article/ukraine-crise-allemagne-defense-idFRKBN2KW0IS">accroître son budget de la défense</a> de 100 milliards d’euros au cours des cinq années à venir pour se conformer à l’obligation, faite à tous les pays de l’OTAN, de consacrer 2 % de leur budget à leurs dépenses militaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/renaissance-militaire-allemande-laugmentation-des-budgets-suffira-t-elle-184706">Renaissance militaire allemande : l’augmentation des budgets suffira-t-elle ?</a>
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<p>Ces annonces marquent sans aucun doute un tournant dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne, car elles viennent rompre avec une tradition ancrée depuis la création de l’État en matière de politique étrangère et de sécurité – tradition que même l’unification allemande n’avait que partiellement affectée.</p>
<h2>Le fantôme de la Seconde Guerre mondiale</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-4-page-789.htm">politique étrangère</a> de la RFA depuis 1949 s’est toujours efforcée de tirer les leçons de son passé : la mémoire des fautes de la politique étrangère à l’époque de l’Empire allemand et tout particulièrement des crimes du III<sup>e</sup> Reich pesait lourdement sur l’attitude du pays sur la scène internationale. Par conséquent, la RFA a développé, au cours des 70 dernières années, une politique étrangère et de sécurité dont les mots clés sont le rayonnement, l’intégration à l’Ouest, mais aussi la retenue et la distance par rapport aux conflits internationaux.</p>
<p>Par ailleurs, au moins jusqu’à la réunification, cette politique répondait parfaitement à la situation particulière – sur les plans géopolitique, militaire et psychologique – de la RFA. La diplomatie de Bonn a donc toujours été conforme à son « intérêt national » et a porté ses fruits : grâce à son <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2016-1-page-195.htm">intégration à l’Occident</a> et, concrètement, aux structures multilatérales, voire supranationales, de la CEE/UE et de l’OTAN, l’Allemagne de l’Ouest a recouvré sa souveraineté et une certaine réputation internationale. En même temps, elle profita du soutien politique et militaire des alliés occidentaux face à la menace soviétique.</p>
<p>Au début des années 1970, la nouvelle <a href="https://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/55c09dcc-a9f2-45e9-b240-eaef64452cae/b3f1bdcb-928a-497d-96bc-e85a4c77cab8">« Ostpolitik » de Willy Brandt</a> permit à l’Allemagne de l’Ouest d’une part de s’intégrer à la politique de détente, favorisée entre-temps par ses alliés, et d’autre part de trouver un modus vivendi avec l’Union soviétique et le bloc de l’Est tout entier.</p>
<p>Cette double politique à l’égard de l’Ouest et de l’Est n’empêcha pas la RFA de devenir, au fil des décennies, une grande puissance économique, bien au contraire : son « abstention » militaire lui permettait d’établir et de développer d’excellentes relations économiques avec de très nombreux pays à travers du monde. De surcroît, le pays bénéficiait d’un crédit international considérable lorsque se présenta, en 1990, l’opportunité de la réunification.</p>
<p>Au cours des années suivantes, malgré l’apparition de nouveaux conflits en Europe (la <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-2-page-93.htm">guerre en ex-Yougoslavie</a>) et ailleurs (la <a href="https://www.cairn.info/de-la-guerre-en-amerique--9782262037260-page-178.htm">deuxième guerre du Golfe</a>), l’Allemagne unifiée a, à la déception de ses alliés, dont les États-Unis qui lui avaient même proposé un <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2004-4-page-433.htm">« partnership in leadership »</a>, maintenu sa politique de retenue internationale et d’abstention de toute intervention militaire.</p>
<h2>Un engagement timide dans les années 1990</h2>
<p>Il a fallu la fin des années 1990 et une coalition entre les sociaux-démocrates et les Verts menée par le chancelier Gerhard Schröder (SPD, 1998-2005) pour que l’Allemagne décide de prendre part aux <a href="https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/06/eur700182000fra.pdf">raids aériens</a> de l’OTAN menés contre la Serbie. Finalement, cet engagement militaire reste un épisode isolé et ne s’explique que par une configuration politique presque unique : l’ancienne opposition pacifiste, composée du SPD et des Verts, qui était au gouvernement, savait que ses adversaires politiques au sein de la CDU-CSU et des Libéraux n’allaient pas contester cette décision. D’autant que cet engagement avait été fortement demandé par les alliés, et avant tout par les Américains.</p>
<p>Quant à la participation allemande à l’<a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ndc_118_drain_fr.pdf">intervention en Afghanistan</a> en 2001, elle fut également le résultat d’une situation particulière : les attentats du 11 Septembre avaient provoqué un choc global et une solidarité unique avec les États-Unis auxquels la République fédérale ne pouvait pas se soustraire. Dans le même temps, les gouvernements fédéraux successifs, sous la direction de Gerhard Schröder puis d’Angela Merkel (2005-2021), ont toujours mis l’accent sur les objectifs sécuritaires et civils de cette mission, tout au long de la phase de participation des unités militaires allemandes à la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_69366.htm">Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS)</a>.</p>
<p>De plus, l’expérience de l’<a href="https://www.courrierinternational.com/une/echec-lallemagne-se-retire-dafghanistan-epilogue-dune-intervention-ratee">échec des interventions militaires</a> des Occidentaux en Afghanistan, en Irak et ailleurs avait encore renforcé la conviction de la plupart des Allemands qu’il vaudrait mieux s’abstenir de toute action militaire, même de celles auxquelles participent les alliés, que ce soit dans le cadre de l’UE ou dans celui de l’OTAN.</p>
<p>Toutefois, depuis les années 1990, la Bundeswehr a conduit une <a href="https://www.bundeswehr.de/en/operations">cinquantaine d’actions limitées sur des théâtres extérieurs</a> (dont une bonne dizaine est encore en cours). Même militairement, l’Allemagne est donc bien présente sur la scène internationale.</p>
<p>S’il existe cependant, à l’intérieur comme à l’extérieur, une perception contraire, cela est dû au fait qu’il s’agit d’un engagement moindre d’un point de vue numérique et qualitatif en comparaison avec celui de certains des alliés de l’Allemagne. De plus, l’engagement militaire allemand se déroule en-dessous du radar de l’opinion publique. À quelques exceptions près – comme lorsque le Parlement doit donner son accord sur l’une ou l’autre opération de la <em>Bundeswehr</em> –, ces questions ne suscitent pas de vrai débat sociétal en Allemagne, d’autant que le gouvernement n’y a pas intérêt. Cette différence de culture politico-militaire, une sorte d’« exception allemande », est sans doute l’une des raisons qui empêchent un positionnement uniforme de l’Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité.</p>
<h2>L’engagement dans le conflit russo-ukrainien</h2>
<p>Après l’<a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/pourquoi-la-russie-a-annexe-la-crimee-en-2014">occupation de la Crimée</a> et des régions de Donetsk et Lougansk dans l’est de l’Ukraine en 2014, la République fédérale d’Allemagne a joué un rôle clé dans la médiation entre les deux parties au conflit, en collaboration avec la France, dans le cadre du <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ukraine/ukraine-des-discussions-difficiles-entre-europeens-et-russes-une-nouvelle-reunion-en-mars-37d20c50-8b25-11ec-a1f9-dd16676602bc">« format Normandie »</a>. En outre, malgré la forte <a href="https://www.courrierinternational.com/une/energie-l-allemagne-face-a-soixante-ans-de-dependance-toxique-au-gaz-russe">dépendance énergétique</a> de son pays vis-à-vis de la Russie, le gouvernement Merkel a également soutenu des sanctions économiques sévères contre l’agresseur et a participé à la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220607-olaf-scholz-%C3%A0-vilnius-pour-discuter-s%C3%A9curit%C3%A9-avec-la-lituanie-l-estonie-et-la-lettonie">sécurisation de l’espace aérien</a> de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie par l’OTAN.</p>
<p>Néanmoins, la priorité donnée aux moyens diplomatiques et la volonté de ne pas perdre le fil du dialogue avec Moscou demeuraient au premier plan. C’est pourquoi la « grande coalition » formée par la CDU-CSU et le SPD a toujours maintenu le projet de gazoduc Nord Stream 2, fidèle à l’un des principes fondamentaux de l’Ostpolitik allemande : « Le changement par le commerce » (« Wandel durch Handel »). Il a fallu l’agression russe pour que le nouveau gouvernement <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/lallemagne-arrete-le-projet-nord-stream-2/">abandonne enfin ce projet</a> en février 2022.</p>
<p>Il est donc difficile de prévoir si le débat actuel sur un <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2022-1-page-3.htm">« tournant »</a> de la politique étrangère et de sécurité allemande aura des conséquences durables, y compris dans le domaine opérationnel. Malgré les paroles fortes de Scholz et d’autres lors du débat au Bundestag du 27 février, des doutes subsistent, car sur la question des livraisons d’armes à l’Ukraine, mais aussi sur celle des mesures appropriées pour améliorer l’armée allemande qui a besoin d’être assainie, des dissonances claires se font entendre même <a href="https://newsingermany.com/bundeswehr-against-higher-military-spending-mutzenich-contradicts-lindner/">au sein de la coalition gouvernementale</a>.</p>
<p>Quelle sera donc l’efficacité des aides annoncées pour l’Ukraine ? Le budget de la défense augmentera-t-il réellement et durablement conformément́ à l’objectif de l’OTAN, en principe convenu, de 2 % du PIB par an ? La condamnation de l’agression russe, largement répandue dans l’opinion publique allemande, signifie-t-elle vraiment une approbation durable d’un engagement politique mondial plus fort de la République fédérale d’Allemagne ? Le gouvernement fédéral actuel sera-t-il capable d’utiliser <a href="https://www.auswaertiges-amt.de/fr/03-politique-etrangere-seite/sujets-seite/-/2540606">l’élaboration d’une stratégie de sécurité nationale</a>, également annoncée, pour établir en Allemagne une nouvelle culture en matière de politique étrangère et de sécurité – condition sine qua non aussi pour cette coopération européenne en matière de politique étrangère et de sécurité que Scholz a prônée à Prague ? Un peu plus de 30 ans après la réunification, les Allemands renoncent-ils enfin à leur « oubli du monde » (« Weltvergessenheit ») et arrivent-ils à la nouvelle réalité de la politique de sécurité – condition indispensable pour la mise en œuvre de la vision d’une <a href="https://aoc.media/analyse/2022/04/04/lambition-europeenne-de-macron-quand-souverainete-rime-avec-securite/">« souveraineté européenne »</a> propagée depuis des années par Emmanuel Macron et que le chancelier a également faite sienne à Prague ?</p>
<p>Depuis la fin du bipolarisme, nous sommes confrontés à un système multipolaire de plus en plus conflictuel et donc de plus en plus belliqueux, dans lequel des acteurs agressifs ne respectent plus les règles traditionnelles du jeu diplomatique et veulent imposer unilatéralement leurs intérêts respectifs au détriment des autres en recourant à la violence physique. Dans un tel monde, l’utilisation de moyens de puissance – politiques, économiques, mais aussi, si nécessaire, militaires – est indispensable à des fins de dissuasion ou, si nécessaire, d’imposition de règles. C’est sur la réaction définitive de l’Allemagne à cette évolution que se jouera la durabilité du discours d’Olaf Scholz sur le « changement d’époque » (« Zeitenwende »), mais aussi le futur rôle de l’Union européenne sur la scène internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189861/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Reiner Marcowitz a reçu des financements de la Maison des Sciences de l'Homme Lorraine (MSHL), de la Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme -- Alsace (MISHA) et du Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne (CIERA).</span></em></p>Après plusieurs décennies de grande retenue sur la scène internationale, l’Allemagne de Olaf Scholz s’engage dans le conflit russo-ukrainien en apportant une aide militaire et financière à l’Ukraine.Reiner Marcowitz, Professeur – Centre d'études germaniques interculturelles de Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1867632022-08-04T20:39:25Z2022-08-04T20:39:25ZDe l’Afghanistan à l’Ukraine : la renaissance de l’OTAN ?<p>« Régénérée », « revitalisée », « ressuscitée » : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le <a href="https://moderndiplomacy.eu/2022/05/05/the-ukraine-crisis-and-the-revival-of-the-transatlantic-solidarity/">retour de premier plan de l’OTAN</a> depuis le début de l’agression de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022.</p>
<p>L’idée d’une renaissance de l’OTAN tire sa crédibilité d’un constat simple. Après deux décennies d’errements dans le bourbier afghan, l’Alliance retrouve sa mission historique : dissuader une attaque conventionnelle d’un État tiers – qui plus est de l’ancien ennemi, la Russie – contre ses membres. Dès lors, la guerre en Ukraine marquerait une nouvelle césure dans l’histoire de l’OTAN, à l’image de la fin de la guerre froide ou du 11 septembre 2001. Elle lui donnerait une nouvelle raison d’être, traduite par un renforcement de son dispositif militaire sur le flanc Est – la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136388.htm">plus importante solidification de sa défense collective</a> depuis la chute du bloc communiste.</p>
<p>En quoi consiste exactement cette relance de l’OTAN, et quelles en sont les limites ?</p>
<h2>De la gestion de crises…</h2>
<p>Il faut l’admettre, l’idée d’une OTAN relancée a un fond de vérité. Les mesures prises en réaction à la guerre en Ukraine sont incomparablement plus cohérentes, solides et consensuelles que les opérations dites de « gestion de crises » menées par l’Alliance depuis la fin de la guerre froide dans les Balkans (années 1990), en Libye (2011) et en Afghanistan (années 2000-2010).</p>
<p>Ces engagements militaires furent caractérisés par de fortes dissensions entre les États membres de l’OTAN sur les objectifs à atteindre, les ressources nécessaires et les procédures opérationnelles. Une des raisons essentielles à ces tensions multilatérales réside dans le fait que, dans la gestion de crises, l’OTAN combat des risques (terrorisme, instabilités régionales, piraterie, etc.) <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780203218174-11/risk-threat-security-institutions-1999-celeste-wallander-robert-keohane">dont la dangerosité est différemment perçue selon les États membres</a>.</p>
<p>Immanquablement, ces variations trouvent une traduction dans la conduite des opérations. Par exemple, certains États membres s’engagent davantage que d’autres dans telle ou telle mission, en effectifs et au sein des combats, selon qu’ils estiment ou non que ces missions <a href="https://princeton.universitypressscholarship.com/view/10.23943/princeton/9780691159386.001.0001/upso-9780691159386">constituent une priorité pour leur sécurité nationale</a>.</p>
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<p>L’action de l’Alliance en Afghanistan a représenté le <a href="https://www.editions-ulb.be/fr/book/?GCOI=74530100330950">paroxysme de ces dissensions</a>. Les disputes qui divisaient la mission de l’OTAN – la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) – ont fragmenté l’effort allié, <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2021-3-page-71.htm">empêchant l’émergence d’une stratégie commune</a>.</p>
<p>Officiellement, la FIAS luttait contre le terrorisme en menant des opérations de contre-insurrection. Mais cet objectif très général était entendu de manière hétérogène au sein de l’Alliance. De fait, il comportait beaucoup de sous-éléments concurrents (stabilisation militaire, lutte contre le trafic de drogue, reconstruction, etc.) et des différentiels d’engagement très significatifs parmi les États participants, en particulier entre les États-Unis et les Européens. Si bien qu’il était <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=21816">quasi impossible de déceler un but clair</a>.</p>
<p>Ces difficultés ont participé à la <a href="https://www.karthala.com/recherches-internationales/3384-le-gouvernement-transnational-en-afghanistan-une-si-previsible-defaite-9782811128128.html">défaite</a> révélée aux yeux du monde entier en juin 2021, lorsque les talibans reprirent le contrôle de Kaboul.</p>
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<figcaption><span class="caption">Après 20 ans en Afghanistan, les troupes de l’OTAN se retirent, Euronews, 30 avril 2021.</span></figcaption>
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<h2>… au retour de la défense collective</h2>
<p>La réaction de l’OTAN à la guerre en Ukraine contraste avec ce bilan mitigé.</p>
<p>Remontons là aussi un peu dans le temps. La séquence s’engage à partir de <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/pourquoi-la-russie-a-annexe-la-crimee-en-2014">l’annexion de la Crimée</a> par la Russie en 2014. Il s’agit du point de bascule : l’OTAN se recentre alors sur son pilier historique, la défense collective, matérialisée dans l’article 5 du <a href="https://www.nato.int/cps/en/natolive/official_texts_17120.htm">Traité fondateur de Washington (1949)</a>, dans lequel est stipulé qu’une agression armée contre l’un des États membres – perspective apparue envisageable au vu de la dégradation des relations russo-otaniennes à partir de 2014 – susciterait une réponse militaire collective de l’Alliance.</p>
<p>Trois sommets importants ont jalonné cette évolution. Au pays de Galles (2014), le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_119353.htm">Plan d’action réactivité de l’OTAN</a> est adopté. Il inclut des mesures de réassurance à destination des pays d’Europe centrale et orientale. Les effectifs de la <a href="https://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_49755.htm">Force de réaction de l’OTAN</a> sont triplés et on annonce la création, au sein de celle-ci, d’une composante à haut niveau de préparation, déployable sur un très court préavis.</p>
<p>Le sommet de Varsovie (2016) consolide le recentrage sur la défense collective, en activant la présence rehaussée <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136388.htm">(Enhanced forward presence – EFP)</a> de l’OTAN sur son flanc Est. Mise en place en 2017, cette force est composée de quatre bataillons multinationaux stationnés dans les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et en Pologne. Après février 2022, l’EFP est élargie à la Roumanie, à la Bulgarie, à la Hongrie et à la Slovaquie. <a href="https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/3/pdf/2203-map-det-def-east.pdf">En juin 2022</a>, on compte entre 900 et 11 600 soldats en renfort dans chaque pays.</p>
<p>Enfin, le Sommet de Madrid (juin 2022) scelle cette évolution. Il marque l’adoption d’un <a href="https://www.nato.int/strategic-concept/">nouveau Concept stratégique</a>, texte boussole de l’Alliance, qui relègue la Russie du rang de partenaire à celui de première menace. Aussi, la Suède et la Finlande sont invitées à devenir membres, après que ces deux pays aient demandé l’adhésion.</p>
<p>La séquence allant de l’annexion de la Crimée à l’invasion de l’Ukraine est donc marquée par un recentrage sur ce qu’il y a de plus consensuel en sein de l’Alliance : une menace étatique, l’article 5, des mesures militaires qui ont un incontestable effet dissuasif. L’OTAN ne fait pas que dissuader, mais attire de <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/l-otan-est-pour-de-nombreux-pays-l-unique-garant-de-la-securite-europeenne-23-05-2022-2476699_53.php">nouveaux membres</a>.</p>
<p>La phase de <a href="https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-warns-europe-nato-is-becoming-brain-dead">« mort cérébrale de l’OTAN »</a>, selon une expression détonante d’Emmanuel Macron en novembre 2019, semble soudain se dissiper, si bien que la débâcle afghane fait presque office de mauvais souvenir au moment de la résurgence de la menace russe. En bref, la géographie politico-militaire de l’OTAN, alors dispersée dans des opérations de gestion de crises allant jusqu’en Asie centrale, se clarifierait avec le retour du vieil ennemi et des schémas de dissuasion qui l’accompagnent.</p>
<h2>Défense collective et logiques de compromis</h2>
<p>Attention, toutefois, à ne pas tomber trop vite sous le charme du discours officiel, qui présente l’action actuelle de l’OTAN comme l’incommensurable succès d’une défense collective renforcée.</p>
<p>Souligner la différence entre les difficultés de la gestion de crises et les facilités présumées de la défense collective ne suffit pas pour comprendre la pérennité de l’OTAN et ses transformations. Cette dichotomie vaut jusqu’à un certain point, à commencer par la comparaison elle-même. Contrairement à l’Afghanistan, l’OTAN n’est pas en guerre en Ukraine, mais se situe dans une posture de dissuasion visant à empêcher une attaque russe contre l’un de ses pays membres. En cela, la présence avancée de l’OTAN n’a pas à pâtir des gigantesques difficultés opérationnelles et en matière de prise de décision <a href="http://press.georgetown.edu/book/georgetown/allies-count">inhérentes à la conduite d’une guerre en format multilatéral</a>.</p>
<p>Ensuite, si la menace russe est perçue de manière plus consensuelle que d’autres catégories de risque comme le terrorisme, son niveau de dangerosité ne fait pas non plus l’unanimité. De fait, la défense collective reste le noyau dur de l’Alliance, mais sa mise en place n’est pas harmonieuse (<a href="https://www.routledge.com/Transforming-NATO-in-the-Cold-War-Challenges-beyond-Deterrence-in-the-1960s/Wenger-Nuenlist-Locher/p/book/9780415512541">ce qui n’était pas non plus le cas lors de la guerre froide</a>, rappelons-le).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1154514381910077440"}"></div></p>
<p>La Russie est certes qualifiée de <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_196951.htm">« menace directe »</a>, surtout depuis février 2022. La <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_196951.htm">déclaration commune</a> issue du récent sommet de Madrid et la tonalité grave du nouveau concept stratégique concernant la Russie montre certes que les Alliés resserrent les rangs face à cette menace. Néanmoins, la raison d’être même d’un texte comme le concept stratégique est d’exposer au grand jour l’unité de l’Alliance autour de principes clefs. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que les dissensions disparaissent, loin de là. Le retour post-2014 de la défense collective a ainsi été marqué par des divergences et des compromis entre, schématiquement, <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315227856-7/divided-geography-nato-internal-debate-eastern-southern-flanks-patrick-keller">deux positions</a>.</p>
<p>D’un côté, celle des pays d’Europe centrale et orientale (pays baltes, Pologne, Roumanie), souvent soutenus par les États-Unis, et partisans d’une posture militaire ferme et consolidée contre la Russie. De l’autre, celle des pays d’Europe de l’Ouest (France, Allemagne, Espagne), favorables à une politique de dissuasion modérée laissant ouvert le dialogue avec la Russie et écartant le risque d’une escalade.</p>
<p>Les négociations ayant débouché sur le déploiement de la présence avancée de l’OTAN <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315227856-4/modern-deterrence-nato-enhanced-forward-presence-eastern-flank-robin-allers?context=ubx&refId=61b85087-a8c4-4d5f-b411-f15d4a8a7474">résultèrent d’un compromis entre les deux positions</a>.</p>
<p>Les premiers souhaitaient l’installation de bases militaires permanentes sur leur territoire afin d’afficher une politique de dissuasion soutenue contre la Russie. Les seconds désapprouvaient, car ils y voyaient une mesure exagérée, susceptible d’engendrer une escalade, et se situant en porte-à-faux par rapport à l’<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_25468.htm">Acte fondateur de la coopération OTAN-Russie</a> (1997), qui exclut tacitement l’installation de structures militaires permanentes chez les futurs membres.</p>
<p>Les Alliés en vinrent donc au compromis suivant : la présence avancée serait « permanente mais rotationnelle ». La force serait physiquement présente mais ses contingents seraient sujets à rotation tous les quelques mois, ce qui satisfaisait les deux orientations.</p>
<h2>« Dissuasion par représailles » et crédibilité de l’OTAN</h2>
<p>Le fonctionnement militaire même de l’EFP s’innerve de ces différences de points de vue. L’EFP se fonde sur le principe de la « dissuasion par représailles » ( <a href="https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/perspectives/PE200/PE295/RAND_PE295.pdf">« deterrence by punishment »</a>). Elle ne vise pas le déploiement d’une force militaire suffisamment importante pour rendre immédiatement inopérante une attaque potentielle et saper toute confiance chez l’agresseur en le succès initial de son action armée (la « dissuasion par interdiction » – « deterrence by denial » – l’option initialement promue par les pays baltes par exemple). Il s’agit plutôt de laisser peser la probabilité d’une réplique ultérieure qui augmenterait de manière considérable le coût initial de l’agression.</p>
<p>En cela, les effectifs modérés déployés dans l’EFP en font une présence qui n’a pas pour but d’infliger à la Russie des dommages inacceptables dès les premiers affrontements. L’EFP se conçoit davantage comme un « fil piège » (<a href="https://www.frstrategie.org/en/publications/nato-briefs-series/why-efp-some-insights-2016-nato-warsaw-summit-2021">« trip wire »</a>), qui, une fois franchi (ou plutôt attaqué) déclencherait la réponse militaire complète de l’OTAN, à savoir la mobilisation de sa Force de réaction. De facto, la dissuasion par représailles était la <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315227856-3/nato-new-high-readiness-joint-task-force-deter-jens-ringsmose-sten-rynning?context=ubx&refId=b0968c92-5d4a-446c-81fc-3a43a05d385b">seule option consensuelle possible</a>, car le fruit d’un compromis entre les pays souhaitant une présence substantielle de l’OTAN sur le flanc Est et ceux qui y voient une mesure d’escalade.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-le-role-des-organisations-internationales-186520">Guerre en Ukraine : le rôle des organisations internationales</a>
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<p>En effet, prétendre refouler instantanément, disons d’un État balte, une armée de la taille et de la puissance de feu de celle de la Russie impliquerait d’y déployer une force militaire considérable. Ce qui est, financièrement et politiquement, inenvisageable pour la plupart des Alliés. Ainsi, le renforcement de l’EFP avec quatre bataillons supplémentaires en réaction à l’invasion de l’Ukraine, ainsi que l’annonce au Sommet de Madrid d’une présence américaine renforcée en Europe, se situent dans la continuité de ce compromis.</p>
<p>Par conséquent, cette logique de compromis comporte aussi certaines limites, la plus importante d’entre elles étant la crédibilité des représailles. Se montrer résolu à répliquer est essentiel dans une logique de dissuasion, en particulier dans l’option de la dissuasion par représailles. Celle-ci dépend largement du message envoyé, qui se doit de véhiculer une détermination à user de la force de manière élargie afin de faire payer au prix fort le choix d’une attaque. Or, construire ce discours commun et cohérent dans le cadre d’une politique de dissuasion face à la Russie reste un défi pour l’OTAN, en raison précisément des différences de perception de cette menace entre les États membres.</p>
<p>À terme, l’étalement public récurrent des critiques que s’adressent ces derniers à ce sujet risque d’écorner la crédibilité de la dissuasion otanienne. Mentionnons simplement les reproches réguliers adressés par la Pologne ou les États baltes à l’Allemagne ou la France, accusées de se montrer <a href="https://carnegieeurope.eu/2022/01/26/why-germany-is-undermining-nato-unity-on-russia-pub-86279">trop complaisantes vis-à-vis de Moscou</a>.</p>
<p>De ce fait, certains spécialistes doutent de la capacité réelle de l’OTAN à répliquer comme elle le clame officiellement. Par exemple, si la Russie décidait de cibler les contingents norvégiens ou luxembourgeois stationnés en Lituanie pour mettre sous pression la solidarité alliée, l’Allemagne, également présente en Lituanie, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00396338.2017.1325604?journalCode=tsur20">y réagirait-elle militairement</a> au risque d’une escalade guerrière ? Ce scénario est certes peu probable, mais pas non plus inenvisageable, étant donné la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-russie-n-a-pas-encore-commence-les-choses-serieuses-en-ukraine-previent-poutine-924953.html">persistance des menaces de la Russie à l’égard du camp occidental</a>. Ainsi, en déployant des unités aux frontières d’une Russie agressive et en affichant dans le même temps ses dissensions internes, l’OTAN ne fait pas que renforcer sa posture mais prend aussi un risque : <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00396338.2017.1325604 ?journalCode=tsur20">s’exposer à des attaques</a> de basse intensité sur ses effectifs, qui ne rentreraient pas parfaitement dans le cadre de l’article 5 et rendraient, par extension, une réponse très délicate à définir.</p>
<p>Schématiquement, la non-action minerait la crédibilité de l’EFP, et la réplique, même limitée, pourrait être prétexte à l’escalade. À terme, des divisions trop explicites pourraient laisser entrevoir au sein de la politique de dissuasion de l’Alliance des <a href="https://warontherocks.com/2018/06/natos-presence-in-the-east-necessary-but-still-not-sufficient/# :%7E :text=The %20United %20States %20and %20its,Enhanced %20Forward %20Presence %20(EFP).">poches de vulnérabilités</a> qui, si exploitées, pourraient avoir des effets conséquents sur la crédibilité plus large de l’OTAN.</p>
<h2>Une Alliance redynamisée</h2>
<p>En conclusion, s’il paraît clair que le retour de la défense collective au sein de l’OTAN contraste dans sa cohérence avec la gestion de crises, la différence ne doit pas être exagérée. Ces deux piliers de l’Alliance partagent un socle commun en matière de négociations multilatérales. Ils résultent de jeux de compromis entre les États membres et présentent tous deux des limites.</p>
<p>La guerre en Ukraine n’a pas sauvé l’OTAN. Celle-ci n’était tout simplement pas en danger de mort – n’oublions pas que le projet <a href="https://www.nato.int/nato2030/fr/">« OTAN 2030 »</a> naît sur la fin, pourtant peu glorieuse, des opérations en Afghanistan… Toutefois, l’invasion russe a clairement redynamisé l’Alliance.</p>
<p>Les tensions, les compromis et les ambiguïtés font partie de la vie multilatérale de l’OTAN. Il ne faut pas y voir une contradiction, mais plutôt une normalité. La défense collective, tout autant que la gestion de crises, n’échappe pas à cette réalité. En somme, plutôt que d’assister à une nouvelle guerre froide salvatrice pour une Alliance qui aurait été en perte de repères, <a href="https://foreignpolicy.com/2022/06/27/new-cold-war-nato-summit-united-states-russia-ukraine-china/">comme certains le clament trop rapidement</a>, nous sommes les témoins d’une actualisation des logiques d’inimitiés où se mêlent vieilles rivalités interétatiques et perceptions plus mouvantes des risques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pomarède ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Jugée « en état de mort cérébrale » par Emmanuel Macron en 2021, l’OTAN se trouve aujourd’hui significativement revitalisée par le conflit russo-ukrainien.Julien Pomarède, Docteur et chercheur en sciences politiques et sociales - Sécurité internationale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1857902022-06-26T19:48:59Z2022-06-26T19:48:59ZKaliningrad au cœur de la confrontation Russie-OTAN<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/470803/original/file-20220624-22-nxpz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5463%2C3628&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La région russe de Kaliningrad est frontalière de deux pays de l’OTAN&nbsp;: la Lituanie et la Pologne. La question de son approvisionnement depuis la métropole, à 360&nbsp;km de là, est explosive.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Rokas Tenys/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le déclenchement de la guerre en Ukraine, et l’intensification des tensions entre la Russie d’une part et l’OTAN, l’UE et, tout récemment, la Lituanie d’autre part, ont placé au cœur de l’actualité <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2005-3-page-175.html">l’exclave russe de Kaliningrad</a>, située entre la Pologne et la Lituanie.</p>
<p>Mi-juin 2022, Vilnius, en application des sanctions imposées par l’UE, <a href="https://regard-est.com/lituanie-blocage-du-transit-de-marchandises-vers-et-a-destination-de-kaliningrad">bloque le transit</a> de charbon, de métaux et d’outils technologiques alimentant la région (oblast) de Kaliningrad depuis la métropole. Ces marchandises constituent la moitié des importations de Kaliningrad. Dès décembre prochain, le pétrole et le gaz pourraient également être bloqués. Suite à ce blocage, Kaliningrad a amorcé la réorientation <a href="https://tass.com/economy/1468679">du transit par la mer des biens sanctionnés</a> alors que Moscou a <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/21/kaliningrad-russia-threatens-serious-consequences-as-lithuania-blocks-rail-goods">annoncé des représailles</a> sans en préciser le contenu exact.</p>
<p>Dans le contexte actuel, les déclarations de Moscou n’ont pas manqué de <a href="https://foreignpolicy.com/2022/06/24/kaliningrad-russia-lithuania-crisis-lead-to-war/">susciter l’inquiétude</a> de certains observateurs : Kaliningrad pourrait-elle devenir le lieu d’une confrontation directe entre les forces russes et celles des pays de l’OTAN ?</p>
<h2>Les particularités d’une exclave</h2>
<p>L’oblast de Kaliningrad est un territoire de 15 100 km<sup>2</sup>, bordé par la Lituanie au nord-est, la Pologne au sud (toutes deux membres de l’UE et de l’OTAN) et la mer Baltique au nord-ouest. Elle se trouve géographiquement à 360 km du reste de la Russie. Il s’agit de la seule exclave parmi les 83 entités fédérées du pays (85 en comptant la République de Crimée et la « ville d’importance fédérale » de Sébastopol, illégalement annexés en 2014). Avec une population d’environ 1 million d’habitants, l’oblast est la 50<sup>e</sup> plus peuplée de la Fédération de Russie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Peter Hermes Furian/Shutterstock</span></span>
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<p>Héritage de la Seconde Guerre mondiale, ce territoire anciennement partie à la Prusse orientale est attribué à l’URSS suite à la conférence de Postdam en 1945. La zone est alors au centre de grands mouvements de populations et se retrouve repeuplée de russophones (au détriment des <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-124.htm">populations germanophones expulsées</a> vers l’Allemagne), au point de devenir la <a href="https://apcz.umk.pl/BGSS/article/view/bog-2017-0033/13204">région la « plus soviétique » du pays dans les années 1980</a>.</p>
<p>Si du temps de l’URSS, l’oblast se transforme en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00108360021962101">bastion militaire</a> et se ferme aux pays voisins, elle s’ouvre ensuite sous l’impulsion de Boris Eltsine <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-124.htm">pour attirer les investissements étrangers</a>.</p>
<p>Au début du XXI<sup>e</sup> siècle, la région est même vue comme un « laboratoire » de coopération entre l’UE et la Russie, notamment avec la mise en place d’une zone franche possédant un statut de zone économique spéciale – <a href="https://ecfr.eu/article/commentary_special_no_more_kaliningrad_on_life_support_7169/">statut retiré par Moscou en 2016</a>. Malgré cela, Kaliningrad s’est peu intégrée dans l’espace économique de la Baltique et est restée majoritairement dépendante du reste de la Russie, cette dernière faisant transiter mensuellement une <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/21/why-is-kaliningrad-row-russia-lithuania">centaine de trains de marchandises</a> vers son exclave via la Lituanie et la Biélorussie (la Lituanie n’ayant pas de frontière directe avec le reste du territoire russe).</p>
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<figcaption><span class="caption">« Russie-UE : l’affaire Kaliningrad », le Dessous des cartes (Arte, 22 juin 2022).</span></figcaption>
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<p>En 2015, des <a href="https://www.sciendo.com/article/10.1515/bog-2017-0033">sondages</a> indiquent que la population de Kaliningrad s’identifie principalement comme russe, et souhaite que l’oblast soit considérée comme une région à part entière de la Russie. Aucun sentiment spécifique d’indépendance ne semble s’être développé dans cette région, et ce malgré sa position géographique d’exclave et son rattachement relativement récent au territoire russe. En 2018, à l’élection présidentielle, l’oblast vote <a href="https://www.rbc.ru/politics/18/03/2018/5aa652d49a79470accef8c29">à 76 % en faveur de Vladimir Poutine</a>, c’est-à-dire dans la même proportion que l’ensemble du pays (même si, comme ailleurs en Russie, le scrutin y est caractérisé par de multiples irrégularités).</p>
<h2>Une région très militarisée</h2>
<p>En parallèle, la zone reste particulièrement militarisée, notamment avec la présence d’une flotte russe dans la mer Baltique, profitant ainsi de la présence stratégique d’un port libre de glace. Le positionnement de missiles sol-sol, sol-air et antinavires dans la région, de nature à entraver une intervention éventuelle de l’Alliance dans la Baltique, crée également des <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">tensions avec l’OTAN</a> – surtout depuis le déploiement en 2016, renforcé en 2018, de <a href="https://theconversation.com/kaliningrad-russias-unsinkable-aircraft-carrier-deep-in-nato-territory-182541">systèmes de missiles balistiques à potentielle charge nucléaire Iskander</a>. S’y ajoutent les <a href="https://warontherocks.com/2021/09/zapad-2021-what-to-expect-from-russias-strategic-military-exercise/">exercices militaires « Zapad »</a> (Ouest) organisés conjointement avec la Biélorussie tous les quatre ans et simulant un conflit militaire sur ce territoire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1436028746675392522"}"></div></p>
<p>Cette militarisation du territoire de Kaliningrad, dans un contexte marqué par l’annexion de la Crimée, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Menace-russe-coup-panique-Baltique-2022-01-19-1201195671">diverses opérations de déstabilisation russes dans la Baltique</a> et, depuis février 2022, l’attaque de grande ampleur de l’Ukraine, ont entraîné un sentiment d’insécurité en Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne – toutes membres de l’OTAN et voisines proches de la Russie. Les villes de <a href="https://thediplomat.com/2014/04/will-narva-be-russias-next-crimea/">Narva</a> (Estonie) et <a href="https://baltic-review.com/armament-the-baltics-daugavpils-new-crimea/">Daugapvils</a> (Lettonie), ainsi que la <a href="https://www.eurasiareview.com/27032022-is-moscow-about-to-play-the-latgale-card-against-latvia-and-the-balts-oped/">région de Latgale</a> (Lettonie également), à forte majorité russe, sont ainsi souvent décrites par les médias comme de potentielles « nouvelles Crimées », laissant craindre une attaque russe sous l’alibi de la <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">protection des populations russophones</a> y résidant.</p>
<p>Suite à la guerre en Ukraine, les pays de la Baltique ont d’ailleurs été les premiers États européens à <a href="https://www.euractiv.com/section/energy/news/baltic-states-become-first-in-europe-to-stop-russian-gas-imports/">stopper leur importation de gaz russe</a> et à marquer fermement leur soutien à l’Ukraine.</p>
<p>Pour parer à cette insécurité et marquer la solidarité atlantique avec les pays baltes, l’OTAN a, depuis 2017, déployé des troupes en rotation dans la Baltique avec la <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_136388.htm">« présence avancée rehaussée »</a> sur le <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">flanc Est de l’Alliance</a>. En 2022, en réponse à la guerre en Ukraine, les alliés ont individuellement accru leur présence en troupes, navires et avions, et l’OTAN a également amélioré la réactivité de sa <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_49755.htm">Force de réaction</a>, rendant une activation en cas de menace plus rapide.</p>
<h2>L’enjeu du corridor de Suwałki</h2>
<p>La présence de l’OTAN dans la Baltique et en Pologne, et le récent blocage lituanien du transit des marchandises russes, ont par ailleurs ranimé la crainte d’une annexion par la Russie du corridor de Suwałki, qui relie la Biélorussie au territoire de Kaliningrad en longeant la frontière entre la Lituanie et la Pologne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pologne : le corridor de Suwalki, prochain objectif militaire des Russes ? (France 24, 6 juin 2022).</span></figcaption>
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<p>Ce corridor, long de 70 km, est considéré depuis longtemps comme le <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/explainer-suwalki-gap-and-lithuania-russia-face-off-over-kaliningrad/">talon d’Achille de l’OTAN</a>. Constitué principalement de marécages, de deux routes et d’une seule ligne de train reliant la Pologne à la Lituanie, ce corridor représente toutefois la plus courte distance entre la Biélorussie et Kaliningrad. Malgré les tentatives russes, après l’effondrement de l’URSS, de sécuriser cette zone en établissant un accord autorisant une présence continue de soldats, seul un accord plus général avec la Lituanie permettant le transit de passagers et marchandises <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/explainer-suwalki-gap-and-lithuania-russia-face-off-over-kaliningrad/">a été signé avec l’UE en 2003</a>.</p>
<p>Une prise du corridor Suwałki permettrait à la Russie de couper géographiquement les États de la Baltique du reste des membres de l’OTAN tout en s’assurant un passage, via son allié biélorusse, vers son exclave. Une annexion de ce type entrainerait le déclenchement de <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’article 5</a> de l’OTAN, qui engage ses membres à se prêter assistance mutuelle dans le cas où l’un d’entre eux serait attaqué.</p>
<p>On l’aura compris : si, à la chute de l’URSS, Kaliningrad était vue comme une opportunité de coopération entre l’Union européenne et la Russie, son territoire est aujourd’hui au cœur de tensions grandissantes sur le continent, la zone devenant un enjeu stratégique et géopolitique.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cindy Regnier est doctrante à l'Université de Liège. Elle a reçu des financements du FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique de Belgique).</span></em></p>La Lituanie vient de bloquer le transit de nombreux biens vers l’exclave russe de Kaliningrad. Moscou promet de réagir. Analyse d’un bras de fer aux enjeux stratégiques majeurs.Cindy Regnier, Doctorante FNRS en Relations Internationales, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1847062022-06-22T21:05:28Z2022-06-22T21:05:28ZRenaissance militaire allemande : l’augmentation des budgets suffira-t-elle ?<p>L’invasion de l’Ukraine a agi comme un électrochoc dans bon nombre de pays européens : la guerre, la « vraie », est à nos portes et nous ne sommes pas prêts. Les débats portent sur nos capacités matérielles comme sur l’équilibre de nos alliances. La Suède et la Finlande ont soumis, mercredi 18 mai, leur <a href="https://theconversation.com/candidature-de-la-finlande-et-de-la-suede-a-lotan-rester-neutre-nest-plus-possible-en-europe-183147">demande d’adhésion à l’OTAN</a>, et l’Italie annonce qu’elle rejoindra très rapidement les standards OTAN en termes de dépenses de défense. D’ici à 2028, son budget devrait représenter <a href="https://meta-defense.fr/2022/04/04/litalie-va-augmenter-son-budget-defense-de-12-mde-dici-2028/">2 % de son PIB</a>, passant de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-guerre-en-ukraine-bouleverse-le-budget-italien-1396631">25,9 milliards à 36 milliards d’euros</a>, bien que cet objectif suscite un débat passionné dans le pays.</p>
<p>Au milieu de ce concert de remises en cause stratégiques et budgétaires, il est un pays dont la réaction est encore plus surprenante que celle des autres : l’Allemagne. Surprenante d’abord par la brutalité du constat et la liberté de ton de ceux qui l’expriment : le 24 février 2022, le chef d’état-major des armées allemandes <a href="https://www.challenges.fr/monde/allemagne-le-chef-de-l-armee-critique-l-impreparation-militaire-du-pays_802134">reconnaissait, face au début de la guerre en Ukraine</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La Bundeswehr, l’armée que j’ai l’honneur de commander, se tient là, plus ou moins les mains vides. Les options que nous pouvons proposer au gouvernement pour soutenir l’alliance sont extrêmement limitées. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ensuite la réaction du gouvernement allemand qui a de quoi surprendre. Le 27 février, soit seulement trois jours plus tard, le chancelier Olaf Scholz <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/d%C3%A9claration-gouvernementale-du-chancelier-f%C3%A9d%C3%A9ral-2009510">déclarait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Face au tournant historique engagé par l’agression de Vladimir Poutine, notre principe est le suivant : tout ce qui est nécessaire pour garantir la paix en Europe sera mis en œuvre. L’Allemagne y apportera sa propre contribution solidaire. […] Nous allons à partir de maintenant, d’année en année, investir plus de 2 % du PIB dans notre défense. […] L’objectif est de disposer à terme d’une Bundeswehr performante, ultramoderne et dotée de technologies de pointe qui nous assure une protection fiable. »</p>
</blockquote>
<p>L’exécutif a aussi annoncé la création d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/04/l-allemagne-cree-un-fonds-special-pour-moderniser-la-bundeswehr_6128908_3210.html">fonds spécial d’un montant de 100 milliards d’euros</a> pour combler son retard, notamment en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/27/l-armee-allemande-minee-par-le-sous-equipement_6127893_3210.html">matière d’équipement des forces</a>.</p>
<h2>Sous-investissement chronique</h2>
<p>Pour comprendre la situation budgétaire des forces allemandes, il ne faut pas se fier seulement aux chiffres de ces dernières années. Même si en 2021, la France et l’Allemagne ont consacré des budgets très similaires à leur défense – <a href="https://milex.sipri.org/sipri">environ 53 milliards de dollars</a> – ce niveau de dépense est relativement récent en Allemagne.</p>
<p>Si l’on observe les chiffres allemands et français depuis la chute du mur de Berlin, on constate une forte remontée des dépenses allemandes depuis 2018 seulement. La baisse a été constante de 1991 à 2005 (point bas) suivie d’une lente remontée jusqu’en 2018. Ainsi, l’Allemagne a moins investi dans son armée, avec une divergence très nette des trajectoires budgétaires à partir de 2001. De fait, le montant cumulé des dépenses de défense allemandes entre 2001 et 2021 est d’environ 902 milliards de dollars, là où la France a dépensé environ 1 036 milliards de dollars. La différence est donc significative.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467778/original/file-20220608-23-wv5o7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Mais cet écart de financement est-il suffisant pour expliquer la situation que nous connaissons aujourd’hui ? Les capacités des forces allemandes sont très réduites, selon leur propre chef d’état-major. Les forces françaises, elles, sont classées par la <a href="https://www.rand.org/pubs/research_reports/RRA231-1.html"><em>Rand Corporation</em></a> parmi les plus efficaces d’Europe, même si elles manquent d’« épaisseur » et donc de capacité à combattre dans la durée. Il nous semble que d’autres facteurs doivent être pris en compte.</p>
<p>En premier lieu, les structures de nos budgets sont différentes. La France dépense de façon constante <a href="https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2021/3/pdf/210316-pr-2020-30-fr.pdf">environ 25 % (26,5 % en 2020) de ses budgets en équipement</a>, l’OTAN demandant à ses membres que ce ratio soit au minimum de 20 %. L’Allemagne a quant à elle dépensé 16,9 % de son budget 2020 en équipement, un montant en nette augmentation depuis 2014 (environ 13 % à l’époque). À l’inverse, les « frais de fonctionnement et de maintenance » pèsent pour <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4524-tiii-a13_rapport-fond">26,4 % du budget français</a> et pour 37,4 % du budget allemand, ce qui représente un quasi-record au sein des pays de l’OTAN. Il s’agit probablement du symptôme d’une autre faiblesse : les armées allemandes sont des monstres bureaucratiques.</p>
<h2>Une bureaucratie envahissante</h2>
<p>Les forces allemandes souffrent manifestement d’une bureaucratie particulièrement lourde et inefficace. Sur ce point, un document publié début 2020 a eu un retentissement certain dans le pays. Il s’agit du <a href="https://www.bundestag.de/resource/blob/691922/3ebc4bc657d328c1db223f430e63b839/annual_report_2019_61st_report-data.pdf">rapport d’information pour 2019 destiné au Bundestag</a>, rédigé par le commissaire allemand aux forces armées de 2015 à 2020, Hans-Peter Bartels.</p>
<p>Selon ce rapport, l’institution militaire allemande souffre de la multiplication des instances de décision, ce qui conduit à une dilution de la responsabilité et à un allongement déraisonnable des processus décisionnels. Bartels consacre par exemple une page entière à raconter comment ses propres services n’ont pas réussi, malgré trois années d’efforts, à obtenir la création pour eux-mêmes d’une dizaine de comptes d’accès au réseau intranet des forces allemandes.</p>
<p>Dans ce texte, l’état-major de la Deutsche Marine reconnaît qu’au sein de l’armée allemande, le respect des règles est plus important que la capacité à fournir des appareils en état de voler, pilotés par des équipages correctement entraînés. Cet état de fait rejaillit sur la motivation des hommes. La troupe considère que ses chefs n’en font pas assez pour améliorer l’efficacité de l’institution. Mais les cadres se sentent désarmés face à la lourdeur de l’organisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499044395252948999"}"></div></p>
<p>Parmi les faiblesses les plus criantes, le processus d’équipement des forces est particulièrement critiqué. Il est présenté comme dysfonctionnel, inutilement compliqué et trop long. La volonté de réduire les risques industriels en amont est ouvertement présentée comme une cause de risques pour les troupes, obligées d’aller au combat avec des équipements dépassés, voire en l’absence totale de certains matériels.</p>
<p>Hans-Peter Bartels regrette particulièrement le fait que l’« achat sur étagère » – c’est-à-dire l’achat d’équipements déjà existants n’ayant pas été spécifiquement conçus à la demande de la Bundeswehr – soit une pratique rare au sein des forces allemandes. Même des matériels très simples (comme des sacs à dos) sont soumis à des processus d’élaboration et d’évaluation dignes des systèmes d’armes les plus complexes.</p>
<p>C’est donc autant à des problèmes budgétaires qu’à la question de l’efficacité de ses dépenses que le ministère allemand de la Défense doit faire face. Ce qu’Eva Högl, l’actuelle commissaire parlementaire pour les forces armées, a bien compris : elle demande que le fonds de 100 milliards d’euros destiné aux forces allemandes soit <a href="https://de.euronews.com/2022/04/29/wehrbeauftragte-weniger-burokratie-fur-die-100-bundeswehr-milliarden">exploité de façon moins bureaucratique</a>.</p>
<p>Mais une telle évolution sera longue et laborieuse. D’abord parce que cette situation est connue en Allemagne depuis très longtemps sans qu’il n’y ait eu de vrai changement. Dans <a href="http://www.opex360.com/2019/01/31/larmee-allemande-est-un-monstre-bureaucratique-denonce-un-rapport/">son rapport pour 2019</a>, Hans-Peter Bartels relevait que déjà en 1978 le ministre de la Défense alors en poste se préoccupait de la bureaucratie excessive dont était victime son armée. Ensuite parce que cette situation est sans doute, pour partie au moins, la conséquence de l’approche pacifiste dominante en Allemagne.</p>
<h2>Les spécificités de la culture stratégique allemande</h2>
<p>Pour d’évidentes raisons historiques, les forces allemandes ont un statut particulier. Elles sont <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/le-fosse-culturel-entre-les-armees-francaise-et-allemande-trouble-la-cooperation-1140274">fermement soumises au Parlement allemand</a> et tout est mis en œuvre pour qu’elles ne sortent « plus jamais du cadre démocratique ».</p>
<p>Fondamentalement, l’avenir de la Bundeswehr, sa capacité à surmonter ses faiblesses et à tenir sa place au sein de l’Alliance atlantique dépendra donc de la place que la société allemande entendra donner à son armée. Dans un <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-de/service/bulletin/rede-von-bundespraesident-horst-koehler-795832">discours qu’il adressait aux généraux des armées allemandes en 2005</a>, Horst Köhler, alors <a href="https://www.lepoint.fr/monde/demission-surprise-du-president-allemand-horst-kohler-31-05-2010-461307_24.php">président du pays</a>, parlait du « désintérêt amical » des Allemands pour leurs armées :</p>
<blockquote>
<p>« Après 1945, les Allemands sont devenus un peuple réellement pacifique et qui aime garder une distance prudente vis-à-vis de tout ce qui est militaire. »</p>
</blockquote>
<p>Seize ans plus tard, l’opinion allemande ne semble pas avoir beaucoup changé. Chaque année, le centre d’histoire militaire et des sciences sociales de la Bundeswehr publie une étude consacrée à l’opinion allemande sur la politique de sécurité et de défense du pays. <a href="https://www.bundeswehr.de/resource/blob/5390492/799467767436050771c8b34fba5d3582/download-bevbefr-2021-zusammenfassung-data.pdf">L’étude pour 2021</a> (donc réalisée avant le début de la guerre en Ukraine) confirme cette approche : les Allemands ont confiance en leurs armées. Mais les moyens d’action auxquels ils sont favorables sont diplomatiques (84 %), basés sur le contrôle des armements (72 %), la coopération au développement (70 %) et les sanctions économiques (61 %). Les opérations militaires menées par la Bundeswehr ou les exportations d’armements ne sont approuvées que par 33 % de la population.</p>
<h2>Une évolution longue et difficile</h2>
<p>La guerre en Ukraine a déjà provoqué une révolution en Allemagne. La célérité et l’ampleur de la réaction politique ont surpris beaucoup d’observateurs des affaires stratégiques européennes.</p>
<p>Berlin a rompu avec une forme de retenue particulière et solitaire en accélérant le déploiement de ses troupes ces derniers temps : envoi de navires en mer Baltique et en Méditerranée, installation de missiles antiaériens Patriot dans plusieurs pays d’Europe centrale, participation à un bataillon au sol en Slovaquie, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/04/LEYMARIE/64548">envoi de chasseurs Eurofighter en Roumanie</a>… Mais il sera long et difficile de renoncer à ce que Tom Enders, ancien PDG d’Airbus, qualifiait en septembre 2020 d’<a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2021-3-page-121.htm">« abstinence de puissance »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1534918698947039234"}"></div></p>
<p>D’abord parce que, passée la stupeur initiale, le soutien de l’opinion allemande à la politique ukrainienne de son chancelier <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/news/public-opinion-crumbles-over-german-war-support-to-ukraine/">s’effrite</a> : des intellectuels allemands soutenus par des responsables politiques de premier plan demandent <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/12/en-allemagne-le-gouvernement-lui-meme-se-divise-sur-la-question-des-livraisons-d-armes-a-l-ukraine_6121747_3210.html">que l’Allemagne cesse d’armer l’Ukraine</a> et opte pour une politique visant à obliger Kiev à trouver un compromis avec Vladimir Poutine. Dans le même temps, des représentants syndicaux allemands ont profité de la fête du Travail, le 1<sup>er</sup> mai, pour dire leur désaccord face à la volonté de réarmement massif exprimée par le chancelier Olaf Scholz. Notamment de peur que cela se fasse au détriment de la paix sociale.</p>
<p>Ensuite parce que la situation stratégique du pays est la conséquence d’une culture politico-administrative faisant partie intégrante de la nation allemande post-Seconde Guerre mondiale. Une évolution de cette position, à supposer que l’opinion allemande y consente, sera très longue et ses résultats incertains.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La guerre en Ukraine a incité l’Allemagne à augmenter nettement ses dépenses de défense. Une véritable révolution, qui devra surmonter des résistances anciennes à un renforcement de la Bundeswehr.Laurent Griot, Professeur assistant en géopolitique., Grenoble École de Management (GEM)Mourad Chabbi, Professeur de RI/Géopolitique, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1853082022-06-20T19:22:40Z2022-06-20T19:22:40ZMacron et l’Ukraine : la fin d’un procès en « russophilie » ?<p>Depuis le début de son premier mandat, les relations d’Emmanuel Macron avec certaines anciennes démocraties populaires (Pologne, Hongrie) et avec d’anciennes Républiques socialistes soviétiques (États baltes, Ukraine, Moldavie) ont été placées sous le signe de l’incompréhension, voire de tensions. De sorte qu’à l’est, le président français fait l’objet d’un procès paradoxal : même s’il a été <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/emmanuel-macron-defend-le-sixieme-paquet-de-sanctions-contre-la-russie/">à l’avant-garde des sanctions contre la Russie</a>, il est souvent accusé de <a href="https://www.euronews.com/2022/04/05/would-you-negotiate-with-hitler-poland-s-pm-questions-macron-over-putin-dialogue">complaisance envers le régime de Vladimir Poutine</a>. Il a même été taxé d’une « russophilie » coupable, aussi bien à Washington qu’à Londres, Varsovie ou Kiev, pour avoir continué à discuter avec le Kremlin, rappelé que des concessions mutuelles seront nécessaires pour sortir de la guerre et prévenu des conséquences d’une humiliation totale de la Russie.</p>
<p>Son récent déplacement à <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/en-roumanie-macron-juge-le-moment-venu-de-nouvelles-discussions-avec-l-ukraine_2175284.html">Bucarest, Chisinau</a> puis <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-ce-qu-il-faut-retenir-de-la-visite-d-emmanuel-macron-a-kiev_5201248.html">Kiev</a> marque-t-il un virage, une rectification ou même un <em>aggiornamento</em> de la politique française dans la zone, sous la pression de la guerre et de ses horreurs ? Rien n’est moins sûr, car la temporalité dans laquelle s’inscrit la France est de moyen terme et comprend l’après-guerre – et donc l’inévitable et difficile négociation future avec la Russie. Le désormais célèbre « voyage à Kiev » ne désarmera pas les procureurs et les réquisitoires.</p>
<h2>Aggiornamento, revirement ou reniement ?</h2>
<p>À l’est de l’Europe, le voyage à Kiev est apparu comme une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/16/emmanuel-macron-en-visite-de-rattrapage-a-kiev_6130551_3210.html">inflexion nécessaire</a>. Tous les éléments étaient en effet réunis pour souligner une césure dans la position d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine.</p>
<p>Une césure dans le temps, d’abord : durant les dernières semaines de la <a href="https://presidence-francaise.consilium.europa.eu/">présidence française de l’UE</a> et à l’approche du sommet européen du 23 juin, le dirigeant français a exprimé le soutien de son pays et de l’Union <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/11/guerre-en-ukraine-la-clarification-necessaire-de-l-elysee_6129835_3232.html">à une victoire de l’Ukraine</a>. Il a ainsi engagé l’UE dans une nouvelle phase de son appui à Kiev : il ne s’agit plus seulement de lui permettre de survivre mais de l’emporter sur le champ de bataille, pour restaurer sa souveraineté nationale, pour affirmer son identité propre et pour reconstituer son intégrité territoriale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ce qu’il faut retenir de la conférence de presse d’Emmanuel Macron à Kiev, Le Parisien, 16 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Pour les opinions publiques d’Europe orientale, il s’agit d’une rupture bienvenue voire d’un revirement car, nous l’avons dit, Emmanuel Macron est souvent présenté comme un partisan de l’accommodement avec la Russie, comme en témoigne la <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/ne-pas-humilier-la-russie-lappel-demmanuel-macron-fait-des-vagues/">polémique</a> déclenchée par sa déclaration de la semaine précédente : il avait en effet mis en garde contre la volonté d’humilier Moscou, suscitant un véritable tollé dans une région qui vit au rythme des bombardements et de la découverte des crimes de guerre.</p>
<p>Le déplacement à Kiev a également tenté de marquer une césure dans l’espace. Le chef de l’État français s’est non seulement rendu à Kiev mais également en Roumanie et en Moldavie. Ce qui a une signification profonde. En effet, au début de son premier mandat, Emmanuel Macron avait inscrit son action dans le cadre strict de l’UE. Moldavie, Ukraine, Biélorussie et Caucase étaient, dans ses discours et dans son action, des zones extérieures et, pour tout dire, périphériques de sa politique européenne. En faisant le voyage de Bucarest, et surtout de Chisinau et Kiev, dans des pays non membres de l’UE et de l’OTAN, il a placé ces anciennes républiques socialistes soviétiques non plus aux marges, mais au centre de sa diplomatie européenne. Prendre le train qui relie la Pologne à l’Ukraine lui a permis de déplacer le centre de gravité vers l’est.</p>
<p>Il a également multiplié les signes de solidarité avec l’Ukraine : <a href="http://www.opex360.com/2022/04/22/artillerie-m-macron-annonce-la-livraison-par-la-france-de-caesar-a-lukraine/">envoi de pièces d’artillerie</a> pour peser dans la bataille du Donbass, déjà très dure et qui va encore s’intensifier cet été ; <a href="https://www.dhnet.be/actu/monde/l-elysee-revient-sur-les-propos-d-emmanuel-macron-qui-appelait-a-ne-pas-humilier-la-russie-nous-souhaitons-la-victoire-de-l-ukraine-62a35cb47b50a6292be0eac6">souhait proclamé</a> d’une victoire ukrainienne ; et, surtout, <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/ukraine-france-allemagne-italie-et-roumanie-pour-un-statut-de-candidat-immediat-a-une-adhesion-a-l-ue_AD-202206160440.html">appui énergique à la candidature de l’Ukraine à l’Union européenne</a>.</p>
<p>Il s’agit là, pour la France comme pour l’Allemagne, d’une rupture stratégique rendue inéluctable par les semaines de guerre massive et de haute intensité. Qu’on mesure le chemin parcouru : la PFUE s’était ouverte sur la nécessité de consolider l’ensemble européen avant de réaliser des élargissements limités, contrôlés et longuement préparés pour les « petits » États des Balkans. Et voilà qu’au terme de la PFUE, qui prend fin le 30 juin, la France insiste pour que l’EU accueille, à terme, un immense pays de 40 millions d’habitants. En six mois de présidence don 4 de guerre, que de chemin parcouru !</p>
<p>Sur de nombreux plans, les déclarations du président français à Kiev constituent un <em>aggiornamento</em> important de la politique française dans la région. Éviter de provoquer Moscou, mesurer son soutien à Kiev, traiter le pays en zone intermédiare entre Europe et Russie, « finlandiser » l’Ukraine, etc. : toutes ces positions encore explicites il y a peu semblent caduques. Même l’appel à une confédération européenne semble relégué au second plan. On s’en souvient, il s’agissait de proposer une perspective à l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie sans entrer directement dans un processus de candidature à l’UE.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-communaute-politique-europeenne-pour-lavenir-183049">Quelle « Communauté politique européenne » pour l’avenir ?</a>
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<p>Restent donc deux questions : l’image d’Emmanuel Macron, assurément contrastée et même dégradée dans la région, va-t-elle radicalement changer ? Et, surtout, le voyage de Kiev marque-t-il une rupture fondamentale dans la politique russe de la France ? Au tribunal du débat public à l’est de l’Europe, plusieurs plaidoiries seront nécessaires.</p>
<h2>Les paradoxes d’un désamour</h2>
<p>La France en général et Emmanuel Macron en particulier sont traditionnellement critiqués par la plupart des anciens pays du bloc de l’Est ayant rejoint l’UE pour leur supposée modération face à Moscou ; pourtant, Paris a apporté depuis une décennie un soutien essentiel à l’Ukraine, en lien étroit avec d’autres États membres fondateurs de l’Union ayant des liens très forts avec la Russie : l’Allemagne et l’Italie au premier chef.</p>
<p>Le <em>French bashing</em> est aussi banal à l’est de l’Europe qu’à Londres, où critiquer la France est un plaisir auquel peu renoncent. Les raisons en sont multiples : </p>
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<li><p>la politique russe de la France, d’inspiration gaulliste, promeut un dialogue bilatéral entre membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, puissances nucléaires pour traiter l’ensemble des questions de sécurité du continent et au-delà ; </p></li>
<li><p>elle est régulièrement vilipendée comme une trahison envers des États longtemps occupés ou dominés par la Russie tsariste et l’URSS ; </p></li>
<li><p>le rapport critique à l’OTAN, notamment à travers la désormais célèbre formule sur la <a href="https://information.tv5monde.com/info/l-otan-en-etat-de-mort-cerebrale-juge-emmanuel-macron-331037">« mort cérébrale » de l’Alliance</a> employée par Emmanuel Macron en 2019, qui est apparue comme soit naïve soit dangereuse au moment où la Russie déployait des troupes en Syrie, en Afrique et dans le Donbass ; </p></li>
<li><p>les réticences, fin 2021, à adopter la position maximaliste des États-Unis dans la confrontation avec la Russie ont été considérées comme un signe de pusillanimité presque inexcusable ; </p></li>
<li><p>enfin, la politique européenne d’Emmanuel Macron en Europe est apparue comme privilégiant le centre de gravité occidental historique de l’Europe au détriment des États membres du grand élargissement de 2004.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1537355498290393090"}"></div></p>
<p>Autant dire que les campagnes de dénigrement de la France dans la région ne manquent jamais d’aliments et ne sont égalées que par les <a href="https://www.polskieradio.pl/395/7785/artykul/2980590,polish-historian-slams-germany%E2%80%99s-eastern-policy-report">critiques adressées à l’Allemagne</a>, accusée de financer le réarmement russe par ses achats de gaz à Gazprom.</p>
<p>Ce procès en complaisance envers la Russie est compréhensible mais hautement paradoxal. D’une part, la <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-vers-une-defense-europeenne-178261">recherche d’une autonomie stratégique européenne</a> distincte de celle de l’OTAN procède d’abord et avant tout du retrait américain constaté sous les administrations Obama, Trump et Biden. En 2018 et 2019, le « flanc est » de l’Europe vivait dans l’inquiétude : le désengagement américain de la région était très fort. Ce que propose la France à l’Union est tout simplement ce qui lui fait défaut aujourd’hui face à l’invasion de l’Ukraine : la capacité à se défendre et à défendre ses alliés sur le champ de bataille, les armes à la main. Mais ce message reste inaudible de la Baltique à la mer Noire.</p>
<p>D’autre part, la France, au sein du couple franco-allemand, a été à l’origine de la <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/#:%7E:text=Depuis%20mars%202014%2C%20l%E2%80%99UE,par%20le%20gouvernement%2C%20en%202022">politique de sanctions contre la Russie depuis 2014</a>. Sans les initiatives françaises et allemandes, cette stratégie, la seule à fonctionner aujourd’hui, n’aurait jamais vu le jour. Ce faisant, la France et l’Allemagne ont forgé et imposé (parfois contre les anciennes démocraties populaires) la seule politique de puissance dont est actuellement dotée l’Europe. La France a également été au premier rang pour faire adopter des <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-belarus/">sanctions contre le régime de Loukachenko</a> en 2020 suite aux élections truquées du désormais homme lige de la Russie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alexandre-loukachenko-un-dictateur-vassal-de-vladimir-poutine-dans-la-guerre-en-ukraine-179639">Alexandre Loukachenko, un dictateur vassal de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine</a>
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<p>Enfin, sous l’impulsion de la France, l’UE a proposé à Kiev, depuis plus d’une décennie, un <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eastern-partnership/ukraine/">partenariat renforcé</a> qui ne traite pas seulement de l’aspect militaire mais plus généralement de tous les besoins de modernisation de l’Ukraine : en matière d’État de droit, de législation, de gestion des finances publiques et de modernisation de l’agriculture.</p>
<p>Au terme de son déplacement à Kiev, le président français peut-il espérer sortir du paradoxe qui fait de la France une cible privilégiée des critiques alors même que son soutien à l’Ukraine est constant depuis des années ? Rien n’est moins certain car les grands axes de la vision française pour la région demeurent. Le président français peinera à trouver des jurés bienveillants à l’est quand il s’agira de trouver une sortie à la guerre.</p>
<h2>Préparer l’Europe de demain</h2>
<p>La déclaration favorable à une candidature ukrainienne « immédiate » à l’Union ne change pas les principes de la vision française, qui est centrée sur l’approfondissement et non sur l’élargissement.</p>
<p>En effet, il peut y avoir loin de l’acceptation de la candidature à l’adhésion réelle puis à l’intégration. Les États des Balkans engagés dans le processus de candidature (Albanie, Macédoine du Nord, Serbie, Monténégro) peuvent en témoigner : les discussions avec l’Union sont longues, exigeantes, consommatrices de ressources et n’avancent pas au rythme d’une campagne militaire. Comme elle ne manquera pas de l’indiquer lors du prochain <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2022/06/23/">sommet sur les Balkans organisé par la PFUE</a>, la France n’est pas prête à rendre l’adhésion à l’UE moins exigeante en raison de la guerre.</p>
<p>La reprise de l’acquis communautaire, la réalisation de réformes structurelles et l’alignement sur les règles européennes seront exigées de l’Ukraine malgré sa situation actuelle. Il en va de la solidité de la construction européenne, mais aussi des frustrations des États candidats : ils exigeront à bon droit d’être tous traités à la même enseigne. Quand France et Allemagne refuseront de « brader » l’acquis communautaire au nom de la solidité de l’Union, elles ne manqueront pas de faire face à de nouvelles critiques. </p>
<p>C’est que l’Ukraine envisage cette adhésion comme un geste symbolique fort, pas comme un long processus administratif. Là encore, il s’agit d’un mauvais procès à intenter au couple franco-allemand : car ce sont en large partie les Européens qui financeront la reconstruction du pays ; et ce seront eux qui verseront les subventions considérables auxquelles il aura droit au titre de la Politique agricole commune (PAC) lorsque l’adhésion sera prononcée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lukraine-peut-elle-adherer-rapidement-a-lue-178842">L’Ukraine peut-elle adhérer rapidement à l’UE ?</a>
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<p>Concernant la Russie, la position de Paris s’est assurément durcie, surtout depuis le 24 février. Mais cela ne résulte pas d’un revirement opéré à Kiev le 16 juin. Pour la France, l’opération militaire russe doit être stoppée, y compris par les armes, et l’intégrité territoriale ukrainienne restaurée. En revanche, estime Paris, couper totalement les ponts avec Moscou serait contre-productif – y compris, à moyen terme, pour l’Ukraine. Même si les résultats du dialogue maintenu avec Vladimir Poutine sont maigres, il sera nécessaire d’engager des discussions avec lui pour assurer des négociations de paix, dans l’intérêt même de l’Ukraine.</p>
<p>Ce que la position maximaliste sur la Russie risque de proposer à l’Europe, c’est une guerre sans fin dont la population ukrainienne serait la première victime. « Ne pas humilier la Russie » et « continuer à dialoguer avec la Russie » ne revient en aucun cas à endosser la vision russe de l’Ukraine. C’est tout simplement préparer un règlement du conflit qui garantisse durablement les intérêts ukrainiens. Là encore, le réquisitoire visant la position française est bancal, ne serait-ce que parce que le dialogue direct de chef d’État à chef d’État est ce que réclame à juste tire le président Zelensky.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1529588346917425154"}"></div></p>
<p>Enfin, concernant l’Europe, la vision française n’a pas subi à Kiev un virage à 180 degrés. Si la Russie est bien prise en compte comme un danger pour l’Union, la France conserve à l’esprit d’autres risques comme les <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-la-pologne-et-la-hongrie/">atteintes à l’État de droit par la Pologne et la Hongrie</a>, les forces centrifuges souverainistes qui s’inspirent du Brexit et un atlantisme béat qui conduit les Européens à renoncer à se défendre eux-mêmes. Là encore, les critiques contre la présidence Macron ne sont pas près de disparaître à l’est de Berlin. Pour répondre à ces accusations en russophilie, la France devra inlassablement rappeler, avec l’Allemagne, le sens de la construction européenne. Et sans doute relancer sous peu son idée de confédération européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185308/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les engagements pris lors de son déplacement à Kiev suffiront-ils à mettre fin aux accusations de complaisance envers la Russie adressées à Emmanuel Macron ?Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1831472022-05-16T19:47:55Z2022-05-16T19:47:55ZCandidature de la Finlande et de la Suède à l’OTAN : rester neutre n’est plus possible en Europe<p>Un nouveau Rubicon vient d’être franchi en Europe, sous le choc de la guerre en Ukraine : dimanche 15 mai, le Royaume de Suède et la République de Finlande ont officiellement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/15/la-finlande-officialise-sa-candidature-historique-a-l-otan-la-suede-prete-a-suivre_6126228_3210.html">déposé leur candidature</a> pour devenir membres de plein droit de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).</p>
<p>Ce développement dissipe-t-il seulement un artifice diplomatique, puisque ces deux États étaient déjà partis au <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50349.htm">Partenariat pour la Paix de l’OTAN</a> depuis 1994 et participaient, à ce titre, à de nombreuses activités militaires et diplomatiques de l’Alliance ? Ou bien s’agit-il d’une étape supplémentaire dans la polarisation stratégique du continent ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-de-leurope-en-miettes-a-leurope-en-blocs-179392">Guerre en Ukraine : de l’Europe en miettes à l’Europe en blocs ?</a>
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<p>Ce qui est sûr, c’est que cette double candidature change la donne pour les deux États nordiques et pour la Fédération de Russie. Au-delà, elle manifeste aussi l’accélération de la recomposition stratégique à l’œuvre dans tout l’hémisphère nord. La principale victime de ces adhésions sera sans conteste l’autonomie stratégique européenne hors de l’OTAN.</p>
<h2>La fin d’un hiver stratégique de deux siècles pour la Suède</h2>
<p>Vues de Paris, Bruxelles ou Berlin, les postures stratégiques des deux États nordiques peuvent paraître similaires : historiquement attachées à leurs neutralités respectives, ces deux sociétés ont vécu le début de l’invasion de l’Ukraine, il y a un peu moins de trois mois, comme un « wake-up call » stratégique. Toutefois, leurs candidatures officielles à l’OTAN constituent deux ruptures sensiblement différentes pour l’une et pour l’autre.</p>
<p>Pour le Royaume de Suède, la neutralité est <a href="https://cqegheiulaval.com/neutralite-et-non-alliance-entre-tradition-et-evolution-dans-la-politique-etrangere-suedoise/">très ancienne</a>, délibérément choisie, et concourt à son prestige international. Voulue en 1812 par l’ancien maréchal d’Empire <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/bernadotte-charles-xiv/">Jean-Baptiste Bernadotte</a> devenu roi de Suède et de Norvège sous le nom de Charles XIV (1818-1844), elle était destinée à éviter au Royaume d’être enrôlé d’un côté ou de l’autre dans les guerres napoléoniennes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525888059891404801"}"></div></p>
<p>Ancienne <a href="https://www.herodote.net/Une_grande_puissance_europeenne_1560_1720_-synthese-2434.php">grande puissance au XVIIᵉ siècle</a>, la Suède avait une tradition militaire affirmée, une volonté de domination régionale maintes fois revendiquée et des litiges avec plusieurs États de l’espace baltique et est européen. La neutralité en temps de guerre (et son corollaire, la non-participation aux alliances militaires en temps de paix) a permis à la Suède de réaliser une <a href="https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1979_num_61_240_3570">révolution industrielle</a> puis un développement économique remarquable durant deux siècles, à l’abri des conflits européens puis mondiaux. De sorte que le pacifisme, d’abord vécu en déclin, est devenu une image de marque de la Suède.</p>
<p>Présenter sa candidature aujourd’hui à l’OTAN est, pour la Suède, une <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2022-5-page-27.html">césure stratégique</a> : ses efforts de réarmement – notamment de <a href="https://www.letelegramme.fr/monde/gotland-face-au-reveil-russe-la-suede-remilitarise-une-ile-de-la-baltique-17-04-2019-12261853.php">l’île de Gotland</a>, au milieu de la Baltique – trouvent aujourd’hui un aboutissement inattendu. Désormais, la Suède pourrait redevenir partie à un conflit armé au sein de l’OTAN. Le célèbre <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">article 5 du Traité de l’Atlantique Nord</a> prévoit en effet une assistance automatique en cas d’agression d’un autre membre de l’Alliance. Même si une attaque de la Russie contre la Suède est encore improbable aujourd’hui, les points de friction sont importants en Baltique – <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/revue-de-presse-internationale/a-la-poursuite-d-octobre-rouge-en-mer-baltique-2143444">où les sous-marins russes opèrent</a> – et <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/otan-derriere-l-adhesion-de-la-finlande-et-de-la-suede-le-grand-enjeu-de-l-arctique_5106337.html">dans l’espace arctique</a>. La glace sereine de la neutralité suédoise est aujourd’hui rompue.</p>
<h2>Adieu la finlandisation</h2>
<p>Pour la Finlande, les enjeux sont bien différents.</p>
<p>Ancien <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/fin1809.htm">territoire de l’empire tsariste</a> durant le XIX<sup>e</sup> siècle, cet État n’a acquis sont <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/finlande/2-la-conquete-de-l-independance/">indépendance</a> qu’à la faveur de la Révolution russe de 1917. Et les relations avec l’URSS ont été particulièrement tumultueuses.</p>
<p>En effet, après les <a href="https://www.secondeguerre.net/articles/evenements/es/39/ev_russofinlandais.html">guerres d’hiver (1939-1940)</a> puis de <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/fronts-de-guerre/la-%C2%AB%C2%A0guerre-de-continuation%C2%A0%C2%BB-sovi%C3%A9to-finlandaise-25-juin-1941-19-septembre-1944">continuation (1941-1945)</a> avec l’URSS, le jeune État finlandais a perdu tout à la fois un territoire économiquement et culturellement essentiel, la <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/03/04/la-carelie-annexee-par-staline-hante-les-relations-entre-la-finlande-et-la-russie_400318_3214.html">Carélie</a>, et la possibilité de mener une politique étrangère autonome.</p>
<p>En Finlande, la neutralité est subie, et résulte d’une défaite contre le grand voisin. Elle est en outre vécue comme une humiliation prolongée par de nombreux Finlandais pour lesquels la « finlandisation » est tout sauf une fierté nationale. Le contraste avec la Suède, qui a choisi la neutralité comme condition de sa réussite économique et qui l’a tourné en signe de prestige, est patent. En lançant un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-parlement-finlandais-entame-le-debat-sur-l-adhesion-a-l-otan-20220419">débat rapide et dense</a> sur son réalignement stratégique, la Finlande a véritablement brisé un tabou. En effet, le pays partage avec la Fédération de Russie 1 300 km de frontières. Il est particulièrement vulnérable aux incursions aériennes, navales et même terrestres de la part de la Russie. À Helsinki, le dilemme était donc presque existentiel : soit maintenir cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/02/crise-ukrainienne-l-hypothese-de-la-finlandisation-ou-la-neutralite-obligee_6111937_3232.html">« finlandisation »</a> imposée par l’URSS dans l’espoir d’une certaine sécurité face à une puissance militaire active à ses portes, soit bénéficier de l’assurance-vie de l’article 5… au risque de provoquer la Russie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : la Finlande demande l’adhésion à l’OTAN et rompt avec sa neutralité militaire (France 24, 16 mai 2022).</span></figcaption>
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<p>Le risque stratégique pris par la Finlande souligne le tournant pris par les relations internationales en Europe depuis trois mois : membre de l’UE depuis 1995, cette république nordique considère que les garanties de sécurité données par la solidarité européenne sont insuffisantes face à la Russie ; elle affirme également sur la scène européenne la fin du gel de son positionnement stratégique car elle efface ainsi la « finlandisation » que plusieurs mouvements finlandais <a href="https://www.europeanleadershipnetwork.org/commentary/the-nato-divide-in-finnish-politics/">considèrent depuis longtemps</a> comme une marque de minorité politique ; elle annonce, enfin, que le rapprochement avec les États-Unis sera désormais le cap de sa politique étrangère.</p>
<p>Par-delà les différences significatives entre Suède et Finlande, leurs candidatures respectives à l’OTAN marquent, pour la région baltique, l’entrée dans une période de tensions croissantes, de réarmement accéléré et d’instabilité. En effet, cette candidature clarifie ou radicalise la donne stratégique baltique en faisant disparaître une zone tampon marquée par une neutralité en <a href="http://oap.unige.ch/journals/connexe/article/view/343">partenariat libre avec l’OTAN</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516371195981094912"}"></div></p>
<p>Bientôt, les côtes baltiques seront très majoritairement celles de l’OTAN, car l’Allemagne, la Pologne et les trois États baltes sont déjà parties au Traité de l’Atlantique Nord. Bientôt, les deux États accentueront leurs efforts de <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/11/la-guerre-en-ukraine-pousse-la-suede-et-la-finlande-a-renforcer-leur-defense">réarmement significatif</a>, que leurs finances publiques et leurs appareils industriels leur permettent. Bientôt, des troupes de l’OTAN pourront être déployées sur ces territoires au contact de zones stratégiques pour les forces armées russes.</p>
<p>Toutes ces évolutions changeront la politique intérieure en Suède et en Finlande. Mais, en outre, cela radicalisera assurément la position russe dans la région.</p>
<h2>Un nouveau revers pour la Russie</h2>
<p>La force de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2022/05/16/guerre-en-ukraine-en-direct-les-candidatures-de-la-suede-et-de-la-finlande-a-l-otan-sont-une-grave-erreur-selon-la-russie_6126266_3210.html">réaction russe</a> aux candidatures suédoise et finlandaise donne la mesure du choc que les autorités de Moscou ressentent ou prétendent ressentir. Depuis une semaine, avant même la déclaration officielle de candidature, les déclarations russes ont pris un tour menaçant et ont abouti à la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-finlande-veut-integrer-l-otan-moscou-voit-rouge-et-coupe-ses-livraisons-d-electricite-917845.html">suspension des livraisons d’hydrocarbures à la Finlande</a>. La rupture stratégique est en effet importante pour Moscou du fait de ces deux candidatures, tout particulièrement la finlandaise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525829635321348102"}"></div></p>
<p>Depuis la Seconde Guerre mondiale, les deux États nordiques étaient considérés comme peu menaçants par Moscou, en raison de leur neutralité. En conséquence, de simples « tests » de souveraineté – des violations des espaces aériens ou maritimes – suffisaient pour maintenir la pression à peu de frais et préserver ainsi un équilibre stratégique en somme favorable à la Russie. Désormais, la Russie va sans doute <a href="https://www.la-croix.com/Monde/OTAN-Moscou-promet-sadapter-cas-dadhesions-suedoise-finlandaise-2022-05-13-1201215006">renforcer son dispositif militaire</a> dans un espace très vaste, fortement armé et où elle ne dispose que de deux leviers d’action : les bases militaires de Saint-Pétersbourg et l’enclave de Kaliningrad, située entre la Lituanie et la Pologne. Pour la Russie, inquiète de ses frontières occidentales et méridionales, c’en est fini du « confort » militaire au nord.</p>
<p>Les conséquences pourraient être très lourdes pour le budget fédéral, déjà <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-leconomie-russe-est-a-la-peine-182687">grevé</a> par les dépenses militaires et les sanctions européennes, et pour l’état des forces armées russes, aujourd’hui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/17/isabelle-facon-l-armee-russe-une-puissance-militaire-fantasmee-a-l-epreuve_6117836_3232.html">critiqué</a> à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie. La Russie risque l’épuisement budgétaire et militaire à brève échéance, surtout si la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/15/l-otan-souhaite-une-procedure-acceleree-pour-l-adhesion-de-la-suede-et-la-finlande_6126244_3210.html">procédure accélérée d’adhésion</a> est adoptée par l’OTAN.</p>
<p>À plus long terme, la posture stratégique de Moscou sera fortement modifiée. Tout d’abord, la Russie se considérera comme directement assiégée et comme menacée dans tous les espaces nordiques : mer Baltique mais aussi Atlantique Nord et Arctique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1517943567263670272"}"></div></p>
<p>Elle risque donc d’accentuer ses initiatives agressives dans la zone sous toutes les formes – navale, cyber, aérienne, économique. Hors de la zone, elle tentera de lutter contre l’effet domino de ces candidatures à l’OTAN. Car l’établissement de zones tampons était l’un de ses objectifs stratégiques. Aujourd’hui, si les candidatures nordiques sont acceptées et prospèrent, elles pourraient bien être imitées par bien d’autres États qui chercheront la protection de l’Alliance : la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_38988.htm">Géorgie</a>, la <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/08/natalia-gavrilita-la-moldavie-veut-rejoindre-l-ue-mais-pas-l-otan">Moldavie</a> et bien sûr l’<a href="https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/breves-strategiques/breve-strategique-n-32-2022-otan-ukraine-quelle-perspective-d-adhesion.html">Ukraine</a> ne pourront pas ne pas réévaluer leurs candidatures respectives à l’aune de ce précédent.</p>
<p>Ces candidatures constituent assurément un revers pour les stratèges russes. Depuis deux décennies, au sein du Conseil OTAN-UE et depuis 2014 contre lui, la Russie a pour cap principal en Europe de rendre impossibles de nouveaux élargissements de l’Alliance atlantique, après son extension en 1999 et 2004 aux anciennes démocraties populaires (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Tchéquie) et aux anciennes Républiques socialistes soviétiques baltes). En déclenchant l’opération militaire contre l’Ukraine, la Russie a obtenu un <a href="https://www.channelnewsasia.com/world/russia-ukraine-invasion-pushed-finland-sweden-nato-2682571">effet en retour</a> (backlash) strictement contraire à ses objectifs cardinaux. Le revers est aujourd’hui patent.</p>
<h2>Résurrection de l’OTAN et requiem pour l’autonomie stratégique européenne ?</h2>
<p>Ces candidatures nationales auront des effets continentaux, à brève et plus longue échéance.</p>
<p>En effet, ces deux États ont, par le fait même du dépôt de leurs candidatures, manifesté le peu d’assurance qu’ils plaçaient dans l’assistance mutuelle entre États membres de l’Union européenne prévue par <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-3-page-68.htm">l’article 42</a> du Traité sur l’Union européenne (TUE). Pour eux, la guerre en Ukraine montre que seule l’assistance mutuelle de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord apporte une réelle assurance vie militaire.</p>
<p>Les candidatures nordiques sont, en creux, un signe si ce n’est de défiance, du moins de scepticisme envers les efforts consentis par les Européens dans le domaine de la sécurité collective. On le voit dans le domaine médiatique : ce sont les États membres de l’OTAN, mais hors Union européenne, qui sont les plus actifs au sein de l’Alliance suite à ces candidatures. La <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/turquie/la-turquie-prete-a-discuter-avec-la-finlande-et-la-suede-de-leur-candidature-a-l-otan-75e0442a-d3ab-11ec-80ba-493b1bbfdada">Turquie</a> et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/12/le-royaume-uni-signe-un-accord-de-defense-avec-la-suede-et-la-finlande_6125703_3210.html">Royaume-Uni</a> se sont immédiatement prononcés sur le sujet. Leur but est de retrouver un rôle en Europe que leurs relations difficiles avec l’Union européenne leur refusaient.</p>
<h2>Un effet domino ?</h2>
<p>La réorientation stratégique des deux États nordiques servira également de précédent à l’intérieur de l’UE pour tous les États qui sont attachés historiquement à une forme de neutralité comme l’Autriche, l’Irlande, Chypre et Malte. Ces quatre États membres sont eux aussi membres du Partenariat pour la Paix de l’OTAN. Chacun a une tradition de non-engagement dans les alliances et les conflits armés qui s’explique soit par la taille, soit par la position dans l’espace européen, soit par un passé colonial. Dans une Europe où les zones tampons disparaissent, où les blocs se reconstituent et où la neutralité devient synonyme de vulnérabilité, des évolutions rapides sont à prévoir.</p>
<p>Pour les États nordiques comme pour la Russie, pour l’Alliance comme pour l’UE et pour tous les États qui observaient une certaine distance à l’égard de l’OTAN, ces candidatures marquent un tournant significatif. Que la non-appartenance à l’OTAN soit choisie (Autriche, Irlande, etc.) ou subie (Ukraine, Géorgie, Moldavie), désormais, seule l’adhésion à l’Alliance apparaît comme une garantie de sécurité. À brève échéance, tous les États de l’espace européen au sens large seront sommés de prendre parti : c’est, en Europe, la fin des neutralités, l’extinction des zones tampons et la disparition des postures ambiguës ou équilibrées. Les blocs militaires sont en voie de constitution rapide et la conséquence en est que l’Europe sera désormais traversée par une ligne de front durable.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183147/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après 75 ans de neutralité pour l’une et plus de 200 ans pour l’autre, la Finlande et la Suède ont décidé de rejoindre l’OTAN. Cette décision aura de vastes conséquences pour le continent européen.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.