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Parcoursup – The Conversation
2024-01-09T17:56:58Z
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Orientation post-bac : pourquoi les lycéens ruraux s’autocensurent
<p>Alors que se profile une nouvelle saison d’inscriptions sur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/parcoursup-55513">Parcoursup</a>, la plate-forme de <a href="https://www.parcoursup.gouv.fr/">candidature dans l’enseignement supérieur</a>, les critiques sur la sélection à l’université et la place des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/algorithmes-24412">algorithmes</a> dans l’orientation des lycéens ne faiblissent pas.</p>
<p>Si le poids de l’origine sociale sur les processus d’orientation et la <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2021-3-page-23.htm">reproduction des inégalités</a> qu’il implique concentre l’attention, il faut souligner aussi l’influence des ancrages territoriaux sur les choix des adolescents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-les-eleves-des-territoires-ruraux-manquent-ils-vraiment-dambition-161112">Inégalités scolaires : les élèves des territoires ruraux manquent-ils vraiment d’ambition ?</a>
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<p>Les formations en France étant très largement <a href="https://www.liberation.fr/societe/les-jeunes-ruraux-sont-juges-a-partir-dun-modele-urbano-centre-20210520_SE4ALLVUABHOFNLE6FHR3EP7XA/">urbano-centrées</a>, il n’est alors pas surprenant que les jeunes venant des espaces ruraux se retrouvent à pâtir d’un modèle où le diplôme est la condition <em>sine qua non</em> de la réussite professionnelle et, <em>a minima</em>, une <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/zadig-apres-lecole-pourquoi-les-decrocheurs-scolaires-raccrochent-ils/">arme contre la précarité</a>.</p>
<h2>Une connaissance concrète de la carte locale de formations</h2>
<p>Bien que les espaces ruraux aient une composition plus « populaire » que les villes, les <a href="https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864">résultats des élèves à l’entrée au collège</a> y sont comparables, voire supérieurs, à ceux des jeunes urbains. Si ces résultats peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs (moindres effectifs scolaires, <a href="https://theconversation.com/primaire-pres-dun-eleve-sur-deux-est-scolarise-dans-une-classe-multi-age-111659">classes « multi-âge »</a>, meilleures relations parents-professeurs…), ils mettent surtout à mal la théorie d’un soi-disant <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">« déficit culturel »</a> chez les ruraux.</p>
<p>Cependant, les jeunes ruraux sont bien plus souvent orientés que les urbains vers des filières courtes et professionnalisantes. Notons à titre d’exemple que, parmi les étudiants ruraux qui poursuivent leurs études après le baccalauréat, <a href="https://journals.openedition.org/rfp/1260">47 % partent en BTS ou DUT contre 38 % des urbains</a>. De plus, <a href="https://books.openedition.org/enseditions/16279">60 % des élèves ruraux de troisième envisagent un baccalauréat général ou technologique</a> contre une moyenne nationale à 71 % sur le territoire métropolitain. Ajoutons enfin que les formations infra-bac sont plus fréquentes puisque les <a href="https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864">CAP représentent 11 % des formations en milieu rural contre 8 % en ville</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chemins d’Avenirs : des mentors pour les jeunes des territoires ruraux (FRANCE 24, décembre 2023).</span></figcaption>
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<p>Comment expliquer que de meilleures performances académiques se conjuguent à des cycles d’études plus courts ? Pour y voir plus clair, il faut prendre en compte la <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2009-1-page-33.htm">relation entre formation, emploi et territoire</a>.</p>
<p>En milieu rural plus qu’ailleurs, les jeunes ont une connaissance plus concrète des métiers que le territoire peut offrir. Les formations proposées sur place coïncident souvent avec le marché de l’emploi local, ce qui fait que les ruraux se dirigent plus facilement vers des cursus professionnalisants, sans qu’il s’agisse nécessairement d’un biais de disqualification. Ces choix leur semblent une voie plus directe vers l’emploi. Il ne faut pas y lire un manque de compétences et d’ambition, mais une conscience plus précise de leurs objectifs de formation.</p>
<h2>Une orientation influencée par le budget et le réseau personnel</h2>
<p>Pourquoi ne pas partir faire des études supérieures en ville, si ces formations, de manière générale, ouvrent plus de perspectives d’emploi ainsi qu’une résistance face à la précarité ? Rappelons que les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2429772">diplômés sortis de formation depuis 1 à 4 ans</a> sont 41 % à être au chômage pour les non-diplômés, 19 % pour les bacs-CAP-BEP et 8 % pour les bac+2 et plus.</p>
<p>Bien entendu, l’ambition individuelle et le choix du parcours scolaire ne sont pas uniquement construits par les individus, ils peuvent être influencés aussi par le milieu familial. S’orienter vers un monde professionnel connu est plus simple pour beaucoup de jeunes « poussés » par un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html">phénomène de reproduction sociale</a>. De plus, les études en ville peuvent impliquer des dépenses plus élevées pour le logement, la nourriture, les frais de scolarité, les déplacements (retour chez ses parents les week-ends et/ou les vacances).</p>
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<p>Pour ce qui est du logement, l’UNEF note en 2022 que les loyers étudiants ont connu une hausse moyenne de 1,37 % et une <a href="https://unef.fr/wp-content/uploads/2022/08/Classement-UNEF-des-villes-universitaires-2022.pdf">hausse du coût de vie de 6,47 %</a>. Elle met également en lumière que le coût mensuel de vie dans des villes comme Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon ou encore Lille est compris entre 1 000 et 1 350 euros par mois pour un étudiant. Ces coûts peuvent être des freins qui renforcent les inégalités entre ruraux et urbains. Ceux-ci peuvent plus facilement limiter les coûts de leur formation par la cohabitation parentale et, de manière générale, une entraide familiale facilitée par la proximité géographique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin »" (Livre politique 2020/LCP, Assemblée nationale).</span></figcaption>
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<p>Enfin, des a priori sur la ville peuvent jouer. Certains peuvent avoir la sensation d’un manque d’opportunités en dehors de leurs réseaux d’interconnaissance, d’autres ont plus largement un avis négatif. Le sociologue <a href="https://theconversation.com/profiles/benoit-coquard-862400">Benoît Coquard</a> revient par exemple sur <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-3-page-39.htm">ces préjugés sur les villes, tout particulièrement Paris</a>. Ces réticences peuvent être liées à une crainte de l’insécurité et de la violence dans les villes, renforcée par l’idée d’une vie stressante et d’un espace de vie pollué.</p>
<p>L’ensemble de ces réticences, craintes ou inégalités amène à une sélection des ruraux hors des centres urbains.</p>
<h2>S’éloigner de ses proches : un coût émotionnel à gérer</h2>
<p>Hormis le calcul rationaliste entre coûts et gains, il ne faut surtout pas omettre l’aspect relationnel et affectif qui est en jeu lors de l’orientation des jeunes. En effet, la poursuite d’études en ville implique, pour les ruraux, un choix parfois difficile : aller se former ailleurs et quitter son milieu de vie, ou rester sur place en acceptant une offre de formation souvent plus réduite.</p>
<p>Partir se former ailleurs peut avoir un <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">coût émotionnel</a> qui peut être trop lourd pour certains jeunes. Ces jeunes savent que partir en ville signifie généralement s’y insérer professionnellement et donc y rester à plus long terme. Ce choix n’est pas qu’un choix de formation. Il implique pour le jeune de se projeter dans une carrière, c’est-à-dire dans un milieu social et un espace de vie particulier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/choix-scolaires-une-orientation-heureuse-est-elle-possible-103295">Choix scolaires : une « orientation heureuse » est-elle possible ?</a>
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<p>Là où les liens familiaux sont forts, quitter la famille, les amis, son compagnon ou sa compagne, peut entraîner une séparation difficile et créer un sentiment d’isolement. Quitter son milieu de vie et ne pas savoir si l’on pourra y revenir peut avoir un coût social trop important pour pouvoir être considéré.</p>
<p>La sélection des jeunes ruraux n’est donc pas seulement le fruit d’un rapport plus direct entre formation-emploi-territoire, mais provient tout autant de limitations économiques, mais aussi affectives. Des dispositifs comme les <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-campus-connectes">campus connectés</a> ou bien encore les <a href="https://www.foyersruraux.org/pages_thematiques/les-universites-rurales-espaces-de-rencontre-de-reflexion-de-formation-de-proposition/">universités rurales</a> existent, mais ne peuvent pas à eux seuls compenser les inégalités territoriales dans l’accès à la formation.</p>
<p>Il est nécessaire de prendre en compte les différents freins relatifs à l’accès aux études tant que l’accès au diplôme restera un objectif central dans l’égalité des chances pour les jeunes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220231/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
À résultats scolaires égaux, les adolescents des espaces ruraux s’orientent plus vers des filières courtes et professionnalisantes que les élèves de lycées urbains. Comment l’expliquer ?
Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de Bordeaux
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tag:theconversation.com,2011:article/213611
2023-11-13T19:33:58Z
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Réussite étudiante : en quoi les premières semaines à l’université sont-elles décisives ?
<p>La réussite ou l’échec dans l’enseignement supérieur sont souvent mesurés de manière quantitative, en pourcentages par filières et types de baccalauréat obtenus, ou encore selon l’<a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/cereq_-_parcours_scolaires_et_insertion_professionnelle_-_etude_fs_-_sept2023.pdf">origine socioprofessionnelle des parents</a> sans prendre suffisamment en compte d’autres facteurs plus qualitatifs. Ainsi la réussite est mesurée selon le taux de réussite de la L1 à la L2 ou encore selon l’obtention en trois ou quatre ans de la licence.</p>
<p>Est-ce un échec d’avoir une licence en quatre ans, mais en ayant mieux approfondi ses connaissances ou en ayant précisé son projet professionnel ? Est-ce une réussite d’obtenir un master 2 en 5 ans à l’issue duquel on se rend compte que l’on s’est trompé d’orientation ? De même, si les étudiants qui ont déjà connu un redoublement ou un échec au baccalauréat antérieur ont une tendance à décrocher plus vite que les autres, peu d’études montrent ce qu’ils sont devenus quelques années plus tard.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-universites-americaines-accueillent-leurs-nouveaux-etudiants-189252">Comment les universités américaines accueillent leurs nouveaux étudiants</a>
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<p><a href="https://www.persee.fr/doc/forem_0759-6340_1987_num_18_1_1211">Pour Bernard Charlot</a>, même si des facteurs sociaux existent, ils n’expliquent pas tout. Pour essayer de comprendre à partir de quel moment l’expérience étudiante se transforme en réussite ou en échec, il est intéressant de se pencher sur l’histoire personnelle de l’étudiant, sur son expérience.</p>
<p>Dans cette logique dont nous avons tenté, dans une <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/les-100-premiers-jours-a-l-universite-9782806636522/">recherche ethnographique</a>, à partir de journaux d’étudiants inscrits dans une vingtaine d’universités plus ou moins grandes et d’entretiens formels et informels de mieux comprendre les enjeux des premières semaines à l’université : comment les étudiants vivent-ils cette entrée dans un nouveau monde éducatif ? Quelles stratégies de travail développent-ils ? Quels sont leurs projets professionnels et personnels ?</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/sdt/37761">Alain Coulon</a> avait déjà évoqué que la réussite universitaire était liée à la capacité d’insertion active des étudiants dans le milieu universitaire et l’hypothèse pourrait être formulée que tout se joue dans les 100 premiers jours de l’étudiant à l’université et que cette capacité à s’insérer dépend de facteurs qui ne sont pas seulement liés au rapport au savoir académique et à ses prérequis.</p>
<h2>Une population étudiante hétérogène</h2>
<p>L’université depuis les années soixante a connu l’explosion de ses effectifs. Selon <a href="https://journals.openedition.org/lectures/57412">Hugrée et Poullaouec</a>, de 2008 à 2021, le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, pendant que dans le même temps le budget chutait de 12 %. Les effectifs dans l’enseignement supérieur français ont été multipliés par 8 en 50 ans pour des raisons à la fois démographiques et académiques. En effet, selon les mêmes auteurs, plus de 80 % d’une génération obtient un baccalauréat contre 10 % au début des années 60. Les trois quarts d’entre eux s’inscrivent à l’université.</p>
<p>Le terme d’étudiant correspond à une facilité de définition pour constituer une notion commune. Pourtant l’étudiant type n’existe pas. <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_4_4353">François Dubet</a> a proposé la construction d’une typologie de l’expérience étudiante à travers la combinaison de trois dimensions élémentaires : la nature du projet poursuivi, le degré d’intégration dans la vie universitaire et l’engagement dans une « vocation » intellectuelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Poitiers : rentrée universitaire à la fac d’histoire (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2020).</span></figcaption>
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<p>Les objectifs pour lesquels les lycéens s’inscrivent dans l’enseignement supérieur sont très variés : la connaissance pour la connaissance, la volonté de préparer un métier, être étudiant pour être étudiant, la volonté de se tester dans des études considérées difficiles, la possibilité de réfléchir à des projets variés… Pour prendre une métaphore sportive, on distingue également plusieurs catégories d’étudiants arrivant à l’université :</p>
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<li><p>les sprinters : on essaie d’aller vite sur deux ou trois ans et de ne pas perdre de temps pour intégrer en admission parallèle une école d’ingénieur, de gestion ou de commerce ;</p></li>
<li><p>les marathoniens : on sait que l’université va être un long parcours et on pense que l’on a le temps de s’y habituer. Même s’il y a un échec en première année, cela ne présage pas de problèmes futurs ;</p></li>
<li><p>les battus d’avance : on sait ou l’on pense que l’on n’a pas le niveau. On est là pour participer mais sans en avoir l’entraînement et sans trop connaître les règles du jeu.</p></li>
</ul>
<p>Certains étudiants sont encore dans une phase de recherche et de découverte personnelle, d’autres sont dans une logique d’apprentissage de l’autonomie à la fois scolaire et personnelle. Cet apprentissage de l’indépendance est plus ou moins progressif et se vit différemment selon les étudiants. Parfois, les champs des possibles se transforment en impasses.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Isoler des facteurs de réussite ou d’échec comme certaines <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/reussite-et-echec-en-premier-cycle-universitaire-en-france-comment-en-juger">études</a> l’ont fait en mettant en avant la nature du baccalauréat obtenu est pertinent sur le plan de la rationalité, mais ne rend pas compte de l’intrication et de la complexité de chaque facteur les uns avec les autres. L’échec ou la réussite correspond bien à une nébuleuse d’interactions qui dépasse l’analyse causale et statistique. La socialisation des premières semaines est bien un indicateur de l’affiliation universitaire comme en témoigne une étudiante en économie-gestion qui explique cette montée en puissance de doutes sur l’utilité de son entrée dans l’enseignement supérieur :</p>
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<p>« Au fil des premières semaines, j’ai vécu beaucoup de choses. J’ai commencé un travail le soir après les cours et les week-ends qui m’a fait rencontrer d’autres personnes. J’ai aussi rencontré un garçon un peu plus âgé que moi qui travaille depuis deux ans comme commercial après un BTS. Son travail a l’air de le passionner et je me demande si des études courtes n’auraient pas été plus intéressantes. Je me sens en plus assez isolée à la fac. J’ai quitté mes parents et mes amis du lycée en septembre et puis, depuis presque trois mois à la fac, j’ai le sentiment qu’on n’apprend pas la vie à l’université. Donc aujourd’hui, j’ai plein de doutes, même si je pense avoir réussi mes partiels. »</p>
</blockquote>
<h2>Un accueil qui compte dans le sentiment d’affiliation à l’établissement</h2>
<p>Plusieurs raisons d’affiliation ou de mise à distance apparaissent dans les témoignages des étudiants et qui correspondent à des moments vécus lors des premières semaines de l’enseignement supérieur. La découverte des locaux, d’abord, est souvent une surprise plus ou moins bonne pour les étudiants, comme l’exprime un participant de l’enquête :</p>
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<p>« Déjà, j’étais dans un lycée qui n’était pas terrible, mais là, c’est pas une université, c’est un HLM. Ce sont des bâtiments construits dans les années soixante-dix. La plupart des TD sont dans des préfabriqués qui datent des années quatre-vingt. Les toilettes sont dans un état lamentable. On amène son papier toilette, parce qu’il n’y en a pas toujours. J’entendais à la radio la ministre parler d’excellence de l’université. Faudrait qu’elle vienne chez nous… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres étudiants sont plus satisfaits : </p>
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<p>« On a l’impression d’être dans une famille, on a un local avec des fauteuils, on peut se connecter au WIFI et les profs viennent souvent dans ce local. C’est très sympa de discuter aussi avec les étudiants de L2 ou de L3. »</p>
</blockquote>
<p>L’accueil lors des premiers jours est particulièrement important. Il va ensuite être un facteur plus ou moins fort d’intégration :</p>
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<p>« La responsable de filière est venue nous parler dix minutes, ensuite on a eu notre premier cours. Elle ne nous a pas donné d’horaires pour nous recevoir et l’accueil était un peu froid. J’ai l’impression que c’était une corvée pour elle. »</p>
</blockquote>
<p>Dans d’autres cas, l’impact paraît plus fort pour l’intégration :</p>
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<p>« On a eu une demi-journée d’intégration super ; la majeure partie des profs est venue se présenter pu, par groupe de 15, des étudiants de L2 nous ont fait visiter les locaux, les salles infos. Ils nous ont montré où étaient les bureaux des secrétariats, de l’association sportive, du BDE. On s’est senti très pris en charge. C’était bien et en plus, cela nous fait avoir des contacts avec des étudiants de 2<sup>e</sup> année. »</p>
</blockquote>
<h2>Étudier et changer de cadre de vie</h2>
<p>L’entrée à l’université correspond à la période où on l’on va quitter ses parents pour la première fois de manière durable. C’est un moment qui est assez peu évoqué lorsque l’on parle d’échec ou de réussite à l’université et pourtant ce moment est crucial pour les primo-étudiants qui expérimentent cette nouvelle vie. L’un dit :</p>
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<p>« C’est impossible de dormir dans ma résidence universitaire. Tous les soirs, c’est la fête dans un studio. J’ai essayé de me plaindre, mais on me fait passer pour une rabat-joie. Mais au bout d’un moment c’est intenable de ne dormir que quatre heures par nuit. »</p>
</blockquote>
<p>Une autre ajoute :</p>
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<p>« Les premiers temps, c’est un peu débile à avouer, mais j’avais un peu peur le soir… on se rend compte que les parents, ils sont peut-être souvent chiants, mais c’est rassurant d’être chez eux. »</p>
</blockquote>
<p>La mobilité géographique, notamment le passage d’une petite ville à une grande ville (ou d’un bourg à une ville moyenne) est un élément encore marquant pour beaucoup d’étudiants. Quelques étudiants se brûlent encore aux lumières de la ville.</p>
<p>Aller à l’université représente une suite de ruptures : quitter son lycée, sa famille, sa ville, sa province. Plus ces ruptures sont nombreuses et plus le risque d’isolement est réel :</p>
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<p>« C’est pas évident lorsque je me retrouve dans ma chambre du CROUS le soir devant mon ordinateur. Les autres résidents de mon palier sont plus âgés, donc le contact ne se fait pas facilement. »</p>
</blockquote>
<p>À ces nouvelles configurations s’ajoutent aussi les temps des nouvelles socialisations, de constitution d’un réseau d’amis, d’adaptation à la prise de notes notamment en amphithéâtre, d’organisation des tâches domestiques dont les témoignages montrent leurs effets sur la réussite ou l’échec lors du premier semestre à l’université.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quelles-conditions-les-outils-numeriques-aident-ils-les-etudiants-a-reussir-186175">À quelles conditions les outils numériques aident-ils les étudiants à réussir ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/213611/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Pinte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’entrée à l’université ne marque pas seulement un cap en termes d’exigences de formation. C’est aussi un bouleversement des cadres de vie qui peut influer sur la réussite étudiante.
Gilles Pinte, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Université Bretagne Sud
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2023-06-02T09:49:39Z
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Parcoursup : les adolescents face au stress des choix d’orientation
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529350/original/file-20230531-27-3hlj3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1917%2C1325&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les rêves offrent un espace pour se construire et se préparer à la rencontre avec la réalité.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’orientation est une source de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/stress-20136">stress</a> considérable pour les jeunes. Si c’est souvent en fin d’année scolaire, lors de la diffusion des résultats d’admission post-bac, que l’opinion publique en prend conscience, ce phénomène va bien au-delà des échéances de fin d’année scolaire. Il toucherait deux tiers des jeunes de 18 à 25 ans, selon une <a href="https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2018/12/181211_Cnesco_orientation_enquete_jeunes_credoc.docx.pdf">enquête menée par le CREDOC</a> (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) pour le CNSECO (Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire).</p>
<p>Bien que le stress paraisse augmenter à l’approche de la classe de terminale, les <a href="https://journals.openedition.org/osp/617">collégiens expriment déjà eux aussi massivement leurs difficultés face à ces choix d’avenir</a>.</p>
<p>Alors que les lycéens reçoivent à compter du 1<sup>er</sup> juin 2023 sur <a href="https://www.parcoursup.fr/">Parcoursup</a> les premières réponses à leurs demandes d’inscription dans l’enseignement supérieur, interrogeons-nous sur ce que représente l’orientation pour les nouvelles générations.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?</a>
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<p>Si de nombreux dispositifs sont mis en place pour aider les élèves à construire leurs parcours, on continue généralement de se focaliser sur des enjeux d’insertion scolaire, universitaire, ou socio-professionnelle. On oublie souvent la spécificité du temps dans laquelle s’inscrivent ces échéances, l’adolescence, qui agit sur la manière d’envisager des projets d’avenir.</p>
<h2>L’orientation, cap important vers l’âge adulte</h2>
<p><a href="https://www.revuecliopsy.fr/wp-content/uploads/2019/10/RevueCliopsy22-Meloni-015.pdf">Le choix d’orientation</a> marque souvent une des premières prises de responsabilité des adolescents. Associé au développement de leur autonomie, il implique une distanciation avec les parents, et donc la perte de leur protection. Les appréhensions face à l’avenir sont encore plus fortes quand les élèves ont l’impression d’être démunis face à la <a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">complexité des filières et des procédures</a> ou d’avoir un niveau trop faible.</p>
<p>Les jeunes <a href="https://www.education.gouv.fr/rapport-thematique-igesr-2020-l-orientation-de-la-quatrieme-au-master-325088">se plaignent fréquemment de l’injustice des dispositifs d’orientation</a>, et leur détresse peut dès lors se mêler à un sentiment de colère. Sans préjuger de son bien-fondé, cette plainte interpelle l’institution et, à travers elle, les adultes, à la fois critiqués et recherchés pendant ce processus d’autonomisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/choix-scolaires-une-orientation-heureuse-est-elle-possible-103295">Choix scolaires : une « orientation heureuse » est-elle possible ?</a>
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<p>Bien que les choix d’orientation soient moins tributaires qu’auparavant des traditions sociales et familiales, à travers eux, les adolescents se situent néanmoins <a href="https://www.cairn.info/revue-cliopsy-2009-2-page-105.htm">dans une filiation</a> en affirmant leur proximité avec un membre de leur entourage exerçant dans la voie envisagée ou manifestant son intérêt à son égard. C’est pourquoi la valorisation procurée par l’admission dans un cursus est aussi une façon d’espérer satisfaire les personnes importantes à leurs yeux.</p>
<p>« Être pris », « être refusé », « savoir s’ils veulent de moi » sont autant d’expressions que les jeunes utilisent pour signifier leurs préoccupations. Dès lors, les choix d’orientation engage la construction de l’image de soi à plusieurs niveaux. Tout d’abord, leur émission reflète l’idée que les adolescents se font d’eux-mêmes selon, notamment, leur assurance, leurs caractéristiques sociales, <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2007-2-page-87.htm">leur féminité/masculinité</a>, comme le développe notamment Françoise Vouillot.</p>
<p>Les réponses qu’ils reçoivent façonnent à leur tour leur représentation d’eux-mêmes. Non seulement elles renforcent ou affaiblissent leur confiance en eux mais elles consolident, ou au contraire, remettent en question leur identité, puisqu’à travers elles, l’espace social émet un jugement sur l’adéquation de leur personnalité avec la place envisagée.</p>
<h2>Choisir et affirmer son identité</h2>
<p>L’élaboration d’un projet d’orientation s’apparente effectivement à celle d’un « projet identitaire » selon la formule de <a href="https://cerisy-colloques.fr/pieraaulagnier2021/">Piera Aulagnier</a>. Avec lui, l’adolescent cherche à <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2014-2-page-131.htm">repérer ses désirs</a>, à les affirmer, à les faire reconnaitre. Le projet lui permet ainsi de s’authentifier en évoquant ses rêves, ses idéaux, ses désirs, mais aussi leurs limitations. Toutefois, il reste soumis à la reconnaissance sociale, par la sélection et la remise de diplôme.</p>
<p>En d’autres termes, alors que le projet représente pour l’adolescent une occasion de prendre la parole en son nom en énonçant comment il souhaite se situer dans la vie collective, l’admission ou le refus dans la filière demandée soutient ou, au contraire, destitue cette tentative de s’affirmer en tant que personne.</p>
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<figcaption><span class="caption">#DitesNousTOUT : votre orientation, un choix de cœur ou stratégique ? (Région Occitanie, 2017).</span></figcaption>
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<p>Toutes les formes de stress ne sont néanmoins pas équivalentes. Certaines concernent davantage la crainte de manquer d’informations sur les voies existantes, sur les débouchés ou sur le quotidien d’une activité professionnelle. D’après nos observations de terrain, issues de nos recherches sur le vécu de l’orientation menées en établissements scolaires de différentes académies, ces préoccupations sont plus prégnantes chez des élèves ou chez des étudiants de milieux sociaux défavorisés. Centrées sur le fonctionnement et sur les attentes sociales, elles renvoient à un manque de repères externes.</p>
<p>À ces préoccupations se mêle une quête de repères internes mis à mal à l’adolescence avec les transformations physiques et psychiques. Sous cet angle, le stress de l’orientation pourrait être requalifié en angoisse. Avec lui, il s’agit finalement de l’angoisse liée au risque de perdre l’amour et l’estime de sa famille en n’étant pas à la hauteur des attentes, de l’angoisse face à la responsabilité d’affirmer ses désirs face aux demandes sociales, de l’angoisse du « qui suis-je ? »</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-des-diplomes-pour-imaginer-lavenir-171223">« Une jeunesse, des jeunesses » : des diplômes pour imaginer l’avenir ?</a>
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<p>Quelques situations amplifient cette angoisse identitaire, comme le cas où les adolescents sont plus fragiles psychiquement. De même, les élèves « orientés par défaut » ou soumis à « une orientation subie », déjà en difficultés scolaires, ne parviennent pas à se sentir reconnus quand ils énoncent leurs projets au point pour certains d’affirmer « ne pas avoir d’avenir » ou « d’être bon à rien ».</p>
<p>Cette angoisse peut encore être oppressante pour les élèves issus de milieux sociaux défavorisés qui se sentent engagés dans un avenir sans issue, mais aussi éprouvante pour les élèves de milieux sociaux favorisés soumis à des pressions exigeantes. Enfin, elle peut être alimentée par <a href="https://doi.org/10.1051/psyc/202050060">l’assignation à un stigmate social, culturel ou médical</a>, qui assujettit les adolescents aux projets des autres à leur égard, les dépossédant de leur avenir. Ainsi, comme nous avons pu le montrer dans un précédent article, bien que les <a href="https://www.cairn.info/revue-psychologie-clinique-2020-2.htm">élèves atteints d’un handicap</a> soient régulièrement amenés à énoncer leurs projets d’avenir, leurs paroles sont finalement peu prises en compte.</p>
<h2>Des rêves à concilier avec les enjeux du monde contemporain</h2>
<p>Inhérente au processus de l’adolescence, l’angoisse du choix d’avenir est particulièrement forte alors que montent les <a href="https://theconversation.com/en-2020-les-generations-climat-haussent-le-ton-128959">inquiétudes environnementales</a>, sociales ou géopolitiques, rendant difficile la projection dans l’avenir, et par conséquent, les rêves de jeunesse. Or les <a href="https://doi.org/10.3917/ep.089.0162">rêves sont fondamentaux à l’adolescence</a>. En fournissant un espace protégé, ils accordent du temps pour grandir et imaginer une façon de se présenter aux autres avant de pouvoir affronter la rencontre de la réalité.</p>
<p>Pour autant, le contexte ne nous dédouane pas d’interroger la responsabilité des adultes. Il pourrait paraître paradoxal que le stress ou l’angoisse s’accroisse au moment même où l’institution aspire à développer des pratiques éducatives bienveillantes. Dans ce sens, Pierre Boutinet remarque la <a href="https://www.puf.com/content/Anthropologie_du_projet">contradiction d’une position institutionnelle qui encourage les élèves et les étudiants à exprimer des choix pour finalement ne pas en tenir véritablement en compte</a>. Les projets envisagés sont aussitôt confrontés à la réalité menaçante du poids des notes, du nombre de places en établissement et du manque de débouchés.</p>
<p>En somme, l’exigence de performance pousse à développer des compétences scolaires, professionnelles et sociales afin de maîtriser l’orientation. Mais le discours porteur de promesses d’émancipation au travail ne permet pas de prendre en compte les inquiétudes des adolescents en restant focalisé sur l’idée qu’une « bonne orientation » assurerait l’avenir.</p>
<p>Ce discours pourrait pourtant s’essouffler avec les successions de crises sociales et de crises d’emploi, ou encore, avec le développement de la <a href="https://theconversation.com/mesurer-la-souffrance-au-travail-des-sirenes-hurlantes-au-mur-du-silence-83751">souffrance au travail</a>. Pour l’heure, en évitant le questionnement intime des adolescents, le risque est de ne pas les considérer à travers leur histoire personnelle, mais comme des élèves ou des étudiants permutables et malléables à souhait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Méloni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le choix d’orientation post-bac touche à des enjeux d’identité et il importe de ne pas éviter ce questionnement intime pour aider les adolescents à affronter l’inquiétude de l’avenir.
Dominique Méloni, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, spécialité psychologie de l’éducation. Psychologue clinicienne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
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tag:theconversation.com,2011:article/184694
2022-09-19T18:41:20Z
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Faut-il continuer à noter les élèves ?
<p>L’évaluation des élèves par notation a fait l’objet de nombreuses critiques, en particulier de la part du didacticien des mathématiques André Antibi, qui a dénoncé, de façon retentissante, une <a href="https://site.nathan.fr/livres/la-constante-macabre-9782098996045.html">« constante macabre »</a>. La formule renvoie à la <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2022/05/23052022Article637888848964833473.aspx">pression sociale</a> qui pousserait les enseignants, pour que les évaluations soient considérées comme crédibles, à mettre un certain pourcentage de mauvaises notes quel que soit le niveau de la classe.</p>
<p>Si cette analyse a rencontré de multiples échos depuis sa première apparition, en 1988, les notes ne semblent pas être descendues depuis de leur piédestal dans le monde scolaire et universitaire. Elles continuent à jouer un rôle essentiel, tant dans les examens, comme le bac, que dans les procédures d’orientation ou d’affectation, telles que Parcoursup, ou Affelnet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-notes-ont-elles-pris-tant-dimportance-dans-le-systeme-scolaire-142440">Comment les notes ont-elles pris tant d’importance dans le système scolaire ?</a>
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<p>Faut-il conclure de cette persistance que la notation serait une nécessité incontournable quand il s’agit de tester les connaissances des élèves et déterminer leurs acquis ? Faut-il y voir un mal nécessaire, faute de pouvoir évaluer mieux ? Ou existe-t-il des alternatives ?</p>
<h2>Former ou sélectionner ?</h2>
<p>On est redevable à André Antibi, <a href="https://www.ouest-france.fr/education/enseignement/disparition-andre-antibi-pourfendeur-de-l-echec-scolaire-6dbb3406-da79-11ec-af80-542c876fe5bf">disparu en mai 2022</a>, d’un double apport, aussi instructif qu’utile. En premier lieu, on lui doit la mise en évidence de ce qu’il a désigné, selon la formule citée plus haut, et qui a frappé les esprits, la « constante macabre ». Il la définit comme « le pourcentage à peu près constant d’échec qu’il doit y avoir dans toute évaluation pour qu’elle paraisse crédible ».</p>
<p>Tout se passe comme si les évaluateurs postulaient qu’il doit y avoir, dans une distribution de notes, quel que soit par ailleurs le niveau du groupe, « une sorte de constante : la proportion de mauvaises notes ». D’où une répartition constante des élèves en trois groupes à peu près équilibrés – avec des notes supérieures à celles des autres pour le premier, des résultats dans la moyenne pour le deuxième et inférieures à la moyenne de la classe pour le troisième – contenant chacun environ un tiers des sujets évalués. Ce qui crée artificiellement de l’échec pour les élèves classés dans le dernier tiers, victimes alors d’<a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/la-folie-de-l-evaluation-9782091895048/">« une forme de violence »</a>.</p>
<p>Pour Antibi, c’est « la société » qui a « mis en place cette constante », en faisant « jouer aux enseignants un rôle de sélectionneurs malgré eux ». La pression sociale qui s’exerce en faveur d’une « sélection sournoise » contraint les enseignants/évaluateurs à jouer le « rôle désagréable » de sélectionneur social. Le remède serait alors simple : redonner « à l’enseignant son vrai rôle : former (et non pas sélectionner ».</p>
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<p>Ainsi se comprend le second apport décisif d’Antibi, dans le sens d’une évaluation qui serait davantage conforme à ce vrai rôle, autrement dit d’une évaluation « formative » : l’Évaluation Par Contrat de Confiance (EPCC). Celle-ci permettrait de commencer à substituer au « contrat implicite » de sélection « dicté par la société », un contrat explicite pour une évaluation mise au service des élèves, contrat dicté par leur besoin principal : apprendre.</p>
<p>L’Évaluation Par Contrat de Confiance repose sur l’idée qu’il ne faut pas chercher à piéger l’élève, mais au contraire à l’encourager. Cela peut se faire au moyen d’une évaluation se développant dans un « climat de confiance », en étant davantage destinée à évaluer les connaissances qu’à classer les élèves : « Le principe est simple : l’élève dispose d’une liste d’exercices traités en classe, et il sait que l’essentiel de son sujet sera constitué d’exercices de cette liste ».</p>
<h2>Récompenser le travail</h2>
<p>Il faut observer, d’une part, que cette pratique évaluative ne peut concerner que des « contrôles » faits en classe, en cours d’apprentissage. Et, d’autre part, que la critique d’Antibi ne porte que sur un usage contestable de l’évaluation par notation, et non sur le principe de la notation lui-même. Car la « constante macabre », ne représentant qu’un « dysfonctionnement », n’est pas une fatalité. On pourrait très bien imaginer, et juger souhaitable, une distribution ne comportant que de bonnes notes !</p>
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<figcaption><span class="caption">Le style de notation varie selon les systèmes scolaires (Karambolage/Arte).</span></figcaption>
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<p>En restreignant le champ de l’évaluation à ce qui a été effectivement travaillé et appris, l’EPCC permet de récompenser le travail, et de ne pas transformer chaque contrôle en concours classant les élèves. Mais, si elle semble réunir certaines conditions sociales et pédagogiques d’une meilleure prise en compte des résultats d’apprentissage, elle ne garantit nullement, d’une part, une appréciation pertinente des acquis des élèves ; en soi, elle n’assure pas que les notes attribuées sont objectives et justes.</p>
<p>D’autre part, elle ne remet pas en cause la pertinence de la notation, ne posant pas la question de savoir en quoi une note aurait vraiment la capacité de traduire la réalité d’un apprentissage. N’y a-t-il pas mieux à faire que noter ? S’il faut refuser une notation qui fabrique injustement de mauvais élèves, faut-il accepter la notation comme moyen pertinent d’évaluer ?</p>
<p>Le vrai problème est celui de la production de la note, ou plutôt du jugement appréciatif que la note est censée exprimer, jugement qui pourrait s’exprimer sous d’autres formes. Car le jugement qui, dans l’évaluation, traduit l’appréciation des acquis des élèves, obéit à une double contrainte. Celle de traduire le plus objectivement et exactement possible la réalité d’un état ou niveau de compétence (problème de saisie du réel). Et celle de traduire cette réalité d’une façon claire et opératoire (problème de communication du résultat de la saisie).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-la-dictee-ne-suffit-pas-a-evaluer-le-niveau-des-eleves-177494">Orthographe : la dictée ne suffit pas à évaluer le niveau des élèves</a>
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<p>Or, la note, par son apparence de résultat de mesure, semble respecter la deuxième contrainte. Mais elle fait oublier la première, que l’on tient pour automatiquement respectée (quoi de plus immédiatement objectif qu’une mesure ?). La difficulté principale est que l’évaluation n’est pas une mesure au sens strict, et que la note donne une fausse impression de rigueur.</p>
<h2>Nourrir l’ogre algorithmique</h2>
<p>Évaluer signifie formuler un jugement sur l’acceptabilité d’une situation par référence à des attentes. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/etre-et-savoir/l-anxiete-de-performance-chez-les-jeunes-4337551">L’évaluateur scolaire</a> est à la recherche d’informations utiles pour étayer un jugement défendable sur le niveau des élèves. On peut alors distinguer deux grands types de situations.</p>
<p>Ou bien il aura besoin d’informations éclairantes sur l’état d’avancement de chaque élève dans ses apprentissages, en vue de l’aider à progresser. À supposer alors qu’il trouve (comme tente de le faire l’EPCC), des modalités et des épreuves d’évaluation pertinentes, respectant la première contrainte, la note, par sa sécheresse, et la faiblesse de son pouvoir d’information, est loin d’être pour lui la meilleure façon d’exprimer son jugement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Repenser le systèmes de note français ? (Interview de Philippe Meirieu/SQOOL TV).</span></figcaption>
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<p>Il pourra, par exemple, préférer des outils de communication tels que les grilles d’observation analytiques, fondées sur des <a href="https://enseignants.nathan.fr/catalogue/l-evaluation-a-l-ecole-pour-la-reussite-de-tous-les-eleves-cycles-1-2-et-3-livre-de-pedagogie-9782091246376.html">descripteurs concrets des activités</a> révélant (ou non !) les connaissances ou compétences visées. Une évaluation « formative », en cours d’apprentissage, n’a guère besoin de notes. Et l’on peut à juste titre demander ici aux enseignants/évaluateurs d’<a href="https://liseo.france-education-international.fr/index.php?lvl=notice_display&id=38432">« évaluer sans noter »</a>.</p>
<p>Mais, dans un second grand cas, il pourra avoir besoin d’informations « classantes », c’est-à-dire d’informations permettant de comparer des individus selon leurs « performances » dans des domaines précis, en vue de procéder à des tris, ou à des choix, dans une perspective de certification, ou, plus largement, de sélection.</p>
<p>Il faut bien reconnaître que plus l’on s’approche d’un seuil de certification, comme le bac, ou d’orientation, comme les choix de filières après le collège, ou d’une formation pour l’entrée dans l’enseignement supérieur, et plus les décideurs (jurys, commissions travaillant dans les systèmes d’affectation) ont besoin d’informations « classantes », faciles, sinon à interpréter (que signifie la note de 11,5/20 ?), du moins à manipuler ! Car il faudra bien, in fine, répartir sur une échelle verticale, et classer, ne serait-ce qu’en deux tas : reçus/collés ; acquis/non acquis.</p>
<p>Tant qu’il faudra donc, en quelque sorte, nourrir l’« ogre algorithmique », dans sa fonction d’aide au choix, et à la décision, l’apparente clarté, et l’apparente objectivité, de la note, en font un outil d’information très commode, dont on a (et aura) beaucoup de mal à se passer.</p>
<p>Mais la facilité d’utilisation justifie-t-elle le déni des ambiguïtés et des difficultés ? Peut-on continuer à faire « comme si » la note était une mesure assurée et indiscutable des performances scolaires ? Antibi avait raison sur ce point : c’est la pression que la société exerce en faveur de la sélection qui provoque des « dysfonctionnements » tels que la « constante macabre ».</p>
<p>Mais chaque fois qu’une sélection s’avère nécessaire, la tentation de la notation devient quasi irrésistible. Pourra-t-on, en ce dernier cas, se passer de notes ? Il faudrait pouvoir leur substituer d’autres repères simples et parlants… qui restent à inventer ! À bon inventeur, salut !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184694/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Si la « constante macabre » des notes a été dénoncée, leur apparente objectivité en fait des outils toujours très prisés dans un système éducatif où la sélection tient une place importante.
Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)
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tag:theconversation.com,2011:article/177185
2022-04-05T18:41:47Z
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« Les Héritiers » : ce que Bourdieu et Passeron nous ont appris de l’inégalité des chances
<p>Vingt ans après la disparition de Pierre Bourdieu, voici l’occasion de se pencher à nouveau sur l’un de ses ouvrages les plus commentés, co-écrit avec Jean-Claude Passeron, <em>Les Héritiers, les étudiants et la culture</em>, paru aux Éditions de Minuit en 1964. Bien au-delà du cercle restreint des sociologues, ses analyses firent émerger des débats passionnés sur l’école et restent, près de soixante ans plus tard, <a href="https://silogora.org/les-heritiers-de-bourdieu-et-passeron/">d’une grande actualité</a>. Car l’inégalité sociale dans le cadre scolaire demeure un fait patent, aujourd’hui comme hier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/455566/original/file-20220331-23-wxqqli.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pierre Bourdieu, portrait par Bernard Lambert.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c0/Pierre_Bourdieu_%281%29.jpg">Bernard Lambert/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La thèse de Bourdieu et Passeron est simple et remet en question les théories à la mode à cette époque : les inégalités devant l’école ne se réduisent pas à l’insuffisance de ressources économiques mais elles sont aussi <a href="https://journals.openedition.org/lectures/728">redevables à des raisons d’ordre social</a>. À la description du fait inégalitaire, les deux sociologues associent la définition d’un concept d’une grande valeur heuristique : l’« héritage culturel ».</p>
<p>Les héritiers sont les « élus », ceux qui ont hérité par leur milieu familial de manières de dire et de faire, de savoirs et de savoir-faire, de goûts culturels, qui sont exigés et valorisés par le système scolaire, ce qui leur donne un privilège dans leur rapport à l’école.</p>
<p>Il faut ainsi comprendre que le capital culturel sert directement la réussite et les tâches scolaires. L’école se trouve donc prise dans les mécanismes de reproduction, puisqu’elle suppose acquise la culture qu’elle doit enseigner. Ainsi, la culture scolaire est frappée du sceau de l’arbitraire culturel : contenus et formes scolaires ne relèvent pas totalement du mérite scolaire mais de l’action du privilège culturel, c’est-à-dire cet héritage qui se transmet de manière discrète et indirecte, sans action manifeste du milieu familial.</p>
<h2>Implicites culturels</h2>
<p>L’exemple récent de l’impact des inégalités sociales au cours de la crise sanitaire du Covid-19 valide cet implicite de l’éducation révélé par les auteurs. Au-delà des contraintes matérielles et de la fracture numérique qui ont particulièrement touché les élèves de milieux défavorisés pendant le confinement (manque de matériels pour travailler, difficultés de connexion, manque de place à domicile), il convient de souligner que c’est surtout la moindre maîtrise des codes culturels qui <a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115">a accéléré les difficultés scolaires</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115">Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables</a>
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<p>17 % des élèves de second degré ont déclaré avoir eu des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952">difficultés de compréhension</a> des cours contre 9 % de ceux d’origines très favorisées et 13 % d’origines favorisées. « Nul doute que la vraie fracture a été dans l’aide apportée à l’enfant en dehors des sessions scolaires » <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/covid-19-un-amplificateur-des-inegalites-scolaires">note Éric Charbonnier</a>, analyste éducation à l’OCDE.</p>
<p>Il n’y a donc pas de nouveauté pour les sociologues, <a href="https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/covid-19-la-parole-a-la-science/le-confinement-aggrave-t-il-les-inegalites-scolaires">nous rappelle</a> Anne Barrère : malgré la « bonne volonté » des enfants et des parents de milieux populaires conscients de la centralité de l’école, ceux-ci se heurtent à beaucoup de malentendus sur les consignes, les attentes des enseignants, sur ce que l’on appelle en sociologie, les implicites culturels, dévoilés par Bourdieu et Passeron depuis les années 1960.</p>
<p>La thèse des <em>Héritiers</em> est aussi fondée empiriquement sur un ensemble de données d’enquêtes statistiques et monographiques. Certes, des critiques méthodologiques sévères ont été portées à leur encontre, en raison d’un manque de rigueur dans le contrôle empirique de leurs hypothèses, de la constitution de leurs échantillons non aléatoires, limités parfois aux seuls étudiants de philosophie et de sociologie, de <a href="https://books.openedition.org/pumi/8028">l’analyse de certaines distributions statistiques</a>. Cependant, l’ouvrage reste une référence obligée sur le plan empirique, renouant avec la tradition durkheimienne, où il est démontré, notamment dans <em>Le Suicide</em>, que la spéculation théorique sur le social ne peut remplacer l’observation systématique des faits.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Grâce à un calcul innovant qui présente les chances scolaires objectives d’accéder à l’université selon la profession du père, les auteurs montrent en particulier que les catégories sociales les plus représentées dans l’enseignement supérieur sont les moins représentées dans la population active. Ils en concluent que le système scolaire opère objectivement une élimination d’autant plus totale que l’on va vers les classes les plus défavorisées. Un fils de cadre supérieur a alors 40 fois plus de chances d’entrer à l’Université qu’un fils d’ouvrier.</p>
<h2>Inflation scolaire</h2>
<p>« <em>Les Héritiers</em> construisent la sociologie de l’enseignement supérieur sur la base du fait soigneusement mesuré de l’inégalité devant l’école. Fait incontournable aujourd’hui comme hier, lorsque l’on se donne la peine de recommencer les mesures », <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1999_num_128_1_3055_t1_0144_0000_4">écrivait Roger Establet</a> en 1998 dans la préface de l’ouvrage <em>Les nouveaux étudiants</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">Bonnes feuilles : « Culture de masse et société de classes. Le goût de l’altérité »</a>
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<p>En 2020, 34 % des étudiants sont enfants de cadres supérieurs alors que leurs parents forment seulement 18 % des actifs. 12 % des étudiants ont des parents ouvriers, ceux-ci <a href="https://www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-enseignement-superieur?id_theme=17">représentant 21 % de la population active</a>. Malgré les réformes engagées et la réduction des écarts, l’accès aux diverses orientations de l’enseignement supérieur, en particulier aux formations supérieures prestigieuses, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03367672/document">demeure inégalitaire</a>. D’après les données du Ministère, en 2020, 52 % des étudiants en Classes préparatoires aux Grandes Écoles et 51 % des étudiants en Médecine ont des parents cadres contre respectivement 7 % et 5 % d’étudiants d’origine ouvrière.</p>
<p>En 1990, ces proportions étaient <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1999_num_128_1_3055_t1_0144_0000_4">sensiblement les mêmes</a>. Cette sociologie rigoureuse et perspicace interpelle donc d’hier à aujourd’hui la société universitaire tout entière. Des années 1960 à nos jours, le fond de carte de l’inégalité des chances et des capitaux culturels demeure, alors que l’enseignement supérieur <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2010-2-page-71.htm">s’est transformé</a> ces dernières années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/choix-detudes-orientation-professionnelle-donnons-aux-jeunes-le-droit-de-se-tromper-174930">Choix d’études, orientation professionnelle : « Donnons aux jeunes le droit de se tromper »</a>
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<p>On ne peut en effet que constater la hausse du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur français due en partie à l’augmentation de la <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/07/05072017Article636348537981187767.aspx">proportion de bacheliers</a> dans une génération (de 65 à 79 % entre 2010 et 2017). Qui dit généralisation, dit également hétérogénéité et diversification des publics étudiants. Et la figure de « l’héritier » – représenté à l’époque par l’étudiant en lettres, archétype du rapport à la culture analysé par les auteurs – semble dépassée.</p>
<p>En effet, <a href="http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/106-decembre-2015.pdf">« les nouveaux étudiants »</a> présentent aujourd’hui des profils composites, des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/14/precarite-pres-de-20-des-etudiants-vivent-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_6019163_4355770.html">conditions de vie</a> et d’étude jugées difficiles, comme en témoignent les manifestations récentes en France, suite à l’immolation par le feu d’un étudiant de 22 ans pour dénoncer ses difficultés financières. L’inflation des titres scolaires s’est poursuivie également : le master devient le cap à atteindre pour une majorité d’étudiants français (60 % des diplômés de licence poursuivent en master).</p>
<h2>Sélectivité croissante</h2>
<p>Face à cet afflux, l’Université française a entériné la voie de la professionnalisation, mais aussi celle de la sélectivité. La sélection à l’entrée en Master 1 est adoptée depuis 2016 et depuis 2017, près d’un millier d’étudiants attendent d’avoir une place en master, faute d’avoir réussi à faire valoir leur droit à la poursuite d’études. Plus encore, depuis 2018, la <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/loi-relative-l-orientation-et-la-reussite-des-etudiants-49850">Loi ORE</a> (Orientation et Réussite des Étudiants) entérine une sélection par les choix d’orientation, en fixant des attendus pour chaque licence, visant à orienter les candidats futurs bacheliers, qui doivent désormais formuler leurs vœux sur la plate-forme Parcoursup.</p>
<p>Le bilan de la Loi ORE qui cherchait notamment à réduire le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2017/11/21/41-6-des-bacheliers-reussissent-leur-premiere-annee-de-licence_5218170_4401467.html">taux d’échec en première année</a> universitaire questionne : moins d’un tiers des étudiants français obtiennent en 2016 leur licence en trois ans et seulement 42 % de ceux inscrits en L1 passent en L2 à la fin de l’année.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/r37pb67KHNU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage sur le décrochage universitaire et un dispositif pour y remédier (France-3 Bourgogne Franche-Comté, 2018).</span></figcaption>
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<p>Ces statistiques, stables depuis plus de dix ans, s’expliquent en partie par l’échec des bacheliers technologiques et professionnels, le plus souvent issus de milieux défavorisés socialement et culturellement, déjà assimilés aux « nouveaux » acteurs de la sélection universitaire <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_2000_num_41_4_5318">au début des années 2000</a>. Désorientés et vulnérables, mal préparés à l’apprentissage du métier d’étudiant et au caractère faiblement intégrateur de l’institution universitaire, ils connaissent de fortes désillusions auxquelles leur milieu familial ne les a pas préparés.</p>
<p>La libéralisation progressive des accès n’a donc que peu modifié l’existence des chances inégales associées à l’origine sociale. Ainsi que l’écrivaient Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leur ouvrage, « l’autorité légitimatrice de l’École peut redoubler les inégalités sociales parce que les classes les plus défavorisées, trop conscientes de leur destin et trop inconscientes des voies par lesquelles ils se réalisent, contribuent par là à sa réalisation ».</p>
<p>En 1989, dans un entretien, Bourdieu dira à propos des <em>Héritiers</em> : « le livre a eu beaucoup de succès. Il a été lu par toute une génération et il a fait l’effet d’une révélation alors qu’il ne disait rien de très extraordinaire : les faits étaient assez bien connus de la communauté scientifique. On disposait depuis longtemps d’enquêtes sur l’élimination différentielle des enfants selon leur milieu d’origine ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1007&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1007&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1007&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1265&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1265&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/455570/original/file-20220331-20-drx48d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1265&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions de Minuit</span></span>
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<p>Pourtant, <em>Les Héritiers</em> ont fait voler en éclats le mythe de l’égalité des chances scolaires et si l’école reste encore aujourd’hui la voie royale de la démocratisation de la culture, « la seule à pouvoir créer ou développer selon les cas, l’aspiration à la culture, même la moins scolaire » <a href="https://books.openedition.org/pumi/8028?lang=fr">dira Pierre Bourdieu</a> à l’occasion d’un colloque en 1965, elle consacre toujours, en les ignorant, les inégalités initiales devant la culture. Elle continue de le faire même si la transmission culturelle ne fonctionne pas mécaniquement, que des rapports de forces internes à la cellule familiale, que des processus d’identification peuvent fausser la <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2013-2-page-225.htm">reproduction sociale</a> des héritiers ou au contraire permettre des réussites non prévues d’enfants dont les parents <a href="https://blogacabdx.ac-bordeaux.fr/0240068u/wp-content/uploads/sites/63/2017/05/La-r%c3%a9ussite-scolaire-en-milieux-populaires-B.Lahire.pdf">cumulent les handicaps</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177185/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Erlich ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Vingt ans après la disparition du sociologue et malgré la massification de l’enseignement supérieur, les analyses de Pierre Bourdieu sur les inégalités d’accès aux études restent très actuelles.
Valérie Erlich, Maîtresse de conférences en Sociologie, Université Côte d’Azur
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tag:theconversation.com,2011:article/179432
2022-03-23T19:21:35Z
2022-03-23T19:21:35Z
Sur Parcoursup, les émotions des lycéens influencent leurs choix
<p>Depuis 2018, la plate-forme numérique Parcoursup permet aux lycéens d’enregistrer leurs vœux d’orientation dans l’enseignement supérieur et de postuler auprès des différentes formations. Ce portail participe à la régulation des inscriptions dans les universités et les écoles post-bac à partir de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2020-2-page-337.htm?contenu=article">critères d’admission</a> supposés égalitaires et socialement justes.</p>
<p>La procédure se déroule en <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15225">trois étapes</a>. Au premier semestre, les élèves de terminale préparent leur projet d’orientation motivé en s’informant sur les formations et les professions auxquelles celles-ci conduisent. Cette réflexion est censée être poursuivie au second semestre et concrétisée par l’inscription sur la plate-forme et la formalisation des vœux. Lors de la troisième étape, en juin et juillet, les lycéens reçoivent – ou ne reçoivent pas – des propositions d’admission de la part des établissements et doivent prendre des décisions en acceptant ou non ces propositions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?</a>
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<p>Le dispositif Parcoursup obéit en apparence à une logique purement cognitive intégrant dans le processus d’affectation des lycéens leurs performances scolaires, les appréciations des enseignants, l’avis du conseil de classe sur la pertinence du projet d’orientation, leurs vœux d’orientation non hiérarchisés, les capacités d’accueil et exigences fixées par les établissements d’enseignement supérieur (examen des dossiers par les commissions des formations).</p>
<p>Ces ingrédients gérés par des algorithmes constituent la partie émergée de l’iceberg car, comme le fait toute personne accomplissant une transition scolaire ou professionnelle, les élèves mobilisent inévitablement des ressources socioaffectives pour faire face à cet événement institutionnalisé. De l’élaboration des vœux aux propositions d’admission, les émotions sont au cœur du dispositif et les prendre en considération conditionne notre compréhension de cette expérience qui constitue une sorte de prototype de ces transitions qui marqueront la vie professionnelle.</p>
<h2>Les émotions au cœur de l’orientation</h2>
<p>Comme le soulignent les travaux empiriques en psychologie depuis les années 1980, les émotions, loin d’être sources de troubles du comportement et du fonctionnement psychologique, jouent au contraire un <a href="https://journals.openedition.org/osp/748">rôle de guide</a>. Elles impulsent l’action de l’individu dans une direction déterminée, et orientent les processus cognitifs (attention, mémoire, raisonnement, décision…) afin d’assurer sa sécurité physique et psychologique. Agréables ou désagréables, les émotions aident le plus souvent les lycéens à se situer et faire des choix.</p>
<p>Les élèves sont ainsi conduits au cours de ces différentes étapes à anticiper leur avenir professionnel, à se fixer un objectif qu’ils désirent atteindre et, pour ce faire, à poursuivre plus ou moins explicitement les buts et objectifs intermédiaires les acheminant progressivement vers la vie professionnelle souhaitée. Franchir ces étapes ne se fait pas sur un coup de tête. Le choix rationnel peut mobiliser de nombreux processus : se poser des questions, identifier ses talents et appétences, rechercher des informations sur les formations et les métiers, sélectionner ces dernières avec pertinence, assimiler et coordonner les informations entre elles, accommoder les manières de se concevoir, et de concevoir certaines formations ou professions…</p>
<p>Tout au long de ces opérations, les émotions sont mobilisées. À tout moment, une information peut donner naissance à une émotion plus ou moins agréable selon qu’elle perturbe ou au contraire renforce le cours des choses ou les attentes de la personne. Cela peut être le cas par exemple d’une appréciation plus ou moins favorable émanant des instances scolaires sur le projet d’orientation de l’élève.</p>
<p>Les travaux empiriques montrent en effet que de telles appréciations suscitent des <a href="https://www.cairn.info/revue-enfance-2011-4-page-465.htm">émotions multiples</a> et d’intensité variable – tristesse, colère, anxiété, dégoût, honte, culpabilité mais aussi joie, exaltation, intérêt. En particulier, les émotions négatives apparaissent significativement plus intenses lorsque l’appréciation énoncée par l’instance scolaire contrarie les vœux d’orientation, que lorsqu’elle les entérine.</p>
<h2>L’anxiété, une place particulière dans l’orientation</h2>
<p>On sait par ailleurs que les décisions d’orientation et les activités qui lui sont associées peuvent être perçues comme anxiogènes par les élèves. L’anxiété est appréhension de ce qui pourrait advenir dans un futur plus ou moins proche, et l’orientation engage l’avenir de la personne souvent durablement. Rechercher des informations sur les formations et les professions nécessite de se confronter à la nouveauté. Si la nouveauté peut être source d’enthousiasme, elle est assez fréquemment source d’inquiétude. De même, faire le choix d’une orientation implique de renoncer à d’autres possibilités, ce qui peut induire la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0001879115000640">peur de se tromper</a>.</p>
<p>Ces activités d’orientation prennent en outre place dans un contexte de transition de l’enseignement secondaire vers l’enseignement supérieur, de transition de l’adolescence à l’âge adulte, auxquels elles préparent. <a href="https://www.jstor.org/stable/40375413">L’anticipation et le vécu de ces transitions</a>, en raison notamment des changements importants qui les escortent suscitent de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0001879121000154">multiples émotions</a>, parmi lesquelles de l’anxiété.</p>
<p>Ce sentiment d’insécurité n’est toutefois pas partagé de la même façon par tous les individus. Face aux enjeux de l’orientation, et lorsqu’il s’agit de se projeter mentalement dans son avenir scolaire et professionnel, les filles déclarent davantage de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2012-2-page-249.htm">peur d’échouer</a>, de décevoir leurs parents, et de s’éloigner de leurs proches, dans le cadre de leur parcours scolaire et professionnel que les garçons. De même, les élèves de milieu sociologiquement peu favorisés éprouvent une peur d’échouer et de décevoir leurs parents plus élevée que ceux d’un milieu favorisé ou moyen.</p>
<h2>Le partage social, une ressource ?</h2>
<p>Lorsqu’elles sont confrontées à un évènement qui induit des émotions, les personnes mettent en œuvre différents moyens pour tenter d’y faire face. L’un d’entre eux consiste à <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/partage-social-des-emotions/">partager</a> avec les personnes de son entourage proche l’évènement et les émotions éprouvées qui y sont associées. Pour les lycéens, parler de Parcoursup, de l’orientation, des émotions qui y sont associées, avec leurs parents, leurs amis et amies proches, ou les acteurs jouant un rôle important dans l’orientation (enseignants et enseignantes, psychologues de l’éducation nationale…), peut procurer des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10775-019-09417-z">bienfaits psychologiques</a>.</p>
<p>Le partage social permet de renforcer les liens et d’obtenir du soutien afin d’être rassuré, de restaurer l’estime de soi, le sentiment de compétence et d’atténuer le sentiment de solitude éprouvé face à la situation. En s’appuyant sur le langage et les structures logiques de pensée, il contribue en outre à réorganiser l’information et créer du sens, à réorganiser les priorités et les objectifs, envisager la situation sous un angle nouveau, et adapter ses actions en conséquence.</p>
<p>L’efficacité de ce partage repose cependant sur la qualité des liens tissés avec l’entourage. Plus les adolescents perçoivent les relations avec ces personnes comme sécurisantes, plus ils pourront s’impliquer dans ce partage, et plus ils en tireront des bénéfices psychologiques.</p>
<p>Les bonnes décisions d’orientation au sein de Parcoursup ne sont donc pas seulement fondées sur des calculs supposés rationnels mais également sur la possibilité d’en débattre sereinement avec des personnes de confiance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179432/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle VIGNOLI a reçu des financements du Ministère de l'Enseignement Supérieur de la Recherche et de l'Innovation pour effectuer une recherche sur Parcoursup. L'article présent ne fait cependant pas référence aux données de cette recherche en cours sur Parcoursup et financée par le Ministère. Il s'appuie exclusivement sur des articles déjà publiés antérieurement. </span></em></p>
Parcoursup, la plate-forme d’admissions post-bac, obéit en apparence à une logique purement rationnelle. Mais les émotions sont bel et bien au cœur de ce dispositif d’orientation. Comment les gérer ?
Emmanuelle Vignoli, Maîtresse de conférences (HDR) en psychologie de l'orientation, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
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tag:theconversation.com,2011:article/174489
2022-01-12T20:36:26Z
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Parcoursup : fin de partie pour 2022 ?
<p>Aussitôt la campagne présidentielle de 2017 terminée, le candidat victorieux Emmanuel Macron se déclare favorable à l’introduction d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/08/30/01016-20170830ARTFIG00337-emmanuel-macron-souhaiterait-la-fin-du-mythe-de-l-universite-pour-tous.php">sélection sur dossier à l’université</a>, jusqu’alors interdite par l’article 14 de la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur devenu article L612-3 du code de l’éducation.</p>
<p>L’un des principaux arguments ayant conduit à tourner la page d’Admission Post-Bac, la plate-forme d’accès à l’enseignement supérieur destinée aux lycéens, était celui de l’injustice et de l’inefficacité de la procédure. Dans certaines filières universitaires très demandées, le tirage au sort figurait en effet parmi les recours possibles pour départager les candidats.</p>
<p>Toutefois, presque cinq ans après la mise en place du plan Orientation et Réussite des Étudiants en 2018, il semblerait que les critiques adressées à Parcoursup soient les mêmes que celles qui visaient Admission Post-Bac, à tel point que l’application Parcoursup s’invite d’ores et déjà dans la campagne présidentielle. En cela, l’analyse du discours autour de l’outil est de rigueur.</p>
<h2>Une procédure critiquée</h2>
<p>Plusieurs des candidats et candidates déclarés ont d’ores et déjà abordé le sujet de Parcoursup. Que proposent-ils ? À dire vrai, pas grand-chose. Les temps sont plutôt à la dénonciation de l’absurdité du système en place. Valérie Pécresse, <a href="https://www.europe1.fr/politique/pecresse-soutient-parcoursup-systeme-dorientation-selective-3663992">qui soutenait Parcoursup à son lancement</a>, pointe désormais le manque criant de transparence de la procédure, ou plutôt de son « algorithme » sur lequel reposerait l’orientation des jeunes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-revoir-les-regles-de-parcoursup-pour-ameliorer-lorientation-des-lyceens-168161">Débat : Revoir les règles de Parcoursup pour améliorer l’orientation des lycéens</a>
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<p><a href="https://twitter.com/franceinfo/status/1470305262791761921">Pour l’écologiste Yannick Jadot</a>, le problème de Parcoursup repose également sur le fait qu’il s’agit d’une « boite noire », ou encore d’un « algorithme déshumanisé ». La socialiste Anne Hidalgo se situe sur la même ligne, promettant d’abroger Parcoursup, cet « algorithme » qui « décide de votre vie ». Le chef de file de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon oriente sa critique sur un autre aspect de la procédure, <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20211221.OBS52422/parcoursup-un-bouc-emissaire-trop-facile.html">dénonçant</a> un « brise-vocation où les jeunes n’apprennent qu’à mentir en écrivant dix lettres de motivation différentes ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1473605568749309952"}"></div></p>
<p>Quant au candidat communiste Fabien Roussel, il a qualifié Parcoursup de « Koh Lanta de l’orientation, mais sans totem d’immunité », une semi-boutade qui ne nous indique pas grand-chose sur le diagnostic que son équipe se campagne pose sur les problématiques de l’orientation post-bac.</p>
<h2>Questions de justice et d’efficacité</h2>
<p>Si l’on considère l’histoire de l’accès à l’enseignement supérieur et les retours d’expérience des candidats ces dernières années, le fond de la critique de Parcoursup peut se situer sur deux plans. Il est possible d’émettre des réserves sur le principe même de la sélection à l’université, qui est désormais explicite et généralisée, ce qui représente la vraie grande innovation du dispositif. On peut de surcroît critiquer les modalités selon lesquelles cette sélection est organisée.</p>
<p>Indéniablement, la procédure de Parcoursup manque de transparence, elle est longue, stressante, et s’inscrit dans une temporalité particulière où les candidats cumulent les impératifs. In fine, elle peut générer un sentiment d’injustice auprès de candidats qui, pourtant, jouent le jeu avec diligence.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399738817523900423"}"></div></p>
<p>Cependant, les discours politiques ne se concentrent que sur la question de l’outil et de ses paramétrages, sans entrer dans un débat sur la justice ou l’efficacité de la sélection ni sans aborder le rôle de l’université dans la société.</p>
<h2>Une somme de décisions humaines</h2>
<p>Si <a href="https://laviedesidees.fr/Parcoursup-ou-la-selection-par-les-algorithmes.html">l’algorithme de Parcoursup n’est pas neutre</a>, il n’est <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20211221.OBS52422/parcoursup-un-bouc-emissaire-trop-facile.html">pas pour autant d’une complexité insaisissable</a> : Parcoursup est avant tout <a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">l’agrégation de décisions humaines</a>, dont le verso se fait de manière collégiale, au niveau des commissions d’examen de vœux.</p>
<p>Nous savons que l’absence de hiérarchisation des vœux par les lycéens allonge l’exécution de cet algorithme à un point tel que <a href="https://theconversation.com/debat-revoir-les-regles-de-parcoursup-pour-ameliorer-lorientation-des-lyceens-168161">certains décident d’y couper court</a> en acceptant une proposition qui n’entrait pas dans leurs objectifs initiaux. Il est également vrai qu’entre les programmes lourds et le manque de moyens alloués à l’éducation nationale et l’enseignement supérieur, beaucoup de lycéens et de leurs familles se sentent perdus, démunis et mal accompagnés face à cette procédure opaque.</p>
<p>En définitive, Parcoursup est système chronophage subi par les candidats, mais également par l’ensemble de ses acteurs principaux et intermédiaires. Or, le discours tendanciel sur Parcoursup de la plupart des candidats consiste principalement en une dénonciation de « l’algorithme » impersonnel, froid et fluctuant. En cela, cette manière de définir les rouages de Parcoursup invisibilise la somme des décisions humaines encouragées par la manière dont la procédure est construite.</p>
<p>Autrement dit, en mettant l’accent sur le problème de « l’algorithme », on oublie la question de la sélection et on survole celle des modalités. Parcoursup est certes une procédure déshumanisante, mais pas déshumanisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174489/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alban Mizzi a reçu des financements de l'école doctorale santé publique et science politique (EDSP2).</span></em></p>
Parcoursup s’invite d’ores et déjà dans la campagne présidentielle. Que penser des discours tenus par les candidats sur ce sujet de l’orientation post-bac ?
Alban Mizzi, Doctorant en sociologie, Université de Bordeaux
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tag:theconversation.com,2011:article/168161
2021-10-04T18:46:55Z
2021-10-04T18:46:55Z
Débat : Revoir les règles de Parcoursup pour améliorer l’orientation des lycéens
<p>En ces temps de rentrée universitaire, les bacheliers qui franchissent pour la première fois la porte d’un cours en amphi ou de travaux dirigés ont un point commun : pour s’inscrire en licence, tous sont passés par la procédure Parcoursup, qui recueille au printemps les vœux d’orientation des lycéens et distribue les places disponibles dans les différentes filières de l’enseignement supérieur.</p>
<p>C’est en 2018 que Parcoursup a remplacé la système Admission Post-Bac, en bute à de multiples critiques, suite au <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170717.OBS2189/admission-post-bac-la-fin-du-calvaire-du-systeme-de-tirage-au-sort.html">tirage au sort</a> à l’entrée de certaines formations très demandées. Mais les premières sessions de cette nouvelle plate-forme ont été mouvementées également, et la procédure taxée d’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/18/parcoursup-un-systeme-opaque_5333082_3232.html">opacité</a>. La situation a-t-elle évolué en 2021 ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399738817523900423"}"></div></p>
<p>D’après le bilan publié par le ministère, les choses rentreraient peu à peu dans l’ordre, <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid159456/parcoursup-fin-de-la-procedure-2021.html">« seuls » 239 candidats n’ayant pas trouvé chaussure à leur pied</a>, cette année, soit presque deux fois moins qu’en 2020. Cependant, ce chiffre de 239 correspond aux candidats qui sont toujours accompagnés par une commission d’accès à l’enseignement supérieur fin septembre. Une aide que tous les déçus n’ont pas forcément sollicitée. Et, d’après un <a href="https://www.parcoursup.fr/tdb-indicateurs/Tableau_de_bord_Admission_2021-07-16.pdf">tableau de bord</a> publié en juillet, plus de 22 000 lycéens et 8 291 étudiants en demande de réorientation auraient quitté la procédure sans y avoir eu la moindre proposition.</p>
<p>D’autre part, même parmi les jeunes qui ont décroché une inscription, un certain nombre ont témoigné de leur désarroi face à la longue attente qu’ils ont vécue entre l’enregistrement de leurs vœux et la confirmation de leur admission. Il importe donc de se pencher sur la « non hiérarchisation » des vœux par les candidats, présentée comme une différence avec Admission Post-Bac susceptible de régler les problèmes d’affectation. Peut-elle tenir ses promesses ?</p>
<h2>Une procédure « non manipulable » ?</h2>
<p>Revenons à la situation de départ. Il y a un certain nombre de bacheliers donné, un certain nombre de places dans les formations du supérieur, il convient alors d’affecter ces candidats à ces places. D’un côté, les candidats ont des projets, ou du moins des préférences, de l’autre côté les formations ont des critères d’admission. Pour résoudre cette problématique, Parcoursup s’appuie sur un algorithme.</p>
<p>Pour comprendre comment celui-ci fonctionne, il faut se pencher d’abord sur le modèle qui précédait Parcoursup : celui d’Admission Post-Bac (APB), qui s’appuie sur un système d’affectation obéissant à la <a href="http://pareto.uab.es/jmasso/pdf/DubinsFreedmanAMM1981.pdf">procédure Gale-Shapley</a>. Un système déjà expérimenté dans les années 1950 aux États-Unis pour affecter les internes en médecine aux hôpitaux du pays, en fonction des choix de chacun.</p>
<p>David Gale et Lloyd Shapley, mathématiciens, imaginèrent une procédure à la fois équitable, juste, non-manipulable et efficace, qu’ils comparent avec la constitution de mariages « stables ». Pour arriver à coup sûr à cette stabilité, la procédure Gale-Shapley veut que les hommes proposent, et que les femmes disposent. C’est-à-dire qu’elles acceptent ou refusent, cela se jouant en plusieurs tours. Les femmes peuvent accepter en attendant de trouver mieux.</p>
<p>Dans le cas d’APB, les formations allaient donc envoyer en plusieurs tours des propositions aux candidats, selon l’ordre dans lequel elles recevraient leurs demandes, puis ces candidats disposeraient. La procédure avait l’inconvénient d’être « inéquitable » dans le sens où un candidat pouvait voir passer sous son nez une admission dans une filière qui l’aurait préféré, mais qui, au fil des tours d’attente, avait déjà rempli ses capacités avec l’admission d’autres candidats peut-être moins méritants.</p>
<p>Certains optaient alors pour des stratégies afin d’optimiser leurs chances, comme ne pas forcément mettre la filière sélective dont ils rêvaient en premier choix, de peur d’y être refusés face aux dossiers de leurs concurrents, sans avoir assuré leurs arrières dans une formation plus accessible et qui leur plaisait aussi. Voilà en quoi la procédure devenait « manipulable ».</p>
<p>Jusqu’ici, ces explications se basent sur des exemples simplifiés. S’il y a trop d’élèves par rapport aux places, certains se retrouvent sans affectation, et vice-versa. La procédure Gale-Shapley constitue le modèle sur lequel reposa APB en France de 2009 à 2017, à quelques nuances près. C’est également peu ou prou le modèle sur lequel repose Parcoursup, si l’on omet la non-hiérarchisation des vœux par le candidat, qui va en fait marquer une rupture franche.</p>
<h2>Une entorse majeure</h2>
<p>Sur Parcoursup, les candidats opèrent ainsi leurs choix sans les classer par ordre de préférence. Les formations doivent ensuite les classer, et renvoient aux étudiants une réponse parmi les suivantes : « oui », « non » (uniquement pour les formations sélectives), ou placement sur liste d’attente. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/02/alban-mizzi-la-non-hierarchisation-des-v-ux-est-la-principale-limite-de-parcoursup_6086664_3224.html">La spécificité de Parcoursup, ce sont justement ces listes d’attentes</a>, ils disent combien l’évolution de leurs rangs et leur suivi dans ces listes <a href="http://www.theses.fr/s245428">occupe une place prépondérante</a> dans leurs esprits ainsi que dans leur quotidien.</p>
<p>En n’obligeant plus le candidat à hiérarchiser ses candidatures par ordre de préférence, Parcoursup s’affranchit de la dimension « manipulable » d’APB. Pour autant, le problème de l’insatisfaction n’est pas résolu, car l’attente à laquelle Parcoursup oblige peut amener bon nombre de candidats à accepter puis s’inscrire dans une formation qui n’entrait initialement pas dans leurs plans. Et cette même non-hiérarchisation incite plus facilement les candidats à formuler plus de vœux, d’où de plus longs délais de traitement.</p>
<p>Ce principe de non-hiérarchisation des vœux paraît pourtant, à première vue, plutôt intéressant pour offrir un délai de réflexion au candidat et alléger la <a href="https://jdl2020.sciencesconf.org/data/MIZZI_JDL2020.pdf">charge mentale</a> du candidat par rapport à toutes les questions qu’il doit déjà gérer à cette étape de sa scolarité. C’est néanmoins indéniablement cette spécificité qui rend la procédure particulièrement longue, en faisant donc une facette de stress supplémentaire. Avec APB, les candidats obtenaient leurs résultats lors de dates prédéfinies.</p>
<p>Comme les vœux en deçà de la première proposition d’admission étaient automatiquement supprimés, il n’y avait pas de doublons et la procédure était particulièrement accélérée. Les horizons temporels du lycéen étaient moins diffus, plus bornés.</p>
<p>Pour conserver les avantages sans en revenir aux inconvénients, on pourrait revenir à un classement des vœux, mais en réservant une période exclusive pour le faire. Par exemple, le candidat pourrait, dans un premier temps, formuler ses candidatures sans les classer, puis, avant la réception des vœux, hiérarchiser ses vœux sans pouvoir en rajouter, afin de consacrer cette étape uniquement à ce travail de réflexion.</p>
<p>Enfin, il faut rappeler que Parcoursup s’inscrit dans un contexte de paupérisation des places dans les filières de l’enseignement supérieur que pourraient résoudre des investissements en postes d’enseignement et en locaux. Alors, ces débats et propositions sur les algorithmes n’auraient pas même lieu d’être et cela soulagerait bon nombre de candidats et de personnels d’une charge considérable de travail et d’anxiété.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168161/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alban Mizzi a reçu des financements de l'école doctorale Santé Publique Science Politique de l'Université de Bordeaux. </span></em></p>
Alors que Parcoursup a fermé ses portes, un certain nombre de lycéens candidats ont quitté la procédure sans avoir eu de proposition d’affectation dans l’enseignement supérieur. Décryptage.
Alban Mizzi, Doctorant en sociologie, Université de Bordeaux
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2021-09-19T18:42:49Z
2021-09-19T18:42:49Z
Débat : Le mérite, un mythe à revisiter à l’heure de Parcoursup ?
<p>Qu’il s’agisse de promouvoir un programme électoral ou de mobiliser leurs concitoyens dans un contexte difficile, les politiques recourent fréquemment à la rhétorique du mérite : contre l’assistanat et pour la juste récompense de chacun, <a href="https://www.cairn.info/le-merite-contre-la-justice--9782724611304-page-9.htm">comme Nicolas Sarkozy en 2007</a>, ou pour féliciter <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/a-lelysee-emmanuel-macron-tente-lexplication-de-texte-sur-les-premiers-de-cordee-3713504">« les premiers de cordées »</a>, qui réussissent par leurs talents, comme Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Dans le même temps, de très nombreux essais sont publiés avec des titres évocateurs : <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-tyrannie-du-merite-9782226445599"><em>La tyrannie du mérite</em></a>, de Michael Sandel, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lillusion-meritocratique"><em>L’illusion méritocratique</em></a>, de David Guilbaud, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/heritocratie-9782348042683"><em>Héritocratie</em></a>, de Paul Pasquali ou encore <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100169330"><em>Le mérite contre la justice</em></a>. Dans une collection récente de textes courts analysant de manière critique des mots « dévoyés par la langue au pouvoir » (selon la présentation des <a href="https://anamosa.fr/">éditions Anamosa</a>), l’ouvrage intitulé <em>Mérite</em> <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/09/02/le-merite-est-un-mode-de-justification-des-inegalites-tres-commode_6093097_4401467.html">que publie la sociologue Annabelle Allouch</a> en cette rentrée 2021 s’inscrit donc dans une perspective critique qui n’a rien d’une mode.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Il vise, fidèle à l’orientation de la collection, à démontrer l’usage idéologique de cette notion, sans pour autant prétendre en renouveler l’analyse critique, ce qui serait une gageure vu l’abondance de travaux sur ce sujet et aussi bien sûr le format court du livre. L’auteure se centre sur le mérite tel qu’on le parle aujourd’hui, tel qu’on s’y réfère constamment, en insistant sur l’obsession contemporaine de la comparaison et de l’évaluation des personnes qu’il entraîne, quand des enjeux d’accès à un bien sont à la clé.</p>
<h2>Les grandes écoles et leurs concours</h2>
<p>L’ouvrage est émaillé d’anecdotes et de références personnelles et Annabelle Allouch va y donner beaucoup de place à l’utilisation de ces classements (prétendument) au mérite dans l’enseignement supérieur et notamment à Sciences Po. L’objectif est de comprendre non seulement « les usages de la rhétorique méritocratique mais aussi la manière dont son sens se transforme au fil du temps, du mérite républicain au mérite néo-libéral, du mérite des Grandes écoles à celui de Parcoursup »…</p>
<p>Ce premier parallèle donne le ton de l’ouvrage : le mérite républicain (celui des Grandes écoles ?) est connoté positivement, par opposition au mérite néo-libéral de Parcoursup…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?</a>
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<p>L’auteure dégage, dans les Grandes écoles (de fait essentiellement à Sciences Po), « les 3 âges du mérite », en se centrant donc sur un cas très particulier : à une sélection faisant tout pour exclure les femmes (à Sciences Po, dans les années 1940) et fondée davantage sur la cooptation va succéder, avec la massification scolaire, une prise en compte des résultats scolaires comme la forme de justice la plus évidente.</p>
<p>Un concours remplace une sélection sur dossier qui pouvait écarter les indésirables (ce fut un certain temps le cas des femmes). C’est la standardisation d’un mode de sélection académique qui semble alors la voie la plus correcte pour démocratiser l’accès à cette filière d’excellence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-m-comme-merite-167551">« Les mots de la science » : M comme mérite</a>
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<p>Mais, petit à petit, les analyses sociologiques font prendre conscience que l’évaluation de la valeur scolaire est biaisée par des critères sociaux et penche souvent en faveur des « héritiers », c’est-à-dire des jeunes disposant des références culturelles et du soutien économique familial. Ce sont à présent (à partir des années 1980, note l’auteure), les capacités de l’étudiant (son « potentiel ») qu’on veut tenter d’évaluer.</p>
<p>Les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01064424/">« conventions d’éducation prioritaires »</a> sont mises en place, visant les jeunes « méritants » des zones populaires au nom du principe d’égalité des chances, et ouvrant une nouvelle voie d’accès à Sciences Po. Ainsi, on donne plus de poids à l’oral comme mode de sélection, non sans débats, puisque, comme le souligne l’auteure, les personnes en charge du recrutement n’ont pas forcément les mêmes lectures, tant la notion de mérite est plastique ! Tout en exigeant d’être justifiée : au-delà des élites ainsi sélectionnées, tout le monde doit y croire.</p>
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<figcaption><span class="caption">INA Sciences, reportage en 2006 sur une diplômée de Sciences Po issue de la voie d’admission par les Conventions d’éducation prioritaire.</span></figcaption>
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<p>Annabelle Allouch souligne avec raison que les choix des grandes écoles ont une portée symbolique puisqu’ils rendent publique la définition (actualisée) du mérite attendu de nos élites. En revanche, elle ne s’interroge pas sur le fait que cette évolution a touché très inégalement les différentes grandes écoles, celles à orientation scientifique ayant continué à donner (et donnent encore aujourd’hui, même si elles s’efforcent de démocratiser la préparation d’un concours inchangé) un poids très prééminent aux critères purement scolaires : savoir s’exprimer, savoir se vendre n’est guère utile pour réussir en maths ou en physique…</p>
<h2>La sélection post-bac</h2>
<p>Le jugement de l’auteure est sans appel : il y a une tendance profonde à une « dérégulation progressive d’une lecture traditionnelle du mérite scolaire (et des instruments qui sont censés l’incarner, comme la note à l’examen) en faveur d’une lecture néo-libérale », des facteurs comme la motivation ou les qualités d’expression prenant le pas sur les verdicts scolaires. Est-ce à dire que « c’était mieux avant » ?</p>
<p>L’étiquette globale de « néo-libéral » caractérise sans doute davantage une conception que l’on peut effectivement étiqueter libérale de l’éducation – une éducation qui doit servir la croissance économique –, avec à la clé une logique de compétition entre les diplômés pour les « meilleurs » emplois. Mais quand l’auteure écrit que la valeur des individus se calerait à présent sur leur productivité et non plus sur leur moralité, on peut se demander à quel âge d’or elle fait référence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Interview d’Annabelle Allouch sur la « société du concours » (Xerfi Canal, 2019).</span></figcaption>
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<p>En fait, ce sont avant tout les procédures Parcoursup que vise Annabelle Allouch, quand on intègre dans les critères de sélection des éléments subjectifs comme les projets personnels des étudiants. Mais peut-on considérer que ce souci du « potentiel » efface la perspective d’« émancipation individuelle sous-jacente aux lectures socio-démocrates du mérite » ? C’est sans doute là plus une hypothèse qu’autre chose…</p>
<p>Le « mérite républicain » porteur d’idéaux comme l’« excellence pour tous », ou « l’ascenseur social pour tous », serait-il si exemplaire ? Il constitue pourtant une aporie si tant est que l’on considère, comme les étudiants d’ailleurs, que les diplômes doivent « servir » à quelque chose, et tant que les emplois sont inégaux. Car en arrière-plan de ce recours insistant au mérite, il y a la nécessité cruciale, pour toutes les sociétés qui ont rejeté le principe aristocratique pour répartir les emplois, de fonder cette répartition entre des positions sociales inégales sur un critère apparemment efficace et équitable.</p>
<p>Même si la critique du mérite est largement diffusée, peu se hasardent (y compris chez les sociologues les plus critiques) à contester radicalement l’articulation étroite entre formations et emplois qui existe en France…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">Démocratiser les grandes écoles : pourquoi ça coince ?</a>
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<p>En fait, la polarisation de l’ouvrage sur Parcoursup, plus encore que sur l’évolution dite « néolibérale » des critères de sélection, se fonde sur la sélection elle-même. Ce dispositif « organise la pénurie de places à l’université », note l’auteure, et « relève de l’idée d’une régulation des flux d’étudiants », avec in fine l’affirmation selon laquelle le mérite est ici ce qui « légitime et justifie non seulement la sélection mais aussi la pénurie ». Un jugement discutable : serait-il plus juste de laisser (de manière libérale) les étudiants choisir librement leurs études et fermer les yeux (tout aussi libéralement) sur les aléas de leur réussite et de leur insertion ultérieures ?</p>
<h2>Réfléchir à la définition du mérite</h2>
<p>Certes, il faut contester l’optique technocratique qui domine aujourd’hui, bien loin des racines religieuses et morales du mérite que rappelle l’auteure. À l’opposé de cette définition actuelle du mérite comme ce qui va rendre les personnes efficaces dans la vie économique, faut-il revenir à un modèle autant scolaire que sélectif, à l’instar des grandes écoles de jadis ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment changer l’école dans une société compétitive ? (Observatoire des inégalités, 2019).</span></figcaption>
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<p>Ne passe-t-on pas alors à côté de ce qui peut apparaître comme massivement plus injuste dans ce règne du mérite ? Car le mérite actuel ne souffre pas (ou pas seulement) de son caractère « néo-libéral » mais plutôt de ce qu’il disqualifie précocement toute une gamme de qualités moins classiquement scolaires. Parmi celles-ci, la créativité, certaines habiletés manuelles ou artistiques, l’aisance dans les rapports avec les autres, des intérêts ouverts qui débordent les programmes scolaires…</p>
<p>Et cela débouche sur la relégation de tous les jeunes – au moins la moitié d’une classe d’âge – qui n’entreront jamais dans l’enseignement supérieur et qui ne sont pourtant pas sans qualités (et que le monde du travail cherchera parfois comme des pépites pour des apprentissages.</p>
<p>L’ouvrage se clôt en soulignant la nécessité de débattre sur la définition du mérite que l’on s’accorde à faire prévaloir (dans la vraie vie et pas seulement quand il s’agit d’accéder à une classe préparatoire, pourrait-on ajouter), ainsi que sur la place que l’on peut donner à ce principe par rapport à d’autres principes de justice comme l’égalité et la solidarité.</p>
<p>L’ouvrage pose donc (à nouveau et avant tout au prisme de Parcourssup) la question des effets de cette enflure du mérite scolaire dans une société où les inégalités alimentent des enjeux de compétition sans fin ; et ce non sans effets psychologiques, sur les personnes elles-mêmes chez qui l’invocation du mérite est souvent très chargée émotionnellement : « malgré la faiblesse de son existence statistique, le mérite tire sa force sociale de son efficacité émotionnelle ». C’est ce qui explique notre attachement à cette notion, et ce qui justifie, encore et encore, de s’y intéresser !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167952/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les illusions de la méritocratie sont au cœur de nombreux ouvrages en librairie. Retour sur les questions soulevées par le travail de la sociologue Annabelle Allouch autour des concours.
Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po
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tag:theconversation.com,2011:article/167551
2021-09-09T19:09:51Z
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« Les mots de la science » : M comme mérite
<iframe src="https://embed.acast.com/5f63618a37b1a24c4ff25896/6139b5791a643a001226c898" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-580" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/580/79c5a87fdceb1b0efb535b241695d9bb89f1bb67/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Anthropocène, intersectionnalité, décroissance… Ce jargon vous dit quelque chose, bien sûr ! Mais parfois, nous utilisons ces mots sans bien savoir ce qu’ils veulent dire. Dans les Mots de la Science, on revient donc sur l’histoire et le sens de ces mots clés avec des chercheuses et chercheurs capables de nous éclairer.</p>
<p>L’épisode du jour est dédié à la notion de mérite, l’une des valeurs clés de la République française qui se dit « méritocratique ». Dans ce contexte, l’enjeu, pour la recherche, consiste à analyser l’écart entre le discours et la réalité, de mesurer les failles, ou encore de comprendre comment la rhétorique sur le mérite évolue au fil de l’histoire. C’est précisément le sens des travaux de la sociologue Annabelle Allouch, dont les recherches portent sur l’enseignement supérieur, les concours et les « classements scolaires ». Maîtresse de conférences de sociologie à l’université de Picardie Jules Verne, enseignante au sein de la classe préparatoire à l’agrégation de Sciences Po Lille, elle est l’autrice de l’ouvrage <em>La société des concours : l’empire des classements scolaires</em> (aux éditions du Seuil, 2017).</p>
<p>Elle publie en cette rentrée <em>Mérite</em> aux éditions Anamosa (septembre 2021). Ce court ouvrage destiné au grand public s’intéresse aux coulisses de la rhétorique méritocratique : comment se fabriquent les fictions individuelles et collectives autour du mérite et de la méritocratie au fil de l’histoire et pourquoi nous nous accrochons à ce mythe malgré les inégalités structurelles mises en évidence par la recherche, notamment à l’école. Dans cet épisode, Annabelle Allouch nous transmet ses clés d’analyse.</p>
<p>Vous y entendez également deux extraits : le premier issu des <em>Noces de Figaro</em>, comédie de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais datant de 1778 ; le second du titre <em>Banlieusards</em> du rappeur Kery James, sorti en 2008 sur l’album <em>À l’ombre du show business</em>.</p>
<p>Bonne écoute !</p>
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<p><em>Conception et réalisation, Iris Deroeux</em><br> <em>Production, Rayane Meguenni</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annabelle Allouch a reçu des financements de recherche du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du Ministère de la Justice (Mission de recherche Droit/Justice). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Iris Deroeux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Cet épisode s’aventure dans les coulisses du mythe méritocratique. On y apprend comment se fabriquent les fictions individuelles et collectives autour du mérite et pourquoi ce mythe persiste.
Annabelle Allouch, Enseignante, Sciences Po Lille
Iris Deroeux, journaliste, The Conversation France
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/161839
2021-06-15T16:55:15Z
2021-06-15T16:55:15Z
« Grand oral » du bac : comment s’inspirer des maîtres de l’éloquence pour réussir
<p>Les articles de presse se multiplient sur le <a href="https://www.education.gouv.fr/baccalaureat-comment-se-passe-le-grand-oral-100028">« grand oral »</a>, nouveauté du baccalauréat 2021. À les lire, une anxiété certaine toucherait les élèves qui se préparent à passer cette épreuve, mais aussi certains enseignants chargés de les évaluer.</p>
<p>De manière plus profonde se greffe sur cette situation la crainte très répandue de la prise de parole en public. <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/tennis/naomi-osaka/roland-garros-2021-naomi-osaka-annonce-son-retrait-du-tournoi_4645309.html">Naomi Osaka</a> en a donné ces derniers jours une excellente illustration : championne de tennis victorieuse de quatre tournois du Grand Chelem, elle a préféré il y a quelques jours se retirer de Roland-Garros plutôt que de participer au rituel de la conférence de presse, qu’elle jugeait trop anxiogène.</p>
<h2>Une nouvelle épreuve</h2>
<p>Si vous êtes comme Naomi, notez qu’il est beaucoup plus facile d’apprendre à parler en public, et à gérer les émotions qui vont avec, que de gagner un tournoi du Grand Chelem. D’amples ressources existent sur le sujet : la question de faire passer des messages à la fois contrôlés et efficaces se pose depuis que l’homme vit dans des sociétés fondées sur le droit (via la plaidoirie) et démocratiques (via le débat).</p>
<p>En réalité, l’art de parler en public est peut-être encore plus ancien, puisque la capacité à souder le groupe par la parole, autour de valeurs ou d’expériences communes, est une compétence fondamentale dans l’espèce sociale qui est la nôtre. Dans ces vingt-cinq ou vingt-sept siècles de réflexion, beaucoup d’idées, que l’enseignement en France a malheureusement trop oubliées <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-concours-deloquence-se-multiplient-97123">depuis une centaine d’années</a>, sont à reprendre. On en proposera ici quelques-unes, inspirées par trois figures d’orateurs des siècles passés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3mN9w6rpXgE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de présentation de l’épreuve par le ministère de l’Éducation. À noter : pour la session 2021, les élèves auront accès à leurs notes.</span></figcaption>
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<p>En préambule, il importe de remettre les choses à leurs justes dimensions. Obtenir le bac est certes essentiel. Mais les <a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">vœux sur Parcoursup</a>, bien plus déterminants pour la suite de vos études, sont faits. L’épreuve est nouvelle, et c’est pour vous un avantage supplémentaire : une fois lus les <a href="https://eduscol.education.fr/729/presentation-du-grand-oral">documents de cadrage</a> mis à disposition par le ministère de l’Éducation nationale, vous en saurez à peu près autant que vos futurs correcteurs. Et les <a href="https://www.education.gouv.fr/baccalaureat-general-technologique-et-professionnel-modalites-de-passage-des-examens-en-2021-323144">aménagements des épreuves</a> du fait de la pandémie doivent rassurer plus encore.</p>
<p>En réalité, on peut prédire sans trop de risque qu’il n’y a que trois moyens de rater son grand oral :</p>
<ul>
<li><p>Ne pas maîtriser les connaissances attachées aux questions que vous traitez. Le problème serait lié à un manque de travail qui pourrait vous être légitimement reproché.</p></li>
<li><p>Proposer un discours décousu, plein d’hésitations et de redites. Le problème est assez facile à régler : vous devez, en amont, réfléchir à l’ordre de vos arguments. N’hésitez pas à vous filmer et à demander les avis de proches sur les passages à améliorer.</p></li>
<li><p>Enfin, l’écueil principal est de donner l’impression d’un manque de motivation. Être dans une forme d’engagement avec votre jury est essentiel : cela signifie avoir une bonne posture, et surtout être ouvert dans son ton et sa façon de parler. L’idée avait été envisagée d’appeler cet exercice « Oral de maturité » : c’est exactement ce que le jury attendra. Vous devez montrer que vous êtes capables de vous projeter dans l’enseignement supérieur et, à plus long terme, dans le monde professionnel.</p></li>
</ul>
<p>Venons-en à quelques conseils inspirés de grands orateurs antiques.</p>
<h2>Penser au plan avec Corax</h2>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rh%C3%A9torique_grecque">Corax</a> n’est pas le plus connu des orateurs ou théoriciens que nous allons évoquer, mais il est pour <a href="https://www.jstor.org/stable/23064339">certains Grecs au moins</a> le fondateur de l’art oratoire. La rhétorique, selon ce mythe des origines, serait née en Sicile vers 465 avant J.-C., à l’occasion d’une grande vague de procès consécutive à la chute d’un tyran. Dans ce contexte, un certain Corax (« le corbeau » en grec) aurait publié un traité sur l’art de gagner ses procès.</p>
<p>Corax prescrit que tout discours doit impérativement comprendre trois parties – tout développement doit être précédé d’une introduction et suivi d’une conclusion. Si cette idée a traversé les siècles, c’est qu’elle n’est pas une tradition, mais correspond à la réalité de l’écoute humaine. L’attention du public est maximale au début, et remonte vers la fin du discours si on a pensé à annoncer la conclusion. Corax, qui est surtout intéressé par la plaidoirie, précise aussi que le développement doit suivre un plan précis.</p>
<p>Pour votre grand oral, c’est exactement la même chose : vous devez préparer votre introduction et votre conclusion avant le jour J, elles sont aussi importantes, sinon plus, qu’à l’écrit. Vous pouvez les apprendre par cœur si vous arrivez à réciter avec naturel, ou connaître intimement chaque bloc que vous allez faire avec seulement une ou deux phrases clés mémorisées par cœur. En tout cas, l’introduction doit être fluide et engageante, entraînez-vous !</p>
<p>Le plan du développement doit aussi être conçu en amont, les 20 minutes de préparation dont vous disposez doivent seulement vous servir à vous remémorer ce plan, les dates et chiffres clés, ainsi que quelques phrases destinées à marquer le jury (ce qu’on appelait dans l’Antiquité « sententia », et que vous appelleriez plutôt « punchlines »).</p>
<h2>Jouer le jeu comme Démosthène</h2>
<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/D%C3%A9mosth%C3%A8ne/116095">Démosthène</a> pour les Grecs, est le plus grand orateur ayant jamais vécu. Infatigable dans tous les genres du discours, on se souvient surtout de lui pour ses tentatives de soulever les Athéniens contre la menace que représentait pour eux Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand. Les discours qu’il consacre à l’attaquer, dénommés <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/philippique">philippiques</a>, ont eu tellement d’influence que le mot en est venu à désigner une violente attaque verbale contre un adversaire.</p>
<p>Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, tous les témoignages suggèrent qu’il n’avait aucune prédisposition naturelle pour l’art oratoire. Enfant malingre, moqué par les autres, souffrant de bégaiement, court de souffle, il bat en brèche l’idée que le talent de l’orateur est un don inné.</p>
<p>De nombreux récits et anecdotes illustrent le fait que Démosthène devient le plus grand orateur de tous les temps à la seule force de son travail : il fait creuser une cave sous sa maison pour s’entraîner sans être entendu et travaille sa diction en déclamant avec des cailloux dans la bouche.</p>
<p>Ses débuts pourtant sont difficiles. Plutarque, l’historien qui nous en dit le plus sur sa vie, raconte qu’un jour où on l’avait carrément sifflé sur l’Agora, il rentrait chez lui le cœur lourd et l’âme abattue par les rues d’Athènes. C’est dans ce triste état qu’un de ses amis, le comédien Andronicus, le rencontre ; il l’emmène chez lui, écoute son problème – Démosthène sent bien que personne ne l’écoute quand il parle, et le comédien lui demande de réciter un petit extrait.</p>
<p>Pour Andronicus, la clé du problème est évidente : Démosthène récite, mais ne joue pas son texte. Il ne s’empare pas des mots qui lui restent étrangers, il ne les interprète pas. Grâce à la révélation d’Andronicus, qui le guide, la carrière oratoire de Démosthène est enfin lancée.</p>
<p>Par la suite, lorsqu’on lui demande quelle est la partie la plus importante de l’art de l’orateur, <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Page%3APlutarque_-_Vies_des_hommes_illustres%2C_Charpentier%2C_1853%2C_Tome_4.djvu/12">Démosthène répond « l’action »</a>. Il a compris qu’on peut avoir les raisonnements les plus judicieux, la plume la plus habile, mais que si on ne maîtrise pas le jeu, personne n’aura réellement envie de vous écouter.</p>
<p>Il y a beaucoup de dimensions à travailler dans ce domaine, mais en ce qui concerne le grand oral, si vous être convaincu par ce que vous dites, si vous projetez bien votre voix, si vous soutenez la parole par le geste, ce sera déjà bien.</p>
<h2>Travailler le style comme Quintilien</h2>
<p><a href="http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3480">Quintilien</a>, au 1<sup>er</sup> siècle après J.-C., est le dernier grand théoricien romain de l’art oratoire. Son traité, <a href="https://www.lesbelleslettres.com/contributeur/quintilien"><em>L’Institution oratoire</em></a>, est à la fois une somme des savoirs de l’Antiquité sur la rhétorique et le premier ouvrage de pédagogie « moderne ». Un des éléments auxquels Quintilien est le plus attaché est le travail du style, ou « elocutio ». Il doit correspondre à ce qui est approprié aux circonstances, ce que les latins appellent l’« aptum ».</p>
<p>Pour le grand oral, à l’évidence, le langage utilisé doit être approprié. Le vocabulaire doit être précis, et donc riche sans fioritures inutiles. Si vous hésitez sur le registre ou le niveau de langage à employer, imaginez que vous êtes professeur et que vous vous exprimez devant des élèves. Vos enseignants utiliseraient-ils telle ou telle formule ? Si le vocabulaire ou la diction que vous allez employer ne vous sont pas habituels, dites-vous que c’est une nouvelle facette de vous-même qui est en train d’apparaître. Cette facette, c’est l’orateur ou l’oratrice ; elle n’efface pas les autres, mais les complète et les tire vers la lumière.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405177/original/file-20210608-80132-nc14qu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Quintilien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Quintilian.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si vous n’avez pas l’habitude de prendre la parole, privilégiez des phrases courtes ; dans tous les cas, vous devez savoir comment la phrase va se terminer avant de la commencer. Pour cela, n’hésitez pas à ménager des pauses. Elles peuvent marquer la transition entre différentes parties ; elles peuvent aussi servir à vous retrouver dans vos notes, vérifier que vous n’avez rien oublié. Si vous n’êtes pas mal à l’aise, un silence de quelques secondes où vous compulsez vos fiches paraîtra tout à fait naturel à vos auditeurs, même s’il vous semblera très long (faites l’expérience avant l’examen).</p>
<p>Quintilien insiste dans <em>L’Institution oratoire</em> sur l’idée de bienveillance, celle que doit avoir le maître pour ses élèves, mais aussi, pourrait-on ajouter, celle qui doit habiter l’élève. Être orateur, en effet, ce n’est pas seulement bien parler pour Quintilien et son maître Cicéron ; c’est placer la raison et le dialogue avant tout, et s’efforcer d’incarner au plus haut degré les qualités humaines.</p>
<p>Élèves de la promotion 2021, vous aurez eu peu de temps pour devenir orateurs ; espérons que les vagues suivantes s’y essaient dès le collège. Mais prenez cette épreuve comme l’occasion de semer une graine ; elle ne demandera qu’à pousser quand nous vous retrouverons dans trois mois sur les bancs de l’université, et bien au-delà.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161839/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Simiand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le « Grand oral » est la nouveauté de ce bac 2021 et se déroule du 21 juin au 2 juillet. Pour cette dernière ligne droite, quelques conseils tirés de grands orateurs antiques.
Guillaume Simiand, Professeur agrégé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/162043
2021-06-03T19:50:38Z
2021-06-03T19:50:38Z
Trois clés de philosophes pour apprendre à surmonter un échec
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/404081/original/file-20210602-15-1g75ke5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C19%2C4288%2C2777&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si l'obstacle, comme l'échec, force à un temps d'arrêt, il ne stoppe pas définitivement une trajectoire.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Avec les premiers verdicts du site d’orientation post-bac <a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Parcoursup</a>, voilà que commence la période des résultats de concours et d’examens. Beaucoup de jeunes verront leurs souhaits se réaliser. Mais beaucoup d’autres seront déçus. L’impossibilité d’intégrer l’école pour laquelle ils se préparaient, ou la filière qui leur semblait idéale pour réaliser leurs projets personnels représente un échec, parfois difficile à supporter.</p>
<p>Est-il alors possible d’apprendre à ses enfants à surmonter ce type de déception ? Trois grands philosophes peuvent nous éclairer, en nous donnant des éléments pour une économie rationnelle du désir.</p>
<h2>Avec Descartes, cerner les limites de ses désirs</h2>
<p>Dans le dictionnaire, l’échec est tout simplement défini comme l’opposé de la réussite. Mais, au-delà de cette évidence, que signifie réussir, sinon précisément obtenir le résultat que l’on espérait ? Il n’y aurait donc de réussite que par référence à une attente. Si bien que l’échec n’existe pas dans l’absolu. Comme la réussite, il est toujours relatif à un but particulier, préalablement valorisé.</p>
<p>On peut donc déjà s’interroger sur la pertinence de cette valorisation, en fonction des ressources (de tous ordres) dont on dispose, et de la probabilité objective d’atteindre le but. Il ne s’agit nullement de s’interdire tout rêve, ou toute ambition. Mais tous nos désirs peuvent-ils être satisfaits ?</p>
<p>Car l’échec est d’une certaine façon l’horizon de l’action humaine, dans la mesure où la réussite met en jeu beaucoup de choses qui ne dépendent pas de nous. Il faut savoir faire son deuil de l’omnipotence, et se délivrer de l’illusion que tout est possible. Telle est la sagesse, d’inspiration stoïcienne, que <a href="http://www.la-pleiade.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/OEuvres-et-lettres">Descartes</a> préconise dans la « troisième maxime » de sa « morale par provision », dans le <em>Discours de la méthode</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde… en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. »</p>
</blockquote>
<p>Pour celui qui a fait de son mieux, l’échec n’est jamais qu’un événement, certes malheureux, en tant que contraire à ses espoirs, mais dont il n’y a pas lieu d’être soi-même malheureux. L’essentiel est d’avoir fait tout son possible. Cela suffit pour connaître ce que Spinoza nommera le « contentement de l’âme », synonyme de « béatitude ».</p>
<h2>Avec Pascal, hiérarchiser ses rêves</h2>
<p>Certains échecs ne sont-ils pas plus graves que d’autres ? On pourra apprécier la gravité à l’aune de la valeur accordée au but. Mais cette valeur peut être jugée soit à la lumière de simples préférences subjectives (je serais si heureux de devenir membre du prestigieux « Grand Corps » des Inspecteurs des finances !) ; soit dans le cadre d’une échelle hiérarchisée, définissant des « ordres » de réussite, plus ou moins importants selon un principe clair et défendable.</p>
<p>La gravité de l’échec, comme l’importance de la réussite, sera alors fonction de la valeur propre de « l’espace de réussite » où ils surviennent. C’est ce que Pascal, dans ses <a href="http://www.penseesdepascal.fr/"><em>Pensées</em></a>, nous invite à comprendre avec sa distinction des <a href="https://www.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2015-1-page-7.htm">« trois ordres »</a> : « L’ordre des corps, l’ordre des esprits, l’ordre de la charité. ». Chaque « ordre » a sa grandeur propre :</p>
<blockquote>
<p>« La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.</p>
<p>La grandeur de la sagesse… est invisible aux charnels, et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différents de genre. » (Pensées)</p>
</blockquote>
<p>Les « grands de chair » voient par les yeux du corps ; les « grands génies », par les yeux de l’esprit ; les sages et les saints, par les « yeux du cœur ». Qu’est-ce qu’un échec à un concours de grande école, aux yeux de l’esprit ? Et, bien plus encore, aux « yeux du cœur » ?</p>
<p>« Grandeurs charnelles », grandeurs « spirituelles », « sagesse » : il faut savoir ce que l’on « admire », dans quel “ordre” on souhaite se situer, et donc apprendre à voir les choses avec les bons yeux.</p>
<h2>Avec Spinoza, apprendre à se réinventer</h2>
<p>Mais un échec, même dans l’ordre de la charité, n’en reste-t-il pas moins un échec ? L’échec, en quelque sorte, ralentit le cours du désir. N’est-il pas, pour cela, mauvais en soi ? Nous sommes invités à mieux définir le désir. Avec son <em>Ethique</em>, Spinoza va nous aider à progresser dans sa connaissance.</p>
<p>Pour lui, « le désir est la tendance accompagnée de la conscience de cette même tendance ». La « tendance (appetitus) » n’est « rien d’autre que l’essence même de l’homme ». Si bien que « Le désir est l’essence même de l’homme… c’est-à-dire l’effort par lequel l’homme persévère dans son être ».</p>
<p>L’essentiel est donc de préserver le « conatus », ou effort de l’être pour <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/l-ethique-de-spinoza-34-parties-iii-et-iv-affects">persévérer dans son être</a>. Le désir est toujours, en soi, positif, à tel point que « le bonheur consiste pour l’homme à pouvoir conserver son être ». Que nous recommande alors la raison ?</p>
<blockquote>
<p>« La raison demande que chacun s’aime soi-même, qu’il cherche ce qui est réellement utile pour lui, qu’il désire tout ce qui conduit réellement l’homme à une perfection plus grande, et, d’une manière générale, que chacun, selon son pouvoir, s’efforce de conserver son être. »</p>
</blockquote>
<p>Mais alors, aucun échec ne doit pouvoir éteindre le désir. L’échec n’est qu’un coup de frein passager. S’il marque un temps d’arrêt sur une ligne particulière de développement, il ne signifie nullement un arrêt du développement lui-même. Celui-ci se poursuivra en contournant l’obstacle, comme le cours d’eau contourne et dépasse le rocher qui ne le retarde qu’un court instant.</p>
<p>L’essentiel est de vivre, et d’aller de l’avant, avec le souci de se perfectionner (dans un « ordre » digne d’être valorisé). Il faut apprendre à son enfant à conserver l’envie d’avoir envie, pour tenter de se dépasser toujours, et connaître ainsi un bonheur durable…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162043/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Comme la réussite, l’échec est toujours relatif à un but particulier, préalablement valorisé. En période de résultats de concours et d’examens, quelques pistes pour aider un enfant ou un proche déçu.
Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/161036
2021-05-25T18:08:42Z
2021-05-25T18:08:42Z
Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401374/original/file-20210518-17-1o52syc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C991%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur Parcoursup, le jeu des listes d’attente peut être très long.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/candid-young-asian-single-female-student-1413905933">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le 27 mai, les lycéens reçoivent les réponses aux vœux d’orientation vers l’enseignement supérieur qu’ils ont exprimés sur Parcoursup. Destinée aux candidats n'ayant pas encore eu de réponse et souhaitant formuler de nouveaux vœux dans des formations ayant des places disponibles, <a href="https://www.ouest-france.fr/education/etudiant/parcoursup/parcoursup-la-phase-complementaire-ouvre-ce-mercredi-16-juin-f0e833ec-ce77-11eb-b4ff-0d8695c0f225">la phase complémentaire</a> a aussi été lancée mercredi 16 juin. </p>
<p>A cette occasion, il importe de se pencher sur les reproches adressés à cette plate-forme qui, depuis 2018, remplace le site Admission Post-Bac (APB). En effet, depuis son lancement, cet outil fait face à bon nombre de critiques : la procédure qu’il impose serait <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/18/parcoursup-un-systeme-opaque_5333082_3232.html">opaque</a>, <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/niort/reforme-du-bac-et-parcoursup-les-lyceens-manifestent-ce-mardi-a-niort">stressante</a> pour ses candidats, en plus d’être particulièrement <a href="https://www.letudiant.fr/etudes/parcoursup/parcoursup-plus-de-91-000-candidats-en-attente-de-places-a-la-fin-de-la-phase-principale.html">longue</a>.</p>
<p>Pour comprendre ce qui peut produire un tel désarroi chez les candidats, il faut considérer ce processus d’affectation dans sa dimension bilatérale. Autrement dit, les trajectoires des jeunes ne sont intelligibles sans une analyse qui les articule avec les stratégies des commissions de Parcoursup qui doivent, dans chaque formation, classer les dossiers sur des éléments qualitatifs et quantitatifs. </p>
<p><a href="http://www.theses.fr/s245428">Premiers éléments d’analyse</a> à partir d’entretiens réalisés avec vingt-huit lycéens et lycéennes de Nouvelle-Aquitaine, doublés du suivi de huit commissions d’universités.</p>
<h2>Une procédure « non manipulable »</h2>
<p>Ce qui fait la singularité de Parcoursup par rapport aux anciens systèmes d’admissions comme APB, c’est la volonté d’inciter les candidats à exprimer sincèrement leurs souhaits plutôt que de raisonner selon leurs chances d’être acceptés dans telle ou telle formation. Auparavant, les vœux d’orientation étaient classés et examinés dans cet ordre établi par les candidats, ce qui incitait ceux-ci à mettre en place des stratégies plus ou moins pertinentes.</p>
<p>Sur Parcoursup, c’est la fin de la hiérarchisation des vœux, ce qui aura un fort impact sur la manière dont certains vont vivre l’attente à laquelle la procédure oblige. L’orientation des élèves repose cependant sur une pluralité de ressources sociales : les parents, les pairs, les enseignants représentent autant de partenaires sur lesquels le candidat va s’appuyer lors des usages de la procédure, mais également bien en amont, lors de la construction de ses aspirations et de ses projets.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1394336530026618888"}"></div></p>
<p>Quoi qu’il en soit, du fait des dispositions inégales au sein desquelles se trouvent les lycéens et les lycéennes, les projets et les stratégies ne se façonnent pas avec les mêmes exactitudes.</p>
<p>En outre, l’obligation faite aux filières non électives de penser leur sélection, quand bien même celle-ci ne sera pas véritablement effective comme c’est le cas en droit, en sciences ou dans beaucoup de filières en lettres, génère un nouveau surcroît de travail pour les responsables chargés d’effectuer le classement des candidatures.</p>
<h2>La volonté d’une sélection juste</h2>
<p>La première chose observable quant à la constitution des commissions chargées d’étudier les dossiers, c’est que personne ne s’y bouscule. La gestion des candidatures sur Parcoursup est surtout perçue comme une tâche qui s’ajoute aux innombrables autres missions administratives qui s’accumulent dans les agendas. Celles et ceux qui s’y collent le justifient comme un dévouement, souvent eu égard de fonctions pédagogiques qui s’y rapportent par exemple le fait d’être responsable de licence ou de première année.</p>
<p>Les réunions sont longues et répétitives. En dépit de la volonté d’automatiser au maximum le classement des candidatures, les commissions se heurtent souvent à des problèmes techniques ou des difficultés à manipuler les outils. Le consensus sur les critères de sélection arrive assez rapidement : les commissions sont restreintes en nombre, les critères sont d’ores et déjà explicités sur le site Internet de la formation ainsi que sur sa page Parcoursup. Par ailleurs, ce sont la plupart du temps ceux de l’année précédente qui sont reconduits.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ue7nBaVXbts?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Parcoursup : dans les coulisses d’une commission d’examen des vœux (LetudiantTV, 2020).</span></figcaption>
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<p>La deuxième étape consiste en la vérification qualitative des dossiers où trop d’éléments manquent, ce qui appelle souvent à la mise en place d’une commission élargie où les membres se penchent plus en détail sur les candidatures difficilement classables : candidats étrangers, baccalauréats anciens, équivalences, etc.</p>
<p>Les entretiens révèlent que les acteurs des commissions Parcoursup à l’université estiment avoir d’assez bons moyens techniques, tels que le logiciel à disposition pour procéder à l’étude des candidatures. Il en ressort néanmoins des réserves émises de leurs parts sur la dimension morale de l’étude d’un nombre parfois considérable de dossiers en des horizons temporels plutôt restreints.</p>
<p>Le volume d’heures consacrées à l’étude des candidatures rapporté à leur nombre apparaît insuffisant, ce qui pose la question du temps nécessaire à une réelle étude qualitative des dossiers. Certains enseignants regrettent de ne pas pouvoir prendre le temps de lire attentivement chaque lettre de motivation ou de téléphoner aux candidats. La variable du temps se croise à celle de l’effectif d’enseignants-chercheurs participant aux commissions.</p>
<h2>Les candidats jouent le jeu</h2>
<p>Sur l’autre face de la médaille, celle des lycéens et des lycéennes, la justification de la mise en place Parcoursup tourne autour de deux arguments forts : la fin de la hiérarchisation des vœux, ainsi que celle du tirage au sort à l’université. L’un appelle à des problématiques d’aisance à l’usage de l’outil, l’autre à des questions de justice.</p>
<p>Ici, le candidat ne se préoccupe plus de l’ordre de ses vœux du fait d’une suppression des rangs après son premier choix concluant. Là, il n’est plus anxieux à l’idée de ne pas être tiré au sort en STAPS malgré un dossier des plus compétitif.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AAQN_yZT9nA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Inscriptions universitaires : l’éternel parcours du combattant (Franceinfo INA).</span></figcaption>
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<p>En ne se souciant plus de l’ordre dans lequel il doit formuler ses vœux, le candidat en ose davantage. Une formation un tant soit peu, à peine, ou pas du tout envisagée peut faire l’objet d’une candidature, et ce comportement est encouragé par les proches et les enseignants qui conseillent au sujet des stratégies à adopter.</p>
<p>Reste à intégrer les subtilités de Parcoursup : qu’est-ce qu’un sous-vœu ? Qu’est-ce qu’une formation « non sélective » ? Quelles sont les échéances à connaître dans le calendrier ? Quand pourra-t-on enfin s’inscrire à l’université ? La procédure est longue, elle est stressante, mais elle est perçue comme plus juste.</p>
<p>Bulletins scolaires, projets de formation motivés et fiches avenir… L’éclectisme d’éléments qualitatifs et quantitatifs supposés pris en compte dans l’étude de leurs candidatures, pouvant se compenser les uns les autres, conforte les candidats dans l’idée qu’avec la réforme, la procédure post-bac y gagne en justice. Un sentiment qui a toutefois un coût, celui d’une préparation chronophage, stressante et étalée dans le temps.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-venir-dun-lycee-prive-est-ce-un-atout-pour-les-filieres-selectives-158107">Orientation post-bac : venir d’un lycée privé, est-ce un atout pour les filières sélectives ?</a>
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</p>
<hr>
<p>La phase de réception des résultats n’en est pas moins anxiogène : là où, sur APB, les résultats étaient livrés lors d’une date commune et automatisés du fait de la hiérarchisation des vœux, Parcoursup plonge ses candidats dans des horizons temporels moins bornés. Le jeu des listes d’attente peut être interminable, et le risque est de voir une part non négligeable des candidats s’inscrire dans une formation qui leur déplaît pour y mettre fin : ils doivent en effet se laisser du temps pour s’adonner aux tâches administratives et à la recherche d’un logement.</p>
<p>Il y a certes toute une pluralité de candidats et de types de formations qui dépendent de Parcoursup, et la lecture ne peut en être homogène. Interroger le fonctionnement de Parcoursup permet néanmoins d’étayer nos représentations d’une procédure perçue comme opaque. Derrière l’écran sur lequel les candidats rentrent leurs vœux et reçoivent leurs notifications, il y a des dimensions interpersonnelles qui valsent avec les aspects techniques de la procédure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161036/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alban Mizzi est sous contrat doctoral à l'École Doctorale Science Politique Santé Publique. Il poursuit sa thèse en sociologie au Centre Émile Durkheim, à Bordeaux. </span></em></p>
L’ensemble des éléments demandés pour la constitution des dossiers inspire aux candidats un sentiment de justice qui a toutefois un coût, celui d’une préparation chronophage et d’une longue attente.
Alban Mizzi, Doctorant en sociologie, Université de Bordeaux
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2021-04-06T18:37:10Z
2021-04-06T18:37:10Z
Orientation post-bac : venir d’un lycée privé, est-ce un atout pour les filières sélectives ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/392320/original/file-20210329-13-rgyc7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1949%2C1217&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'université Paris-Dauphine fait partie des établissements post-bac qui mettent en place une procédure d'admission sélective.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Universit%C3%A9_Paris-Dauphine.jpg">Wikimedia Commons/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Ont aussi contribué à cet article Pauline Barraud de Lagerie (maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Paris Dauphine) et Yannick Savina (ingénieur d’études au CNRS-OSC)</em></p>
<hr>
<p>Au-delà du seul milieu social, les chances d’intégrer une filière sélective de l’enseignement supérieur dépendent-elles du lycée où l’on a obtenu son baccalauréat ? Venir d’un lycée privé augmente-t-il les chances d’accéder à des établissements sélectifs ?</p>
<p>Si les inégalités en fonction des caractéristiques sociales et scolaires des étudiants sont largement <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-l-ecole--9782200621636.htm">documentées par la recherche</a>, celles en lien avec leurs établissements d’origine sont plus rares. Or, le lycée d’origine agit sur les orientations des élèves à travers, entre autres, des effets d’émulation et de réputation durables dans le temps.</p>
<p>Dans un <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/40u2e7qggi8nr988c7vrovnq3j/resources/rapport-2020-seldemensup-public-final.pdf">rapport</a> publié récemment qui porte sur les filières sélectives dans le domaine des sciences humaines et sociales, nous nous sommes intéressés à cet effet lycée, lié plus particulièrement au secteur public ou privé de l’établissement.</p>
<p>L’étude porte sur deux établissements qui ont en commun de pratiquer la sélection en première année, mais selon des modalités très différentes :</p>
<ul>
<li><p>Sciences Po Paris, qui s’appuie sur un concours, formellement dégagé de toute appréciation des lycées d’origine ;</p></li>
<li><p>Dauphine, qui a recours à un algorithme prenant en compte la différence supposée de notation entre les lycées.</p></li>
</ul>
<p>On constate alors que si les lycées privés envoient plus de candidats et plus d’admis dans ces établissements, cela est principalement lié à leur composition sociale nettement plus favorisée.</p>
<h2>Dans les candidatures, le privé surreprésenté</h2>
<p>À Sciences Po (procédure par examen) comme à Dauphine (procédure Boléro, hors programme égalité des chances), les étudiants issus de lycées privés sont surreprésentés en première année : ils représentent 40 % des étudiants à Sciences Po et 36 % à Dauphine, soit le double de ce qu’ils représentent <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24831-cid153537/reperes-et-references-statistiques-edition-aout-2020.html">dans l’ensemble des lycées</a> (20 %).</p>
<p>Est-ce à dire que les lycéens issus du privé sont avantagés pour intégrer ces institutions ? Pour répondre à cette question, trois étapes, la candidature, l’admission et l’inscription doivent être distinguées.</p>
<p>Dès l’étape de la candidature, les lycéens issus du privé sont surreprésentés : 44 % à Dauphine et 40 % à Sciences Po. S’agit-il d’une stratégie particulière des établissements privés pour « placer » leurs élèves dans ces institutions ? Rappelons d’abord que tous les lycées n’envoient pas des candidats. La proportion de ceux n’en ayant présenté aucun entre 2014 et 2017 est même assez élevée : 34 % des lycées français d’enseignement général et technologique, publics ou privés sous contrat, n’ont présenté aucun candidat à Sciences Po sur cette période, et 45 % des lycées n’en ont pas présenté à Dauphine.</p>
<p>À ce stade, le statut de l’établissement est peu discriminant : on peut tout au plus constater que les lycées publics sont surreprésentés parmi les établissements ayant envoyé au moins un candidat à Sciences Po (70 % des établissements publics contre 65 % dans l’ensemble).</p>
<p>De manière générale, parmi les établissements ayant envoyé au moins un candidat sur la période étudiée, les établissements privés ont envoyé un plus grand nombre de candidats à Sciences Po et Dauphine que ne l’ont fait les lycées publics (18 en moyenne par établissement privé contre 12 en moyenne par établissement public). Les lycées privés sont nettement surreprésentés parmi les plus gros pourvoyeurs de candidats (plus de 50 candidats) : 47 % à Dauphine et 41 % à Sciences Po contre 35 % dans l’ensemble.</p>
<p>Cet effet s’explique en partie par la composition sociale plus favorisée de ces établissements : en effet, plus les lycées ont une part importante d’élèves issus de milieux sociaux favorisés, plus ils envoient un nombre élevé de candidats. De même, plus la part de mentions au baccalauréat est élevée, plus ce dernier envoie de candidats.</p>
<h2>L’admission rebat les cartes</h2>
<p>Si les établissements privés envoient davantage de candidats, leurs chances d’intégrer Dauphine ou Sciences Po ne sont pas plus importantes. Certes, ces établissements ont plus d’admis que les lycées publics, mais cette surreprésentation est en grande partie liée au nombre plus élevé de candidats, car à nombre de candidats comparables et autres caractéristiques (sociales et scolaires) contrôlées, les établissements privés n’ont pas plus d’admis que les lycées publics ; ils en ont même significativement moins.</p>
<p>Cet effet négatif du privé s’observe également au niveau individuel : à origine sociale et niveau scolaire comparables, et à caractéristiques identiques de l’établissement d’origine, les lycéens provenant d’établissements privés ont moins de chance d’être admis à Dauphine ou à Sciences Po.</p>
<p>La surreprésentation d’étudiants issus de lycées privés dans les voies classiques d’entrée en première année à Sciences Po et Dauphine est essentiellement liée à une plus forte propension des élèves de ces établissements à candidater.</p>
<p>Cette propension semble en grande partie liée à la composition sociale plus favorisée de ces établissements, mais aussi à des stratégies de placement de certains lycées « gros pourvoyeurs » de candidats. Cependant, à nombre de candidats comparables, les lycéens issus du privé n’ont pas plus de chances d’intégrer Dauphine ou Sciences Po.</p>
<p>En outre, les programmes d’ouverture sociale initiés dans ces établissements dans les années 2000, dans la mesure où ils concernent exclusivement des lycées publics, augmentent d’autant plus les chances d’être admis pour les lycéens issus de ce secteur, tout en diversifiant les profils sociaux des étudiants de ces institutions.</p>
<p>Nos résultats invitent donc à nuancer le regard que l’on peut porter sur l’avantage numérique des élèves scolarisés dans le privé admis dans ces grands établissements. Si un effet établissement est bien présent, il est à relier davantage à des logiques de construction des aspirations et à des stratégies de placement qu’à une supposée meilleure préparation comparativement au public.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158107/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marco Oberti a reçu des financements de la DEPP et du SIES</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Élise Tenret a reçu des financements de la DEPP et du SIES. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathieu Rossignol-Brunet a reçu des financements de la DEPP et du SIES. </span></em></p>
Les candidats en provenance de lycées privés sont plus nombreux dans des établissements sélectifs comme Sciences Po et Dauphine. Mais sont-ils vraiment plus représentés parmi les admis ?
Marco Oberti, Professeur des universités en sociologie, Sciences Po
Élise Tenret, Maîtresse de conférences en sociologie, chargée de mission à l'OVE, Université Paris Dauphine – PSL
Mathieu Rossignol-Brunet, Doctorant, Université Toulouse – Jean Jaurès
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tag:theconversation.com,2011:article/144757
2020-08-24T19:09:15Z
2020-08-24T19:09:15Z
Bonnes feuilles : « Le coaching scolaire : un marché de la réalisation de soi »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/353891/original/file-20200820-20-1ortqa7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C8%2C997%2C657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La durée d'un accompagnement en coaching est beaucoup plus courte que celle d'une thérapie. </span> </figcaption></figure><p><em>Qu’est-ce que le coaching scolaire ? Pourquoi cette pratique émerge-t-elle et qui y a recours ? Telles sont les questions qu’explore Anne-Claudine Oller dans son livre <a href="https://www.puf.com/content/Le_coaching_scolaire_0">« Le coaching scolaire : un marché de la réalisation de soi »</a>, publié aux Presses universitaires de France en juin 2020. À l’heure où reviennent les crispations autour des résultats scolaires et les questions de choix d’orientation, nous vous en proposons un extrait.</em></p>
<hr>
<p>Pour revendiquer leur spécificité en matière d’accompagnement de la scolarité, les coachs cherchent logiquement à distinguer leur rôle de celui des autres acteurs qui entourent les enfants et les jeunes dans une optique éducative. Alors qu’ils s’appuient […] pleinement sur ces figures pour justifier leur expertise, ils présentent le principal atout du coaching comme résidant notamment dans le fait que le coach, tout en s’en approchant, n’est ni parent, ni enseignant, ni conseiller d’orientation psychologue, ni « psy ».</p>
<p>Ainsi, tout en mobilisant des outils issus de la psychologie comportementale dans le cadre de leur orientation dominante vers le développement personnel, les coachs cherchent à se distinguer de la figure du « psy » et des représentations négatives qu’en ont les parents et aussi les jeunes :</p>
<blockquote>
<p>Vendre un travail avec un psy à son ado, c’est quelque chose qui ne passe pas très bien. Ce qui est plus vendable entre guillemets, c’est « Écoute, si tu avais un coach pour t’aider… » Parce que le coach a une connotation peut-être un peu plus positive, ça fait peut-être moins peur, ça remet moins les choses en cause ! Le coach, il est dans l’action ! Il est moins dans le « pourquoi, pourquoi, pourquoi ? » (Clara B.)</p>
</blockquote>
<p>Pour beaucoup de jeunes, en effet, consulter un psychologue ou un thérapeute fait prendre le risque de basculer objectivement, mais surtout par rapport au regard des autres, vers l’univers paramédical ou de la pathologie. En revanche, à la différence d’un médecin, d’un psychologue ou d’un thérapeute, on ne « consulte » pas un coach et y avoir recours implique seulement d’avoir besoin d’un « petit coup de pouce » :</p>
<blockquote>
<p>« J’avais un a priori vis-à-vis des psys. J’ai dit : « De toute façon, je ne veux pas aller voir de psy ! » Pour moi, je ne vais pas chez un psy, donc je ne suis pas complètement tarée ! » (Anaïs)</p>
</blockquote>
<h2>Accompagnement pratique</h2>
<p>La durée de l’accompagnement, plus courte que dans une thérapie « classique », ainsi que la dimension très pratique du coaching, car centrée sur la dimension comportementale du jeune, sont également considérées comme des atouts :</p>
<blockquote>
<p>« Les gens n’ont pas envie d’une thérapie, ils ont envie d’avoir quelque chose de concret, de rapide. » (Lucie M.)</p>
<p>« Je pense que la psychothérapie peut faire peur ! Souvent, on a un problème et on se dit : « Si je vais aller en psychothérapie, ça va être plus long ! Il ·ne va pas y avoir de l’effet avant x temps ! Je veux quelque chose qui fasse de l’effet plus rapidement. » Je pense que dans certaines situations, oui, on a envie que ça change rapidement ! Et donc on va moins en profondeur, mais il y a des réponses qui viennent plus vite ! » (Juliette A.)</p>
</blockquote>
<p>« Ne pas avoir l’étiquette de », c’est ce qui, aux yeux des jeunes et de leurs parents, fait toute la différence avec un psychologue, et participe à certains égards au développement du marché du coaching scolaire. C’est également ce qu’a relevé Scarlett Salman <a href="https://journals.openedition.org/travailemploi/6713">à propos des coachs en entreprise</a>, pour qui « se présenter comme coach permet […] d’échapper aux stéréotypes dévalorisants dont pâtit, au sein des entreprises, le titre de psychologue ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353895/original/file-20200820-20-1rr20oh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour les jeunes qui s’adressent à un coach, le fait que ce professionnel se démarque de l’univers paramédical est important.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour autant, l’ensemble des coachs scolaires que nous avons rencontrés (tout comme une partie de ceux étudiés par <a href="https://journals.openedition.org/travailemploi/6713">Scarlett Salman</a>) mentionnent leur attrait pour « l’accompagnement » et l’analyse de leurs propos met en exergue les liens ténus entre le conseil et la psychothérapie.</p>
<p>Ainsi, « le coaching peut être […] envisagé comme une manière d’exercer une pratique clinique sans pâtir d’une activité faiblement rémunérée et dévalorisée » – tout particulièrement pour les coachs en entreprise qui n’ont pas les mêmes revenus que les coachs scolaires, dont l’activité est plus récente et moins développée. « Le coaching sert alors de transition haut de gamme entre le conseil en ressources humaines et la psychothérapie […] » (Scarlett Salman, <a href="https://journals.openedition.org/travailemploi/6713"><em>Le temps des coachs ?</em></a>).</p>
<p>La proximité qu’entretiennent les coachs avec l’approche clinique tient non seulement aux outils mobilisés, mais aussi au fait que l’ensemble des coachs rencontrés « font un travail sur eux-mêmes » avec l’aide d’un psychologue, psychothérapeute ou psychanalyste.</p>
<p>Afin de pallier l’image de « gourou » qui peut être associée aux coachs dans les discours de sens commun, les écoles privées dans lesquelles les coachs ont été formés tentent d’asseoir leur légitimité en imposant aux futurs coachs de suivre une thérapie ou un autre accompagnement personnel, à l’instar des professionnels du champ de la psychologie.</p>
<p>Ainsi, « ces exigences d’un travail sur soi participent de la formation de l’identité professionnelle, de la “fabrication” du coach : c’est ce travail sur soi qui assure la transmission de “compétences” non directement rationalisables. Là encore, comme l’a montré <a href="https://journals.openedition.org/teth/694">Hughes</a> dans son étude sur les médecins (1958), plus que de compétences à transmettre, il s’agit bien de la “fabrication” d’une identité professionnelle indispensable à la constitution du métier de coach » (<a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2003-1-page-140.htm">Salman</a>).</p>
<h2>Profils d'apprentissage</h2>
<p>Les coachs scolaires cherchent également à se démarquer des enseignants, tant dans la posture qu’ils déclarent adopter que dans la nature de leur accompagnement. En effet, ils considèrent être dans une position « basse », présentée comme opposée à celle de l’enseignant, qui adopterait traditionnellement, selon eux, une position surplombante, de « sachant » :</p>
<blockquote>
<p>« La posture de coach n’est pas une position haute, de dire ce qu’il faut faire, mais une posture basse, c’est-à-dire d’aider la personne à avancer elle-même sur son chemin et à construire son propre processus de compréhension et de réponse à sa problématique. » (Florence P.)</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-SOyooezUgY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage de 2017 dans les pas d’une coach scolaire (France 3 Bretagne).</span></figcaption>
</figure>
<p>Considérer ne pas savoir par avance ce qui va fonctionner et chercher à s’adapter à chaque jeune accompagné, principe communément partagé par les coachs scolaires, les conduisent à mobiliser notamment le concept de « profil d’apprentissage » développé par <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1981_num_57_1_2252_t1_0079_0000_1">Antoine de La Garanderie</a>. En s’opposant à la figure de l’enseignant, les coachs scolaires se mettent également à distance, du moins en apparence, de la compétition et de la pression scolaires incarnées par les notes, qu’ils jugent trop fortes, allant jusqu’à provoquer un mal-être scolaire chez les jeunes.</p>
<p>C’est pourtant ce mal-être qui constitue le terreau du coaching puisque c’est ce qui conduit les jeunes et leurs parents à se tourner vers un coach scolaire. Opposer ainsi la posture du coach à celle de l’enseignant est bien un moyen pour les coachs de se positionner sur ce que l’institution scolaire et ses membres ne font pas, et par là même de s’épanouir dans son ombre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Claudine Oller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Alors que les enjeux scolaires s’intensifient, une nouvelle forme d’accompagnement émerge en marge de l’école. Ni psychologues ni profs, que proposent vraiment ces coachs scolaires ?
Anne-Claudine Oller, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
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tag:theconversation.com,2011:article/125458
2020-02-02T19:07:12Z
2020-02-02T19:07:12Z
Choix post-bac : audace ou prudence, quelle carte jouer sur Parcoursup ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/312861/original/file-20200130-41554-13n29eq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C22%2C5017%2C3327&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur Parcoursup, les « bons élèves », aux profils les plus favorisés, ont tendance à être plus prudents dans leurs vœux.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cpu.fr/phototheque/downloads/bibliotheque-universite-de-lorraine-38/">© Conférence des présidents d'université – Université de Lorraine</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été co-écrit avec Feres Belghith, directeur de l’Observatoire national de la vie étudiante.</em></p>
<hr>
<p>Depuis ce 20 janvier 2021, les élèves de terminale qui veulent poursuivre leurs études dans l’enseignement supérieur peuvent enregistrer leurs vœux sur le site <a href="https://www.parcoursup.fr/">Parcoursup</a>. Regroupant la majorité des formations post-bac, cette plate-forme a succédé au système Admission Post-Bac, dit APB, en butte à de multiples critiques – certaines filières en tension avaient départagé des candidats par <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170717.OBS2189/admission-post-bac-la-fin-du-calvaire-du-systeme-de-tirage-au-sort.html">tirage au sort</a> en 2017. Avec Parcoursup, ce recours n’est plus possible.</p>
<p>Surtout, les lycéennes et les lycéens n’ont plus besoin de classer les dix choix qu’ils peuvent formuler dans un premier temps, comme cela se faisait sur APB, avec les risques d’autocensure et les calculs complexes que cela entraîne. Et Parcoursup entend renforcer l’accompagnement des enseignants auprès des jeunes durant la procédure d’orientation. Reste que <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/01/21/parcoursup-les-eleves-ne-sont-pas-egaux-dans-la-capacite-a-trier-les-informations_6026655_4401467.html">l’éventail</a> des combinaisons envisageables est vaste. De la théorie au terrain, comment les jeunes ont-ils vécu ce nouveau système ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351849549850152961"}"></div></p>
<p>À partir d’une enquête sur le passage du secondaire au supérieur, l’Observatoire national de la vie étudiante (<a href="http://www.ove-national.education.fr/">OVE</a>) s’est interrogé sur les représentations et l’expérience de la première génération à avoir connu Parcoursup. Si <a href="http://www.ove-national.education.fr/enquete/enquete-nationale-sur-la-transition-du-secondaire-au-superieur/">cette enquête</a> publiée en 2019 ne permet pas de saisir les raisons du découragement de certains étudiants, elle permet néanmoins de cerner les stratégies de ceux qui ont intégré l’enseignement supérieur, et d’appréhender les inégalités sociales qui demeurent dans la construction des projets d’orientation.</p>
<h2>La chance sourit-elle aux audacieux ?</h2>
<p>La plupart des étudiants ont utilisé la possibilité qui leur était offerte d’émettre plusieurs vœux, voire ont rempli toute la liste – c’est le cas d’un étudiant sur cinq. Quels choix se cachent derrière ces vœux ?</p>
<p>Parmi les <a href="http://www.ove-national.education.fr/wp-content/uploads/2019/09/OVE-INFOS-39_Transition-secondaire-superieur.pdf">stratégies</a> possibles, les étudiants ont été interrogés sur leur « prudence », à savoir faire au moins un choix de formation moins souhaité pour être sûr d’avoir quelque chose ; ou leur « audace » quand ils ont déclaré avoir fait un choix de formation particulièrement désiré, mais pour lequel ils estimaient avoir peu de chance d’être acceptés.</p>
<p>Ces deux stratégies sont prédominantes au moment de la saisie des vœux, puisque chacune d’elles a été mise en œuvre par plus de 70 % des étudiants et 55 % ont adopté les deux à la fois. Les profils des audacieux diffèrent toutefois de ceux des prudents. Paradoxalement, ce sont les « bons élèves », aux profils les plus favorisés, qui ont joué la carte de la prudence – en émettant aussi plus de choix que leurs camarades –, quand bien même leur place dans l’enseignement supérieur est davantage assurée.</p>
<p>À l’inverse, les bacheliers professionnels et les lycéens d’origine populaire sont plus nombreux à avoir joué la carte de l’audace. Ceci témoigne sans doute moins d’un goût du risque que de l’intériorisation, par ces étudiants, de leurs moindres chances d’accès et de réussite dans l’enseignement supérieur. Tous les choix leur apparaissent alors risqués.</p>
<p>L’issue de cette dernière stratégie est plutôt décevante : si plus de 50 % des étudiants disent avoir été admis sur le choix le plus souhaité, 55 % des « prudents » uniquement ont déclaré avoir eu leur premier choix, alors que c’est le cas pour 49 % des seuls « audacieux ».</p>
<h2>Un accompagnement inégal</h2>
<p>La saisie des vœux n’est que l’aboutissement d’un processus d’orientation qui commence bien en amont, dans la famille et dans les établissements secondaires. La loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (<a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid38616/loi-relative-a-l-orientation-et-a-la-reussite-des-etudiants-loi-ore.html">loi ORE</a>), à l’origine de la mise en place de Parcoursup, vise à renforcer l’accompagnement institutionnel des choix d’orientation.</p>
<p>Cette loi donne plus de poids notamment aux enseignants, incités à mettre en place des entretiens personnalisés avec les lycéens. De facto, 55 % des étudiants déclarent avoir eu au moins un entretien individualisé avec leurs professeurs principaux dans l’enquête.</p>
<p>Si Internet apparaît comme la première source d’information mobilisée par les étudiants, la famille demeure fortement sollicitée tout au long du processus de sélection. Près d’un quart des étudiants ont cité <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/01/10/les-parents-influents-conseillers-d-orientation_6025378_4401467.html">leurs parents</a> ou leur fratrie parmi leurs trois premières sources d’information pour décider de leur orientation.</p>
<p>47 % des étudiants étaient avec un membre de leur famille au moment de la saisie des vœux et plus de 70 % des étudiants ont déclaré avoir été aidés par des proches – pour la rédaction du projet de formation motivé, la clarification de choix d’orientation ou l’aide à la rédaction du CV notamment.</p>
<p>La famille est particulièrement sollicitée par les étudiants les plus favorisés, qui sont également ceux qui ont le plus utilisé les ressources institutionnelles, en déclarant plus fréquemment s’être rendus à l’université en amont de leurs choix. Ce sont également ceux qui ont jugé la procédure moins stressante et plus simple.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Lf9nQhjdyZ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Journées portes ouvertes à l’Université de Grenoble (France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le poids du lycée d’origine</h2>
<p>Qu’est-ce qui compte le plus, <em>a posteriori</em>, aux yeux des étudiants, pour obtenir une proposition satisfaisante ? Les résultats scolaires et les appréciations des enseignants sont les deux critères les plus importants, cités respectivement par 70 % et 45 % des étudiants. Viennent ensuite, par ordre décroissant de citation :</p>
<ul>
<li><p>le projet professionnel (34 %)</p></li>
<li><p>le baccalauréat d’origine (20 % des étudiants – avec une légère surreprésentation des bacheliers généraux pour cette réponse)</p></li>
<li><p>enfin, le lycée d’origine est cité par 12 % des étudiants parmi les deux critères les plus importants.</p></li>
</ul>
<p>De manière générale, plus les étudiants obtiennent les vœux souhaités et plus ils sont satisfaits de la procédure et la jugent juste. Lorsqu’ils ont été admis à tous leurs vœux, 51 % se déclarent satisfaits de la procédure et 34 % la considèrent juste. Ils ne sont respectivement que 13 % et 7 % à adopter cette position lorsqu’ils n’ont obtenu qu’un seul de leurs vœux et que celui-ci ne faisait pas partie des trois les plus souhaités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parcoursup-un-gps-de-lorientation-post-bac-pas-si-facile-a-manier-122436">Parcoursup, un GPS de l’orientation post-bac pas si facile à manier</a>
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<p>De même, selon les critères perçus comme importants, la procédure Parcoursup ne sera pas jugée de la même manière par les étudiants. Ainsi, les étudiants ayant cité les résultats scolaires parmi les critères importants pour obtenir une proposition satisfaisante sont davantage convaincus du caractère juste de la procédure (30 % contre 19 % parmi les étudiants ayant répondu d’autres critères). Les étudiants ayant cité le lycée d’origine sont moins convaincus de la justice du verdict (17 % la considèrent juste contre 28 % parmi les étudiants n’ayant pas cité ce critère).</p>
<p>Cette enquête a porté sur la première version de la plate-forme mise en place en 2018. Il s'agit maintenant de voir dans quelle mesure les évolutions apportées à la procédure Parcoursup à partir sa deuxième année de mise en service ont changé la donne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125458/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élise Tenret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Comment les jeunes jugent-ils Parcoursup, le système d’admission dans l’enseignement supérieur lancé en 2018 ? L’Observatoire de la vie étudiante s’est penché sur la première génération d’usagers.
Élise Tenret, Maîtresse de conférences en sociologie, chargée de mission à l'OVE, Université Paris Dauphine – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/129410
2020-01-08T23:17:50Z
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En manif, l’émeute révèle notre détresse politique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/308674/original/file-20200106-123385-1psfzb2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C3%2C1838%2C1357&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation du 5 décembre 2019 pour la défense des retraites.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/49178589391/">Jeanne Menjoulet</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, les émeutes, manifestations sauvages et débordements accompagnent de nombreuses manifestations (ZAD, Loi travail, Parcoursup, etc.). Récemment, le mouvement des « gilets jaunes » a donné de l’ampleur à un phénomène latent.</p>
<p>Désormais, chaque manifestation est précédée par l’inquiétante question d’une possible présence d’un <a href="https://theconversation.com/le-black-bloc-quand-lantisysteme-effraie-80857">« black bloc »</a>, « d’ultra-jaunes », de « casseurs », bref de manifestants disposés à l’affrontement avec les forces de police et à la destruction matérielle d’institutions emblématiques du capitalisme (banques, agences immobilières, etc.).</p>
<p>Cette focalisation médiatique sur le spectacle de la violence ne vise pas seulement à disqualifier un mouvement de contestation. Elle empêche toute réflexion sérieuse – au-delà de considérations morales – sur ce que ces tentations émeutières disent de notre présent, de notre situation politique, et de ce qu’elles portent comme critique de notre société.</p>
<p>De ce point de vue, le mouvement syndical, contre la réforme des retraites, bien qu’inédit, rassure les commentateurs politiques en tant qu’il apparaît dans la forme que l’on s’est habitué à connaître. Non seulement la violence émeutière se fait plus discrète sinon canalisée, mais plus encore, les mots d’ordre sont clairs, les porte-parole désignés, les attentes syndicales ciblées et précises bien que l’on reconnaisse aisément que les mouvements de contestation dépassent largement le refus de cette réforme.</p>
<p>Les tentations émeutières n’ont pour autant aucunement disparu et, ces dernières semaines, se sont répandues de façon spectaculaire dans de <a href="https://theconversation.com/dossier-les-peuples-contre-les-systemes-115869">nombreux endroits du monde</a>.</p>
<p>Cependant, en France, elles sont rendues quasi impossibles à la faveur d’un <a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-et-violences-policieres-ce-que-lhistoire-nous-apprend-108796">maintien de l’ordre</a> qui s’est adapté aux habitudes émeutières. Le dispositif policier, mobile, réactif, impressionnant et autrement plus offensif qu’auparavant a eu son efficacité pratique évidente en dissuadant toute tentative émeutière. Cette <a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-qui-decide-de-quoi-119128">stratégie de maintien de l’ordre par la force</a> fait taire ou entrer en désuétude les violences émeutières. Seulement, elle n’affecte aucunement ses raisons profondes.</p>
<h2>« Le monde ou rien »</h2>
<p>Au-delà de toute question morale, il me semble nécessaire de déplacer le débat sur la tentation émeutière en l’examinant de l’intérieur c’est-à-dire à partir de son vécu subjectif.</p>
<p>Le jeu de question est alors simple : pourquoi l’émeute suscite-t-elle chez certains un certain enthousiasme ? Que dit-elle de notre présent et des attentes politiques en germe ? Comment se fait-il que de nombreuses personnes se laissent aisément gagner par le <a href="https://thomaschopin.com/ange/">« charme de l’émeute »</a> ? Existe-t-il, en France et ailleurs, une atmosphère insurrectionnelle ?</p>
<p>Une première piste de réflexion sur la nature politique d’une émeute porte sur le fait qu’elle traduit simultanément une <a href="https://www.puf.com/content/Le_vertige_de_l%C3%A9meute">« rencontre brisée avec le monde » et une « quête passionnée de réel »</a>. L’émeutier en veut indéniablement au monde. De façon tout à fait générale, ses tentatives signent cette relation déceptive au monde.</p>
<p>Fidèle à la tradition romantique, elle déclare un monde rongé par le négatif ; un monde au sein duquel on s’est habitué à humilier et à briser la vie c’est-à-dire un monde où la vie est étouffée au sens où elle ne lui est pas permise de s’accomplir dans le quotidien que ce soit dans le travail, la famille, les sociabilités ordinaires, et la vie communautaire. Il n’y a qu’à lire ce que les manifestants taguent dans les rues pour constater cet appel constant à la vie et cette tonalité romantique :</p>
<blockquote>
<p>« Le monde ou rien […] Nos vies valent plus que leurs profits […] Ni retraite, ni Paradis, vivre maintenant […] »</p>
</blockquote>
<p></p>
<h2>Le geste de l’émeutier</h2>
<p>Dans le cours de l’événement, le geste de l’émeutier ne répare, ne construit rien et est, en ce sens, inconsistant politiquement. Il n’offre aucune issue politique en tant que telle. Il est plutôt le signe d’une détresse collective. Son geste, désespéré, traduit l’impuissance collective à s’assurer de la possibilité d’édifier un commun souhaitable. La revendication touffue, dense et sans direction claire d’une « vie à inventer » n’a de sens et de possibilité de séduction que dans un état d’impuissance et de confusion politique. Elle se loge et comble l’absence d’alternatives politiques consistantes.</p>
<p>L’émeute vient mettre un terme aux dialogues tels qu’ils sont prévus par les instances politiques officielles. Elle propose un tout autre dialogue : un monde vierge, où les bris de verre et les graffitis qui jalonnent les murs deviennent moyens d’expression.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308675/original/file-20200106-123377-1l547tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestation du 4 janvier 2020 contre la réforme des retraites.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/49331984033/in/album-72157689446880593/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle signe la fin de la politique de « composition » qui voudrait que le dialogue aboutisse à des consensus et à des décisions politiques consistantes. L’émeute place tragiquement chacun d’entre nous face à notre incapacité à se réfléchir collectivement, à se déterminer des horizons souhaitables et à se transformer.</p>
<p>L’émeute inquiète car elle signe une profonde crise de la crédulité quant à la capacité pratique de faire résonner et dialoguer les voix humaines dans leur pluralité.</p>
<p>Comment donc faire du politique alors que chacun est agité par le sentiment que tout s’effondre et que l’avenir est inscrutable ou qu’il prend la figure menaçante de l’angoisse ? Comment se frayer un chemin à travers la catastrophe et au milieu d’un monde muet et indifférent ? Les angoisses sont nombreuses ; qu’elles proviennent du drame écologique, d’une vie destinée à la précarité matérielle et sociale, ou, plus largement, à l’absence d’un futur visible, imaginable et pensable. Les réponses politiques, quant à elle, peinent à apporter une réponse consistante au sentiment de plus en plus partagé d’être tenu de vivre dans une époque de menaces globales sans issue prévisible.</p>
<h2>Domestiquer l’inquiétude politique</h2>
<p>Cette absence d’avenir et ce sentiment généralisé d’impuissance politique, c’est-à-dire ce sentiment partagé d’une incapacité à influer de manière significative sur les affaires du monde, est une source d’inquiétude collective.</p>
<p>La tentation émeutière se loge dans le creux de cette inquiétude. En effet, la question est de savoir comment nous nous y prenons pour domestiquer le sentiment d’inquiétude. Le fait de prendre la rue, de la déborder et de susciter la confrontation avec les forces de l’ordre revient à simplifier le rapport au pouvoir et à produire ce singulier sentiment d’agir sur lui.</p>
<p>Pour le dire de façon lapidaire, il est plus facile d’affronter des forces de l’ordre que de destituer patiemment et collectivement les <a href="http://1libertaire.free.fr/BioPouvoirSansTitre.Html">micro-pouvoirs</a> qui nous traversent et nous constituent individuellement et collectivement. Comme le soulignait Michel Foucault, le pouvoir n’est pas une substance et n’a pas de centre au sens où il est relationnel et il circule entre tous.</p>
<p>Pour saisir le pouvoir et le dépotentialiser, il faut partir des rapports de forces multiples, ponctuels et locaux exprimés dans la famille, la sexualité, l’éducation, l’économie, la connaissance, etc. ce qui est autrement plus ardu que lorsque le pouvoir a un centre, qu’il est identifiable et localisable.</p>
<p>L’émeute traduit cette tentative – désespérée parce que vouée à l’échec – de repossession de ce qui se dérobe à nous : que ce soit la compréhension du monde, la lisibilité de l’avenir, la capacité à édifier un commun souhaitable où la vie trouve les moyens de s’exprimer.</p>
<p>Cette impuissance trouve dans l’émeute une puissance de déclaration au sens où elle produit des effets qui adviennent immédiatement à la perception : des rues jonchées de débris, des barricades en feu, des forces de police désorientées, des foules solidaires qui maintiennent leur présence dans les rues désordonnées, etc.</p>
<p>Les gestes des émeutiers font advenir à la visibilité commune la possibilité de suspendre très provisoirement les ordres, les pouvoirs, les contingences qui enserrent habituellement l’action politique.</p>
<h2>L’émergence d’une image caricaturale du pouvoir</h2>
<p>De façon tout à fait pratique, l’émeute objective la fragilité du pouvoir, ébranle son assurance. Elle y parvient en l’obligeant à surgir, c’est-à-dire à se manifester sous une forme grotesque, brutale et sans réelle nuance au moyen notamment des interventions policières. Elle suscite alors une image caricaturale du pouvoir. Le pouvoir, ici incarné par les forces de police, est tenu de se déployer massivement, de faire usage de la force, d’être parfois débordé, mis à nu et incapable de contenir le flux des manifestants, etc.</p>
<p>En ce sens, l’émeute dépotentialise momentanément le pouvoir. L’émeute suscite un enthousiasme certain pour ceux qui y participent parce qu’elle offre une présence constante et sensible du pouvoir.</p>
<p>Lorsqu’un manifestant reçoit un coup de matraque, il porte sur son corps la marque visible du pouvoir. Il n’est d’ailleurs pas rare que les manifestants légèrement blessés en retirent une certaine fierté. Dans la blessure, le corps porte l’évidence de la violence du pouvoir.</p>
<h2>Une épreuve charnelle du politique</h2>
<p>Il est manifeste que, dans la plupart des situations émeutières, les actions des individus proviennent de facteurs émotionnels : la peur, l’ivresse, le désir, l’excitation, la joie, le découragement. Elle a de particulier le fait qu’elle est un concentré de sensations. En ce sens, elle engage toujours un rapport charnel au réel. Le corps devient le siège des sensations.</p>
<p>Le cortège de tête est plus enclin au débordement des dispositifs institués, à une expression festive des revendications, à la création de scènes d’intensités qui portent avec éclats le désir politique. Les motifs du cortège sont aussi incertains que vivants. Ils expriment la quête d’une force qui éveille à la sensation, à l’enthousiasme voire à l’enivrement.</p>
<p>Si le cortège de tête a tendance à attirer certaines personnes dans les manifestations, c’est parce qu’il contient la promesse de faire l’expérience d’événements concrets qui « parlent aux nerfs » : en empruntant un tout autre chemin que le tracé officiel de la manifestation, en saccageant les enseignes habituellement entourées de respect, en affrontant ou en se jouant des forces de police, en construisant des barricades avec du mobilier urbain, etc. En somme, le cortège de tête se montre collectivement enthousiaste et énergique.</p>
<p>L’expression émeutière accentue ainsi l’expérience corporelle et suscite aussi bien des émotions joyeuses qu’inquiètes.</p>
<p>C’est comme si, momentanément, les corps triomphaient sur la raison et le dialogue. De là notamment provient ce que j’ai appelé le <a href="https://theconversation.com/le-vertige-de-lemeute-108449">« vertige de l’émeute »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308678/original/file-20200106-123411-211otr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestation du 17 décembre 2019 contre la réforme des retraites.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/49234613186/in/album-72157689446880593/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une épreuve solidaire des corps</h2>
<p>Ce concentré de sensations contraste singulièrement avec les marches syndicales classiques et ritualistes au cours desquelles il ne se passe aucun événement concret. Le politique n’est plus une affaire abstraite et désincarnée.</p>
<p>Courir dans la rue, pourchassé par la police, au milieu du désordre, des lacrymogènes, pétards et autres feux d’artifice, est une expérience charnelle intense. L’émeute alimente la vie sensitive sur le plan des odeurs (gaz lacrymogène, fumigènes, etc.), des couleurs (nuages de fumée, feux d’artifice), des bruits (explosions, bruits de vitrines qui s’effondrent) et de la perception (l’image momentanée du désordre sinon du chaos).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/a-WGMwnZ3mQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Casse et chaos en marge de la manifestation du 5 décembre 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces sensations, adrénaline, fatigue, essoufflement, douleurs musculaires, blessures, produisent aussi un état affectif collectif, c’est-à-dire qui touche, prépare et pousse à agir.</p>
<p>C’est notamment une épreuve solidaire des corps qui se soutiennent, se performent, mais qui peuvent aussi se désunir dans les moments de charge policière. Elle est alors vécue par les émeutiers comme un moment ponctuel de composition des puissances ; une composition qui s’éprouve.</p>
<p>Dans sa tonalité romantique (au sens général d’exaltation de la pensée et des sentiments), l’émeute est une épreuve charnelle du politique dont l’essentiel est de mimer un écroulement du monde.</p>
<p>Elle montre par là comment, dans la vie ordinaire, les puissances de vie sont inutilisées et se doivent de trouver des espaces pour se déverser. En ce sens, l’émeute est une dépense de l’énergie inemployée dans la vie de tous les jours.</p>
<p>Elle affirme avec force une dépréciation du quotidien, où les actions ordinaires n’ont plus de significations conséquentes.</p>
<p>L’émeute révèle peut-être l’immense problème politique que nous rencontrons actuellement : une crise de la lucidité politique mais aussi de l’expressivité. Ces crises ne sont pas nouvelles. Seulement, la généralisation des moments émeutiers traduit incontestablement ces subjectivités à la fois saturées et avides de présence à la sensation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pourquoi l’émeute suscite-t-elle un certain enthousiasme ?
Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/122438
2019-09-05T18:40:51Z
2019-09-05T18:40:51Z
Formations post-bac : Parcoursup, le choix de l’inscription à la carte ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/290723/original/file-20190903-175700-1h4hw2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=67%2C1429%2C4925%2C3241&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'interactivité du web permet de présenter des résultats de recherche de manière intuitive.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/geolocation-on-map-285754931?src=-1-65">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Alors que la rentrée scolaire bat son plein, des touristes insouciants explorent encore les cartes d’Airbnb ou de Tripadvisor, en quête d’un lieu agréable pour profiter des derniers rayons de soleil estivaux.</p>
<p>Ces mêmes jours de septembre, sur un registre beaucoup plus fébrile, les bacheliers qui n’ont pas obtenu en juin d’affectation dans l’enseignement supérieur scrutent la carte des formations du site d’admissions Parcoursup à la recherche d’une place dans une université ou école post-bac. Du 25 juin au 11 septembre, la <a href="https://www.parcoursup.fr/index.php?desc=questions#ETAPES-COMPLEMENTAIRE">phase complémentaire</a> leur permet en effet de postuler auprès des établissements qui n’ont pas totalement bouclé leurs listes d’inscription.</p>
<p>Dans les deux cas – vacances ou orientation scolaires et professionnelle –, les plans à disposition des internautes fonctionnent sur un mode intuitif. Si ces outils interactifs se ressemblent, peut-on vraiment rapprocher leurs logiques ? Et quels enseignements tirer de ces similitudes ?</p>
<h2>Modèles touristiques</h2>
<p>Pour sa deuxième édition en 2018-2019, la plate-forme nationale Parcoursup qui gère l’attribution des places dans l’enseignement supérieur – en remplacement du site Admissions Post-Bac (APB) – offre aux élèves en phase d’orientation un nouvel outil : une <a href="http://etudiant.aujourdhui.fr/etudiant/info/parcoursup-une-carte-interactive-pour-choisir-ses-formations.html">carte géographique interactive</a> permettant de visualiser la répartition des dernières places disponibles.</p>
<p>Développée par le laboratoire <a href="https://www.labri.fr/">LaBRI</a> (Laboratoire bordelais de recherche en informatique), et basée sur les données de l’<a href="http://www.onisep.fr/">ONISEP</a>, cette carte mise en ligne le 6 février 2019 est actualisée quotidiennement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289974/original/file-20190828-184211-1pfuxww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Mise en ligne en février 2019, la carte interactive de Parcoursup offre un design rassurant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au premier coup d’œil, il faut avouer que l’internaute aura une impression de déjà-vu. Avec ses couleurs, ses balises rouges et son système de zoom, cette représentation fondée sur la géolocalisation est devenue un incontournable du web touristique. Depuis quelques années, en effet, les designs des cartes proposées par ces sites tendent à s’homogénéiser.</p>
<p>De fait, on y retrouve les mêmes fonctions clefs :</p>
<ul>
<li><p>une barre de recherche en champ libre</p></li>
<li><p>des critères pour filtrer les résultats</p></li>
<li><p>une icône de localisation, avec la possibilité d’établir des listes d’adresses</p></li>
<li><p>une fonction « zoom » pour changer d’échelle</p></li>
</ul>
<p>Les cartes d’Airbnb, de Tripadvisor et de Parcoursup suivent ce design.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289976/original/file-20190828-184211-apw3mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La carte Airbnb a inspiré les codes actuels du web touristique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289977/original/file-20190828-184207-19b71nr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La carte interactive de Tripadvisor a le même style d’identité visuelle que celle d’Airbnb.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
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</figure>
<h2>Héritage historique</h2>
<p>Ces codes de représentation sont le fruit d’une histoire. C’est à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Bertin_(cartographe)">Jacques Bertin</a>, cartographe français (1918-2010), que l’on doit les premières réflexions théoriques sur le langage cartographique, proche de la sémiologie visuelle. C’est grâce à lui que toutes les cartes statistiques ont un air de famille.</p>
<p>Dans son laboratoire de cartographie, il mit au point des principes graphiques homogènes. Aujourd’hui on y fait encore référence dans l’enseignement universitaire de la cartographie. Jacques Bertin est en quelque sorte le père de la « datavisualisation ». Cet anglicisme désigne l’optimisation de la représentation graphique afin de faciliter la lecture de données statistiques complexes.</p>
<p>Avant lui, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dupin">Charles Dupin</a>, mathématicien français avait lancé la mode des cartes <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carte_choropl%C3%A8the">« chloroplèthes »</a> (cartes thématiques où chaque couleur correspond à une mesure statistique). Cela fait donc deux siècles que des données statistiques sont représentées sur des cartes. Il est intéressant de noter que le <a href="http://clioweb.canalblog.com/archives/2017/10/09/35751012.html">niveau d’instruction</a> en France a fait partie des premiers sujets explorés de cette manière – un dégradé de couleurs figurant son intensité par département.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=628&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=628&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=628&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=790&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=790&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289978/original/file-20190828-184202-1rys277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=790&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les premières cartes statistiques traitaient déjà d’éducation.</span>
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</figure>
<p>Ces pères de la cartographie moderne soulignaient qu’une carte est toujours une simplification du réel. C’est une construction culturelle. Une carte met en récit une réalité. Elle la raconte.</p>
<h2>Que nous « raconte » la carte de Parcoursup ?</h2>
<p>La présence même d’une carte comme point d’entrée pour une recherche de formation est révélatrice. Le premier critère à prendre en compte pour le choix d’une formation serait sa localisation. À bien y réfléchir, il n’est pas évident que ce soit le plus pertinent.</p>
<p>Pouvoir prendre de la hauteur sur une carte offre une expérience grisante. Mais ce plaisir démiurgique peut aussi conduire au vertige. En 1977, la vidéo <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Powers_of_Ten">« Powers of ten »</a> réalisée pour IBM en montrait déjà la puissance évocatrice.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0fKBhvDjuy0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Zoomer, dézoomer… un vertige démiurgique !</span></figcaption>
</figure>
<p>De la même manière, zoomer et dézoomer sur la carte de Parcoursup peut plonger les jeunes bacheliers dans le plus grand désarroi, alors que le <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid37384/parcoursup-la-plateforme-d-admission-dans-l-enseignement-superieur.html">but mis en avant</a> initialement était de les aider à « affiner leurs recherches de manière simple et intuitive ».</p>
<p>L’hyperchoix de la société postmoderne s’affiche ici sous forme de balises de localisation. Des milliers de formations apparaissent et s’affinent au fur et à mesure de la recherche. Un peu comme si vous aviez accès au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Google_Earth">Google Earth</a> de la formation : des lieux à l’infini mais aucune trajectoire établie !</p>
<p>Si l’enjeu du parcours étudiant est bien celui de l’orientation, pourquoi avoir choisi une carte qui ne représente aucun chemin ? Le mot <em>parcours</em> est au cœur de Parcoursup mais la carte est vierge de tout tracé. À la carte d’Airbnb on aurait pu opposer une carte routière ou, mieux, une carte de randonnée. On y trouve des tracés, des voies mais aussi des obstacles, des points d’étapes, des refuges, des dénivelés plus ou moins abrupts.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/290709/original/file-20190903-175691-12yzj35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une carte de randonnée permet de fixer des points d’étapes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/download/confirm/603717755?src=-1-52&size=medium_jpg">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En matière de représentation graphique, <a href="https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1933_num_10_69_6628?q=choix+d%27une+l%C3%A9gende+pour+une+repr%C3%A9sentation+graphique">aucun choix n’est anodin</a>. Plutôt que de privilégier une carte interactive qui emprunte aux codes touristiques, on aurait pu imaginer d’autres symboles : une pyramide avec les frais de scolarité des plus modestes aux plus onéreux, un entonnoir avec des taux de sélection des plus bas aux plus élitistes, ou encore une maquette de maison avec les formations les plus pratiques en guise de fondations et les plus théoriques en guise d’éléments de décoration.</p>
<p>Les termes utilisés ne sont pas neutres non plus. Par exemple, les mots « plate-forme », « orientation », « carte » <a href="https://theconversation.com/parcoursup-un-gps-de-lorientation-post-bac-pas-si-facile-a-manier-122436">font penser à un GPS</a>. Or Parcoursup est loin d’en posséder les fonctionnalités, comme on l’a vu, restant plus proche d’un site d’inscription que d’un outil d’aide à la décision. La prochaine version de Parcoursup s’engagera-t-elle dans cette évolution ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122438/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Parallèlement à ses activités de professeur et de chercheuse, Alice RIOU a fondé l'agence web de Randonnées "Pedestria" en 2003.</span></em></p>
Pour visualiser les formations supérieures encore ouvertes aux inscriptions, Parcoursup propose une carte interactive sur le modèle des services touristiques de géolocalisation. Une aide, vraiment ?
Alice Riou, Professeur Associé - Marketing et Innovation, EM Lyon Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/122436
2019-09-03T19:01:00Z
2019-09-03T19:01:00Z
Parcoursup, un GPS de l’orientation post-bac pas si facile à manier
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/290389/original/file-20190831-165985-1jmc7lr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=988%2C943%2C3961%2C2685&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Beaucoup de bacheliers s'engagent dans le processus d'orientation sans avoir déterminé leur destination exacte.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/young-woman-friends-cellphone-looking-app-1280680426">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Ces paroles, les moins de 20 ans ne les connaissent peut-être pas. Mais à l’image de ce que chantait Francis Cabrel dans un titre de 1981, les lycéens qui veulent s'inscrire dans l’enseignement supérieur pour la rentrée 2020 vont à partir du 22 janvier formuler leurs vœux d'orientation, et chercher à prendre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1PvF18rxsLE">« leur place dans le trafic »</a>… Ils peuvent d'ores et déjà naviguer sur le site <a href="https://www.parcoursup.fr/">Parcoursup</a>, ouvert le 20 décembre 2019, pour découvrir les cursus accessibles et les pré-requis de chaque formation.</p>
<p>Cette phase d'information est l’occasion de revenir sur la philosophie qui sous-tend cette plate-forme d’affectation dans les universités, écoles et classes préparatoires, lancée en 2018 avec la promesse d’un meilleur accompagnement des jeunes dans leurs choix.</p>
<p>Une analyse <a href="http://www.lattice.cnrs.fr/sites/itellier/poly_info_ling/linguistique007.html">sémantique</a> (des mots) et <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1970_num_25_6_422296?q=s%C3%A9miotique">sémiotique</a> (des signes) indique qu’elle emprunte de nombreux codes à l’univers du GPS automobile. Sans réussir pour autant à en adopter le système intuitif d’orientation.</p>
<h2>Nouveau référentiel</h2>
<p>Depuis deux ans, la plate-forme doit orienter un peu plus de <a href="https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T129/l_orientation_des_nouveaux_bacheliers_sur_parcoursup_les_voeux_et_les_propositions_d_admission/">600 000 bacheliers</a> chaque année vers plus de <a href="https://www.parcoursup.fr/index.php?desc=formations">14 000 formations</a>. Pas étonnant qu’il y ait quelques bouchons sur les routes de la rentrée. Pourtant le nouveau système avait justement été mis en place pour éviter les ralentissements.</p>
<p>L’ancienne plate-forme Admission Post-Bac, dite APB, a été remplacée par Parcoursup le 15 janvier 2018, suite au « Plan etudiants » et à la <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid38616/loi-relative-a-l-orientation-et-a-la-reussite-des-etudiants-loi-ore.html">loi ORE du 8 mars 2018</a>. La première lettre de cette loi souligne d’emblée que l’orientation post-bac est bien un enjeu majeur du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.</p>
<p>Or, pour changer de cap, il fallait aussi un changement de codes. En suivant les chemins tracés par <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/1977-v10-n1-2-etudlitt2204/500440ar/">Algirdas Julien Greimas</a> et <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1027">Roland Barthes</a>, décryptons les évolutions des symboles visuels opérés d’APB à Parcoursup, pour comprendre ce qui se joue derrière cette notion de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/pr/2005-v33-n2-pr1043/012287ar/">« parcours »</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=188&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=188&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=188&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289914/original/file-20190828-184229-m8667s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=236&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Source : archive Wikipedia de APB et site actuel de Parcousup.</span>
<span class="attribution"><span class="source">https://fr.wikipedia.org/wiki/Admission_Post-Bac</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Processus de choix</h2>
<p>L’ancienne appellation mettait l’accent sur l’admission, étape administrative officialisant l’inscription à un établissement. Le mot « bac » y était encore présent. Le nouveau nom quant à lui substitue le processus au point d’étape.</p>
<p>Doublée de la mention « Entrez dans l’enseignement supérieur », la nouvelle signature invite au mouvement. Le libellé « post bac » était inclus dans un phylactère bleu, comme la bulle d’une BD. Ou plus probablement dans la tête des jeunes bacheliers comme celle des SMS réceptionnés ! Cela renvoyait graphiquement à un jeu de questions et réponses.</p>
<p>Alors que le logotype d’APB évoquait le dialogue, celui de Parcoursup adopte une typographie plus lisible et moins anxiogène. La casse minuscule est plus cohérente avec l’environnement de l’écriture électronique en vogue sur tout l’<a href="https://www.ergognome.com/conception/pourquoi-preferer-les-minuscules-aux-majuscules/">univers graphique du web</a>. La minuscule est à la fois l’écriture par défaut sur un clavier, plus naturelle et informelle, tandis que la majuscule évoque parfois l’urgence, voire le danger.</p>
<p>Le logotype de Parcoursup est composé aux deux tiers d’une couleur froide, sérieuse. Par opposition, une couleur chaude vient trancher la lettre « s » au cœur du mot. Le rouge orangé rappelle l’importance de l’enjeu, attire l’attention. Le « s » bicolore est une lettre de transition chromatique. Sa forme évoque à elle seule un chemin serpentant. Et finalement sa double couleur permet au « up » un statut à part. « Up » signifie aussi « vers le haut » en anglais. S’agit-il discrètement d’inviter à une transition vers la langue anglaise ?</p>
<p>L’alternance de couleurs, que l’on retrouve dans les trois petites flèches, annonce une démarche en étapes. On peut aussi y voir trois marches d’escalier, une grimpette progressive vers les études supérieures. Un rythme ternaire calqué sur la première tranche de la réforme européenne dite LMD (licence, bac +3, master, bac +5, doctorat, bac +8).</p>
<h2>Critères de navigation flous</h2>
<p>Habituellement, sur un GPS automobile, il convient d’indiquer cinq variables importantes pour lui permettre d’optimiser un parcours : un lieu de départ, un lieu d’arrivée, des dates, des préférences personnelles de trajet, des règles économiques.</p>
<p>Ironiquement, les mêmes questions peuvent se poser au candidat de Parcoursup pour optimiser son trajet dans l’enseignement supérieur. Mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un GPS difficile à utiliser :</p>
<ul>
<li><p><strong>Un lieu de départ qui ressemble à une ligne d’arrivée</strong> : Peu de bacheliers réalisent qu’ils sont à l’aube d’un nouvel épisode. Le baccalauréat n’était donc pas une <a href="https://www.cahiers-pedagogiques.com/Le-bac-n-est-pas-une-fin-en-soi">fin en soi</a>. C’est un « passeport », mais vers quelle contrée inconnue ?</p></li>
<li><p><strong>Un lieu d’arrivée difficile à indiquer</strong> : Peu de bacheliers savent d’ores et déjà exprimer un choix professionnel.</p></li>
<li><p><strong>Des dates qui obligent à rester dans le rythme</strong> : Si certains bacheliers seraient bien tentés par une <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/01/02/l-annee-de-cesure-une-annee-de-plus-ou-une-annee-de-moins_5404351_4401467.html">année de césure</a> après la terminale, la plupart n’osent pas manquer la traditionnelle rentrée de septembre. Et la procédure de Parcoursup est cadrée au plan national.</p></li>
<li><p><strong>Des préférences qui demandent réflexion</strong> : Un GPS permet généralement d’indiquer si on privilégie la vitesse, le coût du déplacement, la distance parcourue, ou le passage par certaines étapes… Sur Parcoursup, il n’est pas possible de filtrer les réponses selon des préférences personnelles d’apprentissage – cours en face à face, des cours en ligne, travaux pratiques… Face à ces questions, nombre de bacheliers restent perplexes. Certains s’expriment encore en évoquant les matières qu’ils aimaient au lycée. Rares sont ceux qui se connaissent profondément, et identifient bien les modes d’apprentissage qui leur correspondent.</p></li>
<li><p><strong>Des règles économiques… taboues dans le secteur de l’éducation</strong> : Un paramètre économique dans un GPS de l’orientation universitaire semblerait bien cynique. De fait, ce filtre important des GPS automobiles ne fait pas partie des critères évoqués sur Parcoursup. Il ne s’agit pas ici de privilégier les autoroutes à péage ou les chemins de traverses gratuits. Pourtant, le coût des études est une question clé pour les familles.</p></li>
</ul>
<p>Aucun des cinq paramètres d’un GPS habituel ne semble évident à renseigner sur Parcoursup pour trouver son parcours universitaire, de sorte que le site, à l’instar d’Admissions Post-Bac, reste plus une plate-forme d’inscription qu’il ne se rapproche d’un outil d’aide à la navigation.</p>
<p>Alors pour trouver sa voie, on a toujours la possibilité de baisser sa vitre et de demander son chemin au premier venu. De nos jours, cela revient à se tourner vers les réseaux sociaux. Le jeune bachelier peut tenter une incursion dans la cacophonie de YouTube et des forums, ou jongler entre les différents sites institutionnels. Cela suffira-t-il à l’aider à vraiment à se construire un parcours sur mesure ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122436/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Parallèlement à ses activités de professeur et de chercheuse, Alice RIOU a fondé l'agence web de Randonnées "Pedestria" en 2003. </span></em></p>
Les lycéens qui veulent s'inscrire dans l'enseignement supérieur ont jusqu'au 20 mars 2020 pour déposer leurs candidatures sur le site Parcoursup. Regards sur ce GPS de l'orientation.
Alice Riou, Professeur Associé - Marketing et Innovation, EM Lyon Business School
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2019-06-28T13:29:11Z
2019-06-28T13:29:11Z
Podcast : « Les Défricheurs », ou la vie après le bac
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/281743/original/file-20190628-94704-xrbatu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C588%2C421&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Film de Fabien Truong et Mathieu Vadepied</span> <span class="attribution"><span class="source">Heliox films</span></span></figcaption></figure><p>Chaque année, début juillet, l’annonce des résultats du bac fait la « une » des journaux télévisés. Dans les reportages défilent les images de lycéens fébriles et de parents émus. Pour les familles, un chapitre se termine en effet. Mais les débats autour de <a href="https://www.parcoursup.fr/">Parcoursup</a>, la plate-forme d’affectation dans l’enseignement supérieur, nous le rappellent : l’examen, aussi symbolique soit-il, ne suffit pas à ouvrir toutes grandes les portes de l’avenir, et c’est à chaque jeune de jongler avec les informations et d’apprivoiser les codes universitaires pour conquérir sa place en société.</p>
<p>Comment cet « après » se dessine-t-il ? En tandem, le réalisateur Mathieu Vadepied et <a href="http://www.fabientruong.com/acceuil/film/">Fabien Truong</a>, sociologue et auteur de <em>Jeunesses françaises, bac+5 made in banlieue</em>, explorent cette phase de transition et de construction dans le documentaire <em>Les Défricheurs</em> (diffusion prévue sur France 3 le 1<sup>er</sup> juillet, film <a href="https://www.france.tv/france-3/l-heure-d/1000489-a-la-conquete-du-bac-et-d-une-vie-apres.html">accessible en ligne</a> ensuite pendant un mois). On y suit les trajectoires de trois élèves de terminale : Brandon, qui choisit une prépa commerciale, Amine qui se risque en Staps, filière si convoitée par les bacheliers, et Faïda, qui entame des études de droit.</p>
<p>Pas simple de filmer l’orientation, ce processus de décisions personnelles où se croisent espoirs et barrières sociales. Le documentaire fait le choix de rester à la hauteur des trois protagonistes, faisant fi des voix off. Objectif : garder « l’ouverture » de l’ethnographie, montrer que tout ne suit pas une trajectoire rectiligne. Les « défricheurs », ce sont « ces jeunes de milieu populaire qui sont déjà passés par les études supérieures et qui en sont un peu revenus », comme nous l’explique Fabien Truong.</p>
<p>Dans le documentaire, on voit les trois héros transmettre le flambeau à la génération suivante en revenant dans leur lycée quelques années plus tard pour présenter leurs filières, leurs réussites et leurs échecs. Dans ce podcast, Fabien Truong nous fait part de son expérience de chercheur passé derrière la caméra pour sonder d’une autre manière la question de l’orientation, sans faire de la « sociologie illustrée ». Bonne écoute !</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/THFetH4hEuk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Épisode de la série « Défricher », liée au documentaire.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/119572/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Judith Mayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Comment filmer l’orientation, ce processus de décisions personnelles où se croisent espoirs et barrières sociales ? Zoom sur « Les Défricheurs », documentaire du sociologue Fabien Truong.
Judith Mayer, Enseignante certifée (lettres modernes, sciences de l'information et de la communication, FLE), autrice (France Culture, Radio Nova, Joca Seria), Université Sorbonne Paris Nord
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2019-06-18T20:50:49Z
2019-06-18T20:50:49Z
Débat : Pourquoi les fondations d’universités peinent à lever des fonds
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/279810/original/file-20190617-118510-5tr6yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1000%2C651&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aux États-Unis, il n’est en effet pas rare de voir des anciens, une fois qu’ils ont fait fortune, verser de généreuses oboles à l’établissement dont ils sont diplômés.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/boston-ma-usa-december-9th-2018harvard-1327306913?src=RBa0gP5crlecBO8YxgWYgw-1-28">Ruben Martinez Barricarte</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000824315">La loi</a> relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007 prévoyait l’autonomie des universités au 1<sup>er</sup> janvier 2013. Celles-ci auraient alors une liberté dans la recherche de financement auprès de donateurs privés au moyen de fondations. Inspirées du modèle nord-américain qui connaît de réels succès, ces fondations devaient encourager les anciens à faire des dons aux universités qu’ils ont fréquentées. Par extension, les réductions d’impôts, auxquels ouvraient droit les financements, devaient aussi inciter de généreux mécènes à contribuer.</p>
<p>Qu’en est-il six ans plus tard ? Force est de constater que les levées de fonds n’ont pas eu le succès escompté si l’on se réfère au bilan financier des universités. Dans son rapport annuel de 2018, la Cour des comptes soulignait que quinze d’entre elles traversaient de graves difficultés financières. En s’aggravant, celles-ci en contraignent au moins trois à ne pas procéder à de nouveaux recrutements. C’est le cas de l’Université de Lille, qui accuse un <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/01/08/universites-l-excellence-on-sait-faire-c-est-juste-qu-on-a-zero-thune_1701733">déficit</a> de 600 000 euros.</p>
<p>Des résultats à mettre en parallèle avec une étude de la Conférence des grandes écoles sur le <a href="https://www.cge.asso.fr/wp-content/uploads/2017/05/2017-09-27-cp-le-fundraising-une-pratique-emergente-dans-le-financement-des-grandes-ecoles-francaises.pdf">fundraising</a>, publiée en 2017, et révélant que dans les 30 établissements, essentiellement des grandes écoles, qui étaient parvenues à lever des fonds, les 50 millions d’euros récoltés représentaient moins de 4 % de leur budget total (et un peu plus de 13 % de la subvention publique perçue). Dans ce groupe, HEC occupe la première place du podium, collectant près de 60 millions d’euros à elle seule, tandis que l’Université Paris-Descartes ne parvenait pas à susciter la générosité de ses anciens.</p>
<p>Autre constat : les dons aux <a href="https://www.jstor.org/stable/1503789?seq=1#page_scan_tab_contents">fondations</a> d’universités sont plus le fait de personnes morales de droit privé que de personnes physiques ; les entreprises abondent plus volontiers généreusement que les anciens. Les dons à des fondations étant apparentés à du mécénat, ils font l’objet de réductions fiscales de 60 % des montants versés. D’une certaine manière la fiscalité française se trouve plus incitative pour les entreprises que pour les particuliers.</p>
<h2>Entretenir des liens</h2>
<p>Ceci dit, les difficultés que rencontrent les fondations ne tiennent pas qu’au système fiscal. Il faut voir qu’on est aussi face à deux <a href="https://eric.ed.gov/?id=EJ1057209">modèles universitaires</a> incommensurables : le modèle nord-américain et le modèle français.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/00221546.2010.11779056">Aux États-Unis</a>, il n’est en effet pas rare de voir <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/nvsm.194">des anciens</a>, une fois qu’ils ont fait fortune, verser de généreuses oboles à l’établissement dont ils sont diplômés, en gage de remerciement ou de loyauté. Dans ce modèle, parfaitement incarné par Harvard, l’université est comme un club fermé qui choisit les <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=NUUe4XUsd3gC&oi=fnd&pg=PR8&dq=US+universities+competition&ots=DAoTyObD1Q&sig=qGydBoh6bjt1PVFmLVJrImULwmY#v=onepage&q=US%20universities%20competition&f=false">« happy few »</a> qui auront le privilège d’y faire leurs études. L’université elle-même est organisée en « colleges » distincts, recrutant également leurs membres, où se nouent des amitiés et des liens de fraternité très forts. Afin de permettre aux générations futures d’avoir les mêmes chances qu’eux à leur âge, les <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/9780203817605">anciens</a> n’hésiteront pas à se montrer généreux.</p>
<p>De manière très différente, l’université française repose sur le principe d’égalité d’accès, quand bien même Parcoursup y fait une entorse. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000027864416&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20130821">article D612-9</a> de la partie réglementaire du Code de l’Éducation dispose en effet que « les candidats à une première inscription en première année d’enseignement supérieur, bacheliers ou admis à s’inscrire à un autre titre, ont le libre choix de leur université, en fonction de la formation qu’ils désirent acquérir ». Dans un tel contexte, il est difficilement envisageable de susciter le même attachement qu’outre-Atlantique.</p>
<p>Pour que les anciens financent l’université, encore faut-il qu’ils aient conservé des liens avec elle. Vient donc la question de la manière dont les établissements entretiennent cette flamme. Ceci peut se traduire par un réseau d’anciens très actif organisant régulièrement des événements avec et pour eux, à l’instar de ce que font Sciences Po Alumni ou Dauphine Alumni. A minima, l’établissement où a étudié l’ancien peut régulièrement envoyer un bulletin d’information physique ou électronique présentant les activités du moment.</p>
<p>Or, il semble que tisser des liens avec les anciens ne soit pas ancré dans la culture des universités françaises. Ceci peut se comprendre, notamment du fait que ces diplômés sont très nombreux et difficiles à localiser. À défaut donc de pouvoir attiser la flamme, les universités françaises sont condamnées à structurellement peiner à solliciter leurs anciens auxquels elles ne parviennent pas à offrir beaucoup en échange.</p>
<p>Là encore, les universités américaines et les grandes écoles ont une longueur d’avance, dans la mesure où elles présentent leur réseau d’anciens comme un élément d’attractivité à l’endroit des étudiants qui rejoindront un club.</p>
<h2>Statut des anciens</h2>
<p>Aux États-Unis d’où vient le <a href="https://www.jstor.org/stable/40836145?seq=1#page_scan_tab_contents">modèle</a>, les associations d’anciens sont très influentes, fonctionnant comme autant de fraternités s’inscrivant dans le prolongement du « college » fréquenté. Des réunions, des clubs fondés sur des centres d’intérêt commun ou encore des voyages sont régulièrement organisés par et pour les anciens. Ils sont aussi systématiquement invités aux grands événements marquant la vie de l’université. Même 30 ans après en être diplômés, les anciens peuvent encore se sentir membres de ce club qui les admis en son sein un jour.</p>
<p>Le sort des diplômés des grandes universités américaines et des universités françaises est très différent. Aux États-Unis, le consensus social suppose que chacun peut faire fortune. Il est évident que tous les diplômés des grandes universités américaines ne deviendront pas milliardaires. En revanche, il n’est pas rare que nombre d’entre eux exercent des emplois leur permettant de se trouver dans le premier centile de la population en termes de revenus.</p>
<p>En France, où le consensus social ne repose pas sur la fortune et où celle-ci est moins facile à constituer par le seul travail, le nombre de donateurs potentiels est mécaniquement moins élevé. Il découle de ceci que la probabilité que les anciens d’une université française soient financièrement en mesure de se comporter en généreux mécènes est beaucoup plus faible qu’aux États-Unis.</p>
<p>Une autre différence profonde réside dans le prolongement de l’éthique protestante : c’est spontanément que les Américains fortunés restituent une partie de ce qu’ils ont reçu. Ceci est en remerciement de ce qu’ils ont reçu et en soutien de ceux qui n’ont pas eu la même chance qu’eux. C’est le sens notamment des Œuvres et actions philanthropiques, dont font partie les dons importants à l’université dont on est diplômé. De manière très différente, en France, il semble que les plus fortunés s’inscrivent dans le prolongement d’un François I<sup>er</sup>, généreux mécène des arts et de la culture plus que de l’éducation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vassili Joannides de Lautour ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Prometteur sur le papier, le modèle de la fondation d’université s’avère plutôt décevant. Mais peut-être n’était-il tout simplement pas adapté à un pays comme la France ?
Vassili Joannides de Lautour, Professeur, Directeur du programme doctoral (DBA France), Directeur de collection (Palgrave Macmillan), Grenoble École de Management (GEM)
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2019-03-24T23:32:40Z
2019-03-24T23:32:40Z
Parcoursup : premiers retours sur les dispositifs d’aide à la réussite
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/265358/original/file-20190322-36244-1dlunwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C5%2C995%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les enseignants intervenant dans ces dispositifs pédagogiques d’accompagnement pour la réussite doivent être formés</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.parcoursup.fr/index.php?desc=questions#RUBRIQUE-0">Parcoursup</a> est la plate-forme d’<a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/12/20/parcoursup-2019-mode-d-emploi_5400050_4401467.html">orientation</a> et de candidature des lycéens vers l’enseignement supérieur qui a remplacé le site Admissions Post-Bac en 2018. Pour cette deuxième saison d’utilisation, il nous semble important de revenir sur l’une des nouveautés apportées par la procédure : les dispositifs d’accompagnement proposés aux étudiants auxquels les universités ont répondu <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/les-oui-si-quel-bilan-du-nouveau-dispositif-daccompagnement-pour-les-etudiants-a-luniversite">« Oui, si »</a> lors de la phase de candidature.</p>
<p>Cette admission sous condition supposait que les nouveaux arrivants, dont le niveau était jugé un peu juste par rapport aux exigences et attendus de la licence visée, devraient suivre un parcours spécifique ou personnalisé, intégrant un tutorat, des modules de renforcement, ou les deux. Comment les universités ont-elles aménagé les cursus en ce sens ?</p>
<p>La <a href="http://promosciences.org/dispositif-oui-si-quelles-pedagogies-pour-la-reussite/">récente enquête</a> que nous avons menée dans le cadre de notre association <a href="http://promosciences.org/">Promosciences</a> a mis en évidence de fortes différences de stratégies en fonction des publics concernés, des objectifs et des ressources à disposition (humaines, logistiques, numériques…).</p>
<h2>Valoriser les mentors</h2>
<p>Afin d’élaborer et ensuite déployer ces dispositifs d’accompagnement, il est essentiel d’engager et de motiver les enseignants, les enseignants chercheurs et même les étudiants tuteurs ou mentors.</p>
<p>Il est à noter que si la valorisation de l’implication des étudiants mentors peut être effectuée par le biais d’emplois étudiants associés à une reconnaissance de leur engagement, il est important que ces tuteurs ou mentors soient également formés et accompagnés par les équipes pédagogiques. C’est bien ici tout un écosystème qui doit être mis en place dans chaque composante, ou établissement, pour tendre vers une amélioration de la réussite des étudiants. Celle-ci ne doit d’ailleurs pas être considérée uniquement comme « scolaire » mais bien aussi comme personnelle.</p>
<p>De la même façon, les enseignants intervenant dans ces dispositifs pédagogiques d’accompagnement pour la réussite doivent être formés, et leur engagement valorisé par des progressions dans leur carrière. La demande va bien au-delà de la simple prise en considération d’heures complémentaires, d’autant plus que, pour ces nouvelles approches pédagogiques, les temps de médiation et d’accompagnement des étudiants nécessitent un investissement et des compétences jusque-là négligées par le système.</p>
<h2>Des étudiants acteurs</h2>
<p>Les noms et les articulations de ces parcours accompagnés « Oui-Si » avec les parcours classiques doivent être choisis avec pertinence, de sorte à ne pas stigmatiser les étudiants qui les suivent.</p>
<p>En dehors des transformations portant sur les cursus – étalement de la première année sur deux ans, ou ajout d’heures d’enseignements complémentaires de « remise à niveau » sur la première année de licence – la préoccupation majeure de toutes les équipes porteuses des dispositifs d’accompagnement est de rendre l’étudiant acteur de ses apprentissages. Cela s’organise généralement au travers de pédagogies dites « actives », par projet ou par problème, qui privilégient les situations authentiques d’investigation et facilitent les interactions entre pairs.</p>
<p>Toutefois, les stratégies mises en œuvre pour atteindre cet objectif, et <em>in fine</em> accompagner les jeunes dans l’appropriation de leur nouveau métier d’étudiant, diffèrent d’une formation à une autre, d’un établissement à un autre. Les enseignements de méthodologie du travail universitaire ont montré toute leur importance, mais semblent également avoir des limites (tout au moins dans leur forme classique), s’agissant de leur capacité à engager les étudiants dans une dynamique de réussite.</p>
<p>Le tutorat est un outil difficile à gérer, car souvent imaginé sans l’appui des moyens de communication les plus utilisés par les jeunes. Au contraire, l’enseignement et l’accompagnement par les pairs (majoritairement des étudiants de L3 ou de master) pour les apprentissages disciplinaires, mais aussi pour donner des conseils sur les méthodes de travail et les stratégies d’apprentissage, semblent relativement pertinents.</p>
<p>Dans ce cadre, l’accent mis sur l’acquisition par l’étudiant de compétences transversales de communication, d’expression écrite ou orale est clairement l’un des axes au centre de la grande majorité des dispositifs d’accompagnement mis en œuvre.</p>
<h2>Des résultats à confirmer</h2>
<p>Pour la communauté universitaire, sans ces pratiques pédagogiques renouvelées, sans un étalement des enseignements de la première ou des deux premières années sur un temps plus long, permettant un meilleur rythme d’apprentissage de l’étudiant grâce à la mise en œuvre du contrat pédagogique pour la réussite étudiante, la réforme semblerait vouée à un échec quasi certain – ou tout du moins, aurait-elle une portée limitée comme le <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid55536/plan-pluriannuel-pour-la-reussite-en-licence.html">« Plan pluriannuel pour la réussite en licence »</a> en son temps. Le simple ajout d’heures de « renforcement » au programme est d’ailleurs clairement identifié comme non pertinent pour la réussite des étudiants.</p>
<p>Les analyses des premiers résultats en cours, à l’issue de ce premier semestre d’expérimentation de ces parcours accompagnés, montrent que certains dispositifs ont un réel intérêt pour la réussite des étudiants, avec en particulier une meilleure persévérance dans les études et une certaine amélioration des notes, tandis que d’autres n’obtiennent pas l’adhésion des étudiants.</p>
<p>Les équipes pédagogiques impliquées dans ces parcours accompagnés ont clairement adopté une démarche scientifique : conception et expérimentation de nouveaux dispositifs, suivies par une évaluation de l’impact sur les apprentissages et la réussite. Cependant, si un premier aperçu de cet impact sur la réussite des étudiants est possible en fin d’année universitaire, il faudra encore deux à trois ans de suivi pour réellement mesurer l’efficacité de ce qui a été mis en place.</p>
<p>Malgré cela, après une année d’expérimentation, les échanges dans les réseaux professionnels, entre collègues de différents établissements, devraient permettre de remodeler certains parcours, pour pallier certains défauts déjà identifiés en s’inspirant des bonnes pratiques d’autres parcours. Et c’est bien là le point le plus important pour les futurs bacheliers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Morin est membre de PROMOSCIENCES. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Claire Darraud est membre de l'association PROMOSCIENCES. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Corinne Kolinsky est membre de l'association PROMOSCIENCES</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Evain est membre de l'association PROMOSCIENCES</span></em></p>
En cette nouvelle saison d’orientation post-bac, voici les enseignements d’une première enquête sur l’aménagement de cursus pour les étudiants admis en licence sous condition de remise à niveau.
Christophe Morin, Maître de conférences en Biochimie, Vice-doyen à la pédagogie ; Président de PROMOSCIENCES, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Claire Darraud, Associate professor, Université de Limoges
Corinne Kolinsky, Maître de conférence en Physique, Université Littoral Côte d'Opale
Michel Evain, Chair professor, Université de Nantes
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tag:theconversation.com,2011:article/111220
2019-02-07T22:05:51Z
2019-02-07T22:05:51Z
Orientation post-bac : trois conseils pour s’inscrire sur Parcoursup
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/257457/original/file-20190206-174890-15lkljt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C4%2C989%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis 2018, <a href="https://www.parcoursup.fr/">Parcoursup</a> est le point de passage obligé des jeunes qui veulent s’inscrire en première année d’études supérieures. Cette plate-forme numérique recense toutes les formations post-bac reconnues par l’État (à quelques exceptions près, comme Sciences Po ou certaines écoles d’art), et, depuis le 22 janvier dernier, chaque candidat au bac peut y enregistrer <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/12/20/parcoursup-2019-mode-d-emploi_5400050_4401467.html?xtmc=parcoursup&xtcr=18">dix vœux</a> d’orientation.</p>
<p>Trop souvent, l’an passé, nous avons croisé des lycéens dépités de voir leurs demandes rejetées. Celles-ci étaient pourtant hors de leur portée, vu leur bas classement dans la liste des postulants. Or, s’ils avaient opté pour une filière « non sélective », ils auraient pu obtenir une place en fac pour étudier justement la thématique qui les intéressait.</p>
<p>« Je ne savais pas », nous ont répondu certains. « Mes parents ne voulaient pas que je m’y inscrive, ils disaient que la fac, c’est pour les nuls », nous ont répondu d’autres. Notons que les parents en question n’ont souvent pas connu l’université, ou il y a si longtemps que leur vision tient désormais beaucoup du <a href="https://www.challenges.fr/economie/les-universites-ne-sont-pas-des-usines-a-chomeurs_337174">cliché</a>.</p>
<p>Lycéens, familles, enseignants de terminale, voici trois conseils tirés de notre expérience d’universitaires qui peuvent vous aider à éviter de voir Parcoursup se transformer en casse-tête :</p>
<ul>
<li><p>Choisissez la ou les formations qui vous intéressent vraiment, sans autocensure.</p></li>
<li><p>Parmi vos dix vœux, réservez cependant toujours au moins deux choix à des filières « non sélectives » dans les universités, dans un domaine proche de vos souhaits et en adéquation avec votre bac.</p></li>
<li><p>Venez rencontrer en amont les enseignants et les établissements lors de leurs <a href="http://www.terminales2018-2019.fr/Pres-de-chez-vous/Les-journees-portes-ouvertes-2018-2019-dans-l-enseignement-superieur?id=951488">« journées portes ouvertes »</a> (JPO). Attention : beaucoup auront lieu début février, faites vite !</p></li>
</ul>
<h2>Une offre vaste</h2>
<p>Que de témoignages de parents nous disant « ah bon, l’université ne sélectionne pas ? C’est pourtant ce que nous avions entendu à la télé ». Soyons rationnels. De nombreuses formations à l’entrée de l’université sont non sélectives : l’université ne peut proposer que « oui » ou « oui, si » à vos vœux. Chacun a donc une place !</p>
<p>Parmi les formations non sélectives, certes, quelques-unes sont dites « en tension », ce qui veut dire que le nombre de candidats excède largement leurs capacités d’accueil. De ce fait, la formation est « remplie » bien avant que tous les candidats aient été appelés. Mais cela ne concerne qu’un certain nombre de filières, bien identifiées : <a href="http://www.onisep.fr/Choisir-mes-etudes/Apres-le-bac/Principaux-domaines-d-etudes/Les-licences-de-sciences/La-licence-STAPS">STAPS</a>, <a href="http://www.onisep.fr/Choisir-mes-etudes/Apres-le-bac/Principaux-domaines-d-etudes/Les-etudes-medicales/La-PACES-et-les-alternatives">PACES</a>, Droit ou encore Psychologie ou Biologie.</p>
<p>L’offre de formation en licence est bien plus vaste, puisque l’université, en lien avec la recherche, propose des formations dans quasiment tous les domaines de la connaissance. Notez que certaines formations sont en alternance, professionnalisantes au plus près des besoins socio-économiques.</p>
<p>Dans toutes ces filières, il peut aussi y avoir dix ou vingt fois plus de candidats que de places. Il est donc très probable que la première réponse que vous recevrez en mai indiquera que vous êtes sur liste d’attente. Mais votre position peut très bien évoluer vers un « oui » au cours du processus. Car vous êtes très nombreux à faire de multiples candidatures en ayant des priorités différentes, et beaucoup de places sont donc amenées à se libérer. Soyez patient !</p>
<p>Notre expérience est que la motivation des étudiants est un facteur déterminant de réussite. Lycéens, choisissez donc dans Parcoursup les filières qui vous plaisent, sans autocensure. Quand vous recevez des conseils, demandez-vous depuis combien de temps la personne qui vous parle a été en contact avec la réalité dont elle parle. Et, si vous n’avez pas déjà choisi l’université, rajoutez un ou deux choix de filières universitaires « non sélectives » (et au moins une dans votre académie), y compris avec de nombreux « sous choix », dans les domaines proches de vos centres d’intérêt ou de projet professionnel.</p>
<h2>Des dispositifs d’accompagnement</h2>
<p>Les filières non sélectives (et pas en tension) accueillent tous les étudiants qui le souhaitent. Cependant, nous recevons typiquement 8 000 candidatures pour une filière de 500 places. Si vous vous retrouvez 7 000<sup>e</sup> sur la liste d’attente, comment expliquer qu’il n’y a pas de sélection (et comment s’assurer d’avoir une place) ? Tout simplement par le nombre important de désistements, dû aux 10 ou 20 choix que chaque bachelier fait. Ainsi, la liste de candidats se réduit naturellement, sans sélection, jusqu’à ce que les 500 étudiants qui souhaitent vraiment s’inscrire puissent le faire, avec le statut « oui » ou « oui, si ».</p>
<p>S’il y a des inquiétudes quant à l’autonomie nécessaire aux nouveaux étudiants de Licence, il faut savoir que les universités ont déployé de forts moyens pour accompagner et mieux encadrer les premières années, en particulier les « oui, si », même si l’attente de l’université est grande sur la capacité des étudiants à rapidement adopter les bonnes méthodes de travail. Fini le temps où les étudiants pouvaient être abandonnés à leur sort dans les amphis surchargés.</p>
<p>Sachez que d’autres formations universitaires accessibles après le bac sont sélectives par construction, comme les IUT, les cycles d’ingénieur, et les double licences. Les universités peuvent alors vous indiquer « oui », « oui, si » ou « non ».</p>
<h2>Un environnement d’excellence</h2>
<p>Si les universités ouvrent leurs portes à tous, cela ne revient pas à faire des concessions avec leurs exigences d’excellence, au contraire. Avec leurs partenaires, notamment les organismes de recherche, les universités sont à l’avant-garde des dernières avancées scientifiques. Cherchez d’où sont issus et où ont exercé l’écrasante majorité des <a href="https://www.europe1.fr/sciences/a-strasbourg-dans-luniversite-des-prix-nobel-2865682">prix Nobel</a> : c’est bien à l’université.</p>
<p>Pour autant, point besoin d’être un futur Nobel pour venir étudier à l’université. La motivation compte et, avec nos partenaires du <a href="https://www.challenges.fr/emploi/quand-les-facs-dament-le-pion-aux-grandes-ecoles_297477">monde socio-économique</a>, les universités d’aujourd’hui forment des citoyens responsables, disposant d’esprit critique, de valeurs humanistes, d’une autonomie et d’une prise de recul nécessaires pour s’épanouir dans la société et construire le monde de demain.</p>
<p>N’hésitez donc pas à vous rendez aux « journées portes ouvertes » des universités ou des écoles que vous convoitez ! Elles ont lieu en général au mois de févier, et il n’y a rien de mieux que d’écouter les conseils de ceux qui enseignent directement, de voir les locaux et l’ambiance. Et faites l’enquête sur les connaissances et compétences que vous acquerrez, les expériences que vous vivrez, les possibilités de voyages à l’étranger, ainsi que sur les perspectives d’insertion professionnelle.</p>
<hr>
<p><em>Merci à Isabelle Demachy et Nathalie Hatton pour leur aide à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Dole est l'un des Vice-Présidents de l'université Paris-Sud, chargé de "médiation scientifique, art, culture, société". Il est en outre auteur du livre "le coté obscur de l'univers" (2017, Dunod).
</span></em></p>
Lycéens, familles, enseignants de terminale, voici quelques conseils fondés sur l’expérience d’enseignants-chercheurs pour éviter de voir Parcoursup se transformer en casse-tête.
Hervé Dole, Professeur (astrophysique et physique) - Institut d'Astrophysique Spatiale (CNRS & Univ. Paris-Sud), Université Paris-Saclay
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2018-09-09T21:51:57Z
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Mieux orienter les étudiants : l’autre promesse déçue de Parcoursup ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/235008/original/file-20180905-45178-mthksj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C23%2C973%2C642&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A la veille de la rentrée étudiante, nombre de candidats sont encore en attente d'une place dans l'enseignement supérieur.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 21 juillet 2017, alors que leurs résultats de bac faisaient déjà partie du passé, <a href="https://www.lemonde.fr/bac-lycee/article/2017/07/22/apb-2017-22-891-candidats-sont-d-ores-et-deja-inscrits-en-procedure-complementaire_5163736_4401499.html">plus de 65 000 jeunes bacheliers étaient encore en attente d’une place dans l’enseignement supérieur</a>. C’est en grande partie pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise que le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé d’enterrer le système Admission Post-Bac (APB) et de lui substituer une nouvelle plate-forme d’affectation dans le supérieur, Parcoursup. Avec une autre promesse en filigrane, celle d’une meilleure orientation, grâce à</p>
<blockquote>
<p>« une procédure d’entrée qui redonne, à toutes les étapes, du pouvoir de décision à chacun des futurs étudiants et qui fait de la personnalisation le principe »</p>
</blockquote>
<p>comme le déclarait la ministre Frédérique Vidal lors de la présentation de loi sur la réussite étudiante, en décembre 2017.</p>
<p>Il s’agissait de faire mieux sur tous les tableaux, en somme. Qu’en est-il et qu’en sera-t-il ?</p>
<h2>Une lenteur prévisible</h2>
<p>Au vu <a href="https://www.parcoursup.fr/pdf/Indicateurs_publics_05_09_2018.pdf">des indicateurs en fin de procédure</a>, publiés le 5 septembre 2018, l’amélioration ne saute pas aux yeux. Sur les 810 000 candidats inscrits à Parcoursup, environ 70 000 n’ont pas eu le bac, 583 032 ont accepté l’une des affectations qui leur a été proposée, dont 511 228 définitivement et 71 804 encore en attente d’un meilleur choix ; 47 258 n’ont reçu aucune proposition ; et 181 757 ont quitté la procédure.</p>
<p>En novembre 2017, le député Cédric Villani et le sénateur Gérard Longuet conduisaient une audition publique intitulée <a href="https://www.senat.fr/rap/r17-305/r17-3051.pdf">« Les algorithmes au service de l’action publique : le cas du portail admission post-bac »</a>, à laquelle participaient notamment des représentants de la <a href="http://www.cpu.fr/">Conférence des présidents d’université</a> (CPU) et du <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid24149/dgesip.html">ministère</a> (DGSIP). Avec la fin de la hiérarchisation des vœux, les différents experts sollicités pointaient un certain nombre de risques : lenteur de l’affectation, stress dû aux réponses au fil de l’eau, explications insuffisantes pour que le système soit accepté, prise en compte du handicap, difficulté de logement pour les réponses tardives…</p>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="270" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x69iw2t" allowfullscreen="" allow="autoplay"></iframe>
<p>En cause : la <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2017/11/16/apb-des-chercheurs-s-inquietent-du-fonctionnement-de-la-future-plate-forme_5216075_4401467.html">fin de la hiérarchisation des vœux</a>, qualifiée de « retour en arrière de 10 ans ». Sur APB, en effet, les lycéens classaient leurs demandes par ordre de préférence, l’algorithme s’occupait de simuler leurs désistements, et ils ne recevaient qu’une seule réponse en fin d’étape de la procédure. Au contraire, dans Parcoursup, sont les lycéens eux-mêmes qui doivent se désister, ce qui laissait craindre un engorgement du système qui s’est bel et bien produit.</p>
<h2>Les limites des « attendus »</h2>
<p>Pour expliquer les dysfonctionnements et la longueur du processus, le ministère de l’Enseignement supérieur déploie l’argument d’un meilleur soutien à l’orientation : « Si Parcoursup va plus lentement, c’est parce qu’on accompagne les jeunes sans affectation », a déclaré la ministre <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-22-aout-2018">sur France Inter</a> le 22 août dernier. De fait, la plate-forme se veut à la fois un outil de prédiction des chances de succès des candidats, doublé d’un système de remédiation <em>a priori</em>. Cette facette pédagogique répond-elle à ses promesses ?</p>
<p>Une des étapes de Parcoursup est l’étude des dossiers des lycéens par les commissions d’examen des vœux. Plus que simplement classer ces candidatures pour décider des admis et des refusés, l’objectif affiché est de mieux orienter les étudiants en se prononçant sur l’adéquation de leur profil avec les différentes formations demandées. En clair, il s’agit d’augmenter le taux de réussite en recrutant des étudiants correspondant plus aux attendus de la formation… Ou plus clairement encore, de prédire leur réussite sur la base de leurs résultats passés.</p>
<p>Il s’agit là d’un objectif très ambitieux. Il est plutôt reconnu jusqu’ici que la réussite des étudiants reste quelque chose de très difficile à présager. Certes, il existe des statistiques fiables de réussite selon les filières d’origine, mais qui ne peuvent tenir compte des trajectoires individuelles. En réalité, on peut très bien réussir en provenant d’une filière affichant de très bas taux, comme échouer en provenant d’une filière renommée.</p>
<h2>Un outil de remédiation <em>a priori</em></h2>
<p>Une autre disposition de Parcoursup est de pouvoir imposer des mesures d’accompagnement personnalisées (ou « oui si ») aux candidats. Ces mesures existaient, mais n’étaient suivies jusqu’ici que par les étudiants qui le souhaitaient. L’objectif affiché désormais consiste à combler les lacunes détectées lors de l’examen des dossiers. En clair, d’imposer des mesures de remédiation <em>a priori</em>.</p>
<p>Sur ce point aussi, l’on peut émettre quelques réserves. Il est généralement reconnu que les mesures de remédiation ne fonctionnent de façon optimale que sur la base du volontariat, pour éviter un sentiment de stigmatisation démotivante. D’autre part, il est préférable d’observer la pratique de l’étudiant et d’établir un dialogue avant de lui prescrire un accompagnement, si l’on veut que les mesures soient réellement personnalisées.</p>
<h2>Un terrain d’étude pédagogique</h2>
<p>En bouleversant ces idées reconnues depuis longtemps en matière de réussite (<a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1997_num_119_1_1169">M. Romainville, « Peut-on prédire la réussite d’une première année universitaire ? », 1997</a>), Parcoursup crée un formidable terrain d’étude pédagogique. Avec des cohortes de plusieurs centaines de milliers de bacheliers, que nous pourrons suivre pendant de nombreuses années, jamais nous n’aurons monté une expérimentation d’aussi grande envergure.</p>
<p>Il serait donc urgent de concevoir les indicateurs permettant de mesurer l’efficacité de ce volet pédagogique.</p>
<p>Certes, le ministère a fait des efforts sans précédent en terme de mise à disposition des indicateurs. #DataESR produit déjà <a href="https://data.enseignementsup-recherche.gouv.fr/explore/dataset/fr-esr-parcours-et-reussite-des-bacheliers-en-licence-export/information/">tous les taux de passages par série du bac et du supérieur</a> (<a href="https://data.esr.gouv.fr/data1ercycle/Licence/">version graphique</a>). Il sera donc possible de comparer ces taux dès l’an prochain.</p>
<p>Cependant, deux informations manquent encore. D’abord, pour mesurer plus précisément l’efficacité de la politique d’orientation, il faudrait disposer du taux d’abandon prématuré. C’est possible en calculant la différence entre le nombre d’inscrits et le nombre d’étudiants ayant passé leurs examens, informations dont disposent les universités.</p>
<p>Ensuite, il serait judicieux de décliner les taux de réussite et d’abandon en fonction des mesures d’accompagnement. Ces mesures n’ayant aucun cadrage national, chaque filière est libre de les déterminer. Des statistiques nationales sont donc indispensables pour identifier les mesures les plus efficaces, et transformer les expérimentations en bonnes pratiques.</p>
<p>Pour conclure, si Parcoursup n’est pas un outil d’affectation performant, notamment du fait de sa lenteur structurelle, il s’avérera peut-être un outil d’orientation plus efficace qu’APB. C’est sur le long terme que l’on pourra vraiment apprécier la réforme, mais dès la fin de cette année, les taux d’échecs et d’abandon en première année permettront de vérifier si Parcoursup a réussi à être un outil de prédiction de la réussite des étudiants et de remédiation <em>a priori</em>.</p>
<p>Sur le terrain, on pourra rapidement apprécier l’efficacité du volet orientation de Parcoursup, en observant la traditionnelle disparition des étudiants de nos amphis dès les premières semaines. Si elle perdure, il nous faudra en douter. Mais si elle est significativement réduite, alors nous aurons un indicateur fort de réussite sur ce plan. Il faudra alors se demander comment enseigner toute l’année dans des groupes surchargés, plutôt que sur les seules premières semaines… C’est toute l’organisation universitaire qui peut s’en trouver bouleverser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Gossa a reçu des financements du CNRS, du MESRI, de l'ANR et de l'INRIA.
Membre du Conseil d'Administraion de l'Université de Strasbourg et syndiqué au SNESUP-FSU.</span></em></p>
Outre une meilleure efficacité dans l’affectation des étudiants, la plate-forme Parcoursup promettait aussi de mieux accompagner les jeunes qui s’inscrivent dans le supérieur. Qu’en est-il ?
Julien Gossa, Professeur associé en informatique, Université de Strasbourg
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2018-09-03T07:10:12Z
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Informatique, éthique et régulation
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234535/original/file-20180902-195298-6rm96b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Interactions.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo by rawpixel on Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Un nouvel « Entretien autour de l’informatique » avec <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABlle_Lenoir">Noëlle Lenoir</a>, juriste, magistrate et femme politique. Première femme et plus jeune membre jamais nommée au Conseil constitutionnel, ministre des Affaires européennes entre 2002 et 2004, elle a occupé de nombreuses fonctions, et en particulier a suivi la mise en œuvre de la loi informatique et libertés française. Elle parle à Binaire des liens entre le droit et l’informatique.</em></p>
<p><em>Cet article est publié en collaboration avec le <a href="http://binaire.blog.lemonde.fr/">blog Binaire</a>.</em></p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234536/original/file-20180902-195310-8zxl5h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Noëlle Lenoir.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jacques Benaroch</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><strong>Binaire : pouvez-vous nous parler de votre carrière ?</strong></p>
<p><strong>Noëlle Lenoir :</strong> Je suis de formation juridique. En 1982, alors que j’étais administrateur au Sénat depuis près de 10 ans, le sénateur Jacques Thyraud, alors rapporteur du budget de la justice, m’a demandé de venir diriger les services de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_nationale_de_l%E2%80%99informatique_et_des_libert%C3%A9s_(France)">CNIL</a>, dont j’ai été pratiquement la première directrice. Si le contexte était radicalement différent de celui d’aujourd’hui, la problématique de l’informatique et des libertés était finalement assez similaire. La protection des données était et est restée rattachée aux droits de l’homme, ce qui veut dire que toute collecte et tout traitement de données est vue potentiellement comme une atteinte aux libertés. C’est la marque de fabrique européenne. Toutefois, le <em>la</em> a été donné par la France dès les années 1980. À la CNIL, j’ai participé à la mise en place des services et de l’institution elle-même. À mon avis, encore aujourd’hui, il n’y a pas assez de techniciens parmi les membres du collège de la CNIL ; par exemple, il devrait y avoir de droit un statisticien et un historien archiviste. Protection des données ne doit pas vouloir dire en effet destruction du patrimoine numérique national.</p>
<p>J’ai ensuite intégré le Conseil d’État, qui était très impliqué dans le droit de l’informatique. J’y ai participé à un rapport sur le sujet. Appelée en 1988 à diriger le cabinet de Pierre Arpaillange, ministre de la Justice, j’y suis demeurée deux ans à m’intéresser au droit pénal en pleine transformation avec la préparation du nouveau code pénal. Puis en 1990, le premier ministre, Michel Rocard, m’a demandé de conduire une mission sur le droit de la bioéthique dans une perspective internationale et comparative. La France n’avait pas de législation tandis que le programme de décryptage du génome humain et la procréation médicalement assistée posaient des problèmes juridiques entièrement nouveaux. Comme vous le savez, la bioéthique inclut des problématiques liant la génétique à l’informatique comme le décryptage du génome humain ou les tests génétiques prédictifs. Ma mission, qui s’est conclue par un rapport remis au Président de la République et au premier ministre, a débouché sur le dépôt de la première loi française de bioéthique que j’avais contribué à préparer.</p>
<p>Nommée en 1992 au Conseil constitutionnel, j’ai été confrontée à des lois de bioéthique. Une fois terminé mon mandat en 2001, je suis allée enseigner le droit de la bioéthique et le droit européen à la faculté de droit de Columbia, à New York, en tant que <em>visiting professor</em>. Ce fut pour moi une très belle expérience. J’y ai découvert des méthodes d’enseignement très différentes des nôtres, plus interactives, moins directives, moins savantes, mais plus vivantes.</p>
<p>Ensuite, ce furent deux années passionnantes comme <a href="http://www.justice.gouv.fr/europe-et-international-10045/creer-une-societe-europeenne-23507.html">ministre des Affaires européennes</a> (2002-2004), à l’heure de l’élargissement de l’Europe aux États de l’Europe centrale et orientale. Certains de ces pays étaient déjà en avance en matière d’informatisation de la société ; c’était et cela reste en particulier le cas de l’Estonie. J’ai visité en 2002 à Tallinn la salle du Conseil des ministres entièrement informatisée, les ministres ayant chacun leur ordinateur, et au diable les documents papier !</p>
<p>Je suis aujourd’hui avocate dans un cabinet américain, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Kramer_Levin_Naftalis_%26_Frankel">Kramer Levin</a>, dont la maison-mère est à New York. Après m’être spécialisée en droit de la concurrence, une discipline à la frontière du droit et de l’économie, je développe actuellement mon expertise en droit de l’informatique et de la protection des données personnelles. Ma formation de publiciste me conduit à travailler aussi sur des dossiers en droit public, dont fait partie le droit de la protection des données. Enfin, je suis centrée également sur la <em>compliance</em>, c’est-à-dire tout ce qui peut contribuer à aider les entreprises à prévenir, détecter et lutter contre la corruption, en application de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_%C3%A0_la_transparence,_%C3%A0_la_lutte_contre_la_corruption_et_%C3%A0_la_modernisation_de_la_vie_%C3%A9conomique">loi dite Sapin II</a>. Ce que permet l’utilisation des <em>hotlines</em> par exemple à travers lesquelles tout salarié ou tout tiers à l’entreprise peut faire remonter des informations sur des infractions commises ou en voie de l’être. De même, le contrôle des transactions financières dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent passe-t-il essentiellement par des procédures informatisées. Le droit et l’informatique ont beaucoup de points en commun, ne serait-ce que les logiques qui les sous-tendent.</p>
<p><strong>Vous avez participé aux débuts de la CNIL. Comment voyez-vous cette institution ?</strong></p>
<p>À l’époque, les « autorités administratives indépendantes » telle que la CNIL, dotées de prérogatives règlementaires autant que répressives, étaient toutes nouvelles. Pour moi, ces autorités relèvent d’un concept libéral, venu des États-Unis, qui veut qu’entre l’État et les opérateurs économiques, des institutions étatiques, mais indépendantes, aient le pouvoir de faire évoluer la norme juridique en fonction de l’évolution des technologies et de l’économie. Depuis environ 40 ans, on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de droit, plus ou moins contraignant, qui est négocié ou au moins discuté avec les acteurs économiques. Mais par ailleurs, les normes (recommandations, lignes directrices, règlements, etc.) produites par ces autorités sont assorties de sanctions pécuniaires extrêmement lourdes. Elles sont certes le fruit de discussions entre l’autorité et l’entreprise contrevenante qui peut exercer ses droits de la défense ; mais l’autorité dispose d’une force de frappe qui lui donne un pouvoir considérable pour faire respecter ses recommandations. Pensez que la CNIL peut infliger des amendes allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial, ce qui peut littéralement mettre à genoux une entreprise, lorsqu’en plus, l’amende prononcée fait chuter son cours de bourse. Même quand des amendes ne sont pas prononcées à l’encontre des opérateurs défaillants, les avertissements par exemple émis par ces autorités peuvent être rendus publics, à grand renfort de communiqué de presse, avec tous les dommages en terme de réputation que cela implique. Parmi les principales autorités administratives indépendantes, en dehors de la CNIL qui a été précurseur, on peut citer l’autorité de la concurrence, l’ARCEP, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou encore la récente agence anticorruption.</p>
<p>La CNIL, elle, est exclusivement compétente en matière de protection des données personnelles des personnes physiques, c’est-à-dire de la vie privée. L’informatique constitue un formidable progrès dans la gestion de l’information des individus, mais peut mettre en danger leurs libertés si elle fait l’objet d’une utilisation pernicieuse. La loi Informatique et Libertés en France, et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8glement_g%C3%A9n%C3%A9ral_sur_la_protection_des_donn%C3%A9es">Règlement général européen sur la protection des données</a> (RGPD) applicable depuis mai de cette année tentent de réaliser un arbitrage entre développement technologique et économique et protection des libertés.</p>
<p>Je me souviens que les principaux sujets d’intérêt pour la CNIL étaient à l’époque, avant Internet et le web, d’abord les fichiers de police et de renseignements, les fichiers de la sécurité sociale, et les fichiers fiscaux mis en place pour déceler dans les déclarations les anomalies susceptibles de déclencher des contrôles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234537/original/file-20180902-195319-2jg6qs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">René Carmille.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien Demade/Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le but était avant tout d’éviter l’interconnexion des fichiers administratifs. Cela était tabou et l’est encore. Le numéro de sécurité sociale (le NIR) était et reste considéré comme dangereux en soi, et il fallait éviter à tout prix qu’il ne serve aux interconnexions de fichiers. Permettez-moi en lien avec ce numéro d’évoquer l’histoire dramatique d’une personne exceptionnelle, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Carmille">René Carmille</a>. Il a créé sous l’Occupation le Service National Statistique (qui deviendra l’Insee en 1946) et le code individuel des citoyens qui deviendra le numéro de sécurité sociale. Seulement, ce numéro a été détourné de sa vocation par le ministre de la Justice Raphaël Alibert pour distinguer les juifs et les tsiganes, et organiser les départs pour le STO. Carmille rentre dans la Résistance, cache des fichiers pour mettre au point un dispositif de mobilisation contre l’ennemi, fabrique de fausses cartes d’identité pour les juifs et les résistants. Arrêté à Lyon en 1944, atrocement torturé par Klaus Barbie, il meurt en 1945 au camp de Dachau. L’ENA devrait donner son nom à une de ses promotions, comme l’a fait en 2008-2009 l’EMCTA (École militaire du corps technique et administratif).</p>
<p>Le numéro de code individuel créé par René Carmille est demeuré une sorte d’épouvantail. Ce n’est, à mon avis, plus justifié du fait de tous les autres moyens d’interconnexions de fichiers disponibles aujourd’hui.</p>
<p>Pour revenir à la CNIL, à ses débuts, lorsque j’y travaillais, elle s’intéressait à deux autres sujets qui paraissent préhistoriques aujourd’hui : le premier était celui de la vente par correspondance, car cela scandalisait qu’on puisse s’échanger des fichiers d’adresses. Le vrai sujet était le droit des personnes de ne pas être sollicitées par la publicité et de pouvoir demander à être retirées des fichiers. Ce que la CNIL a acté. Le second sujet avait trait aux travaux statistiques. Je dois dire qu’à mon grand étonnement, l’Insee était la tête de turc de certains membres de la CNIL. Ceux-ci soulignaient que les chercheurs en général, et les statisticiens en particulier, ne protégeaient pas convenablement la masse de données en leur possession, puisqu’ils ne fermaient même pas leurs bureaux à clé et qu’ils ne rangeaient pas leurs dossiers dans des tiroirs ! Aujourd’hui encore, chercheurs et statisticiens sont en butte à une méfiance injustifiée.</p>
<p>Ce qui, à mon avis, a le plus fondamentalement changé dans les législations de protection des données personnelles, c’est qu’aujourd’hui, elles ont un effet extraterritorial. Ainsi le RGPD s’applique, indépendamment du lieu où sont traitées les données (dans un <em>cloud</em> en Californie, par exemple) dès lors que la personne concernée est en Europe. Cela va très loin et en outre les conditions d’application de cette disposition ne sont cependant pas évidentes. Comme les Américains préparent eux-mêmes une législation semble-t-il fédérale sur la protection des données, il y aura certainement des conflits de lois ; un véritable casse-tête pour les juristes et les juges.</p>
<p><strong>Voyez-vous une transposition de ce qui a été mis en place pour la bioéthique dans le cadre du numérique ?</strong></p>
<p>J’ai présidé deux comités de bioéthique, l’un auprès de la <a href="http://www.pearltrees.com/u/63404891-comite-directeur-bioethique">Commission européenne</a> et l’autre à l’<a href="http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/bioethics/international-bioethics-committee/">Unesco</a>. Au niveau européen, on a beaucoup travaillé sur le numérique : tests génétiques, dossier médical informatisé et accès aux données de santé, brevets sur le génome humain, etc. La bioéthique et le droit de la protection des données personnelles ont pour objectif commun d’aider à répondre à des situations concrètes inédites du fait des technologies nouvelles, et qui peuvent poser des questions de libertés individuelles, ou de vie privée. De plus, sans l’informatique, la biologie ne pourrait avancer.</p>
<p><strong>Maintenant, se posent des questions d’éthique numérique qui dépassent le cadre de la médecine et de la biologie. Y a-t-il quelque chose à apprendre de l’expérience bioéthique ?</strong></p>
<p>Le mot « éthique » est ambigu. Il recouvre à la fois une attitude, un comportement relevant de la responsabilité individuelle, et les mœurs, soit une notion sociétale renvoyant à des valeurs collectives. En 1983, François Mitterrand a créé le premier comité d’éthique au monde, non pas contre la science, mais parce que <em>Science sans conscience n’est que ruine de l’âme</em>, selon l’expression de Rabelais.</p>
<p>Quelle est cette conscience ? Elle ne peut plus être totalement univoque dans un monde où les mœurs, c’est-à-dire les normes morales acceptées par la société, sont de plus en plus diversifiées sur un même espace. Dans un monde ouvert, des individus vivant côte à côte peuvent avoir des systèmes de valeurs différents. Les comités d’éthique n’essaient pas seulement de faire une synthèse. Ils rappellent les valeurs de base communes, mais à l’issue d’un débat ouvert entre philosophies et religions différentes : c’est l’éthique de la délibération. Les membres des comités d’éthique ont à l’origine des opinions et des sensibilités contrastées, et puis à la fin, ils trouvent un compromis acceptable par tous. Leurs décisions sont le fruit de rapports circonstanciés et documentés pour montrer qu’ils n’ont oublié aucun aspect de la question.</p>
<p>Pour autant, un comité d’éthique ne doit pas, selon moi, être relativiste. Il y a des principes intangibles sur lesquels notre société démocratique aujourd’hui grandement fragilisée par les intégristes et les fake news ne doit pas transiger : égalité entre les sexes, lutte contre le racisme, respect de la vérité, tolérance, solidarité, absence d’intention de nuire, etc.</p>
<p>En tant que Présidente du comité scientifique et éthique de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parcoursup">Parcoursup</a>, je constate que certaines informations au mieux approximatives, au pire tendancieuses ou erronées, circulent sur les réseaux sociaux, voire dans la presse. Tout se passe comme si, pour certains, il fallait systématiquement soupçonner les responsables politiques de vouloir le mal de la population, et en l’occurrence des jeunes. Au-delà de l’éthique de la génétique et de l’informatique, je plaide pour la mise en place d’une éthique de l’information technique et scientifique. Cette éthique aurait pour but de permettre aux citoyens de juger par eux-mêmes des avantages et inconvénients de systèmes techniques complexes traduisant des choix politiques, au lieu d’être condamnés à s’en remettre à des interprétations dont ils ne sont pas en mesure de vérifier la fiabilité.</p>
<p><strong>Pensez-vous que la transparence des algorithmes puisse améliorer nos vies ?</strong></p>
<p>Le droit à la transparence, on ne peut pas en avoir une vision absolue. Il est un principe général du droit, ancien et bien connu, suivant lequel « il n’y a pas de liberté générale et absolue ». Ce n’est pas parce qu’on est un citoyen qu’il faut pouvoir être dans le bureau du premier ministre pour écouter ce qu’il dit et assister aux réunions auxquelles il participe ; pour moi, ce n’est pas ça, la transparence. Elle est un outil essentiel de la démocratie directe, qui doit coexister avec les outils de la démocratie représentative et ses institutions légitimes. Elle ne peut s’y substituer ; précisément pour préserver les équilibres démocratiques.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/10/7/ECFI1524250L/jo/texte">loi pour la République numérique du 7 octobre 2016</a> a introduit, dans le code des relations entre le public et l’administration, une disposition selon laquelle en cas de décision concernant un individu prise sur le fondement d’un algorithme, l’intéressé a droit, s’il le demande, d’obtenir de l’administration communication des principales caractéristiques du traitement.</p>
<p>De prime abord, je me suis demandé quel pouvait être l’intérêt d’obtenir ces données dès lors que l’immense majorité de nos concitoyens n’a pas été formée pour comprendre les algorithmes. Mais finalement, il y a dans ce nouveau droit un présupposé que je trouve intéressant : pour être un citoyen maître de son destin, il faut avoir aujourd’hui de solides notions d’informatique, comme on doit savoir lire et écrire couramment (ce qui n’est hélas toujours pas le cas en France). Pour que le droit à l’algorithme soit effectif, il faut soi-même en comprendre les codes et les mécanismes informatiques.</p>
<p><strong>Il y a donc un devoir d’enseignement des algorithmes ?</strong></p>
<p>Il est sain que les citoyens veuillent comprendre l’action administrative. Parmi les libertés publiques, il y a pour moi le droit de comprendre les décisions de l’administration qui vous concernent. Le droit de connaître l’algorithme, c’est une manière d’obliger l’administration à expliquer les raisons pour lesquelles elle vous oppose telle ou telle décision. Il est rare que des décisions s’appuient sur un seul critère (par exemple, le droit de vote repose sur un critère essentiel, il faut avoir l’âge de la majorité). La plupart du temps, les décisions individuelles sont multi-critères. C’est là qu’intervient l’algorithme qui n’est autre qu’un processus informatique pour appliquer ces critères multiples en fonction des instructions données pour leur application.</p>
<p>S’il est un enseignement à tirer de la récente publication de l’algorithme de Parcoursup assorti d’explicitations parfaitement claires, précises et techniques, c’est que du coup personne n’a plus mis en question cet algorithme et ce qu’il signifie en termes de choix public.</p>
<p>Malgré tout, l’exigence croissante de transparence dans tous les domaines révèle une certaine méfiance vis-à-vis des détenteurs de l’autorité. Autrefois, aucun élève n’aurait eu l’idée de contester ses notes ou l’appréciation de son professeur. À présent, on veut non seulement comprendre, mais remettre en cause. Je ne porte aucun jugement sur cette évolution, qui est ce qu’elle est. D’une certaine façon, il est normal que la gestion de masse à laquelle est conduit un État de 67 millions d’habitants comme la France ait pour contrepartie un certain éloignement du citoyen. Celui-ci cherche à le compenser en ayant davantage de prise sur les décisions qui le concernent et en se prémunissant contre un éventuel arbitraire administratif, ce qui est positif. Encore faut-il que notre société ne bascule pas dans la défiance entre citoyens, et vis-à-vis des institutions républicaines qui sont le ciment de la société.</p>
<p><strong>Que se passe-t-il dans le cas où les décisions sont prises par un logiciel ?</strong></p>
<p>Bien avant l’entrée en vigueur du RGPD en mai dernier, il est un principe qu’a de longue date dégagé la CNIL, à savoir que les décisions administratives produisant des effets juridiques ne peuvent uniquement découler d’un traitement automatisé. Il faut une intervention humaine, encore que des exceptions soient maintenant prévues par la loi du 20 juin 2018 ayant modifié la loi informatique et libertés pour tenir compte du RGPD. Par ailleurs, est toujours ménagée la possibilité d’un recours devant une autorité ou un juge pour contester les fondements d’une décision prise sur la base d’un algorithme. C’est une avancée.</p>
<p><strong>Vous avez eu une carrière impressionnante. Auriez-vous des conseils en particulier pour les plus jeunes de nos lecteurs ?</strong></p>
<p>Je dirais d’abord et avant tout aux jeunes en particulier qu’ils doivent avoir la curiosité du monde qui les entoure, avoir la soif d’apprendre. Aller à l’école, au collège, au lycée et à l’Université sont des privilèges dont sont privés beaucoup de jeunes à travers le monde. C’est en s’intéressant au monde, en apprenant sans cesse qu’on se construit et qu’on maîtrise du mieux possible sa vie. Je conseille fortement de lire et relire « Souvenirs et Solitude » de Jean Zay, l’un des plus grands ministres de l’Éducation nationale de la France.</p>
<p>Aujourd’hui, apprendre, cela veut dire acquérir des connaissances universelles, en informatique et en maths, autant qu’en relations internationales, histoire, littérature, en art.</p>
<p>Par ailleurs, force est de constater que nous vivons dans un monde où les idées toutes faites pullulent, et où via les réseaux sociaux, n’importe qui peut s’ériger en expert qu’il n’est pas, peut attaquer anonymement, et donc lâchement, n’importe qui pour lui nuire, peut organiser des boycotts contre n’importe quel pays ou n’importe quel organisme en propageant de fausses accusations ou rumeurs, etc. C’est dangereux !</p>
<p>Là encore, pour maîtriser la quantité inépuisable d’informations que l’on reçoit de toutes parts, il faut avoir un niveau de conscience et de connaissances suffisant. L’esprit critique est un impératif catégorique dans la société actuelle. Il est l’antidote de l’intégrisme et du sectarisme, qu’il soit religieux ou politique, c’est-à-dire une condition essentielle de la liberté.</p>
<p>Enfin, il faut savoir écouter et ne pas s’enfermer dans des certitudes. J’ai eu des engagements politiques que je n’ai plus. Cependant, je n’ai jamais pensé que j’avais toujours raison contre mes contradicteurs. Bien sûr, j’ai gardé de très fortes convictions ; ma vision de la société a évolué, mais pas mes principes. Et je n’ai pas l’intention de transiger sur mes valeurs, même si, lorsque je sens que mon interlocuteur est de bonne foi et connaît son sujet, je suis prête à changer d’avis !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102512/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Une conversation avec Noëlle Lenoir, juriste, magistrate et femme politique. Ses réflexions sur la CNIL, la bioéthique, Parcours Sup…
Serge Abiteboul, Directeur de recherche à Inria, membre de l'Académie des Sciences, École normale supérieure (ENS) – PSL
Claire Mathieu, Directrice de recherche CNRS, Paris, École normale supérieure (ENS) – PSL
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