tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/quartiers-populaires-53439/articlesquartiers populaires – The Conversation2024-03-13T15:56:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2211392024-03-13T15:56:04Z2024-03-13T15:56:04ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (3/4) - Des murs devant les yeux<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. L’une de ses caractéristiques : un parc urbain défaillant et dangereux.</em></p>
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<p>La violence du trafic de la drogue est souvent perçue comme faisant partie intégrante de la vie dans les cités de Marseille. Nous l’avons constaté un après-midi d’avril 2022, lorsque nous avons parcouru la cité avec Nadia, une femme d’une trentaine d’années qui est née et a grandi dans le quartier.</p>
<p>Pendant notre marche, elle nous a parlé de la transformation du quartier au fil des ans, et notamment <a href="https://www.calameo.com/books/007482417572bb6428aec">d’un plan de rénovation urbaine qui eut lieu entre 2001 et 2005</a>. Celui-ci avait impliqué la démolition de plusieurs bâtiments afin « d’aérer » la cité, c’est-à-dire créer des espaces ouverts entre les bâtiments construits à l’origine de manière très rapprochée, et rendre la cité architecturalement moins opprimante. Même s’il y avait eu des oppositions à cette initiative à l’époque, Nadia pensait qu’en fin de compte cela avait bien amélioré la vie quotidienne dans la cité.</p>
<p>Ceci étant dit, plusieurs endroits de la cité mettaient néanmoins Nadia mal à l’aise. Parmi ces derniers, la piste de pétanque qui, selon elle, était « un espace très masculin », mais aussi et surtout, les lieux proches des points de vente de drogue connus. Plus particulièrement, la place centrale à l’entrée du quartier qu’elle nous disait avoir peur de traverser.</p>
<p>Elle nous a notamment expliqué qu’elle l’évitait régulièrement en raison des « petits » qui y traînaient souvent. « Je préférerais qu’ils ne soient pas là », nous dit-elle, malgré le fait qu’elle les connaissait presque tous, car eux aussi étaient originaires de la cité.</p>
<h2>« les petits » et « les grands »</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/2022PA100107">Comme c’est le cas dans de nombreuses autres cités à Marseille et ailleurs</a>, les personnes qui participent au trafic de drogue à Félix-Pyat peuvent être catégorisées en groupe d’âge. Il y a « les petits », généralement âgés de 14 et 18 ans, et « les grands », qui ont plutôt entre 19 et 25 ans.</p>
<p>Ces groupes d’âge ont des rôles différents au sein de l’organisation du trafic – les « petits » sont des « guetteurs » ou des « rabatteurs » (qui dirigent les clients vers le point de vente), et les « grands » sont des « charbonneurs » (vendeurs), ou bien des « gérants » de point de vente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-marseille-lespace-public-vu-par-ceux-et-celles-qui-sinjectent-des-drogues-209646">À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues</a>
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<p>Les « petits » sont très visibles dans les rues de la cité, soit individuellement, soit en groupe. Beaucoup d’habitants de Félix-Pyat – de toutes générations – nous ont dit au cours de nos recherches qu’ils étaient devenus « incontrôlables ». Ils faisaient notamment la comparaison avec quelques années auparavant, quand « ils respectaient les grands », et les habitants de la cité plus généralement.</p>
<blockquote>
<p>« Ils rendaient service… ils ne nous embêtaient pas, sauf en fumant ou en encombrant les escaliers, mais maintenant ils nous menacent », nous a raconté Noémie, une ancienne habitante qui a longtemps vécu dans de la cité et qui y revient souvent.</p>
</blockquote>
<p>Faisant explicitement écho au malaise de Nadia et Noémie, deux autres jeunes femmes de la cité âgées d’une vingtaine d’années, que nous appellerons Mariama et Jeanne, ont souligné lors d’un entretien :</p>
<blockquote>
<p>« On les connaît tous – on a grandi avec ! – mais on ne passe pas à côté d’eux. Il vaut mieux éviter… Ils sont imprévisibles et c’est dangereux… On ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas ce qu’ils disent… Ils ne sont pas bienveillants, on va dire, et ils sont… ils s’en foutent !… Il vaut mieux prendre des distances… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres habitants nous ont relaté souffrir des menaces et des insultes répétées. Ils nous ont dit aussi devoir périodiquement justifier leur présence dans les espaces publics de la cité.</p>
<p>Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes fait l’expérience, lors de nos recherches. Plusieurs fois, un ou plusieurs jeunes de ce groupe de « petits » nous ont interpellé, demandant de manière menaçante ce que nous faisions là, nous disant que nous n’avions rien à faire dans la cité, ou bien nous accusant d’être des policiers et nous sommant de partir.</p>
<h2>La lettre</h2>
<p>En mai 2023, après une série de fusillades dans la cité liée à la guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> qui a ensanglanté la ville, un groupe de mères de Félix-Pyat a organisé des marches pour protester contre l’insécurité ambiante.</p>
<p>Ces marches ont été accompagnées d’une forte présence policière qui a considérablement perturbé le trafic de drogue, effrayant les clients et freinant les livraisons.</p>
<p>Après la troisième marche, la lettre suivante a été affichée un peu partout dans la cité :</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle initiative était menée à Félix-Pyat, même si ce genre de message a déjà été observé dans d’autres cités en France. La lettre ressemblait d’ailleurs fortement à une lettre similaire qui avait été affichée en banlieue parisienne et qui a circulé sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, cette lettre a marqué un tournant dans les relations avec les « jeunes du quartier ».</p>
<p>Même si certains habitants ont été choqués par sa nature menaçante – certains parlant même de la « honte » de voir « des fils menacer leurs mères » – la plupart ont jugé cette lettre de manière plus positive, soulignant que les « jeunes » s’excusaient et proposaient d’essayer de minimiser l’impact du trafic de drogue sur la vie quotidienne du quartier.</p>
<p>Aamira nous a dit, par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rigolé pour les fautes d’orthographe… C’est un avertissement, mais ils ont aussi dit qu’il ferait un effort, c’est du donnant-donnant – les jeunes essayent de faire propre, ils respectent les parents, ils nettoient… C’est uniquement menaçant si on ne respecte pas l’avertissement. »</p>
</blockquote>
<p>Comme nous l’a dit un autre de nos interlocuteurs, Abu, « ils ont fait un effort et se sont responsabilisés ! », notant en particulier que « les jeunes » allaient tenter de « sécuriser » les rues contre les fusillades après celles ayant sévi dans Félix-Pyat au cours des derniers mois.</p>
<p>Ces derniers ont de facto placés des bennes à ordures à des points stratégiques dans les rues de la cité afin de faire office de barrage et de ralentir les voitures. Même si certains habitants s’en plaignaient – notamment parce qu’il avait été stipulé de façon claire qu’ils n’avaient pas le droit de bouger ces conteneurs – beaucoup voyaient cette initiative d’un bon œil.</p>
<p>Par exemple, lors d’une conversation avec une personne travaillant pour une association locale, nous avons observé ensemble des CRS venus remettre les bennes à leur place, et celle-ci a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« la police nous enlève le peu de sécurité que nous avons, elle rend l’endroit ouvert aux attaques en enlevant les conteneurs ».</p>
</blockquote>
<h2>L’ambiguïté de la gouvernance criminelle</h2>
<p>Ces différents exemples illustrent bien comment le trafic de drogue impacte l’organisation urbaine de Félix-Pyat et influence la vie quotidienne des habitants de la cité, tantôt de manière négative, mais aussi parfois plus positivement (même si, bien sûr, la défense de la cité à travers la réorganisation de bennes d’ordures ne peut être vue que comme une action assez désespérée et ponctuelle…).</p>
<p>La plupart des médias ont tendance à décrire ce phénomène de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/perspectives-on-politics/article/abs/conceptualizing-criminal-governance/0105EC32BB9F26830179CF0B16917B02">« gouvernance criminelle »</a> à Marseille comme étant uniquement dérogatoire à l’ordre public, parlant de l’émergence de <a href="https://www.laprovence.com/article/actualites/2628570/marseille-existe-t-il-des-cites-interdites.html">« cités interdites »</a>.</p>
<p>Le problème avec cette vision des choses trop étroite est qu’elle situe la dynamique d’agencement urbain des cités marseillaises comme étant uniquement liée aux impulsions d’acteurs locaux, tels que les trafiquants de drogues d’un quartier.</p>
<p>Plus particulièrement, l’idée des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">« cités interdites »</a> place la responsabilité de l’interdiction au sein des cités, ce qui n’est que partiellement le cas. En fait, ces actes d’agencement urbain découlent souvent d’éléments qui sont extérieurs à la cité, comme nous venons de le montrer. Dans le cas de la violence à laquelle étaient confrontés les habitants du quartier en 2023, elle était due à une guerre de réseaux de drogues plus larges que le petit trafic dans le quartier.</p>
<h2>Que deviendra le bâtiment B ?</h2>
<p>La nature problématique de ce type de représentation devient encore plus claire en se penchant sur une autre forme d’organisation des espaces urbains : les processus d’aménagement du territoire (qu’ils soient portés par des institutions étatiques ou privées).</p>
<p>La question du futur du bâtiment B à Félix-Pyat est souvent revenue dans nos conversations avec les habitants et acteurs du quartier, par exemple.</p>
<p>Plus grand immeuble de la cité – avec 20 étages, 146 appartements, et plus de 600 habitants – c’est aussi l’un des plus insalubres : les vide-ordures sont remplis à ras bord, les murs couverts de graffiti, les appartements prennent régulièrement feu, et les ascenseurs sont généralement en panne.</p>
<p>Depuis des années, il fait l’objet de rumeurs concernant sa destruction imminente. Bien que cette dernière ait été <a href="https://marsactu.fr/a-felix-pyat-la-tour-b-va-tomber/">actée par l’Agence nationale de rénovation urbaine</a> (ANRU), le déficit budgétaire du bailleur social propriétaire de la majorité des appartements, <a href="https://marsactu.fr/marseille-habitat-face-a-un-mur-de-dettes-a-cause-de-471-parkings-hors-de-prix/">Marseille Habitat</a>, ainsi que le refus par les quelques propriétaires individuels de vendre leurs appartements à des prix inférieurs au marché, empêche sa mise en œuvre.</p>
<p>Aucune information officielle n’a cependant filtré sur l’état d’avancement ou pas de la destruction auprès des habitants, comme nous avons pu le constater lors de multiples réunions organisées par divers acteurs locaux dans la cité. De nombreuses personnes y présentaient des signes d’exaspération et d’énervement.</p>
<p>Certains habitants propriétaires d’appartements dans l’édifice se demandaient s’ils seraient expropriés sans recevoir une compensation adéquate. D’autres, locataires, <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2023-1-page-5.htm">s’inquiétaient à l’idée de devoir être relogés loin de la cité</a>. Tous en tout cas partageaient le sentiment que « personne ne sait rien », mais aussi que c’était une stratégie voulue afin de créer de l’incertitude et du stress, dans le but d’épuiser les habitants et de faciliter la destruction de l’édifice.</p>
<p>Ces inquiétudes concernant la destruction du bâtiment B viennent aussi s’additionner à d’autres incertitudes liées à l’initiative de rénovation urbaine baptisée <a href="https://www.euromediterranee.fr/">Euroméditerranée</a>. Lancé en 1995, ce partenariat public-privé de 7 milliards d’euros vise à <a href="https://www.theses.fr/2019EHES0135">remodeler une vaste zone</a> située immédiatement au nord du centre-ville de Marseille. Felix-Pyat ne fait pas partie de la zone, mais la borde, et constitue donc un site de développement immobilier potentiel de premier ordre.</p>
<p>Certains habitants de Félix-Pyat avec qui nous avons discuté nous ont explicitement exprimé leur anxiété – « tout le monde est stressé » – face à cette gentrification potentielle, Selim nous disant même carrément :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que ce quartier, il est voué à être détruit. Parce que là, le projet Euromed… il y a plein d’échos qui disent qu’il y a plein de plans différents et parmi ces plans-là, Félix-Pyat n’existe pas… Donc, je pense qu’ils veulent détruire Félix-Pyat… Enfin, le détruire pour le reconstruire et ramener d’autres personnes, en fait, d’autres, euh… on va dire d’autres catégories de personnes… »</p>
</blockquote>
<h2>Détruire le quartier pour le reconstruire</h2>
<p>Ces craintes sont devenues particulièrement apparentes autour de l’aménagement dans le cadre de l’initiative Euroméditerranée d’un espace vert, le parc Bougainville, en bordure nord de la cité Félix-Pyat. Les travaux, <a href="https://www.euromediterranee.fr/projets/parc-bougainville">prévus en deux étapes</a>, ont commencé en 2022, et dureront jusqu’en 2027. <a href="https://madeinmarseille.net/155624-parc-municipal-bougainville-ouvre-public/">Une fois terminé</a>, le parc comprendra entre autres des jardins thématiques, des espaces pour différents sports de plein air, un parc aquatique, un hectare de « prairie sauvage », une rivière réhabilitée, des jardins potagers collectifs, ainsi qu’un « jardin pédagogique ».</p>
<p>Quand le parc Bougainville sera finalisé, un grand mur le séparera de Félix-Pyat, et il n’existera qu’un seul accès au Parc à partir de la cité, comme le montre l’image ci-dessous.</p>
<p>Cette architecture particulière du côté sud du Parc contraste brutalement avec le côté nord plus ouvert, une situation que de nombreux habitants de Félix-Pyat ne manquaient pas de noter lors de nos échanges avec eux en 2022, se plaignant aussi plus généralement d’un manque de concertation avec eux. En même temps, beaucoup avaient néanmoins l’espoir que le projet leur soit bénéfique.</p>
<h2>Une clôture grillagée</h2>
<p>Des représentants de la politique de la ville avec qui nous avons effectué des entretiens en 2022 nous avaient cependant déclaré que « le parc Bougainville n’est pas prévu pour eux [<em>ndlr, les habitants de la cité Félix Pyat</em>] ». C’est donc sans surprise qu’au fur et à mesure que le projet s’est mis en place, les discours des habitants de Félix-Pyat ont évolué.</p>
<p>Lors de notre retour à la cité en 2023, presque plus personne ne parlait positivement du parc. Un nouvel élément particulièrement dérangeant pour les habitants de la cité était apparu : une grande clôture grillagée érigée au-dessus du mur séparant la cité du parc, ostensiblement afin de minimiser le jet de déchets venant des édifices bordurant le parc.</p>
<p>« C’est comme si on était des animaux qu’on met en cage » nous a commenté laconiquement une personne travaillant pour une association locale de Félix-Pyat.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La clôture grillagée. À noter que la tombée du mur de l’autre côté fait plus de 3 mètres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers, S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier commentaire reflète bien les effets psychosociologiques négatifs que ce genre d’aménagement du territoire exclusif peut avoir. Cela peut potentiellement contribuer à la normalisation de visions ségrégationnistes de la société, et c’est pour cela que dans d’autres contextes, par exemple à <a href="https://www.jstor.org/stable/43497506">Managua</a> au Nicaragua, des initiatives de rénovation urbaine analogues à l’Euroméditerranée ont été qualifiées de « violence infrastructurelle », pour souligner comment elles peuvent être intrinsèquement oppressives.</p>
<p>Toute proportion gardée – le contexte nicaraguayen étant plus violent et autoritaire – on pourrait se demander dans quelle mesure l’aménagement des infrastructures du territoire à Marseille peut lui aussi être vu dans certains cas comme une forme de violence, dont les effets sociospatiaux sont tout aussi déstabilisants que ceux des activités du trafic de la drogue.</p>
<p>Pour les habitants des cités telles que Félix-Pyat en tout cas, il s’agit de se confronter à un autre type de stress émotionnel qui ne fait que renforcer leur sentiment d’isolation et de mise à l’écart.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2104932023-08-01T16:19:43Z2023-08-01T16:19:43ZEmploi : pourquoi les politiques publiques à destination des quartiers prioritaires n’ont-elles pas fonctionné ?<p>En 2022, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) évaluait le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414575">taux de pauvreté</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/quartiers-101901">quartiers</a> dits « prioritaires » à 42,6 % (contre 14,8 % à l’échelle nationale) et le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414557">taux de chômage</a> à plus de 19,6 % pour les hommes et 16,5 % pour les femmes (contre respectivement environ 7,5 % et 7,1 % à l’échelle nationale). Face à ces inégalités économiques persistantes, de nombreuses mesures en faveur de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a> ont été mises en place, tels que les <a href="https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F34547">« emplois francs »</a>, le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> ou encore <a href="https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/cites-de-lemploi-571">« les Cités de l’emploi »</a>.</p>
<p>Or, dans <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-dispositifs-en-faveur-de-lemploi-des-habitants-des-quartiers-prioritaires-de-la">son rapport</a> faisant le bilan de ces dispositifs entre 2015 et 2021, la Cour des comptes dressait un constat sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« Les dispositifs en faveur de l’emploi, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus et déployés, ne sont pas en mesure de réduire les écarts entre les [quartiers prioritaires] et le reste de la population ».</p>
</blockquote>
<p>Comment expliquer cet échec durable des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politiques-publiques-54327">politiques publiques</a> ?</p>
<h2>Des dispositifs inadéquats</h2>
<p>Selon la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Les spécificités des quartiers prioritaires de la politique de la ville et de leurs habitants sont insuffisamment prises en compte. »</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux idées reçues, la mobilité résidentielle et le trafic de stupéfiants ne suffisent pas à expliquer la précarité économique.</p>
<p><iframe id="aR1BA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aR1BA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="TnHQO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/TnHQO/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Plutôt, deux causes complémentaires semblent plus robustes et conduisent à un cercle vicieux : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> et le décrochage scolaire. Ce constat était déjà souligné par le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une <a href="https://www.cae-eco.fr/Prevenir-la-pauvrete-par-l-emploi-l-education-et-la-mobilite">note rendue en avril 2017</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les enfants “héritent” en quelque sorte de la pauvreté de leurs parents : ils résident dans des zones défavorisées, ont davantage de difficultés scolaires et dès lors un accès plus difficile à l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Or, les dispositifs en faveur de l’emploi ne se concentrent que sur trois axes : l’accompagnement vers un retour à l’emploi, l’aide pour faciliter le recrutement et la coordination des programmes. Dès lors, la source du problème lié au décrochage scolaire reste faiblement prise en compte et conduit à investir dans des mesures qui se concentrent davantage sur les conséquences finales que sur les causes premières.</p>
<p>Comme l’indique la note précitée :</p>
<blockquote>
<p>« Pour briser ce cercle vicieux de reproduction de la pauvreté, il est indispensable d’aller au-delà des aides monétaires octroyées aux plus modestes et de s’attaquer aux déterminants de la pauvreté : l’échec scolaire, les difficultés d’insertion professionnelle des peu ou pas diplômés, et la concentration de la pauvreté dans certains quartiers, contribuant à sa persistance. »</p>
</blockquote>
<h2>Un investissement mal ciblé</h2>
<p>Par ailleurs, notons la difficulté à évaluer de manière rigoureuse le montant des dépenses ainsi que leurs postes d’affectation. Selon le rapport de la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Le ministère chargé de l’emploi n’est pas en mesure de calculer le montant des moyens publics déployés en faveur de l’accès à l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), pas même sur les seuls crédits budgétaires dont il a la responsabilité. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la part des dépenses à destination des quartiers prioritaires demeure insuffisante. Prenons le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> dont l’objectif est principalement de financer l’apprentissage. Le montant de ce dernier s’élève à 6,26 milliards d’euros au total.</p>
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<p>Or, pour les habitants des QPV, le montant dépensé serait d’environ 563 millions d’euros, soit 9 % du total, soit « un pourcentage inférieur à la proportion de jeunes de QPV sur le territoire national et à la part des jeunes des QPV en recherche d’emploi ».</p>
<p><iframe id="aeRuM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aeRuM/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À cela, s’ajoute une deuxième difficulté : « les dispositifs profitent souvent aux habitants les moins en difficulté ». Le cas des emplois d’avenir, déployés entre novembre 2012 et janvier 2018, illustre bien cette situation. Selon le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/bdaecb66fc086b65afb8f692780dd749/DE_bilan_emplois%20d%27avenir.pdf">bilan</a> dressé en 2021 par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (qui dépend du ministère du Travail) :</p>
<blockquote>
<p>« Le dispositif est moins efficace en termes d’insertion dans l’emploi pour les jeunes peu diplômés ou habitant en zones défavorisées, qui sont pourtant le cœur de cible des emplois d’avenir. »</p>
</blockquote>
<h2>Une organisation trop complexe</h2>
<p>En outre, l’organisation même du déploiement des dispositifs apparaît problématique. D’une part, la multiplicité des dispositifs et le défaut d’une communication renforcent l’éloignement des personnes les plus fragiles à leur égard. D’après l’enquête menée par la Cour des comptes, 65 % des habitants jugent les dispositifs peu connus. Cette proportion atteint même 72 % pour les moins de 35 ans. Aussi, qu’ils s’agissent des entreprises comme des usagers, la répartition de ces dispositifs entre différentes institutions rend leur compréhension et leur accès difficile.</p>
<p><iframe id="Bys87" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Bys87/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>D’autre part, au niveau national, la gestion partagée entre les ministères du Travail et de la Ville reste inefficace en raison d’un fonctionnement en « silo ». Ce cloisonnement est tel que des actions concurrentes sont mises en œuvre ; comme l’illustre le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/service-public-insertion-emploi-spie/">« Service public de l’insertion et de l’emploi »</a> (ministère du Travail) et des « Cités de l’emploi » (politique de la Ville). À cela s’ajoute l’absence totale du ministère de l’Éducation nationale, dont le rôle reste central dans la lutte contre le décrochage scolaire.</p>
<h2>Changer de paradigme</h2>
<p>Quelles sont, dès lors, les solutions pour que ces politiques deviennent efficaces ? En premier lieu, l’unité d’action qui fixe le cadre fondamental des politiques publiques doit se situer au niveau du citoyen et non des dispositifs. Comme l’indique la Cour des comptes,</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie non encore explorée consisterait à s’adapter à la situation des personnes accompagnées dans toutes ses dimensions (sociale, éducative, professionnelle, etc.) plutôt que de leur demander sans cesse de s’adapter aux dispositifs. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, cela implique de concevoir les dispositifs appropriés avec les citoyens concernés. Il s’agit de rompre avec une politique de la Ville qui, selon le <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">sociologue des « quartiers sensibles Cyprien Avenel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« encourage une démocratie participative mais développe un lien paternaliste avec la population et met en œuvre une action descendante (offre de service). »</p>
</blockquote>
<p>En ce sens, les <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">travaux du sociologue</a> sur les modalités de cette participation sont précieux pour penser au mieux les défis d’une telle action.</p>
<p>Enfin, l’organisation même doit être revue notamment au niveau national où le décloisonnement administratif est indispensable tant il représente un frein aux avancées constructives. Au niveau local, la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/ansa_rapportwwc_2017_vf.pdf">mise en place de « What Work Centers »</a> sur le modèle britannique, dont le rôle serait d’accompagner les expérimentations afin de pallier leurs lacunes et attesté de leur efficacité constitue une voie non explorée qui semblerait pertinente.</p>
<p>Enfin, <a href="https://theconversation.com/que-peuvent-apporter-les-entreprises-aux-quartiers-prioritaires-209456">l’idéal de justice sociale</a> doit demeurer le moteur central. S’il est un ordre à défendre, il n’est pas sécuritaire mais juridique ; celui qui fonde la dignité et la liberté des individus et nous oblige à la justice. Ainsi, comme l’énonçait le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Id%C3%A9e_de_justice_sociale_d%E2%80%99apr%C3%A8s_les_%C3%A9coles_contemporaines">philosophe français Alfred Fouillée</a> au XIX<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Toutes les fois que la France se laisse dominer par des idées d’intérêt, ou par des idées de force, de lutte pour la vie, de guerre entre nationalités ou entre classes, elle sort de sa vraie tradition […]. Qu’elle s’appuie sur l’idée de justice et elle sera fidèle à son propre esprit. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/210493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss est membre de la chaire Reliance en complexité (Université de Montpellier). </span></em></p>Les dispositifs mis en place ces dernières années, mal calibrés et complexes, n’ont pas permis de faire reculer le taux de pauvreté dans les quartiers défavorisés.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101412023-07-31T16:19:37Z2023-07-31T16:19:37ZMères des quartiers populaires : des intermédiaires sur le fil<blockquote>
<p>« Vous avez des femmes qui depuis des décennies agissent dans les quartiers pour apporter du calme, de la sérénité, calmer les jeunes, et pour donner des perspectives positives pour occuper cet espace public. »</p>
</blockquote>
<p>Cette <a href="https://www.20minutes.fr/politique/3230315-20220206-presidentielle-2022-ministre-ville-nadia-hai-soutient-gilets-roses">déclaration de Nadia Hai</a> alors ministre chargée de la ville, remonte à février 2021.</p>
<p>Elle venait présenter sur un plateau de télévision le programme « Gilets roses » du gouvernement, destiné à soutenir des collectifs de femmes engagées dans la médiation au sein des quartiers. Un bien bel exemple de la figure de la « mère-tampon » dénoncée par la militante <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/une-journee-particuliere/fatima-ouassak-politologue-les-meres-ont-la-possibilite-de-faire-le-monde-de-demain-4152861">Fatima Ouassak</a>.</p>
<p>Cette conception des mères comme relais sécuritaires s’inscrit dans une histoire longue du rapport entre l’État et les quartiers populaires qu’il s’agit de « reconquérir », selon le <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Quartier-de-reconquete-republicaine-QRR/?nomobredirect=true">langage gouvernemental</a>. Tantôt perçues comme des victimes à sauver, des <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-1-page-27.htm">complices à réprimer</a> ou des intermédiaires à soutenir, les mères des quartiers populaires sont l’objet de nombreux fantasmes. Qu’en est-il en réalité sur le terrain, au plus près de ces femmes qui habitent les quartiers populaires ?</p>
<h2>L’ethnographie contre les clichés</h2>
<p>« À la fin de la journée, ils partent et nous on reste » souffle avec colère Nadia, une femme d’une cinquantaine d’années qui a accepté de venir discuter de la stigmatisation de sa cité lors de cercles de parole de femmes (<a href="https://linktr.ee/lacitedesfemmes">à écouter ici</a>).</p>
<p>« Ils » ce sont les journalistes, ceux qui parlent sans cesse des « quartiers Nord » de la ville comme des bastions du trafic de drogue. C’est ici, dans une de ces cités d’habitat social construites à la fin des années 1960 au nord de Marseille que j’ai réalisé <a href="https://www.graduateinstitute.ch/discover-institute/alice-daquin">ma recherche</a> en socio-anthropologie urbaine et politique sur les expériences des femmes en quartier populaire.</p>
<p>L’ethnographie que j’ai menée a pris sens dans le temps long, celui du quotidien partagé avec les femmes de la cité. Une façon de se détourner du sensationnel pour partager un café dans le local d’une association de couture, « cavaler » avec elles de La Poste à Pôle emploi, aider aux distributions de colis alimentaires, célébrer les enfants qui obtiennent le BAC, ou encore participer avec elles aux réunions institutionnelles liées au cadre de vie.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539199/original/file-20230725-22-bkrqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dessin extrait du projet la Cité des femmes, dans les quartiers Nord, en collaboration avec la recherche menée par Alice Daquin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Projet La cité des femmes</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Au cours de presque un an de terrain, je me suis rapprochée de femmes entre 40 et 60 ans, d’origines maghrébines (dont une partie étant née en France), avec ou sans enfants, et qui occupaient dans la cité une place respectable de « mamans de quartier ». Cette place se situe au croisement d’un rôle communautaire de care (« soin ») visibilisé notamment lors des <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2022-1-page-119.htm">confinements liés au Covid-19</a>, et d’un rôle d’interlocutrice privilégiée des agents publics et associatifs qui se reposent sur ces « mamans » pour atteindre les familles.</p>
<h2>Ce que la guerre contre la drogue fait à la vie dans les cités</h2>
<p>« Ce sont vos enfants. Fermez les fenêtres ». Tel est le rappel à l’ordre qu’entend Yasmina de la part d’un agent de police en bas de sa fenêtre après des tirs de bombes lacrymogènes destinés à disperser les jeunes de la cité.</p>
<p>Pour cette femme, agente d’entretien d’une quarantaine d’années dont les poumons ont été abîmés par des produits ménagers agressifs, les altercations entre la police et les jeunes menacent directement sa sécurité et son bien-être. Telle la fumée lacrymogène, la violence du conflit pénètre les espaces extérieurs que les forces de l’ordre saturent, de jour comme de nuit, selon la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3227239-20220201-marseille-quoi-strategie-pilonnage-trafics-stup">stratégie de « pilonnage »</a> des points de vente, défendue par la préfète de police des Bouches-du-Rhône. Mais elle pénètre aussi l’intimité des appartements, régulièrement perquisitionnés par une police en quête d’appartements de « nourrices », cachant drogues, armes, ou argent du trafic.</p>
<p>Le simple fait de vivre dans la cité, confronte les mères au risque d’une « complicité forcée » avec les activités du trafic de drogues qu’elles perçoivent lors de leurs sorties quotidiennes, dans leurs blocs ou depuis leurs fenêtres. D’un côté, les policiers accusent les mères de protéger leurs enfants, de mal les éduquer ou de participer elles-mêmes au trafic en tant que nourrice, et de l’autre, elles subissent l’omerta et les menaces de représailles des réseaux qui cherchent à protéger leurs activités.</p>
<p>À ces conflits de loyauté, s’ajoute une instrumentalisation plus pernicieuse de la capacité de sécurisation des mères dans les espaces publics, en particulier par les agents de police. « La police doit se donner un timing : ils arrivent exprès à 16h, 16h30, à la sortie des écoles… Et à tout moment ça peut dégénérer. » s’indigne Alexandra, jeune mère célibataire lors d’un cercle de parole. La police est régulièrement accusée d’intervenir aux horaires de sortie d’école afin d’utiliser la proximité des corps des mères pour minimiser l’agressivité des jeunes.</p>
<p>Confrontées à une constante insécurité, les mères de ces quartiers subissent ainsi un phénomène de dépossession spatiale qui les empêche de profiter librement de leur espace résidentiel : intimidations verbales et violences physiques peuvent survenir à tout moment.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mavZLfLavtQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La dépossession spatiale, Observatoire national du droit à la ville.</span></figcaption>
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<h2>Surveiller, protéger, s’interposer : des résistances au quotidien</h2>
<p>Par le corps et par le regard, les mères s’engagent dans des pratiques d’évitement des points de vente de drogues et des brigades policières. Ici, il vaut mieux « tourner la tête », pour se distancier, spatialement et moralement, de ces deux acteurs.</p>
<p>Elles cherchent aussi à maintenir les enfants à bonne distance, à la fois des activités du trafic qui cherchent à les recruter, mais aussi des interpellations agressives d’une police qui ciblent les jeunes. Si ces pratiques de surveillance sont parfois source d’entraide entre mères, elles sont aussi au cœur de stratégies de distinction sur la bonne éducation des enfants, comme une réaction au stigmate de la « mauvaise mère » entretenu par l’État.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gE436uge_8A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">“Front de mères », les quartiers populaires s’organisent, ici dans des communes franciliennes, dans des combats de luttes pour les égalités et la scolarisation (Just See Real).</span></figcaption>
</figure>
<p>Loin de se limiter à une place de spectatrices, les femmes sont aussi parties prenantes de ces logiques de conflits, en tant qu’intermédiaires imbriquées dans les relations de la cité. Elles s’interposent régulièrement sur le quartier dans des altercations entre policiers et jeunes, ou entre jeunes, pour calmer le jeu. C’est le cas de Samantha, une jeune mère qui assume son côté « grande gueule marseillaise » :</p>
<blockquote>
<p>« Quand il y a un truc en bas, il faut que je descende. Pas pour faire l’héroïne, hein. Je vais parler : "S’il te plaît, laisse tomber, c’est pas grave.” Même si la personne je la connais pas hein ! J’arrive à apaiser, que les histoires, que chacune se mette dans son coin et moi je suis tranquille. »</p>
</blockquote>
<p>Proche de jeunes membres du trafic, elle n’hésitera pourtant pas, à une autre occasion, à les solliciter pour intimider brutalement un jeune voisin qui lui manquait de respect et menaçait sa famille.</p>
<p>Loin d’un rôle unique et caricatural qui assignerait les mères des quartiers populaires à des agentes du contrôle d’État ou des complices des activités criminelles, ces femmes occupent un entre-deux délicat pour protéger leurs familles. Figures de lien tout autant que fusibles, peuvent-elles « médier » sans se « griller » ?</p>
<hr>
<p><em>Les participantes à la recherche sont anonymisées par sécurité.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210141/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Daquin a reçu des financements du Conseil européen de la recherche dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention n° 787935). Elle est aussi impliquée au sein d'une association locale de femmes dans les quartiers Nord de Marseille.</span></em></p>La conception des mères comme relais sécuritaires s’inscrit dans une histoire longue du rapport entre l’État et les quartiers populaires.Alice Daquin, Doctorante en socio-anthropologie urbaine et politique, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096322023-07-23T15:20:06Z2023-07-23T15:20:06ZLa mobilité, l’autre inégalité subie par les quartiers populaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538376/original/file-20230719-24-pccsz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C10%2C7185%2C4797&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le quartier prioritaire des Arènes à Toulouse est desservi par un métro, un tram et des bus. L’«&nbsp;enclavement&nbsp;» est-il toujours celui que l’on croit&nbsp;?</span> <span class="attribution"><span class="source">Crédit photo : Thibault Isambourg</span></span></figcaption></figure><p>La page Wikipédia des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89meutes_dans_les_banlieues_fran%C3%A7aises_depuis_les_ann%C3%A9es_1970">« Émeutes dans les banlieues françaises depuis les années 1970 »</a> s’est encore allongée. Le cycle de violence qui s’est propagé à une échelle nationale fin juin et début juillet vient enrichir celle-ci. Il s’agit d’un phénomène complexe, et aux causes variables suivant les situations urbaines et individuelles. Pris dans sa globalité, ce type d’événement <a href="https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/quand-les-banlieues-brulent--9782707152176.htm">répond à la manifestation d’un mal-être profond</a>.</p>
<p>Et pour cause, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/quartiers-populaires-53439">quartiers populaires</a> subissent des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-20617">inégalités</a> dans de nombreux domaines : leurs habitants sont en <a href="https://www.calameo.com/read/001641504ebb2eee88e2a">moins bonne santé</a> et l’offre de soins dont ils disposent est <a href="https://www.anru.fr/sites/default/files/media/downloads/sante-et-bien-etre-quartiers.pdf">réduite</a> ; en matière d’éducation, les résultats sont moins bons (notamment <a href="http://www.onpv.fr/uploads/media_items/tome2_rapportonpv2018.original.pdf">au brevet des collèges</a>), les aspirations d’ascension sociale <a href="https://www.calameo.com/read/001641504ebb2eee88e2a?page=70">bridées</a>, et les <a href="https://doi.org/10.4000/rfp.10148">difficultés se cumulent</a> face à des enseignants <a href="https://theses.hal.science/tel-03168284/">moins expérimentés</a> qu’ailleurs en France.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mobilite-34776">mobilité</a> quotidienne ne fait pas exception, et l’« enclavement » est souvent mis sur la table par les responsables politiques. La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politique-de-la-ville-49206">politique de la ville</a>, qui vise à la réduction des inégalités urbaines en France, se saisit de la question des transports de manière croissante (à l’exemple du <a href="http://pol-ville.cget.gouv.fr/content/Le-pacte-de-Dijon">Pacte de Dijon</a> en 2018). Cette politique s’appuie sur un zonage géographique, les <a href="https://sig.ville.gouv.fr/page/198/les-quartiers-prioritaires-de-la-politique-de-la-ville-2014-2022">quartiers prioritaires de la politique la ville (QPV)</a>, anciennes <a href="https://sig.ville.gouv.fr/atlas/ZUS">Zones urbaines sensibles</a> (ZUS). Les orientations en sont fixées à l’échelle nationale.</p>
<p>Or, la politique de la ville se fonde pour l’instant sur des études morcelées à l’échelle d’agglomérations et d’<a href="https://theconversation.com/fact-check-trop-dargent-depense-dans-les-banlieues-128946">idées préconçues</a> – qui ne manquent pas lorsqu’il s’agit des quartiers populaires. En effet, à l’heure actuelle et à notre connaissance, il n’existe aucune étude sur la mobilité dans ces QPV qui soit représentative du territoire français dans son ensemble.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fact-check-trop-dargent-depense-dans-les-banlieues-128946">Fact check : « Trop d’argent dépensé dans les banlieues » ?</a>
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<p>Nous avons ainsi cherché à objectiver quelques-uns des traits de la mobilité dans ces quartiers défavorisés, à une échelle représentative de l’hexagone. <a href="https://shs.hal.science/halshs-04145327">Notre étude</a>, qui s’appuie sur les deux dernières éditions (2019 et 2008) des enquêtes nationales de mobilité et compare les enquêtés qui résident dans un zonage de la politique de la ville (QPV ou ZUS) et les autres, démontre l’existence d’inégalités.</p>
<p>Ces résultats montrent, en outre, que l’enclavement des quartiers populaires est multifactoriel, incitant la puissance publique à agir sur plusieurs fronts.</p>
<h2>Une sobriété à marche forcée</h2>
<p>La durée moyenne porte-à-porte de tous les déplacements est équivalente pour l’ensemble des urbains à 20 minutes en moyenne. Pourtant, on observe des différences notables sur les distances. Bien plus courtes dans les quartiers défavorisés, elles sont synonymes d’une mobilité de proximité. C’est le résultat d’un accès inégalitaire à la vitesse, notamment pour les vitesses les plus rapides. En effet, la vitesse porte-à-porte moyenne, de 22 km/h dans cet échantillon, est d’un tiers plus lente dans les quartiers populaires.</p>
<p><iframe id="TG59J" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/TG59J/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cette tendance reste liée à l’usage bien moins intensif du mode le plus efficace, c’est-à-dire la voiture (<a href="https://theses.hal.science/tel-00080103v2">y compris en grande agglomération, comme à Lyon</a>). L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/automobile-20801">automobile</a> permet en effet de réaliser plus de 6 déplacements sur 10 en milieu urbain, contre moins de 4 sur 10 dans les quartiers prioritaires où l’on use davantage des modes sobres, comme la marche et les transports collectifs.</p>
<p>Si ces disparités s’observaient déjà en 2008, elles se sont creusées en 2019.</p>
<p><iframe id="HF4rE" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/HF4rE/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Des contraintes diverses</h2>
<p>Les inégalités de motorisation sont aussi pointées comme le <a href="https://shs.hal.science/halshs-00141572/">principal élément explicatif des disparités de mobilité</a> par les études déployées dans les métropoles. Dans notre échantillon, on observe bien une possession significativement disparate de la voiture.</p>
<p>Cependant, les quartiers défavorisés présentent certaines spécificités qui pourraient biaiser l’interprétation. Par exemple, la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1288521?sommaire=1288529">population y est plus jeune</a>, le chômage <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-dispositifs-en-faveur-de-lemploi-des-habitants-des-quartiers-prioritaires-de-la">davantage présent</a> et les habitants de ces quartiers sont plus nombreux à <a href="https://doi.org/10.3917/reco.673.0443">vivre dans de grandes agglomérations</a>. Or, ces facteurs sont réputés pour accroître les chances de <a href="https://doi.org/10.7202/1083289ar">choisir les modes actifs et les transports collectifs</a>.</p>
<p>Nous avons donc développé un modèle statistique qui permet de démêler l’influence propre de chacun de ces facteurs sur le choix des individus. De cette manière, nous neutralisons les biais inhérents à l’étude des quartiers populaires.</p>
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<p>Le résultat de cette modélisation est très net. D’abord, il existe bien de fortes inégalités de motorisation dans les quartiers populaires. Ensuite, ces inégalités expliquent une part importante des spécificités dans le « choix » des modes de transport. Néanmoins, elles sont loin de constituer le seul facteur explicatif de ces différences de mobilité.</p>
<p>En réalité, l’enclavement subi par les habitants des quartiers populaires ne renvoie pas qu’à une simple question de distance, mais bien à un système de contraintes. Outre des <a href="https://doi.org/10.4000/sociologies.3321">facteurs relatifs aux situations individuelles</a> (précarité économique, diversité socioculturelle, fracture numérique, etc.), on sait que l’environnement urbain <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2005-3-page-25.htm">pénalise la mobilité</a>. Parmi les causes, on peut citer les importantes <a href="https://theses.hal.science/tel-00080103v2">inégalités d’accès aux ressources de la ville</a> et notamment <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-00972694/file/fitoussi-cae-2004.pdf">à l’emploi</a>. <a href="http://www.cerema.fr/system/files/documents/2019/05/qpvcoupures_physiques.pdf">L’isolement par les grandes infrastructures</a> qui les quadrillent jouent également un rôle, tout comme les <a href="https://www.calameo.com/read/001641504ebb2eee88e2a?page=70">rues moins pourvues en aménagements</a> et <a href="https://afitl.msh-lse.fr/tl_files/documents/CST/N57/Fleury57.pdf">plus accidentogènes</a>.</p>
<h2>Répondre par les nouveaux contrats de ville ?</h2>
<p>La réduction des inégalités dans les quartiers populaires en France reste donc un chantier ouvert. Les propositions avancées pour l’instant par le président de la République, comme la reconstruction des dégâts des émeutes et tenter d’instaurer un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/05/emeutes-urbaines-devant-les-maires-de-france-emmanuel-macron-esquisse-des-pistes-pour-l-apres_6180561_823448.html">« tarif minimum dès la première connerie »</a>, n’interviennent pas à la racine du problème.</p>
<p>Les nouveaux contrats de ville, qui doivent entrer en vigueur début 2024 et qui sont actuellement en élaboration, représentent une occasion pour les politiques publiques de proposer une réponse ambitieuse, après la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/06/entre-emmanuel-macron-et-les-banlieues-le-rendez-vous-manque_6180759_823448.html">mise à l’écart du Plan Borloo en 2018</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/que-peuvent-apporter-les-entreprises-aux-quartiers-prioritaires-209456">Que peuvent apporter les entreprises aux quartiers prioritaires ?</a>
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<p>Ces contrats doivent être articulés avec les politiques de mobilité et de ville durable. En effet, <a href="https://shs.hal.science/halshs-04145327">nos recherches</a> mettent en évidence que, si les habitants des quartiers défavorisés se déplacent moins loin, ils disposent d’une longueur d’avance en matière de sobriété. Toutefois, il s’agit vraisemblablement d’une sobriété moins choisie que subie.</p>
<p>Celle-ci risque désormais d’être exacerbée par le contexte de double inflation de l’énergie et des contraintes réglementaires. En effet, la généralisation en cours des <a href="https://theconversation.com/pollution-de-lair-en-france-des-zones-a-faibles-emissions-efficaces-mais-inegalitaires-202919">Zones à faibles émissions mobilité</a> (ZFE-m) exclue ainsi une partie des agglomérations aux véhicules les plus anciens (<a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Th %C3 %A9ma %20- %20Les %20voitures %20des %20m %C3 %A9nages %20modeste %20- %20 %20moins %20nombreuses %20mais %20plus %20anciennes_0.pdf">et détenus davantage par les plus modestes</a>).</p>
<p>Une connaissance fine des contraintes dans ces quartiers semble donc nécessaire pour éclairer la politique de la ville. Avec son mode de fonctionnement participatif, la commission « participation citoyenne dans les quartiers » formée par le ministre délégué à la Ville et au Logement pourrait apporter des éléments de réponse directement à partir de la vision des habitants.</p>
<p>Il est également primordial d’enrichir l’apport scientifique sur toutes les thématiques présentant un risque d’inégalité (éducation, santé, logement, emploi, sécurité, etc.). En matière de mobilité, pour trouver des solutions efficaces, il s’agira d’étayer un savoir parcellaire, et, surtout, sortir de la vision d’un <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/02/marseille-en-grand">« enclavement »</a> qui serait <em>uniquement</em> physique.</p>
<p>On pourra réfléchir, par exemple, à comment mieux adapter l’offre de transports publics à ces habitants moins motorisés, et qui exercent des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4296737">emplois moins qualifiés</a> comme dans la logistique qui <a href="https://doi.org/10.4000/travailemploi.10149">recrute aujourd’hui beaucoup d’ouvriers urbains</a>. Pourtant, <a href="https://doi.org/10.4000/travailemploi.10149">localisées en périphérie des villes</a>, les entreprises de ce secteur restent <a href="https://regionetdeveloppement.univ-tln.fr/wp-content/uploads/6_Baraklianos.pdf">moins accessibles en transports collectifs</a> <em>a fortiori</em> en horaires atypiques, alors que le travail en 3x8 y est plus fréquent. Ainsi, les possibilités d’actions concrètes sont diverses et demandent encore à être évaluées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibault Isambourg est salarié-doctorant à Transdev. À ce titre, son projet de recherche reçoit des subventions de l'Association Nationale Recherche Technologie (ANRT).</span></em></p>Les habitants des quartiers défavorisés ont notamment moins accès à l'automobile, et se déplacent en moyenne moins rapidement que le reste de la population.Thibault Isambourg, Doctorant, socioéconomie urbaine et de la mobilité, Laboratoire Aménagement Économie Transport (ENTPE, CNRS, Université Lyon 2), Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2092392023-07-12T15:41:06Z2023-07-12T15:41:06ZÉmeutes : au-delà des éclats, le reflet de vies brutalisées<p>Combien de fois le feu ? Inspirée du célèbre essai publié par l’écrivain afro-américain <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072786204-la-prochaine-fois-le-feu-james-baldwin/">James Baldwin</a> il y a tout juste soixante ans, la question résonne avec un contexte social tendu, suite au contrôle de police qui, le mardi 27 juin 2023, s’est avéré fatal pour Nahel M., 17 ans.</p>
<p>Les récentes interpellations, tout comme les blessures infligées aux manifestants de la marche parisienne du samedi 8 juillet – où l’un des frères d’Adama Traoré, Yssoufou, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/09/marche-pour-adama-traore-questions-autour-de-l-intervention-de-la-brav-m-en-fin-de-manifestation_6181219_3224.html">a été violemment plaqué au sol par des policiers de la Brav-M</a> – témoignent de cet <a href="https://theconversation.com/comment-la-mort-de-nahel-m-enflamme-une-republique-deja-sur-des-braises-208894">embrasement généralisé</a> que l’État semble avoir du mal à contenir.</p>
<p>Plus profondément, la brutalité reprochée aux populations insubordonnées, régulièrement discréditées par celles et ceux qui représentent nos institutions – qu’il s’agisse de la fin de non-recevoir opposée aux gilets jaunes, ou aux « émeutiers » de début juillet –, interroge la façon dont les accusations de violence peuvent apparaître à sens unique dans le discours public ; car tout se passe comme s’il s’agissait de disqualifier <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2017-4-page-7.htm">« les marges »</a> de la société, un processus bien documenté par les sciences sociales et que j’explore <a href="https://www.researchgate.net/profile/Jerome-Beauchez">dans mes travaux</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/prends-moi-un-yop-labsurde-au-coeur-des-emeutes-208958">« Prends-moi un Yop » : l’absurde au cœur des émeutes</a>
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<h2>Identifier les violences</h2>
<p>De quelle violence parle-t-on ? Plutôt que de celles commises à l’encontre de Nahel M., jusqu’au tir fatal, en tant que violence originelle, nombre de discours publics – à commencer par celui du <a href="https://www.brut.media/fr/news/mort-de-nahel-emmanuel-macron-condamne-une-situation-inacceptable--4f388f7c-a14f-4ab3-b9bd-b7e8694ea576">Président Macron</a> – se concentrent sur la violence des émeutiers, qualifiée d’inacceptable et d’injustifiable.</p>
<p>C’est à la fois une manière de réaffirmer que l’État détient le « monopole de la violence légitime » – selon la célèbre formule du sociologue Max Weber que nos politiques ont pris l’habitude de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-violence-legitime-de-l-etat-de-max-weber-8101512">détourner</a> – et une façon d’écarter la colère des banlieues de la sphère des légitimités.</p>
<p>Réinterroger cette colère et ses manifestations juvéniles pourrait cependant amener à les voir autrement : sous l’angle des <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/lempreinte-du-poing/">« vies brutalisées »</a> et des « violences-reflets » dont nous ne percevons que trop souvent les effets sans identifier leurs causes.</p>
<p>J’ai forgé ces <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00380261211029456">concepts</a> en menant des recherches auprès de <a href="https://www.jstor.org/stable/24469650">différents groupes marginalisés</a>, qui ont tous en commun d’être ou d’avoir été traités en <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation">« sauvages de la civilisation »</a> par une grande part de l’opinion, comme par nos institutions.</p>
<h2>Des imbrications intimes</h2>
<p>Les vies brutalisées comportent deux aspects intimement liés. L’un est subi, l’autre agi. Tout d’abord, ces vies font l’objet d’une brutalisation continue par les <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">effets des conditions sociales d’existence</a>, des disqualifications socio-économiques et des ségrégations spatiales aussi bien que socioraciales.</p>
<p>Ensuite, ces vies incarnent tant et si bien ce continuum de brutalités qu’elles en deviennent un instrument, potentiellement aussi violent que le contexte social qui l’a forgé. L’éclat des émeutes n’est jamais qu’un exemple de ces brutalités qui, sans être excusables, restent explicables par la violence d’une situation sociale dont elles sont le triste prolongement.</p>
<p>C’est précisément là qu’entrent en jeu les « violences-reflets ». Elles sont à l’image des brutalités originelles dont elles masquent toutefois la source aux yeux du plus grand nombre ; comme c’est le cas pour le décès de Nahel M. et la révolte qui a suivi ce drame. Cette dernière éclate comme une violence-reflet, c’est-à-dire une violence réactive qui, aussi inexcusable et inacceptable soit-elle du point de vue des autorités, reflète la brutalité que nombre de jeunes hommes banlieusards et racisés reprochent à la police française.</p>
<p>Les pouvoirs publics n’ont pas la même perspective sur le sujet. Pour voir les émeutes comme une violence-reflet, encore faudrait-il qu’ils reconnaissent leur <a href="https://theconversation.com/les-mots-choisis-du-ministre-de-linterieur-pour-une-strategie-tres-politique-203513">propre brutalité</a> à l’égard de certains groupes aussi minorisés que ségrégués et repoussés hors de la <a href="https://theconversation.com/comment-la-mort-de-nahel-m-enflamme-une-republique-deja-sur-des-braises-208894">sphère des légitimités</a>.</p>
<p>En effet, les moyens (auto) destructeurs dont usent les jeunes qui laissent éclater leur rage – en s’en prenant à leurs propres quartiers, comme aux biens publics ou privés – disqualifient jusqu’aux motifs de leurs actions. Ainsi le <a href="https://www.lexpress.fr/societe/emeutes-macron-denonce-une-instrumentalisation-inacceptable-de-la-mort-de-nahel-RZWOZHIQONCJDMJSTQTMS3UEP4/">Président Macron</a> a-t-il pu les accuser d’« instrumentaliser » la mort de Nahel M. « pour essayer de créer le désordre et d’attaquer nos institutions », ajoutant que ces fauteurs de troubles « portent de fait une responsabilité accablante ».</p>
<h2>Que reste-t-il de la cohésion du corps social ?</h2>
<p>Quid de notre responsabilité en tant que société ? Cette question n’a pas été posée par le président de la République ; et ce n’est pas tant la mienne que celle d’<a href="https://www.puf.com/content/De_la_division_du_travail_social">Émile Durkheim</a>. Dans la perspective de ce fondateur de la sociologie en France, l’« intégration » de la société renvoyait à la cohésion du corps social, suffisamment forte pour être capable d’offrir une place et un rôle à toutes et tous.</p>
<p>Comme l’ont fait remarquer les sociologues Ahmed Boubeker et Olivier Noël dès 2013 dans un <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/33625-refonder-la-politique-dintegration-groupe-de-travail-faire-societe">rapport</a> rendu au Premier ministre Jean-Marc Ayrault (Parti socialiste), cette conception englobante n’a pas grand-chose de commun avec la conception culpabilisante de l’intégration qui pointe du doigt les groupes jugés par trop éloignés du foyer central de notre société.</p>
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<p>S’ensuit une dialectique destructrice du centre et des périphéries urbaines délaissées par une puissance publique qui a concentré dans ces quartiers les familles issues des immigrations les plus récentes. Le problème est connu depuis plus de quarante ans. Les sociologues l’ont abondamment documenté, depuis les premières enquêtes menées par l’équipe de <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048">François Dubet</a> jusqu’aux travaux de <a href="https://lafabrique.fr/la-republique-mise-a-nu-par-son-immigration/">Nacira Guénif-Souilamas</a>, <a href="https://www.puf.com/content/La_formation_des_bandes">Marwan Mohammed</a>, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/jeunesses_francaises-9782707186881">Fabien Truong</a> et bien d’autres.</p>
<h2>D’une réaction sécuritaire à l’autre</h2>
<p>Suivant les lignes de partage qui se creusaient – celle des richesses (largement décrite), comme celle des <a href="https://theconversation.com/la-chronique-des-bridgerton-voir-ou-ne-pas-voir-les-couleurs-158848">couleurs</a> auxquelles la France reste <a href="https://www.canal-u.tv/chaines/univcotedazur/colloque-ideric-relations-interethniques/15-patrick-simon-discriminations">officiellement « aveugle »</a> et ce en dépit des alertes de nombreux universitaires et acteurs de terrain – chercheuses et chercheurs <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">ont diagnostiqué</a> la fragmentation de notre société.</p>
<p>Il y aurait donc, d’un côté, des agresseurs qui bafouent l’État et, de l’autre, leurs victimes qui attendent de la puissance publique qu’elle les rétablisse dans leurs droits. Et si les jeunes émeutiers accusés de poignarder la République appartenaient précisément aux groupes sociaux qui sont les plus désespérés de nos institutions ? Comme d’autres, le <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/mort-de-nahel-a-nanterre-le-point-sur-la-situation-ce-lundi-3-juillet-1958156">ministre</a> rejetterait assurément cette question ; n’a-t-il pas précisé qu’« il ne faut pas trouver d’excuse sociale là où il n’y en a pas » ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">Réforme des retraites : A-t-on atteint notre capacité collective à supporter la brutalité du monde ?</a>
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<p>Une telle position se place juste en deçà de toute une kyrielle d’envolées pour le moins <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/30/de-l-etat-d-urgence-aux-emeutes-raciales-l-escalade-des-mots-entre-ciotti-zemmour-et-le-rn_6179937_823448.html">sécuritaires</a>, sinon réactionnaires, réclamant « l’instauration de l’état d’urgence » et dénonçant le caractère « racial » des émeutes qui manifesteraient une véritable « haine de la France ».</p>
<p>Propagée depuis les quartiers périphériques de nos villes, cette dernière serait la preuve d’un <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation/">« ensauvagement »</a> autant que d’un divorce consommé entre les banlieues, leurs populations, et le reste de la nation.</p>
<h2>Dans la zone</h2>
<p>Ne verrait-on là que des « sauvages de la civilisation » ? D’une étrange actualité, cette expression a été popularisée au XIX<sup>e</sup> siècle par <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072730672-les-miserables-victor-hugo/">Victor Hugo</a>, après avoir été forgée par le journaliste <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2045247.image">Alfred Delvau</a> et l’écrivain <a href="https://www.grasset.fr/livre/paris-anecdote-9782246812586/">Alexandre Privat d’Anglemont</a>.</p>
<p>D’origine guadeloupéenne, ce dernier l’a appliquée, non sans ironie, aux chiffonniers de Paris (les plus pauvres et les plus méprisés d’entre les prolétaires), de même qu’aux colonisés ; car les uns comme les autres apparaissaient aux Français comme des « sauvages de la civilisation », qu’il s’agissait de contenir et de maintenir <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2018-2-page-329.htm">aux confins de leur monde</a> – soit dans les lointaines colonies, soit dans les « cités » où les chiffonniers étaient concentrés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536998/original/file-20230712-27-6xh65w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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« Quelques types d’Apaches des différents quartiers parisiens.ˮ Dessins de Louis Maleteste.
</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée Carnavalet/In Beauchez J. Sans foi ni loi ? Paris 1900 sous la menace des Apaches -- RSASC, « The Law of the Outlaw »</span></span>
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<p>Nombre d’entre eux vivaient aussi dans <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation/">« la Zone »</a>, un espace interlope qui, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/17600">à la frontière de Paris</a>, concentrait les classes considérées comme « dangereuses ».</p>
<p>Selon la presse, la « Zone » constituait également le refuge des <a href="https://journals.openedition.org/rhei/51">« Apaches »</a> : ces bandes de voyous parisiens que journalistes et politiciens ont indianisés, comme pour mieux souligner le caractère « sauvage » de leur altérité, pour la correction duquel certains réclamaient toutes sortes de châtiments – dont le fouet.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du Petit Journal, 1907" src="https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536628/original/file-20230710-23-98abm4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portant une casquette plate à visière de titi parisien, un foulard rouge, un veston sur pull rayé, un pantalon « mince des g’noux et large des pattes » (Aristide Bruand) ainsi que des chaussures luisantes de cirage, un apache surdimensionné domine la police parisienne qu’il menace de son surin. La légende indique : « L’apache est la plaie de Paris. Plus de 30 000 rôdeurs contre 8 000 sergents de ville. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Apaches_(voyous)#/media/Fichier:Le_Petit_Journal_-_Apache.jpg">Le Petit Journal, 20 octobre 1907</a></span>
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<h2>Disqualifier les marges</h2>
<p>Ces conceptions qui conjuguent racisme et mépris de classe appartiennent-elles réellement au passé ? D’une part, l’ancien territoire de la « zone », où passe aujourd’hui l’autoroute du périphérique urbain, conserve un statut de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-zone-l-ancetre-du-peripherique-parisien-2123331">frontière</a> entre Paris et ses banlieues.</p>
<p>D’autre part, le thème de l’ensauvagement des marges ressurgit dans les discours publics dès lors qu’il est question de la sécurité des populations menacées, ou effrayées par leurs marges déclarées inciviles, pour ne pas dire incivilisées. Or, la violence qu’on leur prête sert souvent à mieux cacher celle qu’on leur fait.</p>
<p>À l’instar de ceux de la sociologue <a href="https://www.syllepse.net/la-race-tue-deux-fois-_r_65_i_821.html">Rachida Brahim</a>, les travaux qui font apparaître l’historicité de cette violence faite aux subalternes sont, plus que d’autres, questionnés du point de vue de leur « objectivité ». Une expression forgée il y a plus d’un demi-siècle par le sociologue américain <a href="https://www.cairn.info/question-morale--9782130589396-page-475.htm">Howard Becker</a> a mis un nom sur ce phénomène. Il s’agit de la « hiérarchie des crédibilités ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0O5yRu6jB88?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Chant d’apaches 1912 (musique et paroles d’Aristide Bruant) chanté par Aristide Bruant.</span></figcaption>
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<p>Son principal effet conduit à délivrer le label d’objectivité aux analyses qui vont dans le sens de la raison dominante – généralement celle des groupes du même nom –, tandis que leurs critiques plus proches du quotidien des groupes subalternisés sont renvoyées à la sphère des subjectivités relevant non pas de la raison, mais de l’opinion. Ce reproche est notamment adressé aux travaux sociologiques qui <a href="https://www.horsdatteinte.org/livre/les-femmes-musulmanes-ne-sont-elles-pas-des-femmes/">critiquent les dominations socioraciales</a> et les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/islamophobie-9782707189462">discriminations islamophobes</a>.</p>
<p>Ainsi peut-on, en même temps que l’on s’octroie le privilège de la raison, entretenir le mécanisme d’un « ensauvagement » des marges aussi ancien que performatif. Non seulement il produit les « sauvages » qu’il dénonce, mais il recrée perpétuellement le cercle vicieux dans lequel nous restons collectivement enfermés et polarisés dans nos oppositions.</p>
<p>Cet état de fait rappelle une phrase écrite en 1918 par le philosophe italien <a href="https://www.payot.ch/Detail/pourquoi_je_hais_lindifference-antonio_gramsci-9782743623432">Antonio Gramsci</a>, qui disait : « en surface, on voulait l’ordre et la discipline, et c’est de la surface qu’on jugeait la gravité du désordre et de l’indiscipline. »</p>
<p>Quand acceptera-t-on de regarder plus en profondeur, au risque de plonger dans des abîmes qui regarderont aussi en nous ? Combien de fois le feu avant que nous ne sortions du cercle vicieux pour changer de modèle de société, si nous le pouvons encore ?</p>
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<p><em>L’auteur a récemment publié <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation/">« Les sauvages de la civilisation. Regards sur la Zone, d’hier à aujourd’hui »</a>, aux éditions Amsterdam.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209239/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Beauchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réinterroger la colère et ses manifestations peut amener à les voir autrement : sous l’angle des « vies brutalisées », dont nous ne percevons que trop souvent les effets sans identifier leurs causes.Jérôme Beauchez, Sociologue et anthropologue, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094562023-07-10T15:43:11Z2023-07-10T15:43:11ZQue peuvent apporter les entreprises aux quartiers prioritaires ?<blockquote>
<p>« Tout passe par l’entreprise et l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Tel était l’intitulé du septième programme préconisé par le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=48">rapport « Borloo »</a> intitulé <em>Vivre ensemble, vivre en grand la République</em>. <a href="https://huffingtonpost.fr/politique/article/ce-que-contenait-le-plan-borloo-pour-les-banlieues-ecarte-par-macron-en-2018-et-qui-revient-dans-l-actualite-clx1_220197.html">Écarté en 2018</a> par le président de la République, le document a été remis sur le devant de la scène par les <a href="https://theconversation.com/topics/emeutes-66638">émeutes</a> consécutives à la mort de Nahel. Face à la misère économique des <a href="https://theconversation.com/topics/quartiers-populaires-53439">quartiers populaires</a>, la question du <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> y est qualifiée de « mère des batailles ». Il constituerait en effet « la manifestation la plus criante des inégalités, celle qui barre la route de l’avenir, qui fait perdre confiance en soi et dans notre République ».</p>
<p>Fruit d’une réflexion associant collectivités territoriales, associations, entreprises, et bien d’autres acteurs, le rapport souligne la relation complémentaire entre la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a>, le travail et l’<a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-20563">entreprise</a>. Plus encore, il identifie cette dernière comme le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=6">moteur central</a> de la métamorphose de la vie de ces « 6 millions d’habitants » qui « vivent dans une forme de relégation voire parfois, d’amnésie de la Nation réveillée de temps à autre par quelques faits divers ».</p>
<h2>Contrat de travail, contrat social</h2>
<p>En conclusion de son <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/pourquoi-travailler/">ouvrage</a> <em>Pourquoi travailler ?</em>, Anthony Hussenot, professeur en sciences de gestion à l’université Côté d’Azur rappelle :</p>
<blockquote>
<p>« Le travail est une activité complexe » […], jamais totalement une activité aliénée et seulement rémunératrice ou une activité totalement libre et émancipatrice. »</p>
</blockquote>
<p>Il identifie ainsi cinq rôles principaux que joue le travail dans nos vies.</p>
<p>Il joue un <strong>rôle économique</strong> par le revenu que nous en tirons qui doit nous permettre de subvenir à nos besoins, un <strong>rôle social</strong> en ce qu’il « permet aux individus de se positionner dans la société » et un <strong>rôle identitaire</strong> car « nos façons de parler, de nous comporter, nos croyances, mais aussi dans une certaine mesure, nos idées politiques, économiques, nos goûts culturels, etc., sont en partie le résultat de nos relations avec notre milieu professionnel ». Il possède également un <strong>rôle juridico-politique</strong> car le travail est un « contrat social » entre l’individu, l’employeur et l’État. Il scelle la « promesse » qu’en échange du travail fourni, les individus peuvent vivre décemment, notamment en accédant à la société de consommation, en étant protégés par l’État et en pouvant espérer un avenir meilleur ». Il remplit enfin un <strong>rôle politique</strong> par lequel nous participons à la production et la reproduction des systèmes dans lesquels nous vivons.</p>
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<p>Le seul énoncé de ces rôles suffit à comprendre pourquoi le travail est « la manifestation la plus criante des inégalités ». Lorsque le salaire ne permet pas de vivre, quand la position sociale induite par la profession est dévaluée symboliquement et socialement alors le contrat social est fragilisé car le travail ne remplit pas sa « promesse ». Avec un taux de chômage entre deux et trois fois supérieur à la moyenne au sein des quartiers populaires, c’est même une forme d’exclusion de ce contrat social qui est en cause.</p>
<p><iframe id="0QMEV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/0QMEV/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="eTx5d" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eTx5d/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Avoir un travail ne saurait cependant suffire</h2>
<p>Les solutions proposées par le rapport « Borloo » s’articulent autour de deux axes principaux : former par l’apprentissage, l’alternance et l’accompagnement et mobiliser des entreprises dans le cadre de création d’emplois favorisant les populations issues des quartiers populaires.</p>
<p>Pour nécessaires et pertinentes soient-elles, ces propositions ne sauraient être suffisantes. Encore faut-il s’assurer que le travail remplisse son rôle en permettant à chacun d’en tirer un revenu satisfaisant, répondant à ses aspirations individuelles et contribuant à la reproduction d’un système politique conforme à l’idéal démocratique. Puisque l’entreprise participe à l’intégration politique et sociale du citoyen, le simple fait d’« avoir un travail » ne saurait suffire. Encore faut-il que ce dernier garantisse la possibilité d’une vie digne.</p>
<p>Le préambule de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO::P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907">Constitution de l’Organisation internationale du travail</a> l’affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Or comme le souligne Alain Supiot, spécialiste du droit du travail, dans <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_force_d_une_id%C3%A9e-589-1-1-0-1.html"><em>La force d’une idée</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger […]. Cet abandon de [la justice sociale] engendre l’accroissement vertigineux des inégalités, l’enfoncement des classes populaires dans la précarité et le déclassement, les migrations de masse de jeunes poussées par la misère. Ce qui suscite en retour des colères et des violences protéiformes et nourrit le retour de l’ethnonationalisme et la xénophobie. ».</p>
</blockquote>
<p>En replaçant la justice sociale au cœur de la réflexion sur le rôle des entreprises et du travail, il s’agit de contrer les <a href="https://theconversation.com/le-neoliberalisme-est-il-mauvais-pour-la-sante-153493">effets délétères du néolibéralisme</a> qui participe à l’isolement des individus. Aux discours qui promeuvent l’idéal d’une réussite individuelle fondée sur l’accumulation de richesses matérielle ou la domination symbolique, l’idéal démocratique de justice sociale invite à la solidarité comme condition nécessaire de la liberté et de l’égalité.</p>
<h2>Les outils sont disponibles</h2>
<p>Dès lors, démocratiser l’entreprise ne signifie pas seulement favoriser le dialogue mais, plus fortement, subordonner le critère de performance au critère de justice. De la même manière, démocratiser le travail ne signifie pas seulement « créer des emplois ». C’est aussi, selon les termes de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO:62:P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907:NO#declaration">Déclaration de Philadelphie</a>, qui a défini en 1944 les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail, favoriser « l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ».</p>
<p>En abordant la question du travail et de l’entreprise par le prisme de la lutte contre la misère et l’affirmation des principes démocratiques, ce sont nos modes de pensée que nous sommes invités à réviser. Les quartiers populaires nous offrent le miroir précieux des limites et des dangers de notre système économique. Il ne s’agit plus de placer la société au service de l’entreprise mais bien de placer l’entreprise au service de la société. D’un point de vue normatif, il s’agit d’actualiser les principes et valeurs démocratiques en tout lieu notamment ceux où nous passons le plus de temps comme les <a href="https://www.cairn.info.fr/c-est-complexe--9782100828838.htm">entreprises</a>.</p>
<p>D’ailleurs, comme l’indique le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=7">« rapport Borloo »</a>, « nous sommes capables de traiter l’essentiel de ces problèmes ». En effet, la recherche sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-9-page-167.htm">modèles d’organisation démocratiques</a>, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/15/un-manifeste-pour-un-changement-de-modele-economique_6063407_3232.html">réflexions sur la relation entre la transition écologique et les nouveaux métiers</a> ou encore les propositions sur la réforme du <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130651697-critique-du-droit-du-travail-3e-edition-alain-supiot/">droit du travail</a> sont à notre disposition. Toutefois, pour en tirer profit, expérimenter et mettre en œuvre ces solutions, il nous faudra d’abord quitter « les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l’annonce du chiffre spectaculaire tient lieu de politique ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Favoriser l’implantation des entreprises dans les banlieues comme le suggérait le rapport Borloo doit permettre une intégration politique et sociale des citoyens.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090082023-07-09T15:32:16Z2023-07-09T15:32:16ZQuartiers populaires : 40 ans de déni ?<p><em>Sociologues, géographes, historiens ou anthropologues alertent depuis près d’un demi-siècle sur la façon dont les « quartiers populaires » sont représentés dans les médias et les imaginaires, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/300623/mort-de-nahel-les-reponses-des-politiques-vont-etre-determinantes">leurs réalités instrumentalisées par le monde politique</a> ou les <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20130219.OBS9360/banlieues-le-gouvernement-n-a-pas-pris-la-mesure-du-probleme.html">pistes proposées par les pouvoirs publics</a> insuffisantes.</em></p>
<p><em>Pour The Conversation, quatre de ces universitaires reviennent en détail sur la façon dont la société française et ses représentants politiques se sont positionnés vis-à-vis de ce qu’on a nommé les « banlieues », les « cités » ou les « quartiers populaires », termes désignant ces grands ensembles d’habitations nées aux marges des métropoles françaises après-guerre. Leurs réflexions balaient le traitement médiatique de ces lieux et leurs habitants, leur politisation et les tensions qui les traversent.</em></p>
<hr>
<p><strong>Quel est le traitement médiatique de ces espaces, comment contribue-t-il à construire une image et un discours sur ces lieux à travers les années ?</strong></p>
<p><strong>Julie Sedel :</strong> Rappelons d’emblée que <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/emeutes-urbaines-les-journalistes-face-a-la-difficulte-de-travailler-dans-les-quartiers-populaires_6180705_3224.html">ce traitement médiatique</a> a beaucoup évolué et qu’il faudrait de nouvelles enquêtes aujourd’hui, dans un contexte autre pour le qualifier. <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/les-medias-et-la-banlieue/">Le travail que j’ai mené</a> s’attachait, dans un premier temps, à mettre en évidence les cadrages journalistiques successifs associés aux « banlieues », des années 1960 à 2002, en s’appuyant sur les archives de l’INA et de presse écrite.</p>
<p>S’il existe des prémices avant, le terme « émeute » entre dans le vocabulaire courant en 1990 <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1990-les-emeutes-de-vaulx-en-velin">lors des soulèvements à Vaulx-en-Velin</a> pour s’installer durablement dans le débat public.</p>
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<figcaption><span class="caption">À Vaulx-en-Velin, dans la banlieue Lyonnaise, émeutes, incendies, pillages et affrontements avec les forces de police à la suite de la mort controversée, samedi 6 octobre 1990, de Thomas Claudio, passager d’une moto percutée par la police (INA).</span></figcaption>
</figure>
<p>Parallèlement, j’ai mené deux enquêtes dans deux grands ensembles d’habitat social de banlieue parisienne croisant observations, entretiens, analyse de documents (rapports, données statistiques, plans d’urbanisme, résultats électoraux…). Je me suis ensuite intéressée aux relations entre les journalistes de rédaction nationale et locale et les acteurs locaux. J’ai étudié les efforts de ces acteurs (élus, fonctionnaires municipaux, travailleurs sociaux, associatifs, enseignants, médecins, habitants, etc.) pour contester, tenter de rectifier <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2014-2-page-51.htm">l’image publique de ces espaces urbains et de leurs habitants</a>.</p>
<p>Pour finir, j’ai observé les usages journalistes et politiques des « banlieues » à travers la couverture de la visite du ministre de l’Intérieur à la cité des 4000 à la Courneuve à la suite du décès d’un enfant. C’est à cette occasion qu’il a prononcé le mot de « karcher ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Nicolas Sarkozy visite la cité des 4000, à la Courneuve, 20 juin 2005 (INA).</span></figcaption>
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<p>Ce travail réalisé post-émeutes de 2005, dans une période de remise en question du journalisme en banlieue, m’a permis d’étudier, au plus près, les conditions de production de l’information en « banlieues », et de souligner comment celles-ci pouvaient varier d’une institution de presse, d’un support (média écrit, audiovisuel), d’un journaliste à un autre ou, au contraire, présenter des régularités.</p>
<p>Dans les années 1990-2000, les journalistes qui traitaient des banlieues n’étaient par toujours très disposés à répondre à mes questions, car ce sujet pouvait être embarrassant. Les journalistes investis sur ces sujets étaient proches du terrain avec un réseau local, mais étaient peu considérés dans leur rédaction. Cela pouvait aussi être des journalistes plus aguerris et militants. Mais le plus souvent, et dans les gros services généralistes des chaînes de télévision, il s’agissait de jeunes entrants, sans expérience ni connaissance de la question urbaine ou prise de distance critique, qui y étaient comme parachutés pour répondre à des commandes parfois farfelues, comme réaliser un reportage sur les ventes d’armes en banlieues pour le lendemain…</p>
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<h2>La comparaison actuelle avec 2005 est-elle pertinente ?</h2>
<p><strong>Julie Sedel :</strong> Pour établir une comparaison, il faudrait refaire l’enquête aujourd’hui. Cela impliquerait, dans un premier temps, de regarder les transformations de ces espaces urbains au principe de leur représentation. Cela nécessiterait ensuite d’étudier les conditions de production de ces représentations. Cela consisterait à étudier la façon dont le champ journalistique s’est transformé, sous l’effet de la concentration des entreprises et des plates-formes, des modèles économiques, de la généralisation d’Internet, des <a href="https://theconversation.com/twitter-snapchat-tiktok-brut-une-nouvelle-facon-de-sinformer-pour-les-jeunes-171226">réseaux sociaux</a> (Facebook, YouTube, TikTok, etc.), des autopublications. Ajouté à cela, le renouvellement des pratiques de consommation des actualités, tout cela mis bout à bout a bouleversé le champ des médias d’information, c’est-à-dire les hiérarchies entre journaux, la définition des médias qui « comptent ».</p>
<p>Parallèlement, les conditions d’exercice de la profession ont changé, avec l’augmentation de la précarité et les « entraves » au métier : <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-la-source/a-la-source-chronique-du-samedi-26-novembre-2022-9749123">procédure « baillon »</a> ou <a href="https://www.liberation.fr/checknews/manifestations-les-journalistes-denoncent-une-vague-de-violences-policieres-et-dentrave-a-linformation-20230322_YVL7CNRZ25H5LIVL5RCMFCH2D4">pressions policières</a>.</p>
<p>Pour comparer, il faudrait aussi prendre en considération les politiques publiques, la manière dont sont élaborés les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/06/emeutes-urbaines-ce-qu-elles-relevent-ce-n-est-pas-tant-l-echec-de-la-politique-de-la-ville-que-celui-de-toutes-les-politiques-publiques_6180744_3232.html">« diagnostics de crise » et les réponses</a>. Pour finir, il conviendrait d’étudier le rôle des <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2017-4-page-6.htm">« entrepreneurs de cause »</a>, qui cherchent à problématiser une situation, à la constituer en problème qui puisse être débattu publiquement.</p>
<p>Aujourd’hui, on observe une tension entre une volonté d’inscrire les <a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-et-violences-policieres-ce-que-lhistoire-nous-apprend-108796">violences</a> commises par les forces de l’ordre (voire les <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/mort-de-nahel-combien-dautres-morts-faudra-t-il-pour-reformer-la-police-20230630_AYDPZGXUKZETNFCFSSQDHOGPIU">homicides</a>) sur l’agenda politique, et une volonté de maintenir confinés ces éléments, portée par des <a href="https://www.theses.fr/s331638">acteurs institutionnels</a> (Parquet, syndicats de police, gouvernement).</p>
<p>Si le problème est parvenu, récemment, à gagner en visibilité, c’est qu’il s’est étendu à d’autres univers, secteurs. Alors qu’en 2005, les « violences policières » étaient associées aux jeunes hommes d’origine sociale modeste et immigrée, leur extension aux « gilets jaunes », c’est-à-dire à une population plus installée, et aux militants écologistes, plus proches des classes moyennes, a donné à ce problème une portée plus générale et, peut-être aussi, davantage de considération.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">Violence et police : un problème d’encadrement juridique</a>
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<p><strong>De nombreux travaux montrent que les voix politiques qui émergent de ces espaces sont souvent minorées. Parfois, elles sont disqualifiées car taxées de <a href="https://theconversation.com/debat-le-fantasme-des-listes-communautaires-130897">communautaristes</a>. Quelles place et forme prennent-elles ? Pourquoi est-ce difficile de les structurer ?</strong></p>
<p><strong>Julie Sedel :</strong> Ces voix souffrent d’une forme d’asymétrie de l’espace public. Celle-ci vient souligner les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/4712/agir-par-la-parole">conditions inégales d’accès des groupes sociaux au débat public</a>. Certains collectifs y ont un accès privilégié (les journalistes, les acteurs politiques) parce qu’ils co-animent ce débat public. D’autres y ont un accès intermittent. Une troisième catégorie – sans caricaturer, car il existe un camaïeu de situations – y accède seulement sous des formes (actions violentes) qui se retournent contre leurs auteurs. Typiquement les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Faire_l_opinion-3118-1-1-0-1.html">« jeunes de banlieues »</a>, catégorie du sens commun qui s’est imposée, à partir des années 1980, dans le débat public.</p>
<p>Ces fractions de la jeunesse n’ont pas de porte-parole pour exprimer leurs griefs et leurs revendications dans les <a href="https://theconversation.com/prends-moi-un-yop-labsurde-au-coeur-des-emeutes-208958">formes attendues</a>, c’est-à-dire, de façon argumentée, raisonnée, présentable. Cela explique que les « jeunes de banlieue » doivent, la plupart du temps, s’en remettre <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1984_num_52_1_3333">à une forme d’autorité supérieure</a>. Cela peut – être des sociologues, les « experts » au sens large, éducateurs, enseignants, élus… avec tous les problèmes inhérents <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1984_num_52_1_3331">à la délégation</a> que cela comporte.</p>
<p><strong>Julien Talpin :</strong> Dès les années 1980, lorsque les habitants des quartiers populaires s’organisent de façon autonome, ils sont délégitimés, ramenés à leurs origines, par les pouvoirs publics de gauche comme de droite. C’est très clair par exemple en 1982-1983 dans les grèves dans le secteur automobile, où les ouvriers, majoritairement musulmans, vont être accusés de <a href="https://geneses.hypotheses.org/1758">fondamentalisme</a>. Ces phénomènes vont s’accélérer avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/30-ans-de-l-affaire-du-foulard-de-creil-le-voile-de-la-discorde-7058333">l’affaire du foulard à Creil</a>, en 1989, qui va contribuer à l’émergence du « problème musulman » et à la focalisation sur l’islam dans le débat public.</p>
<p>Ce phénomène n’a cessé de s’accentuer avec le temps. La catégorie <a href="https://www.puf.com/content/Communautarisme">« communautarisme »</a> se développe vraiment après le 11 septembre 2001, et plus encore les révoltes de 2005. Cette catégorisation contribue à disqualifier les revendications portées par les groupes minoritaires, les renvoyant à un <a href="https://theconversation.com/qui-est-identitaire-enquete-dans-les-quartiers-populaires-160629">particularisme de principe</a>.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> Les événements comme les révoltes peuvent représenter un moment dans la construction d’une subjectivité politique. Or celle d’une organisation politique qui découlerait de ce moment particulier n’est pas donnée d’avance. Ainsi, les révoltes de 2005 n’ont pas conduit à un « mouvement unifié des quartiers populaires » malgré les <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2015-3-page-17.htm">tentatives qui ont suivi</a>. Des associations comme ACLFEU, née à Clichy-sous-Bois à ce moment-là, sont cependant toujours très actives à côté d’autres collectifs comme le collectif Vérité pour Adama créé en 2017 ou le collectif Pas sans Nous.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une trentaine de militants du collectif ACLEFEU, créé après les émeutes de l’automne 2005, ont investi un hôtel particulier parisien pour y installer « un ministère de la crise des banlieues » (21 février 2012).</span></figcaption>
</figure>
<p>Une des difficultés reste la coordination de ces collectifs. Mais nous ne sommes plus en 2005. Les révoltes sont sorties des quartiers populaires, pour aller vers les centres-villes. Elles succèdent à des mouvements sociaux importants comme les « gilets jaunes » ou le mouvement contre la réforme de la retraite, qui se sont heurtés <a href="https://theconversation.com/les-contestations-des-violences-policieres-ont-une-histoire-109272">à la même logique répressive</a>. Ce contexte donne peut-être la possibilité d’alliances ou de convergences.</p>
<p><strong>La dé-politisation ou du moins une autre forme de politisation semble aussi suivre l’histoire de la désindustrialisation de la société française. Qu’en est-il ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière :</strong> <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14279">La disparition des banlieues rouges et des systèmes sociaux</a> qui les accompagne ont laissé la classe ouvrière exsangue. Les premières générations de jeunes de cité apparaissent comme des <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13944?lang=fr">enfants d’ouvriers et d’immigrés</a> (pour la plupart) qui ne peuvent plus embaucher comme ouvriers du fait de la désindustrialisation. Le système social et politique des « banlieues rouges » s’est effiloché progressivement dans les années 1980 et peine à être remplacé par de nouvelles dynamiques politiques malgré les initiatives et les bonnes volontés.</p>
<p>Confrontée aux fermetures d’usines, cette génération fait aussi face à un secteur tertiaire qui exige de nouvelles qualifications que beaucoup n’ont pas à l’époque, ce qui contribue à les entraîner dans une spirale de précarité. Au début des années 1980, on constate également l’arrivée des drogues dures dans la petite couronne parisienne avec les <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">dégâts sanitaires et sociaux</a> que cela va provoquer une décennie plus tard.</p>
<p><strong>Comment cela a-t-il influencé les systèmes de solidarité, le travail associatif notamment ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière :</strong> Les solidarités populaires sont moins fortes qu’elles ne l’étaient dans les années 1980 en raison des processus d’individuation qui se sont matérialisés dans différentes compétitions, dans la poursuite des études pour certains, le business pour d’autres, sans oublier la volonté de quitter le « quartier » lorsque les personnes s’en sortent.</p>
<p>Les associations sont beaucoup moins denses. Et les municipalités ont cherché à garder le contrôle sur les initiatives politiques et associatives des quartiers populaires urbains, étouffant les démarches et autres doléances politiques émanant de ces quartiers. Le travail social est confronté <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-social-est-il-devenu-un-metier-a-risque-163500">à une perte de sens et de moyens financiers</a> due à un management et des mesures de plus en plus néo-libérales. Et sur le terrain, les éducateurs peinent encore à exercer leur métier car les mesures sécuritaires imposent des restrictions réelles sur l’accompagnement éducatif confidentiel auprès des jeunes. Depuis le début des années 2010, beaucoup d’éducateurs expérimentés <a href="https://champsocial.com/book-ou_va_le_travail_social_controle_activation_et_emancipation,1258.html">ont déserté la prévention spécialisée</a>.</p>
<p><strong>Julien Talpin :</strong> Aujourd’hui, la revendication d’égalité des associations antiracistes est majoritairement disqualifiée comme « communautariste » par les pouvoirs publics, le simple fait de mettre en évidence des inégalités de traitement venant entacher l’universalisme républicain…</p>
<p>En 2021, le terme de « communautarisme » a été remplacé par celui de « séparatisme » avec la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042635616/">« confortant le respect des principes de la République »</a>, dite loi <a href="https://theconversation.com/la-lutte-contre-le-separatisme-le-nouveau-cadre-de-laction-publique-147472">« séparatisme »</a> qui <a href="https://theconversation.com/lutte-contre-le-separatisme-une-loi-qui-stigmatise-les-minorites-159576">institutionnalise</a> tout un ensemble de pratiques jusque là informelles. Par exemple avec la création du Contrat d’engagement républicain (CER) que doivent désormais signer les associations, qui constitue un instrument de surveillance et de défiance des pouvoirs publics à l’égard du monde associatif, tout particulièrement dans les quartiers populaires.</p>
<p>Initialement pensé pour lutter contre des organisations à visées terroristes, ou qui voudraient lutter contre les intérêts fondamentaux de la nation, le CER a surtout servi <a href="https://aoc.media/analyse/2023/02/16/loi-separatisme-la-critique-associative-face-au-contrat-dengagement-republicain/">à criminaliser des associations écologistes</a>. Mais il a également des incidences dans les quartiers populaires, des MJC ou des associations ayant perdu leurs financements du fait du port du voile, pourtant parfaitement légal, par certaines salariées. Il constitue surtout une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête des associations qui ne les incitent pas à s’emparer de sujets sensibles comme les violences policières ou la lutte contre les discriminations.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> On observe cependant beaucoup de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-developpement-social-urbain-2018-2-page-16.htm">formes de solidarité</a> dans les quartiers populaires comme les périodes de confinement ont pu le mettre en lumière. Cette solidarité prend des formes <a href="https://www.cairn.info/quel-monde-associatif-demain--9782749270425-page-157.htm">individuelles et collectives</a> à travers différentes initiatives qui peuvent être très spontanées comme des maraudes, de l’activité associative ou des collectifs moins pérennes.</p>
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<figcaption><span class="caption">À Marseille, la solidarité spontanée s’organise durant la crise sanitaire (2020).</span></figcaption>
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<p>Il est difficile de mesurer comment cette solidarité s’exprime pendant cette période de révolte. Il semble que les familles et les professionnels de la jeunesse, les animateurs, ceux que l’on qualifie parfois de « grands frères » partagent la colère des jeunes, même s’ils ne se joignent pas à des manifestations violentes. Beaucoup sont descendus dans la rue, non pour essayer d’étouffer la révolte mais pour empêcher des dérapages, en quelque sorte jouer un rôle de protection.</p>
<p><strong>D’où vient la défiance que peuvent ressentir certains jeunes vis-à-vis de la politique institutionnelle ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière :</strong> Ces jeunes vivent dans un pays perçu comme développé et donc « riche ». Mais ils ont aussi le sentiment réel de se retrouver exclus du mode de vie de ce qu’ils perçoivent des classes moyennes. Le triptyque républicain « Liberté, Egalité, Fraternité » est vécu comme un mensonge au regard de leur vécu au quotidien. <a href="https://theconversation.com/les-trajectoires-scolaires-des-jeunes-des-quartiers-populaires-entre-parcours-dobstacles-et-aspirations-a-la-reussite-192042">L’école</a> est appréhendée comme une institution instaurant une compétition économique par le diplôme dont <a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">ils se retrouvent exclus</a>.</p>
<p>Beaucoup d’institutions d’encadrement sont appréhendées au mieux comme inefficaces, au pire comme hostiles. Les injonctions de réussite par la consommation véhiculent des valeurs contradictoires de la société contemporaine car elles incitent à la défiance vis-à-vis du politique institutionnel. Il existe une <a href="https://theconversation.com/pourquoi-a-t-on-ou-pas-confiance-dans-les-responsables-politiques-72483">réelle défiance</a> à l’égard des politiques d’une manière générale, qui n’est pas propre aux banlieues mais peut-être plus exacerbée. La parole publique n’a plus de crédibilité pour une majorité des habitants des quartiers populaires urbains.</p>
<p>Les politiques sécuritaires ont dépolitisé les problèmes économiques et sociaux auxquels ils sont confrontés. Au bout de quarante ans (trois générations de jeunes), les enjeux politiques, économiques et sociaux ne se sont pas améliorés.</p>
<p><strong>Julien Tapin :</strong> Les habitants de ces quartiers sont pris dans une sorte de dilemme intenable : il ne faut pas qu’ils mettent en avant leurs origines s’ils veulent être reconnus (et financés) par les pouvoirs publics, mais c’est au nom de cela, et des formes de pacification sociale qu’on attend d’eux que l’on va les considérer – on parlera à l’époque de <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2001-1-page-104.htm">« politique des grands frères »</a>.</p>
<p>À Roubaix par exemple, un de mes principaux terrains d’enquête, on voit dans les années 1980 émerger des « associations de jeunes », composées en fait majoritairement de jeunes descendants de l’immigration postcoloniale, soucieux d’égalité et de lutte contre les discriminations, qui ne peuvent l’afficher trop ouvertement, sous peine de sanctions. Ainsi, dès le début des années 1990, on va leur reprocher une <a href="https://www.cairn.info/la-jeunesse-comme-ressource--9782865869138-page-213.htm">« dérive ethnique »</a>, le fait que ces associations soient majoritairement composées de minorités ethnoraciales, c’est-à-dire qu’elles soient <a href="https://books.openedition.org/septentrion/53114?lang=fr">à l’image de ces quartiers</a>.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> Notre enquête Pop-Part auprès de jeunes de quartiers populaires en Île-de-France de 2017 à 2021 montre la <a href="https://theconversation.com/les-podcasts-jeunes-de-quartier-leur-quotidien-raconte-par-eux-memes-182088">force des expériences communes à ces jeunes</a>. Ces expériences sont marquées par la stigmatisation territoriale, la discrimination raciale et la force des inégalités sociales.</p>
<p>Ces jeunes ont aussi en commun une expérience de l’altérité ; ils habitent dans des quartiers aux populations très diverses de part leurs origines et trajectoires migratoires. La religion a aussi joué un rôle important dans <a href="https://theconversation.com/fabien-truong-je-refuse-de-considerer-les-attentats-islamistes-en-ne-raisonnant-qua-travers-le-prisme-de-la-religion-86126">leur socialisation</a>, qu’ils soient comme la plupart musulmans ou bien évangélistes.</p>
<p>Le rapport distendu avec la politique institutionnelle peut s’accompagner <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">d’un réel intérêt pour le politique</a>, que ce soit au niveau local, national ou international. Cette distance s’explique par le sentiment de ne pas être entendu, de ne pas être représenté. Les jeunes trouvent donc d’autres voix pour se faire entendre.</p>
<p>Notons cependant que parmi les cent jeunes de notre <a href="https://jeunesdequartier.fr/">recherche POP-PART</a>, 7 se sont présentés aux dernières élections municipales, sur des listes diverses, et sans affiliation politique. Ce constat s’inscrit plus globalement dans les villes populaires en Île-de-France, par l’émergence de nouveaux profils d’élus, issus de la société civile, appartenant aux minorités racisées, et, depuis la loi pour la parité, plus féminins.</p>
<p><strong>De quand datent les premiers travaux sociologiques sur les « quartiers populaires » ? Voit-on une prise en compte de ces travaux dans les politiques publiques ?</strong></p>
<p><strong>Eric Marlière</strong> Les premiers travaux remontent aux années 1980. Mais sans qu’il n’ y ait eu de véritables évolutions des préconisations. Certains collègues dont les travaux étaient pionniers dans ces années, pensons à <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048">François Dubet</a>, ou <a href="https://www.cairn.info/la-galere--9782222036340.htm">Jean-Charles Lagrée et Paula-Lew Faï</a> étaient clairs sur les enjeux sociaux et économiques liés à la désindustrialisation et ses conséquences sur les quartiers populaires urbains.</p>
<p>La plupart de ces travaux n’ont malheureusement pas été pris en compte par les politiques publiques. La question sociale et les discriminations ethniques apparaissent toujours taboues ou délicates à traiter pour les politiciens de premier plan. Il n y a pas de prise en compte du malaise exprimé par les jeunes, les seules réponses sont répressives. Les travaux des sociologues ne sont pas véritablement relayés par les politiques de gauche comme de droite.</p>
<p><strong>Julien Talpin :</strong> Le déni institutionnel semble n’avoir jamais été aussi grand : il suffit de voir les réactions, récemment encore, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-force-de-l-ordre-didier-fassin/9782757848760">sur le racisme dans la police</a>, à rebours de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-2-page-85.htm">toutes les études</a> qui le démontrent, témoignant d’une action publique qui se fait d’une certaine façon contre la science.</p>
<p>D’un autre côté, on assiste à une montée de l’extrême droite, une <a href="https://theconversation.com/nostalgie-reactionnaire-et-politique-la-fabrique-dune-memoire-fantasmee-180609">circulation de ses idées</a> et de ses <a href="https://theconversation.com/dou-vient-lobsession-identitaire-de-la-politique-francaise-175540">schèmes de perception</a> dans la société et le débat public via les relais médiatiques qu’elle est parvenue à acquérir, qui rend le processus de racisation (clivage sur bases raciales) encore plus violent qu’il ne l’était.</p>
<p><strong>Marie-Hélène Bacqué :</strong> La période récente a été marquée par une remise en cause de certains travaux critiques d’abord taxés <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pour_la_sociologie-9782707188601">« d’excuse sociologique »</a> puis d’idéologiques quand ce n’est pas <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">« d’islamo-gauchistes »</a>. Beaucoup de ces travaux ont tiré depuis longtemps le signal d’alarme sur la situation sociale et économique des quartiers populaires, la prégnance de la discrimination, la fragilisation du tissu associatif par la baisse des moyens mais aussi la répression et la volonté d’encadrement qu’il subit. On ne peut pas dire qu’ils aient été entendus.</p>
<p>J’ai pour ma part eu l’occasion de rédiger en 2013 avec Mohamed Mechmache un <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/33298-pour-une-reforme-radicale-de-la-politique-de-la-ville">rapport</a> sur la participation dans les quartiers populaires. Nous avions fait un ensemble de propositions élaborées et discutées avec des habitants, des professionnels, des militants des quartiers populaires. Elles sont restées lettre morte. Aujourd’hui, quand des jeunes s’attaquent aux bâtiments institutionnels, ils reposent pourtant bien la question de leur participation et de leur reconnaissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Hélène Bacqué a co-coordonné le projet de recherche participative Pop-Part (ANR) <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part/">https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part/</a>. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eric Marliere et Julie Sedel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des universitaires travaillent depuis 40 ans sur les banlieues, pourquoi ont-ils le sentiment de ne pas être écoutés ? Décryptage avec quatre sociologues.Eric Marliere, Professeur de sociologie à l'université de Lille, Université de LilleJulien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleJulie Sedel, Maîtresse de conférences - HDR, Université de StrasbourgMarie-Hélène Bacqué, Sociologue, urbaniste, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091602023-07-06T17:19:22Z2023-07-06T17:19:22ZÉmeutes : 2005 en héritage à Clichy-sous-Bois<p>Depuis la mort de Nahel et les violences qui s’en suivent dans de nombreuses villes, la <a href="https://www.lefigaro.fr/faits-divers/mort-de-nahel-derriere-les-chiffres-des-violences-urbaines-plus-intenses-que-les-emeutes-de-2005-20230705">référence à 2005</a> semble s’imposer dans les médias. Par son extension, ses images médiatiques, le chiffrage des dégâts… la mobilisation de jeunes de quartiers populaires incite à la comparaison. Mais est-elle pertinente ? S’il est prématuré de dresser une comparaison fondée, il est possible d’apporter dès maintenant des éléments pour en discuter le bien-fondé.</p>
<p>Pour cela, je m’appuie sur la recherche participative que je mène depuis trois ans sur l’histoire du collectif ACLEFEU, avec des jeunes de 17 à 24 ans de Clichy-sous-Bois et d’autres villes de Seine Saint-Denis. Cette enquête poursuit celle menée dans dix villes ou quartiers d’Île-de-France par le <a href="https://jeunesdequartier.fr/">collectif POP PART</a> entre 2017 et 2021. Publiée sous le titre <a href="https://cfeditions.com/jdq/">Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots</a>, elle est la source des podcasts <a href="https://theconversation.com/fr/topics/jeunes-de-quartier-119771">« Jeunes de quartier : leur quotidien raconté par eux-mêmes »</a>.</p>
<p>Centrer la nouvelle recherche sur Clichy-sous-Bois et ACLEFEU, c’est revenir aux origines. Ce collectif a en effet été créé d’abord de manière informelle à la fin d’octobre 2005, puis en tant qu’association. L’acronyme, dont le premier sens, Assez le feu ! est clair, signifie aussi : Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble Unis. Très médiatisé dans les années qui ont suivi, il est aujourd’hui reconnu pour les actions qu’il mène auprès des jeunes et des familles pour contribuer à la solidarité, éveiller à la citoyenneté, développer la prise de responsabilité. Comment donc des jeunes d’aujourd’hui et des jeunes de l’époque, devenus adultes, parlent-ils de 2005 ? Quelles mémoires en sont présentes, transmises ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-repetition-et-la-rage-au-coeur-des-emeutes-francaises-208899">La répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises</a>
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<h2>2005 : émeutes ou révoltes ?</h2>
<p>Lorsqu’on demande aux jeunes adultes ou grands adolescents participant à la recherche ce que 2005 évoque, pour eux et elles, silence et hésitations dominent. La date ne fait guère sens. D’abord par sa distance temporelle : la plupart étaient soit juste nés, soit encore tout petits. Au plus, restent des souvenirs de peur, d’hélicoptères menaçants, d’avoir été interdit de sortir pour jouer au foot, d’une panne d’électricité ou une image : celle de gendarmes s’abritant sous leurs boucliers comme des soldats romains dans Astérix.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retour sur les émeutes des banlieues en 2005. France 24.</span></figcaption>
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<p>Mais plus profondément, les dates, comme on a pu le constater aussi à propos de 2015 et des attentats, sont des repères utilisés dans un contexte scolaire d’apprentissage de faits historiques. Parler date, c’est renvoyer à la « grande histoire » enseignée, à une réalité qui reste abstraite.</p>
<p>Ce qui ressort parfois, c’est : « les émeutes », désignation concurrencée par « les révoltes ». Dire « c’était vraiment pour défendre une cause » (R. (garçon, 7 ans en 2005), dire « on s’est pas battu pour rien, on s’est battu parce qu’il y a quelque chose derrière »), c’est exprimer une distinction claire, dans la lignée de celle opérée par les sociologues <a href="http://journals.openedition.org/sociologies/254">Michel Kokoreff, Odile Steinauer et Pierre Barron</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Reprendre le terme d’émeute, c’est insister sur le caractère spontané et non structuré des violences collectives. […] L’émeute urbaine questionne la police dans ses pratiques ; c’est la fonctionnalité policière qui est mise en cause. Parler de “révolte” […], c’est mettre l’accent sur la dimension protestataire des violences collectives […], sans contribuer au processus de stigmatisation des banlieues et des jeunes de milieux populaires. »</p>
</blockquote>
<h2>Zyed et Bouna : des noms qui font sens</h2>
<p>À rebours de la date, ce sont les prénoms <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799;https://jeunesdequartier.fr/notices/zyed-bouna/52">Zyed et Bouna</a> qui font écho pour les jeunes, par un effet d’identification multiple. La proximité de l’âge, l’atrocité de leur mort, brûlés vifs dans l’enceinte d’un transformateur électrique, la connaissance des familles pour certains sont démultipliées par le vécu partagé du contrôle policier fréquent et injustifié, de la course poursuite pour l’éviter qui fait d’un thriller un drame. L’identification repose aussi sur le sentiment d’appartenance à un territoire similaire par sa relégation et les <a href="https://journals.openedition.org/metropoles/4568">conditions de vie de sa population</a>.</p>
<p>Pour K. (4 ans en 2005), « Si Zyed et Bouna étaient dans un autre endroit, les policiers ne vont pas se comporter avec eux comme ça, ne vont pas leur parler vulgairement, faire la course avec eux. Ça évoque des inégalités sociales ». Un « nous, jeunes de quartiers » s’esquisse ainsi, même si cette assignation fait débat.</p>
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<p>Si les jeunes d’aujourd’hui voient des similitudes avec le vécu des jeunes de 2005, l’écart est cependant sensible. En témoigne d’abord leur réaction après la projection en atelier, du film tourné par Ladj Ly en 2005-2006 « 365 jours à Clichy-Montfermeil » : « Ce ne serait plus possible maintenant, car on filme tous avec nos portables et on partage sur nos réseaux ! »</p>
<p>Et surtout, ce film et une vidéo d’ACLEFEU sur son histoire décentrent l’intérêt vers l’après 2005 et les actions menées pour faire entendre et prendre en compte la voix des citoyens oubliés. C’est le présent de cette histoire de près de vingt ans, ses liens avec d’autres luttes, comme celles pour les droits civiques ou <a href="https://theconversation.com/mort-de-george-floyd-une-condamnation-historique-dans-une-societe-divisee-157164">Black Lives Matter</a> aux États-Unis, qui peu à peu donnent sens à la participation des jeunes à la recherche.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire « 365 Jours à Clichy Montfermeil », Ladj Ly, Kourtrajmé, 2005.</span></figcaption>
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<h2>Des médiateurs en action</h2>
<p>Pour les participants à la recherche plus âgés, (qui avaient entre 20 et 30 ans en 2005), alors souvent éducateurs ou animateurs, qui ont vécu ces événements, le lieu et le moment où ils apprennent le drame, leur action pour contribuer à calmer les jeunes, la création d’ACLEFEU dans l’urgence sont les trois temps forts d’une mémoire vive commune. C’est donc en tant qu’acteurs à divers titres qu’ils interprètent à la fois leur rôle, leur prise de conscience et leur évolution.</p>
<p>Cette continuité temporelle, avec ses ruptures ou ses éloignements pour certains, apporte un double éclairage. Le recul réflexif permis par l’entretien laisse par exemple s’exprimer le souvenir d’un dilemme vécu. M. (30 ans en 2005) l’explique ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« Nous autres, à cette époque-là, animateurs, travailleurs sociaux, tous ceux qui étaient sur le terrain, grands frères, on était dans une position très compliquée. […] Je comprends la colère des jeunes parce que je me dis : si je n’avais pas été moi du côté… je vais dire de l’institution, à cette époque-là, à 17 ans j’aurais été dans la rue. »</p>
</blockquote>
<p>La création d’ACLEFEU est alors présentée comme la résolution collective de cette contradiction. Elle est étayée par l’évocation du nombre des personnes qui s’engagent dans la construction de ce collectif, portées par la conscience que la colère des jeunes est l’expression exacerbée d’un malaise social plus large.</p>
<p>Le deuxième éclairage apporté par quelques jeunes adultes de l’époque met en perspective 2005 et des mobilisations antérieures. En particulier, la <a href="https://presses-universitaires.parisnanterre.fr/index.php/produit/la-marche-de-1983-des-memoires-a-lhistoire-dune-mobilisation-collective/">marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983</a> est une référence fondatrice pour Mohamed Mechmache, cofondateur et président du collectif.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 (INA).</span></figcaption>
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<p>Adolescent, il a côtoyé un ancien marcheur de sa cité : </p>
<blockquote>
<p>« Ce qui s’est passé en 2005 n’est que la conséquence de ce qui s’est passé à l’époque avec les gens qui se sont mobilisés pour la marche pour l’égalité et contre le racisme. Parce que la première jeunesse issue de l’immigration était très politisée. Elle savait les combats de nos parents, les luttes qu’il y a eu. Une fois qu’ils ont compris qu’ils avaient comme arme le savoir, ça leur a permis de mieux comprendre les choses et de se dire : nous aussi à partir d’aujourd’hui on pourra se faire entendre. »</p>
</blockquote>
<p>C’est cette conscience de la continuité d’un combat à mener qui a incité plusieurs membres d’ACLEFEU à se faire élire au conseil municipal dès 2008. Une jeune fille qui a participé à la recherche, élue en 2020, est ainsi devenue la benjamine du conseil municipal.</p>
<h2>Une transmission mémorielle fragmentée et une histoire absente</h2>
<p>À Clichy-sous-Bois, la transmission de la mémoire de 2005 est ainsi portée par deux pôles. Le souvenir de Zyed et Bouna est surtout transmis par le travail mené par des enseignants de collège ou de lycée et les commémorations publiques annuelles du 27 octobre 2005.</p>
<p>L’allée piétonnière au nom de Zyed Benna et Bouna Traoré (sans autre précision), proche de la mairie, la petite stèle qui leur est consacrée devant le collège fréquenté par ceux-ci, leurs visages rendus familiers par des affiches largement diffusées lors de mobilisations comme celle suscitée par la mort d’Adama, sont aussi connues de certains jeunes.</p>
<p>Les militants d’ACLEFEU constituent le second pôle de transmission : il est centré sur la réponse collective apportée alors à la « crise des banlieues » et aux limites de sa reconnaissance politique. Mais ces transmissions fragmentées rendent d’autant plus problématique l’absence d’une histoire qui fasse référence et puisse être partagée.</p>
<p>Au-delà de 2005, c’est précisément la force et l’inventivité d’une mobilisation politique et sociale, diverse par ses actions et sa portée médiatique, que la recherche menée avec les jeunes de Clichy-sous-Bois et le collectif ACLEFEU a entrepris de construire et de faire reconnaître.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Hatzfeld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les jeunes d’aujourd’hui voient des similitudes avec le vécu des jeunes de 2005, l’écart est cependant sensible.Hélène Hatzfeld, Politologue spécialisée dans l'urbanisme, laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement (UMR CNRS 7218), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2089582023-07-03T16:58:10Z2023-07-03T16:58:10Z« Prends-moi un Yop » : l’absurde au cœur des émeutes<p>« Wala, ça a ouvert le Franprix. Hey, prends-moi un Yop, prends-moi un Yop ». Ailleurs, dans une autre ville de France, au beau milieu des affrontements, un homme mange tranquillement son sandwich, l’air de rien.</p>
<p>À Romainville, dans la nuit du 29 juin, j’assiste au pillage d’un bureau de tabac. Un gars ressort les bras chargés de sucettes qu’il balance en l’air tel un brave au bon cœur.</p>
<p>Toujours à Romainville, cette même nuit-là, des émeutiers tentent de brûler la laverie automatique. « Tout’e façon, elle n’a jamais marché » relativise un passant.</p>
<p>À Nanterre, dans la nuit du 27 au 28 juin, j’observe un gamin s’obstiner à jeter un cocktail Molotov dans un feu de poubelle déjà bien garni.</p>
<p>Ailleurs encore, une vidéo montre une femme bien à son aise qui profite d’un feu de poubelle pour faire cuire quelques grillades. Sur un autre snap (réseau social Snapchat), un type cagoulé court avec en mains une guitare électrique tout juste volée.</p>
<p>Ailleurs encore, un magasin alimentaire se fait piller. La « dame, elle a pris du coton, mdr (NDLR : mort de rire) ». Au cours d’un autre pillage, on entend crier <a href="https://twitter.com/fuumieer/status/1674538000221458435">« prends du mascarpone »</a>. À Sarcelles, un homme déguisé en Spiderman a été aperçu dans les rues. À Rennes, un joyeux luron, un brin détraqué, est aux commandes d’un engin de chantier. Il s’amuse à fracasser un lampadaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1674351554508337152"}"></div></p>
<p>Les révoltes de juin 2023 sont en train de faire l’histoire, une histoire supplémentaire de rupture avec les pouvoirs. Elles frappent par leur intensité, la rapidité de leur propagation, l’ampleur des destructions, et chose nouvelle par rapport à 2005, celle des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/02/pillages-incendies-agressions-le-bilan-effarant-des-jours-et-des-nuits-d-emeutes-en-france_6180265_3224.html">pillages</a>.</p>
<p>La circulation des vidéos sur les réseaux sociaux ajoute à la stupéfaction. Ces émeutes sont des <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-jeunes-de-cite-defient-les-institutions-199117">révoltes politiques</a> quand bien même elles ne se traduisent pas, dans le présent de la situation, par des slogans ou des revendications. Ce qui domine dans l’émeute, ce n’est pas la parole mais plutôt l’acte.</p>
<p>Elle confronte la société dans ce qu’elle sait déjà mais qu’elle dénie ou qu’elle se refuse d’affronter sérieusement depuis des décennies autrement que par une gestion technique du « maintien de l’ordre public ». Ces vies écrasées et méprisées se redressent et débordent. Elles font effraction dans ce qui leur est habituellement soustrait : la parole et l’audition politiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lutte-contre-linflation-des-actions-collectives-cassent-les-prix-176594">Lutte contre l’inflation : des actions collectives cassent les prix</a>
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<h2>« Dingueries »</h2>
<p>Au côté de la gravité de la situation et de ses déterminations politiques, une chose étonne : au milieu des affrontements, entre les tirs de mortiers, de feu d’artifice, des dizaines de vidéos montrent aussi des émeutiers hilares, amusés de leurs propres gestes et narquois.</p>
<p>Ils donnent le sentiment de jouir du moment présent. Ils développent un sens évident de la mise en absurdité de leurs propres gestes. On y croise des « fous » qui font toute sorte de « dingueries » c’est-à-dire des êtres qui osent des gestes transgressifs que le commun s’interdit d’accomplir par crainte ou par honte. Le temps d’un instant, au cours d’une nuit ou d’une marche blanche, certains en oublient les sentiments tristes qui les ont conduits dans la rue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1674568904977293313"}"></div></p>
<p>C’est un fait assez commun aux émeutes : elles sont un <a href="https://www.puf.com/content/La_fabrique_des_%C3%A9motions">condensé d’affects</a> et de sensations hétérogènes et souvent contradictoires. L’absurde côtoie la colère. L’humour se confond avec la violence des gestes. La joie se mêle aux larmes de la famille endeuillée de Nahel.</p>
<p>Les gestes nihilistes de saccage se mélangent aux plaintes dirigées sans équivocité à l’endroit des forces de l’ordre et de l’état. Rationalités politiques et gestes absurdes sont le propre des pratiques émeutières.</p>
<p>L’ivresse s’unit aux idées de vengeance. L’attaque de la maison de Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses, en est le témoignage concret. Mais au-delà des faits de violence directe, il y a une atmosphère propre aux émeutes qu’il convient de saisir. Quiconque n’a jamais participé à une manifestation émeutière pourrait être surpris sinon scandalisé par le caractère souvent joyeux et festif des émeutes. Au lieu de susciter de la répulsion chez les témoins ou les participants, ces violences sont à l’origine d’amusement, d’enthousiasme collectif, de vertige jusqu’à des formes d’ivresse qui produisent en chacun un profond sentiment d’irréalité. Faut-il encore se demander d’où provient cette joie là où l’on devrait a priori ressentir de la peine et de l’effroi.</p>
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<h2>Puissances retrouvées</h2>
<p>La première raison est éminemment politique. Elle réside dans le fait que les émeutiers retrouvent une <a href="https://www.puf.com/content/Le_vertige_de_l%C3%A9meute">puissance collective</a>. Ces corps assemblés tiennent la rue, non loin de là où ils vivent. Ils ont le sentiment d’occuper l’espace contre la volonté des ordres policiers. Cela produit l’effet grisant de la conquête d’une puissance qui échappe au travail de répression et d’encadrement par les forces policières. L’émeutier ne subit plus. <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Eloge_de_l_%C3%A9meute-726-1-1-0-1.html">Il inverse même les registres de la puissance</a> puisqu’il oblige les symboles du pouvoir à fermer, à se barricader (institutions), à reculer et à se protéger (forces de police).</p>
<p>C’est le vertige tout à fait momentané d’une puissance retrouvée devant la mise en échec des pouvoirs, des ordres et des formes qui empêchent habituellement la vie quotidienne. L’espace physique de la rue est occupé tout comme l’espace médiatique. <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2020-2-page-71.htm">Aux invisibilisations politiques habituelles</a> les révoltés font effraction dans le débat public. Les dénonciations sont limpides.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">« Jeunes de quartier » : « La politique elle se fait à côté »</a>
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<h2>Un renversement momentané de l’ordre</h2>
<p>La seconde raison suit la logique du spectacle. L’émeute emprunte particulièrement au <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1979-v15-n1-2-etudfr1689/036678ar/">registre carnavalesque</a>.</p>
<p>Certes, dans ces émeutes, les déguisements sont rares mais, ces derniers jours, on voit de nombreuses mises en scène : un goût prononcé pour le feu (feux de poubelles, cocktails Molotov), un usage abondant des feux d’artifice (mortiers) et de pétards.</p>
<p>La circulation affolante des images sur Snapchat et TikTok ajoute à la mise en spectacle. Le geste n’existe pas seulement dans le présent de la situation. Il est vu, capté en vidéo et est promis à circuler voire à « percer » sur les réseaux. Des classements des villes les plus « chaudes » circulent sur quelques comptes Twitter. À cet égard, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/02/mort-de-nahel-m-apres-trois-nuits-de-pillage-marseille-se-reveille-sonnee_6180236_3224.html">l’entrée de la ville de Marseille dans les émeutes</a> a été fortement commentée.</p>
<p>Il n’y a de spectacle que pour être donné à voir. Le renversement momentané de l’ordre a quelque chose de plaisant car parodique. Le pouvoir quitte son raffinement habituel et est obligé à se déployer de manière grotesque : courir après les manifestants, les frapper parfois indistinctement, se cacher pour surprendre ses proies. Les rires éclatent là où les forces de police apparaissent empruntées, maladroites et débordées.</p>
<p>La troisième raison qui explique la joie émeutière réside dans le retournement du rapport avec les forces de l’ordre. Au respect qu’il leur est attaché dans la vie ordinaire, l’émeute ouvre une scène où il est possible de les insulter, de les rabaisser et de les humilier par le langage. Les forces de police peuvent aussi être attaquées et donc atteintes dans leurs corps. L’émeute s’alimente de ces ambivalences. Elle devient un temps symbolique de suspension des formes et offre un défi tantôt narquois, tantôt rageur aux forces de l’ordre. L’émeute inspire les passions et le chaos en réponse à la rigidité, l’ordre, le sérieux et à la froideur de l’État. Il y a donc un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8bw7HE4hIdM">charme de l’émeute</a> en tant qu’elle fait rupture avec les expériences ordinaires.</p>
<h2>Le risque de la fétichisation</h2>
<p>C’est une sensation qui appartient au voir ; un paysage désorganisé, des rues occupées, des forces de police désorientées, un espace urbain chaotique, c’est-à-dire autant de situations perceptibles qui semblent faire balbutier les structures du monde.</p>
<p>Le réel n’est pas anéanti : il est marqué, scarifié et abîmé. La colère trouve le sentiment de son bon droit dans le redressement des corps et leur charge contre le pouvoir. C’est une épreuve corporelle du politique.</p>
<p>Les joies souvent absurdes ne doivent pas conduire à une fétichisation ou à une esthétisation des émeutes comme si elles étaient la manifestation la plus évidente d’une révolte authentique. Elles sont le signe d’une détresse politique.</p>
<p>Car si l’émeute déborde parfois le pouvoir et le met ponctuellement en échec, elle demeure le signe d’une impuissance à intervenir dans le monde pour faire entendre et reconnaître ses plaintes. Mais elle rappelle aussi l’impatience qu’ont les émeutiers à faire droit à leurs colères.</p>
<p>L’émeutier regarde le monde. Il le parcourt, l’engrange et le brûle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208958/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une chose étonne : au milieu des affrontements, entre les tirs de mortiers et de feux d’artifice, des dizaines de vidéos montrent des émeutiers hilares, amusés de leurs propres gestes et narquois.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088942023-07-02T16:13:16Z2023-07-02T16:13:16ZComment la mort de Nahel M. enflamme une République déjà sur des braises<p>Les événements qui agitent la France depuis mardi, suite à la mort du jeune Nahel M. abattu par un tir policier, interviennent dans les « cent jours » d’apaisement annoncés par le président de la République.</p>
<p>Au vu de la période, l’apaisement prononcé ne semble être ici qu’un mot, une incantation. Tant que cet « apaisement » ne s’incarne pas concrètement, la parole politique demeure déceptive et alimente la défiance à l’égard des responsables politiques. Ainsi, le mot de François Hollande sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZE8pE2t__pc">« mon ennemi est la finance »</a> est resté dans l’électorat de gauche comme une déclamation marquante de son… échec.</p>
<p>Ces mots sont supposés être <a href="https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/illocutoire">illocutoires</a> – « quand dire c’est faire ». Or, la parole n’est pas toujours suivie de faits, et comme le montre le dernier baromètre du Cevipof, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">méfiance grandit</a> envers les politiques.</p>
<p>Il est en outre délicat d’être dans une injonction autour de « l’apaisement » et de mener, en même temps, et depuis des mois, une politique considérée par un certain nombre de Français comme plutôt conflictuelle, comme l’a montré la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/reforme-des-retraites-emmanuel-macron-au-defi-d-une-crise-qui-se-durcit-20230323">séquence des retraites</a> qui a laissé une impression de brutalité.</p>
<p>Alors même que les manifestations de mai n’avaient pas encore eu lieu, fin avril, 65 % des Français considéraient <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-65-des-francais-jugent-emmanuel-macron-brutal-selon-notre-barometre-odoxa">Emmanuel Macron comme « brutal »</a>.</p>
<p>Ce contexte a été par ailleurs entaché d’un autre événement : l’affaire du fonds Marianne. Cette dernière, du nom d’une association destinée à honorer la mémoire de Samuel Paty (enseignant assassiné le 16 octobre 2020) contient à elle seule plusieurs éléments explosifs nourrissant le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/06/16/fonds-marianne-les-enjeux-et-les-rebondissements-de-l-affaire-qui-met-en-cause-marlene-schiappa_6173534_4355771.html">discrédit envers le gouvernement Macron</a> et pour cause. Le détournement du fonds Marianne mêle laïcité, subventions publiques détournées et le nom d’une ministre, <a href="https://www.humanite.fr/politique/fonds-marianne/fonds-marianne-oui-madame-schiappa-vous-etes-responsable-799143">Marlène Schiappa</a>, toujours en poste malgré le scandale.</p>
<p>Ces enchaînements difficiles pour l’exécutif conduisent même à des chiffres inédits dans les sondages où le président, pourtant perçu par certains comme un technocrate habile, perd désormais des points sur la question de sa compétence. Selon le sondage Odoxa cité précédemment, seuls 36 % des Français le trouvent compétent – moins 13 % par rapport à mai 2022.</p>
<h2>Les « petites phrases » qui mettent le feu aux poudres</h2>
<p>Tandis qu’une partie de la France s’embrase, la présidence Macron semble poursuivre sur une ligne relativement indifférente face aux perceptions, aux émotions de l’opinion. Ainsi, malgré <a href="https://www.tf1info.fr/politique/emmanuel-macron-sur-tf1-et-lci-dit-regretter-certaines-de-ses-petites-phrases-terriblement-blessantes-pendant-sa-presidence-2204700.html">quelques excuses</a> entre ses deux mandats, le président continue d’émailler sa parole présidentielle de nombreuses <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2011-2-page-17.htm">« petites phrases »</a>.</p>
<p>Ces dernières désignent un ensemble hétérogène de phénomènes concourant à aviver le désarroi ou la défiance parmi ses électeurs. Entre « les gens qui ne sont rien » « un pognon de dingue » ; « traverser la rue » ; « les factieux » ; « la foule » ; « les Gaulois réfractaires » ; <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/19/parler-de-decivilisation-comme-le-fait-emmanuel-macron-releve-du-contresens_6178328_3232.html">« décivilisation »</a> et « trouver dix jobs sur le Vieux-Port » au printemps 2023.</p>
<p>Ces petites phrases contribuent à nourrir son personnage, marquent les esprits, et surtout portent en elles une tension, voire une mise en dramatisation du politique. Elles deviennent alors des marqueurs et déclencheurs et abîment la question du « vivre ensemble », du « commun » du « faire société » puisqu’il est reproché dès lors au président de la République de faire preuve de mépris de classe.</p>
<p>Partant, au-delà de la politique menée, ces phrases-marqueurs collent à son image et participent d’une façon de faire tout en paradoxe entre émotion ressentie et volonté régulière d’apaisement. Lors de son déplacement à Marseille, à la mort de Nahel, le président déclare : </p>
<blockquote>
<p>« Je veux dire l’émotion de la nation tout entière et dire à sa famille toute l’affection de la nation […] nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable. »</p>
</blockquote>
<p>Un jour après des émeutes éclatent, et Emmanuel Macron adopte immédiatement un discours mettant en cause les jeux vidéos, les réseaux sociaux et les parents ; il se place directement derrière les forces de l’ordre, donne sa confiance à Gérald Darmanin et n’aura plus un mot pour les quartiers populaires – notamment ceux qui souffrent des émeutes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La réaction d’Emmanuel Macron à la mort de Nahel.</span></figcaption>
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<p>C’est dans ce contexte déjà chargé que le décès de Nahel M. s’inscrit comme dernier marqueur décisif d’une politique générale déjà très décriée, et encore plus dans le cadre de la politique de la ville.</p>
<h2>La politique de la ville</h2>
<p>Dès 2017, Emmanuel Macron promettait la <a href="https://en-marche.fr/articles/actualites/emplois-francs-lutter-contre-l-assignation-a-residence">fin d’assignation à résidence »</a> pour les quartiers difficiles.</p>
<p>Pourtant, dès 2018, il torpille lui-même le <a href="https://www.lemonde.fr/banlieues/article/2018/04/26/ce-qu-il-faut-retenir-du-rapport-borloo-sur-les-quartiers-prioritaires_5291093_1653530.html">plan Borloo</a>. Dans ce plan, l’ancien ministre de la ville présente au président Macron des mesures comme le lancement des cités éducatives, la reconquête républicaine, la réactivation de l’Agence nationale pour le rénovation urbaine(ANRU), l’accompagnement vers l’emploi des jeunes habitants dans les quartiers relevant de la Politique de la ville (QPV)…</p>
<p>Ce rapport ambitieux de 5 milliards d’euros a pourtant été <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/rapport-borloo-macron-l-a-enterre-de-la-maniere-la-plus-brutale-qui-soit-fustige">rapidement enterré</a> par l’exécutif durant son premier mandat. Mais, ce qui a peut être le plus choqué c’est l’attitude d’Emmanuel Macron lors de la présentation du plan. Il tiendra face aux porteurs du projet des propos sans appel.</p>
<blockquote>
<p>« Que deux mâles blancs [Julien Denormandie, ministre de la ville, et de Jean-Louis Borloo] ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent l’un un rapport, l’autre disant “on m’a remis un plan”, je l’ai découvert… Ce n’est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça. »</p>
<p>« Les gens qui vivent dans ces quartiers, ce sont des acteurs de ces sujets. Ils ont envie de faire, ils ont une bonne partie des solutions […] Ces personnes ont besoin qu’on leur donne un statut […] qu’on les aide à réussir. »</p>
</blockquote>
<p>La dureté des propos envers Jean-Louis Borloo notamment est manifeste, et la président tente bien maladroitement de dire – peut-être – que c’est aux concernés de prendre leur avenir en main, de dire leurs besoins…</p>
<p>Depuis, s’il est vrai qu’une large partie du programme de Borloo a été mise en place, le lien entre quartiers et exécutif ne semble pas avoir été construit pour autant et la banlieue-start-up n’est pas. Et déjà, en novembre 2020, dans un contexte délicat de confinement, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/13/quartiers-populaires-110-maires-interpellent-emmanuel-macron-sur-la-crise-sanitaire-et-economique_6059695_3234.html">110 maires interpellent le président</a> sur la situation très difficile des quartiers populaires.</p>
<p>Le plan de 2022 nommé <a href="https://www.ville-et-banlieue.org/quartiers-2030-nouveau-fil-directeur-politique-ville-33179.html">« Quartiers 2030 »</a> donne des signes d’une volonté de (re) prendre en considération ces zones et leurs habitants. La campagne présidentielle n’ayant pas vraiment eu lieu, ces questions n’ont pas été abordées. Emmanuel Macron tente alors de rattraper cette lacune et affirme, lors de cette séquence, « que les quartiers populaires sont une chance pour notre république ».</p>
<p>Le 24 mai 2023, il est pourtant – de nouveau – vivement alerté par une trentaine d’élus qui veulent un <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/plan-d-urgence-pour-les-banlieues-une-trentaine-de-maires-interpellent-l-executif_AD-202305240497.html">plan d’urgence pour les banlieues</a>.</p>
<p>Son voyage à Marseille dans des cités difficiles <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/27/a-marseille-emmanuel-macron-face-a-la-colere-des-quartiers-nord_6179337_823448.html">n’aura rien changé ni rien apaisé durablement</a>. Il disait pourtant vouloir « transformer la colère en projet » mais les mots sont tombés un peu à plat face à l’étendue des trafics de drogue, face à une maman pleurant son fils et face au déclin des services publics sur le terrain. </p>
<p>La mort de Nahel aura transformé la colère en émeutes.</p>
<h2>Le clivage gauche droite</h2>
<p>Autre facteur de l’embrasement ou de la radicalisation : le clivage gauche droite. En voulant enjamber ce gauche droite et <a href="https://theconversation.com/trianguler-ou-lart-de-sapproprier-les-idees-des-autres-en-politique-161326">trianguler</a> en prenant les idées du camp adversaire <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-de-anthony-giddens--9782707151902.htm">tout en minimisant la dimension idéologique</a>, Emmanuel Macron a introduit une confusion dans les politiques et objectifs à atteindre.</p>
<p>Quelle fut la ligne de l’exécutif sur les quartiers populaires en réalité ? Une ligne plutôt service public dans la tradition française d’un état-providence ? une ligne plutôt start-up-uber qui semblerait être celle de E. Macron vue dans son ouvrage <em>Revolution</em> ou une ligne plutôt autoritaire incarnée par son Ministre de l’intérieur ?</p>
<p>Souvenons nous en effet de Gerald Darmanin considérant que Marine Le Pen est <a href="https://www.leparisien.fr/politique/debat-a-front-renverse-entre-marine-le-pen-et-gerald-darmanin-11-02-2021-8424502.php">trop molle</a> sur les questions d’immigration. Souvenons-nous aussi – sur les question sociétales – Jean Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-la-sorbonne-jean-michel-blanquer-participe-a-un-colloque-contre-l-ideologie-woke_8928e404-6ee5-11ec-bcfb-2ff4eb85ac20/">tenant un colloque à la Sorbonne contre le « wokisme »</a> ? Est-ce que ces coups de menton, ces symboles politiques ne créent pas trop de confusion ? </p>
<p>Ce « en même temps » brouille les cartes. Un brouillage qui a participé de la fragilisation du clivage, fragilisation qui asphyxie la démocratie et radicalise mécaniquement les oppositions. Car, pour s’opposer à Emmanuel Macron – qui a enjambé le clivage – il est en effet mécaniquement nécessaire d’aller plus loin à droite et plus loin à gauche.</p>
<p>En siphonnant la gauche et la droite dite de gouvernement, l’espoir d’une alternance à portée de main est détruit. Le citoyen se sent comme menotté dans une situation intenable. Son camp n’arrivera jamais au pouvoir ; ou ce sera très difficile.</p>
<p>Il est à noter que l’on pouvait déjà percevoir tous ces éléments lors de la présidentielle 2017. On voyait très clairement deux France. Aujourd’hui, elles subsistent toujours. Comme une ligne de fracture, et avec un défi de réconcilier et de faire « commun » qui semble bien loin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208894/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur le dossier des quartiers populaires comme sur d’autres, Emmanuel Macron n’a pas su trouver la voie d’un projet commun.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088992023-07-02T09:40:51Z2023-07-02T09:40:51ZLa répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises<p>Bien qu’elles nous surprennent chaque fois, depuis les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-ete-des-minguettes-1981-les-rodeos-de-la-colere-7720633">révoltes des Minguettes</a> dans les années 1980, les émeutes se répètent en suivant le même scénario : un jeune est tué ou gravement blessé par le police et les violences explosent dans le quartier concerné, dans les quartiers voisins, parfois, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-urbaines-comment-se-sont-deroulees-les-emeutes-de-2005_5919854.html">comme en 2005</a> et aujourd’hui, dans tous les quartiers « difficiles » qui se reconnaissent dans la victime de la police.</p>
<p>Depuis quarante ans, les révoltes urbaines sont dominées par la rage des jeunes qui s’attaquent aux symboles de l’ordre et de l’État, aux mairies, aux centres sociaux, aux écoles, puis aux commerces…</p>
<h2>Une rage et un vide institutionnel</h2>
<p>La rage conduit <a href="https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient-56100/nuit-de-violences-a-lorient-a-quoi-bon-detruire-leur-propre-quartier-6383853.php">à détruire son propre quartier</a> devant les habitants qui condamnent mais « comprennent » et se sentent impuissants.</p>
<p>Dans tous les cas aussi se révèle un vide institutionnel et politique dans la mesure où les acteurs locaux, les élus, les associations, les églises et les mosquées, les travailleurs sociaux et les enseignants avouent leur impuissance et ne sont pas audibles.</p>
<p>Seule la révolte des Minguettes en 1981 avait débouché sur la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/marche_egalite.pdf">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a>. Mais depuis, aucun mouvement ne semble naître des colères.</p>
<p>Enfin, dans tous les cas aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/mort-de-nahel-la-choregraphie-tres-classique-des-reactions-politiques_5888596.html">chacun joue son rôle</a> : la droite dénonce la violence et stigmatise les quartiers et les victimes de la police ; la gauche dénonce les injustices et promet des politiques sociales dans les quartiers. Nicolas Sarkozy avait choisi la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/emeutes-urbaines-quatre-questions-sur-le-precedent-de-2005-qui-est-dans-toutes-les-tetes-8489821">police en 2005</a>, Macron a manifesté <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/06/28/jeune-tue-a-nanterre-rien-ne-justifie-la-mort-dun-jeune-declare-emmanuel-macron-11306938.php">sa compassion</a> pour le jeune tué par la police à Nanterre, mais il faut bien dire que les hommes politiques et les présidents ne sont guère entendus dans les quartiers concernés.</p>
<p>Puis le silence s’installe jusqu’à la prochaine fois où on redécouvrira à nouveau les problèmes des quartiers et ceux de la police. </p>
<h2>Des leçons à tirer</h2>
<p>La récurrence des émeutes urbaines et de leurs scénarios devrait nous conduire à tirer quelques leçons relativement simples.</p>
<p>Les politiques urbaines ratent leurs cibles. Depuis 40 ans, de <a href="https://www.capital.fr/immobilier/emeute-les-vraies-raisons-de-lechec-de-politique-de-la-ville-1473031">considérables efforts ont été consacrés à l’amélioration des logements et des équipements</a>. Les appartements sont de meilleure qualité, il y a des centres sociaux, des écoles, des collèges, des lignes de bus… Il est faux de dire que ces quartiers ont été abandonnés.</p>
<p>En revanche, la mixité sociale et culturelle des quartiers s’est plutôt dégradée. Le plus souvent, les habitants sont pauvres, précaires, et sont immigrés ou issus des immigrations successives.</p>
<p>Mais surtout, ceux qui « s’en sortent » quittent le quartier et sont remplacés par des habitants encore plus pauvres et venant d’encore plus loin. Le bâti s’améliore et le social se dégrade.</p>
<p>On répugne à parler de ghettos, mais le processus social à l’œuvre est bien celui <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-415.htm">d’une ghettoïsation</a>, d’un clivage croissant entre les quartiers et leur environnement, d’un entre soi imposé et qui se renforce de l’intérieur. On fréquente la même école, le même centre social, on a les mêmes relations, on participe à la même économie plus ou moins légale…</p>
<p>Malgré les moyens mobilisés et la bonne volonté des élus locaux, on se sent hors de la société en raison de ses origines, de sa culture, de sa religion… Malgré les politiques sociales et le travail des élus, les quartiers n’ont pas de ressources institutionnelles et politiques propres.</p>
<p>Alors que les <a href="http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uoh/paris-banlieues/u4/co/-module_1.html">banlieues rouges</a> étaient fortement encadrées par les partis, les syndicats et les mouvements d’éducation populaires, les quartiers n’ont guère de porte-voix. En tous cas, pas de porte-voix dans lesquels ils se reconnaissent : les travailleurs sociaux et les enseignants sont pleins de bonne volonté, mais ils ne vivent plus depuis longtemps dans les quartiers où ils travaillent.</p>
<p>Cette coupure fonctionne dans les deux sens et l’émeute révèle que les élus et les associations n’ont pas de véritables relais dans les quartiers dont les habitants se sentent ignorés et abandonnés. Les appels au calme sont sans échos. Le clivage n’est seulement social, il est aussi politique. </p>
<h2>Un constant face-à-face</h2>
<p>Dans ce contexte, se construit un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/nanterre-on-assiste-depuis-une-trentaine-d-annees-a-ce-face-a-face-entre-la-police-et-une-ultra-minorite-de-jeunes-qui-abiment-nos-quartiers-deplore-mokrane-kessi-france-des-banlieues_VN-202306290630.html">face à face entre les jeunes et les policiers</a>. Les uns et les autres fonctionnent comme des « bandes » avec leurs haines et leurs territoires.</p>
<p>L’État est réduit à la violence légale et les jeunes à leur délinquance réelle ou potentielle. La police est jugée « mécaniquement » raciste puisque tout jeune est a priori suspect. Les jeunes haïssent la police, ce qui « justifie » le racisme des policiers et la violence des jeunes. Les habitants voudraient plus de policiers afin d’assurer un peu d’ordre, tout en étant solidaires de leurs enfants.</p>
<p>Cette « guerre » se joue habituellement à niveau bas, mais quand un jeune est tué, tout explose et c’est reparti pour un tour, jusqu’à la prochaine révolte qui nous surprendra autant que les précédentes.</p>
<p>Il y a cependant quelque chose de nouveau dans cette répétition tragique. C’est d’abord la montée de l’extrême droite, pas seulement à l’extrême droite, avec un récit parfaitement raciste des révoltes de banlieue qui s’installe, qui parle d’ensauvagement et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/jordan-bardella-si-monsieur-darmanin-veut-lutter-contre-l-islamisme-alors-il-faut-maitriser-l-immigration_VN-202306280290.html">d’immigration</a>, et dont on peut craindre qu’il finisse par triompher dans les urnes.</p>
<p>La seconde nouveauté est la paralysie politique et intellectuelle de la gauche qui dénonce les injustices, qui, parfois, soutient les émeutes, mais qui ne semble pas avoir de solution politique à l’exception d’une réforme nécessaire de la police.</p>
<p>Tant que le processus de ghettoïsation se poursuivra, tant que le face-à-face des jeunes et de la police sera la règle, on voit mal comment la prochaine bavure et la prochaine émeute ne seraient pas déjà là.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des efforts pour améliorer les logements ont été réalisés dans les quartiers populaires, la mixité sociale et culturelle s'est dégradée. Reste un face à face entre les jeunes et la police.François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1991172023-02-14T20:32:50Z2023-02-14T20:32:50ZPourquoi les « jeunes de cité » défient les institutions<p>La mort de Nahel.M, 17 ans, abattu par un tir policier lors d'un contrôle de véichule à Nanterre mardi 27 juin au matin a déclenché une série d'émeutes dans plusieurs communes populaires en Ile-de-France et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/live/2023/06/29/mort-de-nahel-a-nanterre-nuit-d-emeutes-et-de-destructions-dans-les-grandes-villes-de-france_6179556_3224.html">une vague d'indignation</a> dans le pays. Les destructions et dégradations ont conduit le chef de l'Etat jeudi 29 à dénoncer <a href="https://www.lemonde.fr/societe/live/2023/06/29/mort-de-nahel-a-nanterre-nuit-d-emeutes-et-de-destructions-dans-les-grandes-villes-de-france_6179556_3224.html">« des scènes de violences » contre « les institutions et la République » qui sont « injustifiables »</a>.</p>
<p>Pourquoi tout casser, tout détruire ? Les histoires de bandes ou de violences dans les quartiers populaires, notamment lors d'événements déclencheurs (interpellations, blessures ou comme ici, un décès après une intervention policière) défrayent régulièrement la chronique.</p>
<p>Si les parcours sociaux des individus sont plus hétérogènes qu’il n’y paraît, comme je le montre sur <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2008-4-page-711.htm">mon terrain</a> mais aussi comme le font de nombreux travaux universitaires dont ceux de la sociologue <a href="https://journals.openedition.org/lectures/567">Emmanuelle Santelli</a>, il existe également des déterminismes sociaux mais aussi ethno-raciaux qui scellent la plupart des destins des jeunes des quartiers populaires urbains qui les conduisent, certes en fonction des trajectoires spécifiques, à des confrontations avec les institutions d’encadrement comme la police, l’école ou le travail social.</p>
<p>Nous sommes donc en droit de nous demander si ces différentes manifestations de violence et d’agressivité véhiculées par certains jeunes adultes ne sont-elles pas en quelque sorte l’expression de formes politiques par le bas ? Une forme de résistance <a href="https://theconversation.com/lart-de-la-resistance-entretien-avec-james-c-scott-98748">infra-politique</a> qui prend la forme d’incivilités, que l’anthropologue James C. Scott appelle le <a href="https://journals.openedition.org/etudesrurales/9330">« texte caché »</a>.</p>
<p>Cette question nous paraît désormais centrale dans la mesure où les revendications politiques et sociales de la majorité des habitants des quartiers populaires et notamment des différentes générations de jeunes n’ont jamais été véritablement prises en compte par les institutions.</p>
<h2>L’exemple des révoltes urbaines récurrentes depuis les années 80</h2>
<p>L’un des moments marquants illustrant cette hypothèse est l’épisode des « émeutes de 2005 ». Les médias avaient ainsi relayé leur incompréhension, indignation et condamnation morale face aux incendies de nombreuses écoles primaires. Or comme <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2006-4-page-431.htm">l’explique</a> le sociologue Didier Lapeyronnie, le fait d’incendier les écoles – parfois occupées par les petites sœurs ou petits frères – ne peut être appréhendé comme un geste de violence « gratuite », mais plutôt comme un sentiment de revanche contre une institution, l’école, perçue comme humiliante et excluante.</p>
<p>Cette forme d’ostracisme n’est pas sans conséquence pour ces jeunes dans la mesure où la sélection sociale cautionnée par l’institution scolaire a condamné définitivement leur avenir notamment pour celles et ceux qui en sortiront sans diplôme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tEudvA-8P9M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">INA, Emeutes, 2005, Villers le Bel.</span></figcaption>
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<p>L’action de brûler les écoles constitue pour ces jeunes le moyen d’occasionner un mouvement de rébellion, écrit Lapeyronnie, bien que dépourvus d’idéologie et de règle, mais visant à provoquer une « réaction » ou des « réformes » de la part de ces mêmes institutions.</p>
<h2>Se faire entendre par des institutions qui ne vous écoutent plus</h2>
<p>Il s’agit également de se faire entendre par des institutions qui ne vous écoutent plus et de stopper momentanément un « système » qui tourne sans vous et se passe de votre existence depuis des années comme l’affirme Didier Lapeyronnie un peu plus loin :</p>
<blockquote>
<p>« L’émeute est une sorte de court-circuit : elle permet en un instant de franchir les obstacles, de devenir un acteur reconnu, même de façon négative, éphémère et illusoire et d’obtenir des « gains » sans pour autant pouvoir contrôler et encore moins négocier ni la reconnaissance ni les bénéfices éventuels. »</p>
</blockquote>
<p>Les formes de provocations et autres « incivilités » véhiculées par certains jeunes des « quartiers » envers les enseignants pourrait être appréhendée comme une réponse quotidienne au rôle central de l’école comme moyen verdict social pour l’avenir des jeunes.</p>
<h2>Affrontements permanents avec la police</h2>
<p>Sur <a href="https://www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2005_num_39_1_2250">nos terrains d’enquête</a>, nous avons aussi constaté des attitudes quelque peu ambiguës de la part d’agents de police dans l’espace public à l’égard de jeunes et parfois même de moins jeunes.</p>
<p>Par exemple, tel dimanche, en début d’après-midi, lorsque cinq jeunes adultes âgés de trente à trente-cinq ans, qui sont pour la plupart mariés et ont une situation professionnelle plus ou moins stable, se retrouvent dans la cité comme à l’accoutumée, avant d’aller voir jouer l’équipe municipale de football plus tard. Survient alors une 106 blanche « banalisée », avec à son bord des inspecteurs qui regardent de façon soupçonneuse les jeunes adultes en pleine conversation ; l’un des policiers baisse la vitre de la voiture et lance de manière impromptue : « Alors, les petits pédés, ça va ? ! » La réaction des jeunes adultes et des trentenaires présents se mêle de rires et d’incompréhensions face à une interpellation insultante et gratuite mais qui traduit aussi un ordinaire.</p>
<p>Cet ordinaire reflète une forme de négligence vis-à-vis de ces « quartiers populaires » où <a href="https://www.cairn.info/bavures-policieres--270713502X.html">l’exception</a> en matière de régulation policière, mais aussi en termes de politique de la ville, du logement, de marché du travail…</p>
<h2>La recherche de la confrontation avec la police</h2>
<p>Il est également vrai que certains jeunes ne sont pas en reste avec les forces de police. L’historique et l’expérience sociale ont fait que certains jeunes récemment n’hésitent pas non plus à provoquer ou à narguer la police. Si certains trafiquants sont parfois dangereux en raison des enjeux économiques inhérents aux trafics, d’autres jeunes ayant intériorisé les pratiques agonistiques de rue perçoivent la police <a href="https://journals.openedition.org/sejed/5142">comme un ennemi</a>.</p>
<p>Il existe donc des représailles de la part des jeunes : au bout de plus de 30 ans de confrontations, une <a href="https://journals.openedition.org/lectures/11786">sorte de cercle vicieux</a> s’est ainsi instauré entre certains jeunes et certains policiers.</p>
<p>Pour autant si la prise de recul est nécessaire pour appréhender la nature de ces rapports de force – qui tourne le plus souvent à l’avantage des policiers à moyen terme – nous observons que les tensions étudiées qui ont cours dans les quartiers populaires sont liées à un <a href="https://journals.openedition.org/sejed/8266">quadrillage policier spécifique</a> à l’encontre de ses jeunes perçus comme indésirables qui est sans commune mesure entre la police et les autres groupes sociaux (hormis les groupes extrêmes et récemment les « gilets jaunes »).</p>
<h2>Du côté du bras gauche de l’État</h2>
<p>Du côté des politiques sociales, on a constaté une suspicion générale des jeunes envers les formes d’accompagnement proposés par le <a href="http://www.passant-ordinaire.org/auteurs/auteur_222.asp">travail social</a> par exemple.</p>
<p>En effet, contrairement aux discours médiatiques, beaucoup de jeunes adultes en grande difficulté préfèrent le plus souvent contourner les institutions et fuir les conflits notamment avec les forces de l’ordre et les institutions en général car leur survie sociale et/ou physique en dépend.</p>
<p>Les questions relatives à l’illégalité, à la déviance, au mensonge se situent aux confins de la débrouillardise et du « système D » et constituent un moyen de défense et de survie pour les classes populaires en grande difficulté.</p>
<p>Mais lorsque ces stratégies de survie entre des économies parallèles ne peuvent plus s’opérer en raison de conjonctures économiques défavorables ou d’institutions trop répressives dans les quartiers populaires urbains, le « système D » s’efface au profit des résistances, de révoltes ou des formes d’agressivité à l’égard d’agents de l’État appréhendés comme opposés aux possibilités de s’en sortir des personnes rencontrées sur le terrain.</p>
<h2>Une situation de tensions permanentes</h2>
<p>Depuis les années 1970, une fraction des classes populaires urbaines se retrouve de plus en plus confrontée aux forces de police en période pourtant stable du point de vue politique. Si auparavant des conflits éclataient entre paysans et agents royaux durant l’Ancien Régime, et à partir du milieu du XIX<sup>e</sup> siècle entre ouvriers et la police, c’était le plus souvent en périodes de troubles sociaux ou politiques conséquence d’émeutes à répétition.</p>
<p>Même constat au sujet de la naissance du mouvement ouvrier à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle – période de déstabilisation pour les classes populaires assujetties aux travaux rugueux et normatifs du monde industriel naissant – où les résistances et parfois les révoltes <a href="https://www.lechappee.org/collections/dans-le-feu-de-l-action/le-gout-de-lemeute">se développent à l’encontre des pouvoirs</a>.</p>
<p>Au sujet des quartiers populaires urbains, la question semble quelque peu différente, car même en période d’« accalmie » ou stable, la police paraît toujours présente pour contrôler les jeunes, et ce quelles que soient leurs activités.</p>
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<p><em>L’auteur a récemment publié <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/repolitiser-les-quartiers-populaires/">« Les quartiers (im)populaires ne sont pas des déserts politiques Incivilités ou politisation des colères par le bas »</a>, aux Éditions du Bord de l’Eau.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199117/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Marliere ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les comportements qualifiés d’agressifs ou les incivilités observées dans les quartiers populaires manifestent aussi des formes de résistance politique face aux différentes formes de pouvoir.Eric Marliere, Professeur de sociologie à l'université de Lille, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1967912023-02-06T18:09:52Z2023-02-06T18:09:52Z« Territoires perdus de la République » : vingt ans après, un best-seller sur l’école à interroger<p>Paru en septembre 2002, l’ouvrage collectif intitulé <a href="https://www.sa-autrement.com/livre/9782842058241-les-territoires-perdus-de-la-republique-antisemitisme-racisme-et-sexisme-en-milieu-scolaire-emmanuel-brenner/"><em>Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire</em></a>, a eu une diffusion unique pour un livre de témoignages d’enseignants de quartiers urbains populaires. Écrit par une dizaine de professionnels de l’Éducation nationale (surtout des professeurs du second degré), il a été réédité dès 2004, puis en 2015, avant de servir de base à un documentaire, diffusé le 22 octobre 2015 sur France 3, <a href="https://www.france.tv/documentaires/societe/1063121-profs-en-territoires-perdus-de-la-republique.html">« Profs en territoires perdus de la République »</a>.</p>
<p>Loin de se limiter à un succès de librairie déjà exceptionnel, ce livre a ravivé la polémique sur les politiques publiques vis-à-vis des écoles et quartiers de « banlieue ». Il a contribué à influencer au moins sémantiquement les discours politiques – ainsi l’annonce du 8 février 2018 sur la désignation de « Quartiers de reconquête républicaine » pour les forces de l’ordre.</p>
<p>Comment cet essai, rédigé « dans l’urgence au printemps 2002 » selon ses propres termes, a-t-il pu connaître un tel écho médiatique et politique ? Si <em>Les Territoires perdus de la République</em> ont parfois été évoqués dans des travaux de sciences humaines et sociales, ils n’ont, sous réserve d’inventaire, jamais été un objet d’études en tant quel tel.</p>
<p>Avec le vingtième anniversaire de sa date de sa parution, il semble être temps d’apporter un regard distancié sur la manière dont les idées contenues dans cet ouvrage ont pu susciter de nouvelles adhésions de principe.</p>
<h2>Les caractéristiques d’un projet inédit</h2>
<p>Dès la fin des années 1970, la conjonction de la crise économique, de la désindustrialisation et de la fuite des classes moyennes hors des grands ensembles a des effets puissants sur les quartiers populaires urbains. Leurs établissements scolaires s’en ressentent rapidement. Dès 1979, un rapport de l’inspection générale sur une quarantaine de collèges situés dans les grands ensembles pointe l’existence de « ghettos » scolaires, minés par les violences et les difficultés scolaires.</p>
<p>Cette perception d’une école de quartier populaire à part a des conséquences concrètes en termes de catégorisation politico-administrative. En 1992, le ministre Jack Lang crée le label d’établissements difficiles, limité aux cinq académies de Créteil, Versailles, Lille, Lille, Lyon et Marseille. L’année suivante, François Bayrou modifie l’appellation et parle des <a href="http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/?q=educprio">établissements sensibles</a>, élargis à toute la France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hausse-des-atteintes-a-la-la-cite-des-chiffres-qui-interrogent-194569">Hausse des atteintes à la laïcité : des chiffres qui interrogent</a>
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<p><em>Les Territoires perdus de la République</em> s’inscrivent dans cette catégorisation des écoles de quartiers populaires urbains. Certes, d’autres ouvrages (ainsi celui Mara Goyet, <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/colleges-de-france-9782213614618"><em>Collèges de France</em></a>, paru la même année) existaient déjà sur le sujet. Cependant, ce livre collectif, on le verra, est spécifique tant dans sa démarche que dans son objet.</p>
<p>L’analyse des trois éditions de l’ouvrage (2002, 2004 et 2015) offre en effet un portrait de groupe aux caractéristiques marquées. L’édition de 2002 comprend neuf auteur·e·s et un collectif d’enseignant·e·s du lycée Bergson. Celle de 2004 ajoute à ceux-ci six autres auteur·e·s et une association, intitulée PEREC (Pour une école républicaine et citoyenne), fondée par plusieurs auteur·e·s.</p>
<p>Sur le total de 15 contributeurs individuels et de 2 collectifs, seuls deux auteurs ne sont pas enseignants (une cheffe d’établissement, un parent d’élève). La grande majorité (14) se situe dans les quartiers populaires de la région francilienne, trois restantes se trouvant à Marseille et dans l’agglomération lyonnaise. Une seule contributrice est issue du premier degré. Les autres sont exclusivement des enseignantes et des enseignants de matières littéraires ou d’histoire-géographie du second degré, surtout en collège.</p>
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<p>Le portrait de groupe révèle donc des biais principaux par rapport à la morphologie des métiers éducatifs. Le premier consiste en une sous-représentation des non-enseignants, du premier degré, des matières scientifiques. Le second est celui d’une surreprésentation d’enseignants relativement jeunes dans la carrière en 2002, travaillant dans des établissements prioritaires ou sensibles de la région parisienne. L’ouvrage exprime donc l’expérience d’enseignants de collèges dégradés de quartiers populaires, confirmant sur le terrain en quelque sorte la catégorisation croissante des « écoles de banlieue » depuis la fin des années 1970.</p>
<p>Le troisième point relève des thématiques abordées dans les contributions de l’ouvrage. Le tableau suivant propose de reprendre les sujets abordés dans chacune d’entre elles, afin de quantifier l’intérêt pour ceux-ci.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502676/original/file-20221227-61491-g1wgph.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>De manière très nette, l’antisémitisme, les élèves maghrébins et le conflit israélo-palestinien constituent les trois thèmes les plus récurrents dans les contributions. Au contraire, les thématiques strictement scolaires (ainsi les difficultés et violences à l’école), certes présentes, sont moins fréquemment évoquées. L’orientation de l’ouvrage est donc explicite : la dénonciation d’un antisémitisme présent chez les élèves maghrébins, et/ou de culture musulmane, ravivé par la « seconde intifada » depuis 2000.</p>
<p>Une telle construction ouvrait une potentielle mobilisation du livre sur des thématiques allant bien au-delà de la seule école (surtout dans un contexte indéniable de flambée d’actes antisémites au début des années 2000), même si sa parution s’inscrivait précisément dans un discours croissant sur la « crise » de l’institution scolaire.</p>
<h2>Un discours de « crise de l’école »</h2>
<p>Ces perceptions territorialisées de l’échec scolaire sont toutefois à replacer dans une conception plus large de la faillite de cette institution, plus particulièrement dans les quartiers populaires. Un discours de « crise de l’école », par ailleurs multiforme, s’est en effet imposé comme une évidence dans la lecture des phénomènes scolaires au cours des dernières décennies.</p>
<p>Certes, ce discours n’est pas le seul existant sur le système éducatif, d’autres analyses moins tranchées étant faites sur les enjeux et les défis qui se posent à celui-ci, <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1988_num_85_1_2447_t1_0079_0000_2">« les défis de l’an 2000 »</a>. Cependant, les « Territoires perdus » viennent alimenter les positions qui dénoncent l’avènement de <a href="https://editions.flammarion.com/1990-2000-la-decennie-des-mal-appris/9782080664723">« La décennie des mal-appris »</a>, conséquence de la déroute des programmes et d’un <a href="https://www.mediatheques-grandpoitiers.fr/detailstatic.aspx?RSC_BASE=SYRACUSE&RSC_DOCID=799003&TITLE=le-chaos-pedagogique-enquete-sur-l-enseignement-des-colleges-et-des-lycees-de-la-republique-philippe">« chaos pédagogique »</a> qui en résulterait. Ce discours est particulièrement présent chez les enseignantes et enseignants du second degré, qui depuis les années 1980, ont été en première ligne de la démocratisation scolaire. Entre 1983 et aujourd’hui, le taux d’accès au baccalauréat d’une génération est passé de 28 % à presque 83 %, entraînant des mutations inédites dans les collèges et les lycées.</p>
<p>Il n’est, dès lors, pas étonnant qu’une partie des professeurs du second degré aillent jusqu’à dénoncer la dérive techniciste des conceptions éducatives fondées sur une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1995_num_110_1_2534_t1_0117_0000_2">« pédagogie du vide »</a>. Ils rejoignent l’invitation que lançait <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/lettre-ouverte-a-tous-les-parents-qui-refusent-le-massacre-de-l-enseignement-9782402171267_9782402171267_1.html">Dominique de la Martinière</a> en 1984, dans sa <em>Lettre ouverte à tous les parents qui refusent le massacre de l’enseignement</em>, à combattre ces « idéologues sans mandat (qui) ont sacrifié l’avenir de nos enfants et de notre pays à leurs chimères ».</p>
<p>Que l’école fasse polémique sur sa capacité à doter les élèves d’un bagage culturel minimum commun n’est pas surprenant tant les attentes sont fortes à son endroit. Sa faillite, qui serait révélatrice d’un État qui n’est plus en mesure de former les jeunes générations aux défis de demain, n’est pas non plus très originale chez celles et ceux qui, nostalgiques d’une école de classe, y dénoncent l’impuissance des pouvoirs publics à résoudre les problèmes scolaires.</p>
<p>Les « Territoires perdus » adoptent un point de vue différent de la critique conservatrice contre l’école de masse, <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/716251-l-extreme-droite-l-ecole-et-la-republique-peti--jean-michel-barreau-syllepse">que portaient les extrêmes droites françaises</a> depuis les réformes scolaires de la III<sup>e</sup> République. Les auteurs sont d’ailleurs explicites sur ce point : selon leurs propres mots, dans l’édition de 2002, « Les territoires perdus de la République ne s’identifient pas à ces nouvelles zones de relégation sociale que sont les banlieues, ils n’épousent pas la vieille équation apeurée de la bourgeoisie (« classes laborieuses, classes dangereuses »), ils ne constituent pas le énième avatar du discours conservateur ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-trajectoires-scolaires-des-jeunes-des-quartiers-populaires-entre-parcours-dobstacles-et-aspirations-a-la-reussite-192042">Les trajectoires scolaires des jeunes des quartiers populaires, entre parcours d’obstacles et aspirations à la réussite</a>
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<p>Ce qui interroge en effet, selon nous, au-delà de la permanence des critiques adressées à l’institution scolaire dans cet ouvrage collectif, c’est le renouvellement des motifs autour desquels le constat est dressé à partir du début des années 2000. Les auteurs de celui-ci se retrouvent confrontés à des situations dont la difficulté s’accroît lorsqu’ils font face à cette <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-enseignement-mis-a-mort-9782290308028.html">« sidérante solitude »</a> de l’enseignant devant des élèves qui lui discutent sa légitimité professionnelle.</p>
<h2>La question de l’autorité enseignante</h2>
<p>La « crise de l’enseignement » ne viendrait donc pas des effets de sa massification mais d’un long processus de destitution de la fonction enseignante décrite dans les « Territoires perdus de la République », ouvrage qui, de manière révélatrice, aborde assez peu les autres métiers éducatifs comme les CPE, les personnels d’orientation ou administratifs. Restaurer <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-enseignement-mis-a-mort-9782290308028.html">l’autorité de l’institution scolaire</a> pour que « les professeurs puissent redevenir des professeurs, et les élèves des élèves » traduit bien l’attente de ces enseignants qui se sont engagés dans ce métier et se retrouvent, le plus souvent en début de carrière, dans les écoles les plus dégradées et difficiles des quartiers populaires.</p>
<p>Les grands ensembles et ses habitants se retrouvent stigmatisés comme les responsables de la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-des-enseignants--9782130567059.htm">« souffrance enseignante »</a>, devenue depuis les années 2000 un enjeu croissant des analyses consacrées à ce métier. De difficiles, les conditions d’exercice du métier d’enseignant sont présentées à partir de ce cette décennie comme « impossibles ». La dégradation de l’image des banlieues, à laquelle se surajoutent les craintes vis-à-vis de l’islam politique après le 11 septembre 2001, alimentent la phobie des jeunes enseignants de s’y retrouver affectés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-parole-des-professeurs-fait-elle-encore-autorite-149023">La parole des professeurs fait-elle encore autorité ?</a>
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<p>Bien plus complexe qu’il n’y paraît, cette brève explication des attentes déçues d’une partie du corps enseignant nécessite d’être analysée. Plusieurs auteurs se sont essayés à des réflexions plus poussées pour faire « réussir l’école » à commencer par <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2001_num_135_1_2816_t1_0228_0000_1">Philippe Joutard et Claude Thélot</a> qui, en 1999, montraient combien le bilan de l’état du système éducatif était contrasté et que, si « tout est dans l’exécution », les acteurs doivent être aidés et soutenus localement.</p>
<p>Dernière explication possible, mobilisée par Laurence Cornu, Jean-Claude de Pompougnac et de Joël Roman, le début des années 1990 devait marquer la <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/le-barbare-et-lecolier-9782702118566/">fin des utopies scolaires</a> en limitant les missions confiées à l’école : « Demandons-lui moins, elle s’en acquittera mieux. Libérée des utopies scolaires comme des utopies politiques, elle doit aller à son rythme propre ». Plaidées pour combattre <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-hypocrisie-scolaire-pour-un-college-enfin-democratique-francois-dubet/9782020403931">« l’hypocrisie scolaire »</a>, ces trois propositions entendent favoriser la rencontre entre les difficultés de la réalité du terrain et l’adaptation nécessaire afin d’être en mesure de les dépasser collectivement. C’est d’ailleurs une exigence qui court le long des « Territoires perdus de la République », qui demande un recentrement de l’institution scolaire sur une stricte mission d’apprentissage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196791/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis sa parution en 2002, cet ouvrage collectif a beaucoup influencé la perception des écoles de banlieue. Il convient de prendre du recul par rapport à cet écho médiatique.Ismail Ferhat, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLaurent Gutierrez, Professeur des Universités en Sciences de l’éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820882022-05-05T19:02:25Z2022-05-05T19:02:25ZLes podcasts « Jeunes de quartier » : leur quotidien raconté par eux-mêmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/461545/original/file-20220505-1367-y6s8h0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1595%2C1164&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des jeunes habitants de Saint-Denis (93) qui ont participé à la recherche participative Pop-Art.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Banlieues, quartiers, cités. En France ces mots ont trop souvent une connotation négative. Ce que l’État français nomme depuis 2018 les quartiers prioritaires de la politique de la ville regroupe 5,4 millions d’habitants dont 40 % ont moins de 25 ans. Mais qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? Des jeunes et des chercheurs membres de la <a href="https://jeunesdequartier.fr/">recherche participative Pop-Part</a>, conduite dans dix villes ou quartiers de l’Île-de-France, et portée notamment par l’Université Paris Nanterre, parlent de leur vécu au micro de Cléa Chakraverty et Nils Buchsbaum.</em></p>
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<img alt="Capture d’écran du film documentaire « Admire ma peau noire » (2021)" src="https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=371&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=371&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461532/original/file-20220505-22-oi1qal.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=371&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du film documentaire « Admire ma peau noire » (2021), réalisé par Hachimia Ibouroi dans le cadre de Pop-Part.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2><a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-regarde-moi-178674">« Regarde-moi »</a></h2>
<p>Le regard médiatique porté sur les quartiers populaires enchaîne les clichés. De la beurette des années 80 à la femme voilée puis aux jeunes à capuches ou aux bandes violentes, les représentations sont souvent biaisées si ce n’est parfois ouvertement racistes. Pourtant de nombreuses voix émergent, notamment aujourd’hui pour se réapproprier l’image de ces quartiers.</p>
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<img alt="Capture d’écran du court-métrage « La Fontaine » réalisé dans le cadre de Pop-Part et tourné à Pantin" src="https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461534/original/file-20220505-22-4n8mua.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du court-métrage « La Fontaine » réalisé dans le cadre de Pop-Part et tourné à Pantin.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2><a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-ou-tout-le-monde-se-croise-179794">« Là où tout le monde se croise »</a></h2>
<p>Comme beaucoup de communes limitrophes de Paris, Pantin connaît des transformations urbaines de grande ampleur. De nouveaux immeubles de bureaux et d’habitations sortent de terre, de nouveaux cafés ouvrent, de grandes entreprises y établissent leur siège social, des friches industrielles sont utilisées par des théâtres, la jeunesse parisienne vient y faire la fête. Mais certains habitants s’interrogent : pourront-ils continuer à vivre dans le lieu où ils ont grandi ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461535/original/file-20220505-21-cwjpk5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Maraudes avec les jeunes de quartiers dans le les Hauts-de-Seine (92).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pop Part/Jeunes de Quartier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2><a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">« La politique elle se fait à côté »</a></h2>
<p>Les jeunes des quartiers populaires s’engagent de multiples façons. À l’échelle locale comme à l’échelle internationale. Sur des enjeux de solidarité, d’accueil de justice. S’ils expriment un éloignement vis-à-vis de la politique institutionnelle, cela ne les empêche pas de prendre la parole, y compris en se présentant aux élections locales ?</p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799">« 2005 ça a marqué l’histoire »</a></h2>
<p>En 2005, Nawufal Mohammed était adolescent lorsque sont survenues les révoltes en réaction à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois et qui ont gagnent rapidement l’ensemble du pays. Rapports avec la police, avec la politique, avec les instituions : les choses ont-elles changé depuis ?</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/624d448e811d6d00129502ad" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461536/original/file-20220505-19-g51din.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du court-métrage « La frontière » réalisé dans le cadre de la recherche participative Pop-Part (2021).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2><a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-jai-toujours-fait-attention-179804">« J’ai toujours fait attention »</a></h2>
<p>La vie au quartier est aussi faite de vie ordinaire, de microrésistances, de stratégies permettant, lorsque l’on est une femme en particulier, de ne pas rester enfermé dans les clichés.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/625683e456bf0f001460528c" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<img alt="Capture d’écran du court-métrage « A l’ouest » issu du projet Pop-Part" src="https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461537/original/file-20220505-19-kqevjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du court-métrage « A l’ouest » issu du projet Pop-Part.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2><a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-etre-un-grand-cest-etre-une-reference-les-jeunes-choisissent-les-leurs-179807">« Être un grand c’est être une référence, les jeunes choisissent les leurs »</a></h2>
<p>Dans les quartiers populaires, les notions de « petits » et de « grands » revêtent un sens particulier. La figure du grand est polysémique. Il est à la fois un modèle, un protecteur, un garant de l’histoire du quartier, mais aussi un supérieur auquel les petits doivent le respect voire l’obéissance. Dans le pire des cas, le grand peut même jouer un rôle négatif et orienter les plus jeunes vers la violence ou la drogue. Entre petits et grands c’est le concept de transmission qui est central.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/6266568f633a350015383565" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<strong>Générique :</strong><br></p>
<h2>● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kxh4S2A8Q4U">« Broke for free »</a>, Something Elated, 2011.<br></h2>
<p><em>Crédits, Conception et Animation Cléa Chakraverty & Nils Buchsbaum, Réalisation Romain Pollet, Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? La recherche participative Pop-Part, conduite dans dix villes ou quartiers de l’Île-de-France, s’est associée à 120 jeunes pour se saisir du sujet.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceNils Buchsbaum, Journaliste éditeur rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798072022-04-28T21:21:39Z2022-04-28T21:21:39Z« Jeunes de quartier » : « Être un grand c’est être une référence, les jeunes choisissent les leurs »<p><em>Dans cette nouvelle série d'été nous rediffusons les 6 épisodes du podcast Jeunes de quartier. Des jeunes issus de différents quartiers populaires franciliens s'expriment sur leur quotidien, leur place dans la société française et leurs espoirs.</em></p>
<p><em>Après un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-regarde-moi-178674">premier épisode</a> consacré à la destitution des clichés sur les jeunes de quartier, un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-ou-tout-le-monde-se-croise-179794">second</a> sur les changements qui s'opèrent depuis plusieurs années dans la ville de Pantin, un autre sur les <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">formes d'engagement</a>, un quatrième épisode avec un habitant de Clichy-sous-Bois, sur les <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799">émeutes de 2005</a>, puis un autre sur les <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-jai-toujours-fait-attention-179804">micro-resistances</a> utilisées par les femmes dans les quartiers, nous clôturons cette série en explorant la transmission qui s'effectue entre différentes générations au sein d'un quartier.</em></p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/6266568f633a350015383565" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
</strong>
</em>
</p>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><em>Banlieues, quartiers, cités. En France, ces mots ont trop souvent une connotation négative. Ce que l’État français nomme depuis 2018 les <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/quartiers-de-la-politique-de-la-ville">quartiers prioritaires de la politique de la ville</a> regroupe 5,4 millions d’habitants dont 40 % ont moins de 25 ans. Mais qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? La <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part">recherche participative Pop-Part</a>, conduite dans <a href="https://jeunesdequartier.fr/quartiers">dix villes ou quartiers</a> de l’Île-de-France, et portée notamment par l’Université Paris Nanterre, s’est associée à 120 jeunes pour se saisir du sujet.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459421/original/file-20220425-16-lsjest.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran du court-métrage « Engrenages », réalisé dans le cadre de la recherche participative « Pop-part » (2021).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pop-part</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les quartiers populaires, les notions de « petits » et de « grands » revêtent un sens particulier. La figure du grand est polysémique. Il est à la fois un modèle, un protecteur, un garant de l’histoire du quartier, mais aussi un supérieur auquel les petits doivent le respect voire l’obéissance. Dans le pire des cas le grand peut même jouer un rôle négatif et orienter les plus jeunes vers la violence ou la drogue. Entre petits et grands c’est le concept de transmission qui est central.</p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>À 29 ans, Lassana Traoré est un grand. Il est éducateur dans sa ville de Corbeil-Essonnes. Mamadou Diallo quant à lui a 49 ans, il a pris conscience du changement de son statut dans sa vingtaine lorsqu’il a commencé à s’engager en créant une association à Nanterre, où il vit. En plus de leur engagement, Mamadou et Lassana partagent le fait d’avoir pris part au projet Pop-part encadré notamment par Fanny Salane, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation à l’université Paris-Nanterre. </p>
<p><strong>Extraits</strong><br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kxh4S2A8Q4U">« Broke for free »</a>, Something Elated, 2011.<br>
● <a href="https://youtu.be/fH_Fkgk6PJU"><em>“Je leur ai tiré dessus pour venger la mort de mon frère.”</em></a>, Street press, 2018.<br></p>
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<p><em>Crédits, Conception et Animation Nils Buchsbaum, Réalisation Romain Pollet, Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fanny Salane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein des quartiers populaires les notions de « « petit », de « grand » ou encore « d'ancien » portent un sens bien particulier.Fanny Salane, Maîtresse de conférence, chercheuse en Science de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798112022-04-21T18:05:59Z2022-04-21T18:05:59Z« Jeunes de quartier » : « La politique elle se fait à côté »<p><em>Dans cette nouvelle série d'été nous rediffusons les 6 épisodes du podcast Jeunes de quartier. Des jeunes issus de différents quartiers populaires franciliens s'expriment sur leur quotidien, leur place dans la société française et leurs espoirs.</em></p>
<p><em>Après un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-regarde-moi-178674">premier épisode</a> consacré à la destitution des clichés sur les jeunes de quartier, un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-ou-tout-le-monde-se-croise-179794">second</a> sur les changements qui s'opèrent depuis plusieurs années dans la ville de Pantin, ce nouvel épisode se penche sur les multiples formes d'engagement des jeunes de quartiers.</em></p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/62611096201c9e001404b4de" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><em>Banlieues, quartiers, cités. En France, ces mots ont trop souvent une connotation négative. Ce que l’État français nomme depuis 2018 les <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/quartiers-de-la-politique-de-la-ville">quartiers prioritaires de la politique de la ville</a> regroupe 5,4 millions d’habitants dont 40 % ont moins de 25 ans. Mais qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? La <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part">recherche participative Pop-Part</a>, conduite dans <a href="https://jeunesdequartier.fr/quartiers">dix villes ou quartiers</a> de l’Île-de-France, et portée notamment par l’Université Paris Nanterre, s’est associée à 120 jeunes pour se saisir du sujet.</em></p>
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<p>Les jeunes des quartiers populaires s’engagent de multiples façons. À l’échelle locale comme à l’échelle internationale. Sur des enjeux de solidarité, d’accueil de justice. S’ils expriment un éloignement vis-à-vis de la politique institutionnelle, cela ne les empêche pas de prendre la parole, y compris en se présentant aux élections locales ?</p>
<p>Pour parler de la question de l’engagement et de la solidarité, nous recevons <strong>Marie-Hélène Bacqué</strong> chercheuse à l’université Paris-Nanterre, sociologue et coordinatrice du projet Pop-Part auquel ont participé <strong>Thibaut Noël</strong> et <strong>Djieneba Konte</strong>.</p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>Thibaut a 26 ans. Originaire de Pantin, militant politique, il a notamment participé au mouvement des « gilets jaunes » et a participé à la création d’un collectif pour venir en aide aux réfugiés. Djienaba a 20 ans. En deuxième année de droit à l’université de Nanterre, elle s’est présentée sur une liste citoyenne aux élections de sa ville, Aubervilliers et s’engage régulièrement auprès de lycéens avec son association, Parle, afin de les initier aux concours d’éloquence.</p>
<p>Loin de l’image d’une jeunesse désintéressée de la vie politique, les parcours de ces jeunes nous éclairent sur d’autres type d’engagements qui se font bien souvent en dehors des partis politiques.</p>
<p><strong>Extraits</strong><br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kxh4S2A8Q4U">« Broke for free »</a>, Something Elated, 2011.<br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iMe_gnXTYcg"><em>Covid-19 : la solidarité s’organise dans les quartiers nord de Marseille</em></a>, France 3 PACA, 2020.<br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rclIpDH2kYY"><em>Concours d’éloquence dans le 93 : la parole comme une arme</em></a>, France Inter, 2016.</p>
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<img alt="Courverture de « Jeunes de quartier », 2021" src="https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Jeunes de quartier », 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>La recherche Pop-Part a donné lieu à un ouvrage, <a href="https://jeunesdequartier.fr">« Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots »</a>, coordonné par Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin, paru chez C&F Éditions, ainsi qu’un site <a href="https://jeunesdequartier.fr/">Jeunesdequartier.fr</a>, des dizaines de vidéos, réalisées par les jeunes mais également une pièce de théâtre, mise en scène par le Kygel Théâtre à partir de textes de l’ouvrage, et un film sur le processus de la recherche, réalisé par Géraldine Kouzan.</em></p>
<p><em>Crédits : Conception et animation, Cléa Chakraverty. Réalisation : Romain Pollet. Chargé de production : Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179811/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Hélène Bacqué a reçu des financements pour cette recherche dans le cadre de l'ANR Pop-Part dont elle est responsable et coordinatrice (<a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part/">https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part/</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clea Chakraverty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre recul des services publics et défiance envers les politiques, les habitants de banlieues s’organisent en collectifs pour répondre à ces carences.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceMarie-Hélène Bacqué, Sociologue, urbaniste, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798042022-04-14T18:23:52Z2022-04-14T18:23:52Z« Jeunes de quartier » : « J’ai toujours fait attention »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/457385/original/file-20220411-25-ug5yzn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1353%2C759&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran du court-métrage "La frontière" réalisé dans le cadre de la recherche participative Pop-Part (2021)</span> <span class="attribution"><span class="source">Pop-Part</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans cette nouvelle série d'été nous rediffusons les 6 épisodes du podcast Jeunes de quartier. Des jeunes issus de différents quartiers populaires franciliens s'expriment sur leur quotidien, leur place dans la société française et leurs espoirs.</em></p>
<p><em>Après un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-regarde-moi-178674">premier épisode</a> consacré à la destitution des clichés sur les jeunes de quartier, un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-ou-tout-le-monde-se-croise-179794">second</a> sur les changements qui s'opèrent depuis plusieurs années dans la ville de Pantin, un autre sur les <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-la-politique-elle-se-fait-a-cote-179811">formes d'engagement</a>, puis, avec un habitant de Clichy-sous-Bois, sur les <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799">émeutes de 2005</a>, ce nouvel épisode s'intéresse aux micro-resistances et stratégies utilisées par les femmes dans les quartiers.</em></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Banlieues, quartiers, cités. En France, ces mots ont trop souvent une connotation négative. Ce que l’État français nomme depuis 2018 les <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/quartiers-de-la-politique-de-la-ville">quartiers prioritaires de la politique de la ville</a> regroupe 5,4 millions d’habitants dont 40 % ont moins de 25 ans. Mais qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? La <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part">recherche participative Pop-Part</a>, conduite dans <a href="https://jeunesdequartier.fr/quartiers">dix villes ou quartiers</a> de l’Île-de-France, et portée notamment par l’Université Paris Nanterre, s’est associée à 120 jeunes pour se saisir du sujet.</em></p>
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<p>Dans le film <em>Bande de filles</em> sorti en 2014, la réalisatrice, Céline Sciamma évoquait la violence sourde des quartiers dirigée contre les adolescentes mais aussi une violence qu'elles exerçaient comme seul moyen d'exister et de se confronter au monde. </p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>Mais la vie au quartier est aussi faite de vie ordinaire, de micro-résistances, de stratégies permettant, lorsque l'on est une femme en particulier, de ne pas rester enfermer dans les clichés. </p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457386/original/file-20220411-20-c66i2u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d'écran du court métrage</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pop-Part</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour déconstruire les stéréotypes, Louiza Aoufi, 21 ans, étudiante en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAP) revient sur son parcours et évoque comment le sport permet une forme d'émancipation. Habitante de Romainville, elle a grandi dans la ville d'Aubervilliers en Seine-Saint-Denis. C'est dans le cadre de la recherche Pop'Part qu'elle a rencontré la sociologue Christine Bellavoine, chercheuse associée au laboratoire LAVUE (Laboratoire architecture ville urbanisme environnement). </p>
<p><strong>Extraits</strong><br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kxh4S2A8Q4U">« Broke for free »</a>, Something Elated, 2011.<br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1f7EGBPIxtE"><em>Bande de filles</em></a>, C. Sciamma, 2014.<br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1f7EGBPIxtE"><em>Les Roses noires</em></a>, H. Milano, 2012.<br>
● <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tzc22HXRliQ"><em>Footeuses</em></a>, R. Doubiago et L. Saoucha, 2020. </p>
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<img alt="Courverture de « Jeunes de quartier », 2021." src="https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456826/original/file-20220407-14-o9b0te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Jeunes de quartier », 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<p><em>La recherche Pop-Part a donné lieu à un ouvrage, <a href="https://jeunesdequartier.fr">« Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots »</a>, coordonné par Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin, paru chez C&F Éditions, ainsi qu’un site <a href="https://jeunesdequartier.fr/">Jeunesdequartier.fr</a>, des dizaines de vidéos, réalisées par les jeunes mais également une pièce de théâtre, mise en scène par le Kygel Théâtre à partir de textes de l’ouvrage, et un film sur le processus de la recherche, réalisé par Géraldine Kouzan.</em></p>
<p><em>Crédits: Conception et animation, Cléa Chakraverty. Réalisation: Romain Pollet. Chargé de production: Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179804/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Bellavoine est salariée de la Mairie de Saint-Denis</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clea Chakraverty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment exister quand on est une jeune femme de quartier populaire? Les stratégies d"émancipation sont multiples pour échapper aux stéréotypes de genre.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceChristine Bellavoine, Sociologue, responsable du Secteur des études locales (SEL) de la mairie de Saint-Denis, chercheure associée au LAVUE/mosaïques, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797942022-03-31T18:02:24Z2022-03-31T18:02:24Z« Jeunes de quartier » : « Là où tout le monde se croise »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/453821/original/file-20220323-25-1vzqaqo.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C0%2C1440%2C771&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran du court-métrage « La Fontaine » réalisé dans le cadre de Pop'Art et tourné à Pantin</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans cette nouvelle série d'été nous rediffusons les 6 épisodes du podcast Jeunes de quartier. Des jeunes issus de différents quartiers populaires franciliens s'expriment sur leur quotidien, leur place dans la société française et leurs espoirs.</em></p>
<p><em>Après un <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-regarde-moi-178674">premier épisode</a> consacré à la destitution des clichés sur les jeunes de quartier, intéressons nous aux changements qui s'opèrent depuis plusieurs années dans la ville de Pantin.</em></p>
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<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/623c4afeece6b600122b3561" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><em>Banlieues, quartiers, cités. En France, ces mots ont trop souvent une connotation négative. Ce que l’État français nomme depuis 2018 les <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/quartiers-de-la-politique-de-la-ville">quartiers prioritaires de la politique de la ville</a> regroupe 5,4 millions d’habitants dont 40 % ont moins de 25 ans. Mais qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? La <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part">recherche participative Pop-Part</a>, conduite dans <a href="https://jeunesdequartier.fr/quartiers">dix villes ou quartiers</a> de l’Île-de-France, et portée notamment par l’Université Paris Nanterre, s’est associée à 120 jeunes pour se saisir du sujet.</em></p>
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<p>Dans ce nouvel épisode de Jeunes de quartier, nous recevons <strong>Claudette Lafaye</strong>, sociologue à l’université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis associée, dans le cadre de la recherche PopPart, à l’université Paris Nanterre et <strong>Ahmad Zeidan</strong> 25 ans qui a grandi à Pantin.</p>
<p>En 1996, la manufacture de tabac de Patin qui employait plusieurs centaines d’ouvriers est détruite. Elle est aujourd’hui remplacée par 50 000 mètres carrés de bureaux destinés à l’implantation d’entreprises de l’économie créative. Située dans le département de la Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris, Pantin est aujourd’hui une commune de 59 000 habitants.</p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>Souvent qualifiée par la presse de «nouveau Brooklyn», Pantin connaît comme beaucoup de communes limitrophes de la capitale des transformations urbaines de grande ampleur qui se sont accentuées depuis le milieu des années 2000. De nouveaux immeubles de bureaux et d’habitations sortent de terre, de nouveaux cafés ouvrent, de grandes entreprises y établissent leur siège social, des friches industrielles sont utilisées par des théâtres. La jeunesse parisienne vient y faire la fête. Mais certains habitants s’interrogent : pourront-ils continuer à vivre dans le lieu où ils ont grandi ?</p>
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<p><strong>Extraits</strong><br>
<em>Something elated</em>, Broke for free, 2011<br>
<a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/pac9203031486/pantin-la-fin-la-manufacture-des-tabacs"><em>Pantin : la fin la manufacture des tabacs</em></a>, INA (France 3 Région Paris), 1992<br>
<a href="https://jeunesdequartier.fr/blogposts/pantin"><em>La fontaine</em></a>, collectif Pop-Part, 2021</p>
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<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jeunes de quartier, 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://cfeditions.com/jdq/">Couverture de l’ouvrage Jeunes de quartier</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>La recherche Pop-Part a donné lieu à un ouvrage, <a href="https://jeunesdequartier.fr">Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots</a>, coordonné par Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin, paru chez C&F Éditions, ainsi qu’un site <a href="https://jeunesdequartier.fr/">Jeunesdequartier</a>, des dizaines de vidéos, réalisées par les jeunes mais également une pièce de théâtre, mise en scène par le Kygel Théâtre à partir de textes de l’ouvrage, et un film sur le processus de la recherche, réalisé par Géraldine Kouzan.</em></p>
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<p><em>Crédits, Conception et Animation Nils Buchsbaum, Réalisation Romain Pollet, Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudette Lafaye ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Voisins directs de Paris, les habitants de Pantin observent leur ville changer au rythme des constructions et de la gentrification.Claudette Lafaye, Maitresse de conférence en sociologie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786742022-03-24T18:44:44Z2022-03-24T18:44:44Z« Jeunes de quartier » : « Regarde-moi »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/453274/original/file-20220321-21-blm70a.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C0%2C1427%2C773&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran du film documentaire « Admire ma peau noire » (2021), réalisé par Hachimia Ibouroi.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Dans cette nouvelle série d'été nous rediffusons les 6 épisodes du podcast Jeunes de quartier. Des jeunes issus de différents quartiers populaires franciliens s'expriment sur leur quotidien, leur place dans la société française et leurs espoirs.</em></p>
<p><em>Premier épisode avec Hachimia Ibouroi et Jeanne Demoulin qui démontent les clichés sur les jeunes de quartier.</em></p>
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<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/623c3c20a5a8270014beccb4" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><em>Banlieues, quartiers, cités. En France ces mots ont trop souvent une connotation négative. Ce que l’Etat français nomme depuis 2018 <a href="https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/quartiers-de-la-politique-de-la-ville">les quartiers prioritaires de la politique de la ville</a> regroupe 5,4 millions d’habitants dont 40 % ont moins de 25 ans. Mais qu’est-ce qu’être jeune dans un quartier populaire ? La recherche participative <a href="https://histoire-sociale.cnrs.fr/la-recherche/programmes/pop-part">Pop-Part</a>, conduite dans <a href="https://jeunesdequartier.fr/quartiers">dix villes ou quartiers</a> de l’Île-de-France, et portée notamment par l'Université Paris Nanterre, s’est associée à 120 jeunes pour se saisir du sujet.</em></p>
<hr>
<p>Le regard médiatique porté sur les quartiers populaires enchaîne les clichés. De la beurette des années 80 à la femme voilée puis aux jeunes à capuches ou aux bandes violentes, les représentations sont souvent biaisées si ce n'est parfois ouvertement racistes. Pourtant de nombreuses voix émergent, notamment aujourd'hui pour se réapproprier l'image de ces quartiers. </p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>Pour en parler avec nous dans « Jeunes de quartier » nous recevons <strong>Hachimia Ibouroi</strong>, 22 ans, originaire de Pantin en Seine-Saint-Denis, étudiante en master image et société à l'université Paris-Saclay. Hachimia accompagne des classes de lycéens dans leur processus de création théâtral. </p>
<p>Avec nous également, <strong>Jeanne Demoulin</strong>, chercheuse en sciences de l'éducation à l'Université Paris Nanterre au laboratoire CREF (Crise école terrain sensible). Jeanne Demoulin a aussi co-coordonné le projet participatif Pop-Part.</p>
<p><strong>Extraits</strong></p>
<ul>
<li><p>« Something elated », Broke for Free, 2011.</p></li>
<li><p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=w7-XTmGPPqo">« Admire ma peau noire »</a>, H. Ibouroi, 2020.</p></li>
</ul>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454087/original/file-20220324-21-j18fs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jeunes de quartier, 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://cfeditions.com/jdq/">Couverture de l'ouvrage Jeunes de quartier</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>La recherche Pop-Part a donné lieu à un ouvrage, <a href="https://jeunesdequartier.fr">« Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots »</a>, coordonné par Marie-Hélène Bacqué et Jeanne Demoulin, paru chez C&F Editions, ainsi qu'un site <a href="https://jeunesdequartier.fr/">Jeunesdequartier</a>, des dizaines de vidéos , réalisées par les jeunes mais également une pièce de théâtre, mise en scène par le Kygel Théâtre à partir de textes de l'ouvrage, et un film sur le processus de la recherche, réalisé par Géraldine Kouzan.</em></p>
<p><em>Crédits: Conception et animation, Clea Chakraverty. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Demoulin est co-coordinatrice du projet Pop-Part.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clea Chakraverty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les personnes qui ne vivent pas dans les quartiers populaires n'y ont accès qu'à travers le discours médiatique. Mais qu'ont à dire ceux qui sont issus de ces quartiers ?Jeanne Demoulin, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresClea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751232022-02-13T19:58:40Z2022-02-13T19:58:40ZAu nord comme au sud de la Méditerranée, les quartiers populaires face à la métropolisation<p>Dans de nombreux pays du monde, les processus de mondialisation et de métropolisation à l’œuvre depuis plusieurs décennies ont entraîné une profonde mutation des villes, plus ou moins inspirée de <a href="https://metropolitiques.eu/Villes-contestees.html">logiques néo-libérales</a>.</p>
<p><a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">Nos analyses</a> portent sur des quartiers de diverses villes du bassin méditerranéen abritant des <a href="https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20110913_schwartz.pdf">classes populaires</a>, directement ou indirectement confrontées aux transformations urbaines (éradication des bidonvilles, requalification des centres, rénovation des grands ensembles et régularisation/restructuration des quartiers non réglementaires) et à un urbanisme de grands projets (commerciaux, immobiliers, touristiques ou à finalité patrimoniale) dont l’objectif essentiel est de valoriser le foncier.</p>
<p>Ces dynamiques provoquent des <a href="https://metropolitiques.eu/Renovation-urbaine-et-trajectoires-residentielles-quelle-justice-sociale.html">déplacements contraints</a>, qui se conjuguent aux effets de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_privatisation_des_services_urbains_en_europe-9782707155566">« privatisation » des services urbains</a>, de la réduction des budgets publics d’équipement des quartiers et des difficultés de transport. Ces effets enclenchent des processus de marginalisation qui exacerbent les inégalités sociospatiales.</p>
<p>Nos <a href="https://marges.hypotheses.org/">travaux de terrain</a>, conduits dans des quartiers représentatifs de ces mutations dans cinq villes au nord de la Méditerranée (Cagliari, Turin, Barcelone, Grenade et Marseille) et sept villes au sud (Rabat, Casablanca, Fès, Alger, Tunis, Istanbul, Ankara) ont mis en évidence la circulation de modèles de gouvernance, de régulations sociales et politiques, et de modes de mobilisation et de résistance aux transformations imposées d’en haut.</p>
<iframe width="100%" height="300px" frameborder="0" allowfullscreen="" src="https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/carte-sans-nom_705163?scaleControl=false&miniMap=false&scrollWheelZoom=false&zoomControl=true&allowEdit=false&moreControl=false&searchControl=null&tilelayersControl=null&embedControl=null&datalayersControl=true&onLoadPanel=undefined&captionBar=false"></iframe>
<p><em>Cliquer sur les villes pour des informations sur leur superficie et leur démographie</em>.</p>
<h2>La marginalisation par la stigmatisation</h2>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons employé la formule « marges urbaines » : nous entendons par là ces <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01609138">quartiers populaires</a>, qu’ils se trouvent dans le centre ou en périphérie, qui font l’objet de pratiques de marginalisation et de <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/9204?lang=fr">stigmatisation</a> mises en œuvre par les acteurs urbains dominants. La stigmatisation apparaît comme une violence symbolique particulièrement humiliante, qui affecte la dignité des personnes. Beaucoup d’entre elles finissent par l’intérioriser, certaines par la détourner et d’autres par la combattre.</p>
<p>Souvent, le langage est un premier élément de compréhension, et les expressions utilisées pour <a href="https://passansnous.org/evenements/">désigner ces quartiers</a> reflètent les processus qui, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, fabriquent les valeurs socioculturelles et les registres idéologiques de leurs habitants.</p>
<p>Plusieurs systèmes langagiers participent à une sémantique de la stigmatisation de la marge : les langages savants, administratifs, techniques, juridiques – en un mot, les registres normatifs –, mais tout autant les langages courants, ordinaires, dialectaux ou vernaculaires, créolisés… Lorsqu’elle émane des acteurs dominants – ou de ceux qui n’habitent pas de tels espaces –, la sémantique construit la marge comme problème, en marquant son « a-normalité » et en en écartant toute possibilité de la considérer comme une ressource. Mais, dès lors qu’elle est saisie « de l’intérieur », à partir des paroles et images de ses habitants, la marge se révèle comme un <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/729">espace d’appartenance</a>, une ressource, voire un espace d’autonomie normative et politique.</p>
<p>Les langues « administrantes » édictent une vision normative de l’espace. S’y opposent les parlers ordinaires, qui peuvent, selon les cas, intégrer, s’approprier, modifier, contester, inverser ou délégitimer ces discours « d’en haut ». Ces tensions posent la question des liens entre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Surveiller-et-punir">savoir et pouvoir</a> et, plus explicitement, du rapport entre <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753559035/frontieres-en-tous-genres">domination et dénomination</a>.</p>
<h2>Des quartiers à problèmes aux quartiers à potentiels</h2>
<p>Face aux mutations provoquées par la mondialisation et plus particulièrement par les transformations urbaines, le quartier populaire apparaît comme un <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">territoire-ressource</a> qui prend corps autour des réseaux de sociabilité et de solidarité, ainsi qu’autour des constructions identitaires et mémorielles que ceux-ci génèrent.</p>
<p>Ces constructions assurent la force du quartier et en font, de ce fait, un cadre privilégié de résistance à la marginalisation et d’action politique des habitants.</p>
<p>Le quartier doit régulièrement s’opposer à des politiques publiques qui, quels qu’en soient les objectifs affichés, apparaissent le plus souvent comme des facteurs de déstructuration sociale contrariant les dynamiques d’intégration des populations. L’intégration renvoie ici à un processus, où les individus et leur famille tentent de conjuguer une certaine stabilité économique par le travail et des relations sociales au sein des réseaux de protection rapprochée procurés par le voisinage ou d’autres plus larges. L’objectif pour les ménages étant de s’écarter de la vulnérabilité et de la désaffiliation sociales. L’intégration se joue également à l’échelle du quartier, à travers les <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/les-metamorphoses-de-la-question-sociale-9782213594064">stratégies déployées par les populations</a>, pour la reconnaissance de ce territoire.</p>
<p>Les correspondances entre les trajectoires sociospatiales des ménages et les transformations de leurs territoires montrent comment les mutations de ces espaces pèsent sur l’intégration sociale et/ou la marginalisation des habitants. Par exemple, lee déménagement contraint de ménages après la rénovation de leur quartier enclenche des dépenses d’installation et de transport qui fragilisent leur budget.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/d2P61eQNqxw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour les habitants, les changements subis se répercutent sur leurs espaces de vie et leur rapport à la ville, au point qu’ils sont souvent ressentis comme une remise en cause de leur citoyenneté.</p>
<p>Dans les contextes étudiés, la mise en œuvre (matérielle et idéelle) de l’urbanisation plus ou moins néo-libérale, les bouleversements, voire les traumatismes, qu’elle provoque auprès des citadins les moins dotés économiquement et socialement (classes populaires qui ont perdu l’espoir d’ascension sociale et classes moyennes inférieures en situation de déclassement) font qu’ils la ressentent comme l’expression d’une extrême violence, matérielle et/ou symbolique.</p>
<p>Confrontés à ces situations, les habitants des quartiers marginalisés contestent et résistent pour tantôt refuser les évolutions qu’ils estiment leur être imposées, tantôt composer avec les acteurs de ces transformations, qu’ils soient privés ou publics.</p>
<h2>Le long chemin de la reconnaissance de la citoyenneté</h2>
<p>Les habitants défient « l’ordre » de manières multiples, à travers des émeutes, des manifestations, des occupations de lieux publics – soit toutes les actions qui se « donnent à voir » parce qu’elles se déploient dans des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pourquoi_se_mobilise_t_on_-9782707152503">arènes publiques</a> – et expriment le mécontentement d’individus, de petits groupes, de communautés spécifiques et généralement limitées à l’échelle du quartier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S6QqMHNkNF0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:4324">géographie des résistances</a> met en évidence des évolutions qui se sont traduites par une diversification des modalités d’action, mais aussi, dans des cas particuliers, par des convergences susceptibles d’alimenter des révoltes de grande ampleur, voire des « révolutions ». En Algérie, par exemple, le Hirak a été alimenté en partie par des populations qui avaient déjà manifesté contre leur éviction des bidonvilles ou pour obtenir des logements décents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">Algérie : la « Révolution du sourire pacifique » persiste et signe</a>
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</p>
<hr>
<p>Mais, d’un autre côté, nombre de contestations conduisent leurs initiateurs à des impasses : la résistance peut échouer, soit qu’elle est réprimée plus ou moins violemment, soit qu’elle se délite pour des raisons multiples (y compris des conflits internes).</p>
<p>La recherche de négociations, d’arrangements et de compromis entre les habitants des quartiers populaires et les pouvoirs politiques éclaire sur la fabrique de l’ordre politique. Dans leurs rapports avec l’action des institutions, les acteurs populaires « pénètrent le système », non pas à des fins subversives ou de renversement, mais pour y saisir des opportunités ou pour se protéger contre les risques que la précarité de leur habitat (et de leurs revenus) leur fait courir.</p>
<p>Les mobilisations collectives restructurent l’espace en modifiant les perceptions sociales, culturelles et politiques des habitants. Même lorsqu’elles n’ont pas de réponses aux revendications, elles consolident l’idée du « nous » et débouchent souvent sur des actions collectives du type nettoyage, embellissement, réparation d’une conduite d’eaux usées, etc. Les mobilisations de la période récente sont à replacer dans une filiation, un héritage ou encore une continuité mémorielle.</p>
<p>La <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100717390">mémoire protestataire</a> est un moteur particulièrement efficace des luttes, qu’il s’agisse de la mémoire des événements qui les ont composées, des « héros » qui les ont animées ou des hauts lieux où elles se sont déployées. Mais ces luttes visibles, fortement médiatisées et bien étudiées ne doivent pas masquer les résistances qui, pour être plus ordinaires, plus discrètes, plus quotidiennes, n’en contiennent pas moins une prise de risque importante pour ceux qui osent les mettre en œuvre.</p>
<p>Ces mobilisations sont contrariées par le renforcement – à quelques exceptions près – de l’autoritarisme, l’échec des transitions politiques vers la démocratie et la répression de toute contestation politique d’un côté de la Méditerranée et par la montée des extrémismes sur l’autre rive. Ces mobilisations sont pourtant à l’origine de processus d’apprentissage et de politisation ainsi que de chemins singuliers de construction de la citoyenneté au sein des quartiers populaires méditerranéens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nora Semmoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Conclusions d’une récente étude conduite dans les quartiers défavorisés de plusieurs villes du pourtour méditerranéen.Nora Semmoud, Professeur des universités, classe exceptionnelle Directrice de l'UMR 7324 CITERES Membre suppléante nommée de la section 24 du CNU, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1702262021-10-28T18:58:32Z2021-10-28T18:58:32ZAu Bénin, le développement urbain se nourrit d’expulsions<p>Construite sur une bande de terre de quelques kilomètres de large s’étirant entre la lagune et la mer, Cotonou, capitale économique du Bénin, est depuis longtemps un <a href="https://drive.google.com/file/d/19y4EHAwGnfyCM4oELjOVrRL5LhG8-j18/view">site d’implantation de pêcheurs</a> issus des populations côtières de la région. Aujourd’hui devenues le substrat de certains quartiers de la ville, ces communautés ont vu au cours des dernières décennies leurs lieux de vie progressivement gagnés par l’avancée du front urbain.</p>
<p>Dans les dernières années, les plans de réaménagement du littoral portés par le président Patrice Talon (en poste depuis 2016) ont globalement fait peu de cas des gens de peu ayant construit là leur existence. Arguant d’une nécessaire planification urbaine pour déloger parfois des quartiers entiers, cette politique du mépris menée au nom du développement fragilise en fait des fractions parmi les plus vulnérables de la population urbaine.</p>
<h2>Devenir réfugié dans son propre pays ?</h2>
<p>Peu après la mi-août 2021, assis au comptoir de la cafétéria « Carrefour des jeunes », à quelques mètres de la clôture de l’aéroport, je discutais avec quelques jeunes et moins jeunes hommes assis là d’un <a href="http://www.cadredevie.bj/informations/communiques-avis/item/301-communique-conjoint-mcvdd-mdgl-relatif-a-la-liberation-du-domaine-maritime-de-fiyegnon-1">communiqué ministériel</a> soudainement sorti mi-juillet et donnant un délai d’un peu plus d’un mois et demi aux habitants du quartier, connu comme « Fiyegnon 1 », pour plier bagage.</p>
<p>Entre colère et résignation, le petit groupe s’interrogeait sur la signification de leur citoyenneté face à une telle absence de concertation, tout en rappelant l’ancienneté du quartier : certaines familles étaient établies là depuis un demi-siècle, bien avant la construction des villas qui leur faisaient face désormais, à une époque où il n’y avait aux alentours que cocoteraies et parcelles de maraîchers… Comptant 623 ménages recensés et environ 3 000 habitants, le quartier était en 2021 densément peuplé, construit aussi bien « en dur » qu’en « matériaux précaires », selon la condition économique des ménages.</p>
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<span class="caption">La cafétéria « Carrefour des jeunes » à quelques mètres de la clôture de l’aéroport en août 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>« Nous ne sommes quand même pas des coqs et des poules », suggérait Marius, étudiant en droit et tenancier de la cafétéria, exprimant le sentiment général des habitants d’être traités comme des animaux dont on pourrait disposer à sa guise…</p>
<p>« Dans mon propre pays, je vais devenir un réfugié ? C’est-à-dire, il n’y a pas la guerre ici, il n’y a pas la famine… mais quand on va déguerpir les gens, ils vont faire quoi ? Mettre les matelas sur la tête et partir et commencer à chercher un peu partout là où dormir ? Là tu deviens un réfugié, dans ton propre pays… », renchérissait un autre… « Quand on pense à ça, ça nous tape sur les nerfs »… Le petit groupe oscillait entre sentiments d’impuissance et de révolte.</p>
<h2>Très brève histoire d’un quartier de Cotonou</h2>
<p>En fait, ce qui était présenté dans le communiqué ministériel comme un quartier « illégal » avait été formé à l’origine par une communauté de pêcheurs. Ceux-ci avaient été installés en ces lieux au tournant de l’indépendance de 1960, après avoir été délogés du site qui devait abriter le palais présidentiel.</p>
<p>Ces pêcheurs (et travailleurs du port, situé non loin) et leurs ménages avaient alors rejoint là, en bout de piste de l’aéroport, et en concertation avec les autorités de l’époque, quelques familles déjà établies sur le site dans les décennies précédentes. L’ancienneté de leur occupation des lieux est notamment attestée par l’installation à cet endroit, en 1958, de divinités protectrices, des <em>vodoun</em> auprès desquels on pouvait venir chercher protection et solution aux problèmes du quotidien.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427219/original/file-20211019-20-1glzhom.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=345&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entourée d’un trait rouge, la zone de Fiyegnon 1, aujourd’hui détruite, soit environ huit hectares.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran Google Maps</span></span>
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</figure>
<p>La communauté relogée là s’y était trouvée suffisamment bien pour désigner leur nouveau quartier du nom de « Fiyegnon », c’est-à-dire « Ici est bon ». En 2021, le quartier continuait d’ailleurs d’être habité par de nombreux pêcheurs dépendant étroitement de la proximité avec la mer pour leurs moyens de subsistance, même si on y trouvait également d’autres profils de travailleurs et travailleuses de l’économie dite « informelle ».</p>
<p>Avec l’urbanisation progressive de la zone, le quartier a connu différentes opérations de viabilisation et de recasement depuis le début des années 2000, faisant en fait bel et bien partie à l’époque des plans d’aménagement urbain des autorités nationales et communales : le quartier bénéficie de raccordements à l’électricité et à l’eau, les habitants ont obtenu en 2004 et 2005 des « fiches de recasement » attestant des limites de leurs parcelles respectives, des voies rectilignes ont été tracées il y a une dizaine d’années et les contours des terrains revus en conséquence… Autant d’actes d’aménagement urbain et de reconnaissance étatique de la légitimité de l’occupation du lieu par ses habitants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427221/original/file-20211019-26-1ar3qu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’avant-plan, le quartier de « Fiyegnon 1 », visé par l’opération de déguerpissement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Noret</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La zone a, il est vrai, été déclarée d’utilité publique en 2006 dans le cadre de la « Route des Pêches », projet d’aménagement au long cours de cette portion du littoral.</p>
<p>Mais les différentes moutures du projet prévoyaient, jusqu’aux rapports d’études d’il y a quelques années, l’intégration du quartier « Fiyegnon 1 » au projet, le tracé de la nouvelle route côtière ayant même été modifié à cette fin. Une expropriation ultérieure restait bien entendu possible, mais elle devrait alors être réalisée « contre juste et préalable indemnisation », selon la formule consacrée dans les textes juridiques béninois. Or, le communiqué ministériel de la mi-juillet évoquait la situation en de tout autres termes : il y était question d’occupation « illégale » des lieux, et de leur « libération » « sans délai »…</p>
<p>Contrairement aux déclarations médiatiques postérieures des autorités, aucun contact préalable n’avait été pris avec le chef du quartier, ni a fortiori avec les habitants. Aucune proposition de relogement ni d’indemnisation n’avait été formulée. Dans les semaines suivantes, les demandes d’entrevues du chef de quartier et de représentants des habitants auprès des autorités politiques et administratives concernées, de la commune de Cotonou à la présidence de la République, rencontrèrent un succès pour le moins mitigé. Aucune réponse ne vint de la présidence, de la mairie, ni des ministères concernés. Les seuls officiels qui acceptèrent de recevoir la délégation n’avaient en fait pas de véritable prise sur le dossier.</p>
<h2>Un traitement autoritaire des pauvres</h2>
<p>À Cotonou, l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon en 2016 a correspondu avec un élan nouveau donné au développement urbain. Sa présidence, aujourd’hui largement considérée comme marquée par un <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/205259/1/KOHNERT%26PREUSS2019.Benin%27s%20stealthy%20democracide.WP.10.10.19.pdf">virage autoritaire assumé</a>, a en effet correspondu à la mise en œuvre de <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/1062011/economie/benin-cotonou-petite-metropole-deviendra-grande/">chantiers urbains emblématiques</a>, engagés au pas de charge.</p>
<p>L’asphaltage des voies a été accéléré, les projets de redéploiement des quartiers centraux se sont multipliés, et l’aménagement du littoral a été repensé, avec l’idée de faire de Cotonou la « vitrine du Bénin ». Comme dans d’autres capitales ouest-africaines, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/09/14/a-abidjan-des-habitants-deguerpis-par-la-construction-du-metro_6094554_3212.html">Abidjan</a> ou <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/mar/12/class-divide-mass-demolitions-drive-poor-from-valuable-land-in-lagos">Lagos</a> notamment, ces projets ont abouti depuis 2017 à une série de « déguerpissements », visant à la fois des empiètements de constructions privées sur l’espace public, mais aussi des quartiers entiers, parfois parmi les plus vieux de la ville, ou construits dans des <a href="https://www.jeuneafrique.com/890319/societe/benin-au-marche-dantokpa-a-cotonou-tristesse-et-colere-apres-le-deguerpissement/">zones visées par des projets de développement urbain</a>.</p>
<p>Ce n’est que dans certains des projets les plus récents, menés dans les tout derniers mois, que le gouvernement a fini par prévoir des <a href="https://lanouvelletribune.info/2021/09/benin-ce-que-lexecutif-propose-aux-deguerpis-de-xwlacodji-et-de-la-route-des-peches/">dédommagements réels</a>, même si loin d’être alignés sur le prix du foncier à Cotonou.</p>
<p>Dans les dernières années, qu’il s’agisse de casser l’extension d’une boutique mordant sur le trottoir, de détruire un petit commerce occupant sans autorisation ce même trottoir (<a href="https://www.jeuneafrique.com/400856/societe/long-format-benin-a-cotonou-jungle-deguerpis/">tout en payant malgré tout simultanément une redevance à la mairie</a> lors du passage de ses agents collecteurs…), ou de déloger un quartier entier sans que le relogement des habitants ne soit véritablement planifié, ces entreprises ont systématiquement été promues par le gouvernement comme relevant de la « libération des espaces publics »… La formule prêterait à sourire si elle n’était pas en fait le masque d’une violence d’État s’exerçant sur les classes populaires et l’euphémisme vertigineux d’une politique urbaine du mépris.</p>
<p>La croissance urbaine représente bien entendu aujourd’hui pour bon nombre d’États d’Afrique subsaharienne un défi majeur. Il n’est évidemment pas question ici de contester à l’État béninois ses légitimes ambitions de développement urbain. Pour autant, le « développement » ne peut pas non plus devenir l’alibi d’une politique hostile aux citadins les plus pauvres, qui leur dénie leur droit à la ville. Ou, pour le dire avec les mots d’un désormais ex-habitant de Fiyegnon recontacté mi-octobre :</p>
<blockquote>
<p>« Développement, oui, infrastructures, oui, mais pas au prix de la déshumanisation… »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427222/original/file-20211019-16-t6ae9j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fiyegnon dans les jours suivant la destruction. Au loin, des habitants fouillent les décombres. (photo prise par un habitant).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Le 13 septembre au matin, la zone déclarée « illégale » commença à être détruite, avec l’appui d’un important déploiement policier. Trois personnes décédèrent d’un problème cardiaque pendant la démolition, une situation analogue à celle qui s’était déjà produite <a href="https://www.academia.edu/37197597/GOUVERNEMENT_DES_ESPACES_PUBLICS_EN_BORDURE_D_EAU_AU_BENIN_UNE_ANALYSE_ORIENTEE_DANS_LA_PERSPECTIVE_DE_L_INEGALITE_ENVIRONNEMENTALE_A_COTONOU_pdf?auto=download">lors de la destruction du quartier Enagnon</a>, sur une autre portion du littoral cotonois, en 2017.</p>
<p>Dans les jours suivants, en dépit de fortes pluies, beaucoup d’habitants logeaient encore parmi les décombres, ne sachant où aller. Début octobre, avant l’évacuation complète des gravats, quelques dizaines de personnes étaient encore dans cette situation, revenant pour certaines d’entre elles seulement à la nuit tombée, afin de ne pas être vues. D’autres avaient trouvé à s’abriter temporairement dans les cours d’autres maisons du voisinage, d’autres encore étaient hébergées de façon provisoire par des parents ou des amis. Les mieux lotis avaient réussi à louer dans l’urgence un nouveau logement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427223/original/file-20211019-28-150thrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le site de la cafétéria « Carrefour des jeunes » aujourd’hui. Le sol est détrempé par la saison des pluies qui commence. (photo prise par un habitant). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>« Je n’arrive pas à oublier », « j’ai du mal à dormir la nuit », « bien sûr que je suis en colère », « les gens souffrent énormément »… Les habitants avec lesquels je continue à correspondre sont manifestement éprouvés. Les forces de l’ordre surveillent toujours les lieux pour s’assurer qu’aucune construction temporaire ne réémerge, qu’aucune forme de petit commerce ne reprenne. Les habitants n’ont, à ce stade, été informés d’aucune possibilité de dédommagement.</p>
<p>Voulant croire que « le père ne saurait abandonner ses enfants », les représentants du quartier se sont désormais engagés dans une tentative d’interpellation médiatique du président, « Père de la Nation », qu’ils estiment mal informé et induit en erreur. Le cas de « Fiyegnon 1 » est pourtant loin d’être unique depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon, dont les projets de développement urbain semblent avant tout tournés vers le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/1061964/politique/benin-jose-tonato-cotonou-doit-etre-une-etape-incontournable-sur-le-corridor-abidjan-lagos/">renforcement de l’attractivité internationale de la ville</a>.</p>
<p>En fait, la politique urbaine engagée depuis 2016 donne à voir une déclinaison africaine éloquente des contours tragiques que peut prendre une politique néolibérale de la ville, <a href="https://libcom.org/files/Lo%C3%AFcWacquant--PunishingthePoor.pdf">au sens que lui donne Loïc Wacquant</a> : complaisante à l’égard des riches, dure avec les pauvres. Au final, il est à craindre que le développement urbain de Cotonou ne converge avec un scénario, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247813513705">déjà bien connu dans les grandes villes africaines</a>, d’approfondissement, au travers des politiques urbaines, des inégalités sociales d’accès à la ville. Les désormais ex-habitants de « Fiyegnon 1 » n’ont pas fini de s’interroger sur le sens et les contours de leur citoyenneté…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Noret a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FRS-FNRS, Belgique).</span></em></p>À Cotonou, la capitale économique du Bénin, un quartier entier vient d’être rasé par les autorités, sans compensation pour les habitants. Illustration d’un phénomène fréquent dans la région.Joël Noret, Professeur d'anthropologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606292021-05-30T20:42:21Z2021-05-30T20:42:21ZQui est « identitaire » ? Enquête dans les quartiers populaires<p>En France, des « identitaires » auto-proclamés, liés à la tradition de <a href="https://www-cairn-info.iepnomade-2.grenet.fr/vers-la-guerre-des-identites--9782707188120-page-220.htm">l’extrême droite</a>, essentialisent et racialisent l’appartenance nationale, de manière explicite, afin de distinguer, contre la tradition civique et républicaine française, des <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180227.OBS2804/rokhaya-diallo-traitee-de-francaise-de-papier-nadine-morano-dans-les-pas-de-charles-maurras.html">« faux » et « vrais »</a> Français selon leur origine.</p>
<p>Dans le débat public cependant, ce sont souvent des collectifs antiracistes luttant contre les discriminations, voire les universitaires travaillant sur la question raciale, qui se voient accusés « d’essentialiser des identités », de verser dans <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">« l’islamogauchisme »</a> et de menacer la cohésion de la République. Sont mises en cause notamment certaines organisations (par ailleurs en conflit) comme le Comité Adama ou le Parti des Indigènes de la République (PIR), qui sont parfois qualifiées « d’entrepreneurs identitaires ». Ce terme désigne des personnes ou organisations qui viseraient à promouvoir des appartenances collectives selon un critère ethnique – une notion qui s’applique, de manière privilégiée, à des groupes nationalistes ou <a href="https://www.cairn.info/a-la-recherche-de-la-democratie--9782845863231-page-59.htm">ethno-religieux</a>.</p>
<p>Ces collectifs comme d’autres moins controversés, (associations locales par exemple), mais aussi des universitaires ou des agents publics alertant sur l’ampleur des discriminations ethno-raciales, sont présentés comme responsables de la « racialisation des identités ». Ce faisant, des acteurs dont les démarches sont à la fois diverses et différentes se trouvent amalgamés et stigmatisés.</p>
<p>Dans cette perspective, les membres de minorités ethno-raciales tendraient à leur emboîter le pas, s’appropriant des identités raciales réifiées ou figées.</p>
<p>Qu’en est-il réellement ? Au-delà des fantasmes, <a href="https://www.puf.com/content/L%C3%A9preuve_de_la_discrimination">l’enquête</a> par entretiens (N = 245) et par observations que nous avons conduite dans des quartiers populaires en France et à l’étranger entre 2014 et 2018 apporte des réponses empiriques à cette question. Elle permet notamment de comprendre comment se construisent des modes d’identification minoritaires. Cette enquête montre à cet égard le rôle prépondérant des discriminations ethno-raciales, territoriales et religieuses.</p>
<h2>Des identités plurielles : origine, quartier, classe…</h2>
<p>En sciences sociales, la <a href="https://www.cairn.info/journal-geneses-2005-4-page-134.htm">notion d’identification</a> rend compte depuis longtemps du caractère labile des « identités » : selon les situations, les individus se réfèrent à une pluralité de critères identitaires – une même personne ayant tendance à se penser plutôt comme femme, par exemple, ou comme jeune, noire, française, musulmane, membre des classes populaires ou habitante d’un quartier populaire, etc., en fonction des contextes.</p>
<p>Accuser les sciences sociales de vouloir essentialiser les identités témoigne ainsi d’une forme d’ignorance : les mots en – tion (identification, racialisation) visent précisément à souligner le caractère processuel et contingent des « identités ». Qu’en est-il des catégories mobilisées par les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête ?</p>
<p>Ces enquêtés représentent une diversité de quartiers populaires (dans différentes villes) et de générations et sont membres, le plus souvent, d’une minorité ethno-raciale. S’ils ne se réfèrent pas systématiquement à un « nous » – « nous les Maghrébins », « musulmans », « habitants d’un quartier populaire », etc. – beaucoup mobilisent malgré tout dans le cours de l’entretien, plus ou moins ponctuellement, ces marqueurs identitaires. Contrairement à une idée répandue dans les sciences sociales, le marqueur ethno-racial (« nous les noirs », « les Arabes », etc.) est ici plus souvent mobilisé (par un tiers des enquêtés) que le marqueur territorial (« nous membres des quartiers populaires », qu’évoque un enquêté sur huit). De même, il est fait un peu plus souvent référence à la religion (« nous les musulmans ») qu’au territoire.</p>
<h2>Des marqueurs identitaires imbriqués</h2>
<p>La mobilisation de catégorisations ethno-raciales est d’abord liée à l’expérience des discriminations dont la moitié renvoie, dans notre corpus, à l’origine (contre 21 % à la religion supposée, et 13 % seulement au lieu de résidence). Si les identifications ethno-raciales et religieuses sont bel et bien saillantes au sein des quartiers populaires, elles restent malgré tout labiles et plurielles : ainsi par exemple, si le « nous, habitants des quartiers populaires » est peu mis en avant, il tend à le devenir quand les individus évoquent l’action de la police. Ce marqueur identitaire est rendu saillant par le sentiment qu’ont certaines personnes d’être ciblées comme membres de ces quartiers, notamment <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2016-5-page-729.htm">par la police</a> – ce qui illustre le caractère relationnel, ou la dimension dialectique, des « identités ».</p>
<p>De plus, les marqueurs identitaires apparaissent couramment imbriqués plutôt qu’opposés, le « nous » pouvant renvoyer à la fois au quartier et au critère de « l’origine » – les deux appartenances étant souvent mêlées. La souffrance suscitée par les expériences de discrimination ou de stigmatisation découle bien souvent de formes d’altérisation fortement imbriquées où classe, race et quartier s’entremêlent, à l’image de l’expérience relatée par Cyntia, qui associe la classe (« J’étais la seule qui avait une mère aide-soignante ») et la race (« j’ai toujours été la seule Noire dans ma classe ») :</p>
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<p>« On était dans le vestiaire de sport avec ma classe, ça se passe en 6<sup>e</sup>. Tout le monde disait “tes parents font quoi ?” et j’avais presque la moitié de ma classe qui disait “mon père est avocat, chirurgien”. Vraiment des grands métiers ! Et j’étais la seule qui disait “ma mère elle est aide-soignante”. J’ai une élève qui m’a demandé c’était quoi aide-soignante ? ! J’avais expliqué “elle s’occupe des malades”. “Comme une infirmière ?”, je dis “non, elle les change, elle les lave”, alors elle fait “Aaaah…”, comme ça, dégoûtée ! Je me suis sentie mal ! Je me suis sentie très très mal ! J’avais l’impression que j’étais toute seule dans ma classe. J’ai toujours été la seule Noire dans ma classe. » (Cyntia, F, 19 ans, BAC STMG, étudiante, Villepinte)</p>
</blockquote>
<p>Cela peut témoigner d’un « nous » aux frontières floues. On a bien affaire, quoi qu’il en soit, à des identifications rendues (ou non) saillantes dans un contexte donné – en aucun cas à des identités essentialisées.</p>
<h2>Le poids des discriminations : des identités réactives</h2>
<p>Labiles, les identités apparaissent principalement réactives : c’est d’abord l’expérience d’une discrimination ou d’une minoration qui rend saillant un « nous » stigmatisé. Autrement dit, les individus font d’abord le constat qu’ils sont désignés ou traités, de manière récurrente, en tant que membres d’une catégorie – dans laquelle, souvent, ils ne se reconnaissent pas. Comme le dit Malika à Roubaix, Française d’origine algérienne âgée de 47 ans, au chômage en dépit de son Bac+3 :</p>
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<p>« On nous pousse… jamais je n’aurais pensé un jour dire “on” ou “nous”. À force, on se pose la question du “on”. »</p>
</blockquote>
<p>Le « on » dont il est question ne renvoie pas à l’idée d’une « essence » (ethnique ou raciale), mais au partage d’une même expérience, celle d’interactions quotidiennes marquées, souvent depuis l’enfance, par la différenciation ou la minoration – voire simplement du racisme.</p>
<p>L’appartenance réelle ou supposée à cette catégorie devient alors pertinente : elle renvoie à une « réalité », celle de l’assignation identitaire (une identité subie, imposée de l’extérieur) et de l’expérience d’une stigmatisation ou discrimination.</p>
<p>Ainsi l’enquête confirme que le racisme, la stigmatisation ou la minoration contribuent à produire des appartenances minoritaires, ou la race <a href="https://anamosa.fr/livre/race/">au sens sociologique du terme</a>, comme catégorie de sens commun pouvant venir à faire sens pour les individus.</p>
<p>Des collectifs ou des militants peuvent toujours viser à retourner le stigmate associé à ces catégories, en se les réappropriant de manière positive. Mais les catégories que promeuvent certains <a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-02892525/file/521-4438-1-PB.pdf">mouvements antiracistes</a> – « racisés », « indigènes », etc. – souvent jugées dangereuses dans le débat public, ne sont quasiment pas mobilisées par les personnes que nous avons rencontrées.</p>
<p>Pour notre enquête, nous avons suivi onze associations, des collectifs locaux créés par les habitants de quartiers populaires portant, de manière indirecte parfois, sur la lutte contre les discriminations (à partir d’une action culturelle, d’éducation populaire, au sein de centres sociaux, etc.). À la différence des mouvements évoqués ci-dessus, ces associations, qui sont directement en contact avec les habitants, ne reprennent pas à leur compte ces catégorisations.</p>
<p>Si elles s’emparent des enjeux de discrimination ethno-raciale, c’est toujours, bien loin d’un supposé « séparatisme » ou <a href="https://laviedesidees.fr/Communautarisme-4176.html">« communautarisme »</a>, dans une logique d’aspiration à la reconnaissance et à l’égalité.</p>
<h2>« Être français, c’est quand tu m’accepteras »</h2>
<p>Les enquêtés ont très souvent le sentiment que leur appartenance à la communauté nationale leur est symboliquement refusée ou déniée. C’est le cas d’Amir, quand l’enquêteur lui demande s’il se sent français :</p>
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<p>« Je suis allé faire le service militaire. Pendant un an, j’ai appris à côtoyer le drapeau français […] Et aujourd’hui, on veut me faire comprendre qu’il y a de bons Français, enfin des Français de souche et des mauvais Français. Être Français c’est quoi ? Être Français c’est quand tu m’accepteras. C’est vrai que je ne suis pas né ici. Mais je ne me suis jamais posé la question. Je vis en France. Je travaille en France. Je me suis marié en France. J’ai mes enfants en France. Et vous me posez la question : est-ce que vous vous sentez français ? Je suis ému, je ne me suis jamais posé ce genre de question. » (Amir, H, 52 ans, marié, licence, formateur en auto-école, originaire des Comores, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/y1lGaaoCePQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">FR 4 Latifa Ibn Ziaten à l’Assemblée nationale, extrait de « Latifa, le cœur au combat ».</span></figcaption>
</figure>
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<p>« Je suis français, je suis né en France, mais j’ai l’impression qu’on ne veut pas que je sois Français. » (Amine, H., 19 ans, lycéen bac S, parents franco-algériens, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
<p>Ce sentiment d’un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01265551">déni de francité</a> résulte largement de <a href="https://www.researchgate.net/profile/Patrick-Simon-6/publication/281249422_Une_citoyennete_controversee_descendants_d%27immigres_et_imaginaire_national/links/5ee37770299bf1faac4e8e0f/Une-citoyennete-controversee-descendants-dimmigres-et-imaginaire-national.pdf">l’expérience des discriminations</a>, à laquelle les enquêtés l’associent spontanément – surtout lorsqu’il s’agit de discriminations institutionnelles, émanant notamment de la police, ou qui surviennent dans le cadre scolaire.</p>
<p>Il peut renvoyer également, pour certains enquêtés, à des discours ou propositions politiques : ainsi du projet de loi sur la déchéance de nationalité, du débat sur le thème de l’identité nationale, ou des propos stigmatisant les musulmans après les attentats terroristes de 2015.</p>
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<p>« On nous rabâche à longueur de temps : “Vous n’êtes pas française”. On finit par y croire ! » (Aya, F, 27 ans, master étudiante en école d’infirmière, parents ivoiriens, Villepinte)</p>
</blockquote>
<p>Ali quant à lui s’interroge :</p>
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<p>« En France, j’ai été considéré comme un étranger depuis toujours […] Au bout d’un moment on se dit : “Je ne suis ni un Arabe, ni un Français. Je suis quoi ? Je suis rien ?” » (Ali, H, 27 ans, CAP, sans emploi, mère algérienne, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
<p>Pour certains enquêtés, peu nombreux, le déni de francité, l’assignation subie à des catégories ethno-raciales ou religieuses et ses effets pratiques – discriminations, humiliations, brimades… – peuvent mener jusqu’à des formes d’exit ou de rupture d’avec la communauté nationale.</p>
<p>Ainsi quelques personnes au sein de notre corpus déclarent ne plus se sentir, au bout du compte, françaises. Alors que les enquêtés rejettent massivement le « communautarisme » – lui préférant de loin l’idéal de « mixité » – quelques individus finissent par opter pour une forme de repli sur une communauté autre – le plus souvent religieuse, pour des individus se disant <em>salafi</em> – leur assurant une protection face aux attaques extérieures.</p>
<h2>Des minorités qui aspirent à l’égalité</h2>
<p>À rebours des discours sur le séparatisme qui irriguent le débat public, nos résultats montrent que la concentration spatiale des minorités dans les quartiers populaires est le plus souvent subie, <a href="https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1999_num_33_1_1751">fruit de politiques de peuplement discriminatoires</a> – ces minorités aspirant fortement à la <a href="https://journals.openedition.org/metropoles/4769">mixité</a>, et à être traitées à égalité avec les autres citoyens.</p>
<p>En témoigne l’interpellation, le 19 avril dernier, d’Emmanuel Macron lors de <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20210419.OBS43001/mon-fils-m-a-demande-si-le-prenom-pierre-existait-vraiment-macron-interpelle-sur-la-mixite-a-montpellier.html">sa visite d’un quartier populaire de Montpellier</a>, par une habitante réclamant davantage de mixité sociale :</p>
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<p>« Mon fils de 8 ans m’a demandé si le prénom de Pierre existait vraiment ou s’il n’était que dans les livres parce qu’il n’en connaît aucun. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, certains enquêtés envisagent ou ont fait le choix de quitter la France et trouvent, au Canada ou en Angleterre notamment, non pas une société exempte de tout <a href="https://www.sociologicalscience.com/download/vol-6/june/SocSci_v6_467to496.pdf">racisme</a>, mais où ils font <a href="https://theconversation.com/face-aux-discriminations-les-musulmans-et-les-minorites-demandent-legalite-127413">l’expérience</a> d’une inclusion, d’une tolérance et d’un accueil meilleurs.</p>
<h2>C’est d’abord le racisme qui « essentialise »</h2>
<p>Le constat n’est pas nouveau : la stigmatisation produit des catégories et des identités réactives, et c’est le racisme qui crée et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">invente historiquement la race</a>. La société française s’est crue longtemps « aveugle à la couleur ». Des <a href="https://www.cairn.info/de-la-question-sociale-a-la-question-raciale--9782707158512.htm">études empiriques nombreuses</a> montrent que les assignations raciales, souvent implicites ou « masquées », y sont en fait courantes.</p>
<p>Actant l’existence de fait de catégories ethno-raciales et de leur caractère contingent, différents collectifs ou acteurs se voient accusés de les réifier et de promouvoir, ce faisant, des « identités » figées et irréconciliables. Une démarche intellectuelle rigoureuse et honnête implique de raisonner autrement qu’à partir de quelques cas choisis d’une façon partiale, qui peuvent être marginaux.</p>
<p>Notre enquête montre que les minorités sont loin de se référer à des identités figées ou exclusives : les appartenances minoritaires, et l’appartenance ethno-raciale spécialement, ne constituent jamais à leurs yeux une « essence » (ou une race au sens de la pensée raciste).</p>
<p>Si des marqueurs identitaires ou des catégories apparaissent, dans certains contextes, pertinents c’est parce qu’elles désignent des personnes qui partagent l’expérience d’une discrimination ou d’une mise à l’écart – une assignation identitaire subie. Et si la tentation de l’exit ou du « repli » existe, nos résultats montrent qu’elle ne résulte ni de l’influence de mouvements ou d’organisations de lutte contre les discriminations, ni des analyses de la question raciale, mais bien de l’existence, massive et largement invisibilisée, de discriminations et de l’exclusion symbolique d’une partie des citoyens de la communauté nationale.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs sont membres du collectif DREAM</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïk Purenne a reçu des financements de l'ANR et de la Fondation de France.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hélène Balazard a reçu des financements de l'ANR</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche et de l'Université de Lille</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Carrel a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Samir Hadj Belgacem a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Guillaume Roux et Sümbül kaya ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les résultats d’une enquête récente montrent que les minorités sont loin de se référer à des identités figées ou exclusives et celles-ci ne constituent jamais à leurs yeux une « essence ».Guillaume Roux, Chercheur, sciences politiques, FNSP, laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Anaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon, ENTPEHélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEJulien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleMarion Carrel, Professeure de sociologie, Université de LilleSamir Hadj Belgacem, Maître de Conférence en sociologie à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneSümbül kaya, Chercheure, Responsable des Études contemporaines IFEA, Institut français d’études anatoliennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1475442020-11-11T17:32:22Z2020-11-11T17:32:22ZRejet, « complotisme » et désillusions : comment certains quartiers voient les politiques depuis 30 ans<p>Comment comprendre certaines attitudes radicales observées aujourd’hui dans des quartiers populaires vis-à-vis des institutions et des politiques ?</p>
<p>Très récemment la <em>Gazette des Communes</em> relevait à travers ses interlocuteurs qu’avec le nouveau confinement, les difficultés matérielles aggravées par la crise sanitaire, « “s’entremêlent” […] avec une tension liée aux suites de l’assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste. »</p>
<p>Et de souligner des prises de paroles particulièrement ambiguës, radicales et parfois confuses, voire complotistes, vis-à-vis des caricatures, de la stigmatisation des populations des quartiers et de la politique de la ville. Or, cet état de fait, cette « déformation de la réalité » parfois assumée, résulte d’un engrenage que j’ai pu déjà identifier <a href="https://journals.openedition.org/lectures/608">sur mes terrains</a> il y a plus de 20 ans.</p>
<p>Certes la situation des « banlieues » aujourd’hui n’est pas toujours aussi caricaturale que l’image présentée dans des médias, comme le montrait le rapport <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/les-quartiers-pauvres-ont-un-avenir">d’Hakim El Karoui</a> qui montre les nombreuses opportunités socio-économiques de ces quartiers.</p>
<p>Reste que les sentiments d’inégalité et d’injustice <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/le-journal-des-idees-emission-du-mardi-27-octobre-2020">nourris par les discriminations de tout ordre depuis des années</a> alimentent aujourd’hui le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/radicalisation-les-mauvais-garcons-de-fabien-truong">passage</a> un ressentiment qu’il oriente certains jeunes vers des chemins (retrait de la vie sociale, cycle sociale vers la délinquance, pratiques religieuses plus assidues, rébellions et provocations) plus radicaux et toujours plus excluants.</p>
<h2>Une défiance ancienne vis-à-vis du politique</h2>
<p>Mes <a href="https://pro.univ-lille.fr/eric-marliere/publications/">recherches</a> de socio-historien dans un ancien quartier de « banlieue rouge » au début des années 2000 montrent que l’image des hommes politiques est déjà régulièrement écornée, discréditée auprès des jeunes.</p>
<p>Une image qui reste d’actualité dans mes terrains plus récents portant désormais sur la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00556803">radicalisation</a>.</p>
<p>En effet, que ce soit chez les étudiants de la cité orientée vers une vision « complotiste » de la société ou chez les « galériens » et les « délinquants » qui voient l’homme politique comme un personnage hypocrite et corrompu, le politique au sens large apparaît comme fortement décrié et stigmatisé.</p>
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<figcaption><span class="caption">Banlieues : retour sur 40 ans de politique de la ville.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans les discussions, je note aussi que, lorsqu’on « parle politique », dans les années 2000 comme aujourd’hui, c’est le recours à l’insulte qui constitue le moyen de qualifier à la fois la fonction, mais aussi la personne qui incarne la fonction.</p>
<h2>Les insultes nous renseignent sur la perception du politique</h2>
<p>Dans quelle mesure les insultes formulées nous renseignent sur la perception du politique par une jeunesse des quartiers populaires urbains ?</p>
<p>Lors de nos <a href="https://journals.openedition.org/rfp/192">enquêtes de terrain</a> se déroulant de juin 1999 à mai 2002, j’avais occupé l’espace d’une cité afin de reconstruire les trajectoires sociales des jeunes dans un quartier post-industriel en voie de recomposition économique et sociale depuis la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/15070">fin du monde ouvrier et de son système social</a>. C’est ainsi que j’ai travaillé près des halls d’immeubles, lieux aux usages multiples – de petit trafic, de passages entre l’habitat et l’extérieur – mais aussi <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2002-3-page-87.htm">espaces politiques</a>.</p>
<p>L’insulte y est très présente et, comme je l’ai remarqué, exprime de manière spontanée et instantanée une conception négative du politique et de son personnel. Elle laisse ainsi entrevoir les modes de compréhension du monde politique parmi les personnes rencontrées tout en faisant office de réparation afin de renverser le stigmate dont ces jeunes se sentent victimes.</p>
<blockquote>
<p>« Honnêtement les politiques, ils ne travaillent pas pour le peuple. Ça se voit, non ? C’est clair comme de l’eau de roche… Celui qui n’a pas compris ça, il n’a rien compris que c’est tous des chiens ! » (32 ans, manutentionnaire en intérim, fils d’ouvriers français depuis plusieurs générations)</p>
</blockquote>
<p>Mais le politique peut aussi être appréhendé comme quelque chose de plus négatif dans le quotidien de ces jeunes :</p>
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<p>« Que ce soit la gauche ou la droite, c’est nous qui faisons les frais ! Les cités, les banlieues, les Arabes, etc. Toutes les mesures répressives c’est pour nous ! On est des boucs émissaires ! Et ça les beaufs ils ne comprennent pas ! Pour moi, que ce soit la gauche ou la droite, c’est tous des fils de putes ! » (29 ans, fils d’immigré algérien, travaille à Air France, célibataire)</p>
</blockquote>
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<figcaption><span class="caption">Nicolas Sarkozy et les banlieues (INA).</span></figcaption>
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<p>Pour notre interlocuteur, le politique renforce le racisme au quotidien et le stigmatise. Il pense d’ailleurs que la politique au sens général est nocive dans la mesure où l’homme politique légifère « à l’encontre » des « quartiers ».</p>
<p>Ce jeune ne possède pas une expertise fine des lois liées aux politiques de la ville mais sa réception des discours médiatiques l’encourage à penser que les hommes politiques dans leur globalité ne sont pas du côté des quartiers populaires urbains.</p>
<h2>L’incompréhension face délinquance en col blanc</h2>
<p>Parfois, le politique s’immisce dans le quotidien. Ainsi tel petit délinquant se plaint des contrôles de police à répétition ou de lois « liberticides » qui l’empêchent de « travailler » et de faire son « business ». Or, si le petit trafiquant de drogue admet que son activité est peu <a href="https://www.jstor.org/stable/3320952">justifiable</a>, il ne s’estime pas moins légitime que certains hommes politiques parfois mis en cause dans des affaires de justice mais qui « donnent des leçons » et légifèrent alors « qu’ils sont aussi délinquants » que lui mais « eux » protégés par la loi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/petit-guide-de-survie-a-lusage-de-lhomme-politique-mis-en-cause-132392">Petit guide de survie à l’usage de l’homme politique mis en cause</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Les personnes rencontrées suivent l’actualité politique mais la colère se fait ressentir dans la mesure où certains jeunes se perçoivent comme les boucs émissaires de la justice. Pour d’autres, il existe des nuances entre la gauche et la droite, mais malheureusement ces nuances ne suffisent pas à combler le désespoir qui anime notre interlocuteur qui poursuit :</p>
<blockquote>
<p>« Quand c’est la droite, c’est chaud pour nous ! Quand c’est la gauche, c’est la manipulation totale qui retombe sur nous à la fin quoiqu’il arrive ! Donc nous n’avons pas d’alliés en vrai… C’est ça qu’il faut se dire ! L’homme de droite est un facho, le mec de gauche une vraie salope ! » (26 ans, diplôme d’un DESS banque/finance, fils d’immigré algérien, célibataire)</p>
</blockquote>
<h2>Les élus locaux, entrepreneurs de leurs propres causes</h2>
<p>Si ce type de discrédit, reflété par un vocabulaire fort coloré, est courant, il existe aussi une autre forme de nuance, qui n’a pas évolué massivement en vingt ans : celle qu’il différencie l’homme politique national et l’élu municipal.</p>
<p>En effet, certains jeunes, pour des raisons diverses et variées, sont plus concernés par les enjeux de proximité :</p>
<blockquote>
<p>« Mon frère s’est marié. Ça fait cinq ans déjà qu’il a fait sa demande de logement. Il travaille et il a des fiches de paie. Toujours aucune réponse. Le céfran qui habite au-dessus de chez moi, il travaille de temps en temps… Eh bien ils lui ont proposé un logement la semaine dernière. C’est des bâtards à la mairie ! Ils sont soi-disant communistes, mais regarde… C’est du pipeau tout ça ! » (23 ans, fils d’immigré marocain, petit revendeur de cannabis, célibataire)</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/B15QJbb9wdA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discriminations en Seine-Saint-Denis : « On est face à un processus de ghettoïsation ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Les griefs et insultes à l’encontre les élus de la mairie émaillent mes notes et entretiens informels. Que ce soit pour les services du logement, de l’aide sociale ou de jeunesses et sports, les élus locaux sont appréhendés comme des personnes faisant du favoritisme en fonction de la couleur de peau, des affinités familiales ou amicales ou encore en fonction de leur appartenance politique.</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a rien pour nous ici ! C’est toujours les mêmes qui se partagent la part du gâteau. Les élus en Mairie… Nous nos parents ouvriers ont travaillé comme des chiens. Qu’est-ce qu’ils ont ? Rien ! Regarde les avantages qu’ils ont… Je vois le Maire circuler en vélo ! Cette bonne blague, c’est des escrocs ! Faut qu’ils arrêtent de parler au nom des ouvriers surtout ! » (33 ans, fils d’immigré algérien, éducateur et militant associatif, marié)</p>
</blockquote>
<p>Des jeunes rencontrés reprochent ainsi aux élus d’avoir accès a des logements confortables pour eux et leurs proches, de bénéficier d’avantages en argent, etc. Dans les halls, certains me citent tel ou tel notable ayant bénéficié d’un bon poste, d’un pavillon, etc.</p>
<h2>Le mensonge de la République</h2>
<p>La « diabolisation » des hommes politiques, des institutions et du « système » par ces idéologies peut influencer plus ou moins directement les perceptions de certaines personnes déstabilisées par les mutations en cours.</p>
<p>La position défendue par <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_enfants_du_chaos-9782707188779.html">Alain Bertho</a>, pour qui la manipulation est sans aucun doute l’apanage des élites économiques, politiques et médiatiques mérite d’être citée :</p>
<blockquote>
<p>« Entre la corruption et le mensonge des gouvernements, les États ont cherché des légitimités alternatives : la plus efficace, celle de la légitimité sécuritaire. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1046414712345440257"}"></div></p>
<p>Selon l’anthropologue certains jeunes des quartiers populaires ont compris ce subterfuge depuis longtemps ; en effet, pour l’auteur nous assistons à une sorte de « crise de la vérité » :</p>
<blockquote>
<p>« Il était frappant de voir à quel point la question du mensonge structurel de l’État à leur endroit et de l’absence cruelle de vérité dans les débats publics était au centre de leurs problématiques. »</p>
</blockquote>
<p>Derrière les insultes, nous percevons une perception plus ou moins commune d’une société hostile à leur égard. Mais l’insulte en réalité a deux fonctions :</p>
<ul>
<li><p>Rabaisser la fonction du personnel politique à un niveau plus bas que terre</p></li>
<li><p>S’insurger contre la République non pas pour ses valeurs et symboles mais pour le sentiment de trahison qu’elle inspire à certains jeunes qui sont confrontés à différents échecs et difficultés.</p></li>
</ul>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-dxKY_q56RQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du film <em>La Haine</em>.</span></figcaption>
</figure>
<p>En effet, cette hostilité à l’encontre des institutions de la République est interprétée par ces jeunes en fonction d’une expérience collective et personnelle faite <a href="https://theconversation.com/apres-chanteloup-les-vignes-sentiment-dinjustice-et-guet-apens-rythment-les-cites-126456">d’injustice</a>, d’inégalité, de discriminations, de maltraitance, etc. Et cette colère en quelque sorte est renforcée par une frustration sociale qui trouve sa racine dans ce qui est perçu comme un « mensonge » de la République, avec son message « Liberté, Égalité, Fraternité ».</p>
<hr>
<p><em>Cet article fait suite à une communication présentée lors du colloque organisé les 21 et 22 octobre, intitulé <a href="https://ceraps.univ-lille.fr/detail-event/les-usages-politiques-et-sociaux-de-linsulte/">« usages politiques et sociaux de l’insulte »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147544/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Marliere ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les halls des quartiers populaires, l’insulte exprime une conception négative du politique et de son personnel, considéré avec défiance et rejet.Eric Marliere, maître de conférences HDR en sociologie à l'université de Lille, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1487902020-10-27T22:23:30Z2020-10-27T22:23:30ZLa communauté éducative face à la radicalisation des jeunes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365739/original/file-20201027-16-1qvt58g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C24%2C979%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des collégiennes se recueillent devant le lycée du Bois d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine où travaillait Samuel Paty, l'enseignant assassiné le 18 octobre 2020.</span> <span class="attribution"><span class="source">Bertrand GUAY / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Voilà maintenant cinq années que les attentats de janvier et novembre 2015 ont eu lieu. Ces derniers temps, les actes terroristes commis sur le sol français déconcertent les autorités. En effet, tout comme Mickael Harpon (auteur de l’attentat à la préfecture de Paris) et Zaheer Hassan Mahmoud (auteur du crime devant les anciens locaux de Charlie Hebdo), Abdoullakh Anzorov, le tueur du professeur d’Histoire-Géographie Samuel Patty n’était ni fiché S ni étiqueté dans le <a href="https://theconversation.com/fiches-s-et-autres-fichiers-de-police-de-quoi-parle-t-on-vraiment-148640">fichier</a> des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).</p>
<p>Ces actes terroristes ont fait ressurgir dans le débat public ce que je qualifierais d’« atmosphère radicale », caractérisée par une ambiance confusionniste entremêlée d’une pelote d’opinions sur des sujets aussi divers que la laïcité, le terrorisme, le sentiment d’insécurité, la violence endémique, l’immigration, la liberté d’expression…</p>
<p>Difficile dans ce contexte d’agir et de réagir en tant que travailleur social et/ou enseignant. Des pistes existent néanmoins.</p>
<h2>Repérer les « signaux faibles »</h2>
<p>De manière sous-jacente, avec chaque attentat ou crime, se pose la question de la détection et du repérage du dit <a href="https://www.multitudes.net/biopolitique-du-travail-social/">« bas spectre »</a> de la radicalisation. Il s’agit d’individus non fichés par les renseignements présentant des signaux plus ou moins faibles et/ou hésitants face à <a href="https://journals.openedition.org/lectures/29968">l’offre radicale islamiste actuelle</a>.</p>
<p>Depuis les « moments emblématiques » de 2015, les enseignants tout comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-empan-2019-3-page-83.html">acteurs sociaux de proximité</a> sont encouragés à intervenir sur la problématique de la <a href="https://dubasque.org/2018/04/09/radicalisation-le-travail-social-est-subverti-par-la-logique-du-renseignement/">prévention de la radicalisation</a>.</p>
<p>Malgré la récurrence des actes terroristes dans maints territoires de la République, nombre d’entre eux rencontrés dans le cadre de mes travaux témoignent que ladite « radicalisation » concerne une frange minoritaire des élèves et jeunes accompagnées par ces <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-entraide-9782805920745.html">« entraidants »</a>.</p>
<p>Cependant, elle constitue une toile de fond réflexive omniprésente pour beaucoup d’intervenants sociaux. Ainsi cet éducateur, mandaté dans le cadre de la protection de l’enfance, pour intervenir auprès d’un enfant de huit ans après que ce dernier aurait élaboré des scénarios terroristes sur fond de décor religieux, ceci dans un centre de loisirs.</p>
<p>De manière concrète le spectre de la radicalisation impacte certains services jusqu’à remanier leurs missions professionnelles notamment en raison de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/10677">fléchages financiers</a> sur la radicalisation, à l’heure où la réduction des subventions publiques et le <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2009-2-page-128.htm">régime des appels d’offres</a> se sont imposés dans le secteur social.</p>
<h2>A quel moment signaler ?</h2>
<p>Sur le terrain lorsqu’un professionnel rencontre le cas d’un individu mineur dont la radicalisation est avérée, la situation est relayée à la <a href="https://cvm-mineurs.org/page/la-cellule-departementale-de-recueil-des-informations-preoccupantes-crip">Cellule de Recueil d’Informations Préoccupantes</a> (CRIP) constituée de professionnels formés, ayant pour objectif de recueillir et d’évaluer toutes les informations préoccupantes relatives à un mineur en danger ou en risque de l’être.</p>
<p>Néanmoins à l’image des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/10/22/assassinat-de-samuel-paty-a-conflans-un-assaillant-bien-connecte-au-jihad_1803209">propos</a> d’un spécialiste proche de la DGSE concernant les contacts d’Abdoullakh Anzorov avec la zone irako-syrienne « le problème n’est pas l’interception des données, mais leur analyse ».</p>
<p>Or, à quel moment signaler ? De plus avec la <em>taqîya</em> (pratique de précaution consistant, sous la contrainte, à dissimuler ou à nier sa foi) le repérage des individus fanatisés est d’autant plus malaisé.</p>
<h2>Renforcer le travail de prévention</h2>
<p>Alors que faire ? De nombreux enseignants, acteurs sociaux font état de la nécessité de renforcer le travail de prévention sociale et éducatif auprès des <a href="https://www.fabert.com/editions-fabert/jeunes-en-voie-de-radicalisation-mythes-realites-et-travail-educatif.3345.produit.html">« hésitants »</a>, ces jeunes sensibles aux discours radicaux, mais aussi ceux et celles en situation de vulnérabilité en amont d’une éventuelle « bascule », dont le phénomène d’emprise rend d’autant plus difficile toute intervention.</p>
<p>Un éducateur spécialisé ayant suivi Adel Kermiche à St Étienne du Rouvray me témoignait suite au crime de Samuel Paty ses réflexions quant à ce qu’il semblait possible afin d’éviter que certains ne <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/spectre-de-radicalisation/">« passent sous le radar »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne faut pas lâcher le terrain selon moi et toujours valoriser les minots, mais surtout proposer des alternatives, par exemple dans le cas du décrochage scolaire faire qu’ils puissent faire des stages dans les services de l’État et/ou dans les collectivités territoriales. »</p>
</blockquote>
<p>De tous ces témoignages recueillis, il ressort que le moyeu initial reste sous-entendu par un travail de prévention sociale et éducatif. D’où qu’il se fasse, que cela soit dans un cadre scolaire ou « hors les murs ». Dans tous les cas il vient en amont discuter, critiquer, contrecarrer, voire vilipender les velléités, désirs ou autres projections morbides.</p>
<h2>Un décalage profond au sein de la République</h2>
<p>Ces derniers jours, suite à l’assassinat terrible et abject de ce professeur, on assiste à une certaine récupération populiste associée à un soutien unanime au corps enseignant pourtant molesté <a href="https://laviedesidees.fr/La-nouvelle-ideologie-scolaire.html">depuis maintes années</a>.</p>
<p>Un professeur d’histoire-géographie travaillant dans un lycée en Seine Saint-Denis remarque ainsi le décalage de moyens entre son établissement actuel et ceux où il a enseigné pendant des années à Paris intra-muros :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais en train de concevoir une chose que je connaissais pourtant depuis des années, la fracture entre certains territoires. Les différences culturelles, les codes, et les nouvelles conditions de travail. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2009-3-page-553.htm">Michel Kokoreff</a> à propos d’une lecture croisée des travaux de Loïc Wacquant et Didier Lapeyronnie :</p>
<blockquote>
<p>« Il existe un contraste important entre les quartiers populaires de la périphérie où se sont installées des familles ouvrières et les beaux quartiers où la bourgeoisie locale vit dans un entre-soi protecteur des menaces incarnées par les logements HLM. Dans ce contexte, la pauvreté pèse lourdement sur la vie sociale. Elle désigne une situation faite de difficultés matérielles, de précarité des revenus et des statuts, d’incertitude. Elle est vécue par les habitants comme une distance et un isolement social. Distance accrue avec les classes moyennes, la ville centre, la société. Isolement plus ou moins prononcé en termes de contacts sociaux développés avec le monde extérieur. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré tout, de nombreux professeurs, travailleurs sociaux, constatent que, au fil du temps, le décrochage scolaire entraîne pour certains – bien que minoritaires – un sentiment de rupture avec l’école mais aussi avec les institutions étatiques.</p>
<blockquote>
<p>« Je travaille désormais dans un lycée polyvalent. Les assistants d’éducation sont trop peu nombreux pour gérer autant d’élèves. Nous travaillons dans des quartiers où le conflit est omniprésent, il en est de même dans les établissements scolaires. Les <a href="https://cache.media.eduscol.education.fr/file/actus_2011/99/8/Vademecum_EMS_ouebe_203998.pdf">Assistants d’éducation</a> (AE) sont insuffisants pour assurer une ambiance sereine. Ce sont en réalité les équipes mobiles de sécurité, aux profils très différents des AE, qui gèrent ces conflits.</p>
</blockquote>
<h2>La casse des liens de proximité renforce la désaffiliation</h2>
<p>Depuis les années 1980, la « casse » des corps intermédiaires que représentent les institutions, associations, service public-commerces de proximité, syndicats, en milieu urbain ou rural a renforcé le sentiment de désaffiliation étatique pour beaucoup de nos concitoyens.</p>
<p>Ces lieux où des personnes attachées aux services publics relayaient la parole des habitants, mais également fournissaient des aides incarnées par des personnes connues des habitants ou avaient des relations interpersonnelles avec les usagers.</p>
<p>De manière parallèle, ce sentiment de désaffiliation vis-à-vis de l’État rend <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/recidive-1938">difficile</a> la mission de transmission de sujets tels que la <a href="https://theconversation.com/la-la-cite-un-principe-au-fondement-de-lecole-de-la-republique-148567">laïcité</a> ou la liberté d’expression par les enseignants et autres acteurs du champ de l’éducation spécialisée.</p>
<p>Cependant, d’autres méthodes d’expérimentations vivaces sont en cours sur le terrain comme le rappelait par exemple un article de <em>Mediapart</em> consacré aux travaux de quatre chercheuses montrant comment les valeurs de la République continuent de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/191020/dans-les-ecoles-les-valeurs-de-la-republique-se-transmettent">se transmettre</a>.</p>
<h2>Sémantique guerrière</h2>
<p>Sur cette question épineuse du traitement de la laïcité dans le cadre scolaire ou dans la cité, des professeurs et travailleurs sociaux témoignent qu’il est devenu complexe dans un contexte de diffusion d’une « sémantique guerrière » politique et médiatique assumée et décomplexée de différencier laïcité de combat et laïcité d’ouverture. Un professeur nuance ainsi la façon dont cet enseignement est fait, critiquant l’apprentissage d’une laïcité de « combat » ouvertement anti-religieuse :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai beaucoup d’élèves musulmans qui sont de parfaits jeunes républicains, polis, bienveillants et ouverts d’esprit. J’enseigne moi-même l’Enseignement Moral et Civique. Mon premier devoir en tant que fonctionnaire d’État, laïc, est d’être neutre. Ainsi, tout le monde doit participer, peu importe ses croyances, à tous les enseignements. Un enseignement dans lequel on apprend la laïcité ne déroge donc pas à la règle. En décidant de travailler la laïcité (et non pas la liberté d’expression comme je l’entends partout à la télévision) à partir des caricatures de Mahomet, [on] pointe une religion du doigt. […] Pourquoi ne pas avoir étudié par exemple les <em>Sept laïcités françaises</em> de <a href="http://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100670050">Jean Baubérot</a> (2015) ? »</p>
</blockquote>
<p>L’emprise de l’image a renforcé ces dernières années un magma de significations sur cette thématique renforçant les significations identitaires et communautaires, <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/671136/la-trahison-contemporaine-de-la-laicite/">d’un côté comme de l’autre</a>.</p>
<h2>Un confusionnisme des idées</h2>
<p>Il n’existe pas de nouvelles « bonnes pratiques » ni de programmes spécifiques pour prévenir la bascule de sujets en voie de radicalisation, mais cahin-caha, les animateurs ou autres enseignants et éducateurs contribuent à prévenir ce phénomène en diffusant des <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2015-2-page-164.htm.">stratégies de civilité</a> autrement dit de déjouer les ressorts à la violence et à l’extrémisme.</p>
<p>Or travailler en amont auprès des jeunes, y compris les « hésitants », devient de plus en plus rude dans un atmosphère où se renforce chaque jour un confusionnisme des idées à coup de qualifications aux effets ricochets indéniables (racailles, voyous, sauvageons…) et des mesures politiques catastrophiques (suppression de la police de proximité en 2003, loi sur la prévention de la délinquance de 2007…) corrélées à des <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2020/10/02/cnews-a-nouveau-sous-le-feu-des-critiques-apres-des-propos-racistes-d-eric-zemmour-sur-les-mineurs-isoles_6054445_3236.html">opiniologies médiatiques décomplexées</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1319002165810221058"}"></div></p>
<p>En ce sens la radicalisation du débat public renforce un sentiment d’insécurité ainsi que le déploiement de « dispositifs » sécuritaires d’exception devenus pérennes.</p>
<p>Mais au-delà de ce climat morose, il reste des raisons d’espérer. Car à la question « Que faire ? », on peut oser une réponse : chercher, esquisser, faire sens.</p>
<p>L’histoire nous apprend que c’est dans les périodes de crises qu’émergent des expériences novatrices, des opportunités de changement comme le <a href="https://www.dortier.fr/la-ou-croit-le-peril-croit-aussi-ce-qui-sauve-est-ce-vrai/#:%7E:text=Jean%2DFran%C3%A7ois%20Dortier-,%E2%80%9CL%C3%A0%20o%C3%B9%20cro%C3%AEt%20le%20p%C3%A9ril%20cro%C3%AEt%20aussi%20ce%20qui%20sauve,bases%20de%20leur%20propre%20d%C3%A9passement.">disait Friedrich Holderlin</a> : « Là où croit le péril… croit aussi ce qui sauve. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Puaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question de la radicalisation constitue une toile de fond réflexive omniprésente pour beaucoup d’intervenants sociaux.David Puaud, Anthropologue, IRTS Poitou-CharentesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1488172020-10-27T22:23:12Z2020-10-27T22:23:12ZPourquoi le sport est devenu une cible pour les islamistes<p>Selon une information révélée par <em>Le Parisien</em> le 18 octobre 2020, Abdoullakh Anzorov, l’assassin du professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, avait fréquenté un <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-conflans-l-assassin-avait-frequente-un-club-de-lutte-au-passe-trouble-18-10-2020-8403839.php">club de lutte</a>.</p>
<p>En 2017, dans ce même club, des dérives communautaires avaient été signalées, notamment des prières dans les vestiaires ou des pressions sur les tenues vestimentaires des jeunes femmes licenciées. Placée sous tutelle, cette association a été l’une des premières de France à se trouver dans le viseur de l’État pour communautarisme.</p>
<p>Certaines salles de sports dans les banlieues sont-elles devenues des lieux de l’entre-soi et un éventuel ferment de l’islamisme ? Une forme d’emprise prosélyte s’exerce-t-elle en direction des jeunes de confession musulmane qui fréquentent certains lieux de pratique sportive ?</p>
<h2>Le « sport communautaire »</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que le milieu sportif <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/686332/radicalisation-dans-le-sport-le-ministere-pointe-du-doigt/">est pointé du doigt</a> par des <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/629030/radicalisation-le-milieu-sportif-suscite-des-inquietudes/">rapports</a> ou des notes des renseignements généraux alertant sur les dérives communautaires ou la radicalisation dans le sport.</p>
<p>Mais, à ce jour, au-delà de travaux sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2008-1-page-73.htm">regroupements sportifs communautaires</a>, aucune étude sociologique sérieuse n’analyse la place du religieux dans le sport, tant de haut niveau qu’amateur, ni à plus forte raison le processus de basculement dans le cadre sportif de jeunes de culture musulmane vers la radicalisation islamiste violente.</p>
<p>Pourtant, dès les années 2000, le « sport communautaire » devient une question politique. À l’occasion de son audition devant la « commission Stasi » de réflexion nationale sur la laïcité (2003), le ministre des Sports de l’époque, Jean‑François Lamour, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/143446-declaration-de-m-jean-francois-lamour-ministre-des-sports-sur-la-fonc">souligne</a> :</p>
<blockquote>
<p>« le développement de clubs communautaires qui s’accompagne d’une logique de repli. »</p>
</blockquote>
<p>En 2004, les Renseignements généraux alertent sur le « repli communautaire » constaté au sein de certains <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/07/05/les-rg-constatent-un-phenomene-de-repli-communautaire-dans-la-moitie-des-quartiers-sensibles-surveilles_371600_1819218.html">quartiers sensibles</a>.</p>
<p>Ils y notent une forte concentration de familles « cumulant les handicaps sociaux et culturels » et le rôle croissant de prédicateurs islamistes radicaux, notamment des prêcheurs salafistes « qui œuvrent dans le domaine sportif ou éducatif ».</p>
<p>Pendant les dix ans qui séparent les émeutes urbaines de l’automne 2005 des attentats de l’année 2015, la France voit se creuser dans certains quartiers paupérisés ces nouvelles lignes de faille avec l’avènement d’une version « intégrale » de l’Islam abondamment relayée par les réseaux sociaux.</p>
<h2>L’émergence des « entrepreneurs d’ethnicité »</h2>
<p>Des « entrepreneurs d’ethnicité », comme les nomment <a href="https://journals.openedition.org/teth/563">l’anthropologue Jean‑Loup Amselle</a> investissent le sport dans ces quartiers défavorisés et transforment les jeunes sportifs français de confession musulmane en « sportifs musulmans ».</p>
<p>Ce travail sur les identités se situe dans un processus plus général d’ethnicisation des rapports sociaux qui touche de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/06/02/le-football-est-devenu-le-laboratoire-de-l-ethnicisation-de-notre-societe_4931249_3232.html">nombreux domaines et notamment le sport</a>.</p>
<p>Dans de nombreuses banlieues, le sport devient ainsi l’un des moyens d’entrer en contact avec des mineurs issus de l’immigration. D’autant que dans leur propagande, les djihadistes (depuis les terrains de guerre) soulignent que l’activité physique permet non seulement de forger un capital corporel utile pour les combats futurs, mais également de souder l’engagement des <a href="https://www.terrorisme.net/2003/02/11/document-comment-mentrainer-pour-le-jihad/">« frères » dans la croyance</a>.</p>
<p>Les biographies de radicalisés anciens sportifs amateurs, par exemple <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/romain-garnier-haut-saonois-parti-faire-le-djihad-arrete-en-syrie-1514490441">Romain Garnier</a>, ancien nageur dans un club à Vesoul parti faire le djihad en Syrie, montrent que ce n’est pas tant la « misère de condition » des jeunes adultes qui conduit à la radicalisation islamiste et l’embrigadement djihadiste mais plutôt une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-misere-du-monde-pierre-bourdieu/9782757851524">« misère de position »</a>.</p>
<p>Elle naît du regard qu’ils portent sur une autre population qu’ils essentialisent et qu’ils considèrent comme privilégiée. Ils sont aussi sensibles à la rhétorique fondée sur l’humiliation, dans laquelle ils trouvent un écho à leur situation personnelle.</p>
<h2>L’appel au djihad</h2>
<p>L’exemple des dix Strasbourgeois originaires du quartier de La Meinau partis en Syrie pour rejoindre les rangs de l’État islamique en 2013 est à ce titre <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/la-filiere-djihadiste-de-strasbourg_1798652.html">éclairant</a>.</p>
<p>Âgés de 24 à 27 ans, ces jeunes hommes issus de l’immigration maghrébine partagent, outre leur goût du sport, une même condition sociale. Ils ont tous suivi peu ou prou la même trajectoire : une enfance dans un quartier populaire, marquée par la désorganisation familiale, l’échec scolaire, la désaffiliation, qui a fait naître un sentiment de frustration recyclé en haine de la France.</p>
<p>L’analyse de leurs parcours adolescents montre également qu’ils ont tous pratiqué un sport valorisant l’entre-soi masculin, la puissance physique et la virilité (musculation, football, boxe, préparation physique).</p>
<p>Là où l’on peut observer un tournant, au moins dans le discours, c’est lorsque dans une vidéo postmortem postée sur Internet après les attentats de <em>Charlie Hebdo</em> et de l’Hyper Casher (janvier 2015), le terroriste islamiste Amedy Coulibaly appelle « les sportifs musulmans à défendre l’Islam ».</p>
<p>Ancien coach sportif dans une salle de fitness à <a href="https://www.lepoint.fr/societe/quand-coulibaly-etait-coach-sportif-20-01-2015-1897978_23.php">Grigny</a>, la ville où il a grandi, il déclare dans cette vidéo :</p>
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<p>« J’ai sillonné les mosquées de France. Elles sont pleines d’hommes pleins de vigueur ! Elles sont pleines de jeunes sportifs ! Pourquoi ces milliers de personnes ne défendent pas l’Islam ? »</p>
</blockquote>
<p>En juillet 2015, une <a href="https://www.lepoint.fr/societe/comment-le-sport-peut-etre-source-de-radicalisation-15-10-2015-1973735_23.php">note confidentielle</a> rédigée par le service central du renseignement (SRCT) et intitulée « le sport amateur vecteur de communautarisme et de radicalité » relève enfin que des sportifs proches de la mouvance salafiste pratiquent leur religion de plus en plus ostensiblement dans les espaces du sport amateur et tentent d’imposer ces pratiques aux plus jeunes.</p>
<p>Pourquoi, depuis plus de trente ans, les jeunes sportifs amateurs issus de l’immigration maghrébine ou africaine (récente ou ancienne) sont-ils la cible des prédicateurs salafistes puis des djihadistes et de leurs recruteurs ?</p>
<h2>Le sport, un vecteur d’émancipation citoyenne</h2>
<p>L’une des réponses est que le sport – comme l’école – participe de l’intégration des jeunes Français issus de l’immigration et de confession musulmane et pose les bases de leur émancipation citoyenne : confrontation à l’autre dans le respect de règles communes, mise à distance de ses croyances religieuses, reconnaissance de la mixité.</p>
<p>Pour certains « jeunes des cités » décrocheurs scolaires, le <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/1186#xd_co_f=MTBlNzFiZDctY2QyMy00N2UyLWIxY2ItZjljYzdmYzc2MWNh">sport</a> peut également être l’une des voies de <a href="https://www.la-croix.com/Famille/Education/Developper-sport-reduire-decrochage-scolaire-2018-07-04-1200952553">promotion sociale</a>.</p>
<p>De nombreux exemples « vus à la télé » de footballeurs et autres athlètes des milieux populaires et d’origine maghrébine montrent que le sport favorise la réussite de personnes dont les origines peuvent constituer un frein dans d’autres domaines. L’ex-champion du monde de football Zinedine Zidane, le rugbyman <a href="https://www.europe1.fr/sport/Abdelatif-Benazzi-ce-ne-sont-pas-des-musulmans-708540">Abdelatif Benazzi</a>, le boxeur Brahim Asloum, les footballeurs Adil Rami et Samir Nasri sont des exemples « visibles » de réussites sociales grâce au sport.</p>
<p>Par leur discrétion sur leur éventuelle confession, ils se démarquent <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110114.RUE9966/abidal-ribery-allah-est-il-devenu-le-dieu-des-stades.html">d’autres vedettes</a> du football, du basket ou de l’athlétisme qui affichent, eux, leur religiosité sur les terrains et sous l’œil des caméras, suggérant un lien entre la réussite sportive (et sociale) et l’observance religieuse. En quoi cela peut-il influencer le comportement des jeunes sportifs amateurs ?</p>
<h2>Une confusion entre l’espace sportif et l’espace cultuel</h2>
<p>Même si les clubs de football ou de combat affiliés aux fédérations et implantés dans les banlieues ont un fonctionnement très encadré, ils sont néanmoins confrontés depuis quelques années à de nouvelles revendications d’ordre religieux (par exemple, port du bermuda sous la douche, prière dans les vestiaires, demande de repas hallal…) qui sont indéniablement la marque d’une confusion entre l’espace sportif et l’espace cultuel et d’une absence de repères.</p>
<p>Par ailleurs, dans les quartiers où se concentrent la pauvreté et l’immigration se sont développés des associations, des espaces privés de pratique ou des regroupements auto-organisés concurrents que l’on peut qualifier de « communautaires » visant l’entre-soi.</p>
<p>Dans l’un des chapitres de l’ouvrage <a href="https://www.puf.com/content/Les_territoires_conquis_de_lislamisme"><em>Les territoires conquis de l’islamisme</em></a> de Bernard Rougier, Hugo Micheron montre comment les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/fabien-clain-voix-de-la-revendication-des-attentats-du-13-novembre_1823711.html">frères Clain</a> (convertis à l’islam en 1999) attirent des jeunes du quartier du Mirail à Toulouse par le biais du basket « 3 contre 3 » sur les plateaux extérieurs.</p>
<p>À Trappes, ce sont des prédicateurs du <a href="https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/155">Tabligh</a> (mouvement qui prône une pratique stricte de l’islam sunnite à destination des musulmans de la diaspora) qui proposent boissons sucrées et confiseries aux adolescents après les parties de football aux pieds des immeubles.</p>
<p>Cependant, lorsqu’ils pratiquent un sport de compétition, la grande majorité des jeunes des quartiers populaires sont licenciés dans des clubs non communautaires qui s’inscrivent dans le paysage associatif traditionnel.</p>
<p>Une enquête menée en Alsace à partir des prénoms des licenciés de football indique qu’en 15 ans, les regroupements communautaires <a href="https://journals.openedition.org/sds/6469">ont marqué le pas</a>. À l’image des joueurs de l’équipe de France, les footballeurs amateurs issus de l’immigration se fondent dans le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-creuset-francais-gerard-noiriel/9782757857786">« creuset français »</a>.</p>
<p>Dès lors, pour contrecarrer dans les quartiers populaires le projet de fragmentation communautaire formé par les islamistes, il importe de renforcer l’accueil de tous ces jeunes – garçons et filles – dans les clubs sportifs et de leur proposer une véritable éducation à la citoyenneté.</p>
<p>Les collectivités et l’État devront s’appuyer sur des associations laïques et ouvertes, solidaires du travail d’émancipation réalisé par l’école républicaine. Pour cela, outre l’attribution de moyens, il faudra veiller à la formation des éducateurs et inciter les dirigeants à favoriser la mixité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148817/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Gasparini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dès les années 2000, le « sport communautaire » devient une question politique. Décryptage d’un phénomène sensible.William Gasparini, Professeur, sociologie du sport, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.