tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/refugies-20375/articlesréfugiés – The Conversation2024-03-05T16:03:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2249852024-03-05T16:03:01Z2024-03-05T16:03:01ZÊtre une femme devient un motif d’obtention du statut de réfugié<p>Alors que le Congrès réunit à Versailles vient de voter l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Constitution</a>, une autre évolution majeure pour la protection des droits des femmes est passée plus inaperçue : la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2024-01/cp240007fr.pdf">janvier dernier</a>, des femmes comme « groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951.</p>
<p>Sous ses abords techniques, moins immédiatement séduisants qu’une inscription dans le texte suprême d’un État, cette évolution est pourtant une quasi-révolution. C’est la première fois en effet que la plus haute instance juridictionnelle de l’Union européenne (UE) reconnaît que les femmes peuvent, sous certaines conditions prévalant dans leur pays d’origine, être reconnues réfugiées du fait de craintes de persécutions liées au genre. Les femmes victimes de <a href="https://theconversation.com/juger-les-violences-conjugales-une-audience-historique-sur-le-controle-coercitif-en-france-220894">violences conjugales</a> – objet de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 16 janvier – mais également, par exemple, les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>, du fait du traitement qui leur est réservé par les <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-les-afghanes-refusent-de-garder-le-silence-188624">talibans</a>, pourront désormais bénéficier d’une protection internationale certaine et améliorée.</p>
<h2>Le « groupe social », motif de protection</h2>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié définit ce dernier comme :</p>
<blockquote>
<p>« toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […] ».</p>
</blockquote>
<p>L’« appartenance à un certain groupe social » est certainement le motif de persécution le plus « énigmatique » ainsi que l’avait qualifié il y a quelques années un rapporteur public du Conseil d’État : ce qu’il signifie n’est pas aussi évident que les « opinions politiques », la « nationalité », ou la « religion ». S’il est fort probable qu’en 1951 le « groupe social » visé était celui des classes bourgeoises fuyant le communisme, l’indéfinition originelle de cette notion va faire beaucoup pour l’adaptation de la Convention à l’évolution de la protection des droits de la personne humaine.</p>
<p><a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">Harmonisée</a> par le droit de l’Union européenne au début des années 2000, la définition du « groupe social » fait appel à deux critères très généraux, que l’on peut résumer simplement de la manière suivante : font partie du même « groupe social » les personnes qui, d’une part, partagent une caractéristique innée ou une histoire commune et, d’autre part, ont de ce fait une identité propre et sont perçues comme différentes par la société environnante. Or, cette définition a permis le développement, au fil des années, d’une jurisprudence promouvant principalement la protection des personnes victimes, dans leur pays d’origine, de persécutions liées au genre : tel est le cas, notamment et surtout, des personnes homosexuelles, des femmes et fillettes craignant des <a href="https://theconversation.com/excision-les-conges-dete-periode-a-risque-pour-les-adolescentes-77690">mutilations génitales</a>, ou encore des femmes s’opposant au <a href="https://theconversation.com/au-liban-les-mariages-dadolescentes-continuent-de-prosperer-92554">mariage forcé</a> – pour citer trois des principaux groupes sociaux reconnus dans certains pays d’origine par la <a href="https://euaa.europa.eu/fr/publications/guide-sur-lappartenance-un-certain-groupe-social">jurisprudence</a> de la plupart des États membres de l’Union européenne.</p>
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<p>Dans de nombreuses hypothèses, tout à fait inimaginables en 1951, le « groupe social » a ainsi permis la protection de minorités persécutées à raison de leur orientation sexuelle ou de leur opposition aux traditions constitutives de tortures ou traitement inhumains ou dégradants. Ce motif a assuré ce faisant la pertinence continue – et donc la pérennité – de la Convention de Genève. Jusqu’à présent cependant, le « groupe social des femmes » n’avait été reconnu que très épisodiquement, par <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=7ee22fba7f6f517290864502c8df502f32b219c1">quelques cours de justice</a> dont l’isolement permettait sans doute l’audace. Il en va désormais tout autrement avec la consécration de cette option de protection par la CJUE.</p>
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<h2>Le « groupe social des femmes », une (r) évolution ?</h2>
<p>La reconnaissance d’un groupe social « des femmes » se heurtait au second critère de la définition : comment considérer en effet que les femmes, qui constituent généralement peu ou prou la moitié de la société d’un pays, puissent être perçues comme « différentes » par une « société environnante »… dont elles font elles-mêmes partie pour moitié ? Les personnes homosexuelles, les femmes s’opposant à l’excision ou au mariage forcé sont minoritaires au sein de la société, et sont perçues comme différentes, y compris par les autres femmes. Dans certaines hypothèses spécifiques cependant, les femmes dans leur ensemble sont perçues comme différentes.</p>
<p>C’est pourquoi, selon la CJUE, « il y a lieu d’apprécier », pour déterminer l’existence d’un groupe social au sens de la Convention de 1951, si un ensemble de personnes partageant une caractéristique ou une histoire commune est perçu de ce fait comme distinct « au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§56 de l’arrêt</a>). La « société environnante » est entendue en un sens large englobant les normes – juridiques, sociales, culturelles, etc. – dont l’objet est précisément de spécifier une partie de la population en raison de caractéristiques liées au genre. Les discriminations ou persécutions visant la part féminine de la population participent de sa marginalisation et permettent de la constituer en groupe social au sens de la Convention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Le raisonnement permet la généralisation. Comme l’affirme la Cour, grâce à cette approche et « en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à “un certain groupe social” […] les femmes de ce pays dans leur ensemble » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§62</a>).</p>
<p>Telle est la principale révolution. S’il est vrai que les femmes pouvaient déjà, à raison de persécutions liées à leur genre, être protégées, cela se faisait au cas par cas et sur une base juridique régionale et non internationale, offrant une protection moindre. Désormais, les « femmes dans leur ensemble », originaires d’un pays au sein duquel elles auront été reconnues comme faisant partie d’un groupe social, pourront prétendre à la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951.</p>
<h2>Un « groupe social » des femmes afghanes ?</h2>
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<p>Le raisonnement de la Cour a permis, dans cette affaire, de reconnaître que les femmes peuvent être regardées comme :</p>
<blockquote>
<p>« appartenant à un “certain groupe social” […] lorsqu’il est établi que, dans leur pays d’origine, elles sont, en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques » (§57).</p>
</blockquote>
<p>Mais la généralisation qu’elle opère ouvre la voie à la reconnaissance d’autres groupes sociaux de femmes – et l’on songe évidemment à une telle reconnaissance concernant les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>. La Cour nationale du droit d’asile a d’ailleurs précédé la CJUE sur ce point, jugeant dans des décisions d’octobre dernier (par ex. CNDA, 3 oct. 2023, M.N.,n°22037537) que :</p>
<blockquote>
<p>« l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane » permettaient de considérer que les « femmes afghanes constituent un groupe social ».</p>
</blockquote>
<p>Loin des débats politiques sur les questions migratoires <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/en-bref/la-loi-immigration-a-lepreuve-du-conseil-constitutionnel-4197/">qui ne s’encombrent pas de préoccupations juridiques</a>, la protection internationale des femmes poursuit ainsi son évolution, par le droit international et grâce à son interprétation par les juges européens et nationaux.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://www.refwar.fr/">REFWAR</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est co-porteur du projet « RefWar », financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), s'intéresse à la protection en France des « réfugiés de guerre », c'est-à-dire de celles et ceux qui sont contraints à l'exil en raison d'un conflit armé dans leur État de nationalité ou de résidence.
</span></em></p>En janvier 2024, la CJUE a reconnu pour la première fois que les femmes pouvaient, sous certaines conditions, être reconnues réfugiées du fait de leur genre.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216342024-02-21T15:45:16Z2024-02-21T15:45:16ZRéfugiés : favoriser l’intégration sur le marché du travail par la reconnaissance des compétences<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/570595/original/file-20240122-27-hhoewy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=66%2C17%2C2038%2C1302&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Passeport européen des qualifications pour les réfugiés, lancé en 2018, constitue un exemple d’initiative pour une meilleure adéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://search.coe.int/directorate_of_communications/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680796fc0">Communiqué de presse du Conseil de l’Europe (2018)</a></span></figcaption></figure><p>La question de <a href="https://cordis.europa.eu/article/id/415479-migration-and-migrant-integration-enabling-knowledge-based-approaches-to-migration-policy">l’intégration des réfugiés</a>, définis comme des personnes qui ont fui leur pays d’origine en quête de protection et de sécurité dans un autre pays et sans possibilité de retour, a pris de l’importance en Europe au cours de la dernière décennie. Ces personnes ont souvent vécu l’expérience traumatisante de tout perdre et se retrouvent dans un pays qu’elles n’ont pas choisi. Contrairement aux migrants volontaires, les réfugiés sont donc confrontés à des défis uniques en termes d’intégration sociale et économique.</p>
<p>Dans le même temps, les élections nationales en Europe continuent de refléter une <a href="https://theconversation.com/the-impact-of-immigration-on-eu-countries-nationalistic-sentiments-117632">forte opposition à la migration en général</a> et aux migrants réfugiés en particulier. Les gouvernements nationaux ont tendance à adopter des mesures politiques très conservatrices, souvent fondées sur l’hypothèse qu’un afflux de réfugiés constitue une menace pour la société d’accueil.</p>
<p>L’adoption récente de la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-immigration-souligne-de-graves-dysfonctionnements-democratiques-220301">loi sur l’immigration</a> par le parlement français illustre cette évolution vers un paysage plus restrictif pour les réfugiés et les organisations qui les soutiennent. Les tentatives des gouvernements italien et britannique d’établir des centres d’accueil de réfugiés en Albanie et au Rwanda, respectivement, témoignent d’un changement de politique similaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1136791844170457088"}"></div></p>
<p>Pourtant, une importante <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/sites/fr-fr/files/2023-06/UNHCR_Rapport_2023_quanti_pages_V5.pdf">étude</a> publiée en juin 2023 par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) suggère qu’il existe une demande émergente de talents réfugiés dans le secteur privé. Réalisée à partir d’une enquête en ligne menée auprès d’entreprises françaises, l’étude a sollicité 225 entreprises et a révélé une volonté et un intérêt notables de la part de ces entreprises pour le recrutement des réfugiés. L’enquête englobe un large éventail d’industries, avec dix-sept secteurs représentés, dont le secteur des services, le commerce, l’industrie manufacturière et la construction.</p>
<h2>Un contexte de pénurie de main-d’œuvre</h2>
<p>La figure ci-dessous résume les principales conclusions de l’enquête : 44 % des entreprises interrogées se déclarent mobilisées en faveur des réfugiés. Quant aux 49 % des entreprises qui répondent le contraire, elles l’expliquent principalement par un manque d’information sur le sujet ou l’absence d’opportunité et/ou de partenariat.</p>
<p><iframe id="ZMOvB" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZMOvB/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En outre, 71 % des entreprises indiquent qu’elles embaucheraient des travailleurs réfugiés si certains obstacles étaient levés. Surmonter les obstacles linguistiques, permettre aux réfugiés d’accéder au marché du travail et combler les lacunes en matière d’information auprès des employeurs potentiels faciliterait donc l’intégration économique et sociale des réfugiés dans le pays d’accueil.</p>
<p>Dans le contexte actuel de <a href="https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/penurie-de-main-doeuvre-quels-sont-les-metiers-sous-tension-spallian/">pénurie de main-d’œuvre</a>, ces réfugiés pourraient de surcroît combler des emplois laissés vacants par les autochtones. Mieux, ils pourraient contribuer positivement au marché du travail en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022199613001268">renforçant la diversité des compétences</a> productives dans l’économie de destination.</p>
<h2>Des opportunités limitées</h2>
<p>Les gains pour l’économie d’accueil apparaissent potentiellement importants, mais ils restent actuellement théoriques car les réfugiés ont environ <a href="https://academic.oup.com/joeg/article-abstract/22/2/351/6370048?redirectedFrom=fulltext">12 % de chances de moins d’avoir un emploi</a> que les migrants volontaires aux caractéristiques similaires, et cet écart persiste jusqu’à 10 ans après l’immigration.</p>
<p>En effet, outre le profond traumatisme lié au déplacement forcé, les réfugiés sont souvent confrontés à la <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amd.2020.0157">difficulté de faire connaître leurs compétences</a>, leurs qualifications et leur expérience lorsqu’ils cherchent un emploi dans les pays d’accueil. Cet obstacle <a href="https://www.researchgate.net/profile/Betina-Szkudlarek/publication/340257562_Unveiling_the_Canvas_Ceiling_A_Multidisciplinary_Literature_Review_of_Refugee_Employment_and_Workforce_Integration/links/5f7fc2e292851c14bcb8ea16/Unveiling-the-Canvas-Ceiling-A-Multidisciplinary-Literature-Review-of-Refugee-Employment-and-Workforce-Integration.pdf">limite inévitablement leur accès aux opportunités d’emploi</a> souhaitées et correspondantes à leurs parcours.</p>
<p>Comment commencer à remédier à cette inadéquation ? Il existe actuellement deux approches complémentaires. La première consiste à améliorer les compétences linguistiques en les associant à une formation professionnelle ou à un enseignement complémentaire. Parler la langue du pays d’accueil permet aux réfugiés de s’inscrire dans le système éducatif et <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w30534/w30534.pdf">facilite la transférabilité de leurs compétences</a>.</p>
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<p>La Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair) fournit ainsi des <a href="https://accueil-integration-refugies.fr/wp-content/uploads/2018/06/Strat%C3%A9gie-int%C3%A9gration-V050618-Logos.pdf">informations détaillées</a> sur l’accès des réfugiés et des autres migrants à l’enseignement des langues et à la formation professionnelle. Récemment, <a href="https://start.lesechos.fr/apprendre/universites-ecoles/sciences-po-dauphine-les-ponts-comment-ces-ecoles-aident-des-refugies-a-sintegrer-2013469?xtor=CS2-13">divers programmes ont également vu le jour</a> dans les établissements d’enseignement, offrant aux réfugiés la possibilité de poursuivre leurs études et d’améliorer leur employabilité.</p>
<p>La deuxième approche consiste à aider les réfugiés à mettre en valeur leurs compétences et aptitudes existantes. Le <a href="https://rm.coe.int/sample-eqpr-/16809874fb">Passeport européen des qualifications pour les réfugiés</a>, lancé en 2018, constitue par exemple aujourd’hui un moyen de faire valoir leurs qualifications auprès d’employeurs potentiels. Bien que le document ne serve pas de reconnaissance des compétences professionnelles effectives des réfugiés, il décrit efficacement le parcours éducatif, l’expérience professionnelle antérieure et les compétences linguistiques du demandeur sur la base des informations dont il dispose.</p>
<p>La diversité des systèmes d’éducation et de qualification d’un pays à l’autre nécessite des méthodes d’évaluation des compétences plus ciblées et plus ambitieuses. Ces méthodes permettraient d’aligner les compétences et les qualifications des réfugiés sur les exigences spécifiques du pays d’accueil et les besoins des entreprises, favorisant ainsi un processus d’appariement plus efficace.</p>
<h2>Une solution gagnant-gagnant</h2>
<p>Une évaluation et une reconnaissance efficaces des compétences des réfugiés peuvent présenter de nombreux avantages. Pour les réfugiés, cela signifie éviter la dévaluation de leurs compétences et permettre une intégration rapide sur le marché du travail souhaité sans avoir besoin de poursuivre des études. Les entreprises peuvent quant à elles bénéficier d’un accès plus efficace aux qualifications dont elles ont besoin et obtenir des informations plus fiables.</p>
<p>En outre, mobiliser le potentiel inexploité de la main-d’œuvre réfugiée peut contribuer à atténuer les pénuries observées aujourd’hui dans divers secteurs. Enfin, d’un point de vue sociétal et économique, faciliter l’accès rapide à l’emploi peut non seulement alléger le fardeau des systèmes de protection sociale, mais aussi favoriser la cohésion sociale. Cela contribuerait par la suite à modifier le discours et les perceptions négatives que les autochtones ont généralement à l’égard des réfugiés.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cette contribution est publiée en partenariat avec le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/">Printemps de l’Économie</a>, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/12e-edition-2024">programme complet</a> de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221634/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simone Moriconi est membre de l'IESEG School of Management (LEM UMR-9221), de l'Institut Convergences Migrations, et du CESifo Munich. Il a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Juan Munoz Morales est membre de de l'ÉSEG School of Management (LEM UMR-9221), et de IZA. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Farah Kodeih ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réfugiés, qui ont environ 12% de chances de moins d’avoir un emploi que les migrants volontaires, peinent à faire valoir leurs formations et expériences passées dans leurs pays d’accueil.Simone Moriconi, Full professor, IÉSEG School of ManagementFarah Kodeih, Associate professor of strategy, IÉSEG School of ManagementJuan Munoz Morales, Assistant Professor of Economics, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224532024-02-08T16:57:47Z2024-02-08T16:57:47ZSauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer<p>Des voix <a href="https://defishumanitaires.com/2023/06/27/en-panne-ou-a-sec-une-discussion-necessaire-sur-le-deficit-de-financement-de-laide-humanitaire/">s’élèvent de toutes parts</a> pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement.</p>
<p>Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles de cette aide humanitaire internationale, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable », alors que c’est dans cette mer que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">presque 29 000 personnes</a>.</p>
<h2>Une obligation morale et juridique</h2>
<p>On ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-humanitaire-fr_cle8c1cde.pdf">stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027</a>. Il n’est toutefois pas trop tard.</p>
<p>Rappelons notamment que la France affirme dans cette stratégie qu’elle « défendra l’action humanitaire comme priorité européenne » (point 4.1.b du plan), et qu’elle portera une attention particulière aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, a fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (points 2.4 et 2.5 du plan). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants">au moins 2 300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire</a>. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/43037">moindre chance de survivre à la traversée que les hommes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/data">Organisation internationale pour les Migrations (OIM)</a></span>
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<p>Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est le devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette obligation relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat, que ce soit au regard du <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">droit de la mer</a> ou du point de vue du <a href="https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies">droit international humanitaire</a>.</p>
<p>Dès lors, comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html">l’a réaffirmé la Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable aux plans moral, légal et politique.</p>
<p>Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522">publiquement appelé les États à « prendre leurs responsabilités »</a>.</p>
<h2>L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin du défaut de solidarité des pays européens</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2014-1-page-20.htm">Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa</a>, qui a coûté la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie. Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire baptisée <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-Italie-lance-la-mission-Mare-Nostrum-2013-10-16-1043279">Mare Nostrum</a>, destinée à la fois à secourir les migrants naufragés et à dissuader les passeurs.</p>
<p>Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère.</p>
<p>Le coût du déploiement militaire était élevé, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’UE n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.</p>
<p>Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l’effet inverse de celui recherché dans la mesure où elle aurait facilité le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d’acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l’aide d’un navire mère, avant de les abandonner à bord de petites embarcations, récupérées ensuite par les navires italiens opérant dans le cadre de Mare Nostrum.</p>
<p>Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l’arrêt de l’opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme de contrôle des frontières géré et financé par l’UE.</p>
<p>Mare Nostrum prit donc fin le 1<sup>er</sup> novembre 2014. En remplacement, Frontex mettra en place <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/">l’opération Triton</a>, bien moins ambitieuse, qui se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, n’ayant ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer.</p>
<p>L’abandon de Mare Nostrum traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE : l’absence de solidarité entre les pays membres, en particulier dans leur soutien à l’Italie ; une incapacité à mesurer la détermination de personnes voulant à tout prix échapper à la violence de leur pays d’origine ; et une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.</p>
<p>Ce repli est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2023/">l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence</a>.</p>
<h2>Le problème de la zone de recherche et de sauvetage libyenne</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le découpage de la Méditerranée en zones de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR).</span>
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<p>Une zone SAR (« Search and rescue ») est un espace maritime aux dimensions définies, où un État côtier assure des services de recherche et de sauvetage, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité.</p>
<p>Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/">assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer, et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés</a>. Un « lieu sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.</p>
<p>La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis, elle concentre des dysfonctionnements et des violences passés sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays.</p>
<p>Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et, surtout, d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, l’Italie avait alors élargi de fait – sinon en droit – son champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-29.htm">déclaré</a> auprès de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) sa zone « SAR » et son « Centre de coordination et de secours maritime » (Maritime Rescue Coordination Center, MRCC), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais aux Libyens.</p>
<p>Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois à renforcer les frontières de l’Union, à lutter contre l’immigration illégale et à améliorer les opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination. À ce budget étaient adjoints 1,8 million d’euros, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer">via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union</a>, sans que l’on connaisse précisément le contenu des demandes faites aux autorités libyennes pour qu’elles jouent ce rôle.</p>
<p>Malgré les <a href="https://fr.africanews.com/2023/07/11/libye-des-ong-denoncent-des-tirs-de-garde-cotes-lors-dun-sauvetage//">dénonciations récurrentes par les ONG</a> du comportement des garde-côtes libyens, l’UE <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/">se félicite des résultats obtenus</a>.</p>
<p>On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes aux comportements obscurs et violents, et – par transfert de mandat – d’ONG. Ces organisations sont pourtant régulièrement soumises par les autorités des pays riverains de la Méditerranée à des stratégies délibérées de harcèlement et d’empêchement à agir, sous le regard indifférents de l’UE.</p>
<h2>La stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et entraver ceux qui aident</h2>
<p>« Primum non nocere » (tout d’abord, ne pas nuire) : cette formule – familière pour les professionnels de santé – ne semble pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.</p>
<p>L’UE, malgré sa puissance économique et financière, se refuse à toute implication financière dans son soutien aux ONG œuvrant au large de ses côtes.</p>
<p>Elle cautionne les incessants et longs déplacements des bateaux et des rescapés pris en charge à leur bord pour leur permettre de débarquer dans des ports sûrs.</p>
<p>Ainsi, en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em>, navire affrété par SOS Méditerranée, a <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/">secouru 26 personnes</a>. Pour le débarquement des rescapés, c’est le port lointain de Livourne qui a été assigné au navire. Ce port se trouvait à plus de 1 000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu’il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage.</p>
<p>Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation, pour le débarquement, de Livourne, à 1 100 km du point de prise en charge <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/recap-ocean-viking-71-personnes-livourne/">d’un groupe de 71 personnes</a> (dont 5 femmes et 16 mineurs non accompagnés). Il résulte de ces désignations obligatoires, dont le contournement expose les sauveteurs à des sanctions immédiates, à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).</p>
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<span class="caption">« Port sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.</span>
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<h2>La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours. La quasi-totalité des navires <a href="https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/">était ainsi immobilisée à la mi-juin 2021</a>. Le <em>Geo Barents</em>, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’<em>Aita Mari</em> du collectif espagnol Maydayterraneo.</p>
<p>Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».</p>
<p>Le <em>Sea-Eye 4</em> de l’ONG allemande Sea-Eye fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’<em>Open Arms</em> (Proactiva Open Arms), le <em>Louise Michel</em> (Banksy), le <em>Mare Jonio</em> (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour <em>Sea-Watch 3</em> et 4 (Sea-Watch) et l’<em>Alan Kurdi</em> (Sea-Eye), immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne.</p>
<p>Cette stratégie d’immobilisations et de rétentions de navires s’est renforcée à partir de début 2023.</p>
<p>La législation italienne a alors intégré les effets du <a href="https://www.vuesdeurope.eu/italie-un-nouveau-decret-entrave-les-operations-de-sauvetage-en-mer-des-ong/">décret-loi « Piantedosi »</a>, qui limite la capacité des navires de recherche et de sauvetage appartenant à des ONG à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.</p>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong">L’interpellation du ministre italien</a> à l’origine du décret par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet.</p>
<h2>Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »</h2>
<p>Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/qu-est-ce-que-le-medicane-ce-cyclone-de-type-mediterraneen-qui-a-ravage-la-libye_6059961.html">« médicane »</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Théodore Gudin, « Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d’Alger. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010055650">Musée national de la Marine, Paris</a></span>
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</figure>
<p>On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d’un centre à cœur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes que celles d’un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent <a href="https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile">certaines caractéristiques proches</a>.</p>
<p>Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em> s’est non seulement vu attribuer un port de débarquement lointain, mais a aussi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, quand il a demandé à pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des trajectoires des médicanes recensés entre 2000 et 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Navigation-Mac</span></span>
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<p>Des mesures urgentes et concrètes sont dès lors impératives pour réaffirmer la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du <em>primum non nocere</em>.</p>
<h2>Les nécessaires évolutions dans l’organisation des secours en mer</h2>
<p>Il convient de rappeler le caractère intolérable au plan moral et politique de l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE devant les drames récurrents, et de mettre fin au cercle vicieux que provoquent les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, devenue aujourd’hui le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html">principal point de départ des tentatives de traversée</a>.</p>
<p>Une réaffirmation des éléments de droit international, européen et national concernant la mise en œuvre impérative des secours pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le droit de la mer et le Droit international humanitaire.</p>
<p>Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse – et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition, à l’impérative assistance à personnes en danger.</p>
<p>Il est également nécessaire d’accroître la transparence des mécanismes de soutien mis en œuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE, d’enquêter sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…), et de mettre en œuvre des <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/51021/tunisia-and-libya-share-responsibility-for-hundreds-of-migrants-at-border">mécanismes de redevabilité</a> efficaces.</p>
<p>Il faut, aussi, se doter de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html">tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés</a> dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées.</p>
<p>Plus généralement, la Méditerranée centrale, de même que d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, doit être reconnue comme <a href="https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/">espace humanitaire</a>.</p>
<p>Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (<a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">ECHO</a>), et multilatéraux (dont les Nations unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l’aide humanitaire internationale.</p>
<p>Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.</p>
<p>Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les États européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.</p>
<p>Les modalités d’assignation d’un « lieu sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages. L’assignation délibérée – non argumentée – de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.</p>
<p>Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.</p>
<p>L’ensemble de ces demandes a fait l’objet, en France, d’une <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration">déclaration en urgence de la CNCDH</a>, parue au <em>Journal officiel</em> le 23 octobre 2023.</p>
<p>Le dispositif <em>Mare Nostrum</em> continue de servir de repère. Les organisations humanitaires appellent de leurs vœux le réinvestissement solidaire et concret des <em>États européens</em> dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité <em>par défaut des politiques publiques de l’UE</em>, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.</p>
<p>La récente signature du <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">« Pacte sur les migrations et l’asile »</a> n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept d’« instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux États européens pour <a href="https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/">criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer</a>.</p>
<p>La composition du futur Parlement européen, que les prévisions donnent dominé par la droite, après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance.</p>
<hr>
<p><em>Pierre Micheletti a récemment publié <a href="https://langagepluriel.org/publications/tu-es-younis-ibrahim-jam/">« Tu es Younis Ibrahim Jama »</a>, roman inspiré de faits réels dont l’action se déroule entre le Soudan, le Tchad et la France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et administrateur de l'ONG SOS Méditerranée.</span></em></p>Quelque 29 000 personnes sont mortes en Méditerranée depuis 2014. Ce sont surtout des ONG qui portent secours aux naufragés, du fait de la politique restrictive de l’UE.Pierre Micheletti, Responsable du diplôme «Santé -- Solidarité -- Précarité» à la Faculté de médecine de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2191272023-12-07T17:35:30Z2023-12-07T17:35:30ZEt si l’accueil et l’intégration des réfugiés devenaient un bien commun ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/563267/original/file-20231204-17-a0a2fw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=93%2C14%2C1095%2C767&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les ouvriers du projet IMBY en plein chantier participatif.</span> <span class="attribution"><span class="source">Quatorze</span></span></figcaption></figure><p>Selon un récent <a href="https://www.worldbank.org/en/publication/wdr2023">rapport</a> de la Banque mondiale, 184 millions de personnes, dont 37 millions de réfugiés, séjournent à présent en dehors de leurs pays d’origine. Le nombre de réfugiés a triplé ces dix dernières années, sous l’effet des conflits militaires (guerres en Syrie et en Ukraine notamment) qui entrainent d’importants mouvements de population, mais aussi du changement climatique. Dans un proche avenir, les migrations climatiques devraient ainsi s’accroitre puisque 40 % de la population mondiale vit dans des zones impactées par le réchauffement de la planète.</p>
<p>En parallèle, dans les pays développés, la natalité diminue et les secteurs en tension manquent de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/main-doeuvre-77921">main-d’œuvre</a>. La Banque mondiale préconise donc aux gouvernements de mieux gérer les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/flux-migratoires-56739">flux migratoires</a>, en octroyant davantage de protection aux demandeurs d’asile et en régularisant les travailleurs sans papiers, car les économies développées ont besoin de cette main-d’œuvre.</p>
<h2>Troisième voie</h2>
<p>De nombreuses associations françaises (Forum Réfugié Cosi, Cimade, France Terre d’accueil, FNDSA, etc.) agissent en faveur de l’intégration des réfugiés depuis des années. Leurs actions sur le terrain peuvent servir de modèle de la coopération qui existe entre différents acteurs (associations avec des bénévoles et des salariés, habitants, entreprises et institutions publiques) pour créer un <a href="https://journals.openedition.org/regulation/10452?lang=en">« greater good »</a>, c’est-à-dire un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bien-commun-104868">« bien commun »</a>, comme l’entend Elinor Ostrom, lauréate du prix « Nobel » d’économie en 1997.</p>
<p>La politologue et économiste américaine <a href="https://books.google.fr/books">définit le bien commun</a> comme :</p>
<blockquote>
<p>« Un _système de ressources communes durables autogouvernées et auto-organisées. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, en plus de la gestion des biens communs classifiée comme privés ou publics, se dégage une troisième voie, selon laquelle les biens (matériels ou non matériels) peuvent être créés et gérés par une communauté qui est capable de s’autogérer et de s’auto-organiser.</p>
<h2>L’hospitalité comme bien commun</h2>
<p>Dans notre récent <a href="https://hal.science/hal-04138491">article</a> de recherche, publié dans la revue scientifique <em>Management International</em>, nous investiguons le cas de ce type de communauté construite autour d’un projet d’hospitalité constructive IMBY : « In my back yard ».</p>
<p>Le projet a été initié et mené par l’association Quatorze afin de construire des petites maisons (<em>tiny house</em> ou maison minuscule) dans les jardins de particuliers et d’organiser une communauté qui aidera une personne réfugiée. Cette aide porte non seulement sur son accès aux droits administratifs et à la santé, mais aussi sur son intégration dans la société, en lui offrant un hébergement et en l’orientant si nécessaire vers une formation, ou encore en l’aidant à s’insérer sur le marché du travail. Les <em>tiny houses</em> sont co-construites par Quatorze, les réfugiés et les voisins du quartier lors de chantiers participatifs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/axkkppQ_XtQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation du projet IMBY (Les Petites Pierres, 2017).</span></figcaption>
</figure>
<p>La fabrication d'un bien commun par l’hospitalité constructive suppose une coopération bienveillante et efficace entre propriétaires, architectes, habitants et différentes associations qui participent au projet. Les méthodes de gestion innovantes, qui ne rentrent pas dans la catégorie de la gestion des biens « publics » ou « privés », mais qui permettent à cette communauté de s’auto-organiser, sont particulièrement intéressantes.</p>
<h2>Une initiative à soutenir</h2>
<p>Ce cas a mis en lumière l’importance du rôle de chef de file pour la coordination, la résolution des conflits et l’instauration des normes sociales de la communauté. Il a fait également apparaître l’existence de partenariats sociaux entre acteurs de différents secteurs qui décident volontairement de collaborer pour résoudre un problème social, celui de l’intégration et de l’autonomie des personnes en exil.</p>
<p>Le cas du projet IMBY démontre ainsi qu’avec de la volonté et l’engagement de tous les acteurs, il est possible de surmonter les obstacles institutionnels et humains et de construire un bien commun bénéfique à toutes les parties prenantes. Le rôle des gouvernements serait donc de laisser faire et même de soutenir ce type de démarche citoyenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’association Quatorze construit des petites maisons qui permettent d’organiser une communauté pour aider les réfugiés. Une initiative appelée à se multiplier.Magdalena Godek-Brunel, Enseignant-chercheur, International Business, ESCE International Business SchoolCatherine Mercier-Suissa, MCF-HDR en sciences économiques, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179732023-12-05T16:53:22Z2023-12-05T16:53:22ZChangement climatique et politique migratoire : l’accord Australie-Tuvalu, un modèle pour la France et ses territoires du Pacifique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562167/original/file-20231128-21-q9upvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5304%2C2974&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les neuf îles qui constituent l'archipel de Tuvalu seront englouties au cours des prochaines décennies.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/undpclimatechangeadaptation/52387326768">TCAP/PNUD</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Lors de sa visite officielle en Australie le 4 décembre, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est dite <a href="https://apnews.com/article/french-colonna-australia-tuvalu-climate-change-b77617344c2deff169a1e1144d2f7adf">ouverte à examiner toute demande de réinstallation</a> émanant de petites nations du Pacifique Sud confrontées à la montée des eaux, s’alignant ainsi sur l’exemple de l’accord passé le 10 novembre dernier entre l’Australie et Tuvalu. Cet accord, conclu en marge de la 52<sup>e</sup> édition du <a href="https://www.forumsec.org/2023/11/09/reports-piflm52-communique-of-the-52nd-pacific-islands-leaders-forum-2023/">Forum des îles du Pacifique</a>, pourrait donc bien avoir des implications pour la France et ses territoires du Pacifique.</p>
<p>L’accord entre l’Australie et Tuvalu a été baptisé « Union Falepili ». Le terme « falepili », emprunté à la langue tuvaluane, incarne l’idée de « soutien mutuel entre voisins ». Souvent qualifié d’<a href="https://lepetitjournal.com/melbourne/rechauffement-climatique-australie-traite-historique-tuvalu-372713">historique</a> ou de fondateur, <a href="https://www.dfat.gov.au/geo/tuvalu/australia-tuvalu-falepili-union-treaty">ce traité</a> ouvre une voie migratoire innovante pour les Tuvaluans confrontés à l’élévation du niveau de la mer. Il souligne une prise de conscience croissante des vulnérabilités uniques des nations insulaires face au changement climatique, tout en établissant un modèle de coopération bilatérale pour aider ces populations.</p>
<h2>Pourquoi il est inexact de parler d’asile climatique d’un point de vue juridique</h2>
<p>Tuvalu, un archipel de neuf îles de faible altitude situé dans le Pacifique central, abrite environ 11 200 habitants. Ces îles sont parmi les plus exposées aux effets dévastateurs du changement climatique, en particulier à l’augmentation alarmante du niveau de la mer. Le pacte entre les deux nations reconnaît explicitement cette vulnérabilité et propose une réponse tangible : l’attribution chaque année de 280 visas de résidence permanente en Australie aux citoyens de Tuvalu.</p>
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<p>L’Union Falepili illustre un engagement sans précédent de Canberra envers les citoyens de Tuvalu, sévèrement impactés par la montée des eaux. Il survient dans un contexte où l’existence même de Tuvalu est en péril, et s’inscrit dans un cadre complexe de défis environnementaux et juridiques. Il est à noter que lors de la COP 27, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, a fait forte impression en annonçant la <a href="https://theconversation.com/tuvalu-menace-detre-englouti-par-les-eaux-cree-son-double-digital-195133">création d’une réplique numérique de son pays dans le Métavers</a>, envisageant ainsi une forme de survie virtuelle face à la menace d’une submersion réelle de son territoire.</p>
<p>Cependant, et contrairement aux qualificatifs employés dans nombre de médias nationaux et internationaux, il est essentiel de souligner que le type de visa offert par ce traité ne tend pas à donner <em>l’asile climatique</em> aux populations des Tuvalu car l’accord ne reconnaît pas, au sens juridique, les populations déplacées en tant que <em>réfugiés climatiques</em>.</p>
<p>Cette notion, de <a href="https://www.oxfamfrance.org/migrations/vers-une-augmentation-croissante-du-nombre-de-refugies-climatiques/">plus en plus évoquée dans les débats publics et académiques</a>, désignerait des individus et communautés obligés de quitter leur lieu de vie habituel en raison des effets directs ou indirects du changement climatique. Bien que de plus en plus pertinente et fréquemment utilisée dans le discours public, la catégorisation des réfugiés climatiques n’est pas encore reconnue dans le droit international. Elle n’est également pas évoquée dans les termes du traité de l’Union Falepili.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729107878647058655"}"></div></p>
<p>En effet, selon la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de 1951 relative au statut des réfugiés</a>, un réfugié est défini comme une personne qui fuit la persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. Bien que l’interprétation de cette définition par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ait été étendue pour inclure les personnes fuyant des conflits armés généralisés, le changement climatique n’est donc pas (encore) reconnu comme un motif de persécution légitime en droit international. En conséquence, les populations déplacées de force par des catastrophes ou changements climatiques ne bénéficient donc pas de protection et d’assistance de la communauté internationale au regard du droit d’asile international.</p>
<p>En l’état actuel, faute d’un cadre juridique international établi et d’une jurisprudence correspondante, les concepts d’asile et de réfugiés climatiques demeurent des notions non reconnues en droit.</p>
<p>Bien que le terme de « réfugié climatique » n'ait pas de signification juridique, il existe certainement des réfugiés dont la situation est <a href="https://johnmenadue.com/a-different-kind-of-climate-movement-the-kaldor-centre-principles-on-climate-mobility-pic/">aggravée à cause du changement climatique</a>. Comme le révèle une <a href="https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2017/08/03052016_FR_Protection_Agenda_V1.pdf">étude de l’Initiative Nansen</a>, le changement climatique ne provoque pas à lui seul des déplacements, mais exacerbe d’autres facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques qui incitent les gens à quitter leurs foyers. Il amplifie les risques et les vulnérabilités, et rend les catastrophes plus fréquentes et/ou intenses. Ce phénomène engendre donc une multitude de mouvements, qu’ils soient forcés ou volontaires, temporaires ou permanents, à l’intérieur d’un pays ou au-delà des frontières – qui peuvent survenir dans le contexte du changement climatique et des catastrophes qu’il provoque.</p>
<p>Les complexités juridiques entourant ces termes sont illustrées par des affaires telles que celle de Ioane Teitiota en 2015. <a href="https://www.france24.com/fr/20131017-habitant-kiribati-reclame-statut-refugie-climatique">Ioane Teitiota</a>, un habitant de Kiribati, une nation insulaire du Pacifique, a sollicité l’asile en Nouvelle-Zélande, arguant que la montée du niveau de la mer et d’autres conséquences du changement climatique menaçaient sa vie et celle de sa famille. Toutefois, la Cour suprême de Nouvelle-Zélande a rejeté sa demande, estimant que les conditions de vie à Kiribati, bien qu’extrêmement difficiles, ne relevaient pas de la persécution au sens de la Convention de 1951.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"623368107676053504"}"></div></p>
<p>Cette décision a été ultérieurement confirmée par le <a href="https://www.ohchr.org/en/treaty-bodies/ccpr">Comité des droits de l’homme des Nations unies</a> en 2020, qui a cependant reconnu que le changement climatique pouvait entraîner des violations des droits humains si les personnes fuyant les effets du changement climatique étaient renvoyées dans leur pays d’origine (le concept de <em>refoulement</em>, proscrit en droit international) après avoir quitté leur territoire. Cette reconnaissance a été souvent interprétée comme pouvant <a href="https://theconversation.com/refugies-climatiques-une-decision-historique-du-comite-des-droits-de-lhomme-de-lonu-131348">ouvrir la voie à une future intégration des réfugiés climatiques dans le droit international</a>.</p>
<p>En effet, selon cette décision et comme reconnu par le HCR, compte tenu des évolutions du droit et de la menace climatique, les personnes qui fuient dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes <a href="https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=617aafa24">peuvent avoir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié</a> en vertu de la Convention de 1951 précédemment mentionnée. Il faudrait pouvoir justifier, entre autres, d’une peur fondée de subir des persécutions liées au changement climatique, si ce dernier interagit avec des vulnérabilités inhérentes, ou si les effets néfastes du changement climatique ou des catastrophes interagissent avec les conflits et la violence.</p>
<h2>Une avancée notable tout de même</h2>
<p>Bien que l’accord bilatéral entre l’Australie et Tuvalu ne s’inscrive pas encore dans une reconnaissance juridique des réfugiés climatiques, il marque néanmoins une avancée notable, créant un précédent international dans la mesure où il reconnaît concrètement cette problématique, et accorde aux Tuvaluans le droit de migrer en Australie avec des privilèges substantiels, tels que l’accès à l’éducation et au marché du travail.</p>
<p>Cette initiative traduit dans les faits une expansion de la politique migratoire australienne, visant à répondre de manière ciblée aux défis des déplacements forcés liés à l’environnement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage de la chaîne publique australienne ABC sur l’Union Falepili.</span></figcaption>
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<p>Compte tenu de la complexité de la reconnaissance, en droit international, du changement climatique comme motif de persécution, le centre Kaldor de droit international des réfugiés, basé à Sydney, et qui à salué les termes de l’Union Falepili, privilégie l’expression « mobilité climatique » pour décrire ce phénomène et élaborer des réponses politiques et juridiques adaptées. À cet égard, le centre a élaboré 13 <a href="https://www.unsw.edu.au/content/dam/pdfs/unsw-adobe-websites/kaldor-centre/2023-11-others/2023-11-Principles-on-Climate-Mobility_v-4_DIGITAL_Singles.pdf">Principes sur la mobilité climatique</a>, destinés à soutenir et à protéger les communautés affectées par la migration forcée liée aux problèmes environnementaux et à assurer leur sécurité, leurs droits et leur dignité tout en préservant leur patrimoine culturel et en favorisant une approche collaborative et durable.</p>
<h2>Des enjeux multiples</h2>
<p>Au-delà des réflexions sur la dichotomie voies migratoires/voies d’asile, cet accord entre les deux nations du Pacifique soulève donc également des questions essentielles, notamment concernant la préservation de l’identité culturelle de Tuvalu, tout en interrogeant la responsabilité des pays développés face aux communautés les plus touchées par les effets dévastateurs du changement climatique.</p>
<p>Une analyse réaliste indique que, si les termes actuels de cet accord perdurent, Tuvalu pourrait se retrouver entièrement dépeuplé dans les 40 prochaines années, ses habitants se réinstallant progressivement en Australie, par force bien plus que par choix, car comme le rappelle Jane McAdam, directrice du centre Kaldor, <a href="https://theconversation.com/australias-offer-of-climate-migration-to-tuvalu-residents-is-groundbreaking-and-could-be-a-lifeline-across-the-pacific-217514">la grande majorité des Tuvaluans ne souhaitent pas quitter leur pays pour l’Australie</a>.</p>
<p>Selon certaines prédictions, il est également concevable que la vie sur l’île de Tuvalu devienne invivable bien avant cette échéance. Comme le rappelait le premier ministre des Tuvalu <a href="https://webtv.un.org/en/asset/k1g/k1ggc33eht">à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2022</a> et selon un rapport du GIEC, les Tuvalu risquent d’être totalement submergés au cours de ce siècle et inhabitables d’ici 20 à 30 ans. Comment une diaspora progressivement relocalisée peut-elle préserver son héritage culturel à l’étranger ? Comment aborder les pertes et dommages associés à la mobilité climatique ? Cet accord, dans sa mise en œuvre pratique, et pour la première fois, met en lumière des défis cruciaux en termes de responsabilité, de souveraineté et d’identité culturelle, nécessitant une réflexion approfondie et une action soutenue de la part de la communauté internationale.</p>
<p>De plus, il souligne les <a href="https://press.un.org/fr/2023/ag12497.doc.htm">obligations des États à l’égard des changements climatiques</a>. En tant que grande <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-australie-decidee-a-continuer-a-extraire-son-charbon-malgre-les-avis-scientifiques-20210909">exportatrice de combustibles fossiles</a> et pays dont l’empreinte carbone est conséquente, l’Australie fait l’objet de critiques régulières concernant sa politique climatique et l’impact, direct ou indirect, de celle-ci sur les migrations forcées. Ce traité pourrait être interprété comme une reconnaissance de sa part des répercussions du changement climatique sur les nations insulaires, représentant une avancée vers une prise de conscience et une action environnementale plus résolues.</p>
<h2>Un accord au service des intérêts géopolitiques de Canberra ?</h2>
<p>Toutefois, l’accord bilatéral entre les deux nations revêt également une dimension géopolitique majeure, dépassant le simple cadre de l’assistance et intégrant des aspects de sécurité et de présence stratégique. L’Australie se voit ainsi octroyer des droits étendus sur le territoire des Tuvalu, y compris des droits d’accès, de présence, de survol, ainsi que le droit de s’opposer à des décisions en matière de sécurité qui pourraient contrarier ses intérêts. L’Union Falepili s’insère donc dans une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/influence-l-asile-climatique-le-cadeau-pas-si-desinteresse-de-l-australie-aux-citoyens-des-iles-tuvalu">stratégie géopolitique australienne</a> plus large, visant à renforcer sa présence dans une région qui est géopolitiquement importante. Cette approche reflète non seulement les préoccupations sécuritaires de l’Australie, mais aussi son désir d’étendre son influence dans le Pacifique, une zone qui attire de plus en plus l’attention de grandes puissances mondiales.</p>
<p>Cette dimension centrale du traité <a href="https://islandsbusiness.com/news-break/australia-deal-with-tuvalu/">soulève des interrogations</a> quant aux motivations réelles de Canberra. Bien que largement salué par la communauté internationale, il fait également l’objet de critiques, notamment concernant les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/24/l-asile-climatique-propose-par-l-australie-aux-habitants-des-tuvalu-suscite-la-controverse_6202058_3244.html">intentions altruistes</a>, de l’Australie, puisque révélant une tentative de cette dernière de contrebalancer l’influence chinoise, tout en améliorant ses propres capacités de sécurité et de défense dans le Pacifique.</p>
<h2>Un modèle pour la France et ses collectivités du Pacifique ?</h2>
<p>L’Union Falepili illustre donc l’interconnexion croissante entre les enjeux climatiques et les stratégies géopolitiques à l’échelle mondiale. Pas de <em>réfugiés</em> ni <em>d’asile climatique</em> donc, mais plutôt une <em>mobilité climatique</em> matérialisée par des accords bilatéraux mutuellement bénéfiques. Cette initiative pourrait donc inspirer d’autres nations comme la France, si l’on en croit Catherine Colonna.</p>
<p>Cependant, la ministre a souligné qu’elle préférerait « voir le changement climatique être contrôlé et maîtrisé », ajoutant qu’« une action préventive est peut-être meilleure que de prendre certaines mesures correctives quand il est trop tard ». Elle a par ailleurs rappelé que la taille du continent australien était bien plus propice à l’accueil de petits nombres de déplacés climatiques que le sont, par exemple, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, dont le système social et écologique pourrait se trouver mis à mal par un éventuel afflux de déplacés.</p>
<p>Autre point intéressant : en se concentrant sur une relocalisation envisageable dans les îles du Pacifique environnantes, la ministre semble pour l’instant écarter toute forme de mobilité climatique vers la France métropolitaine. Il est pourtant important de souligner que ces territoires insulaires sont eux aussi <a href="https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/06/27/ouvea-le-paradis-qui-ne-veut-pas-devenir-un-enfer_6179430_3244.html">confrontés aux défis du changement climatique</a>. Il est particulièrement manifeste en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Polynésie française</a>, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/nouvelle-caledonie-la-montee-des-eaux-menace-l-archipel_5971037.html">Nouvelle-Calédonie</a>, ainsi qu’à <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Wallis et Futuna</a>, où le risque de submersion marine ne cesse d’augmenter. Cette situation critique incite les autorités à adopter des mesures préventives, notamment en imposant des surélévations dans les constructions, et à mener des opérations de restauration des écosystèmes marin et côtier afin de faire face à cette menace grandissante.</p>
<p>Que les accords de mobilité climatique restent à l’état de propositions ou deviennent une réalité prochaine en France et/ou dans ses territoires insulaires, ils soulignent l’urgence d’une réponse globale et coordonnée. Cette approche est essentielle pour affronter efficacement les multiples aspects de cette crise climatique, en prenant en compte non seulement ses conséquences géopolitiques, mais aussi ses répercussions sociétales et humanitaires. Cela met en lumière la nécessité d’une stratégie intégrée et multidimensionnelle pour gérer ces enjeux complexes et interconnectés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Malafosse est affiliée au centre Kaldor de droit international des réfugiés</span></em></p>L’Australie va permettre aux habitants de Tuvalu, archipel voué à disparaître à cause de la montée des eaux, de migrer progressivement vers son territoire. Décryptage d’un accord aux multiples enjeux.Camille Malafosse, Doctorante, University of New South Wales, UNSW SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179422023-12-03T16:30:44Z2023-12-03T16:30:44ZUn peuple dispersé : les Palestiniens face à la guerre de Gaza<p>En ce mois de novembre, plusieurs milliers de personnes, y compris des enfants, des personnes âgées et des blessés ont <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gQ-s8P0ua-M">continué à quitter, à pied et par des moyens de fortune</a>, le nord de la bande de Gaza, violemment bombardé par Tsahal en réaction aux attaques commises par le Hamas le 7 octobre, pour se réfugier au sud. Ils rejoignent près de 1,7 million de déplacés à l’intérieur de l’ensemble de l’enclave, principalement <a href="https://www.unrwa.org/resources/reports/unrwa-situation-report-36-situation-gaza-strip-and-west-bank-including-east-Jerusalem">accueillis dans des écoles et autres établissements gérés par l’UNRWA</a>, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens.</p>
<p>Les images de leur exode évoquent la mémoire encore vive de la <em>Nakba</em> de 1948, lorsque <a href="https://www.fayard.fr/livre/le-nettoyage-ethnique-de-la-palestine-9782213633961/">près de 800 000 Palestiniens avaient été contraints de quitter les territoires de l’actuel État d’Israël</a> pour trouver refuge en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie et <a href="https://unrwa.photoshelter.com/galleries/C00009xWZSJER24M/G0000UP5ButuCiYs/I0000CiaCe7gyFDs/Historic-Milestones">dans la bande de Gaza</a>. Il ne faut pas oublier, en effet, que près de 75 % des habitants de Gaza, soit environ 1,5 million de personnes, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/gaza-strip">sont des réfugiés</a> (la notion de réfugié <a href="https://www.un.org/fr/events/unrwa_at_60/pdf/info.pdf">s’étendant aux descendants directs des réfugiés des générations précédentes</a>).</p>
<p>Près de 6 millions de Palestiniens sont aujourd’hui réfugiés dans les pays voisins, où leur présence est régulée par une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00719909v1/document">multiplicité de statuts juridiques plus au moins discriminatoires</a>. Plus de 1 million d’autres vivent dans les pays du Golfe et d’autres pays arabes où ils disposent d’un permis de résidence temporaire et peuvent à tout moment être expulsés. Près de 700 000 Palestiniens résident en <a href="https://www.euppublishing.com/doi/abs/10.3366/hlps.2020.0230">Amérique du Sud</a>, 100 000 en <a href="https://journals.openedition.org/remi/986">Europe</a> et quelques milliers en <a href="https://books.openedition.org/cedej/748?lang=fr">Amérique du Nord</a> où ils ont été en grande partie naturalisés.</p>
<p>À ces Palestiniens « de l’extérieur » s’ajoutent les 5,5 millions d’habitants des territoires occupés par Israël en 1967, dont 3,5 millions ont un statut de réfugiés, et près de 2 millions de personnes désignées comme les « Arabes d’Israël », mais qui se qualifient comme les « Palestiniens de 1948 » et qui, tout en ayant la nationalité israélienne, sont de fait des <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/232064">citoyens de deuxième catégorie</a>. Objets de discriminations dans l’attribution des financements aux municipalités où ils sont installés (principalement dans le nord d’Israël), ces Palestiniens de 1948 sont aussi confrontés à des attaques récurrentes et à la <a href="https://www.adalah.org/en/content/view/7589">démolition de leurs habitations comme dans les villages bédouins du Néguev</a>. Ces violences ont augmenté face au projet de l’extrême droite israélienne de faire reconnaître la nature juive de l’État d’Israël, et plus encore <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/guerre-israel-hamas-flambee-de-violence-dans-les-colonies-en-cisjordanie-2026426">depuis le 7 octobre dernier</a>. </p>
<p>Ces populations, aux statuts juridiques variés et dispersées aux quatre coins du monde, constituent aujourd’hui le peuple palestinien. Un puzzle composite dont l’histoire, marquée par une vulnérabilité accrue, nous rappelle que le conflit israélo-palestinien a débuté bien avant le 7 octobre 2023. </p>
<h2>Les Palestiniens dans les pays arabes : entre vulnérabilité permanente et discriminations</h2>
<p>Deux déplacements majeurs des Palestiniens ont eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle : le premier s’est produit entre 1947 et 1948, au moment de la <em>Nakba</em> (catastrophe en arabe), avec la formation de l’État d’Israël sur 78 % du territoire de la Palestine historique ; le second en 1967 lors de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/conflit-israelo-palestinien-anniversaire-de-la-naksa-05-06-2013-1676628_24.php"><em>Naksa</em></a> (rechute en arabe), terme désignant l’occupation par Israël, en 1967, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza (les 22 % restants de la Palestine historique) ainsi que des régions du Golan syrien et du Sinaï égyptien.</p>
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<p>La Jordanie est le pays à avoir accueilli le plus grand nombre de réfugiés en 1948 (près de 400 000). La plupart d’entre eux <a href="https://shs.hal.science/halshs-00411839/document">ont obtenu la nationalité jordanienne</a>. Aujourd’hui, on estime que près de la moitié des 11 millions de Jordaniens sont d’origine palestinienne. <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/jordan">Plus de 2 millions d’entre eux continuent à être enregistrés auprès de l’UNRWA</a> et bénéficient de ses aides et services. Environ 30 000 Palestiniens sont arrivés en Jordanie en provenance de la bande de Gaza en 1967. À l’inverse de leurs compatriotes arrivés près de vingt ans auparavant, ils disposent d’un passeport temporaire renouvelable tous les deux ans, et <a href="https://prc.org.uk/upload/library/files/DecadesOfResilience2018.pdf">n’ont qu’un accès restreint au marché du travail et à la protection sociale</a>.</p>
<p>Les Jordaniens d’origine palestinienne, principalement installés dans la capitale Amman, font l’objet de discriminations informelles en ce qui concerne l’accès aux postes à responsabilité dans la fonction publique ainsi que <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/jordanie-liban-le-dilemme-des-palestiniens-en-exil-6604223">dans l’accès à l’enseignement secondaire</a>.</p>
<p>Par ailleurs, l’obtention de la nationalité jordanienne n’a pas entravé l’expulsion, à l’issue des violents affrontements dits de « Septembre noir » en 1970, entre les factions de l’OLP et les autorités jordaniennes, de plusieurs milliers de militants armés avec leurs familles vers la Syrie et le Liban. Ne pouvant plus faire renouveler leurs documents, ils sont devenus, dans ces pays, des « sans-papiers ».</p>
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<figcaption><span class="caption">24h sur la Une du 23 septembre 1970 – La situation en Jordanie, Archive INA.</span></figcaption>
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<p>Au Liban, l’arrivée des Palestiniens à partir de 1947, à l’issue du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/il-y-a-70-ans-un-plan-de-partage-conteste-de-la-palestine-25-11-2017-2174983_24.php">vote du « Plan de Partage » par l’Assemblée générale des Nations unies</a>, risquait de déstabiliser l’équilibre du pays, fondé sur la répartition du pouvoir entre confessions religieuses. Cela explique l’attribution à ces nouveaux arrivants d’un statut juridique particulièrement discriminatoire qui s’est durci à la fin de la guerre civile (1975-1990), leur <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/2418">interdisant l’accès à la plupart des professions</a>. Près de 80 % des 480 000 réfugiés palestiniens résidant aujourd’hui dans le pays vivent sous le seuil de pauvreté national.</p>
<p>En Syrie, où les Palestiniens n’ont jamais dépassé 2 à 3 % de la population totale, ils ont obtenu les mêmes droits que les Syriens en matière d’accès au travail, à l’éducation et la santé. Cependant, comme les Palestiniens du Liban, ils ne se sont pas vu attribuer la nationalité du pays d’accueil, officiellement parce que les gouvernements de Beyrouth et de Damas souhaitaient préserver leur « droit au retour » établi dès 1949 par la <a href="https://www.unrwa.org/content/resolution-194">résolution 194 de l’ONU</a> – ce qui les rend, de fait, apatrides.</p>
<p>En tant que réfugiés, les Palestiniens dans les pays voisins demeurent <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-4-page-95.htm">particulièrement vulnérables</a>, notamment face aux conflits qui ébranlent périodiquement ces pays, comme c’est le cas en <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18489">Syrie depuis 2011</a>. Parmi les 560 000 Palestiniens de Syrie enregistrés auprès de l’UNRWA en 2012, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/syria">près de la moitié étaient déplacés à l’intérieur du pays</a>, et environ 130 000 ont cherché à trouver refuge en Jordanie, où ils ont été refoulés à la frontière, au Liban, où leurs permis de séjour ne sont pas renouvelés, ou bien ont pris la route de la migration illégale vers l’Europe. </p>
<p>Cette même vulnérabilité marque aussi le quotidien des Palestiniens qui, à partir des territoires occupés ou des pays voisins, ont migré dans les pays du Golfe, même si certains d’entre eux y ont connu une ascension sociale remarquable et joué un rôle important dans le développement de pays comme le Koweït. Avant 1990, près de 400 000 Palestiniens contribuaient de manière significative au système éducatif et politique, ainsi qu’au secteur privé koweïtien avant d’être <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1648096">expulsés vers la Jordanie lors de la guerre contre l’Irak</a>, en raison du soutien que l’OLP accorda à Saddam Hussein. Aujourd’hui, les Palestiniens du Golfe, <a href="https://books.openedition.org/diacritiques/5764?lang=fr">principalement employés dans les professions libérales, l’industrie pétrolière et l’enseignement</a>, ne peuvent pas espérer obtenir la nationalité d’un de ces pays, qui est attribuée seulement dans des cas exceptionnels, comme celui de <a href="https://www.bidoun.org/articles/zayed-zaki-nusseibeh">Zaki Nusseibeh</a>, actuel conseiller culturel du président des Émirats arabes unis.</p>
<h2>Les réactions face à la guerre de Gaza : entre solidarité et répression</h2>
<p>À partir des années 1960, les Palestiniens de l’extérieur ont joué un rôle central dans la recomposition du mouvement national palestinien, qui se structure <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-2-page-91.htm?ref=doi">au sein des camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie</a>. Ces mêmes camps n’ont pas cessé, au fil des ans, d’être des caisses de résonance des événements qui se produisaient en Palestine, tout en développant, dans les années 2000, des formes de mobilisation qui leur étaient propres, notamment à travers la création de comités pour la défense du « droit au retour » indépendants des formations politiques, dans un contexte de <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/42541">profonde délégitimation de ces dernières</a>. Les principaux acteurs politiques palestiniens disposent de représentations dans les camps du Liban et de Syrie, où ils jouissent d’une marge de manœuvre variable en fonction des orientations géopolitiques de ces pays.</p>
<p>Depuis le début du conflit à Gaza, des manifestations en soutien aux Palestiniens ont eu lieu dans les pays d’accueil des réfugiés. Toutefois, ces manifestations de solidarité avec Gaza en proie aux frappes israéliennes ont été étroitement encadrées par les autorités de ces pays.</p>
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<p>En Jordanie, une des manifestations s’est soldée par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LfgN3A7JXTY">assaut contre l’ambassade d’Israël</a>. Des étudiants tentant de mobiliser leurs camarades au sein de leurs établissements sont arrêtés. S’approcher de la zone frontalière avec Israël est interdit.</p>
<p>En Syrie, le régime a interdit toute manifestation, à l’exception de deux rassemblements parrainés par lui-même et qui se sont déroulés dans le centre de Damas et dans le camp palestinien de Yarmouk, partiellement détruit par la guerre. Plusieurs Palestiniens qui cherchaient à organiser une manifestation non autorisée à la périphérie de Damas ont été arrêtés.</p>
<p>Au-delà des mobilisations caritatives à destination de Gaza, toute manifestation de rue est interdite dans les pays du Golfe, notamment dans les Émirats arabes unis, où la population palestinienne vit avec le poids, depuis 2020, de la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-processus-de-normalisation-diplomatique-d-Israel-avec-les-pays-arabes-a-l.html">normalisation des relations avec Israël</a>. Les Palestiniens de 1948, quant à eux, font face à des campagnes d’emprisonnements qui touchent également plusieurs milliers de travailleurs gazaouis en Israël et de Palestiniens en Cisjordanie (<a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/11/israel-opt-horrifying-cases-of-torture-and-degrading-treatment-of-palestinian-detainees-amid-spike-in-arbitrary-arrests/">près de 2 200 personnes ont été emprisonées par Israël depuis le 7 octobre selon Amnesty International)</a>.</p>
<h2>Pas de solution durable sans justice pour l’ensemble du peuple palestinien</h2>
<p>En dépit des restrictions, les Palestiniens de l’extérieur continuent à manifester leur soutien à leur peuple demeurant à l’intérieur des territoires occupés. 75 ans après l’exode de 1948, ils n’ont pas oublié leur histoire collective – et, en ce sens, les discriminations dont ils font l’objet dans les différents pays d’accueil ont sans doute contribué à renforcer leur sentiment d’appartenance nationale.</p>
<p>Pour cette raison, la question des réfugiés continue d’être un dossier incontournable même si elle est rangée dans un placard, <a href="https://journals.openedition.org/remmm/14072">ensemble avec le dossier des colonies et le statut de Jérusalem</a> depuis la signature des accords d’Oslo de 1993 qui avaient reporté la discussion à la fin de la phase intérimaire de cinq ans ; or celle-ci ne déboucha pas sur la formation d’une entité étatique palestinienne, en raison de la poursuite de l’occupation et de l’expansion grimpante de la <a href="https://orientxxi.info/documents/chronologies/chronologie-des-accords-d-oslo-1991-2000,0342">colonisation illégale en Cisjordanie</a>.</p>
<p>L’objectif majoritairement partagé par ces générations d’exilés qui, à de rares exceptions près, et en bonne partie à cause des politiques des autorités des pays d’accueil, continuent de se sentir bien plus palestiniens que jordaniens, libanais ou syriens est de pouvoir un jour se réinstaller là où vivaient leurs ancêtres. Aucune solution juste et durable au conflit israélo-palestinien ne peut donc entre envisagée sans prendre en compte le destin des réfugiés palestiniens aux côtés de celui des Palestiniens des territoires occupés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentina Napolitano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon diverses estimations, les Palestiniens seraient au total un peu moins de 15 millions, dont quelque 6 millions de réfugiés installés, parfois depuis des décennies, dans les pays voisins.Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159082023-10-22T15:16:29Z2023-10-22T15:16:29ZComment Lampedusa incarne les mythes migratoires européens<p>Le 3 octobre 2023 a marqué le dixième anniversaire du naufrage survenu au large de Lampedusa, qui a provoqué la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naufrage_du_3_octobre_2013_%C3%A0_Lampedusa">mort de plus de 300 migrants en 2013</a>, et qui constitue encore aujourd’hui un des épisodes les plus meurtriers et emblématiques de la <a href="https://theconversation.com/mort-de-migrants-en-mer-la-veritable-responsabilite-incombe-aux-politiques-mises-en-place-par-les-etats-europeens-210371">crise des migrants et des réfugiés</a> en Méditerranée.</p>
<p>Ironie de l’histoire, quelques jours avant ce triste anniversaire, l’île a connu un nouvel épisode de crise migratoire lorsque, en septembre 2023, une <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">dizaine de milliers de migrants sont arrivé en quelques jours</a>, saturant les capacités d’accueil et provoquant l’habituelle série de réunions d’urgence, visites de responsables politiques, annonce de nouvelles mesures, etc.</p>
<p>Ce type d’événement relève désormais d’une forme de jour sans fin. À intervalles réguliers, les mêmes problèmes se posent, à Lampedusa ou ailleurs. Et à chaque fois, les États européens y réagissent dans l’urgence, en refaisant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642231182889">exactement la même chose que lors du précédent épisode de crise</a> : ils renforcent le contrôle des frontières, intensifient la coopération avec les pays tiers, durcissent leur législation, promettent de lutter contre les passeurs et <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/leffet-lampedusa-ou-comment-se-fabriquent-des-politiques-migratoires-repressives-20230917_23WCBIMHNBHOFJRRL3HLUXEEZU/">d’accroître les expulsions, etc.</a></p>
<p>En France, la même impression de surplace se dégage de l’actualité politique. Rappelons que le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-29-lois-depuis-1980-pour-quel-bilan-20221215">gouvernement travaille actuellement à la 30ᵉ loi sur l’immigration depuis 1980</a> : au rythme de presque une nouvelle loi par an, le pays est engagé dans un processus continu et probablement sans fin, de nature sisyphéenne, qui voit une nouvelle loi chasser la précédente sans que le « problème » posé par les migrations ne soit d’une quelconque manière résolu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a>
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<h2>« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »</h2>
<p>Il en va de même des discours politiques. En septembre 2023, <a href="https://www.leparisien.fr/politique/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-lhistoire-derriere-la-celebre-phrase-de-rocard-reprise-par-macron-24-09-2023-NZXNP7IPRFC2PFYEYZDCA2KWEA.php">Emmanuel Macron a repris la célèbre phrase prononcée par Michel Rocard en 1989</a> : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Laquelle phrase avait été déjà reprise par Manuel Valls en 2012, et par Macron lui-même à plusieurs reprises depuis 2017.</p>
<p>En 1989, François Mitterrand évoquait une politique migratoire alliant <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/137997-allocution-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-la">sévérité aux frontières et humanité</a>, soit presque la même expression (humanité et fermeté) que le gouvernement actuel emploie pour <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1263404/article/2022-12-06/loi-immigration-fermete-et-humanite-pari-du-camp-presidentiel-pour-seduire-l">justifier la nouvelle loi en cours d’élaboration</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bateau de migrants à l’approche de Lampedusa, Italie. En septembre 2023 une dizaine de milliers de migrants sont arrivés en quelques jours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/194913085@N07/53201458968">Fellipe Lopes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette répétition sans fin des mêmes propos est d’autant plus frappante qu’ils n’ont aucun sens. Personne n’a en effet jamais suggéré que la France accueille toute la misère du monde : on voit donc mal pourquoi il est nécessaire de continuellement exclure ce scénario. Et si on comprend à peu près en quoi consiste la fermeté des États, personne n’a jamais réussi à définir ce à quoi ressemblerait une politique migratoire ferme et humaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a>
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<h2>L’appel d’air, un vrai faux argument</h2>
<p>On pourrait faire la même observation à propos de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">l’argument de l’appel d’air</a>, selon lequel un accueil décent des migrants et des réfugiés serait incompatible avec la maîtrise de l’immigration irrégulière car il les encouragerait à venir en France. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/04/francois-heran-sur-l-immigration-abandonnons-les-vieilles-rengaines-et-prenons-la-mesure-du-monde-tel-qu-il-est_6192352_3232.html">Cela n’a jamais été démontré</a>, mais le concept est devenu un mot magique, repris de manière pavlovienne par tous les gouvernements successifs de gauche comme de droite.</p>
<p>Les politiques migratoires reposent ainsi sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Du point de vue de la raison, c’est incompréhensible : un gouvernement qui constate l’échec de sa politique devrait, en toute logique, remettre en cause les postulats de son action et réévaluer sa stratégie.</p>
<p>Mais malgré l’échec de leurs politiques, les États européens continuent de croire dans ce qu’il faut bien qualifier de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/migrations-la-politique-europeenne-en-3-minutes/">monde imaginaire</a> : dans cet univers parallèle, les frontières sont bien contrôlées, la distinction entre migrants et réfugiés est claire pour tout le monde, les migrants économiques viennent docilement combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs dits « en tension », les pays tiers font preuve de bonne volonté pour aider l’Europe à prévenir l’immigration irrégulière, l’aide au développement est judicieusement allouée pour réduire la pression migratoire dans les pays du Sud, etc.</p>
<p>Il n’y a aucune chance que tout cela se produise dans le monde réel. Mais cet horizon inatteignable est tellement désirable qu’on ne cesse de l’invoquer en espérant le faire advenir. Il n’est donc pas surprenant que des responsables politiques prononcent exactement la même phrase à près de quarante ans d’intervalle : c’est précisément la manière dont les mythes fonctionnent, avec la répétition rituelle des mêmes mantras hérités de nos ancêtres, que chaque génération se répète et transmet à la suivante.</p>
<h2>Un rapport complexe à la réalité</h2>
<p>Rappelons que le mythe entretient un rapport complexe à la réalité. Il ne perd pas son pouvoir d’attraction, même lorsque la réalité ne cesse de le démentir. Dans la mesure où le mythe sert à unir et rassurer une société, il devient au contraire d’autant plus précieux et valable que cette réalité s’avère <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2006-2-page-427.htm">menaçante ou échappe au contrôle</a>. Chaque nouvelle « crise » migratoire constitue ainsi une raison de plus pour les sociétés européennes de réitérer leur croyance dans un horizon utopique qui les verrait atteindre leur objectif de <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/20160-la-politique-dimmigration-la-maitrise-des-flux-migratoires">« maîtrise des flux migratoires »</a>.</p>
<p>La croyance dans le mythe s’accommode aussi de quelques contradictions. Dans un livre célèbre, Paul Veyne se demande si les Grecs de l’Antiquité <a href="https://books.google.fr/books?id=ZX6BAAAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">croyaient à leurs mythes</a> et il avance l’hypothèse qu’il existe différents « programmes de vérité », qui cohabitent au sein des sociétés et en chacun d’entre nous. Comme le malade qui espère un miracle à Lourdes mais n’en prend pas moins ses médicaments, cela nous permet tout à la fois de croire et de ne pas croire, ou de croire tout en adoptant des comportements peu conformes avec nos croyances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-des-migrants-prevenir-et-agir-est-une-question-de-sante-publique-211757">Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique</a>
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<h2>L’exemple italien</h2>
<p>C’est ainsi qu’en Italie, le gouvernement actuel se montre à la fois intransigeant et souple dans sa politique migratoire. Issue de l’extrême droite où l’immigration est systématiquement présentée comme une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">« invasion »</a>, et élue sur la promesse d’un « blocus » maritime contre l’immigration irrégulière, Giorgia Meloni <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/24/italie-georgia-meloni-admet-qu-elle-esperait-faire-mieux-en-matiere-de-migration_6190785_3210.html">reconnaît ainsi que ses objectifs sont difficiles à atteindre</a>, sans pour autant changer de discours.</p>
<p>Par ailleurs, son gouvernement continue de régulariser des sans-papiers pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans un pays vieillissant, et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">prévoit même d’accroître l’immigration de travail</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Q43VfCwWgo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lampedusa, l’échec de Meloni ? France 24, septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>On peut n’y voir qu’un double discours, ou l’illustration du cynisme de dirigeants qui font des promesses électorales auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. La frontière ne serait alors plus qu’un théâtre, où les États européens mettent en scène leur volonté insincère de contrôle de l’immigration, à la seule fin de rassurer leurs concitoyens et de détourner leur attention.</p>
<h2>Concilier l’inconciliable ?</h2>
<p>Mais c’est oublier que les politiques migratoires soulèvent de véritables dilemmes, et qu’une des fonctions des mythes est précisément de dépasser les contradictions qui sont au cœur de l’expérience humaine. De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. La formule incantatoire « fermeté et humanité » promet ainsi de concilier ouverture et fermeture, générosité et sévérité, exclusion et solidarité, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. Astérion le Minotaure dans les rues de Toulouse, géant de la compagnie « La Machine » – (novembre 2018).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Le_Minotaure.jpg/1024px-Le_Minotaure.jpg">Mrniko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>De façon plus fondamentale, l’Europe est l’héritière de deux croyances antinomiques. Depuis les Lumières, elle se pense comme le berceau <a href="https://institutdelors.eu/publications/de-quelle-universalite-les-valeurs-europeennes-sont-elles-le-nom/">des droits humains, de l’universalité, du progrès et de l’égalité</a> – d’où la référence à l’humanité. Mais de par son histoire coloniale, elle est de longue date structurée autour d’une opposition entre « eux » et « nous », qui fonde une différence structurelle de traitement entre Européens et non-Européens, et qui motive sa « rage à marquer sa différence contre le reste du monde », pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_postcolonie-9782348057502"><em>De la postcolonie</em></a>.</p>
<p>La contradiction réapparaît à chaque nouveau naufrage. L’Europe est choquée, elle se désole, se mobilise et exprime sa solidarité. Mais dans le même temps elle ne change rien à ses politiques, et s’accommode finalement de voir ses frontières transformées en une fosse commune pour non-Européens.</p>
<p>On conçoit que dans le monde réel il ne soit pas simple de concilier ces deux héritages, et qu’il est donc tentant de se réfugier dans un monde magique où la contradiction disparaîtrait. Cela se fait bien sûr au détriment d’une refondation pourtant nécessaire des politiques migratoires : mais après tout, de même que la religion est l’opium qui maintient le peuple dans le statu quo, les mythes tendent à être du côté de l’ordre établi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques migratoires semblent reposer sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Comment comprendre que ces dernières perdurent ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158492023-10-17T19:33:13Z2023-10-17T19:33:13ZLe poste-frontière de Rafah : pour les Gazaouis, une issue de secours qui reste close<p><em>Le siège de la bande de Gaza, décrété par Israël après l’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre dernier, a suscité l’inquiétude au Caire. L’Égypte partage avec Gaza une frontière de 12 km et contrôle le point de passage de Rafah, qui est la principale voie de sortie pour les <a href="https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/gaza-strip">quelque 2 millions de personnes</a> vivant dans la bande de Gaza.</em></p>
<p><em>Moina Spooner, de The Conversation Africa, a interrogé le sociologue Lorenzo Navone, qui a effectué de <a href="https://scholar.google.com/citations?user=W2V6Kh4AAAAJ&hl=it">nombreux travaux de recherche</a> au cours des dix dernières années, sur l’importance de ce poste-frontière qui, à ce stade, demeure fermé.</em></p>
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<h2>Que représente le poste-frontière de Rafah pour l’Égypte et pour la bande de Gaza ?</h2>
<p>La région orientale de l’Égypte, le Sinaï, est limitrophe à la fois d’Israël et de Gaza. C’est entre le Sinaï et Gaza que se trouve, à Rafah, l’un des deux principaux postes-frontière à travers lesquels les Gazaouis peuvent sortir de la bande – et le seul <a href="https://www.government.nl/binaries/government/documenten/reports/2022/04/30/general-country-of-origin-information-report-palestinian-territories/EN+AAB+Palestijnse+gebieden.pdf">qui n’est pas directement administré par Israël</a>.</p>
<p>C’est une ouverture vitale pour la survie des habitants de Gaza. Depuis 2007, <a href="https://www.unicef.org/mena/media/18041/file/Factsheet_Gaza_Blockade_2022.pdf.pdf">Israël impose à la bande de Gaza un blocus</a> terrestre, maritime et aérien, doublé d’un embargo. Cette mesure fait suite au retrait des Israéliens de la bande de Gaza en 2005 et à la victoire du Hamas aux élections de 2006.</p>
<p>Dans les faits, l’Égypte a soutenu et continue de soutenir le blocus israélien. En effet, la frontière de Rafah est étroitement contrôlée par les forces égyptiennes, et ne s’ouvre que de manière imprévisible et ponctuelle.</p>
<p>Gaza <a href="https://www.hrw.org/news/2022/06/14/gaza-israels-open-air-prison-15">dépend</a> entièrement de l’aide humanitaire internationale, du travail des quelques Palestiniens autorisés à travailler en Israël et des tunnels creusés sous la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza. Pour l’Égypte comme pour Israël, ces tunnels <a href="https://doi.org/10.4337/9781839108907.00023">constituent une menace</a> car ils peuvent être utilisés pour la contrebande d’armes et l’infiltration de terroristes.</p>
<p>Le blocus a eu un impact dramatique sur la vie des habitants de Gaza. Ils <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2020/09/israelopt-respecting-fundamental-rights-gaza-pre-condition-achieving-peace">n’ont pas accès aux droits fondamentaux</a>, notamment à la nourriture, à l’éducation, à l’emploi et à la santé.</p>
<p>Depuis près de 20 ans, la bande de Gaza est, selon l’expression consacrée, une <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/06/14/gaza-la-prison-ciel-ouvert-disrael-15-ans-deja">prison à ciel ouvert</a>. Le poste de Rafah revêt donc une importance considérable pour les Palestiniens, car il constitue l’un des rares points d’accès pour la circulation des personnes, des marchandises et de l’aide humanitaire aussi bien vers Gaza que depuis Gaza. Il permet aux Palestiniens de maintenir des liens vitaux avec le monde extérieur et d’accéder à des ressources essentielles. Son fonctionnement joue un rôle essentiel dans l’atténuation des difficultés auxquelles les habitants sont confrontés en permanence.</p>
<h2>Qu’implique pour Rafah l’enchaînement des événements que l’on a observé depuis le 7 octobre dernier ?</h2>
<p>Le déclenchement de la guerre actuelle entre, d’une part, Israël et, d’autre part, le Hamas et d’autres factions palestiniennes, met en lumière trois éléments essentiels :</p>
<ul>
<li><p>l’importance du point de passage de Rafah pour la stabilité de la région et pour les Palestiniens de Gaza ;</p></li>
<li><p>l’expulsion potentielle des Palestiniens de Gaza ;</p></li>
<li><p>et l’ambiguïté de la posture de l’Égypte à l’égard du peuple palestinien.</p></li>
</ul>
<p>Tout d’abord, bien que le poste-frontière de Rafah soit le seul moyen de quitter la bande de Gaza, il est <a href="https://www.ochaopt.org/data/crossings">fermé plus souvent qu’il n’est ouvert</a> depuis près de 20 ans. Or n’oubliez pas qu’un poste-frontière doit a priori fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.</p>
<p>Les ouvertures étaient sporadiques et les conditions de délivrance d’une autorisation de passage étaient <a href="https://gisha.org/en/movement-of-people-via-rafah-crossing/">peu claires</a>. On ne sait pas non plus <a href="https://www.hrw.org/report/2017/04/03/unwilling-or-unable/israeli-restrictions-access-and-gaza-human-rights-workers">qui gère le point de passage</a> et qui décide de son ouverture.</p>
<p>Ces dernières années, les habitants de Gaza ont très largement dépendu, pour leur subsistance, du fonctionnement du point de passage de Rafah et des tunnels. C’est encore plus vrai aujourd’hui : il s’agit d’une véritable ligne de vie pour eux dans le contexte actuel.</p>
<p>Deuxièmement, une ouverture humanitaire du point de passage signifierait probablement l’arrivée en Égypte de milliers de Palestiniens déplacés. Mais l’Égypte ne sera pas disposée à les accueillir car elle <a href="https://apnews.com/article/israel-hamas-gaza-palestinians-egypt-sinai-war-894d45535fed1049a0076453ca99c555">craint</a> qu’ils restent sur son territoire de manière permanente.</p>
<p>Enfin, la question de la difficulté à accepter les Palestiniens fuyant Gaza met en évidence la position ambiguë de l’Égypte à leur égard. Parmi les pays arabes limitrophes d’Israël et des territoires palestiniens occupés, l’Égypte est le seul à ne pas avoir autorisé l’établissement de camps de réfugiés palestiniens sur son territoire, contrairement à la Syrie qui accueille <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/syria">plus de 500 000</a> réfugiés, à la Jordanie qui en accueille <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/jordan">2 millions</a>, et au Liban qui en accueille <a href="https://www.unicef.org/lebanon/palestinian-programme-0">plus de 200 000</a>.</p>
<p>Dans leurs discours officiels, les autorités égyptiennes <a href="https://doi.org/10.1093/rsq/hdp044">s’opposent</a> à l’expulsion des Palestiniens de Gaza et les soutiennent dans leur lutte visant à obtenir un État souverain.</p>
<p>Mais l’Égypte est un pays <a href="https://worldpopulationreview.com/countries/egypt-population">surpeuplé</a> à l’économie fragile qui refuse de voir un afflux de personnes pauvres sur son territoire. Depuis 1948, on estime (bien que ces chiffres fassent l’objet de débats) qu’il y a <a href="https://al-shabaka.org/briefs/invisible-community-egypts-palestinians/">environ 80 000</a> Palestiniens qui résident en Égypte. La plupart d’entre eux n’ont pas de droits civiques et vivent en dehors de tout cadre de protection juridique et humanitaire.</p>
<h2>Que devrait faire l’Égypte, compte tenu de la complexité de la situation ?</h2>
<p>Au moment où nous parlons, la situation est très volatile, mais je crois que l’Égypte ne gère rien du tout : en fait, elle apparaît plutôt comme un spectateur passif des événements en cours.</p>
<p>Si l’on exclut le scénario, très improbable, d’une intervention militaire égyptienne pour stopper l’assaut israélien sur Gaza (ce qui pourrait déboucher sur une guerre régionale de grande ampleur), l’Égypte n’a que deux options.</p>
<p>Premièrement, utiliser toutes les voies diplomatiques à sa disposition pour négocier un cessez-le-feu. Ce sera extrêmement compliqué car Israël <a href="https://www.huffpost.com/entry/israel-gaza-isaac-herzog_n_65295ee8e4b03ea0c004e2a8">perçoit</a> la bande de Gaza et tous ses habitants (y compris les mineurs, les femmes et les personnes âgées) comme une menace existentielle, ce qui signifie qu’il n’a pas l’intention de suspendre la guerre ni d’écouter qui que ce soit.</p>
<p>Deuxièmement, fournir une aide humanitaire aux personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza en empruntant des corridors sûrs. Israël a <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/12/no-power-water-or-fuel-to-gaza-until-hostages-freed-says-israeli-minister">coupé</a> l’électricité, le gaz, l’Internet et l’eau à Gaza avant son assaut. Gaza est donc actuellement en proie à une panne totale d’électricité et à la famine.</p>
<p>À l’heure actuelle, le principal risque, que l’Égypte doit garder à l’esprit au moment de prendre sa décision, est celui d’un nombre de pertes humaines colossal parmi la population gazaouie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lorenzo Navone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi l’Égypte ne veut-elle pas ouvrir le point de passage de Rafah, entre son territoire et celui de la bande de Gaza ?Lorenzo Navone, Lecturer, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2135872023-10-10T21:15:56Z2023-10-10T21:15:56ZVivre l’Ukraine en exil, son héritage culturel dans la peau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548307/original/file-20230914-26-xll2gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C613%2C342&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tatouage de vychyvanka sur le cou de Marguerita, à Lisbonne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">A. Desille</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Nous sommes dans un studio de tatouage à Lisbonne, au Portugal, en novembre 2022. L’artiste tatoueuse, exilée ukrainienne, presse son aiguille sur la peau de la nuque de Marguerita, une jeune femme elle aussi ukrainienne, qui s’est offert ce tatouage pour ses 18 ans. Dans son sac, elle a rangé la chemise traditionnelle (ou « vychyvanka »), brodée par son arrière-grand-mère et qui a inspiré ce motif.</p>
<p>Marguerita vit depuis sa naissance à Amadora, une ville de la banlieue de Lisbonne où je réalise un projet de recherche depuis 2021. La première fois que j’ai rencontré Marguerita, elle m’a raconté les jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine, et l’urgence qu’elle a ressentie d’aider ses compatriotes. Aidée de sa mère, elle a organisé une collecte de dons à Amadora – qui comptait avant le début de la guerre 700 résidents et résidentes originaires d’Ukraine. Lors de cette collecte, la maire d’Amadora, Carla Tavares, l’a approchée et lui a proposé de l’aide : Marguerita a obtenu un local pour entreposer les dons. L’organisation de l’aide s’est par la suite institutionnalisée et la mairie a systématisé la collecte, mais Marguerita est devenue une figure emblématique de la ville d’Amadora.</p>
<h2>Les débuts de l’immigration ukrainienne au Portugal</h2>
<p>Depuis les années 2000, les personnes ukrainiennes figurent parmi les populations migrantes majoritaires du Portugal. D’abord <a href="https://journals.openedition.org/rccs/1340">employées temporairement dans la construction, l’industrie et l’agriculture</a>, ces populations se sont installées plus durablement : leurs familles les ont rejointes au Portugal, les demandes de nationalité portugaise se sont multipliées, et <a href="https://www.om.acm.gov.pt/documents/58428/179693/Estudo_Comun_3.pdf/5467ed94-e4b8-42a2-844f-7f1926dec708">elles ont ouvert leurs propres commerces ou ateliers</a>).</p>
<p>La crise économique qui a durablement affecté le sud de l’Europe à partir de 2008 a <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-41776-9_11">ralenti l’immigration ukrainienne au Portugal</a>, mais, avant que la guerre n’éclate, les autorités portugaises recensaient encore <a href="https://www.pordata.pt/portugal/populacao+residente+estrangeira+segundo+os+censos+total+e+por+pais+de+nacionalidade-3786">27 195 résidents ukrainiens au Portugal</a>. Au printemps 2023, le Portugal avait déjà octroyé une protection temporaire à <a href="https://www.dn.pt/sociedade/potecoes-temporarias-concedidas-por-portugal-a-ucranianos-diminuiram-16236026.html">59 000 exilés ukrainiens</a>.</p>
<p>Marguerita est née au Portugal, mais elle se revendique ukrainienne :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis née ici [au Portugal], mais je n’ai pas à m’y adapter. Je peux m’adapter à la vie quotidienne, OK. Mais mon sang est ukrainien. Mon sang est hérité des générations précédentes, et il vient de ces terres. » (entretien avec Marguerita, 2022, traduction de l’autrice)</p>
</blockquote>
<p>Bien avant la guerre, et comme nombre d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes de la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12134-023-01064-2">diaspora</a>, Marguerita était déjà fortement impliquée dans la sauvegarde et la reconnaissance du patrimoine ukrainien. Élève à l’école ukrainienne le week-end, joueuse de l’instrument traditionnel ukrainien bandura, collectionneuse de vychyvankas, elle voit ce patrimoine fortement mis à l’épreuve dès le début du conflit.</p>
<p>Alors que son anniversaire approche, Marguerita décide d’imprimer sur son corps ce patrimoine national, diasporique, et aussi familial.</p>
<h2>Faire vivre ailleurs sa culture dominée</h2>
<p>Suite à des <a href="https://www.unesco.org/en/articles/damaged-cultural-sites-ukraine-verified-unesco">attaques russes sur des sites culturels ukrainiens</a>, le ministre de la Culture en Ukraine a dénoncé un <a href="https://www.euronews.com/culture/2022/09/13/its-cultural-genocide-ukraines-culture-minister-trying-to-salvage-the-countrys-artifacts">« génocide culturel »</a> en septembre 2022. Des <a href="https://www.unesco.org/en/articles/unesco-supports-culture-emergencies-through-heritage-emergency-fund">fonds d’urgence sont débloqués pour soutenir la culture ukrainienne</a>.</p>
<p>En parallèle, les autorités ukrainiennes ainsi que certaines institutions culturelles européennes encouragent le boycott de la culture russe : en Ukraine, ce boycott est la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/dec/07/ukraine-calls-on-western-allies-to-boycott-russian-culture">continuité d’une « décolonisation » de la culture et d’une affirmation de l’identité ukrainienne entamée depuis quelques années en réponse à la domination russe</a> tandis que, pour les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/guerre-en-ukraine-faut-il-continuer-de-boycotter-le-monde-culturel-russe_193711.html">institutions culturelles européennes ou nord-américaines qui ont déprogrammé des artistes russes</a>, ces sanctions sont perçues comme un moyen de pression pendant la guerre.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La décision de Marguerita s’inscrit dans un mouvement plus large, constaté depuis le début de la guerre aussi bien en Ukraine qu’au sein de la diaspora. En effet, face à l’agression russe, de nombreuses personnes choisissent de <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/03/it-symbolises-resistance-ukrainians-get-tattoos-to-back-war-effort">se faire tatouer des symboles de leur pays</a>, et notamment des inscriptions en langue ukrainienne ou des images du folklore ukrainien. </p>
<p>La <a href="https://sociologica.unibo.it/article/view/15272/14825">chercheuse Kateryna Iakovlenko</a> raconte ainsi que l’artiste Olia Fedorova s’est tatoué « Souviens-toi qui tu es » en ukrainien sur son bras. Le tatouage comme acte de patrimonialisation n’est pas l’apanage des personnes ukrainiennes, et la pratique se multiplie dans de nombreux groupes diasporiques, allant même jusqu’à <a href="https://books.google.pt/books?hl=pt-PT&lr=&id=9pdREAAAQBAJ">l’incorporation de cendres de défunts dans le tatouage</a>.</p>
<p>Comme toujours décidée à mettre en valeur les compétences des femmes ukrainiennes qui l’entourent, Marguerita se tourne vers une artiste tatoueuse en exil, accueillie depuis son arrivée au Portugal dans un studio du centre de Lisbonne. Elle m’a invitée à passer la journée au studio avec elles où j’assiste à l’impression du tatouage basée sur la vychyvanka brodée par son arrière-grand-mère. J’ai pris des clichés que je lui ai envoyés le lendemain. Elle en a utilisé quelques-uns pour illustrer sa page Instagram, et a accompagné les photos de ce texte en portugais et en ukrainien :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne sais pas si je vois ça comme un tatouage, parce que pour moi c’est beaucoup plus que ça, je sens que d’une certaine manière il faisait déjà partie de mon corps. » (« Não sei se vejo isto como tatuagem, porque para mim é muito mais, sinto que de certa maneira já fazia parte do meu corpo », publié en novembre 2022, traduction de l’autrice)</p>
</blockquote>
<p>C’est comme si le tatouage avait transpiré, plutôt qu’avait été imprimé. Patrimoine incarné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amandine Desille est membre associée de l'UMR-Passages à l'Université de Bordeaux, et chercheuse postdoctorale à l'université de Lisbonne. Elle est membre de INTEGRIM Lab, une organisation non lucrative fondée à Bruxelles.
La recherche effectuée à Amadora entre avril 2021 et juin 2022 a été financée par l'ICM, programme Localacc. </span></em></p>Une image pour comprendre comment, de la diaspora aux réfugiés, on peut faire vivre sa culture quand on est loin de sa terre d’origine.Amandine Desille, Post doctorante géographe à l'Université de Lisbonne et membre associée de l'UMR-Passages, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993632023-02-09T14:22:33Z2023-02-09T14:22:33ZVoici pourquoi il est difficile - et peu souhaitable - de « fermer » le chemin Roxham<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508976/original/file-20230208-17-332kit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2000%2C1089&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dulne Brutus, of Haiti, tows his luggage down Roxham Road in Champlain, N.Y., while heading to an unofficial border station across from Saint-Bernard-de-Lacolle, Quebec, Monday, Aug. 7, 2017. Officials on both sides of the border first began to notice last fall, around the time of the U.S. presidential election, that more people were crossing at Roxham Road. Since then the numbers have continued to climb.
</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Charles Krupa)</span></span></figcaption></figure><p>« Fermer » le chemin Roxham a été invoqué à maintes reprises ces dernières semaines, tant par des chroniqueurs que des élus, <a href="https://journalmetro.com/actualites/montreal/2997252/chemin-roxham-en-lespace-dune-matinee-la-ministre-frechette-revient-sur-sa-position/">créant même un imbroglio</a> entre la ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, et son propre gouvernement caquiste. En 2022, un <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/national/2022-10-28/chemin-roxham/vers-un-record-de-50-000-demandeurs-d-asile.php">record de 50 000 demandeurs d’asile</a> sont passés par le désormais célèbre chemin, qui relie la Montérégie et l’État de New York.</p>
<p>Ces demandeurs d’asile évitent les postes-frontières officiels entre le Canada et les États-Unis en raison de <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/mandat/politiques-directives-operationnelles-ententes-accords/ententes/entente-tiers-pays-surs.html">l’entente sur les tiers pays sûrs</a>, signée en 2002 et entrée en vigueur en 2004. En vertu de cette entente, « les personnes qui entrent au Canada à un point d’entrée terrestre ne sont toujours pas admissibles à présenter une demande de statut de réfugié, et seront renvoyées aux États-Unis à moins qu’elles ne satisfassent à l’une des exceptions prévues dans l’Entente ».</p>
<p>Il y a en effet peu de chances qu’un demandeur d’asile puisse invoquer des persécutions aux États-Unis, un pays considéré comme « sûr ». De fait, <a href="https://irb.gc.ca/fr/statistiques/asile/Pages/SPRStat2022.aspx">sur les 62 113 demandes encore en instance devant la CISR en septembre 2022, seulement 274 considéraient les États-Unis comme pays de persécution</a>.</p>
<p>La question qui se pose est la suivante : est-ce que l’entente sur les tiers pays sûrs pourrait être appliquée tout au long des <a href="https://www.rncan.gc.ca/sciences-terre/geographie/frontieres-internationales/10944">8 891 km qui nous séparent des États-Unis</a>, afin de limiter le passage de ces demandeurs d’asile empruntant le chemin Roxham et d’autres chemins alternatifs ?</p>
<p>Du point de vue opérationnel, la réponse est non. Pas plus que le Québec ne peut fermer le chemin Roxham, car c’est le gouvernement fédéral qui a la compétence pour gérer les frontières canadiennes.</p>
<p>Par ailleurs, le Canada est soumis à des obligations résultant de la Charte canadienne des droits et libertés : il ne peut renvoyer les demandeurs d’asile vers un pays <a href="https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1937/index.do">où il existe un risque de torture</a>. En vertu du droit international, le Canada a aussi ratifié la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention relative au statut des réfugiés et la convention contre la torture</a>, qui implique ce principe de non-refoulement à toute personne risquant la torture, des traitements inhumains ou dégradants.</p>
<p><a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/ndiaye.ndeye_dieynaba/">Professeure de droit des migrations à l’UQÀM</a>, je suis directrice de l’Observatoire sur les migrations internationales, les réfugiés, les apatrides et l’asile (OMIRAS). Je propose ici un survol de ce que disent les lois internationales sur l’accueil de réfugiés.</p>
<h2>Devant la Cour suprême</h2>
<p>La saga judiciaire pour invalider l’entente sur les tiers pays sûrs a débuté en 2007 devant la Cour fédérale, ensuite devant la Cour d’appel fédérale, <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/supreme-court-of-canada">et s’est finalisée en 2009 par un rejet de la Cour suprême</a>.</p>
<p>Depuis 2020, avec l’arrivée de dizaines de milliers de demandeurs arrivant des États-Unis par des points d’entrée non officiels, une nouvelle demande a été introduite par Amnistie internationale, le Conseil canadien des Églises, le Conseil canadien pour les réfugiés et des demandeurs d’asile <a href="https://decisions.fct-cf.gc.ca/fc-cf/decisions/fr/item/482757/index.do">afin de faire invalider l’entente</a>. À la suite de plusieurs aller-retour devant la justice, une demande d’autorisation d’appel a été introduite. Le 16 décembre 2022, la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1848187/entente-pays-tiers-cour-supreme-canada">Cour suprême a accepté de recevoir la cause et de réviser l’entente</a>. Il faudra donc attendre la décision de la plus haute juridiction canadienne sur la validité ou non de l’entente.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des hommes, des femmes et des enfants sont assis sous une tente" src="https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508977/original/file-20230208-31-l49a3q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des demandeurs d’asile arrivés au Canada par le chemin Roxham attendent leur transfert vers des lieux d’hébergement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un droit garanti en droit international</h2>
<p>Le Canada accueille un nombre infime des demandeurs d’asile dans le monde. Le HCR les estime à plus de 4,9 millions. À eux s’ajoutent les 25 millions de réfugiés et plusieurs autres millions de déplacés internes. La plupart <a href="https://www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html">vivent dans les pays limitrophes de leur pays d’origine</a>, comme la Jordanie, la Turquie ou le Liban, au Moyen-Orient, la Colombie, en Amérique du Sud, ou l’Ouganda et le Kenya, en Afrique (<a href="https://www.jeuneafrique.com/335208/societe/carte-se-situent-camps-de-refugies-afrique/">continent qui accueille le plus grand nombre de réfugiés</a>).</p>
<p>Ultimement, le Canada est obligé de laisser les gens disant fuir des persécutions présenter leurs demandes d’asile, un <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/monde/ONU-decl_univers-droits-1948.htm">droit garanti par l’ONU</a>. Toutes ces demandes d’asile doivent être jugées recevables avant d’être transmises à la Section de protection des réfugiés, compétente pour examiner les demandes de protection internationale au Canada. Si les demandes remplissent les critères, les personnes seront reconnues comme des réfugiées au Canada.</p>
<h2>Migrants irréguliers et demandeurs d’asile</h2>
<p>Il y a présentement un amalgame entre migrations irrégulières et accueil des demandeurs d’asile. Pour ces derniers, l’entente sur les tiers pays sûrs leur permet d’arriver au Canada à travers le chemin Roxham (à leurs risques et périls). L’invalidation de l’entente permettrait aux personnes disant fuir des persécutions de présenter leur demande d’asile en toute sécurité au Canada, quel que soit leur lieu d’arrivée. Notons que des organisations de défense des migrants, <a href="https://www.refworld.org/pdfid/3ae6a9d60.pdf">dont Amnistie internationale</a>, relatent des pratiques qui enfreignent les droits humains des demandeurs d’asile aux États-Unis.</p>
<p>Pour les migrations irrégulières, le Canada dispose d’un Programme d’aide mondiale aux migrants irréguliers (PAMMI) et des dispositions législatives pour éradiquer l’immigration irrégulière. Le Québec devra continuer la collaboration avec le gouvernement fédéral afin de lutter efficacement contre les migrations irrégulières notamment en ciblant les causes réelles de ces déplacements (inégalités économiques, changements climatiques, conflits et violences dans le monde).</p>
<h2>D’autres chemins ouvriront</h2>
<p>Le chemin Roxham présente des enjeux complexes. Mais il faut le situer dans son contexte mondial, avec la présence de plus de 100 millions de personnes en exil dans le monde.</p>
<p>Devant l’afflux de plus en plus de réfugiés, plus de <a href="https://www.journaldequebec.com/2023/01/12/68-des-quebecois-veulent-la-fermeture-du-chemin-roxham">68 % des Québécois souhaitent la fermeture du chemin Roxham</a>. Les pressions sur le système se font grandissantes. Il en <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/national/2023-02-02/aide-sociale/le-nombre-de-prestataires-explose.php">coûte 20 millions de plus par mois à Québec en prestation d’aide sociale</a>, notamment en raison du fait que le <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/demandes-asile/demandes-asile-2022.html">Québec accueille 64 % de ces demandes d’asile au Canada</a> et que le Canada tarde à délivrer des permis de travail.</p>
<p>Malgré cela, il n’est pas pertinent de fermer le chemin Roxham, car d’autres points d’entrée le remplaceront, exposant les demandeurs d’asile à davantage de risques et de dangers. L’exemple de l’Union européenne est révélateur : dès qu’une route se ferme, d’autres <a href="https://www.iom.int/fr/news/oim-plus-de-5-000-deces-enregistres-sur-les-routes-migratoires-europeennes-depuis-2021">encore plus dangereuses s’ouvrent et le nombre de personnes décédées ou disparues grimpent</a>. À cela s’ajoutent les multiples violations des droits humains dont font l’objet ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant les guerres et les persécutions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199363/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ndeye Dieynaba Ndiaye a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec (FRQ).</span></em></p>Il est inutile de fermer le chemin Roxham, car d’autres points d’entrée le remplaceront, exposant les demandeurs d’asile à davantage de risques et de dangers. La problématique est globale.Ndeye Dieynaba Ndiaye, Professeur de droit des migrations, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1951332022-12-18T18:15:09Z2022-12-18T18:15:09ZTuvalu, menacé d’être englouti par les eaux, crée son double digital<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499325/original/file-20221206-11-356nfq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C1911%2C1074&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sans action immédiate au niveau planétaire contre le changement climatique, Tuvalu n’existera bientôt plus que dans le métavers.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.tuvalu.tv">Tuvalu.tv</a></span></figcaption></figure><p>À l’occasion de la COP27, Simon Kofe, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, a annoncé la création d’une réplique digitale de son pays, lui offrant ainsi la perspective d’une continuité virtuelle en cas de submersion par les eaux.</p>
<p>Le téléchargement de cet archipel polynésien dans le <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/2022/Rapport-interministeriel-metavers.pdf">métavers</a> doit être réalisé par étapes, avec une reproduction en 3D des terres, des eaux les entourant et d’éléments de la vie culturelle de Tuvalu. Pour l’heure, le <a href="https://www.tuvalu.tv">site</a> hébergeant le projet propose une représentation de Teafualiku, sa plus petite île.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sJIlrAdky4Q?wmode=transparent&start=2" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Annonce de la création d’un double de Tuvalu dans le métavers.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les nations du Pacifique sont en première ligne des effets du changement climatique alors qu’elles y contribuent de façon infime (<a href="https://www.sprep.org/news/low-carbon-development-shared-the-pacific-island-way">moins de 0,03 %</a> des émissions de gaz à effet de serre) et que leurs ressources économiques pour y faire face sont <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD?locations=S2">limitées</a>. Voilà des années qu’elles alertent sur la menace qu’emporte le phénomène pour leur survie.</p>
<p>La création d’un double virtuel de la monarchie du Pacifique poursuit deux objectifs. Le premier est de sensibiliser le monde sur le danger vital encouru par Tuvalu du fait du changement climatique ; le second est d’assurer un support de rattachement culturel et de survivance juridique au cas où le pire surviendrait. Cette dernière dimension pose de nombreuses questions.</p>
<h2>Alerter sur les effets du changement climatique</h2>
<p>En Océanie, les multiples conséquences du dérèglement climatique sont déjà très réelles et <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/climate-change-litigation-in-the-asia-pacific/litigating-human-rights-violations-related-to-the-adverse-effects-of-climate-change-in-the-pacific-islands/C1779ABB4F87E6732E35BDA1078BBB7D">documentées</a>. Elles illustrent à quel point la crise climatique est avant tout une crise des droits humains, entravant la jouissance des droits culturels et menaçant aussi les droits à l’alimentation, à l’éducation, à la santé, à la protection de la famille, et même à la vie.</p>
<p>Ces bouleversements ont déjà entraîné de multiples relocalisations internes, comme en <a href="https://sdgs.un.org/sites/default/files/publications/2185%28IOM%2C%202014%29%20Assessing%20the%20Evidence%20Migration%2C%20Env%2C%20and%20CC%20-%20%20PNG.pdf">Papouasie Nouvelle-Guinée</a>, aux <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pacifique-la-montee-des-eaux-fait-disparaitre-cinq-des-iles-salomon-07-05-2016-2037630_24.php">Îles Salomon</a>, à <a href="https://www.theguardian.com/environment/2022/nov/08/how-to-move-a-country-fiji-radical-plan-escape-rising-seas-climate-crisis">Fidji</a> ou au <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20221201-climate-tragedy-vanuatu-to-relocate-dozens-of-villages">Vanuatu</a>.</p>
<p>Ils obligent également à anticiper des déplacements internationaux de populations, en particulier pour les États atolliens, à l’instar de Tuvalu, mais aussi de Kiribati, des Iles Marshall, ou de Tokelau (territoire spécial de Nouvelle-Zélande) : ces territoires entièrement composés de formations coralliennes basses sont susceptibles de disparaître sous les eaux d’ici quelques décennies.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9u_31WNC9-k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Nations of Water" est un film documentaire sur la question du droit et des déplacés climatiques dans le Pacifique.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un scénario juridique inédit</h2>
<p>Or, si des États ont déjà cessé d’exister en raison de circonstances militaires et politiques, ils ne l’ont jamais été parce que leur territoire avait disparu.</p>
<p>Ce scénario soulève des questions juridiques sans précédent. En réalité, la <a href="https://theconversation.com/que-faire-face-a-la-montee-du-niveau-de-la-mer-lexemple-de-miquelon-village-en-cours-de-deplacement-177786">montée des eaux</a> étant un phénomène progressif, un territoire devient inhabitable avant d’être englouti par l’océan. Dans le cas des États atolliens, c’est l’ensemble des habitants qui pourraient être amenés à se déplacer. Une perspective d’autant moins fantaisiste que ces populations sont réduites en nombre (Tuvalu compte environ 12 000 habitants).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limpact-du-changement-climatique-sur-la-polynesie-francaise-190849">L’impact du changement climatique sur la Polynésie française</a>
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<p>Différentes incertitudes naissent de cette projection. Se pose d’abord la question de la survivance de l’État en lui-même. Selon le droit international, une entité étatique est composée de trois éléments : un territoire, une population et un gouvernement. Le déplacement de la population entière d’un État entraîne donc la première carence de ce triptyque, la disparition du territoire une seconde. En pareil cas, le gouvernement serait <em>a minima</em> obligé de s’exiler. Qu’adviendrait-il donc de ces entités étatiques ? Pourraient-elles continuer d’exister juridiquement et être encore représentées sur la scène internationale ? Pourraient-elles par exemple conserver leur statut d’État membre des Nations unies ?</p>
<p>La situation des personnes n’est pas plus claire. Les ressortissants de l’État dont le territoire serait devenu inhabitable ou aurait disparu continueraient-ils d’avoir la même nationalité ? Comment pourraient-ils faire valoir leurs droits ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/refugies-climatiques-une-decision-historique-du-comite-des-droits-de-lhomme-de-lonu-131348">« Réfugiés climatiques » : une décision historique du Comité des droits de l’homme de l’ONU ?</a>
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</p>
<hr>
<p>Enfin, il faudrait également répondre à la question importante de savoir si la reconnaissance de compétences souveraines sur les espaces maritimes pourrait subsister. En effet, le droit de la mer tel que codifié et développé dans la <a href="https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf">Convention de Montego Bay</a> prévoit l’exercice de compétences liées à l’exploration et à l’exploitation des ressources sur la zone économique exclusive, jusqu’à 200 milles marins des lignes de base, ainsi que sur le plateau continental.</p>
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<img alt="À l’occasion de la COP 26, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu s’est adressé aux dirigeants du monde avec de l’eau jusqu’aux genoux" src="https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499074/original/file-20221205-18-gwdi1u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’occasion de la COP 26, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu s’est adressé aux dirigeants du monde avec de l’eau jusqu’aux genoux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/worldmeteorologicalorganization/51696702497/">World Meteorological Organization/Flickr</a></span>
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</figure>
<p>En Océanie, la configuration géographique fait que le ratio terre/mer pour les États insulaires est unique au monde, et que ces confettis de terre sont en fait d’immenses <a href="https://theconversation.com/tilio-a-qui-appartient-la-mer-194655">nations maritimes</a> (la ZEE de Tuvalu est un cas d’école avec plus de 756 000 km<sup>2</sup> pour 30 km<sup>2</sup> de terre, soit 27 000 fois la superficie terrestre de l’État). Dans quelle mesure pourrait-on renverser le postulat juridique selon lequel la terre domine la mer, et considérer que des profits pourraient continuer d’être tirés des espaces maritimes entourant l’ancien territoire terrestre ?</p>
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<p>De nombreuses hypothèses d’États « territorialisés », ou « ex-situ » ont déjà nourri les recherches des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03200857">internationalistes</a>. L’achat de terres à Fiji par Kiribati a par exemple illustré la possibilité de relocalisation externe de la population (ces terres auraient finalement été converties en <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/feb/24/kiribati-and-china-to-develop-former-climate-refuge-land-in-fiji">exploitation agricole</a>, avec le soutien de la Chine).</p>
<p>Ces projections, dont les obstacles concrets restent difficiles à ignorer, mobilisent l’imagination des juristes. La création d’un double digital des États constitue encore une nouvelle piste.</p>
<h2>Un support virtuel à la continuité de l’État</h2>
<p>Faudrait-il dès lors envisager la doublure de l’État dans le métavers comme un nouveau support de son existence ? La territorialité et la souveraineté pourraient-elles être également virtuelles ?</p>
<p>Le <a href="https://www.numerama.com/tech/1083206-quest-ce-que-le-metaverse.html">métavers</a>, concept un peu flou promu par les géants d’Internet, a la particularité de proposer un monde virtuel au sein duquel des avatars tridimensionnels seraient dotés d’une existence propre. Certaines institutions y ont déjà cédé, à l’instar de la <a href="https://cities-today.com/early-version-of-seouls-metaverse-revealed/">ville de Séoul</a> ou de la <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/la-barbade-veut-etablir-la-premiere-ambassade-dans-le-metavers-20211117">Barbade</a>, qui ont annoncé y recréer une partie de leurs services administratifs pour la première et diplomatiques pour la seconde. Le projet de Tuvalu est novateur en ce qu’il se propose de télécharger l’entièreté de l’État, dans ses dimensions à la fois spatiales et culturelles.</p>
<p>Cette projection numérique ne créerait pas de droits – sauf éventuellement dans le métavers lui-même. Néanmoins, dans le monde réel, elle pourrait supporter la survivance d’un État déterritorialisé, en lui donnant une certaine matérialité. Les modalités de cette continuité juridique restent toutefois à préciser. Elles font l’objet de nombreuses <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/276/30/PDF/N2227630.pdf">réflexions</a> menées notamment au sein de la Commission du droit international de l’ONU.</p>
<p>L’État virtuel a aussi été présenté par le ministre Kofe comme un moyen pour les Tuvaluans et leurs descendants de pouvoir un jour se replonger au sein de la richesse esthétique, biologique et culturelle de leur pays, en portant des lunettes 3D. La construction d’un monde virtuel peut paraître en soi effrayante, elle devient tragique lorsqu’il s’agit d’y télécharger un monde sur le point de disparaître à jamais de la réalité physique. De récentes évolutions, tel le soutien apporté à la campagne menée par le Vanuatu <a href="https://drive.google.com/file/d/1h3s4Vy-Xl_YvUO-MgOYsjtqmjcEjxtcp/view">pour solliciter un avis de la Cour internationale de Justice</a> sur le changement climatique et les droits humains sont autant de signes d’une croissante prise en compte de la situation des petits États insulaires face au changement climatique. </p>
<p>La création lors de la COP 27 d’un fonds pour les pertes et préjudices – certes existant mais pas encore doté et dont la liste des pays bénéficiaires n’a pas été arrêtée – peut également être soulignée. Le sort des nations comme celle de Tuvalu tient néanmoins à des actions beaucoup plus concrètes et immédiates tant il y a urgence à les sauver.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Giraudeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La création d’une réplique du petit État insulaire du Pacifique dans le métavers soulève de nombreuses questions juridiques sur les « États virtuels ».Géraldine Giraudeau, Professeure de droit public, Paris-Saclay (UVSQ), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1945442022-11-14T17:07:04Z2022-11-14T17:07:04ZComment l’affaire de l’Ocean Viking révèle l’ambiguïté des « zones d’attente »<p>Vendredi 11 novembre, les 234 migrantes et migrants secourus par le navire <em>Ocean Viking</em> ont pu rejoindre la base navale de Toulon, après trois semaines d’errance en mer. Ultime épisode du drame de la migration qui se joue en Méditerranée et dont le déroulement puis le dénouement peuvent donner lieu à plusieurs clés de lecture. Au niveau de la politique et de l’intégration européennes, le <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-migratoire-pour-litalie-de-giorgia-meloni-191023">bras de fer entre Paris et Rome</a>, rejouant le duel ayant opposé en 2018 Emmanuel Macron avec l’alors Président du Conseil des ministres italien et actuel <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/12/le-sauvetage-francais-de-l-ocean-viking-fracture-la-relation-entre-paris-et-rome_6149590_3224.html">Vice-Président Matteo Salvini</a>, a souligné les obstacles à l’affirmation de la solidarité européenne <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/06/22/migration-and-asylum-pact-council-adopts-negotiating-mandates-on-the-eurodac-and-screening-regulations/">sur la question</a>. Au niveau de la politique interne, ensuite, l’on a vu combien la situation de l’<em>Ocean Viking</em> a accusé les clivages entre « humanistes » et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/l-ocean-viking-accueilli-a-toulon-le-monde-politique-se-divise_210106.html">partisans de la fermeté</a>.</p>
<p>Rappelons d’ailleurs que les propos ayant valu <a href="https://theconversation.com/comment-pour-la-deuxieme-fois-de-son-histoire-lassemblee-nationale-exclut-un-depute-193986">l’exclusion</a> pour deux semaines du député du Rassemblement national Grégoire de Fournas ont précisément été tenus à l’occasion de l’allocution d’un député de la France insoumise dénonçant le sort réservé aux <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/exclusion-de-g-de-fournas-la-sanction-la-plus-grave-qui-puisse-etre-infligee-a-un-depute-mais-dont-le-juge-ne-devrait-pas-connaitre-par-j-p-camby/">passagers du navire humanitaire</a>.</p>
<p>Le dernier épisode en date dans l’épopée de l’<em>Ocean Viking</em> est également et entre autres justiciable d’une analyse juridique.</p>
<h2>Les limites du droit international de la mer</h2>
<p>Pendant son errance, les difficultés à trouver un lieu de débarquement ont de nouveau souligné les <a href="https://journals.openedition.org/revdh/1838">limites d’un droit de la mer</a> peinant à imposer à un État clairement défini <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/10/migrants-secourus-en-mediterranee-que-dit-le-droit-international_6149382_3210.html">d’ouvrir ses ports pour accueillir les rescapés</a>. La décision de laisser les passagers de l’<em>Ocean Viking</em> débarquer à Toulon est également significative. Elle signe certes leur prise en charge temporaire par la France, mais n’emporte pas, du moins dans un premier temps, leur admission sur le territoire français (au sens juridique). Ce dont le ministre de l’Intérieur ne s’est d’ailleurs fait faute de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actu-du-ministere/prise-en-charge-des-234-migrants-de-locean-viking-dans-zone-dattente">souligner</a>).</p>
<p>Cette situation permet alors de mettre en exergue l’une des singularités de la conception juridique du territoire, notamment en ce qui concerne la situation des étrangers. <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/07/22/publi-aumond-petit-robin-remi-38-2022/">Les zones d’attente</a> en sont une claire illustration.</p>
<h2>Les « zones d’attente »</h2>
<p>Les aéroports ont été les premiers espaces où sont apparues ces zones considérées comme ne relevant pas juridiquement du territoire de l’État les accueillant. Le film <em>Le Terminal</em>, dans lequel Tom Hanks campait un iranien ayant vécu plusieurs années à Roissy – où il s’est d’ailleurs éteint ce <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/11/12/mehran-karimi-nasseri-le-refugie-de-roissy-qui-a-inspire-le-terminal-de-steven-spielberg-est-mort-dans-l-aeroport_6149597_3382.html">samedi 12 novembre</a> –, avait en 2004 porté à la connaissance du grand public cette situation.</p>
<p>En France, les « zones internationales », initialement nimbées d’un flou quant à leur fondement juridique et au sein desquelles les autorités prétendaient par conséquent n’y être pas assujetties au respect des règles protectrices des droits humains, ont cédé la place aux « zones d’attente » à la faveur de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000723282">loi du 6 juillet 1992</a>).</p>
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<p>À une situation d’exclusion – du moins, alléguée par les autorités – du droit, s’est alors substitué un régime d’exception : les personnes y étant maintenues n’étaient toujours pas considérées comme ayant pénétré juridiquement le territoire français.</p>
<p>N’étant plus – prétendument – placées « hors du droit » comme l’étaient les zones internationales, les zones d’attente n’en restaient pas moins « hors sol ». L’une des conséquences en est que les demandes d’asile qui y sont le cas échéant déposées relèvent alors de l’« asile à la frontière ». Elles sont par conséquent soumises à un régime, notamment procédural, beaucoup moins favorable aux demandeurs (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000042771348/">CESEDA</a>, Titre V, article L.350-1 à L.352-9).</p>
<h2>La « fiction juridique »</h2>
<p>La « fiction juridique » que constituent les zones d’attente s’étend désormais entre autres aux gares ferroviaires ouvertes au trafic international, aux ports ou à proximité du lieu de débarquement (CESEDA, article L.341-1). Ces « enclaves » au sein du territoire, autour d’une <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/44696/que-prevoit-la-france-pour-les-230-migrants-de-locean-viking">centaine actuellement</a>, peuvent par ailleurs inclure, y compris « à proximité de la gare, du port ou de l’aéroport ou à proximité du lieu de débarquement, un ou plusieurs lieux d’hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier » (CESEDA, article L.341-6).</p>
<p>Tel est le cas de la zone d’attente créée par le préfet du Var par le biais d’un <a href="https://www.var.gouv.fr/IMG/pdf/raa_no211_du_10_novembre_2022.pdf">arrêté</a>, à la suite de l’accueil de l’<em>Ocean Viking</em>.</p>
<blockquote>
<p>« pour la période du 11 novembre au 6 décembre 2022 inclus, une zone d’attente temporaire d’attente sur l’emprise de la base navale de Toulon et sur celle du Village Vacances CCAS EDF 1654, avenue des Arbanais 83400 Hyères (Giens) ».</p>
</blockquote>
<p>Accueillis dans ce Village Vacances dont les « prestations de type hôtelier » ne semblent aucunement correspondre à la caricature opportunément <a href="https://www.liberation.fr/checknews/on-demele-le-vrai-du-faux-sur-laccueil-et-le-logement-des-230-migrants-de-locean-viking-debarques-a-toulon-20221111_QZLHXBYU4NH53CDRZN32WWILYA/">dépeinte par certains</a>, les rescapés demeurent, juridiquement, aux frontières de la France.</p>
<h2>Aux portes du territoire français</h2>
<p>Ils ne se situent pas pour autant, de ce fait, dans une zone de non-droit : placés sous le contrôle des autorités françaises, ils doivent se voir garantir par elles le respect de leurs droits humains. Aux portes du territoire français, les migrantes et migrants secourus par l’<em>Ocean Viking</em> n’en relèvent pas moins de la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22002-2752%22%5D%7D">« juridiction » française</a> comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme. La France est ainsi tenue d’observer ses obligations, notamment au regard des conditions de leur maintien contraint au sein de la zone.</p>
<p>Une partie des rescapés recouvreront leur liberté en étant admis à entrer juridiquement sur le territoire de la France. Tel est le cas des mineurs non accompagnés, dont <a href="https://www.varmatin.com/humanitaire/les-44-mineurs-de-locean-viking-pris-en-charge-a-toulon-reviennent-de-lenfer-807109">il est annoncé</a> qu’ils seront pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.</p>
<p>Tel est également le cas de ceux qui auront été autorisés à déposer une demande d’asile sur le territoire français et se seront vus, à cette fin, délivrer un visa de régularisation de huit jours. Parmi eux, la plupart (175) devraient être acheminés vers des États européens qui se seraient engagés à les accueillir, vraisemblablement afin que soient examinées leurs demandes de protection internationale. Expression d’une solidarité européenne a minima dont il faudra cependant voir cependant les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/12/immigration-apres-les-tensions-autour-de-l-accueil-de-l-ocean-viking-quatre-pays-de-l-union-europeenne-denoncent-le-systeme-en-vigueur_6149615_3210.html">suites</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-quand-la-science-se-met-au-service-de-lhumanitaire-le-comite-international-de-la-croix-rouge-189824">Podcast « Quand la science se met au service de l'humanitaire » : Le Comité international de la Croix-Rouge</a>
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<p>Pour tous les autres enfin, ceux à qui un refus d’entrer sur le territoire français aura été notifié et qui ne seront pris en charge par aucun autre État, le ministre de l’Intérieur précise qu’ils seront contraints de quitter la zone d’attente vers une destination qui demeure cependant encore pour le <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/44696/que-prevoit-la-france-pour-les-230-migrants-de-locean-viking">moins incertaine</a>. Ceux-là auront alors été accueillis (très) temporairement par la France mais seront considérés comme n’ayant jamais pénétré sur le territoire français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194544/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Aumond ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La situation des rescapés de l'Ocean Viking permet de mettre en exergue l’une des singularités de la conception du territoire en droit des étrangers: les zones d'attentes.Florian Aumond, Maître de conférences en droit public, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1909582022-09-23T13:12:44Z2022-09-23T13:12:44ZÉlections en Italie : l’extrême droite au pouvoir, une première depuis Mussolini<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485638/original/file-20220920-21-3vs1mz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C0%2C4141%2C2758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Malgré ses racines fascistes, le parti Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) de Giorgia Meloni, ici entourée de Silvio Berlusconi et Matteo Salvini, a vu sa popularité augmenter rapidement à l’approche des élections législatives du 25 septembre.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (AP Photo/Andrew Medichini)</span></span></figcaption></figure><p>Appelés aux urnes le 25 septembre prochain, les Italiens éliront <a href="https://www.letemps.ch/monde/linstabilite-systeme-politique-italien-expliquee-trois-minutes">leur 70ᵉ gouvernement en 76 ans</a> depuis la fondation de la république en 1946.</p>
<p>Les <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/09/15/italie-une-alliance-entre-la-droite-et-lextreme-droite-va-t-elle-remporter-les-elections-legislatives-10545299.php">récents sondages</a> permettent de prévoir une victoire significative de la coalition de droite sous l’impulsion du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie). Elle deviendrait alors la première Italienne à diriger le gouvernement, mais nul ne sait jusqu’où elle ira à droite ni comment elle maintiendra sa coalition et résistera aux pressions européennes et internationales.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme aux cheveux grisonnants et portant un costume sourit et fait signe de la main" src="https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484354/original/file-20220913-3930-sof8u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre italien Mario Draghi après son adresse au Parlement à Rome en juillet 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andrew Medichini, File)</span></span>
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</figure>
<p>Le paysage politique italien est notoirement fragmenté et instable. Chaque gouvernement survit difficilement plus d’une année. Les manœuvres et combines politiques constantes font et défont les coalitions gouvernementales — la dernière en date étant le gouvernement d’unité nationale de Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne, <a href="https://theconversation.com/italian-government-collapse-the-political-chess-moves-behind-mario-draghis-resignation-187648">qui a démissionné en juillet 2022</a>.</p>
<h2>Un parlement sans majorité</h2>
<p>Cette élection est la première depuis 2018. Il y a quatre ans, deux partis contestataires, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, avaient remporté la <a href="https://fr.euronews.com/2018/03/05/legislatives-en-italie-resultats-detailles-et-consequences">pluralité dans un parlement sans majorité</a>. Ils ont réussi à gouverner presque trois ans à travers Giuseppe Conte, un technocrate jugé neutre.</p>
<p>En janvier 2021, le président Sergio Mattarella a désigné un nouveau premier ministre, Mario Draghi, avec le soutien de tous les grands partis — à l’exception des Frères d’Italie. Il s’agissait alors de redresser le gouvernement aux prises avec la pandémie et <a href="https://financialpost.com/pmn/business-pmn/draghis-plan-to-cut-italian-red-tape-clears-hurdle-for-eu-aid">d’assurer le soutien financier de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Giorgia Meloni est en bonne voie de remporter la mise, forte d’intentions de vote qui sont <a href="https://www.reuters.com/world/europe/italys-right-heads-clear-election-victory-final-polls-indicate-2022-09-09/">passées de 4 % en 2018 à 25 %</a>. Chatouillant désormais les 50 %, la coalition de droite, qui regroupe la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, peut espérer de solides majorités en Chambre et au Sénat.</p>
<p>La coalition de centre gauche, dominée par Parti démocrate, qui obtient moins de 30 % de soutien, risque d’être reléguée dans l’opposition pendant des années pour avoir refusé de s’associer au Mouvement 5 étoiles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme blonde parle dans un microphone et pointe vers le haut. Un panneau indiquant Meloni est visible derrière elle" src="https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484358/original/file-20220913-4044-xlylo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Giorgia Meloni lors d’un rallye politique à Ancône en août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Domenico Stinellis)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Vers une victoire de la droite ?</h2>
<p>Giorgia Meloni, 45 ans, n’avait que 15 ans en 1992 lorsqu’elle s’est jointe au Mouvement social italien (MSI), parti néofasciste héritier de Mussolini.</p>
<p>En 2008, à 31 ans, elle est devenue la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/italie-5-choses-a-savoir-sur-giorgia-meloni-la-candidate-dextreme-droite-qui-pourrait-arriver-au-pouvoir-1782899">plus jeune ministre d’Italie</a>, gérant le portefeuille de la jeunesse et des sports dans le gouvernement de Berlusconi. En 2012, elle a fondé Fratelli d’Italia en reprenant la rhétorique et les positions populistes du MSI et de l’Alliance nationale, l’ancien partenaire de droite de Berlusconi.</p>
<p>Gonflée à bloc grâce aux récents sondages, Giorgia Meloni entame la dernière ligne droite de sa campagne en se disant « prête à gouverner ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1557275053779189760"}"></div></p>
<p>En Italie, le poste de premier ministre revient habituellement au parti coalisé ayant obtenu le plus de voix. Or, le parti de Giorgia Meloni dépasse désormais les deux autres dans les intentions de vote.</p>
<p>Devant les inquiétudes suscitées par certaines de ses positions radicales et sa rhétorique anti-Union européenne, elle affirme qu’elle gouvernera pour tous les Italiens. <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220914-giorgia-meloni-c-est-la-nouveaut%C3%A9-la-leader-de-fratelli-d-italia-aux-portes-du-pouvoir">Si elle ne renie plus l’Union européenne et l’OTAN</a>, elle affirme qu’elle les tiendra à l’œil.</p>
<h2>Populisme sauce Meloni</h2>
<p>À l’instar des autres leaders populistes européens, Giorgia Meloni tire parti de la hausse du coût de la vie, du recul démographique, de la fatigue pandémique, des migrations et de l’incertitude économique. Elle promet de redonner le pouvoir au peuple plutôt qu’aux élites, de sécuriser les frontières et de relancer l’économie en réduisant les impôts et les réglementations.</p>
<p>Elle veut renégocier avec l’Union européenne l’énorme plan de relance Covid-19, modifier la constitution pour faire élire le président italien au suffrage universel et freiner l’immigration musulmane, notamment en érigeant un blocus naval face à la Libye.</p>
<p><a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-62726468">Son programme</a>, qui s’appuie sur les prétendues valeurs culturelles de la famille italienne « traditionnelle », annonce un recul sur les droits LGBTQ+. Elle a ciblé la populaire série de dessins animés pour enfants, <a href="https://news.dayfr.com/international/1023191.html">Peppa Pig</a>, dont elle veut censurer les épisodes présentant des couples homosexuels.</p>
<p>Ces politiques et son rapprochement vers Marine Le Pen (France) et Viktor Orban (Hongrie) signalent une dérive à droite qui inquiète de nombreux observateurs.</p>
<p>Il reste à savoir si ses deux puissants partenaires à droite, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi, la soutiendront longtemps en tant que première ministre. Car même s’ils partagent ses vues économiques libertaires et des perspectives culturelles traditionnelles, leurs différences sont importantes.</p>
<p>La Ligue, sous la direction de Salvini, <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2019-2-page-175.htm">s’efforce depuis des années d’élargir son attrait</a> en dehors de son bastion lombard. L’ancienne Ligue du nord essaie de faire oublier son « séparatisme » avec une nouvelle posture anti-immigrants, nouveaux boucs émissaires des malheurs de l’Italie.</p>
<p>Mais il semble que Giorgia Meloni a pu marauder avec succès parmi la clientèle du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue séduite par <a href="https://www.sudouest.fr/international/italie-retour-de-flamme-pour-giorgia-meloni-et-l-embleme-de-son-parti-suspecte-de-reference-a-mussolini-12174440.php">son populisme et sa résolution</a>.</p>
<h2>Berlusconi, faiseur de rois</h2>
<p>C’est là qu’intervient Berlusconi, qui a complètement refait son image politique. L’ancien premier ministre, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/11/12/l-italie-adopte-l-austerite-berlusconi-va-bientot-demissionner_1603030_3214.html">forcé de démissionner en 2011</a> puis trouvé <a href="https://l-express.ca/berlusconi-coupable-de-prostitution-de-mineure/">coupable dans des affaires de fraude fiscale et de prostitution</a>, avait été condamné à des travaux communautaires et banni du Parlement, mais un juge a <a href="https://www.tf1info.fr/international/silvio-berlusconi-bientot-de-retour-en-politique-un-tribunal-italien-leve-son-interdiction-d-exercer-un-mandat-public-2087122.html">levé cet interdit en 2018</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A balding man in a dark suit smiles and waves" src="https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484441/original/file-20220913-3841-jl9ts0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi salue les journalistes en février 2021 alors qu’il arrive à la Chambre des députés, à Rome, pour rencontrer Mario Draghi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alessandra Tarantino)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est ce Berlusconi-là qui sera sans doute le faiseur de rois — ou de reine — de la coalition. Ayant adopté des positions des positions nettement plus centristes et « responsables » que ses partenaires, notamment sur l’Europe, l’ancien chef d’État pèsera certainement sur les futures orientations de politiques et de gouvernance. Un résultat serré pourrait lui donner le luxe de donner ou de retirer son soutien.</p>
<p>Un gouvernement de Giorgia Meloni pourrait donc se voir fortement modéré quant à ses promesses les plus dures.</p>
<p>D’autres influences modératrices, peut-être plus importantes, viendront certainement de l’Union européenne et de l’OTAN, dont l’Italie est un membre important.</p>
<p>Le gouvernement, très endetté, <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-plan-de-financement-de-l-Italie-par-l-UE-peut-etre-modifie-Meloni--41693923/">dépend largement des fonds de relance et des marchés financiers européens</a>. Toute mesure fiscale radicale ou toute violation flagrante des droits de la personne sur le front de l’immigration sera certainement contrée par la pression internationale et européenne.</p>
<p>L’avenir nous dira dans quelle mesure l’Italie dérivera à droite au cours de l’année à venir, mais il ne fait aucun doute que les autres partis d’extrême droite en France, aux Pays-Bas et en Allemagne en prendront note.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190958/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julian Campisi reçoit des fonds du CRSH et de l'Université de Toronto.</span></em></p>Une victoire probable des Frères d’Italie, parti d’extrême droite, pourrait entraîner le pays dans une voie inexplorée.Julian Campisi, Assistant Professor of Political Science, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1886242022-08-18T13:13:28Z2022-08-18T13:13:28ZUn an après la prise de pouvoir des talibans, les Afghanes refusent de garder le silence<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/479703/original/file-20220817-11729-yzmtg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C0%2C5472%2C3620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des femmes afghanes chantent lors d'une manifestation à Kaboul, en Afghanistan, en octobre 2021. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ahmad Halabisaz) </span></span></figcaption></figure><p>Le 15 août a marqué le premier anniversaire de la deuxième prise de pouvoir par la force des talibans en Afghanistan.</p>
<p>Au cours de cette dernière année, nous avons été témoins d’un retour rapide à un règne religieux conservateur et à la violation des droits des femmes, comme l’avait déjà vécu la population afghane entre 1996 et 2001. <a href="https://theconversation.com/taliban-has-not-changed-say-women-facing-subjugation-in-areas-of-afghanistan-under-its-extremist-rule-164760">Comme on le redoutait</a>, les talibans sont revenus sur divers acquis obtenus en matière de droits des femmes et des filles, <a href="https://www.hrw.org/news/2022/01/18/afghanistan-taliban-deprive-women-livelihoods-identity">notamment en limitant l’accès des femmes à l’emploi, à l’éducation et à la représentation politique, et même en restreignant leur liberté de mouvement</a>.</p>
<p>Les violences que subissent les femmes et les filles <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/07/27/afghanistan-women-taliban-rights-violence-amnesty-international/">sont également en hausse</a>, alors que les talibans ignorent toutes les normes internationales en matière de droits de la personne. Ces droits avaient été reconnus et intégrés à la législation nationale à la suite d’efforts soutenus déployés par beaucoup au cours des deux dernières décennies.</p>
<h2>Ce que les femmes réclament</h2>
<p>Cependant, les Afghanes — qu’elles se trouvent au pays ou aient été contraintes de fuir depuis août 2021 — <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20220326-open-the-schools-afghan-women-protest-against-taliban-reversal-on-education">refusent de garder le silence</a> face aux atteintes à leurs droits.</p>
<p>En tant que membres du réseau <a href="https://www.wluml.org/">Femmes sous lois musulmanes</a>, nous avons parlé à des militantes, des leaders et d’anciennes figures politiques féminines, maintenant exilées dans des pays comme le Canada, l’Allemagne ou encore la Grèce. Nous en avons appris davantage sur leur combat sans relâche pour les droits des femmes en Afghanistan et leurs diverses stratégies de résistance.</p>
<p>Malgré leurs divergences politiques, beaucoup sont déterminées à s’unir pour faire front commun dans la lutte contre les talibans et leur position conservatrice sur les droits des femmes, la démocratie et les droits de la personne.</p>
<p>Une militante et ancienne femme politique afghane nous a confié :</p>
<blockquote>
<p>En cette période sombre de notre histoire, nous avons deux objectifs principaux : soutenir l’opposition des femmes au sein du pays et élaborer un message unifié pour que la communauté internationale ne manifeste aucun soutien envers les talibans.</p>
</blockquote>
<p>Alors qu’elles doivent faire face au traumatisme du retour des talibans au pouvoir et à leur propre déplacement soudain, beaucoup de ces femmes continuent de se considérer comme des représentantes des Afghanes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des femmes en burqa passent devant un homme armé" src="https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5499%2C3647&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des Afghanes circulent dans un marché gardé par un combattant taliban dans le centre-ville de Kaboul, en Afghanistan, en mai 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ebrahim Noroozi)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elles travaillent en réseau avec d’autres femmes et d’autres groupes de femmes pour exhorter collectivement la communauté internationale à prendre des mesures en faveur des droits des Afghanes.</p>
<p>Ces efforts s’inscrivent dans la lignée du travail accompli par les femmes en Afghanistan, où, grâce au quota de femmes adopté en 2004 en vertu de la constitution, au moins 27 % des sièges parlementaires sont réservés aux femmes. Cela a permis qu’un nombre déterminant de femmes occupent des fonctions politiques de haut niveau.</p>
<p>Une autre militante nous a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>Les quotas parlementaires nous ont ouvert les portes de la politique et nous ont donné la confiance nécessaire pour nous considérer comme des citoyennes à part entière ayant les mêmes droits que les hommes, du moins légalement. Cela a marqué un virage important par rapport à l’ère des talibans, qui voyaient davantage les femmes comme une menace que comme des personnes. »</p>
</blockquote>
<p>L’ouverture de la vie publique aux femmes en tant que membres de la société civile, du gouvernement et du parlement a changé l’Afghanistan, et les femmes sont déterminées à ne pas laisser ces acquis disparaître.</p>
<h2>Trois priorités</h2>
<p>Le militantisme des femmes exilées comporte trois axes majeurs :</p>
<ol>
<li><p>Soutenir les femmes et les forces favorables à la démocratie au sein du pays.</p></li>
<li><p>Veiller à ce que la communauté internationale et les grandes puissances occidentales ne considèrent pas le régime antidémocratique et extrémiste des talibans comme un gouvernement légitime et ignorent les atrocités perpétrées à l’encontre des femmes, des minorités et des organisateurs de la société civile.</p></li>
<li><p>Continuer à responsabiliser la communauté internationale face à ses promesses en matière de droits de la personne, de paix et de sécurité, surtout au moment où le monde accorde moins d’attention aux talibans en Afghanistan et à leurs violations des droits de la personne.</p></li>
</ol>
<p>Les femmes exilées se rassemblent, forment des groupes et créent des plates-formes politiques, et elles travaillent sans relâche pour susciter une prise de conscience internationale à l’égard du règne des talibans.</p>
<p>Dans le cadre de leurs efforts, elles font des déclarations publiques, participent à des entrevues dans les médias, rédigent des articles et organisent des séminaires et des webinaires afin d’exprimer leurs revendications et de discuter des développements politiques pertinents en Afghanistan.</p>
<p>Elles exercent des pressions sans relâche sur la communauté internationale et les puissances occidentales, les exhortant à ne pas ignorer les atteintes aux droits des femmes en Afghanistan par opportunisme politique. Elles ont également formé des alliances avec des militantes pour la paix et les droits de la personne dans les différents pays dans lesquels elles résident.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Plusieurs femmes portant le foulard tiennent des pancartes lors d’une manifestation intérieure" src="https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des Afghanes scandent des slogans lors d’une manifestation à Kaboul, en Afghanistan, en décembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mohammed Shoaib Amin)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Utiliser l’islam comme une arme</h2>
<p>L’une des principales préoccupations dont les femmes nous ont fait part est la possibilité que les gouvernements occidentaux jugent utile de faire abstraction du règne cruel des talibans et leur accordent une légitimité.</p>
<p>Les femmes soulignent le fait que toute preuve de tolérance à l’égard du prétendu règne islamique des talibans aura des répercussions négatives sur les autres groupes fondamentalistes religieux dans la région et ailleurs.</p>
<p>Pour démontrer comment les talibans utilisent l’islam comme une arme dans leur propre intérêt, de nombreuses leaders afghanes tiennent à rappeler à la communauté internationale que peu de pays à majorité musulmane, notamment la très conservatrice Arabie saoudite, disposent de politiques aussi draconiennes à l’encontre des femmes.</p>
<p>Mettre en évidence la nature non islamique du règne des talibans est une tactique clé du militantisme des femmes exilées, souvent en collaboration avec d’autres groupes et mouvements de défense des droits des femmes qui alertent l’opinion publique des dangers d’un règne religieux fondamentaliste sur les droits des femmes. Cela comprend notre réseau Femmes sous lois musulmanes.</p>
<p>Ces militantes afghanes connaissent les retombées considérables que les Nations unies, l’Union européenne et d’autres organisations internationales pourraient avoir sur la crise politique actuelle en Afghanistan. Par conséquent, elles tentent de faire pression sur ces organisations, les invitant à respecter leurs propres normes en matière de droits de la personne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Par-dessus l’épaule d’une femme rousse, nous voyons un homme s’exprimer lors d’une conférence" src="https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’exprime lors du lancement du mécanisme de consultation américano-afghan en compagnie de Rina Amiri, l’envoyée spéciale des États-Unis pour les droits des femmes et des filles afghanes et les droits de la personne, en juillet 2022, à Washington, D.C.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andrew Harnik)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Dénoncer les injustices</h2>
<p>Les femmes appellent <a href="https://atalayar.com/en/content/groups-stand-afghan-women-and-urge-un-ban-travel-taliban-leaders">actuellement les Nations unies à ne pas renouveler une dérogation à l’interdiction de voyager pour les membres des talibans</a>. Cette dérogation avait initialement été accordée aux hauts responsables du groupe pour permettre la tenue de discussions internationales en faveur de la réconciliation et de la paix en Afghanistan.</p>
<p>Les femmes dénoncent les graves injustices qui permettent aux talibans de voyager à l’étranger dans la poursuite de leurs objectifs politiques, tandis que les femmes en Afghanistan ont été privées de leur droit d’aller à l’école, de se rendre dans des établissements de santé ou tout simplement de quitter leur domicile.</p>
<p>Avec la guerre en Ukraine et le fait que le grand public s’intéresse moins à l’Afghanistan, les gouvernements reviennent sur leurs promesses faites au peuple afghan vivant sous le règne des talibans.</p>
<p>Le gouvernement canadien, malgré son engagement ferme envers les droits de la personne et les politiques féministes ainsi que sa <a href="https://www.canada.ca/en/immigration-refugees-citizenship/news/2021/07/government-of-canada-offers-refuge-to-afghans-who-assisted-canada.html">promesse publique d’aider le peuple afghan ayant collaboré avec le gouvernement</a>, met fin à son <a href="https://you.leadnow.ca/petitions/help-save-the-lives-of-afghans-who-worked-for-canada">programme spécial pour l’Afghanistan</a>.</p>
<p>Beaucoup d’Afghans et d’Afghanes considèrent cela comme une trahison <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/conservatives-advocates-want-extension-special-immigration-afghan-program-1.6527482">tandis qu’un grand nombre de Canadiens et Canadiennes trouvent que cela va à l’encontre</a> des valeurs humanitaires du Canada.</p>
<p>Un an après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, il est temps de rediriger notre attention vers ce pays et d’écouter celles qui sont bien placées pour nous conseiller sur les stratégies visant à amener la paix, la sécurité, l’égalité des genres, les droits de la personne et la démocratie en Afghanistan : ses militantes et leaders féminines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188624/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Homa Hoodfar fait partie du conseil d'administration du réseau "Femmes sous lois musulmanes".</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mona Tajali est affiliée au réseau de recherche transnational "Femmes sous lois musulmanes".</span></em></p>Des militantes, des dirigeantes et d’anciennes politiciennes afghanes, aujourd’hui en exil, racontent la lutte pour les droits des femmes en Afghanistan et les diverses stratégies de résistance.Homa Hoodfar, Professor of Anthropology, Emerita, Concordia UniversityMona Tajali, Associate Professor of International Relations and Women's, Gender, and Sexuality Studies, Agnes Scott CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1845882022-06-19T23:35:38Z2022-06-19T23:35:38Z3,5 millions de réfugiés ukrainiens sur son sol : comment la Pologne absorbe-t-elle le choc ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468238/original/file-20220610-28309-4wc88x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6669%2C4446&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Trois mois après de début de l’invasion russe, 3,5&nbsp;millions d’Ukrainiens ont traversé la frontière pour se réfugier en Pologne. Ils sont accueillis dès la frontière, comme ici à Medyka le 6&nbsp;mars.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Trois mois après l'invasion russe, 3,5 millions d'Ukrainiens ont traversé la frontière pour se réfugier en Pologne, comme cet enfant au poste frontière de Medyka, le 15 mars 2022.</span></span></figcaption></figure><p>L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a provoqué un déplacement de population sans précédent en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR), l’Ukraine compte <a href="http://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">8 millions de déplacés internes</a> et 6,6 millions d’habitants se sont réfugiés à l’étranger, dont 3,5 millions en Pologne. Ces chiffres sont toutefois difficiles à vérifier car, une fois entrés en Pologne, une partie des Ukrainiens ont poursuivi leur route vers d’autres destinations, principalement l’Allemagne et la République tchèque ; d’autres sont rentrés en Ukraine (un peu plus de 2 millions selon le HCR en mai 2022).</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2016-1-page-203.htm">parti nationaliste Droit et Justice</a>, au pouvoir depuis 2015, qui avait résolument refusé l’accueil de Syriens lors de la « crise des migrants », a adopté cette fois une posture tout à fait différente, ouvrant grand les frontières du pays aux réfugiés ukrainiens. Pour comprendre ce revirement, il est utile de revenir sur l’évolution qu’ont connue les relations polono-ukrainiennes en matière migratoire depuis la chute du bloc communiste au début des années 1990.</p>
<h2>Des années 1990 à 2014 : mobilités circulatoires et migrations de travail</h2>
<p>L’immigration économique ukrainienne vers la Pologne débute dès le début des années 1990. La dislocation du bloc de l’Est en Europe a eu comme conséquence une ouverture radicale des frontières, en plus de la libéralisation de l’économie. Dans ce contexte très turbulent, les passages de frontières explosent, notamment sur les frontières Est et Ouest de la Pologne. Depuis les années 1990, les Ukrainiens sont nombreux à être venus travailler en Pologne, où ils trouvent des salaires plus élevés. Par un effet de vases communicants, ils prennent ainsi la place de <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-2-page-131.htm">nombreux Polonais émigrés eux-mêmes</a> en Europe occidentale.</p>
<p>Cependant, peu s’installent légalement en Pologne, qui est encore fondamentalement un pays d’émigration : dans les années 1990, chaque année, environ 20 000 Polonais quittent le pays tandis que moins de 8 000 étrangers y arrivent. Si l’on raisonne <a href="https://ec.europa.eu/home-affairs/pages/glossary/migrant-stock_fr">« en stock »</a>, on constate qu’au milieu des années 1990, seulement 50 000 Ukrainiens environ étaient légalement enregistrés comme immigrés, détenteurs d’un permis de résidence (pour travail, études, ou comme réfugiés). Le plus souvent, ils réalisaient ce qu’on appelle des <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/circulation">« mobilités circulatoires »</a> de part et d’autre de la frontière, dans une économie souvent « grise ». Toutes les frontières de la Pologne ont connu cette explosion : le nombre d’entrées sur le territoire est passé de quelques millions dans les années 1980 à 18 millions dès 1990, puis a culminé à presque 90 millions à la fin de la décennie, dont environ 6 millions d’entrées par an à la frontière avec l’Ukraine.</p>
<p>L’année 1997 est un tournant : la Pologne se dote d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/pl1997.htm">nouvelle Constitution</a> garantissant le statut de réfugié, et entame la phase de négociations pour intégrer l’Union européenne. Dans cette perspective, elle se prépare à être la garante d’une des plus longues frontières externes de l’Union.</p>
<p>La première loi post-communiste sur les étrangers est votée en 1997, et rétablit un régime de visas pour les pays frontaliers. En 2004, la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2004-2-page-263.htm">Pologne entre dans l’UE</a>, puis dans l’espace Schengen en 2007. Les options libérales du gouvernement et une croissance économique soutenue plaident en faveur d’une ouverture des frontières pour pourvoir les emplois quittés par les millions de Polonais partis au Royaume-Uni et en Irlande.</p>
<p>Dans ce contexte, la Pologne obtient le droit de créer en 2009 des zones de « petite mobilité », c’est-à-dire une bande de 30 km de part et d’autre de la frontière, dans laquelle les résidents circulent sans visa, parfois de manière quotidienne, pour travailler et commercer. Sur la frontière ukrainienne, elle permet d’entretenir une économie grise vitale dans ces confins orientaux du pays, oubliés par les investisseurs.</p>
<p>Cette économie grise est surtout vitale pour les Ukrainiens : le différentiel de salaires et de niveau de vie s’est creusé entre les deux pays <a href="https://www.lesechos.fr/2009/09/la-pologne-seule-rescapee-de-la-crise-au-sein-de-lunion-463864">après l’accession de la Pologne à l’Europe communautaire</a>. Ces mobilités circulatoires, les mesures gouvernementales assouplissant l’embauche de travailleurs ukrainiens (et d’autres pays de l’ex-URSS) dès 2006, la multiplication d’agences d’intérim et l’amélioration des conditions de circulation entre les deux pays ont favorisé le passage de mobilités circulatoires à la résidence temporaire ou permanente : l’immigration.</p>
<p>Au début des années 2010, la Pologne commence à réaliser qu’elle devient un pays de transit, voire d’immigration, un phénomène tout à fait nouveau. Un document élaboré en 2012 pose d’ailleurs les jalons d’une possible stratégie migratoire. Il était prémonitoire, étant donné le tournant de 2014.</p>
<h2>De 2014 à 2022 : une immigration ukrainienne croissante</h2>
<p>La population ukrainienne installée en Pologne <a href="https://www.academia.edu/62071587/LUkraine_de_lind%C3%A9pendance_%C3%A0_la_guerre">a crû de façon exponentielle</a> depuis 2014, en raison de l’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/En-Ukraine-flamme-revolution-Maidan-seteint-pas-2018-11-30-1200986619">Euromaïdan</a> à Kiev, de l’<a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0382-l-annexion-de-la-crimee-lecons-pour-la-securite-europeenne">annexion de la Crimée</a> par la Russie et du début de la <a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-ne-fait-que-commencer-178198">guerre dans l’Est du pays</a>.</p>
<p>Le nombre annuel d’Ukrainiens s’installant en Pologne, défini comme le nombre d’individus ayant obtenu un permis de résidence permanente ou temporaire, est passé de 16 081 en 2013 à 296 525 en 2021. C’est avant tout du fait de cette croissance spectaculaire que le solde migratoire de la Pologne est devenu positif après 2015. Compte tenu du fait que beaucoup restent une fois arrivés, la population ukrainienne présente en Pologne est estimée en 2021 à près de 1,5 million d’individus selon l’Office des étrangers. Cette année-là, les Ukrainiens représentent 57 % des étrangers résidant en Pologne. Pendant les dix dernières années, seule l’immigration biélorusse a également connu une légère augmentation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les principales nationalités parmi la population immigrée en Pologne, de 2010 à 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette ouverture migratoire fait toutefois exception. En effet, 2015 est aussi l’année du retour au pouvoir du parti <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMParti?codePays=POL&codeParti=dj">Droit et Justice</a> (qui avait brièvement gouverné le pays de 2005 à 2007) après une longue phase de pouvoir libéral.</p>
<p>Le gouvernement nationaliste enterre la stratégie migratoire élaborée en 2012 et se distingue, avec d’autres pays d’Europe centrale, par le <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-avenir-2017-3-page-14.htm">refus d’accueillir les populations réfugiées</a> de la guerre en Syrie en 2015, que ce soit dans le cadre du plan de relocalisation mis en place par l’UE ou dans le cadre du <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277029-quest-ce-que-le-pacte-de-marrakech-sur-les-migrations">Pacte de Marrakech</a> adopté en 2018 sous la férule de l’ONU et destiné à promouvoir une vision commune de la migration à l’échelle mondiale et à mieux protéger les migrants.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, à mesure que la population ukrainienne s’installe dans l’espace polonais, elle s’éloigne de ses bases traditionnelles que constituait la bande frontalière, pour investir toutes les voïvodies – les régions du pays –, au point de constituer dans certaines d’entre elles 80 % des étrangers résidant de manière temporaire ou permanente en 2021, comme dans la région d’Opole dans le Sud-Ouest du pays.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=168&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=168&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=168&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La part des Ukrainiens dans l’immigration de 2010 à 2021 (en % du total des immigrés dans les régions polonaises). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Jusqu’en 2021, les motivations qui attirent les Ukrainiens en Pologne sont diverses mais centrées autour du travail, à la fois parce que l’économie du pays présente un dynamisme sans commune mesure avec celui de l’Ukraine (le rapport salarial est environ du simple au double), et parce que l’émigration polonaise avait laissé énormément de postes vacants.</p>
<p>Selon le rapport de l’Office des étrangers de 2020, les principales raisons d’arrivée des Ukrainiens avant la guerre étaient, pour une écrasante majorité, le travail, puis l’éducation et la famille. C’est pourquoi parmi la population ukrainienne résidant en Pologne, 95 % travaillent ; le nombre d’étudiants ukrainiens a lui aussi augmenté. Une estimation alternative de l’immigration, donnée par le nombre de permis de travail accordé à des étrangers, confirme ce tournant de 2014 et la place prépondérante des Ukrainiens dans la composition de l’immigration. Les employeurs polonais ont accordé en 2010 presque 13 000 permis, dont 35 % à des Ukrainiens ; en 2019, ils en ont accordé 330 000, dont plus de 70 % à des Ukrainiens.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les permis de travail accordés aux Ukrainiens de 2010 à 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les hommes sont plus nombreux : ils représentent 62 % des permis de résidence permanente en 2018, et travaillent essentiellement dans les secteurs du transport, de la restauration, de l’industrie. Les femmes occupent également des emplois dans l’éducation. Par ailleurs, si ce sont principalement des Ukrainiennes jeunes, entre 20 et 24 ans, qui arrivent en Pologne, les hommes sont un peu plus âgés, entre 25 et 35 ans. Autre différence : les Ukrainiens embauchés près de la frontière le sont sur des postes saisonniers, ce qui suggère qu’ils ont conservé des habitudes de mobilité plus fréquentes. Dans le reste du pays, ils travaillent avec des contrats de plus longue durée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les emplois saisonniers des travailleurs ukrainiens dans les voïvodies de Pologne en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Qui sont les réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre de 2022 ?</h2>
<p>On comprend bien pourquoi la Pologne est la première destination des réfugiés ukrainiens : voilà trente ans que des millions de personnes y ont tissé des liens plus ou moins durables, y ont des attaches, parfois des parents installés, connaissant bien le pays, sa langue, et pouvant les héberger. Le socle de plus d’un million d’Ukrainiens immigrés a donc servi de point d’appui.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage à Przemyśl en Pologne, confrontée à un afflux continu de réfugiés ukrainiens (Euronews, 7 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>L’hébergement fut donc résolu avec l’appui d’organisations non gouvernementales locales, nationales et internationales, des collectivités territoriales mais surtout des citoyens, qui hébergent la grande majorité des personnes réfugiées. Selon plusieurs estimations, 70 % sont en effet hébergées chez des particuliers, le reste dans des locaux aménagés à cet effet (résidences hôtelières, étudiantes, gymnases, etc.). La diaspora ukrainienne présente en Pologne a donc absorbé en priorité le choc de ces arrivées aussi massives que soudaines, immédiatement secondée par l’ensemble de la société polonaise.</p>
<p>Les personnes arrivées en Pologne depuis le 24 février 2022 ont un profil très différent de la population ukrainienne présente avant la guerre. Ce sont presque exclusivement des femmes, accompagnées de leurs enfants. Les hommes de 18 à 60 ans sont en effet <a href="https://www.bfmtv.com/international/guerre-en-ukraine-les-hommes-de-18-a-60-ans-ne-peuvent-plus-quitter-le-pays_AN-202202250306.html">retenus par la mobilisation</a>, et beaucoup de personnes âgées n’ont pas pu ou souhaité quitter leur pays.</p>
<p>De plus, en raison de cette même mobilisation, 100 000 hommes ukrainiens ont dû quitter du jour au lendemain le poste de travail qu’ils occupaient en Pologne, selon les estimations de l’organisation des employeurs polonais. Le résultat est une inversion du <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/sex-ratio"><em>sex ratio</em></a> et un déficit de main-d’œuvre dans les emplois qu’occupaient les hommes ukrainiens.</p>
<p>La première vague de réfugiés était constituée de personnes parties de leur propre initiative, ayant des contacts en Pologne, et qui ont pu assez vite s’intégrer au marché du travail, ou aller dans d’autres pays d’Europe. Mais une enquête sur les <a href="https://www.eecpoland.eu/2022/pl/panel/5053.html">réfugiés ukrainiens présents en Pologne</a> montrait que seulement 44 % sont des femmes en âge de travailler, le reste se composant essentiellement d’enfants et de personnes âgées.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les supérettes polonaises recrutent : « Tu cherches du travail ? Rejoins-nous ! ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Coudroy, Univ Lumière Lyon 2, UMR EVS -- 2022</span></span>
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</figure>
<p>Environ <a href="https://www.eecpoland.eu/2022/pl/panel/5053.html">100 000 des femmes ukrainiennes</a> arrivées depuis le début du conflit ont pu trouver un emploi, principalement dans les services comme l’hôtellerie et la restauration, ou encore les métiers de l’esthétique. La deuxième vague, à partir d’avril environ, contient surtout des femmes et enfants évacués par des ONG devant la violence du feu. Elles n’avaient pas préparé leur départ, et rencontrent davantage de difficultés car elles butent sur deux obstacles principaux : la maîtrise de la langue, et la scolarisation de leurs enfants. Ces derniers, pour des raisons également linguistiques, sont restés scolarisés en ligne dans le système éducatif ukrainien, ce qui les place sous la surveillance de leurs mères, indisponibles pour aller travailler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">L’UE face au défi de l’afflux de réfugiés ukrainiens</a>
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<h2>Le défi de l’hébergement</h2>
<p>À court terme, le défi que doivent résoudre les autorités et les organisations humanitaires est l’hébergement. Elles visent tout d’abord une meilleure répartition des réfugiés dans le territoire : les flux ont convergé vers les grandes villes, au marché immobilier extrêmement tendu, alors que de nombreuses villes moyennes offrent des conditions de vie et d’emploi tout aussi intéressantes. Tel est le message qui s’affiche dans la gare centrale de Varsovie :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette carte de la Pologne affichée dans la gare centrale de Varsovie en avril 2022 désigne les multiples points d’accueil dans le territoire polonais.</span>
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</figure>
<p>Par ailleurs, au bout de trois mois de conflit, et a fortiori si celui-ci s’éternise, l’hébergement chez des personnes privées deviendra épuisant, en raison du volume du parc disponible et de ses qualités. On compte en effet seulement 392 logements pour 1 000 habitants en Pologne (comparé à 534 en France) et leur taille moyenne est de 74 m<sup>2</sup> (contre 90 m<sup>2</sup> en France). C’est pourquoi de nombreuses familles ukrainiennes ont cherché à louer un logement. Or le <a href="https://journals-openedition-org.bibelec.univ-lyon2.fr/belgeo/27157#tocto2n1_">marché immobilier locatif privé est très rare en Pologne</a> (sans parler du logement social, quasi inexistant), et les prix des loyers depuis le début du conflit ont augmenté de parfois 20 à 30 % ! Cela peut expliquer, entre autres, les mouvements de retour en Ukraine qui se sont esquissés en avril 2022, alors que la guerre semble loin d’être finie.</p>
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<p><em>Cet article a été co-écrit avec Margaux Baudoux, étudiante en Master 1 Études Européennes et Internationales à l’ENS de Lyon</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lydia Coudroy de Lille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi les Ukrainiens sont-ils si nombreux à avoir afflué en Pologne et comment la société polonaise parvient-elle à gérer ce choc démographique ?Lydia Coudroy de Lille, Professeure des universités, Département de Géographie et aménagement Laboratoire Environnement, ville, société (UMR 5600, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1806492022-04-28T13:45:18Z2022-04-28T13:45:18ZL’art au secours des enfants ukrainiens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459585/original/file-20220425-31363-iq07ei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5395%2C3572&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des enfants ukrainiens s'entraînent aux arts du cirque, à Budapest, en Hongrie, le 22 mars 2022. Une centaine d'entre eux, accompagnés de leurs entraineurs, ont fui les villes assiégées de Kharkiv et de Kyiv au milieu des bombardements russes. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Anna Szilagyi)</span></span></figcaption></figure><p>Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février, 4,3 millions d’enfants ont été déplacés, soit plus de la moitié de la population enfantine du pays, estimée à 7,5 millions, <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1117022">selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF)</a>. Ce chiffre comprend plus de 1,8 million d’enfants réfugiés qui ont franchi les frontières pour s’exiler dans les pays voisins, et 2,5 millions qui sont déplacés à l’intérieur de l’Ukraine.</p>
<p>C’est l’un des déplacements d’enfants à grande échelle les plus rapides depuis la Seconde Guerre mondiale. Des millions d’entre eux sont soumis à d’importants stress et vivent des traumatismes, liés à la guerre.</p>
<p>Pour les aider à surmonter cette période tragique de leur vie, les pratiques artistiques ont fait leurs preuves auprès de jeunes réfugiés à travers le monde.</p>
<p>Candidate au doctorat en éducation et membre du CREAD (Centre de recherche sur l’enseignement, les apprentissages et la didactique), je suis spécialiste de l’action humanitaire, des pratiques artistiques pour favoriser le bien-être et de l’éducation en situation d’urgence et en contexte d’adversité. Je suis aussi conseillère et formatrice auprès de travailleurs humanitaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-activites-artistiques-et-sportives-contribuent-au-bien-etre-et-a-la-resilience-145005">Les activités artistiques et sportives contribuent au bien-être et à la résilience</a>
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<img alt="Un enfant peint un œuf de pâques" src="https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459589/original/file-20220425-117027-vlvlv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un enfant qui a fui la guerre peint un œuf de Pâques, lors d’un événement organisé pour les jeunes réfugiés ukrainiens, à Bucarest, en Roumanie, le 21 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andreea Alexandru)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les pratiques artistiques : une réponse humanitaire</h2>
<p>L’art devient ainsi, à travers l’action humanitaire, une manière de préserver la vie dans la dignité et de maintenir des valeurs fondamentales telles que la coopération et la solidarité.</p>
<p>L’art est utilisé tant dans la protection de l’enfance, dans l’éducation que dans le soutien psychologique, notamment au travers de l’art-thérapie. La reconnaissance des nombreux avantages et de la pertinence de l’utilisation des pratiques artistiques par les ONG lors d’urgences humanitaires est unanime. Des activités telles que le dessin, la danse, le chant, le théâtre et diverses formes d’art-thérapie aident les enfants à surmonter leurs expériences et certains des traumatismes de la guerre en les extériorisant.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Attablés sous une tente, des enfants dessinent" src="https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459588/original/file-20220425-26-dgsm2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des enfants dessinent dans un restaurant transformé en refuge pour réfugiés, à Dnipro, en Ukraine, le 20 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Leo Correa)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0089359">nombreuses études</a> ont été menées sur l’amélioration du bien-être des enfants à travers les activités artistiques, et notamment pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique. Selon les types de programmes, l’art peut contribuer à soulager les symptômes de l’anxiété, distraire de pensées négatives et peut aider à exprimer des sentiments douloureux ou difficiles que les enfants ont du mal à mettre en mots.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/se-relever-grace-a-lart-apres-une-crise-lexemple-cambodgien-139944">Se relever grâce à l’art après une crise : l’exemple cambodgien</a>
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<p>Après un mois de guerre, plus de <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/ukraine-lunesco-se-mobilise-pour-soutenir-la-continuite-educative">733 établissements scolaires ont été endommagés ou détruits</a>. La guerre en Ukraine a évidemment un impact sur l’ensemble du système scolaire et compromet le droit à l’éducation. Ne pouvant plus aller à l’école, les enfants n’ont plus de routine ni de sentiment de sécurité.</p>
<p>Des activités artistiques structurées, significatives et créatives dans les écoles ou les espaces d’apprentissage non formels améliorent leur bien-être émotionnel et comportemental.</p>
<h2>Le dessin comme témoignage pour porter les voix des enfants</h2>
<p>Depuis l’invasion de l’Ukraine, plusieurs médias ont décidé de faire entendre les voix des enfants afin d’illustrer les réalités de la guerre. Ainsi, le <a href="https://www.washingtonpost.com/world/interactive/2022/ukraine-war-children-refugees/"><em>Washington Post</em></a>, <a href="https://www.theguardian.com/global-development/gallery/2022/mar/16/glory-to-the-heroes-ukrainian-childrens-drawings-boost-soldiers-morale-in-pictures"><em>The Guardian</em></a> ou encore <a href="https://euromaidanpress.com/2022/03/17/the-horror-of-war-seen-through-the-eyes-of-ukrainian-children/"><em>Euromaidan Express</em></a> présentent des dessins d’enfants déplacés et réfugiés. Ils dessinent leur soutien aux forces ukrainiennes et les horreurs qu’ils ont vues, leur départ du foyer, le voyage en train et les séparations douloureuses à la frontière.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Dessin d’enfants" src="https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457506/original/file-20220411-10836-eqrl5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dessin de Illya, « Gloire à l’Ukraine, gloire aux héros » lors d’un atelier artistique pour des enfants déplacés dans une librairie de Lviv.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Alessio Mamo, The Guardian)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les activités artistiques dans le quotidien des enfants</h2>
<p>Dans de nombreuses régions d’Ukraine, des parents se regroupent et organisent des activités artistiques pour leurs enfants. Par exemple, des volontaires de l’ensemble de chant et de danse Sonechko, à Lviv, ont organisé <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/03/24/a-lviv-un-studio-de-danse-offre-refuge-aux-artistes-ukrainiens-fuyant-la-guerre_6118982_3246.html">plusieurs séances d’art</a> pour des enfants. Des bénévoles soutenus par l’<a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/UNICEF%20Ukraine%20Humanitarian%20Situation%20Report%20-%2024%20February%202022.pdf">UNICEF</a> mettent en place des espaces consacrés aux dessins d’enfants dans les stations de métro. Des enseignants et des psychologues y travaillent quotidiennement avec les jeunes dans un cadre formel ou pas.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-nombreux-avantages-dapprendre-les-arts-du-cirque-a-lecole-165277">Les nombreux avantages d'apprendre les arts du cirque à l'école</a>
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<p>Des initiatives liées à la <a href="https://emergency.unhcr.org/entry/49304?lang=fr_FR">santé mentale et aux services psychosociaux (MHPSS</a>) de l’ONG <a href="https://proliska.org/en/">Proliska</a>, soutenue par l’UNICEF, vise à fournir du matériel créatif et artistique afin d’équiper les espaces dédiés aux enfants dans trois stations de métro de Kharkiv.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme décore un escalier de la station de métro de Kharkiv avec des dessins d’enfants" src="https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457502/original/file-20220411-22014-db674k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une volontaire décore un escalier de la station de métro de Kharkiv avec des dessins créés par des enfants dans une classe d’art.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(UNICEF USA)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.warchildholland.org/news/supporting-ukranian-refugee-children/">L’ONG War Child Holland</a> forme des organisations ukrainiennes aux premiers secours psychologiques et aux services de santé mentale afin de créer des « espaces de sécurité » pour les réfugiés.</p>
<p>Des projets comme <a href="https://childhub.org/fr/online-learning-materials/youcreate-recherche-action-participative-basee-sur-les-arts-et-menee-par-les-jeunes-pour-le-bien-etre-et-le-changement-social?language=el">YouCreate</a> œuvrent au renforcement de la santé mentale des jeunes grâce à des activités créatives. L’initiative mobilise des adolescents de l’est de l’Ukraine qui conçoivent et mettent en œuvre des projets artistiques dans leurs communautés.</p>
<p>L’ONG ukrainienne <a href="https://www.instagram.com/voices_of_children/">Voices of children</a> propose aussi des ateliers d’art-thérapie. Il s’agit d’aider les enfants à décrire leurs émotions, leurs expériences et leurs peurs à travers les arts visuels. Le projet comprend une dizaine de séances d’art-thérapie une ou deux fois par semaine. Il combine le travail de groupe et le travail individuel où les enfants libèrent leurs émotions et les sentiments complexes sur le passé, le présent difficile et le futur incertain.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Iryna Sokur propose une série de collages de symboles traditionnels ukrainiens afin de soutenir son pays -- Untitled 2022" src="https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457501/original/file-20220411-11-ir72f2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Iryna Sokur propose une série de collages de symboles traditionnels ukrainiens afin de soutenir son pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(https://www.instagram.com/sok_irart/)</span></span>
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<p>Ces interventions d’urgence à travers les pratiques artistiques sont à encourager et à structurer davantage. Il est essentiel d’en comprendre les différents usages et d’en évaluer les effets et les impacts sur les enfants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180649/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albane Buriel est membre de l'association Les Ateliers du rêve.</span></em></p>Des programmes humanitaires intégrant l’art et les pratiques artistiques sont conduits auprès des enfants ukrainiens afin de les aider à surmonter leurs traumatismes.Albane Buriel, Candidate au doctorat en éducation, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810052022-04-27T18:19:50Z2022-04-27T18:19:50ZL’UE face au défi de l’afflux de réfugiés ukrainiens<p>Le 24 avril 2022, le <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés</a> (HCR) recensait plus de 5,23 millions d’Ukrainiens ayant été contraints de fuir leur pays après l’invasion russe. Ce nombre pourrait atteindre <a href="https://www.imis.uni-osnabrueck.de/fileadmin/4_Publikationen/PDFs/Duvell_Lapshyna_Ukraine_Russia_Short_Analysis_2022.pdf">10 millions</a> si la guerre se poursuit.</p>
<p>L’Union européenne a accordé une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_1727">protection temporaire</a> aux réfugiés en provenance d’Ukraine, et les citoyens européens ont fait preuve d’une grande solidarité à leur égard. Cet important afflux de réfugiés suscite toutefois certaines craintes. Notre <a href="https://www.regards-economiques.be/index.php?option=com_reco&view=article&cid=222">récent article</a> (<a href="https://liser.elsevierpure.com/ws/portalfiles/portal/34680772/policy_brief_04.03.pdf">également disponible en anglais</a>) explique pourquoi il faut relativiser ces inquiétudes et analyse différentes possibilités de répartition de ces millions de réfugiés entre les pays de l’UE.</p>
<h2>Une opportunité à moyen terme…</h2>
<p>L’expérience offerte par l’étude des précédents flux massifs de réfugiés incite à penser que l’exil des personnes en provenance d’Ukraine ne devrait avoir, à moyen terme, que des effets mineurs sur les économies des pays de destination.</p>
<p>En effet, comme les migrants économiques, les réfugiés occupent des emplois caractérisés par une pénurie de main-d’œuvre ; leur présence favorise la création de nouveaux emplois ; ils consomment et, parfois, investissent, dans les pays d’accueil. Un exemple contemporain est l’étude de l’afflux massif de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304393220300519?via%3Dihub">réfugiés syriens en Allemagne en 2015 et 2016</a> qui démontre leur contribution positive à l’économie du pays hôte, même si dans un premier temps leur arrivée a pu augmenter la concurrence sur le marché du travail pour la population locale la moins qualifiée.</p>
<p>Les réfugiés <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/4ccb6899-en/index.html?itemId=/content/component/4ccb6899-en">ne constituent pas un coût en termes de finances publiques</a>. Au contraire, il a par exemple <a href="https://www.cgdev.org/blog/what-did-america-lose-trumps-mass-exclusion-refugees-it-includes-billions-dollars-year">été estimé</a> que la réduction drastique des admissions de réfugiés sous la présidence de Donald Trump a coûté aux finances publiques des États-Unis plus de 2 milliards de dollars par an. En outre, les réfugiés créent ou renforcent des liens entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine, favorisant <em>in fine</em> le développement <a href="https://www.brookings.edu/blog/up-front/2022/03/17/countries-should-seize-the-opportunity-to-take-in-ukrainian-refugees-it-could-transform-their-economies/">d’activités économiques, d’échanges commerciaux et de l’innovation</a>. Cela s’est vérifié avec les « boat people » en provenance du Vietnam en 1970, qui ont dynamisé les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ecoj.12457">échanges commerciaux</a> entre les États-Unis et leur pays d’origine suite à la levée de l’embargo américain en 1994. Plus récemment, les arrivées de réfugiés aux États-Unis ont également contribué à l’essor des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304387822000025">investissements étrangers</a> vers leurs pays d’origine.</p>
<p>Néanmoins, ces effets ne se matérialisent pas immédiatement dans l’économie du pays d’accueil.</p>
<p>Les réfugiés ont fréquemment vécu des traumatismes. Ils sont souvent moins préparés à leur nouvelle vie que les migrants économiques. Cela se traduit par des difficultés pour maîtriser la langue du pays de destination ou par un manque de compétences spécifiques pour intégrer rapidement son marché du travail. Les obstacles rencontrés par les réfugiés peuvent également les contraindre à accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Il n’est pas rare de voir, dans des <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.34.1.94">études</a> comparant l’emploi avant et après migration, un réfugié qui était ingénieur, médecin ou enseignant dans son pays d’origine occuper un poste bien moins qualifié dans le pays de destination. Ce phénomène peut donc affecter des groupes spécifiques déjà présents dans les pays d’accueil comme les travailleurs peu qualifiés et les migrants arrivés précédemment. Les inégalités risquent alors de s’accroître dans les pays de destination.</p>
<p>Enfin, dans certains pays, une (trop) forte concentration de réfugiés au niveau local peut ralentir l’intégration des nouveaux arrivants : ainsi, la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/does-exposure-to-the-refugee-crisis-make-natives-more-hostile/3E66D9B39336C652F9EF6D7EF9DF0735">concentration de réfugiés en Grèce</a> a entraîné des tensions malgré une forte solidarité de la population locale, ce qui pourrait avoir contribué à la <a href="https://www.france24.com/fr/20200305-crise-migratoire-lesbos-spectre-nationalisme-gr%C3%A8ce-aube-doree">montée en puissance</a> de l’extrême droite dans ce pays. De tels phénomènes ont également été observés en <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2016-2-page-20.htm">Allemagne</a>, en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/09/20/autriche-les-idees-d-extreme-droite-continuent-de-percer-dans-le-gouvernement_1680081/">Autriche</a> ou au <a href="https://www.vuesdeurope.eu/le-danemark-vire-a-lextreme-droite-sur-les-refugies/">Danemark</a> après l’arrivée de réfugiés syriens en 2015.</p>
<h2>… grâce à une responsabilité partagée entre pays européens</h2>
<p>Sans coordination entre pays européens, les réfugiés ukrainiens risquent de se masser dans les pays géographiquement proches, où existent souvent des réseaux qui facilitent leur arrivée et leur intégration.</p>
<p>D’après la localisation de la diaspora ukrainienne en 2020, les pays les plus attractifs sont l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et la Tchéquie. Si les réfugiés ukrainiens choisissaient leur destination en fonction de ce critère, 60 % d’entre eux s’installeraient dans ces quatre États.</p>
<p>Les quatre diagrammes ci-dessous (pour les quatre pays étudiés, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et la France) montrent la répartition géographique des demandeurs de protection ukrainiens selon trois scénarios : dans le cas où 4 millions, 7 millions ou 10 millions de réfugiés arrivaient dans les 27 pays membres de l’UE.</p>
<p>Cinq clés de répartition (c’est-à-dire cinq critères sur lesquels fonder la politique de répartition) ont été étudiées, que celles-ci soient spontanément suivies par les réfugiés ou qu’elles soient utilisées par les États. Ces cinq clés de répartition se basent sur le nombre d’Ukrainiens présents dans le pays en 2020, les flux sur les cinq dernières années, la part de la population, le PIB, et une combinaison de la part de la population et du PIB.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Projection de répartition des réfugiés en provenance d’Ukraine selon cinq clés de répartition.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour plus de détails sur ces calculs, voir <a href="https://www.regards-economiques.be/images/reco-pdf/reco_222.pdf">ici</a>.</p>
<p>Dans le scénario où il y aurait 7 millions de réfugiés, nos estimations basées sur le nombre d’Ukrainiens résidant dans chaque pays (stock) indiquent que 1,4 million d’entre eux iraient en Allemagne, 1,3 million en Pologne et environ 90 000 en France.</p>
<p>Une répartition mise en place à l’échelle européenne basée sur la population de chaque pays (pop) réduirait quelque peu la pression sur les pays voisins de l’Ukraine, en attribuant, toujours dans l’hypothèse d’un total de 7 millions de réfugiés, 600 000 réfugiés à la Pologne, 1 million à la France et 1,3 million à l’Allemagne.</p>
<p>Une autre formule de répartition prenant en compte le PIB et la population (mixte), augmenterait légèrement le nombre pour les pays d’Europe de l’Ouest et le réduirait pour les pays d’Europe de l’Est.</p>
<h2>Une opportunité pour plus de coordination en Europe ?</h2>
<p>La réponse de l’Europe à l’afflux de réfugiés venus d’Ukraine contraste avec celle adoptée en 2015, lorsque plus d’un million de réfugiés, principalement en provenance de Syrie, sont arrivés dans le Vieux Continent.</p>
<p>Cette fois, l’UE a décidé, pour la première fois depuis sa création, de déclencher la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-qu-est-ce-que-la-protection-temporaire-dont-peuvent-beneficier-les-refugies_5004170.html">protection temporaire pour les réfugiés</a>. L’octroi d’un tel statut et de permis de travail temporaires, ainsi que l’accès aux services de santé, faciliteront sans aucun doute l’acquisition par les réfugiés venus d’Ukraine des compétences nécessaires à leur intégration.</p>
<p>À long terme, les conséquences économiques des flux de réfugiés en provenance d’Ukraine seront probablement mineures, en particulier si l’UE assure une responsabilité partagée entre états membres.</p>
<p>Mais le processus d’intégration prendra du temps – et ce, malgré le rôle essentiel tenu par les réseaux ukrainiens dans les pays d’accueil. Pour gérer cette situation, il semble crucial de bien répartir les réfugiés entre et au sein des pays européens, afin d’éviter de (trop) fortes concentrations de ces individus.</p>
<p>Les autres flux de réfugiés ne doivent pas être oubliés, car les conflits et les tensions politiques restent d’actualité dans d’autres parties du monde, et sont susceptibles de déclencher de futurs déplacements forcés. Enfin, l’exode ukrainien actuel peut offrir une <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/europe/2022-03-28/ukrainian-exodus">occasion de réformer</a> la politique d’asile et de renforcer la coordination au sein de l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181005/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Francois Maystadt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des millions de réfugiés ukrainiens se trouvent déjà sur le territoire des pays de l’UE – avant tout en Pologne. Comment serait-il possible de les « répartir » entre les pays de l’Union ?Jean-Francois Maystadt, Professeur d'économie à l'Université de Louvaiin et à la Lancaster University, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1804632022-04-14T15:40:30Z2022-04-14T15:40:30ZL’accueil des déplacés de guerre en Europe : tous ne sont pas égaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458188/original/file-20220414-1352-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=89%2C24%2C5330%2C3583&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux Nigérians fuyant la guerre attendent à la gare de Kiev, en Ukraine, le 1er mars 2022. Plusieurs Africains se sont dits victimes de traitements discriminatoires lors de leur arrivée dans des pays de l'Union européenne.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (AP Photo/Ricard Garcia Vilanova, File)</span></span></figcaption></figure><p>La situation en Ukraine constitue indéniablement un tournant décisif pour la gestion des déplacements des populations en exil, qui sont au nombre de <a href="https://www.unhcr.ca/fr/news/hcr-les-conflits-violence-changement-climatique-ont-entraine-hausse-deplacements-au-premier-semestre-2021/#:%7E:text=Ces%20tendances%20sont%20issues%20du,de%20personnes%20recens%C3%A9es%20fin%202020">84 millions dans le monde</a>, selon le HCR.</p>
<p>En effet, la décision a été prise le 4 mars 2022 par l’Union européenne (UE) d’activer pour la première fois de son histoire un dispositif de 2001 visant à accorder une protection temporaire en cas d’afflux massif de migrants. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32001L0055">Il s’agit d’un grand pas vers une meilleure protection des migrants en situation de crise</a>.</p>
<p>En fait, depuis les années 1990, l’asile n’est vu que sous le prisme de la lutte contre l’immigration irrégulière. La crise syrienne illustre parfaitement cette vision. Afin de lutter contre l’immigration irrégulière, l’UE avait conclu un <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/">accord avec la Turquie en mars 2016</a> visant à bloquer d’une part des demandeurs d’asile fuyant la Syrie et l’Afghanistan et transitant par ce pays, et d’autre part de renvoyer tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui en partent pour gagner les îles grecques.</p>
<p>Avec la décision de mars 2022 donc, la gestion de l’asile sous le prisme de la lutte contre l’immigration irrégulière vient d’être écartée au profit d’un accueil des populations civiles fuyant l’Ukraine. Toutefois, la portée de cette réponse est limitée quant à la protection effective de certains migrants.</p>
<p>En effet, l’article 2 de cette décision prévoit d’introduire une protection temporaire pour les bénéficiaires, notamment les Ukrainiens, les résidents permanents, les réfugiés, les apatrides et leurs familles]. Cela exclut d’emblée les autres, dont les étudiants étrangers subsahariens, quand ils réussissent à franchir les frontières de l’UE. Leur sort est laissé à la discrétion des pays membres de l’UE, qui peuvent les rapatrier vers leur pays d’origine ou leur conférer une protection (temporaire ou internationale).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un groupe de personnes, portant des valises, marchent dans une rue" src="https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458190/original/file-20220414-22-9bp3y0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un groupe de Mexicains fuyant l’Ukraine arrivent en Roumanie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Fernando</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il en ressort donc une protection à géométrie variable pour des populations civiles dans un contexte de conflit international et de violences généralisées.</p>
<p>On assiste déjà à des <a href="https://www.un.org/press/fr/2022/ag12404.doc.htm">pratiques discriminatoires aux frontières de l’Ukraine et des pays membres de l’Union européenne dans l’accueil des populations civiles</a> fuyant les violences. Cela nous plonge dans une réflexion sur les réponses du droit international et des politiques des États.</p>
<p>Mon co-auteur, <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/mande.issiaka/">Issiaka Mandé</a> et <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/6KYIXq1VJMY_/">moi-même</a> sommes des spécialistes des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées au Canada et à l’international, et membres du comité directeur de l’<a href="https://omiras.org">OMIRAS</a> et du <a href="https://www.giersa.ulaval.ca">Giersa</a>.</p>
<h2>Un cas belge exemplaire dans la gestion de la crise syrienne</h2>
<p>Cette protection accordée aux Ukrainiens contraste avec les récentes décisions rendues par les juridictions européennes portant des demandes de visas humanitaires de Syriens fuyant les conflits.</p>
<p>On peut prendre pour exemple l’arrêt rendu par la Cour (grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne) le 7 mars 2017 dans <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62016CJ0638&from=FR">l’affaire X et X contre État belge</a>. Un couple marié — ainsi que leurs trois enfants en bas âge, tous de nationalité syrienne et vivant à Alep ont, en exil, présenté auprès de l’ambassade de Belgique au Liban des demandes de visas pour raisons humanitaires. Ils se basaient sur l’article 25 du code des visas et comptaient obtenir le statut de réfugiés dès leur arrivée en Belgique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux enfants vus à travers un rideau de plastique" src="https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458201/original/file-20220414-24-8s11rq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Deux enfants syriens se réchauffent dans une tente installée danbs un campement de réfugiés à Zahrani, au Liban, le 19 janvier 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mohammed Zaatari)</span></span>
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</figure>
<p>L’interprétation retenue est que si la demande porte sur le visa humanitaire avec intention de présenter une demande d’asile, c’est le droit belge qui s’applique et non le droit de l’UE. Ces Syriens voulaient ainsi exercer leur droit de quitter leur pays en guerre. Une fois cette étape franchie, ce couple et leurs enfants présenteraient une demande d’asile en vertu du droit belge et du droit de l’UE en vigueur. Cette demande pourrait être acceptée ou refusée par les autorités belges. Mais c’est cette intention de présenter une demande d’asile en Belgique, une fois sur place, qui fonde la décision de la CJUE quand bien même la demande visait une protection contre le risque de traitements inhumains et dégradants Syrie.</p>
<h2>Les incohérences de la communauté internationale</h2>
<p>Face à la tragédie humaine en Ukraine, les pays tentent d’organiser des réponses en proposant d’offrir l’accueil et l’asile à ces populations ou encore de rapatrier d’urgence leurs ressortissants. Un élan de solidarité qui traduit des valeurs humaines sur lesquelles s’appuie la communauté internationale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux jeunes femmes se tiennent par la main, dans un aéroport" src="https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458191/original/file-20220414-18-vftgbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une étudiante sud-africaine évacuée d’Ukraine, est accueillie par sa sœur à l’aéroport de Johannesburg, en Afrique du Sud, le 10 mars 2022. Ce sont les pays qui ont dû rapatrier d’urgence leurs ressortissants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Themba Hadebe)</span></span>
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</figure>
<p>Mais un regard sur les réponses apportées aux millions de personnes en déplacement, notamment <a href="https://reliefweb.int/report/yemen/yemen-thousands-desperate-food-water-and-shelter-conflict-hit-marib">aux Yémenénites</a>, aux Rohingyas en <a href="http://www.info-birmanie.org/25-ao%C3%BBt-2021-rohingya-quatre-ans-apres-le-drame-oublie/">Birmanie</a>, aux Vénézuéliens en Colombie, aux réfugiés <a href="https://www.unhcr.org/fr/605c84034.pdf">en Ouganda, en Éthiopie, au Tchad, en République démocratique du Congo</a>, aux réfugiés et déplacées en Irak et aux <a href="https://data2.unhcr.org/fr/situations/syria">réfugiés syriens</a>, nous emmène à interroger certaines pratiques étatiques. Celles-ci laissent des millions de déplacés sans aucune garantie de leurs droits fondamentaux. Par exemple, <a href="https://www.lapresse.ca/international/afrique/2021-10-09/evasion-de-2000-migrants-d-un-centre-de-detention/en-libye-des-migrants-humilies-qui-ne-demandent-qu-a-partir.php">les migrants qui subissent des violences massives en Libye</a> ne peuvent pas se rendre en Europe pour y présenter des demandes d’asile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des femmes et des enfants entassés dans un bateau" src="https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458203/original/file-20220414-24-yes4wi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes et des enfants Rohingyas à leur arrivée à Aceh, en Indonésie, le 31 décembre 2021, fuyant les persécutions en Birmanie. Il est difficile pour eux d’obtenir des statuts de réfugiés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Zik Maulana)</span></span>
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</figure>
<p><a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights">Le droit de quitter tout pays dans lequel sa vie ou sa dignité est menacée</a> et le <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">droit de rechercher asile</a> doivent être garantis aux personnes qui fuient les persécutions et les violences dans un contexte de conflit, sans aucune discrimination liée à leur statut juridique.</p>
<p>Il est unanimement reconnu en droit international qu’<a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-against-torture-and-other-cruel-inhuman-or-degrading#:%7E:text=Article%203,%C3%AAtre%20soumise%20%C3%A0%20la%20torture.">aucun État ne doit renvoyer des personnes vers un pays où elles risqueraient de subir de la torture, des traitements inhumains et dégradants</a> en application du principe de non-refoulement de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.</p>
<p>Ansi, bloquer les migrants aux portes de l’Europe dans ce contexte de conflit en application des <a href="https://repository.law.umich.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2484&context=articles">politiques de refus d’entrée de l’UE</a>, est une limite importante à ce principe cardinal.</p>
<p>Ainsi, nous considérons que la gestion de l’asile par la communauté internationale en général, et par l’UE en particulier, est loin de garantir une protection des déplacés fuyant les conflits suivant une approche inclusive. Les prochains développements que connaîtra cette crise en Ukraine nous permettront d’attester de l’efficacité de la protection temporaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180463/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ndeye Dieynaba Ndiaye est membre de l'Observatoire sur les Migration internationales, les réfugiés, les Apatrides et l'asile (OMIRAS), Chaire Jean Monnet en intégration européenne de l'Université Laval.
Je remercie la Faculté de Sciences politiques et droit de l'UQAM pour le soutien financier.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Issiaka Mandé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Union européenne a ouvert ses frontières pour les réfugiés ukrainiens, fuyant leur pays en guerre. Mais elle ne fait pas preuve de la même générosité envers d’autres demandeurs d’asile.Ndeye Dieynaba Ndiaye, Professeur de droit des migrations, Université du Québec à Montréal (UQAM)Issiaka Mandé, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798792022-03-28T18:30:42Z2022-03-28T18:30:42ZLe phénomène des réfugiés contraint les entreprises à étendre leurs responsabilités<p>Depuis plus de trois semaines, nous assistons au plus grand mouvement de population depuis la Seconde Guerre mondiale. En effet, le conflit russo-ukrainien se solde déjà, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, par environ <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/update_on_idp_figures_in_ukraine_18_march_eng.pdf">6,5 millions d’Ukrainiens</a> « déplacés internes », et <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">3,8 millions ayant dû fuir leur pays</a>. Un chiffre vertigineux auquel il faut ajouter un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-des-milliers-de-russes-fuient-vers-la-finlande_4997001.html">nombre indéterminé de Russes</a> ayant d’ores et déjà fui le régime autoritaire de Moscou.</p>
<p>Il nous semble que ce bouleversement de l’ordre international doit nous amener à repenser à la fois la politique d’accueil et d’intégration mais aussi, comme nous le mettions en évidence dans un <a href="https://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=en&user=Rl8a2IQAAAAJ&citation_for_view=Rl8a2IQAAAAJ:UebtZRa9Y70C">article</a> publié en 2017 dans le <em>European Management Review</em>, le rôle de l’entreprise face au phénomène de <em>migration forcée</em> qui ne fera que prendre plus d’ampleur dans les prochaines décennies.</p>
<p>Déjà massives, ces migrations forcées vont encore s’amplifier et mettre nos sociétés à l’épreuve. Les études scientifiques, telles que celles recensées dans le <a href="https://ambafrance.org/IMG/pdf/resume_pour_decideurs_du_volume_2_du_6e_rapport_d_evaluation_du_giec.pdf">rapport du GIEC en date du 28 février 2022</a>, permettent effectivement d’esquisser un schéma implacable qui prend ses racines dans le dérèglement climatique, l’artificialisation et la pollution des sols en lien avec l’urbanisation et les monocultures intensives, et la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-la-biodiversite-participe-aussi-a-notre-autonomie-strategique-1357203">perte de biodiversité associée</a>. Plus encore que les conflits armés pour le contrôle des ressources, ce sera d’abord la montée des eaux et l’effondrement de la productivité agricole qui alimenteront de façon structurelle les déplacements de population dans les années à venir.</p>
<p><iframe id="QnvGL" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QnvGL/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Songeons d’ailleurs que l’indice FAO (l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation) des prix alimentaires à son plus haut niveau historique (et qui a depuis été dépassé) <a href="https://necsi.edu/s/food_crises.pdf">a certainement joué comme un déclencheur des printemps arabes</a>. Tout sauf le fruit du hasard, tant agriculture (et prix des biens agricoles) et phénomènes migratoires sont intimement liés. Or, dès lors que l’hypothèse d’accélération des phénomènes de migrations forcées dans les prochaines décennies est acceptée, alors ne pas mettre en œuvre une politique adaptée visant la gestion efficiente de ces flux massifs aurait tous les atours d’une impréparation coupable.</p>
<h2>Tentations opportunistes</h2>
<p>Bien naturellement, la politique migratoire restera une décision régalienne qui, dans nos régimes démocratiques, ne pourra se faire sans acceptation sociale, que ce soit au niveau de l’Union européenne ou de ses États membres. Elle se révèle d’autant plus nécessaire qu’elle permet de se prémunir de certaines hésitations et tractations, comme nous en avions été témoins <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/migrants-apres-le-refus-de-l-italie-la-corse-propose-d-accueillir-les-600-refugies-de-l-aquarius-781494.html">dans le cas de l’Aquarius</a>, susceptibles d’aggraver des situations humanitaires dramatiques. Son autre vertu est de couper court à certaines tentations aussi malvenues qu’opportunistes en provenance, cette fois, des entreprises. Rappelons-nous, par exemple, des propos de Thomas Enders, l’ancien PDG d’Airbus, <a href="https://www.reuters.com/article/uk-europe-migrants-germany-employment-idUKKCN0SJ0PN20151025">lors de la crise des réfugiés de 2015</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons avoir le courage d’une dérégulation comme celle que nous connaissons jusqu’à présent aux États-Unis […] Si le seuil d’entrée sur le marché du travail est trop élevé, l’intégration des immigrés dans la société échouera […] Il vaut mieux entrer sur le marché du travail avec des mini-jobs ou des emplois mal payés que rien et être condamné à la sécurité sociale, à ne rien faire et à la frustration. »</p>
</blockquote>
<p>Si, à première vue, la position de Thomas Enders est louable en cela qu’elle pense l’intégration des migrants par le travail, elle semble néanmoins frappée du sceau d’un certain opportunisme financier. En effet, la proposition de Thomas Enders reviendrait à œuvrer à la constitution d’une <a href="https://www.revue-ballast.fr/marx-et-limmigration-mise-au-point/">« armée de réserve industrielle » au sens de Marx</a>, c’est-à-dire à favoriser un surnuméraire de travailleurs potentiels, notamment au niveau des emplois peu qualifiés. Un tel déséquilibre se traduirait par une pression accrue sur les salaires et les salariés, dans un contexte où les syndicats allemands venaient tout juste d’obtenir un accord historique sur le <a href="https://www.captaineconomics.fr/-salaire-minimum-allemagne-merkel">salaire minimum</a>.</p>
<p>Dans le cas de l’Allemagne, cette pression salariale a depuis été <a href="https://www.bundesbank.de/resource/blob/885576/f7a2d4dbe302d666b50e0c452d0290cd/mL/2022-02-21-dkp-02-data.pdf">démontrée empiriquement</a>. En effet, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/comment-lallemagne-a-integre-ses-refugies-1347849">cinq ans après la vague migratoire de 2015</a>) et le <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/europe/general/wir-schaffen-das-trois-mots-qui-ont-bouleverse-l-allemagne/10248443.html">« wir schaffen das »</a> (« nous y parviendrons ») de la chancelière Angela Merkel pour exprimer le volontarisme allemand en termes d’intégration, la moitié des nouveaux arrivants avait trouvé un travail, mais la plupart du temps dans des services à faible qualification (hôtellerie, livraison, restauration…), et pour un salaire moyen inférieur de 45 % à la moyenne allemande. Difficile de ne pas y voir l’expression concrète de la position exprimée par Thomas Enders.</p>
<p>Or, si l’opportunisme des entrepreneurs peut se concevoir sur le plan de l’efficacité productive de court terme, notamment dans un contexte concurrentiel, il n’est pas garanti que ce soit le mode d’intégration le plus efficient sur le long terme. L’économiste allemand Herbert Brücker et ses coauteurs, par exemple, ont récemment mis en exergue de nombreux <a href="https://fis.uni-bamberg.de/handle/uniba/51202">leviers d’amélioration</a> qui auraient permis de mieux gérer l’intégration des migrants. Certains de ces leviers impliquent d’ailleurs directement les entreprises : développement de programmes linguistiques, renforcement de l’apprentissage, et création d’emplois non pas de subsistance, mais proposant au contraire de réelles perspectives d’existence à long terme.</p>
<p>Au-delà du cas allemand, une réflexion plus générale quant au rôle et les responsabilités nouvelles des entreprises nous est imposée par un début de XXI<sup>e</sup> siècle qui semble consacrer la fin de la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/aujourd-hui-l-%C3%A9conomie/20220317-la-guerre-en-ukraine-pr%C3%A9cipite-la-fin-de-la-mondialisation-heureuse">« mondialisation heureuse »</a> et l’émergence d’un monde « en silos ».</p>
<h2>La démographie, une préoccupation stratégique</h2>
<p>Le <a href="https://www.dni.gov/index.php/gt2040-home/gt2040-media-and-downloads">dernier rapport</a> du National Intelligence Council, le renseignement national américain, souligne la possibilité de voir le monde se constituer « en silos », autour de blocs régionaux mus par des intérêts économiques partagés, mais aussi des gouvernances et valeurs sociétales communes, ou du moins, compatibles. Les ambitions chinoises (sur le plan économique comme systémique), le bellicisme russe, et même les velléités souverainistes occidentales, sont autant de signaux qui accréditent cette thèse.</p>
<p>Dans un tel monde, les États seront nécessairement amenés à réduire leurs interactions économiques. Et donc, à revoir le périmètre de leur indépendance stratégique, sans pour autant perdre de vue les objectifs impérieux en matière de transition écologique et énergétique. Il faut donc s’attendre à une redéfinition des chaînes d’approvisionnement, une dynamique de <a href="https://theconversation.com/relocalisations-en-europe-les-peco-seront-ils-les-grands-gagnants-155919">relocalisation</a> et de <a href="https://theconversation.com/reindustrialiser-mais-pour-quoi-faire-176810">réindustrialisation</a>, de même que la montée en puissance d’une agriculture raisonnée et de modes de production moins intensifs en hydrocarbures, et davantage en main-d’œuvre.</p>
<hr>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reindustrialiser-mais-pour-quoi-faire-176810">Réindustrialiser, mais pour quoi faire ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À cet égard, l’émergence d’un monde « en silos » repositionne naturellement la question de la démographie au rang des préoccupations stratégiques majeures. Le <a href="https://ecfr.eu/wp-content/uploads/power-atlas.pdf">dernier rapport</a> du European Council on Foreign Relations ne dit d’ailleurs pas autre chose :</p>
<blockquote>
<p>« Une population importante ne fait pas, en soi, d’un État une grande puissance – en fait, la surpopulation peut être une profonde vulnérabilité –, mais il est probablement impossible dans le monde moderne d’atteindre et de maintenir le statut de grande puissance sans cela. »</p>
</blockquote>
<p>Par extension, l’émergence d’un monde « en silos » doit nous amener à repenser nos modes de développement hérités d’une époque de mondialisation et de financiarisation accélérées. Une époque où, comme le souligne la sociologue néerlando-américaine Saskia Sassen dans son livre de 2014 <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Expulsions"><em>Expulsions</em></a>, les facteurs de production – notamment le facteur humain – étaient disponibles en abondance, mais pouvaient surtout faire l’objet d’une exploitation rentable à l’autre bout du monde par le jeu de la sous-traitance en cascade et d’un dumping social érigé au rang de facteur de compétitivité.</p>
<p>À l’inverse de cette grande tectonique des plaques, mais aussi des comportements opportunistes dépeints en amont, la migration forcée, mais aussi la réelle intégration économique de l’ensemble des populations européennes, permettra de se doter des compétences et de la solidarité nécessaires à notre croissance tout en permettant de poser les premiers jalons d’une autonomie stratégique.</p>
<p>Il s’agit là non seulement d’un impératif de stabilité sociale mais aussi, de façon peut-être encore plus pragmatique, de créer une demande intérieure solvable. Ce changement d’attitude ne relève pas simplement d’une attitude désintéressée, altruiste ou d’une supposée responsabilité sociale, mais plutôt d’une forme de responsabilité politique nouvelle à laquelle les entreprises doivent s’astreindre… dans leur propre intérêt et celui de toutes les nations européennes.</p>
<p>D’aucuns pourraient y voir un lien avec les travaux de l’économiste britannique John Hobson, ou plus proche de nous des Américains <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/guerres-commerciales-sont-guerres-classes-comment-montee-inegalites-fausse">Matthew Klein et Michael Pettis</a>, qui soulignent que les marchés nationaux – en l’espèce européen – « sont capables d’une extension indéfinie pour autant que le revenu ou pouvoir de s’approprier des marchandises est réparti de manière équitable ».</p>
<h2>Retour au libéralisme intégré</h2>
<p>Nous l’avons vu, le contexte géopolitique et environnemental, source de chocs migratoires, devrait se traduire par un « retour au libéralisme intégré » tel que décrit par le géographe et économiste britannique <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780199283262.001.0001/isbn-9780199283262">David Harvey</a>. Ainsi, adopter une perspective plus planificatrice et « social-démocrate » apparaît probablement comme la voie la moins risquée si la priorité politique est donnée au maintien d’une certaine stabilité économique et industrielle, ainsi qu’à la préservation de la cohésion sociale.</p>
<p>Dès lors, le travail ne doit pas être vu que sous l’angle de son coût rapporté à son utilité, ou comme une consommation différée. Il doit, au contraire, s’envisager comme un facteur d’intégration qui, dans toute sa complémentarité, participe à l’autonomie stratégique autant que militaire ou économique.</p>
<p>À cette aune, les entreprises ne sont plus uniquement des lieux de transformation et des centres de profits, mais des maillons essentiels de construction de l’indépendance stratégique. Dans ces entreprises repensées, il s’agit autant d’investir dans une production responsable et durable que dans la formation professionnelle et citoyenne, notamment des nouveaux arrivants. Ainsi, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises s’enrichira d’une responsabilité politique sans laquelle, dans un monde dont les référents hérités de la fin de la Seconde Guerre mondiale vacillent déjà, nulle cohésion sociale ni autonomie stratégique ne sera possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’expérience de l’Allemagne après 2015 montre que de nombreux décideurs voient dans les migrants une « armée de réserve industrielle » qui permet de compresser les salaires.Philippe Naccache, Professeur Associé, INSEEC Grande ÉcoleJulien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1794222022-03-25T15:47:24Z2022-03-25T15:47:24ZLa guerre en Ukraine magnifie notre amour des animaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454416/original/file-20220325-25-oisjjw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4025%2C2679&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une femme évacuée d’Irpine pleure en embrassant un chat enroulé dans une couverture dans un poste de triage à Kyiv, en Ukraine, le 11 mars 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Vadim Ghirda)</span></span></figcaption></figure><p>Une petite fille recroquevillée dans un bunker flatte <a href="https://www.abc.net.au/news/2022-03-05/life-in-a-kyiv-bunker-in-ukraine-amid-russia-invasion/100883742">son chien</a>.</p>
<p>Des gens ensanglantés et en état de choc émergent des décombres, serrant leurs animaux de compagnie dans leurs bras.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Une femme en parka porte un petit chien orange devant les décombres d’un bâtiment bombardé" src="https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451966/original/file-20220314-24-1tjrg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme tenant un petit chien marche devant un immeuble qui a été détruit par une frappe d’artillerie à Kyiv, le 14 mars 202.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Vadim Ghirda)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un homme qui s’enfuit d’un immeuble bombardé emporte un <a href="https://twitter.com/franakviacorka/status/1497540915539460096">chat et un poisson rouge</a>. Certaines personnes <a href="https://www.newsweek.com/ukraine-student-refuses-leave-without-pet-dog-1683127">refusent de quitter l’Ukraine sans leurs animaux</a>.</p>
<p>La guerre révèle diverses réalités, qu’elles soient brutales ou belles. La guerre en Ukraine met en lumière, de manière puissante et douloureuse, l’interdépendance des vies humaines et animales et, heureusement, notre détermination à agir avec amour, même quand on fait face à un danger mortel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1502001832926892042"}"></div></p>
<p>Les animaux domestiqués sont affectés par presque toutes les décisions humaines et surtout par celles qui comportent de la violence, que celles-ci se déroulent <a href="https://weanimalsmedia.org/about/what-is-animal-photojournalism/">discrètement dans des fermes industrielles</a> ou qu’elles soient capturées par les objectifs des photographes et diffusées dans le monde entier.</p>
<p>Les animaux sont toujours <a href="https://doi.org/10.2752/089279391787057189">affectés par la guerre</a>. Des millions de <a href="https://www.thebrooke.org/get-involved/every-horse-remembered/war-horse-facts">chevaux et d’ânes</a> appartenant à de pauvres paysans ont été emmenés jusqu’aux <a href="https://www.theatlantic.com/photo/2014/04/world-war-i-in-photos-animals-at-war/507320/">fronts meurtriers de la Première Guerre mondiale</a>, et des <a href="https://cupola.gettysburg.edu/ghj/vol17/iss1/7/">pigeons</a> devaient transporter des messages.</p>
<p>Aujourd’hui encore, les chiens d’utilité militaires sont soit <a href="https://abcnews.go.com/Lifestyle/hero-military-dog-saved-unit-afghanistan-chance/story?id=35419992">célébrés comme des héros</a>, soit <a href="https://www.warhistoryonline.com/news/combat-dogs.html?firefox=1">euthanasiés sans ménagement</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des chevaux et des cavaliers" src="https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451950/original/file-20220314-21-11jt0cv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Chevaux d’ambulance canadiens de la Première Guerre mondiale, en juillet 1916, à un endroit inconnu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(National Archives of Canada)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les animaux souffrent avec les humains</h2>
<p>Partout où la violence est un fléau persistant ou une éruption soudaine, les animaux souffrent aux côtés des victimes humaines. Les animaux ont une <a href="https://www.economist.com/news/essays/21676961-inner-lives-animals-are-hard-study-there-evidence-they-may-be-lot-richer-science-once-thought">vie intellectuelle</a> et <a href="https://www.npr.org/2013/05/27/185815445/questions-for-barbara-j-king-author-of-how-animals-grieve">émotionnelle riche</a> que nous <a href="https://wwnorton.com/books/Are-We-Smart-Enough-to-Know-How-Smart-Animals-Are/">commençons à peine à voir</a>.</p>
<p>En Ukraine, ils manifestent des sentiments de <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/03/06/ukraine-kyiv-russia-zoo/">peur intense</a>, de douleur et de confusion. Ils ne comprennent apparemment pas pourquoi leur monde est en train de basculer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme caresse un éléphant dont la trompe pointe vers le plafond dans une pièce caverneuse" src="https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449335/original/file-20220301-25-1pkzlja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un gardien d’animaux réconforte un éléphant anxieux au zoo de Kyiv, en Ukraine, alors qu’un important convoi de chars d’assaut et d’autres véhicules russes menace la capitale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Emilio Morenatti)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une certaine Alisa a fui Kyiv à pied avec sa mère, sa sœur, ses enfants et deux chiens — dont un berger allemand âgé nommé Pulya — et a confié son expérience à <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/mar/08/ukraine-russia-crisis-border"><em>The Guardian</em></a>.</p>
<blockquote>
<p>Ma chienne a 12 ans et demi et elle avait du mal à marcher et tombait tous les kilomètres environ et ne pouvait plus se relever. J’arrêtais des voitures et je demandais de l’aide, mais tout le monde refusait ; ils nous ont conseillé de laisser les chiens. Mais nos chiens font partie de notre famille. Ma chienne a vécu tous les moments heureux et tristes avec nous. Le chien de maman est tout ce qui lui reste de son ancienne vie. Alors mon mari a dû parfois porter notre chienne sur ses épaules.</p>
</blockquote>
<p>Dans ma famille, il y a des bergers allemands que nous avons secourus, et les images de cette chienne de 80 livres, au museau gris, transportée en Pologne pour qu’elle survive, m’ont serré le cœur. Nous ferions la même chose pour nos chiens. Nous n’aurons pas à le faire, et nous en sommes profondément reconnaissants. Mais personne ne devrait avoir à vivre ça.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501954291971416065"}"></div></p>
<p>Certains chevaux sont également <a href="https://www.horsetalk.co.nz/2022/03/07/borders-horses-evacuated-ukraine/">évacués d’Ukraine</a>, tandis que d’autres sont relâchés par des <a href="https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=5120758904649562&id=100001465099215">personnes pleines d’espoir</a> qui pensent qu’ils ont de meilleures chances de survivre par eux-mêmes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux chevaux tirent une charrette avec un médecin assis dans la paille avec sa trousse médicale" src="https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451977/original/file-20220314-131609-izai5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un médecin se déplace avec une charrette à cheval pour rendre visite à un patient atteint de Covid-19 dans le village de Verkhovyna, dans l’ouest de l’Ukraine, en janvier 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Evgeniy Maloletka)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On relâche aussi les chevaux lorsque des catastrophes naturelles, comme des incendies de forêt, <a href="https://www.kpbs.org/news/public-safety/2017/12/07/several-horses-killed-hundreds-let-loose-amid-fast">ravagent des territoires</a>. On peut anticiper et se préparer à certaines urgences. D’autres, comme les invasions, ne sont pas aussi faciles à prévoir, mais nous pouvons y réagir.</p>
<h2>Le monde aide les animaux</h2>
<p>Le monde réagit. Les pays voisins autorisent les animaux à entrer avec les migrants — certains, de façon honteuse, le font plus facilement qu’ils n’admettent les <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/01/world/europe/ukraine-refugee-discrimination.html">personnes racisées</a>. Des refuges et des vétérinaires fournissent des <a href="https://www.cnn.com/2022/03/12/world/animals-pets-rescued-ukraine/index.html">soins d’urgence</a>. Des organisations du monde entier élaborent des plans pour accueillir les <a href="https://journalmetro.com/actualites/montreal/2786878/des-animaux-ukrainiens-refugies-a-montreal/">animaux des réfugiés</a> d’Ukraine et d’ailleurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femâmgéee est assise sur une chaise, entourée d’une douzaine de chiens" src="https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451955/original/file-20220314-99009-ywmqfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans un poste de triage à Kyiv, en Ukraine, le 11 mars 2022, Antonina, 84 ans, est assise dans un fauteuil roulant après avoir été évacuée avec ses 12 chiens d’Irpine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Vadim Ghirda)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des animaux terrifiés ont été <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/kyiv-zoo-ukraine-russia-animal-rescue-b2028186.html">transportés des zoos</a> vers un lieu sûr. Des organisations à but non lucratif de <a href="https://www.eurogroupforanimals.org/news/how-you-can-support-animal-protection-organisations-ukraine">toute l’Europe</a> et <a href="https://www.ifaw.org/eu/news/emergency-aid-ukraine">du monde entier</a> envoient des fournitures et des vétérinaires. Elles ont besoin de soutien.</p>
<p>L’étendue réelle des dégâts reste à déterminer, mais les effets seront considérables. Lorsque les fermes et les refuges manqueront de nourriture, d’eau et de personnel, ou seront privés d’électricité, un nombre incalculable d’animaux souffriront et mourront, rapidement ou très lentement.</p>
<p><a href="https://www.politico.eu/article/eu-commission-warns-of-major-food-and-farming-impact-of-russia-ukraine-war/">Nous sommes tous interconnectés</a>, que ce soit à l’intérieur ou au travers des frontières, que ce soit à l’intérieur d’une même espèce ou entre les espèces. Les Ukrainiens qui restent dans leur pays et défendent la vie des autres font preuve d’une immense bravoure qui se loge au plus profond de l’esprit humain.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme porte un husky et d’autres personnes font la queue derrière elle" src="https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451980/original/file-20220314-131692-klya4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme porte un chien en traversant la rivière Irpine sur un chemin improvisé sous un pont au moment où les gens fuient la ville d’Irpine, en Ukraine, le 5 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Vadim Ghirda)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://globalnews.ca/news/8661361/volunteer-death-kyiv-ukraine/">Anastasiia Yalanskaya</a>, une jeune femme de 26 ans qui refusait de quitter Kyiv, a été tuée alors qu’elle livrait de la nourriture à un refuge pour animaux qui en était privé depuis trois jours. Une autre défenseure des animaux, <a href="https://www.pressreader.com/uk/daily-express/20220312/281702618187567">Natasha Derkach</a>, a été tuée alors qu’elle tentait de sauver des animaux à Dnipro, une ville frappée par des bombardements intensifs.</p>
<p>Les victimes sont bien plus nombreuses. Des Ukrainiens perdent leur vie en défendant des animaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501326796452728841"}"></div></p>
<h2>Réagir aux violences</h2>
<p>L’Ukraine a créé une société plus humaine à bien des égards. Nature Watch a travaillé en partenariat avec des organisations ukrainiennes pour <a href="https://naturewatch.org/campaigns/ukraine-animal-welfare/">lutter contre les violences et encourager une culture de soins pour les animaux</a>.</p>
<p>Une semaine avant le début de l’invasion russe, le 24 février 2022, une collègue m’a contactée pour aider une ville ukrainienne qui souhaitait créer la première unité de lutte contre la cruauté envers les animaux au pays. Ma collègue a ensuite reçu un <a href="https://twitter.com/hi_sight/status/1497887185411792897">message d’un défenseur des animaux</a> ukrainien qui craignait ne plus jamais pouvoir lui parler.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme embrasse un chat roux" src="https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451960/original/file-20220314-16-10c2mx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une femme joue avec son chat après avoir fui l’Ukraine et être arrivée à la gare de Przemyśl, en Pologne, le 8 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Daniel Cole)</span></span>
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<p>Cette guerre a exposé la violence des hommes qui terrorisent les humains et les animaux. Elle a montré à quoi ressemble vraiment la perte de liberté.</p>
<p>Cependant, le dévouement dont font preuve les Ukrainiens à l’égard des animaux montre que, même dans les moments les plus dangereux, la capacité de l’humain à la cruauté n’a d’égal que sa capacité à faire preuve de courage et de compassion. Nous pouvons être plus que de simples humains. Nous pouvons être véritablement humains.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179422/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kendra Coulter reçoit un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Elle est membre du Oxford Centre for Animal Ethics, du Collège des nouveaux chercheurs, artistes et scientifiques de la Société royale du Canada et du Comité de planification stratégique de la Coalition canadienne pour l'élimination de la violence.
</span></em></p>Cette guerre met en lumière l’interdépendance des vies humaines et animales et notre détermination à agir avec amour, même quand on fait face à un danger mortel.Kendra Coulter, Chancellor's Chair for Research Excellence and Associate Professor in the Department of Labour Studies, Brock UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1796792022-03-23T19:23:16Z2022-03-23T19:23:16ZLa Transnistrie, prochaine étape de la guerre en Ukraine ?<p>Les explosions qui ont <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-des-explosions-en-transnistrie-la-moldavie-convoque-un-conseil-de-securite-nationale-10729866.php">eu lieu la semaine du 25 avril</a> interrogent : faut-il y voir la main de la Russie, désireuse de mobiliser ses troupes locales afin d’ouvrir un nouveau front avec l’Ukraine ? L’Ukraine souhaite-t-elle au contraire attaquer préventivement des troupes transnistriennes, qui ne bénéficient pas aujourd’hui d’une continuité territoriale avec l’armée russe, tout en rejetant la faute sur Moscou ? Faut-il suivre les autorités moldaves quand elles font l’hypothèse d’une dissension interne entre des groupes pro-russes souhaitant s’engager (liés aux services de sécurité et de renseignement de Russie) et des groupes plus proches des milieux d’affaires souhaitant plutôt la neutralité de l’entité séparatiste, très liées aux milieux d’affaires ukrainiens et dont le débouché principal est la ville d’Odessa ?</p>
<p>Ces différentes questions amènent à revenir à la nature même de ce conflit séparatiste, singulier parmi les conflits post-soviétiques.</p>
<p>En effet, la guerre en Ukraine ne manque pas d’inquiéter les pays voisins et, en premier lieu, la petite Moldavie (2,6 millions d’habitants), qui joue aujourd’hui un rôle essentiel dans l’accueil des <a href="https://theconversation.com/la-pressante-question-des-refugies-ukrainiens-en-moldavie-178793">réfugiés de l’Ukraine du Sud</a>.</p>
<p>La situation de cette ancienne république soviétique, indépendante depuis 1991 et neutre depuis 1994, coincée entre une Roumanie membre de l’OTAN et une Ukraine en guerre, est d’autant plus précaire qu’elle doit composer quasiment, depuis son indépendance, avec un territoire séparatiste pro-russe situé dans sa partie orientale, la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-3-page-69.htm">Transnistrie</a>.</p>
<p>Cette dernière entité, où résident quelque 470 000 personnes, accueille <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-3-page-107.html">environ 1 500 militaires russes</a>, présents dans le cadre d’une mission de maintien de la paix, ainsi que d’importants stocks d’armement hérités de l’URSS.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=697&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=697&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=697&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=876&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=876&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/453608/original/file-20220322-20-2tldfc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=876&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de la Transnistrie, en rouge.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Serhio/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Si les affrontements entre Transnistriens et Moldaves <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2016-3-page-105.htm">n’ont pas repris depuis juillet 1992</a>, et si les deux parties cohabitent d’une façon relativement sereine, entretenant notamment des <a href="https://eurasianet.org/moldova-separatist-transnistria-region-reorienting-trade-from-russia-to-eu">échanges commerciaux</a> assez fournis, la situation en Ukraine, et <a href="https://www.euronews.com/my-europe/2022/03/18/ukraine-war-fears-grow-that-russia-will-target-former-soviet-state-of-moldova-next">d’éventuels appétits russes pour la Transnistrie</a> pourraient à brève échéance venir fragiliser cet équilibre.</p>
<h2>Du conflit de 1992 à aujourd’hui</h2>
<p>Sans entrer dans une chronologie trop détaillée, rappelons brièvement que, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Bessarabie, dont le territoire correspond peu ou prou à l’actuelle Moldavie (moins la Transnistrie), et qui appartenait depuis un siècle à l’empire des tsars, est intégrée à la Roumanie. Le territoire de la Transnistrie actuelle, lui, demeure alors aux mains de l’URSS. En 1924, celle-ci y instaure une entité administrative nommée République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), qui est incorporée à la République socialiste sovétique d’Ukraine.</p>
<p>En 1940, l’URSS occupe et annexe la Bessarabie, qu’elle s’empresse de fusionner avec la RASSM pour créer une « République socialiste soviétique de Moldavie ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-9-mai-vu-de-moldavie-une-memoire-smuglyanka-137760">Le 9 mai vu de Moldavie : une « mémoire Smuglyanka »</a>
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<p>La RSS de Moldavie subsistera pendant cinquante ans au sein de l’URSS, en tant qu’égale des quatorze autres Républiques (Russie, Ukraine, Biélorussie, les trois républiques baltes, les trois républiques du Caucase et les cinq républiques d’Asie centrale) et deviendra donc indépendante en 1991, quand l’URSS s’effondre.</p>
<p>À ce moment-là, l’union de la Transnistrie et de la Bessarabie est déjà fissurée. Depuis quelques années, sentant l’URSS vaciller, la Bessarabie envisage très sérieusement un rattachement à la Roumanie. La Transnistrie, aux liens étroits avec Moscou, décide de faire sécession dès 1990, mais le centre soviétique rejette cette option. C’est donc ensemble, en tant qu’État de Moldavie, que la Bessarabie et la Transnistrie accèdent en 1991 à l’indépendance. La Transnistrie proclame aussitôt son indépendance vis-à-vis de la Moldavie, ce qui entraîne un <a href="https://www.penseemiliterre.fr/la-transnistrie-derniere-bataille-de-l-armee-rouge-premier-engagement-de-l-armee-russe_668_1013077.html">conflit</a> violent peu après. De mars 1992 jusqu’au cessez-le-feu du 21 juillet 1992, la 14<sup>e</sup> Armée russe, venue soutenir les sépratistes transistriens, et les forces moldaves se livrent à des affrontements violents, qui font plus de 2 000 morts.</p>
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<p>Depuis, le conflit n’a pas connu de nouveaux épisodes et est dit « gelé », expression pouvant d’ailleurs être avantageusement remplacée par l’épithète « non-résolu », la Transnistrie étant de facto indépendante, mais reconnue par aucun État, pas même la Russie, qui la soutient pourtant largement. C’est pour trouver une solution diplomatique et politique à ce statu quo que la Moldavie a adopté le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-la-moldavie-sollicitee-par-lue-et-washington-veut-rester-neutre">statut de pays neutre</a> lors de l’adoption de sa Constitution en 1994.</p>
<p>Au cours des 28 dernières années, les différentes tendances politiques du pays qui se sont succédé au pouvoir, qu’elles aient été classées pro-russes (comme Igor Dodon, président de 2016 à 2020) ou pro-européennes, comme l’actuelle présidente Maïa Sandu, ont toutes souhaité conserver ce statut. Il implique la non-adhésion de la Moldavie à une alliance militaire comme l’OTAN, mais exige aussi le départ de Transnistrie des troupes russes présentes depuis 1992. Ce départ est régulièrement réclamé par les autorités moldaves dans les enceintes internationales. Récemment encore, Maïa Sandu <a href="https://www.eurotopics.net/fr/252493/la-moldavie-demande-le-depart-des-soldats-russes-de-transnistrie#">a rappelé cette exigence</a>, recevant une fin de non-recevoir de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.</p>
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<figcaption><span class="caption">Moldavie : Transnistrie, le bastion russe | Arte, 16 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Depuis la fin des hostilités en 1992, un format de négociation a pris place, incluant la Russie, l’Ukraine, l’OSCE, ainsi que la Moldavie et la Transnistrie, afin de trouver la voie d’un règlement politique passant par une forme d’autonomie de la Transnistrie au sein d’une Moldavie réintégrée.</p>
<p>Hélas, la Russie, si elle n’a jamais reconnu l’indépendance de la Transnistrie, n’a pas non plus aidé de manière déterminante à régler le conflit. Elle avait proposé en 2003 sa propre solution par le biais du <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-1-page-78.htm">mémorandum Kozak</a> (du nom du négociateur russe Dmitri Kozak, né en Ukraine et aujourd’hui chef adjoint de l’administration présidentielle russe en <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n172/article/kiev-moscou-si-loin-si-proches">charge des relations avec l’Ukraine</a>), mais cette tentative n’a pas été couronnée de succès. Si les discussions ont continué depuis lors, il n’y a plus eu de rencontre de haut niveau depuis l’automne 2019.</p>
<p>Il n’en reste pas moins que – en tout cas jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier – ce conflit apparaissait probablement comme celui qui avait le plus de chances d’être réglé de tous les <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">conflits gelés post-soviétiques</a>. Après trois décennies sans affrontement, un <em>modus vivendi</em> s’est dégagé entre les deux parties, les tensions étant limitées et exprimées en termes interpersonnels, tandis que le pragmatisme économique poussait à entretenir des relations relativement étroites. Ainsi, le club de football du Sheriff Tiraspol (Tiraspol est la « capitale » de la Transnistrie), qui s’est illustré lors de sa participation cette année à la Ligue des Champions, joue dans le championnat moldave. Preuve qu’un espace de coexistence entre Moldaves et Transnistriens est possible, au moins sur les terrains de sport !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/transnistrie-exister-grace-au-football-172448">Transnistrie : exister grâce au football ?</a>
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<h2>Comment la guerre en Ukraine rebat les cartes</h2>
<p>En premier lieu, la Moldavie se rapproche-t-elle d’un conflit ouvert avec la Russie ? Pour l’heure, les autorités de Chisinau sont surtout concentrées sur l’accueil des réfugiés ukrainiens et sur la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/l-ukraine-et-la-moldavie-reliees-en-urgence-au-reseau-electrique-europeen/">question énergétique</a>, considérant que l’extension de la guerre à leur territoire est peu probable. Plusieurs observateurs, comme le Roumain <a href="https://www.tylaz.net/2022/03/19/mircea-geoana-the-republic-of-moldova-is-not-a-military-target-for-russia/">Mircea Geoana</a>, secrétaire général adjoint de l’OTAN, ou l’ambassadeur américain en Moldavie, <a href="https://www.tylaz.net/2022/03/21/us-ambassador-to-chisinau-we-have-no-indications-yet-that-moldova-could-be-the-target-of-a-russian-attack/">Kent Logsdon</a>, partagent cet avis. Il est vrai que la Moldavie revêt moins d’importance pour Moscou que l’Ukraine.</p>
<p>Sur un plan militaire, l’évolution de la région dépend directement du sort <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-odessa-se-prepare-a-l-assautrusse_5030431.html">réservé au port d’Odessa</a>, ville du sud de l’Ukraine située à quelque 60 kilomètres seulement de la Moldavie. En effet, si Marioupol permet de boucler la mer d’Azov, le port d’Odessa permet à la Russie de contrôler <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-lamernoire-un-enjeu-strategique-pour-la-russie_5027391.html">l’ensemble du littoral ukrainien</a>, coupant le territoire ukrainien d’un accès à la mer. Dans ce cas, on peut estimer que le nombre de réfugiés grandirait encore en Moldavie, alors qu’elle a déjà vu passer 360 000 personnes depuis le début de la guerre.</p>
<p>Cet objectif de contrôle du littoral explique certainement l’ampleur des attaques contre Mykolaev, ville âprement disputée entre Russes et Ukrainiens. Ce n’est qu’après les éventuelles chutes de Mykolaev et d’Odessa que la Russie peut s’offrir un couloir vers la Transnistrie ; il n’est pas sûr, parallèlement, que la Transnistrie puisse jouer un rôle déterminant dans l’offensive russe dans la région, au vu du faible nombre d’hommes disponible.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1505178331385417730"}"></div></p>
<p>La guerre en Ukraine a également incité plusieurs pays <a href="https://www.europe1.fr/international/lue-lance-lexamen-des-candidatures-de-lukraine-de-la-georgie-et-de-la-moldavie-4097939">à s’orienter vers l’Union européenne</a>. Ainsi, comme l’Ukraine avant elle, et en même temps que la Géorgie, la Moldavie a demandé son adhésion à l’Union européenne. Si la « voie accélérée » réclamée par ces trois pays <a href="https://theconversation.com/lukraine-peut-elle-adherer-rapidement-a-lue-178842">n’existe pas dans les faits</a>, ces demandes ont au moins eu pour mérite d’attirer l’attention des capitales européennes sur le sort de ces pays, ainsi que sur leur demande d’adhésion.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499269650558894080"}"></div></p>
<p>Si la Géorgie et la Moldavie ont pris position pour le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, ces deux pays n’ont en revanche pas repris à leur compte la politique de sanctions prises par l’UE. Le ministre moldave des Affaires étrangères, Nicu Popescu, a en effet <a href="https://interfax.com/newsroom/top-stories/74843/">concédé</a> qu’il serait difficile d’adopter les sanctions sans subir de représailles insurmontables. Il faut noter qu’en 2014, la Moldavie ne soutenait pas davantage les sanctions imposées à la Russie après l’annexion de la Crimée.</p>
<h2>Tensions encore ravivées par une résolution du Conseil de l’Europe</h2>
<p>Enfin, sur le plan diplomatique, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/16/guerre-en-ukraine-la-russie-officiellement-exclue-du-conseil-de-l-europe_6117810_3210.html">départ de la Russie du Conseil de l’Europe</a> a eu une incidence directe pour la Moldavie. En effet, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a voté une résolution dans laquelle la Transnistrie a été <a href="https://balkaninsight.com/2022/03/16/council-of-europe-designates-transnistria-russian-occupied-territory/">qualifiée de zone d’occupation russe</a>.</p>
<p>Cette interprétation a naturellement suscité des contestations à Tiraspol. Les autorités transnistriennes ont qualifié le document de « détaché de la réalité » et « extrêmement dangereux », ainsi qu’à Moscou où l’on considère que <a href="https://novostipmr.com/en/news/22-03-17/maria-zakharova-pace-resolution-pridnestrovie-it-does-not-reflect">cette résolution ne tient pas compte des réalités du terrain</a>. Le ministre moldave des Affaires étrangères Nicu Popescu, s’est contenté de rappeler que cette résolution reflétait « l’opinion politique des parlementaires des pays membres du Conseil de l’Europe ». Dans le même temps, Popescu a souligné que Chisinau continuerait à chercher des solutions pour la réintégration du pays et insisterait sur le retrait des troupes russes du territoire de la Moldavie.</p>
<p>En conclusion, si les inquiétudes sur une reprise du conflit sont au plus haut depuis trois décennies, la Moldavie s’appuie en ce moment sur son statut d’État neutre pour éviter d’être à son tour enrôlée dans la guerre. Mais la prudence des autorités de Chisinau ne pèsera sans doute pas lourd si Vladimir Poutine parvient à s’emparer d’Odessa et de décider que la Transnistrie sera la prochaine étape de sa guerre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179679/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Parmentier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Transnistrie vit en quasi-indépendance de la Moldavie depuis trente ans. Ce territoire jugé « pro-russe » et frontalier de l’Ukraine pourrait être convoité par la Russie dans un proche avenir.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1796212022-03-21T20:07:48Z2022-03-21T20:07:48ZGuerre en Ukraine : explosion à venir de l’épidémie de Covid ?<p>L’invasion de l’Ukraine par la Russie a déjà – et continuera d’avoir – des conséquences sanitaires et socio-économiques dramatiques pour le peuple ukrainien. L’une de ces conséquences sera presque certainement l’augmentation de la charge du Covid.</p>
<p>Le 10 février 2022, l’Ukraine a signalé <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/ukraine">37 000 nouveaux cas de Covid</a>, soit son total quotidien le plus élevé depuis le début de la pandémie. Depuis l’apparition du SARS-CoV-2, le pays a enregistré plus de 5 millions de cas confirmés et plus de 100 000 décès. Plus d’un million de ces cas sont survenus depuis le début de l’année 2022, avec une forte augmentation des infections en février. Les décès ont également augmenté.</p>
<p>Après l’invasion, l’Ukraine a d’abord ralenti la communication de ces données avant de s’arrêter complètement. Il n’existe désormais aucune mesure de l’évolution de Covid dans le pays. À partir de maintenant, toutes les statistiques sur les cas et les décès seront donc sous-estimées.</p>
<p>Mais ce qui est clair, c’est que la guerre a commencé à un moment où l’épidémie était manifestement en augmentation.</p>
<p>Ce problème est aggravé par le fait que la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/ukraine">couverture vaccinale contre le Covid du pays est faible</a>, 36 % seulement de la population ayant reçu une ou plusieurs doses de vaccin. Une proportion élevée d’Ukrainiens reste donc susceptible non seulement d’attraper le Covid, mais aussi de subir les conséquences potentielles d’une hospitalisation et d’un décès – qui sont bien plus probables chez les personnes non vaccinées.</p>
<p>Ainsi, même en temps de paix, il y aurait eu lieu de s’inquiéter de la manière dont les <a href="http://www.eiu.com/industry/article/1739271957/ukraine-health-system-ill-equipped-to-cope-with-coronavirus/2020-03-25">systèmes de santé relativement fragiles</a> en Ukraine pourraient gérer de nouvelles vagues d’infections par le coronavirus. Or, il est encore plus difficile de fournir des soins lors de conflits.</p>
<p>Les gens cherchant à se mettre à l’abri par tous les moyens, les épidémies en deviennent presque impossibles à contrôler.</p>
<h2>Des conditions optimales pour la transmission</h2>
<p>À la mi-mars 2022, on estime que <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-60555472">trois millions de résidents ukrainiens</a> ont fui leur pays. Les groupes humanitaires et les agences sanitaires qui s’occupent de la santé des réfugiés sont donc susceptibles de recevoir un grand nombre de personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées contre le Covid. En outre, il existe déjà des <a href="https://www.who.int/publications/m/item/weekly-epidemiological-update-on-covid-19---15-march-2022">niveaux élevés de Covid en Europe</a>, et la charge de coronavirus chez les Ukrainiens, bien qu’essentiellement inconnue, est susceptible d’être importante.</p>
<p>Daté du 18 février 2022, le <a href="https://ourworldindata.org/grapher/positive-rate-daily-smoothed?tab=chart&country=%7EUKR">dernier taux de positivité connu pour l’Ukraine était de 60 %</a> (proportion de tests Covid positifs). Il s’agit d’une valeur incroyablement élevée, qui indique qu’il existait déjà des foyers incontrôlés dans le pays avant le début de la guerre. Cela suggère que même si le nombre de cas a récemment atteignait déjà un niveau record, il était <a href="https://publichealth.jhu.edu/2020/covid-19-testing-understanding-the-percent-positive">probablement sous-estimé</a> de manière significative.</p>
<p>Cela signifie que les personnes vulnérables aux pires effets du Covid se mélangent à des groupes dans lesquels le virus est susceptible de circuler massivement. Le fait d’être déplacé ou de s’abriter du conflit ne fait qu’accroître ce risque.</p>
<p>Les <a href="https://www.wsj.com/articles/nearly-1-million-child-refugees-have-fled-ukraine-for-poland-since-war-began-11647428401">logements d’urgence dans les pays voisins</a>, avec des dizaines ou des centaines de lits regroupés dans une seule pièce, offrent un abri et un répit aux réfugiés… Cependant, la promiscuité qui y règne donne aussi un terrain propice au développement des maladies infectieuses respiratoires.</p>
<p>La transmission des coronavirus y est donc probable. D’autres infections, comme la grippe ou la tuberculose, pourront également y constituer un problème de santé publique. Il est aussi probable que l’on observe le développement d’autres épidémies de maladies infectieuses, allant de la <a href="https://www.unhcr.org/uk/news/latest/2017/10/59d4b5f24/unhcr-tackles-diarrhoea-outbreaks-bangladesh-camps.html">diarrhée</a> à la <a href="https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.04.28.21256211v1.full">gale</a>.</p>
<p>C’est peut-être la rougeole qui est le meilleur analogue de Covid dans cette situation. Il s’agit d’un virus respiratoire hautement infectieux, souvent grave chez les enfants non vaccinés, et dont les épidémies sont très fréquentes lorsque les <a href="https://gh.bmj.com/content/5/9/e003515">soins de santé de routine sont interrompus</a>, comme dans les crises humanitaires et les zones de conflit.</p>
<p>Le <a href="https://www.news-medical.net/health/What-is-R0.aspx">nombre de reproduction de base</a> (R₀) de la rougeole (nombre de personnes qu’une personne infectée infectera en moyenne dans une population donnée) est <a href="https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(17)30307-9/fulltext">souvent estimé entre 12 et 18</a>. Le R₀ d’Omicron est encore en cours d’estimation, mais ce variant est connu pour être plus infectieux que les précédents. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35262737/">Une estimation le situe à 8,2</a> (<em>certains le font même monter à <a href="https://theconversation.com/omicron-les-problemes-que-pose-un-variant-trois-fois-moins-severe-mais-deux-fois-plus-transmissible-174587">plus de 10</a>, ndlr</em>). Comme il se propage facilement, le risque d’épidémie dans les zones de conflit et les abris pour réfugiés est élevé, comme pour la rougeole.</p>
<h2>Le risque de voir émerger un autre variant</h2>
<p>Un autre facteur à prendre en compte est que plus le nombre de cas de Covid est élevé, plus le <a href="https://www.scientificamerican.com/article/omicron-is-here-a-lack-of-covid-vaccines-is-partly-why1/">risque d’apparition de nouveaux variants est grand</a>.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/covid-19-in-india-an-unfolding-humanitarian-crisis-159654">variant Delta est presque certainement né de la catastrophe</a> qu’a été la vague de printemps en Inde en 2021, qui a entraîné des centaines de milliers, voire des millions, de <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02796-3/fulltext">décès dus au Covid</a>. Et on pense que les variants Alpha et Bêta sont apparus respectivement au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, à l’occasion de flambées incontrôlées.</p>
<p>Or chaque nouveau variant vient avec de nouveaux risques, par exemple en ce qui concerne l’efficacité des vaccins.</p>
<p>La tragédie qui se déroule en Ukraine menace les efforts déployés dans le monde entier pour lutter contre le nouveau coronavirus. Les populations déplacées et réfugiées ont besoin de soutien, non seulement en Ukraine mais aussi ailleurs, par exemple au Tigré ou auprès des réfugiés afghans qui ont fui le régime des talibans.</p>
<p>Pour maîtriser la pandémie de Covid, il faut une coopération mondiale en matière de santé publique et des populations hautement vaccinées aux quatre coins du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179621/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael Head a reçu des financements de la Fondation Bill & Melinda Gates et du ministère britannique du développement international.</span></em></p>La situation sanitaire en Ukraine devient dramatique. Le conflit vient en effet mettre en péril le contrôle déjà précaire de l’épidémie de Covid au sein d’une population vulnérable car peu vaccinée.Michael Head, Senior Research Fellow in Global Health, University of SouthamptonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1793842022-03-17T19:26:39Z2022-03-17T19:26:39ZProscrits, déplacés, réfugiés : ce que révèle le vocabulaire de la migration contrainte<p><em>Émigrés</em> et <em>proscrits</em>, <em>migrants</em> et <em>exilés</em>, <em>demandeurs d’asile</em> et <em>réfugiés</em>. Le vocabulaire utilisé pour désigner celles et ceux qui subissent les migrations contraintes est révélateur des représentations contrastées qui leur sont attachées.</p>
<p>Si les médias ont beaucoup usé du terme <a href="https://theconversation.com/voyons-nous-les-migrants-comme-etrangers-a-lhumanite-176176"><em>migrants</em></a> pour désigner les personnes fuyant sous la contrainte le sud de la Méditerranée et la corne de l’Afrique vers l’Union européenne au cours des années 2010, le mot n’est quasiment jamais appliqué aux millions d’exilés ukrainiens auxquels l’Union européenne accorde à si juste titre la protection temporaire.</p>
<p>Un détour par l’histoire montre tout l’intérêt qu’il y a d’étudier les phénomènes d’exil en <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/4130#xd_co_f=ZjMxNmY0OWYtOGJlZi00YjI2LTlkNzgtNDhmNDU5ZmQ0MGU1%7E">tenant compte du vocabulaire qui leur est appliqué</a>. C’est l’un des fils directeurs de mon ouvrage <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/En-exil"><em>En exil. Les réfugiés en Europe de la fin du XVIIIᵉ siècle à nos jours</em></a>, qui se propose de remettre en perspective l’histoire européenne et contemporaine de l’exil.</p>
<p>Ce terme renvoie à la fois à un arrachement à sa patrie, à une situation forcée d’attente, et à une position depuis laquelle peuvent s’affirmer de nouvelles formes de mobilisation et d’engagement.</p>
<h2>« Exilés » et « proscrits » après les guerres napoléoniennes</h2>
<p>L’acte final du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/congres-de-vienne-en-bref/">Congrès de Vienne</a>, en 1815, a mis un terme aux guerres napoléoniennes. Il s’agissait pour les monarques européens de redécouper le continent et d’y assurer la paix.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Congrès de Vienne par Jean Godefroy d’après l’œuvre de Jean‑Baptiste Isabey.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CC BY-SA 3.0</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le nombre d’opposants alors chassés de leur pays pour des motifs politiques a augmenté et ceux-ci ont été de plus en plus fréquemment qualifiés en français d’« exilés » ou de « proscrits ».</p>
<p>Comme l’écrivit plus tard Victor Hugo dans les <a href="https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Hugo-travailleurs.pdf"><em>Travailleurs de la mer</em></a>, le vocabulaire lui-même contribuait alors à distinguer les exils de patriotes et de libéraux – les « proscriptions » – des mouvements migratoires qui avaient affecté les contre-révolutionnaires durant la Révolution française – les « émigrations ».</p>
<p>Au début des années 1820, dans l’Europe des Restaurations monarchiques, alors même que Napoléon Bonaparte terminait sa vie banni sur l’île de Sainte-Hélène, les révolutions survenues en Europe méridionale ont <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100872050">jeté sur les routes de l’exil Grecs, Italiens et Espagnols</a>.</p>
<p>Au cours de la décennie suivante, les révolutions réprimées <a href="https://www.herodote.net/29_novembre_1830-evenement-18301129.php">à Varsovie</a> et en Italie centrale en 1831 ont encore amplifié ces mouvements. C’est dans un contexte où les <a href="https://asileurope.huma-num.fr/ressources-iconographiques/jean-baptiste-madou-souvenirs-demigration-polonaise-1834">patriotes polonais</a> fuyant la répression russe arrivaient par milliers en France – 7 000 d’entre eux étaient secourus par le gouvernement en 1832 – que la monarchie de Juillet a adopté une première loi sur les « étrangers réfugiés ».</p>
<p>Ce texte d’avril 1832, encore flou sur la façon de les définir, a été complété par une abondante réglementation ministérielle qui a précisé les contours de ce groupe particulièrement contrôlé (voir le corpus de circulaires ministérielles rassemblé sur le <a href="https://asileurope.huma-num.fr/circulaires-sur-les-refugies">site du programme ANR AsileuropeXIX)</a>.</p>
<p>Le « réfugié » s’imposait alors en Europe occidentale comme une nouvelle catégorie administrative, ce qui n’empêchait pas les personnes parties sous la contrainte de revendiquer d’autres appellations : celle d’exilé en français, <em>exile</em> en anglais ou <em>esule</em> en italien (voir <a href="https://asileurope.huma-num.fr/le-vocabulaire-de-lexil">l’ébauche de lexique européen de l’exil et de l’asile pour le XIXᵉ siècle</a> proposé par le site du programme ANR AsileuropeXIX).</p>
<h2>L’exilé politique mal accueilli à la fin du XIXᵉ siècle</h2>
<p>Le dernier tiers du XIX<sup>e</sup> siècle a marqué un nouveau point de bascule dans la façon dont les personnes contraintes de quitter leur pays pour leurs idées étaient considérées et traitées à travers le continent européen.</p>
<p>Ainsi, les milliers d’hommes et de femmes partis à cause de la répression de la <a href="https://communards-1871.fr/index.php">Commune de Paris au printemps 1871</a> ont été particulièrement mal accueillis dans les pays d’asile qui se contentaient de les tolérer – Grande-Bretagne, Suisse, notamment – et où ils se voyaient parfois dénoncés comme étant de potentiels terroristes.</p>
<p>Ce mouvement s’est confirmé à la fin du siècle, avec <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-politique/les-mod%C3%A8les-politiques-pour-faire-l%27europe/les-mouvements-anarchistes-europ%C3%A9ens-fin-XIXe-d%C3%A9but-XXe-si%C3%A8cle">l’intensification des circulations transnationales d’anarchistes</a> : l’exilé politique était de moins en moins le bienvenu et se trouvait plus fréquemment assimilé à la figure du criminel qu’à celle du héros.</p>
<p>Avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2012-3-page-1.htm">deux guerres balkaniques (1912-1913)</a> puis les deux guerres mondiales, le XX<sup>e</sup> siècle a fait entrer le continent dans une ère où, plus que les répressions d’insurrections et de révolutions, les conflits armés sont devenus la principale cause de départ forcé à l’étranger.</p>
<p>L’exil ne concernait plus seulement les opposants politiques, mais des groupes entiers de civils visés par la progression de combats ou par des politiques de déportation de masse.</p>
<h2>Les « personnes déplacées » de l’après Seconde Guerre mondiale</h2>
<p>En 1945, la crise migratoire provoquée par la Seconde Guerre mondiale fut loin d’avoir été interrompue par l’armistice. En Europe de l’Ouest, l’exil, entendu comme arrachement à son foyer, représentait une expérience de masse, subie dans les années d’après-guerre par des millions de « personnes déplacées » (<em>displaced persons</em>).</p>
<p>Cette catégorie forgée par les Alliés leur permettait de désigner tous les individus en situation de déracinement au lendemain de la guerre : rescapés des camps de concentration en transit, anciens travailleurs forcés, prisonniers de guerre libérés, mais aussi expulsés des territoires de l’Est.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des personnes déplacées allemandes attendent dans la gare d’Anhalter à Berlin en 1945.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Everett Collection</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Parmi ces personnes dites « déplacées », se trouvaient aussi des groupes entiers qui, pour des raisons politiques, refusaient de rentrer dans leur patrie, comme ce fut le cas de nombreux réfractaires au retour en URSS.</p>
<p>Alors que l’immédiat après-guerre avait vu cette catégorie des « personnes déplacées » s’imposer, la création par les Nations unies du « Haut-Commissariat aux réfugiés » en 1950, puis la signature de la convention de Genève l’année suivante, allaient contribuer à placer de nouveau le « réfugié » sur le devant de la scène.</p>
<p>Cette convention de 1951 était la première à proposer une définition juridique et internationalement reconnue de ce statut, en se fondant sur le critère de la persécution individuelle.</p>
<p>Si son attribution a été généreuse en Europe occidentale au temps des Trente Glorieuses, sans toujours tenir compte en pratique de ce critère de la persécution individuelle, les années 1980 ont marqué un tournant en la matière.</p>
<p>Dans tous les pays grands pays d’asile européens, le taux d’accord du statut de réfugié a alors baissé drastiquement.</p>
<h2>Les « exilés » et « migrants » des « Printemps arabes »</h2>
<p>Avant même l’année 1989, tournant géopolitique majeur avec la chute du mur de Berlin, les pays d’Europe refermaient leurs frontières aux « demandeurs d’asile ».</p>
<p>De manière significative, cette expression était alors de plus en plus fréquemment employée pour renvoyer à celles et ceux qui sollicitaient le statut de réfugiés, sans être désormais certains de l’obtenir. La chercheuse Karen Akoka évoque dans son livre, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_asile_et_l_exil-9782707198792"><em>L’Asile et l’exil. Une histoire de la distinction réfugiés/migrants</em></a>, l’entrée dans « le régime des demandeurs d’asile » avec les années 1980.</p>
<p>C’est bien plus tard, à la faveur des nouveaux exils Sud-Nord produits par les « Printemps arabes » et par les guerres civiles dans la corne de l’Afrique, que le mot « migrant » s’est imposé.</p>
<p>Il permettait de désigner les personnes en situation d’exil cherchant à trouver refuge en Europe mais aussi ailleurs, puisque le continent n’était pas, de loin, le premier à les accueillir.</p>
<p>En français, ce terme avait déjà été employé dans les années 1960 <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-4-page-26.htm">pour désigner les Algériens venus en France</a> après l’indépendance de leur pays, mais il se trouvait ainsi chargé de nouvelles significations et placé au centre de l’attention médiatique.</p>
<p>Dans le même temps, le terme <em>migrant</em> était aussi utilisé dans les médias anglophones, mais son usage a fait l’objet à partir de l’été 2015 de vives critiques.</p>
<p>Plusieurs voix – celles de journalistes, de chercheurs, de politiques – se sont élevées contre l’usage de ce mot qui véhiculait une vision déshumanisante des étrangers tentant au péril de leur vie la traversée de la Méditerranée. Outre cette connotation négative et presque animale, le terme « migrant », en français comme en anglais, les enfermait dans une forme de mouvement perpétuel. Il tendait enfin à les disqualifier dans leurs efforts pour demander l’asile et pour obtenir le statut de réfugiés.</p>
<p>À travers l’histoire européenne de l’exil, on comprend donc que les termes utilisés pour désigner les personnes contraintes au départ ne sont ni évidents, ni neutres. Ils proposent une certaine vision, et parfois même supposent une explication, une légitimation ou au contraire un rejet de ces mouvements migratoires générés par la répression et par la guerre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Diaz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Constamment en Europe, des personnes ont dû fuir, pour échapper à la guerre ou chercher une vie meilleure. Mais la manière de les désigner n’a cessé de varier, au gré des représentations véhiculées.Delphine Diaz, Maîtresse de conférences en histoire, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788032022-03-17T19:26:22Z2022-03-17T19:26:22ZComment les politiques migratoires influencent notre sentiment d’empathie envers les réfugiés<p>L’exode d’une partie de la population ukrainienne après l’agression russe suscite une énorme vague d’émotion et une mobilisation sans précédent pour leur accueil. En France les élus de tous bords, la <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1145972/article/2022-02-27/accueil-de-refugies-ukrainiens-lille-martine-aubry-lance-un-appel-aux-habitants">maire socialiste de Lille</a> aussi bien que le maire RN de <a href="https://actu.fr/occitanie/perpignan_66136/louis-aliot-pret-a-accueillir-les-refugies-ukrainiens-qui-choisiraient-perpignan-comme-terre-d-accueil_49027468.html">Perpignan</a>, ont mis en place des dispositifs d’accueil et appellent leurs administrés à la solidarité.</p>
<p>Dans tous les pays d’Europe, les dispositions favorables à l’accueil des réfugiés, y compris par des pays et des villes qui y sont généralement hostiles, sont largement soutenues par les populations.</p>
<p>L’engagement au niveau individuel ou associatif dans des actions de solidarité (don, hébergement) avec les Ukrainiens est sans commune mesure avec celui dont ont pu bénéficier les migrants irakiens, syriens, afghans, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-des-migrants-a-la-frontiere-pologne-bielorussie/migrants-aux-frontieres-de-l-union-europeenne-la-bielorussie-peut-elle-vraiment-couper-le-gaz-a-l-europe_4842283.html">bloqués à la frontière</a> entre la Biélorussie et la Pologne à la fin de l’automne dernier.</p>
<p>En dépit d’images insoutenables d’enfants souffrant de faim et de froid, leur situation tragique n’a suscité qu’une compassion limitée dans les pays européens. Si l’épisode a été largement commenté dans les médias, l’indignation a surtout porté sur le comportement scandaleux de la Biélorussie poussant les migrants vers la Pologne, ce qui a été ressenti comme une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-des-migrants-a-la-frontiere-pologne-bielorussie/">agression envers l’UE</a>.</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.leparisien.fr/societe/ukrainiens-syriens-afghans-laccueil-des-refugies-en-france-est-il-a-geometrie-variable-02-03-2022-7PVBP3FS3FEZDNNU3OO3IYJJLQ.php">observateurs, journalistes</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/02/guerre-en-ukraine-le-contraste-est-frappant-avec-l-accueil-des-refugies-venant-des-pays-anciennement-colonises-qui-restent-indesirables-quels-que-soient-les-drames-qu-ils-vivent_6115889_3210.html">chercheurs</a>, acteurs du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-laccueil-des-refugies-ukrainiens-contraste-tres-durement-avec-le-sort-reserve-aux-refugies-afghans-et-syriens-deplore-rony-brauman_5000187.html">monde humanitaire</a>, militants <a href="https://www.bfmtv.com/cote-d-azur/deux-poids-deux-mesures-le-militant-cedric-herrou-denonce-la-difference-d-accueil-des-refugies_AV-202203100234.html">associatifs</a> ont souligné la forte différence de traitement face à des situations de détresse pourtant très semblables et intervenant de façon très rapprochée.</p>
<h2>Un changement notable dans les mots utilisés</h2>
<p>Dans les discours politiques et médiatiques, ce contraste dans la prise en charge des populations se traduit par un changement notable dans les mots utilisés pour configurer les situations d’afflux de personnes en exil. Certains ne sont plus de mise, comme le terme de crise migratoire, pourtant devenu depuis 2015 un lieu commun des discours sur les migrations ou celui d’invasion qui, en dépit des flux annoncés de plusieurs millions d’Ukrainiens fuyant la guerre, a disparu des rhétoriques politiques.</p>
<p>D’autres sont employés dans un sens différent. Par exemple le mot <em>solidarité</em> qui était principalement évoqué pour inciter les pays membres de l’UE au « partage du fardeau » de <a href="https://www.france-terre-asile.org/veille-europe-articles-archives/du-1er-au-15-d%C3%A9cembre-2020/pacte-sur-la-migration-et-l-asile-l-equilibre-entre-responsabilite-et-solidarite-au-c-ur-des-negociations">l’accueil des réfugiés</a> est désormais plus volontiers employé en direction des réfugiés <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220304IPR24785/les-deputes-saluent-la-solidarite-sans-faille-avec-les-refugies-ukrainiens">eux-mêmes</a>.</p>
<p>Plusieurs explications ont été avancées pour rendre compte de ce <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/04/face-aux-refugies-ukrainiens-les-europeens-retrouvent-le-sens-de-l-accueil_6116067_3210.html">« changement de paradigme »</a></p>
<h2>Facteurs d’empathie et d’identification</h2>
<p>Outre les raisons <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/moldavie-georgie-pays-baltes-finlande-pourquoi-ces-pays-s-inquietent-ils-des-ambitions-russes-en-europe_4989204.html">géopolitiques</a>, la plupart font référence à l’empathie qu’autorise la proximité avec les Ukrainiens : proximité géographique d’un pays en guerre « aux portes de l’Europe », proximité socio-économique avec des gens qui, selon les termes d’un commentateur sur BFM TV « partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures », proximité culturelle favorisant <a href="https://mronline.org/2022/03/02/were-europeans-christians-whites">l’identification</a> à des gens « qui nous ressemblent ».</p>
<p>S’il est vrai que la similitude des positions et des conditions sociales favorise l’empathie (ressentir les émotions de l’autre), l’identification mutuelle (reconnaître alter comme un ego) et la réciprocité des perspectives (se mettre à la place de l’autre), on sait aussi que les sentiments empathiques ou hostiles attachés à des catégories de personnes sont relatifs et varient selon les périodes historiques.</p>
<p>Les Italiens en France, objet d’une grande hostilité <a href="https://www.nationalgeographic.fr/histoire/ao%C3%BBt-1893-le-massacre-des-italiens-a-aigues-mortes">à la fin du XIXᵉ siècle</a> ont été rétrospectivement considérés comme des proches facilement intégrés par contraste avec les migrations ultérieures, musulmanes ou africaines.</p>
<p>Le regard porté sur les flux migratoires et leurs protagonistes est aussi l’objet de fluctuations et de retournements au gré des évènements. La mort d’un petit garçon kurde a pour un temps <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/09/03/migrants-reunion-de-tous-les-ministres-concernes-a-l-elysee_1374936/">soulevé une forte émotion</a> et suscité la compassion à l’égard des migrants naufragés en mer, retombés depuis dans une relative indifférence.</p>
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<figcaption><span class="caption">La mort d’Aylan Kurdi avait ému toute l’Europe en 2015, TF1.</span></figcaption>
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<h2>Quand les politiques publiques formatent les sentiments</h2>
<p>Pour rendre compte des dispositions accueillantes ou hostiles à l’égard des exilés dans la période contemporaine, un autre facteur, moins commenté, doit être pris en compte. Il s’agit de prendre la mesure de ce que les attitudes d’empathie, de méfiance, d’animosité envers les exilés doivent en propre au cadrage des flux migratoires qui s’est imposé dans les débats publics depuis ladite « crise migratoire » de <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-1-page-13.htm">2015</a>.</p>
<p>L’omniprésence dans les discours politiques de la différenciation entre réfugiés et immigrés, la mise en place de dispositif de triage entre ces deux catégories (les hot-spots), ont conforté l’idée qu’il y avait des « bons » à considérer avec bienveillance et des « mauvais » à considérer avec suspicion.</p>
<p>Les effets de ce cadrage sur les attitudes à l’égard des exilés n’avaient pas échappé au Défenseur des Droits Jacques Toubon qui, dès 2016, alertait sur les dangers de la distinction entre réfugiés et migrants économiques, ce dernier terme servant de fait, disait-il, à <a href="https://www.europe1.fr/societe/migrants-refugies-attention-aux-termes-employes-dit-jacques-toubon-2740606">disqualifier les personnes</a>.</p>
<p>L’étiquette « migrant » agit comme un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Stigmate-2092-1-1-0-1.html">stigmate</a>, un attribut discréditant qui s’impose à l’attention, au détriment des autres caractéristiques d’un individu, et qui instaure une frontière entre lui et nous.</p>
<p>À la disqualification du migrant, considéré comme un acteur économique indésirable, répond en miroir la valorisation du réfugié, considéré quant à lui sous un angle moral et politique. Plus que la différence entre des mouvements migratoires qui seraient objectivement différents, c’est le préjugement sur la valeur des personnes (le vrai réfugié, le faux réfugié, le migrant économique) qui oriente vers des attitudes accueillantes ou méfiantes.</p>
<h2>Réfugiés ou immigrés ?</h2>
<p>Les Ukrainiens correspondent de deux façons à la figure du <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article2441">« bon » réfugié</a>, celui qui a de « bonnes » raisons de s’exiler : fuir la guerre plutôt que la misère, être poussé à l’exil par la nécessité de la sécurité physique plus que par la recherche d’une vie meilleure. C’est aussi celui qui est porteur de valeurs au-delà de sa situation personnelle : la défense de la démocratie, la lutte pour la liberté, la défense de la patrie menacée.</p>
<p>Cette qualité essentielle de réfugié d’emblée accordée aux Ukrainiens – attestée par l’octroi par l’UE de la <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/ukraine-la-commission-propose-une-protection-temporaire-pour-les-personnes-fuyant-la-guerre-en-2022-03-02_fr">protection temporaire automatique</a> – est celle-là même qu’on avait refusé d’accorder aux Syriens en 2011, en dépit de conditions très similaires (la violence subie par les situations de guerre, l’oppression exercée par des puissances intérieures ou extérieures).</p>
<p>Les exilés africains, syriens ou afghans peuvent se voir accorder le <a href="http://www.espoirdasile.org/artc/Chiffres_de_l_asile_dans_l_UE/1157/fr/article/">droit d’asile</a>, ils restent néanmoins saisis sous le prisme de l’immigration, et de ce fait toujours discréditables. L’été dernier, la sympathie à l’égard des Afghans, considérés comme victimes du régime honni des talibans s’est rapidement retournée en méfiance face à la crainte d’une invasion et à « la nécessité de se protéger contre des flux irréguliers » (selon les <a href="https://www.franceinter.fr/societe/nous-proteger-des-flux-migratoires-irreguliers-la-petite-phrase-de-macron-qui-ne-passe-pas">termes</a> du président Macron).</p>
<h2>Les valeurs associées à des types sociaux racialisés</h2>
<p>Les considérations politiques ou économiques, morales ou utilitaristes peuvent se mélanger et on peut s’y référer alternativement pour porter des jugements sur l’une ou l’autre population migrante : on l’a vu récemment avec la déclaration (fortement et unanimement dénoncée) d’un député se félicitant de la valeur économique des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/bourlanges-lie-immigration-de-qualite-et-guerre-en-ukraine-et-fait-lunanimite-contre-lui_fr_6218e935e4b0ef74d72f1493">exilés ukrainiens</a>.</p>
<p>Dans l’autre sens, on a pu voir avec l’ouverture des frontières allemandes décidée par Angela Merkel en 2015 que des exilés qui étaient principalement syriens, irakiens ou afghans pouvaient (provisoirement il est vrai) échapper au stigmate du migrant économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Angela Merkel défend les réfugiés syriens, France 24, 2015.</span></figcaption>
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<p>Il n’en reste pas moins que les valeurs associées à des statuts migratoires (réfugié/migrant économique, immigré régulier/irrégulier) sont fortement articulées à des types sociaux racialisés.</p>
<p>Les réfugiés sont d’autant plus valorisés qu’ils sont perçus comme blancs/européens comme le sont les Ukrainiens, et les migrants sont d’autant plus stigmatisés qu’ils sont perçus comme africains/noirs. Cette racialisation est en grande partie un effet de la politique européenne des visas qui contraint les migrants africains à la clandestinité.</p>
<p>Comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2018-8-page-1.htm">François Héran</a>, la solution désespérée et coûteuse du passage clandestin confère aux migrants subsahariens « une visibilité médiatique sans comparaison avec la délivrance discrète de titres de séjour aux migrants d’autres continents ».</p>
<p>Les récits de discrimination et de racisme par les forces de l’ordre en Ukraine et en Pologne à l’égard des étrangers noirs, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/01/guerre-en-ukraine-le-difficile-exode-des-etudiants-africains_6115635_3212.html">étudiants pour la plupart</a> montrent bien que la reconnaissance symbolique du statut de réfugié a partie liée avec la racialisation des personnes. Renvoyés au statut de migrants indésirables, les étudiants nigérians se heurtent aux mêmes barbelés que les demandeurs d’asile syriens, irakiens ou afghans.</p>
<p>Au-delà des indignations et des dénonciations du racisme dans les pays d’Europe orientale, les images des personnes d’origine africaine errant dans des zones de no man’s land aux frontières de l’Europe agissent comme un révélateur de la permanence de la ligne de couleur qui structure les discours politiques et les pratiques gestionnaires des flux migratoires. Elles amènent à s’interroger de façon plus générale sur les problèmes éthiques et politiques que pose la discrimination entre des catégories d’exilés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178803/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jocelyne Streff Fenart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le préjugement sur la valeur des personnes (le vrai réfugié, le faux réfugié, le migrant économique) oriente vers des attitudes accueillantes ou méfiantes.Jocelyne Streff Fenart, Sociologue, Directrice de recherche émerite au CNRS,, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789542022-03-14T17:04:52Z2022-03-14T17:04:52ZRéfugiés ukrainiens : la nouvelle politique canadienne va-t-elle s’étendre aux autres demandeurs d’asile ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451894/original/file-20220314-119643-y76w3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C0%2C4789%2C3183&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un train avec des réfugiés fuyant l'Ukraine traverse la frontière à Medyka, en Pologne, le 7 mars 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Visar Kryeziu)</span></span></figcaption></figure><p>En deux semaines, <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">plus de 2,8 millions de personnes</a> ont fui l’invasion russe de l’Ukraine.</p>
<p>La communauté ukrainienne au Canada est la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/canadiens-dorigine-ukrainienne">2ᵉ plus importante au monde</a>. Nombre d’entre eux ont <a href="https://rli.blogs.sas.ac.uk/2022/03/04/forced-displacement-from-ukraine-notes-on-humanitarian-protection-and-durable-solutions">vécu la migration forcée</a>.</p>
<p>Le Canada est connu comme une terre d’accueil pour les réfugiés : les Vietnamiens dans les années 1970, les Syriens et les Afghans plus récemment. Il est reconnu comme un <a href="https://www.ubcpress.ca/crossing-laws-border">leader mondial de la réinstallation de réfugiés</a>. Mais la réponse canadienne au déplacement ukrainien se distingue de celles du passé.</p>
<p>Nous sommes trois chercheuses travaillant sur la question des réfugiés et de leur immigration au Canada. Je travaille sur les rapports de pouvoir en matière d’accueil des réfugiés au Québec et ailleurs, et mes co-autrices Jamie Chai Yun Liew est experte en droit d’asile et d’immigration et Shauna Labman, spécialiste du parrainage des réfugiés au Canada.</p>
<h2>Nouvelles mesures d’admission</h2>
<p>Le 24 février 2022, le jour de l’attaque russe contre l’Ukraine, le gouvernement de Justin Trudeau introduisait de <a href="https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/communiques/2022/02/24/canada-annonce-de-nouvelles-mesures-soutenir-lukraine">nouvelles mesures de soutien à l’accueil des Ukrainiens</a>.</p>
<p>L’<a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/nouvelles/2022/03/le-canada-accueillera-les-personnes-fuyant-la-guerre-en-ukraine.html">Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine</a> permet à tous les ressortissants ukrainiens fuyant l’invasion russe de faire une demande d’admission au Canada pour une durée d’au moins deux ans. Le Canada procède également au <a href="https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/communiques/2022/02/24/canada-annonce-de-nouvelles-mesures-soutenir-lukraine">traitement accéléré de réunification avec des membres de la famille immédiate</a> de citoyens canadiens, prolonge le séjour des Ukrainiens au Canada et offre des permis de travail et d’études ouverts à ceux et celles qui ne peuvent pas retourner chez eux.</p>
<p>La communauté ukrainienne au Canada et les défenseurs des réfugiés <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/canada-unlimited-number-ukrainians-1.6371288">se sont réjouis</a> de ces mesures, mais ont aussi fait part de leurs <a href="https://globalnews.ca/news/8663463/non-citizens-ukraine-excluded-canadian-refugee-program-war/">craintes</a>.</p>
<p>Les Ukrainiens qui demandent l’Autorisation de voyage d’urgence ont besoin d’un visa pour le Canada, alors que plusieurs pays d’Europe ont <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-03-09/le-kosovo-elimine-l-obligation-de-visa-pour-les-ukrainiens.php">suspendu cette demande</a> pour les Ukrainiens. Le Canada a pris des mesures pour augmenter sa capacité d’identification des Ukrainiens en Europe centrale, dans les pays où ils fuient. De nombreux frais d’obtention de documents de voyage sont aussi suspendus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un gros avion de ligne se trouve sur un tarmac avec des lignes jaunes au premier plan" src="https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450730/original/file-20220308-13-lrurd7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Du personnel de l’Aviation royale du Canada charge des biens destinés à l’Ukraine à la BFC Trenton, en Ontario, le 7 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Sean Kilpatrick</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cependant, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) est depuis longtemps aux prises avec des <a href="https://www.ledevoir.com/societe/667536/societe-ottawa-s-attaque-aux-delais-frustrants-en-immigration">délais de traitement des dossiers d’immigration</a>. Les nouvelles mesures soulèvent des inquiétudes quant à leur impact sur d’autres réfugiés en attente de réinstallation au Canada, en particulier les réfugiés afghans.</p>
<p>Sean Fraser, le ministre fédéral de l’immigration, a déclaré que le gouvernement du Canada <a href="https://www.cbc.ca/radio/asithappens/as-it-happens-the-thursday-edition-1.6371738/bringing-unlimited-ukrainians-to-canada-won-t-stall-afghan-resettlement-minister-vows-1.6371740">« peut faire plus d’une chose à la fois »</a>. Selon lui, les délais d’admission des réfugiés afghans sont liés aux défis logistiques sur le terrain plutôt qu’à la longueur de traitement des dossiers d’immigration.</p>
<p>Il reste qu’IRCC a souligné les délais de traitements afin de justifier la <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/transparence/cahiers-transition/ministre-2021/modernisation-plateforme-numerique-transformation.html">modernisation technologique</a> pour accélérer la prise de décision sur les dossiers d’immigration. Mais l’utilisation de l’intelligence artificielle pour traiter des demandes d’immigration pose des questions de discrimination et de racisme, comme on l’a vu dans le cas des étudiants d’Afrique francophone <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1863054/immigration-canada-discrimination-racisme-etudiants-francophones-afrique">admis par le Québec, mais refusées par Ottawa</a>.</p>
<h2>Protection temporaire</h2>
<p>L’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine est aussi différente d’opérations de réinstallation passées alors qu’elle n’offre qu’une protection temporaire.</p>
<p>De même, l’Union européenne (UE) a pour la première fois déclenché la mise en œuvre de la <a href="https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-6846-2022-INIT/fr/pdf">Directive sur la Protection Temporaire</a> pour les personnes fuyant l’Ukraine.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Justin Trudeau, portant un masque, serre la main d’une femme aux cheveux gris dans un pull à motifs bleus" src="https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4792%2C2902&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450720/original/file-20220308-13-1w5ngfu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau salue une Canadienne d’origine ukrainienne à Toronto, une semaine après l’invasion de l’Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Nathan Denette</span></span>
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</figure>
<p>La Directive de l’UE a été conçue pour des <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Al33124">afflux massifs de personnes déplacées. </a></p>
<p>Elle met en place une protection d’un an au sein de l’UE avec une extension possible de deux ans. Les bénéficiaires de la protection temporaire ont accès aux procédures d’asile dans les pays membres de l’UE.</p>
<p>Le Canada met en place la protection temporaire pour « au moins » deux ans. Mais des questions demeurent sur le long terme. Si certains vont pouvoir s’établir de manière permanente à travers le parrainage familial, ce ne sont pas toutes les personnes qui font la demande pour l’Autorisation de voyage d’urgence qui ont de la famille au Canada. Il reste à voir si les Ukrainiens qui souhaitent s’établir au Canada trouveront d’autres voies d’admission permanentes, comme des visas permanents postdiplômes ou de travail.</p>
<h2>Les exclus</h2>
<p>Aussi bien les mesures du Canada que celles de l’UE posent la question du traitement inéquitable des personnes qui fuient la guerre. Les mesures canadiennes ne s’appliquent qu’aux ressortissants ukrainiens. Les <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/press/2022/3/6225c59ca/commentaire-dactualite-hcr-salue-decision-lue-doffrir-protection-temporaire.html">mesures de l’UE incluent les ressortissants des pays tiers qui résidaient légalement en Ukraine</a> avant l’invasion russe. Dans les deux cas, les personnes sans titre de séjour sont exclues.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Justin Trudeau parle avec un drapeau ukrainien en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4200%2C2917&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450741/original/file-20220308-25-1ea87am.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau rencontre des membres de la communauté ukrainienne à Toronto, une semaine après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Nathan Denette</span></span>
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</figure>
<p>En 2019, l’Organisation Internationale pour les Migrations estimait que <a href="https://iom.org.ua/sites/default/files/irregular_migrants_in_ukraine_eng.pdf">jusqu’à 60 900 personnes sans titre de séjour résidaient en Ukraine</a>, majoritairement des personnes originaires d’Asie du Sud et d’Afrique. L’absence d’options légales de protection ainsi que des témoignages de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1865555/guerre-ukraine-refugies-africains-discrimination-frontieres">racisme et de discrimination</a> vis-à-vis de ressortissants africains et indiens fuyant l’Ukraine montrent que ce n’est pas tout le monde qui a accès à la protection.</p>
<h2>L’application des nouvelles mesures au Québec</h2>
<p>Selon le ministre québécois de l’Immigration, Jean Boulet, il n’y a <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2022-03-07/guerre-en-ukraine/pas-de-limite-au-nombre-de-refugies-que-le-quebec-peut-recevoir.php">pas de limite au nombre de réfugiées ukrainiens</a> que le Québec peut accueillir, et les Ukrainiens seront reçus <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/682839/pas-de-limite-au-nombre-de-refugies-ukrainiens-au-quebec">dans leur langue</a>. Notons cependant que le Québec a accueilli <a href="https://www.ledevoir.com/societe/680316/refugies-quebec-loin-de-sa-cible-pour-les-afghans">bien moins de réfugiés afghans</a> jusqu’ici que <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/afghanistan/chiffres-cles.html">d’autres provinces canadiennes</a>.</p>
<p>Par ailleurs, le projet de <a href="http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-96-42-1.html">Loi 96 sur le français comme langue officielle et commune du Québec</a> prévoit que les services publics de la province communiqueront uniquement en français après six mois de présence au Québec. Des organismes de soutien aux réfugiés ont <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-11-27/projet-de-loi-96-sur-la-langue-francaise/les-services-publics-essentiels-doivent-etre-exemptes.php">déploré cette mesure</a>, qui constituerait un défi pour les réfugiés ukrainiens.</p>
<p>Le nouvel exode ukrainien ne fait que commencer, et à n’en pas douter, la réponse canadienne (et québécoise) va évoluer. Alors que nous défendons les droits des réfugiés, nous considérons que cette réponse devrait être plus inclusive. Les résidents de pays-tiers fuyant l’Ukraine devraient avoir accès à la protection du Canada. Par ailleurs, offrir une protection temporaire oblige les réfugiés à de nouvelles démarches souvent longues et complexes pour accéder à la protection permanente, et nous craignons que la protection temporaire ne remplace des programmes plus robustes de réinstallation et d’asile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178954/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adèle Garnier a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Shauna Labman est membre de l'exécutif de l'Association canadienne des avocats spécialisés en droit des réfugiés.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jamie Chai Yun Liew ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mesures de protection temporaire prises par le Canada à l’égard des Ukrainiens permettent de régler leur situation plus rapidement. Mais cela deviendra-t-il la norme pour les futurs réfugiés ?Adèle Garnier, Professeure adjointe, Département de géographie, Université LavalJamie Chai Yun Liew, Director of the Institute of Feminist and Gender Studies and Associate Professor, Faculty of Law at the University of Ottawa, L’Université d’Ottawa/University of OttawaShauna Labman, Associate Professor of Human Rights, Global College, University of WinnipegLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.