tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/terrorisme-21074/articlesterrorisme – The Conversation2024-03-28T16:37:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2268372024-03-28T16:37:56Z2024-03-28T16:37:56ZLe Tadjikistan, nouvelle base arrière de la menace djihadiste ? Un raccourci trompeur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/585002/original/file-20240328-18-j06pze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C5%2C1147%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Migrants tadjiks contrôlés à Moscou, 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://asiaplustj.info/ru/news/opinion/20230531/v-rossii-otkrita-ohota-na-tadzhikskih-migrantov">The Insider Russia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’attentat du Crocus Hall dans les faubourgs de Moscou marque l’échec du renseignement russe (FSB) à lutter contre la menace terroriste en Russie depuis qu’il est <a href="https://cepa.org/article/putin-orders-his-spies-to-chase-phantom-enemies/">occupé à contenir toute opposition à la guerre en Ukraine</a>. N’ayant pu prévenir cette attaque, le FSB s’est empressé de trouver des coupables : une dizaine de migrants tadjiks, parmi lesquels les quatre assaillants présumés, dont les aveux ont visiblement été <a href="https://www.la-croix.com/international/attentats-de-moscou-la-russie-assume-le-recours-a-la-torture-20240325">obtenus sous la torture</a>.</p>
<p>L’identité tadjike des terroristes et la revendication de l’attaque par l’État islamique au Khorassan ont rapidement orienté les analystes et journalistes vers l’Asie centrale, une région présentée depuis plus de vingt ans comme la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2001/09/20/l-asie-centrale-dans-la-ligne-de-mire">poudrière du monde</a>. Pourtant, faire du Tadjikistan la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/24/attentat-de-moscou-l-asie-centrale-nouvelle-tete-de-pont-de-l-organisation-etat-islamique_6223938_3210.html">nouvelle tête de pont du djihadisme</a> est un raccourci trompeur.</p>
<h2>Le Tadjikistan, une expérience unique d’islam politique en Asie centrale</h2>
<p>En accédant à l’indépendance en 1991, le <a href="https://www.cairn.info/les-etats-postsovietiques--9782200271633-page-224.htm">Tadjikistan</a>, peuplé aujourd’hui d’environ 10 millions d’habitants s’est divisé entre deux visions diamétralement opposées de la place de l’islam dans la vie politique : face à la continuité d’une société laïque portée par les anciens communistes, l’opposition réclamait un retour aux fondements de l’islam sunnite et l’établissement d’un régime islamo-démocrate.</p>
<p>Ce conflit idéologique entraîna une véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-3-page-123.htm">guerre civile</a>, sur laquelle le pouvoir actuel s’est construit. C’est en effet l’arrivée au pouvoir en 1996 du premier régime taliban en Afghanistan, avec lequel le Tadjikistan partage plus de 1 000 kilomètres de frontière, qui a précipité la résolution du conflit dans le but d’éviter un effet domino de l’islamisme sunnite en Asie centrale.</p>
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<p><a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/06/28/paix-au-tadjikistan-cette-fois-l-accord-parait-viable_208469/">L’accord de paix signé en juin 1997</a> après une médiation active de la Russie et de l’Iran stipulait la création d’un gouvernement d’union nationale entre les ex-communistes au pouvoir, autour de la figure de l’actuel président Emomali Rahmon, et l’opposition dominée par le Parti de la Renaissance Islamique du Tadjikistan (PRIT), qui contrôlait 30 % du territoire. Ce partage du pouvoir a permis l’avènement au Tadjikistan d’un islam politique, expérience unique à ce jour en Asie centrale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fête de l’Aïd à Khoudjand, Tadjikistan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hélène Thibault</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais au cours des années 2000, la <a href="https://cacianalyst.org/publications/analytical-articles/item/13279-violence-in-tajikistan-emerges-from-within-the-state.html">consolidation autoritaire du régime</a> s’est traduite par une marginalisation progressive de l’opposition islamique au fil d’élections contrôlées par le pouvoir. Le glas de cet islam politique tadjik a sonné en 2015 lorsque, fort du soutien international dans la lutte contre l’islamisme, le <a href="https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/case-islamic-renaissance-party-tajikistan/">gouvernement a classé le PRIT organisation terroriste</a> et interdit la création de partis politiques à base religieuse. Les représentants de cette mouvance se retrouvèrent en exil ou dans les geôles du pays, et les Tadjiks favorables à une revalorisation de l’islam se retrouvaient désormais orphelins.</p>
<p>Le gouvernement leur offrait seulement la perspective d’un État séculier (article 1<sup>er</sup> de la <a href="https://www.refworld.org/legal/legislation/natlegbod/1994/en/32040">Constitution de 1994</a>) avec une surveillance stricte du culte. Dans une société de culture musulmane, l’interdiction du port de la barbe ou du hidjab dans l’espace public pouvait être perçue par une partie de la population comme une <a href="https://www.state.gov/reports/2022-report-on-international-religious-freedom/tajikistan/">violation de la liberté de conscience</a> et générer un profond ressentiment à l’égard du régime.</p>
<h2>L’État islamique, un exutoire idéologique pour une minorité de Tadjiks</h2>
<p>En l’absence de perspective au sein d’un Tadjikistan de plus en plus répressif vis-à-vis des pratiques non officielles de l’islam, l’avènement en 2013 de l’État islamique en Irak et au Levant (EI) est apparu comme une alternative pour les Tadjiks en quête d’une société conforme aux préceptes de l’islam. Mais les <a href="https://www.rferl.org/a/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html">estimations des ralliements à l’EI</a> indiquent que les Tadjiks sont proportionnellement moins nombreux que bien des pays arabes et même européens, avec en 2015 un taux de combattants de l’EI par million d’habitants (24) situé entre celui du Danemark (27) et de la France (18).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de combattants au sein de l’État islamique par pays d’origine, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.rferl.org/a/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html">Radio Free Europe/Radio Liberty</a></span>
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<p>Deux facteurs vont accélérer les départs. La défection pour l’EI en mai 2015 du colonel Khalimov, chef des forces spéciales de police du Tadjikistan, et d’une partie de ses troupes fait l’effet d’une bombe pour le régime. Nommé ministre de la Guerre de l’EI, il joue un rôle central dans le <a href="https://www.orfonline.org/research/iskps-recruiting-strategies-and-vulnerabilities-in-central-asia">recrutement de volontaires en Asie centrale</a>.</p>
<p>La chute de l’EI en 2019 et son redéploiement en Afghanistan sous la forme de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">l’État islamique au Khorassan (EI-K)</a> rapprochent la mouvance islamiste de l’Asie centrale. Alors que la langue russe avait longtemps été privilégiée par l’EI pour diffuser à moindre coût sa propagande djihadiste auprès des musulmans de tout l’espace post-soviétique, désormais l’EI-K développe une stratégie de communication à destination des militants de la région, dans les deux langues les plus répandues, l’ouzbek et le tadjik. Bénéficiant d’algorithmes de traduction devenus très performants, la fondation Al-Azaim, organe de presse officiel de l’EI-K, dispose ainsi de services en plusieurs langues locales <a href="https://gnet-research.org/2023/03/03/the-islamic-movement-of-uzbekistans-enduring-influence-on-is-khurasan/">qui lui permettent de cibler le Tadjikistan, et plus généralement l’Asie centrale</a>, pour le recrutement des combattants, la collecte de fonds auprès des militants et la dénonciation des régimes « impies ».</p>
<p>Si les Tadjiks sont restés minoritaires au sein des troupes de l’EI et de l’EI-K, ils conservent un rôle important dans les instances et les opérations extérieures de l’organisation. Rien d’étonnant donc que leur ethnonyme soit associé ces derniers mois aux actions de l’EI-K : en décembre 2023, la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/cologne-prolongation-de-la-garde-a-vue-de-deux-suspects-pour-un-projet-d-attentat-visant-la-cathedrale-20240101">tentative d’attentat</a> contre la cathédrale de Cologne ; en janvier 2024, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/04/iran-l-organisation-etat-islamique-revendique-l-attentat-qui-a-fait-84-morts-a-kerman_6209072_3210.html">deux attaques terroristes</a> de Kerman en Iran, et la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/29/l-etat-islamique-revendique-l-attaque-dans-une-eglise-d-istanbul_6213635_3210.html">fusillade</a> contre une église d’Istanbul. L’attentat du Crocus Hall du 22 mars se produit donc dans la continuité de ces attaques, mais il n’est pas le premier commis par cette mouvance en Russie. Le 7 mars, le FSB avait déjà déjoué une tentative d’attentat contre une synagogue de la région de Moscou, tuant 2 ressortissants kazakhs <a href="https://www.rferl.org/a/kazakhstan-confirms-two-citizens-killed-russia/32855177.html">accusés d’appartenir à l’EI-K</a>.</p>
<p>Pour autant, il serait hâtif d’en conclure que le Tadjikistan est le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/27/attentat-de-moscou-le-tadjikistan-pays-d-asie-centrale-le-plus-permeable-aux-infiltrations-de-l-ei_6224430_3210.html">ventre mou de l’Asie centrale</a>, par où s’infiltreraient les djihadistes. Le profil des assaillants présumés du Crocus Hall montre qu’il s’agit de travailleurs migrants installés en Russie depuis un certain temps, et non pas d’individus arrivés de fraîche date dans le but de commettre un attentat.</p>
<h2>Les travailleurs migrants, une cible privilégiée de l’EI-K</h2>
<p>Selon les <a href="https://nsk.rbc.ru/nsk/24/08/2023/64e6c63a9a79471c6e4adea5">données officielles de 2023</a>, il y aurait en Russie 1,3 million de migrants tadjiks parmi plus de 5 millions de ressortissants étrangers. Il faut ajouter à cela 600 000 Tadjiks ayant obtenu la citoyenneté russe, en vertu d’un accord de double citoyenneté entre la Russie et le Tadjikistan, un cas unique dans l’espace post-soviétique. Au total donc, ce sont près de deux millions de Tadjiks qui travaillent en Russie de manière permanente ou saisonnière, soit le tiers de la population active du pays, et plus de la moitié des hommes adultes, sachant que la migration de travail des Tadjiks est essentiellement masculine.</p>
<p>Ce flux migratoire place le Tadjikistan et la Russie dans une relation d’interdépendance : pour le premier, la Russie représente un déversoir démographique indispensable pour tempérer les revendications économiques et sociales de la population, mais également une source considérable de revenus. À l’exception des années Covid, les transferts des migrants représentent le <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/economic/20221202/tajikistan-likely-received-record-high-amounts-of-remittances-from-russia-in-2022-says-word-bank-report">tiers du PIB du Tadjikistan</a>. Quant à la Russie, dont le déclin démographique est notoire, l’immigration fournit depuis le milieu des années 2000 une main-d’œuvre essentielle à l’économie rentière et aux services. L’invasion de l’Ukraine en 2022 et l’envoi au front de centaines de milliers d’hommes issus pour la plupart des classes les plus défavorisées ont rendu plus précieuse encore cette force de travail non qualifiée.</p>
<p>Comment comprendre dès lors que ces migrants tadjiks, arrivés en Russie pour des raisons avant tout économiques, décident soudainement de s’engager dans une entreprise terroriste ? Tout simplement parce que leur radicalisation n’est pas liée à leur pays d’origine ou à leur identité ethnique, mais plutôt à leur expérience migratoire. À l’heure où les réseaux djihadistes opèrent selon des logiques transnationales, il est plus utile d’observer les modalités de socialisation des migrants en Russie même, et non pas dans leur village d’origine, où le régime laïciste liberticide empêche toute expression de défiance à l’égard de l’islam officiel.</p>
<p>Pour les travailleurs isolés – ceux partis seuls en migration –, la mosquée est bien souvent leur unique espace de sociabilité, en dehors du lieu de travail et du logement collectif. Et c’est précisément au contact de leurs coreligionnaires de Russie, notamment les Tatars et les Tchétchènes, que ces migrants découvrent une religiosité décomplexée. Ils peuvent ainsi explorer une identité musulmane longtemps brimée dans leur pays d’origine, développer des réseaux et acquérir des ressources nécessaires à leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieeurasiereports/islam-politique-societe-ouzbekistan-enquete">renaissance islamique</a>. Être musulman, c’est appartenir à un réseau de solidarité religieuse.</p>
<p>Une solidarité d’autant plus chère aux migrants qu’ils se retrouvent éloignés du noyau familial qui constitue au Tadjikistan un socle fédérateur solide, sont marginalisés au sein d’une société russe qui les considère au mieux comme des <em>gastarbeiter</em> au pire des <em>tchiorny</em> (« noirs »), vivent reclus dans des quartiers pauvres et périphériques, et sont souvent privés d’un réseau social protecteur. C’est bien en jouant sur la fibre solidaire, sur le sentiment d’identité collective et de justice sociale que les recruteurs islamistes parviennent à convertir les travailleurs migrants en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09596410.2022.2049110"><em>born-again</em> radicalisés</a>.</p>
<p>Ce n’est donc pas en Asie centrale mais bien en Russie qu’il faut chercher les fondements de la radicalisation des migrants tadjiks, à travers les réseaux religieux qui ont pignon sur rue, les relations de dépendance entre le pouvoir politique et la religion, et les <a href="https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-effets-paradoxaux-de-linstrumentalisation-de-lislam-en-tchetchenie/">effets paradoxaux de l’instrumentalisation de l’islam</a>.</p>
<p>En attendant, l’identité ethnique des quatre assaillants présumés du Crocus Hall a stigmatisé l’ensemble de la communauté tadjike et déclenché une <a href="https://eurasianet.org/tajik-diaspora-in-russia-living-in-terror-following-crocus-city-massacre">vague sans précédent d’actes racistes</a> à l’encontre des migrants : insultes, menaces, harcèlement accru de la part des forces de l’ordre. Au point que le ministère des Affaires étrangères du Kirghizstan <a href="https://rus.azattyk.org/a/32876343.html">a recommandé</a> de suspendre tout déplacement en Russie.</p>
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<p>À l’instar de tous les pays du monde, les dirigeants d’Asie centrale ont condamné l’attaque terroriste, le président Rahmon déclarant même à son homologue russe : <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/03/24/terrorists-have-no-nationality-tajik-president-tells-putin-a84602">« les terroristes n’ont pas de nationalité »</a>. Mais aucun n’a exprimé à ce jour la moindre inquiétude pour la sécurité de ses ressortissants, pas plus qu’au cours des derniers mois alors même que les <a href="https://www.rferl.org/a/russia-migrants-raids-attacks-pressure-fight-ukraine/32703657.html">raids de la police russe</a> se multipliaient pour enrôler les migrants sur le front ukrainien.</p>
<p>Outre les intimidations, chantages et autres duperies pour forcer les travailleurs migrants à s’engager « volontairement » dans l’armée, ces contrôles massifs et souvent violents visent à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/27/a-moscou-la-chasse-aux-migrants-pour-garnir-les-rangs-de-l-armee_6196764_3210.html">trier sur le volet ceux qui ont disposent de la citoyenneté russe</a> pour les rappeler à leur devoir militaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1583748470560563200"}"></div></p>
<p>De toute évidence, la perspective de l’enrôlement forcé des migrants dans une guerre dénuée de sens a accentué depuis 2022 leurs griefs à l’égard des autorités russes et, par voie de conséquence, l’adhésion de certains d’entre eux au discours plus séduisant d’un combat pour la justice divine. Si l’attentat du Crocus Hall est lié à la guerre en Ukraine, comme l’affirme le Kremlin, ses racines ne sont à chercher en priorité ni à Kiev, ni à Douchanbé, mais avant tout en Russie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226837/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Ferrando est administrateur de l'organisation non-gouvernementale ACTED.</span></em></p>Le Tadjikistan compte deux millions de migrants travaillant actuellement en Russie. C’est parmi eux qu’ont été, semble-t-il, recrutés les auteurs du massacre de Moscou.Olivier Ferrando, Enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, spécialiste des sociétés d'Asie centrale, Université catholique de Lyon (UCLy)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2265382024-03-25T16:42:08Z2024-03-25T16:42:08ZDans le viseur de l’État islamique au Khorassan : la Russie, mais aussi l’Asie centrale et l’Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/584036/original/file-20240324-24-g8ybij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C90%2C1270%2C868&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des sauveteurs dans les ruines du Crocus City Hall, Krasnogorsk, le 24&nbsp;mars 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Crocus_City_Hall_amphitheater_after_terrorist_attack_%282024%29.jpg">Ministère des Situations d’Urgence de la Fédération de Russie</a></span></figcaption></figure><p><em>Le 22 mars 2024, la Russie a subi la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/attaque-a-moscou-deuil-national-en-russie-apres-le-massacre-du-crocus-city-hall-20240324_2SVPFHCSXFBAFFFG2YKVMSOJZ4/">pire attaque terroriste sur son sol depuis une génération</a>. Au moins 137 personnes ont été tuées par des terroristes lors d’un concert en banlieue de Moscou. L’attentat a été <a href="https://www.letemps.ch/monde/asie-oceanie/l-ei-k-branche-la-plus-meurtriere-de-l-etat-islamique-le-visage-du-terrorisme-venu-d-asie-centrale">revendiqué par le groupe État islamique au Khorassan</a> (EIK). Et bien que les autorités russes aient <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-par-une-attaque-terroriste-a-moscou-les-russes-vivent-leur-bataclan-20240323">exprimé des doutes</a> sur la réalité de cette revendication, de façon à imputer l’attaque à l’Ukraine, des responsables américains ont <a href="https://apnews.com/article/russia-moscow-concert-hall-attack-islamic-state-753291d25dad26a840459ee8f448d59e">déclaré à l’Associated Press</a> qu’ils pensaient que l’EIK, que l’on peut qualifier de section locale de Daech en Asie du Sud et en Asie centrale, était effectivement à l’origine de l’assaut.</em></p>
<p><em>Les chercheuses <a href="https://www.clemson.edu/cbshs/about/profiles/index.html?userid=ajadoon">Amira Jadoon, de l’Université de Clemson</a>, et <a href="https://www.american.edu/profiles/students/sh5958a.cfm">Sara Harmouch, de l’American University</a>, deux spécialistes qui suivent de près les activités de l’EIK – expliquent à The Conversation ce que l’attentat de Moscou nous apprend sur les forces et le programme de l’organisation.</em></p>
<h2>Qu’est-ce que l’EIK ?</h2>
<p>L’EIK <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-islamic-state-threat-in-taliban-afghanistan-tracing-the-resurgence-of-islamic-state-khorasan/">opère principalement dans la zone Afghanistan-Pakistan</a>, mais est présent dans tout le « Khorassan » historique – une région qui s’étend sur des parties de l’Afghanistan et du Pakistan mais aussi de l’Iran et d’autres pays d’Asie centrale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724371446292496465"}"></div></p>
<p>Créé en 2015, <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">l’EIK vise à établir</a> un « califat » – un système de gouvernance soumis à la plus stricte application de la charia et placé sous l’autorité de responsables religieux – dans cette région à cheval sur l’Asie du Sud et l’Asie centrale.</p>
<p>L’EIK partage l’idéologie de son organisation mère, le groupe État islamique, qui promeut une interprétation extrême de l’islam et considère les gouvernements laïques, ainsi que les populations civiles non musulmanes mais aussi les groupes et individus musulmans ne partageant pas sa vision de l’islam comme des cibles légitimes.</p>
<p>Le groupe est connu pour son extrême brutalité et pour avoir fréquemment pris pour cible des institutions gouvernementales et des civils, y compris des mosquées, des établissements d’enseignement et des espaces publics.</p>
<p>Après le retrait des États-Unis d’Afghanistan en 2021, les <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/isis-k-resurgence">principaux objectifs de l’EIK</a> ont été de <a href="https://warontherocks.com/2021/10/the-taliban-cant-take-on-the-islamic-state-alone/">remettre en cause la légitimité des talibans actuellement au pouvoir</a> dans ce pays ravagé par la guerre, de s’affirmer comme le leader légitime de la communauté musulmane dans sa zone et d’apparaître comme le principal adversaire régional des régimes existants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1771526331588555205"}"></div></p>
<p>En outre, la transition des talibans d’un groupe insurrectionnel à une entité gouvernementale a laissé de nombreuses factions militantes afghanes sans force unificatrice – une lacune que l’EIK s’est efforcé de combler.</p>
<h2>Pourquoi la Russie a-t-elle été prise pour cible par l’EIK ?</h2>
<p>L’EIK <a href="https://jamestown.org/program/the-islamic-states-anti-russia-propaganda-campaign-and-criticism-of-taliban-russian-relations/">présente depuis longtemps la Russie comme l’un de ses principaux adversaires</a>. Il utilise largement un discours anti-russe dans sa propagande et s’en est déjà pris aux intérêts russes en Afghanistan, commettant notamment en 2022 un <a href="https://www.voanews.com/a/blast-in-kabul-kills-2-russian-embassy-staff-/6731342.html">attentat-suicide</a> contre l’ambassade de Russie à Kaboul qui a fait deux morts parmi le personnel de l’ambassade russe et de quatre passants afghans.</p>
<p>L’État islamique au sens large s’en prend aussi à la Russie, et cela pour plusieurs raisons. Il s’agit notamment de <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-enduring-duel-islamic-state-khorasans-survival-under-afghanistans-new-rulers/">griefs de longue date</a> liés aux violentes interventions passées de Moscou dans des régions à majorité musulmane comme l’Afghanistan et la Tchétchénie. De plus, les alliances de Moscou avec des régimes opposés au groupe État islamique, notamment la Syrie et l’Iran, ont <a href="https://doi.org//10.1080/09546553.2019.1657097?journalCode=ftpv20">fait de la Russie un adversaire majeur</a> aux yeux de l’organisation terroriste et de ses affiliés. En particulier, la Russie est un <a href="https://www.aljazeera.com/features/2020/10/1/what-has-russia-gained-from-five-years-of-fighting-in-syria">allié clé du président syrien Bachar Al-Assad</a> depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011, et lui fournit un soutien militaire pour lui permettre de combattre divers groupes qui cherchent à le renverser, y compris l’État islamique. Cette opposition directe au groupe terroriste et à ses ambitions de califat a fait de la Russie une cible privilégiée aux yeux de l’EI en général et de l’EIK en particulier.</p>
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<p><a href="https://carnegieendowment.org/politika/90584">La coopération de la Russie</a> avec les talibans – le principal ennemi de l’EIK en Afghanistan – ajoute une couche d’animosité supplémentaire. Le groupe État islamique considère les pays et les groupes qui s’opposent à son idéologie ou à ses objectifs militaires, y compris les acteurs qui cherchent à établir des relations avec les talibans, <a href="https://extremism.gwu.edu/sites/g/files/zaxdzs5746/files/Criezis_CreateConnectDeceive_09222022_0.pdf">comme des ennemis de l’islam</a>.</p>
<p>En frappant des cibles russes, l’EIK cherche en partie à dissuader la Russie de s’impliquer davantage au Moyen-Orient. Mais ces attentats font également une grande publicité à sa cause et visent à inspirer ses partisans dans le monde entier. Ainsi, pour la « marque » État islamique, l’attentat de Moscou représente à la fois une vengeance à l’encontre de la Russie et une opération de communication d’ampleur mondiale. Cette approche peut s’avérer très payante, en particulier pour sa filiale d’Asie du Sud et d’Asie centrale, dans la mesure où elle peut lui apporter de nouvelles recrues, de nouveaux financements et une hausse de son influence dans la nébuleuse djihadiste.</p>
<h2>Que nous apprend cette attaque sur les capacités et la stratégie de l’EIK ?</h2>
<p>Le simple fait que l’EIK soit associé au carnage de Moscou – que son implication y ait été directe ou indirecte – renforce la réputation du groupe. Cet épisode témoigne de son influence croissante et de sa détermination à faire sentir sa présence sur la scène mondiale.</p>
<p>En effet, commettre un attentat très médiatisé dans une grande ville située à des milliers de kilomètres de sa base afghane montre que l’EIK est en capacité d’étendre sa portée opérationnelle – soit directement, soit par le biais d’une collaboration avec des factions terroristes partageant les mêmes idées.</p>
<p>L’ampleur et la sophistication de l’attaque témoignent d’une planification, d’une coordination et de capacités d’exécution avancées, et réaffirment sans équivoque la volonté de l’EIK de se montrer toujours plus actif au niveau international.</p>
<p>À l’instar de l’attentat <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20240104-journ%C3%A9e-de-deuil-en-iran-apr%C3%A8s-un-double-attentat-meurtrier">perpétré par l’EIK en Iran en janvier 2024</a>, qui a fait plus de 100 morts, le dernier massacre en date souligne la place de l’EIK au sein du programme djihadiste mondial promu par le groupe État islamique, et contribue à élargir l’attrait de son idéologie et de sa campagne de recrutement grâce à l’attention accrue que lui portent les médias internationaux. Cela lui permet de rester un acteur politique de premier plan aux yeux de ses sympathisants en Asie du Sud et en Asie centrale, et aussi au-delà. Mais cela permet aussi de détourner l’attention de ses revers locaux. Comme son organisation mère, le groupe État islamique, l’EIK a subi, ces dernières années, des défaites militaires, des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-le-chef-de-Daech-responsable-de-l-attentat-de-l-aeroport-de-kaboul-tue-par-les-talibans">pertes de territoires et de dirigeants</a> et une diminution de ses ressources.</p>
<p>Dès lors, le rôle supposément joué par l’EIK dans l’attentat de Moscou rappelle aux observateurs la persistance de la menace que représente l’organisation.</p>
<p>En ciblant une grande puissance comme la Russie, l’EIK vise à envoyer un message d’intimidation à tous les États participant aux opérations de lutte contre le groupe État islamique et à ébranler le sentiment de sécurité de leurs citoyens. Au-delà, sa stratégie s’inscrit dans un processus d’« internationalisation » qu’il poursuit avec une vigueur renouvelée depuis 2021 en ciblant les pays présents en Afghanistan, notamment le Pakistan, l’Inde, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, la Chine et la Russie, ce qui marque une expansion délibérée de son objectif opérationnel au-delà des frontières locales.</p>
<p>L’attaque de Moscou, qui fait suite à celle de janvier en Iran, suggère que l’EIK intensifie ses efforts pour exporter son combat idéologique directement sur les territoires de nations souveraines. Il s’agit d’une stratégie soigneusement calculée et susceptible de semer l’effroi dans de nombreuses capitales, comme le montrent déjà les <a href="https://www.lopinion.fr/politique/le-niveau-dalerte-passe-en-urgence-attentat-en-france-apres-lattaque-terroriste-a-moscou">premières réactions internationales au carnage du Crocus City Hall</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’État islamique au Khorassan (EIK), qui vient de frapper la Russie, cherche à s’imposer comme une organisation terroriste mondiale.Sara Harmouch, PhD Candidate, School of Public Affairs, American UniversityAmira Jadoon, Assistant Professor of Political Science, Clemson UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2265552024-03-25T16:07:25Z2024-03-25T16:07:25ZL’implication de Tadjiks dans le massacre de Moscou trouve ses racines dans le passé trouble et le présent désespéré de l’ex-république soviétique<p>Les quatre hommes armés accusés des meurtres d'au moins 139 spectateurs
au théâtre Crocus City Hall de Moscou, le 22 mars 2024, étaient tous citoyens du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/attentat-a-moscou-ce-que-l-on-sait-des-quatre-suspects_6445891.html">Tadjikistan</a>, petit pays d'Asie centrale.</p>
<p>Leur nationalité a-t-elle quelque chose à voir avec leur présumé acte de terrorisme ? De nombreux Russes affirmeraient que c’est le cas.</p>
<p>Le Tadjikistan, un pays enclavé de dix millions d’habitants, pris en sandwich entre l’Ouzbékistan, l’Afghanistan et la Chine, est la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/2702">plus pauvre</a> des anciennes républiques soviétiques. Connu pour sa corruption et sa répression politique, il subit depuis 1994 la poigne de fer du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Emomali_Rahmon">président Emomali Rahmon</a>. On estime que plus de <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/society/20220214/more-than-3-million-tajik-citizens-reportedly-officially-registered-in-russia-last-year">trois millions de Tadjiks</a> vivent en Russie, soit environ un tiers de la population totale. </p>
<p>Spécialiste de l’histoire de l’Asie centrale, je parle le tadjiki et j’ai séjourné à de nombreuses reprises dans la région, ainsi qu’en Russie, depuis 1990. J’ai personnellement été témoin des conditions de vie des Tadjiks en Russie, et dans leur pays d’origine, que j’ai décrites dans mon récent ouvrage, <a href="https://www.pulaval.com/livres/les-tadjiks-persanophones-d-afghanistan-d-ouzbekistan-et-du-tadjikistan"><em>Les Tadjiks : persanophones d’Afghanistan, d’Ouzbékistan et du Tadjikistan</em></a>.</p>
<h2>Une population discriminée</h2>
<p>La plupart des Tadjiks vivant en Russie occupent le statut précaire de « travailleurs invités », occupant des emplois mal rémunérés dans les secteurs de la construction, des marchés ou le nettoyage des toilettes publiques. Le <a href="https://www.contrepoints.org/2024/01/25/452518-demographie-de-la-russie-une-jeunesse-decimee-ou-en-fuite#:%7E:text=Le%20d%C3%A9clin%20d%C3%A9mographique%20russe%20ne%20date%20pas%20d%E2%80%99hier&text=Le%20pic%20est%20atteint%20en,%2C4%20millions%20en%202020">déclin démographique de la population russe</a> a conduit à une dépendance croissante envers les travailleurs étrangers, afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre. L’attitude des Russes envers les autochtones d’Asie centrale et du Caucase est généralement négative, semblable au stéréotype américain sur les Mexicains, exprimé tristement par Donald Trump en 2015 : <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201506/28/01-4881520-don">« Ils apportent de la drogue. Ils apportent le crime. Ce sont des violeurs »</a>. </p>
<p>Ainsi, les non-Slaves sont systématiquement discriminés en Russie et, depuis 2022, ils ont été enrôlés de manière disproportionnée et <a href="https://www.la-croix.com/Russie-migrants-Asie-centrale-racontent-pressions-envoyer-Ukraine-2023-11-15-1301291005">envoyés en Ukraine</a> pour servir de chair à canon au front.</p>
<h2>Une civilisation prestigieuse</h2>
<p>Peu de peuples dans l’histoire ont vu leur statut s’effondrer de manière aussi spectaculaire que les Tadjiks au cours des cent dernières années. </p>
<p>Pendant plus d’un millénaire, les Tadjiks, descendants persanophones des anciens Sogdiens qui dominaient la Route de la Soie, ont constitué l’élite culturelle de l’Asie centrale. À partir de la « Nouvelle Renaissance persane » du X<sup>e</sup> siècle, lorsque leur capitale, Boukhara, en est est venue à rivaliser avec Bagdad en tant que centre d’enseignement et de haute culture islamiques, les Tadjiks ont été les principaux érudits et bureaucrates des grandes villes d’Asie centrale, et ce, jusqu’à la révolution russe. Le célèbre mathématicien médiéval <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Avicenne">Avicenne</a> était d’origine tadjike, tout comme le collectionneur de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouhammad_al-Boukh%C3%A2r%C3%AE">hadiths Bukhari</a>, le poète <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Djal%C3%A2l_ad-D%C3%AEn_R%C3%BBm%C3%AE">soufi Rumi</a> et bien d’autres.</p>
<p>En tant que principaux pourvoyeurs de la civilisation islamique d’Asie centrale, les Tadjiks étaient considérés par les bolcheviks comme représentant un héritage obsolète que le socialisme souhaitait anéantir. Les Tadjiks ont été pratiquement exclus de la restructuration sociale et politique massive imposée à l’Asie centrale au cours des premières années de l’Union soviétique. </p>
<p>La majeure partie de leur territoire historique, y compris les villes légendaires de Samarkand et de Boukhara, a été attribuée aux Ouzbeks turcophones, qui étaient considérés comme plus malléables. Ce n’est qu’en 1929 que les Tadjiks se sont dotés de leur propre république, composée principalement de territoires marginaux et montagneux, et dépourvus de tout centre urbain majeur.</p>
<h2>Répression, désespoir et islam radical</h2>
<p>Tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, la République socialiste soviétique tadjike a été la région la plus pauvre et sous-développée de l’ex-URSS. Elle a conservé ce triste statut depuis son indépendance en 1991. De 1992 à 1997, le pays a été plongé dans une guerre civile dévastatrice qui a détruit presque toutes les infrastructures. </p>
<p>Depuis lors, le président Rahmon a utilisé la menace d’une reprise du conflit civil pour justifier son pouvoir absolu. Le spectre d’un <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20191108-tadjikistan-attaque-groupe-etat-islamique">islam radical</a> émanant de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-3-page-150.htm">l’Afghanistan voisin</a> — où la population tadjike dépasse largement celle du Tadjikistan — a fourni une justification supplémentaire à la politique répressive de Rahmon.</p>
<p>Dans le Tadjikistan d’aujourd’hui, même ceux qui ont fait des études universitaires sont quasi <a href="https://novastan.org/fr/tadjikistan/les-7-problemes-principaux-des-villages-au-tadjikistan/">dans l’impossibilité de gagner un salaire</a> décent. Impuissants et humiliés par le système, ils sont des proies faciles pour les prédicateurs islamiques radicaux qui leur donnent un sentiment de valeur et un but réel à achever. </p>
<p>Le désespoir financier en toile de fond crée un cocktail explosif : l’un des suspects des récents attentats de Moscou <a href="https://www.aljazeera.com/news/2024/3/25/four-men-showing-signs-of-severe-beating-charged-over-moscow-concert-attack">a déclaré à ses interrogateurs</a> russes qu’il avait été recruté par un « imam » via la plate-forme Telegram. Il a expliqué qu’on lui avait promis une récompense en espèces d’un demi-million de roubles russes (environ 7 300 $ CDN) pour commettre ses atrocités.</p>
<h2>Un avenir peu radieux</h2>
<p>Partout dans le monde, les êtres humains normaux et sensés sont horrifiés par les actes terroristes, quelle que soit la manière dont ils sont justifiés par leurs auteurs. Le peuple du Tadjikistan, qui souffre depuis longtemps, ne fait pas exception. </p>
<p>L’option du terrorisme demeurera attrayante pour un petit nombre d’extrémistes, qui peuvent percevoir le meurtre psychopathique de civils innocents contre de l’argent, ou pour une idéologie, comme valable. La tentative ridicule de la Russie de lier, d’une manière ou d’une autre, les attaques de Moscou à l’Ukraine est une diversion maladroite des conséquences de ses relations avec l’Asie centrale.</p>
<p>Un grand nombre de Tadjiks vivent en Russie et il est probable que de telles attaques se multiplieront à l’avenir. Déjà, les ressortissants du Tadjikistan signalent sur les réseaux sociaux des incidents discriminatoires et des préjugés accrus. Les chauffeurs de taxi tadjiks, par exemple, témoignent que des passagers leur demandent s’ils sont Tadjiks, et refusent ensuite de voyager avec eux. </p>
<p>Avec ses ressources immobilisées en Ukraine dans un avenir proche, il semble peu probable que Moscou ait la capacité de se venger des islamistes au Tadjikistan, ou ailleurs en Asie centrale. Ils opèrent en dehors du contrôle du président Rahmon, dont le régime demeure un fidèle allié de la Russie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226555/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Richard Foltz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les auteurs de l’attentat de Moscou seraient originaires du Tadjikistan. Le pays, le plus pauvre de l’ex-URSS, connaît un régime répressif et corrompu, où l’islamisme radical fait son nid.Richard Foltz, Professor of Religions and Cultures, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2264792024-03-24T17:58:04Z2024-03-24T17:58:04ZLa Russie face au terrorisme<p>En Europe, le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/4082892-20240323-attaque-moscou-direct-plus-60-personnes-tuees-salle-concert">massacre perpétré le 22 mars au soir</a> dans une salle de concert de la région de Moscou ne peut que susciter l’horreur. Mais il peut aussi interroger, et même surprendre.</p>
<p>D’abord, par le lieu de son déroulement, Krasnogorsk, à quelques kilomètres à peine de Moscou, et par l’ampleur de son bilan, plus de 130 victimes : comment un attentat de masse a-t-il pu être préparé et perpétré dans le centre névralgique d’un État où la <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/08/17/mass-survellience-in-russia-expands-rapidly-since-ukraine-invasion-mt-russian-a82151">place des services de sécurité est si importante</a> ? La <a href="https://www.liberation.fr/international/quest-ce-que-lei-k-cette-filiale-de-letat-islamique-qui-pourrait-etre-derriere-lattaque-terroriste-dune-salle-de-concert-pres-de-moscou-20240323_KFZXNM6XRBB3JCFJRQ3G2BXV74/">revendication par l’organisation État islamique au Khorassan</a> peut, elle aussi, prendre les Européens à contrepied : pourquoi l’EI frapperait-il la Russie alors même que ses cibles privilégiées, lors de son apogée, étaient les démocraties libérales de l’Ouest ? Enfin, les réactions des pouvoirs publics russes – et de la présidence au premier chef – peuvent également susciter un certain étonnement de ce côté-ci du continent : pourquoi <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">faire supposer une complicité de Kiev</a> alors même que la menace islamiste est, en Russie, ancienne, profonde et même antérieure à la crise ukrainienne ?</p>
<p>Notre étonnement ou notre surprise se dissipent si l’on examine en détail l’exposition structurelle de la Russie au terrorisme islamiste et sa doctrine de l’anti-terrorisme. Malheureusement, les meurtres de masse du Crocus City Hall sont un épisode tragique supplémentaire dans la longue histoire de l’affrontement entre la Fédération de Russie et certains réseaux islamistes.</p>
<h2>Le terrorisme, ennemi des sociétés ouvertes… et des régimes autoritaires</h2>
<p>Depuis le 11 septembre 2001, l’idée s’est profondément enracinée que les terroristes islamistes ont pour cibles principales les démocraties libérales : en elles, ils viseraient tout à la fois des « infidèles » (à l’islam), des « croisés » (autrement dit des colonisateurs invétérés) et des « décadents » (coupables d’un relâchement moral inacceptable).</p>
<p>En outre, les islamistes exploiteraient les marges d’action ménagées par les « sociétés ouvertes », pour reprendre <a href="https://www.cairn.info/philosophie-auteurs-et-themes--9782361060275-page-112.htm">l’expression de Karl Popper</a> – les libertés d’opinion, de croyance, de mouvement, d’association, etc. – pour les retourner contre les Occidentaux. D’où l’incrédulité, parmi les Européens, devant le massacre de Krasnogorsk. Comment un tel attentat est-il envisageable dans un État explicitement fondé sur l’autorité, le rétablissement de la <a href="https://theconversation.com/comment-vladimir-poutine-a-mis-en-place-une-verticale-de-la-peur-en-russie-201796">« verticale du pouvoir »</a> et l’hypertrophie des services de sécurité (les siloviki) ?</p>
<p>Cette vision des choses est toutefois contredite par ce constat que font de nombreux observatoires du terrorisme (tel <a href="https://www.fondapol.org/etude/les-attentats-islamistes-dans-le-monde-1979-2021/">celui de la Fondation pour l’Innovation Politique</a>) : les attentats islamistes se multiplient aussi dans des États non libéraux, spécialement en <a href="https://www.rts.ch/info/monde/9016433-le-terrorisme-tue-vingt-fois-plus-en-afrique-quen-europe.html">Afrique</a> et <a href="https://www.europe1.fr/international/attentat-en-iran-malgre-un-net-recul-dans-la-region-la-menace-de-daesh-na-jamais-vraiment-disparu-au-moyen-orient-4223438">au Moyen-Orient</a>. Même dans des régimes policiers, les services de sécurité ne peuvent être ni omniscients ni omnipotents. En outre, l’organisation État islamique n’est-elle pas <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-136.htm?ref=doi">née de la double contestation du régime syrien de Bachar Al-Assad et du « nouvel Irak »</a> issu de l’invasion américaine et de l’installation d’un pouvoir chiite à Bagdad ? L’attentat de Krasnogorsk doit nous inviter à réviser notre idée trop définitive sur l’affrontement entre démocratie et islamisme : elle est exacte, mais très partielle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les attentats islamistes dans le monde (1979-2019). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fondapol.org/carte-des-attentats-islamistes-dans-le-monde/">Site de la Fondapol</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le terrorisme en général et celui de l’EI en particulier visent aussi bien les démocraties libérales que les régimes autoritaires. La section de l’EI au Khorassan qui a revendiqué le massacre en Russie est en effet implantée en Asie centrale et défie, par la violence, des États politiquement bien éloignés des membres de l’UE. Elle a notamment pris pour cibles, ces dernières années, aussi bien les <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/letat-islamique-khorasan-terroristes-plus-sanguinaires-dafghanistan">talibans afghans</a> que le <a href="https://www.voanews.com/a/us-warned-iran-of-isis-k-threat-ahead-of-deadly-blasts-us-official-says/7457546.html">régime iranien</a>.</p>
<p>C’est tout le problème que pose le terrorisme djihadiste aujourd’hui : défait militairement au Moyen-Orient et jugulé en Europe et aux États-Unis, il s’est reporté vers des zones comme le Sahel, l’Afrique centrale, l’Afrique orientale ou encore l’Asie centrale, où les États sont autoritaires mais souvent faibles. <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/attaque-a-moscou-ce-que-l-on-sait-des-11-suspects-arretes-dont-quatre-assaillants-presumes_AV-202403230289.html">Les suspects arrêtés par les forces russes quelques heures après l’attentat</a>, même s’il convient en la matière de se garder de conclusions trop hâtives, sont d’ailleurs des ressortissants du Tadjikistan, un pays identifié depuis plusieurs années comme un <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-djihadisme-tadjik-nouvelle-menace-pour-l-europe-20240118">terrain de recrutement fertile pour les djihadistes</a>.</p>
<p>D’un point de vue géopolitique, le massacre de Krasnogorsk ouvre une perspective inquiétante : les réseaux reconstituent leurs forces dans ces aires « molles » ou « grises » pour se reporter sur des théâtres plus centraux en Europe. Le profond antagonisme actuel entre la Fédération de Russie et l’Union européenne ne doit pas masquer la réalité : du point de vue des islamistes de l’EI, les régimes politiques respectifs des deux entités se valent et <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2017/04/russia-jihadists-number-one-target-214977/">sont des cibles au même titre l’un que l’autre</a>.</p>
<h2>Pourquoi viser la Russie ?</h2>
<p>Que le rival géopolitique de l’UE, envahisseur de l’Ukraine et adversaire autoproclamé de l’Occident, soit victime d’un attentat de masse ne peut étonner que si le regard reste rivé sur l’affrontement avec l’Ukraine, latent depuis les années 2000 et virulent depuis 2013.</p>
<p>En effet, le risque terroriste est très élevé en Russie depuis la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et, plus encore, <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/moscow-attacks-shootings-bombings.html">depuis l’accession de Vladimir Poutine à la primature puis à la présidence de la Fédération</a>, en 2000. La première menace terroriste contre la Russie est interne : radicalisant une frange de la forte minorité (<a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/03/05/russia-will-be-one-third-muslim-in-15-years-chief-mufti-predicts-a64706">10 % environ</a>) musulmane historique (non issue de l’immigration) du pays, exploitant les rancœurs des périphéries (Daghestan, Tchétchénie) contre le centre russe anciennement conquérant et colonisateur, utilisant des vétérans et des fonds venus d’Asie centrale (Afghanistan) et du Golfe, les réseaux terroristes ont commis contre la population civile et les forces de sécurité russes de nombreux attentats.</p>
<p>Plusieurs d’entre eux – sans même parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/17/qui-a-commis-les-attentats-de-1999_4247480_1819218.html">explosions de plusieurs immeubles d’habitation en 1999</a> quand Poutine était premier ministre, officiellement attribuées aux Tchétchènes mais dont bon nombre d’observateurs <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/en-partenariat-avec-books/20131011.OBS0834/le-crime-qui-a-fait-poutine.html">soupçonnent les services russes d’avoir été les auteurs</a> – ont profondément marqué les présidences Poutine : la <a href="https://www.rtbf.be/article/russie-20-ans-apres-la-tragique-prise-dotages-du-theatre-de-moscou-les-proches-des-victimes-se-souviennent-11092368">prise d’otages du théâtre de la Doubrovka en 2002</a> (130 morts, dont sans doute une majorité du fait de l’intervention des services de sécurité) ; la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/1er-septembre-2004-la-prise-d-otages-de-beslan-par-un-commando-tchetchene_3065109.html">prise d’otages dans une école à Beslan (Ossétie du Nord) en 2004</a> (334 morts dont 186 enfants) ; les <a href="https://www.lejdd.fr/international/double-attentat-moscou-60591">explosions dans le métro de Moscou en 2010</a> (40 morts) et <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/russie/saint-petersbourg-ce-que-l-sait-sur-l-explosion-dans-le-metro-4903758">celles dans le métro de Saint-Pétersbourg en 2017</a> (14 morts), liste loin d’être exhaustive.</p>
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<p>Toutes ces actions violentes de masse ont été revendiquées par des réseaux islamistes implantés en Fédération de Russie même. L’importance du risque terroriste islamiste interne est si grande qu’elle a en partie justifié la <a href="https://www.jstor.org/stable/20788646">reconstitution de services de sécurité intérieure très puissants</a> et qu’elle a conduit Moscou à laisser le violent et imprévisible <a href="https://theconversation.com/chechnyas-boss-and-putins-foot-soldier-how-ramzan-kadyrov-became-such-a-feared-figure-in-russia-216418">Ramzan Kadyrov</a> gérer à sa guise « sa » Tchétchénie, dès lors qu’il y réprime avec la plus grande dureté la moindre menace, réelle ou supposée, de résurgence de djihadisme.</p>
<p>À l’extérieur également, la lutte contre l’islamisme armé est une priorité politique ancienne. C’est contre elle que la Russie et la Chine ont <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2001-4-page-99.htm">créé en 2001 l’Organisation de Coopération de Shanghai</a>, installant le centre de lutte contre celle-ci à Tachkent et <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2018/05/21/lorganisation-de-cooperation-de-shaghai-face-au-terrorisme-dasie-centrale/">fournissant aux États d’Asie centrale formations, renseignements et matériel</a>.</p>
<p>C’est – officiellement – pour lutter contre le terrorisme islamiste que la Russie a répondu aux demandes de la présidence syrienne, en août 2015, pour <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-30.htm">déclencher la première opération militaire extérieure loin de ses frontières</a>. C’est aussi au nom de la lutte contre l’islamisme que, non officiellement, des experts militaires et des mercenaires russes sont intervenus et sont toujours implantés en Afrique du Nord (<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-societes-militaires-privees-russes-au-Moyen-Orient-2-2-En-Libye-le-groupe.html">Libye</a>), en Afrique de l’Ouest (<a href="https://www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds">Mali</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/11/15/le-burkina-faso-resserre-son-alliance-avec-la-russie_6200216_3212.html">Burkina Faso</a>) et en Afrique centrale (<a href="https://www.rts.ch/info/monde/13264727-quand-les-mercenaires-russes-de-wagner-deboisent-la-foret-centrafricaine.html">République centrafricaine</a>).</p>
<p>Enfin, et surtout pour les Européens, les soutiens de Moscou dans l’Union ont, avant 2015 et surtout 2022, tiré argument de ses actions anti-terroristes pour <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/marine-le-pen/terrorisme-de-moscou-le-pen-appelle-cooperer-avec-la-russie-4881050">attribuer à la Russie un rôle de pionnier de la défense de l’Occident</a>. Dans le narratif global russe, avant l’invasion de l’Ukraine, la lutte contre le terrorisme islamiste était l’un des principaux « titres de gloire » revendiqué par le Kremlin.</p>
<p>Viser la Russie fait sens, pour les terroristes islamistes en général et pour l’EI en particulier : les forces russes ont en effet contribué à la défaite militaire de l’EI en Syrie (et au maintien du régime de Bachar Al-Assad). Même si elle n’a rien d’une démocratie libérale, la Russie est pour l’EI une cible d’autant plus privilégiée qu’il tente de se replier notamment sur la zone centrasiatique. Le massacre du Crocus City Hall, qui n’est qu’un épisode supplémentaire dans la longue série des attentats terroristes perpétrés en Russie, illustre la résurgence de la menace islamiste dans ces zones de fragilité pour Moscou que sont l’Asie centrale mais aussi le Caucase russe (début mars, le FSB a ainsi annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-russie-dit-avoir-tue-six-terroristes-lors-d-une-operation-en-ingouchie-20240303">avoir démantelé une cellule djihadiste en Ingouchie</a>).</p>
<h2>Vers de nouveaux fronts ?</h2>
<p>Une fois rappelée l’histoire longue de la menace terroriste en Russie, les allusions et les sous-entendus des autorités russes sur une implication ou une connivence ukrainienne paraissent d’autant plus opportunistes et fantaisistes.</p>
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<p>Que le moment de l’attentat soit un défi à l’autorité de Vladimir Poutine, triomphalement réélu (en l’absence de la moindre opposition) quelques jours plus tôt, c’est l’évidence. Que l’éventuel affaiblissement de son pouvoir qui pourrait résulter du massacre (si les Russes reprochent au régime de s’être montré incapable de prévenir une attaque d’une telle ampleur) serve indirectement l’Ukraine, c’est manifeste. Mais de la conjonction des crises à la convergence des luttes, il y a un pas que la connaissance du terrorisme islamiste en Eurasie ne permet pas de franchir.</p>
<p>L’invasion de l’Ukraine est une décision militaire de politique extérieure contre une ancienne République socialiste soviétique (RSS) tentée de rejoindre l’Union européenne et l’OTAN. La lutte contre le terrorisme islamiste est un défi intérieur et extérieur qui se rattache aux actions de la Russie sur ses marches sud.</p>
<p>Le narratif manifestement opportuniste déployé par le Kremlin <a href="https://www.tbsnews.net/worldbiz/europe/not-isis-rt-editor-chief-moscow-concert-attack-814951">et par ses propagandistes</a> justifiera peut-être des actions supplémentaires contre l’Ukraine. Mais ce qui mérite l’examen, c’est l’inflexion que les politiques russes, intérieures et extérieures, sont susceptibles de prendre à court et moyen terme.</p>
<p>Tout d’abord, il est fort possible que, ayant fixé le front ukrainien et ayant engagé le <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-en-ukraine-quand-la-force-tord-le-bras-au-droit-192125">processus d’intégration de quatre districts ukrainiens</a>, la Russie se reporte sur d’autres fronts : en Europe du Nord pour « tester » la résistance des deux nouveaux membres de l’OTAN (Suède et Finlande) ; en Asie centrale, pour relancer sa coopération avec la Chine et les anciennes RSS de la région, et la cimenter par une reprise de la lutte contre le terrorisme ; vis-à-vis de l’Occident, au mieux pour critiquer son absence de solidarité et au pire pour l’accuser de complaisance ; au Moyen-Orient en relançant des actions estampillées anti-terroristes avec ses alliés locaux (Iran, Turquie, Syrie).</p>
<p>Sur le plan intérieur, en outre, l’attentat du 22 mars sera immanquablement interprété comme un outrage à la « verticale du pouvoir ». La lutte contre le terrorisme est déjà la cause d’une vague d’arrestations de suspects. Mais elle peut donner un nouveau motif à une plus large vague de répression. Car le rapport de la Russie au terrorisme est en partie différent de celui de l’Europe : pour les pouvoirs publics russes, les attentats sont non seulement des meurtres de civils et des troubles à l’ordre public, mais surtout un défi inacceptable à l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le massacre de Krasnogorsk s’inscrit dans une longue litanie d’actes terroristes djihadistes visant la Russie.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234992024-02-20T14:44:11Z2024-02-20T14:44:11ZLafarge, « complice de crimes contre l’humanité » en Syrie ? Vers un procès sans précédent pour une multinationale<p>Le 16 janvier 2024, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">Cour de cassation</a>, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France, a confirmé la mise en examen pour « complicité de <a href="https://theconversation.com/topics/crimes-contre-lhumanite-22671">crimes contre l’humanité</a> » de la société française Lafarge, une première pour une firme de cette envergure. Très attendue par la société civile et les victimes, cette reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des crimes internationaux commis à l’étranger par des acteurs économiques constitue un tournant décisif en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.</p>
<p>Cette affaire qui peut sembler technique, avec à l’origine quatre chefs d’accusation (dont un a été écarté), touche à la question sensible de la possibilité de poursuivre au pénal des entreprises <a href="https://theconversation.com/topics/multinationales-22485">multinationales</a>. Ce terme désigne des ensembles de sociétés réparties dans différents pays et obéissant à une stratégie commune fixée par une société mère. Ces grands groupes semblent parfois bénéficier d’une forme d’impunité, sentiment qui ressort de <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/">décisions précédentes</a>, notamment américaines. Le juge français pourrait ainsi venir poser les jalons d’une rupture.</p>
<h2>Différents chefs d’accusation</h2>
<p>Lafarge, société mère de droit français, avait créé en 2010 une filiale de droit syrien pour détenir et exploiter sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Entre 2010 et 2014, les alentours du site ont fait l’objet de violents affrontements entre divers groupes armés, dont l’État islamique qui a fini par s’en emparer en septembre 2014. Pour poursuivre ses activités malgré le contexte de conflit armé, Lafarge aurait distribué en 2013 et 2014 quelque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">13 millions d’euros</a> à ces groupes armés commettant de graves exactions selon l’étude d’un cabinet de conseil missionné par Holcim, le groupe suisse qui a racheté Lafarge depuis. L’enquête française a estimé ces versements entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe État islamique.</p>
<p>En 2016, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie">plainte</a> a été déposée en France par le ministère de l’Économie à la suite de révélations dans la presse, puis par l’association Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et 11 anciens salariés de Lafarge en Syrie, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire. En 2018, la société Lafarge, en tant que personne morale, ainsi que plusieurs de ses cadres, a été mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ».</p>
<p>Le <a href="https://www.asso-sherpa.org/confirmation-de-la-mise-en-examen-de-lafarge-complicite-crimes-contre-humanite">18 mai 2022</a>, la Cour d’appel avait confirmé la mise en examen de la société Lafarge pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « mise en danger de la vie d’autrui », charges ensuite contestées dans un pourvoi en cassation. </p>
<p>La décision du 16 janvier 2024 est venue confirmer la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », considérant que la multinationale avait connaissance des graves exactions commises par les groupes armés. En revanche, la Cour de cassation a écarté la mise en examen pour la mise en danger de la vie d’autrui, estimant que la loi française n’était pas applicable aux salariés syriens. Un choix <a href="https://www.asso-sherpa.org/lafarge-en-syrie-decision-determinante-de-la-cour-de-cassation-sur-les-mises-en-examen-de-la-multinationale">déploré par Sherpa</a> pour qui pareille interprétation restrictive des règles de conflit de lois, malgré la forte implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne, entrave l’accès à la justice pour les travailleurs de multinationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756000073530409033"}"></div></p>
<p>Pour les deux autres chefs d’accusation, le Parquet national antiterroriste a demandé son renvoi en correctionnel le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/09/lafarge-en-syrie-un-premier-proces-requis-contre-le-cimentier-et-neuf-personnes-pour-financement-du-terrorisme_6215693_3224.html">9 février 2024</a> pour financement d’une entreprise terroriste et pour violation d’un embargo, disjoignant ainsi les deux volets de l’affaire.</p>
<h2>Une porte ouverte par le droit français</h2>
<p>S’agissant des infractions de « financement du terrorisme » et de « complicité de crime contre l’humanité », celles-ci sont prévues, d’une part, dans la <a href="https://www.un.org/french/millenaire/law/cirft.htm">Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999</a>, d’autre part, dans le <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998</a>. Ces deux conventions ont été ratifiées par la France respectivement en 2002 et 2000.</p>
<p>Le financement du terrorisme s’entend, selon l’article 2 de la Convention sur le terrorisme, comme tout acte consistant à fournir ou à réunir des fonds « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre » des actes relevant du terrorisme. Le crime contre l’humanité s’entend, quant à lui, selon l’article 7 du Statut de Rome, comme des exactions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, incluant des actes tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la torture ou encore le viol.</p>
<p>Si le Statut de Rome a retenu la seule responsabilité pénale individuelle, son article 25 précise qu’« aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international ». La Convention sur le financement du terrorisme dispose, quant à elle, en son article 5 :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque État Partie, conformément aux principes de son droit interne, prend les mesures nécessaires pour que la responsabilité d’une personne morale située sur son territoire ou constituée sous l’empire de sa législation soit engagée lorsqu’une personne responsable de la direction ou du contrôle de cette personne morale a, en cette qualité, commis une infraction visée [par la présente convention]. Cette responsabilité peut être pénale, civile ou administrative ».</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000021796078/#LEGISCTA000021796940">Code pénal français</a> prévoit des mécanismes répressifs à l’encontre des sociétés transnationales qui relèvent de la législation française ou qui ont commis des infractions pénales sur le territoire français. En outre, son article 121-7, relatif au régime général de la complicité, requiert uniquement que le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-de-cassation-ouvre-voie-une-mise-en-examen-de-lafarge-pour-complicite-de-crime-contre-l-h">complice</a> ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime, sans critère géographique.</p>
<p>Si, avec l’affaire <em>Lafarge</em>, la France a ainsi l’opportunité de poser les prémices de la poursuite pénale d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité, cela n’est toutefois pas sans poser de redoutables défis.</p>
<h2>Vers la fin de l’impunité <em>de facto</em> des sociétés transnationales ?</h2>
<p>Depuis longtemps, les multinationales semblent bénéficier d’une certaine forme d’impunité, tirant profit de la complexité des régimes juridiques internationaux et de la difficulté d’imposer des normes juridiques uniformes à l’échelle mondiale. En effet, les règles encadrant leurs activités n’offrent notamment pas un cadre répressif avec des peines adaptées à la nature d’infractions comme le financement du terrorisme ou la complicité pour crimes contre l’humanité. Des efforts ont, certes, été déployés au niveau international pour les rendre responsables de leurs actions, comme l’adoption en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf">Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme</a>. L’absence d’un régime de responsabilité pénale internationale spécifique pour ces entités suggère néanmoins qu’elles pourraient potentiellement esquiver toute responsabilité pour leurs actions.</p>
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<p>Tel a été le cas dans l’affaire <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/"><em>Presbyterian Church of Sudan et al. v. Talisman Energy, Inc. and the Republic of the Sudan</em></a>. Des plaignants avaient intenté une action en justice contre l’entreprise Talisman Energy en vertu de l’<em>Alien Tort Statute</em>, une loi américaine de 1789 accordant aux tribunaux fédéraux compétence sur les affaires civiles déposées par des étrangers pour des violations du droit international. Ils alléguaient que cette société pétrolière canadienne était complice de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains perpétrés par le gouvernement soudanais dans les régions pétrolifères où elle opérait. En 2009, la requête a été rejetée et la société n’a pas été tenue pénalement responsable en raison pour partie d’un manque de preuves, mais surtout de la quasi-impossibilité d’engager la responsabilité d’une société transnationale sur le fondement du droit international. Un tel précédent a laissé planer l’ombre de l’impunité des sociétés transnationales et entretenu, à leur égard, le mythe d’une irresponsabilité pénale.</p>
<p>Face à l’inadéquation des mécanismes généraux de la responsabilité internationale et à une société civile de plus en plus déterminée à lutter contre l’impunité des personnes morales, la mise en examen de Lafarge apparaît comme un précédent qui pourrait relancer le débat sur la question de la pénalisation des activités des sociétés transnationales. Lafarge est, en effet, la première société transnationale au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur le fondement de complicité de crimes contre l’humanité. Les juges français vont ainsi, quelle que soit l’issue du procès, poser d’importants jalons susceptibles d’inspirer une évolution de la justice pénale internationale.</p>
<p>Ces jalons seront d’autant plus importants que d’autres affaires similaires sont en cours. L’association Sherpa, avec d’autres, a notamment déposé une <a href="https://www.asso-sherpa.org/complicite-de-crimes-de-guerre-au-yemen-une-plainte-deposee-contre-des-entreprises-darmement-francaises">plainte pénale</a> contre plusieurs entreprises d’armement pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient été commis grâce à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.</p>
<hr>
<p><em>Kadoukpè Babaodi, étudiant en Master 2 à l’Institut des droits de l’homme de l’Université catholique de Lyon a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les firmes multinationales semblent parfois jouir d’une forme d’impunité pénale. Que la justice française se saisisse du cas Lafarge pourrait bien marquer une rupture d’envergure.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2226192024-02-15T15:50:36Z2024-02-15T15:50:36ZRetrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeao : décryptage des enjeux securitaires<p>_Le 28 janvier, le Burkina Faso, le Mali et le Niger <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cx7l85qg5jpo">ont annoncé</a> leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Environ quatre mois plus tôt, ces trois pays avaient créé <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/l-alliance-des-%C3%A9tats-du-sahel-aes-un-tournant-d%C3%A9cisif-pour-l-afrique-de-l-ouest-/2998753">l’Alliance des États du Sahel </a>(AES), un pacte de défense mutuelle intervenu dans un contexte où la Cedeao menaçait de mener une opération militaire au Niger après le coup d’État de juillet 2023.</p>
<p>_Depuis quelques années, ces trois pays frontaliers et enclavés avec de larges superficies, font face à une grave crise humanitaire. En peu de temps, ils se sont retirés de deux organisations sous-régionales : la Cedeao et le <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/le-burkina-faso-et-le-niger-se-retirent-du-g5-sahel/3071342">G5 Sahel</a>. Moda Dieng est chercheur sur les questions de paix au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Il explique à The Conversation Afrique les causes et les conséquences de ce retrait sur la paix et la sécurité dans la sous-région. _</p>
<h2>Quelles sont les raisons qui ont motivé la décision de retrait de la Cedeao?</h2>
<p>Le choix du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se séparer de la Cedeao semble avoir été influencé par l’intérêt commun des régimes militaires de prolonger leur pouvoir. Selon <a href="https://wipolex-res.wipo.int/edocs/lexdocs/treaties/fr/ecowas/trt_ecowas.pdf#page=41">l’article 91 du Traité portant création de la Cedeao</a>, l’État membre qui a formalisé sa décision de se retirer de l’organisation par écrit dans un délai d’un an, est tenu de se conformer aux dispositions dudit traité et de s’acquitter des obligations qui lui incombent. </p>
<p>En annonçant leur retrait de la Cedeao, les pays de <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/sahel2023.htm">l’Alliance des États du Sahel</a> ont pris le soin de préciser que la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20240129-afrique-de-l-ouest-pourquoi-mali-niger-et-burkina-faso-divorcent-ils-de-la-c%C3%A9d%C3%A9ao">décision prend effet immédiatement</a>. En disant cela, les pouvoirs militaires veulent que les engagements pris avec l’organisation sous-régionale sur les délais des transitions ne tiennent plus et qu’ils ne sont plus obligés de faire des promesses sur l’organisation des élections. Ce qui leur donne la latitude de se maintenir au pouvoir. </p>
<p><a href="https://www.proquest.com/docview/1037273191?sourcetype=Scholarly%20Journals">Un État qui considère que le regroupement interétatique dont il est membre </a>ne répond pas à ses préoccupations, aura tendance à le contourner en agissant en dehors de l'architecture existante, ou en mettant en place un nouveau régime avec des objectifs, des règles et des structures. </p>
<p>La décision des pays de l’AES de se retirer de la Cedeao traduit une insatisfaction par rapport à l’organisation sous-régionale qui n’a pu répondre à leurs attentes dans la lutte contre les groupes terroristes. </p>
<p>En janvier 2013, la Cedeao avait déployé <a href="https://www.au-misahel.org/historique-de-loperation-misma/">la Mission internationale de soutien au Mali (Misma)</a> pour aider l’armée malienne à se reconstituer et combattre les groupes terroristes dans le nord du pays, mais l’opération n’a pas été un succès. Au mois de mars de la même année, la Misma passe sous l’autorité de l’Union africaine, avant d’être remplacée par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) à partir du 1er juillet.</p>
<p>Le <a href="https://issafrica.org/fr/iss-today/le-dernier-plan-de-lutte-contre-le-terrorisme-de-la-cedeao-pietine#:%7E:text=Ce%20plan%20permet%20%C3%A0%20la,du%20Sahel%20(G5%20Sahel).">Plan d’action de 2,3 milliards de dollars US sur quatre ans (2020-2024) </a>adopté par la Cedeao en 2019 pour prévenir et lutter contre le terrorisme et les conflits intercommunautaires au Sahel n’a pas non plus donné de résultats satisfaisants. Ce plan piétine du fait du manque de ressources et de la réticence des États sahéliens qui doutent de la pertinence d’une énième initiative régionale, mais aussi de la capacité de la Cedeao à combattre les menaces. </p>
<h2>La Cedeao est-elle une victime collatérale?</h2>
<p>Les <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220326-la-c%C3%A9d%C3%A9ao-maintient-ses-lourdes-sanctions-sur-le-mali">lourdes sanctions de la Cedeao contre le Mali</a> à la suite du coup d’État de mai 2021 et plus récemment <a href="https://information.tv5monde.com/international/niger-la-cedeao-maintient-les-sanctions-et-reclame-la-liberation-de-mohamed-bazoum">contre le Niger </a>depuis le putsch de juillet 2023 semblent également avoir joué un rôle dans la décision de ces pays de cesser d’être membres de l’organisation. <a href="https://theconversation.com/burkina-faso-mali-et-niger-signent-un-pacte-de-defense-lalliance-des-etats-du-sahel-en-quete-dautonomie-strategique-215361">Les sanctions ainsi que la velléité</a> d'intervention militaire de la Cedeao au Niger ont considérablement contribué à la dégradation des relations entre les trois pays du Sahel central et l’organisation ouest-africaine. </p>
<p>Dans ces pays, il y aussi une opinion répandue selon laquelle la France était derrière ces sanctions, aidée en cela par ses partenaires clés comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal. De ce point de vue, le retrait des pays de l’AES de la Cedeao s’avère être un dommage collatéral qui résulte à la fois des sanctions et de la détérioration de leurs relations avec la France, mais aussi entre certains membres de l’organisation – entre le Mali et la Côte d’Ivoire. </p>
<h2>Quels sont les impacts prévisibles en termes de sécurité et de stabilité ?</h2>
<p>La région du Sahel vit une situation paradoxale. Alors que les conditions sécuritaires se dégradent de jour en jour, la coopération à l’échelle régionale et internationale s’affaisse. À la différence d’autres acteurs, la Cedeao n’est pas engagée dans la lutte contre l’insécurité liée aux organisations terroristes dans la région. En mettant fin à leur participation à l’organisation en tant que membres, le Burkina Faso, le Mali et le Niger n’auront donc pas un vide à combler ou qui pourrait être exploité par les groupes armés. </p>
<p>En revanche, l’engagement de la Cedeao pour la stabilité politique a été crucial, parce qu’il participe indirectement à la lutte contre l’insécurité. Les changements abrupts de régimes politiques, et de manière anticonstitutionnelle de surcroît, fragilisent les institutions de l’État censées combattre l’insécurité. Au Sahel, l’insécurité devient croissante et finit par installer les pays dans un cercle vicieux : <a href="https://dandurand.uqam.ca/wp-content/uploads/2023/12/2023-12-05-rapport-.pdf">plus les conditions de sécurité se détériorent plus le risque de putsch devient élevé</a>. Les coups d’État deviennent plus attractifs, d’autant plus que les pays ne sont plus membres d’une organisation sous-régionale ayant des dispositifs importants contre les coups d’État. </p>
<h2>Avec quels mécanismes les trois pays peuvent-ils renforcer la lutte contre l'insécurité après leur retrait de la Cedeao?</h2>
<p>En raison de l’inertie de la Cedeao face à la menace terroriste et de l’échec du G5 Sahel et de sa force conjointe, les pays du Sahel central ne croient plus en la capacité de l’approche multilatérale traditionnelle à répondre aux défis sécuritaires dans la région. L’ampleur des menaces sécuritaires au Sahel et leur complexité nécessite un engagement substantiel des pays directement affectés, avec beaucoup de créativité et de flexibilité pour des réponses coordonnées.</p>
<p>Le Burkina Faso, le Mali et le Niger s’appuient de plus en plus sur <a href="https://dandurand.uqam.ca/wp-content/uploads/2023/12/2023-12-05-rapport-.pdf">des initiatives individuelles, bilatérales et trilatérales</a>, qu’ils considèrent plus pragmatiques et moins coûteuses en ressources financières. La collaboration croissante entre ces trois pays et entre certains d’entre eux (Burkina Faso et Niger) avec la Russie à travers des accord de coopération s’inscrivent dans cette perspective. </p>
<p>Les pouvoirs militaires dans les pays de l’AES devraient privilégier le long terme et avoir une vision plus large de la paix et de la sécurité. En dépit de ses faiblesses, la Cedeao demeure un indispensable outil de stabilisation, d’intégration et de développement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222619/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moda Dieng does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le choix du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se séparer de la Cedeao semble avoir été influencé par l’intérêt commun des régimes militaires de prolonger leur pouvoir.Moda Dieng, Professor of Conflict Studies, School of Conflict Studies, Université Saint-Paul / Saint Paul UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177242024-01-31T15:56:36Z2024-01-31T15:56:36ZPourquoi le salafisme attire-t-il certains jeunes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568636/original/file-20240110-15-1xi2zx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C1629%2C3535%2C2043&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quête de soi, désaffiliation sociale, besoin d'engagement : les raisons de l'adhésion au salafisme sont multiples.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/photogaphie-en-niveaux-de-gris-dun-homme-assis-sur-un-banc-en-beton-kX9lb7LUDWc">Matthew Perry/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Samedi 2 décembre 2023, un <a href="https://theconversation.com/attaques-terroristes-conflits-comment-exister-face-aux-tragedies-du-monde-215719">terroriste</a> armé d’un couteau a tué un touriste allemand et blessé deux autres personnes. Quelques semaines après <a href="https://theconversation.com/face-aux-attaques-terroristes-comment-proteger-les-enseignants-215724">l’attentat à Arras qui a coûté la vie au professeur Dominique Bernard</a>, cet événement interroge à nouveau le processus de <a href="https://theconversation.com/terrorisme-ces-individus-instables-qui-se-dopent-aveuglement-a-la-foi-ideologique-215818">radicalisation</a> qui touche certains jeunes.</p>
<p>Il souligne l’urgence de comprendre <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-soft-power-salafiste-de-larabie-saoudite-84308">l’influence grandissante du salafisme</a> en France, courant souvent au cœur des processus de radicalisation, et les ressorts de l’adhésion à cette mouvance religieuse.</p>
<p>Si l’on s’en tient aux résultats de nos <a href="https://theses.hal.science/tel-04145508v1/document">récentes recherches</a>, ce sont les jeunes adultes dont les repères sociaux et professionnels ne sont pas encore bien établis, voire incertains, qui sont attirés par le salafisme. Et c’est pour recouvrer une stabilité identitaire qu’ils empruntent parfois le chemin de l’extrémisme. Mais alors, de quoi le salafisme est-il le nom ?</p>
<p>Les salafistes, en général, cherchent à revenir aux pratiques et aux croyances des pieux « ancêtres » – désignant les générations fondatrices de l’islam appelés <em>Al Salaf Al Sâlih</em>, considérés comme les plus authentiques. Il existerait <a href="https://www.cairn.info/qu-est-ce-que-le-salafisme--9782130557982.htm">trois formes principales de salafisme</a> :</p>
<ul>
<li><p>Le salafisme quiétiste, majoritaire, prône l’ascétisme, la retraite spirituelle et l’abstention de l’engagement politique</p></li>
<li><p>Le salafisme politique aspire à établir un État islamique fondé sur la charia (loi islamique)</p></li>
<li><p>Le salafisme djihadiste, très minoritaire, considère la violence terroriste comme un moyen légitime pour imposer sa vision de l’islam.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi, toutes les personnes se revendiquant du salafisme sont très rarement impliquées dans des activités violentes. Cependant, certains aspects mis en avant par cette mouvance tel que le principe d’<em>Al-wala’ wal-bara</em> (« allégeance et désaveu ») ont pour effet d’encourager la distance sociale voire le séparatisme. Un séparatisme pouvant prendre la forme d’une désempathie ou d’une déshumanisation des autres.</p>
<h2>Pourquoi le salafisme « fait sens » pour certains jeunes ?</h2>
<p><a href="https://theses.hal.science/tel-04145508v1/document">L’enquête que nous avons menée en 2019</a> dans le cadre d’une recherche en sociologie permet de comprendre pourquoi le salafisme attire certains jeunes. À ce sujet, trois dimensions ont été révélées par nos observations :</p>
<ul>
<li><p>une quête identitaire</p></li>
<li><p>une vision du monde structurée et un mode de vie clair</p></li>
<li><p>une volonté de se démarquer et de se sentir appartenir à une communauté</p></li>
</ul>
<p>Autrement dit, l’attraction pour le salafisme trouve son origine dans sa capacité à proposer un modèle social alternatif. En fournissant des repères moraux et existentiels ; il constituerait une réponse à la <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2023-1-page-65.htm">crise d’identité et de valeurs éprouvée par ces jeunes en quête de sens</a>. En offrant une alternative radicale à une culture dominante sécularisée, mue par l’individualisme, le salafisme s’apparente, pour certains, à un sanctuaire psychique. Les propos du jeune Othmâne, l’un de nos enquêtés, sont à cet égard éloquents :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai trouvé dans l’Islam ce que je ne trouvais pas dans les autres religions… Une communauté d’accueil, une communauté chaleureuse et disponible pour moi, des frères qui me guident et me conseillent dans ce que je veux faire… C’est dans cette chaleur humaine que mon vide a été comblé et que ma vie a totalement changé <em>Hamdoulillah</em> (Dieu merci). »</p>
</blockquote>
<p>Le salafisme semble séduire en premier lieu parce qu’il offre l’occasion d’un ancrage existentiel pour ces jeunes dont l’identité n’est pas encore bien établie. Ensuite, en procurant un sentiment d’appartenance et de communauté, il constitue un bouclier contre une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_societe_du_mepris-9782707153814">société perçue et vécue comme méprisante</a>. En d’autres termes, cette mouvance religieuse offre l’occasion d’une appartenance à une communauté de valeurs et de pratiques. Elle nourrit un sentiment de cohésion et, par ricochet, de sécurité psychique. Ces jeunes trouvent donc dans cette voie un refuge contre le sentiment d’exclusion, d’assignation à <a href="https://theses.hal.science/tel-04145508v1/document">résidence identitaire et géographique</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/terrorisme-ces-individus-instables-qui-se-dopent-aveuglement-a-la-foi-ideologique-215818">Terrorisme : ces individus instables qui se dopent aveuglement à la foi idéologique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Précisons aussi que les réseaux sociaux et la propagande en ligne jouent un rôle non négligeable dans ce processus d’adhésion : les <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2017-3-page-29.htm">jeunes y trouvent un soutien et une validation de leurs croyances</a>. À noter également que la frustration face aux difficultés économiques, aux discriminations ou à l’absence d’opportunités peut <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-fabrique-de-la-radicalite-laurent-bonelli/9782021397932">conduire certains à rechercher dans le salafisme un espace de rébellion</a>. Comme on peut le voir, les jeunes les plus vulnérables constituent des proies faciles.</p>
<h2>Proposer un contre-horizon</h2>
<p>En explorant la question de la perte de sens, le sociologue et philosophe allemand <a href="https://www.philomag.com/philosophes/hartmut-rosa">Hartmut Rosa</a> offre un perspective précieuse pour appréhender les questions existentielles dans les sociétés modernes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S4cSgfb2xEo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans son ouvrage <a href="https://editions.flammarion.com/remede-a-l-acceleration/9782080241900"><em>Remèdes à l’accélération</em></a>, il montre comment la vie moderne se caractérise par une accélération constante qui impacte tous les aspects de l’existence. Ces changements, de plus en plus rapides, affectent en premier lieu la relation à soi, à son bien-être et, plus largement, aux autres.</p>
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<p>Dans cet ouvrage, Rosa interroge les notions d’autonomie, de progrès, le rapport au temps et, surtout, la notion de résonance comme une forme de relation au monde susceptible de se prémunir des écueils du phénomène d’accélération. Selon le sociologue, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/resonance-9782707193162">résonance</a> se produit lorsque les individus établissent des connexions significatives avec leur environnement humain, physique et – point important ici – transcendantal.</p>
<p>Par ailleurs, pour donner à voir les alternatives à la modernité, l’auteur distingue trois types de sujets : les surfeurs, les dériveurs et celui qui cherche un ancrage existentiel. Et c’est précisément de ce dernier groupe que peuvent émerger les comportements terroristes.</p>
<ul>
<li><p>Le surfeur est celui qui saute de vague en vague, essayant de déchiffrer et maîtriser les éléments sans y parvenir. Tout comme Sisyphe, il est condamné à la répétition et donc à ne jamais accéder au repos et au bien-être.</p></li>
<li><p>Le dériveur, quant à lui, balloté de toute part, navigue sans amer dans un océan dépourvu de havres de paix. Ce faisant, il est condamné à l’errance.</p></li>
<li><p>En contraste du surfeur et du dériveur, le troisième type de sujet est celui qui, en quête de stabilité, pour échapper à l’accélération, cherche à jeter l’ancre pour se (re)poser.</p></li>
</ul>
<p>C’est alors que les groupes terroristes (au sens large) apparaissent comme des rives stables et sécurisantes pour ces jeunes en quête d’existence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217724/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des chercheurs se sont penchés sur les raisons pour lesquelles les jeunes Français sont séduits par le salafisme. Une quête de sens existentielle semble être leur principal moteur.Djamel Bentrar, CTER à l'IUT du Mans, Le Mans Université, Le Mans UniversitéOmar Zanna, Sociologue, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208952024-01-21T07:06:47Z2024-01-21T07:06:47ZFin de parcours pour la Force conjointe du G5 Sahel : quels enseignements en tirer ?<p>Le 2 décembre 2023, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé <a href="https://www.jeuneafrique.com/1510714/politique/apres-le-mali-le-burkina-faso-et-le-niger-quittent-le-g5-sahel/#:%7E:text=Apr%C3%A8s%20le%20Mali%20l'an,contre%20le%20jihadisme%20au%20Sahel">leur retrait du G5 Sahel</a> et de sa force conjointe. Ce qui porte à trois le nombre de pays membres ayant mis fin à leur participation à ces mécanismes, après le retrait du Mali en 2022. </p>
<p>Quatre jours plus tard, le 6 décembre, la Mauritanie et le Tchad, les deux derniers membres annoncent, à leur tour, la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20231206-g5-sahel-mauritanie-tchad-dissolution-force-alliance-antijihadiste-mali-burkina-faso-niger">dissolution prochaine du G5 Sahel</a> et de ses mécanismes. Une décision en phase avec <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Countries/Africa/Convention_creation_G5_Sahel.pdf#page=8">l’article 20 de la Convention portant création du G5 Sahel</a> selon lequel “le G5 Sahel peut être dissous à la demande d’au moins trois États membres”. </p>
<p>Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience de coopération contre le terrorisme, notamment pour les acteurs africains?</p>
<p>Je m’intéresse aux questions <a href="https://scholar.google.ca/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=Moda+Dieng&btnG=">de paix et de sécurité en Afrique</a>, avec un intérêt particulier pour les initiatives nationales et internationales visant à ramener la paix et la stabilité.</p>
<h2>Soutiens logistiques</h2>
<p>Le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/quest-ce-que-le-g5-sahel-1162497">G5 Sahel a été créé en 2014</a> avec une approche développement et sécurité. En 2017, les pays membres ont lancé la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) pour combattre le terrorisme et le crime organisé. La FC-G5S est une force ad hoc en ce sens qu’elle ne faisait pas partie des mécanismes et organisations de <a href="https://www.peaceau.org/fr/topic/the-african-peace-and-security-architecture-apsa">l’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine</a>. </p>
<p>Outre l’avantage d’éviter les lourdeurs bureaucratiques et les retards dûs à la recherche de consensus, les réponses de type ad hoc permettent de gagner en flexibilité et en autonomie dans la définition du champ d’intervention géographique. Elles permettent aussi aux États engagés de choisir leurs alliés, et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01436597.2020.1763171">d’accéder à des soutiens logistiques et financiers </a>.</p>
<p>Grâce à la coopération, les pays du G5 Sahel ont pu établir des projets de développement et renforcé <a href="https://www.g5sahel.org/le-president-de-la-republique-islamique-de-mauritanie-preside-le-g5-sahel/">les canaux d’échange et de coordination en matière de défense et de sécurité</a>. Le G5 Sahel et sa Force conjointe ont aussi permis d’ouvrir des voies de communication entre des pays qui avaient très peu d’interactions comme la Mauritanie et le Tchad.</p>
<h2>Dissensions entre pays membres</h2>
<p>En matière de lutte contre l’insécurité dans le cadre d’un regroupement étatique, l’engagement de tous les membres est essentiel, pour donner corps à la mutualisation des efforts. Dans le cadre de la Force conjointe-G5 Sahel, l’implication militaire était trop disproportionnée. La Mauritanie, qui n’a pas été affectée par le terrorisme de la même manière que les autres pays de la coalition, est restée à l’intérieur de ses frontières dans une posture défensive, en dépit de tirer beaucoup d’avantages de la coopération multilatérale en abritant le siège du Secrétariat permanent du G5 Sahel ainsi que le Collège de défense de l’organisation. Ce dernier est une <a href="https://www.cdg5s.org">école de guerre</a> dont la mission consiste à former et préparer les cadres militaires des pays membres.</p>
<p>À cela s’ajoutent les dissensions entre les pays membres. La Mauritanie a été accusée à tort ou à raison par le Mali d’avoir <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-2-page-115.htm">noué un pacte de non-agression avec les organisations terroristes</a>. Avant les coups d’État intervenus récemment au Mali et au Niger, Niamey reprochait aussi à Bamako de <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/mali/261-frontiere-niger-mali-mettre-loutil-militaire-au-service-dune-approche-politique">n’être pas capable</a> d’empêcher les groupes terroristes d’ériger en sanctuaires les espaces proches de la frontière avec le Niger.</p>
<h2>Les limites de cette initiative</h2>
<p>Le leadership est présenté comme un facteur nécessaire en matière de coopération militaire multilatérale. Or, dans le cadre de la Force Conjointe-G5 Sahel, le leadership n’était pas assuré par les pays membres. La Force conjointe était vue tantôt comme un “projet français”, tantôt comme une initiative africaine accaparée par la France, une des principales sources d’influence diplomatique, politique et militaire de la task force. Au lieu de se mettre dans une posture d’appui aux États et à la Force Coinjointe-G5 Sahel, Paris a plutôt voulu agir de manière autonome,créant beaucoup de <a href="https://dandurand.uqam.ca/wp-content/uploads/2023/12/2023-12-05-rapport-.pdf">frustration du côté des forces de sécurité des États du Sahel et de leurs opinions publiques</a>.</p>
<p>L’expérience dans le cadre de la Force conjointe montre aussi que les pays peuvent certes solliciter une aide internationale, y compris financière, mais ils doivent éviter de tomber dans une dépendance forte ou totale. Sinon, les acteurs internationaux vont saisir l’opportunité d’instrumentaliser cette dépendance, en imposant leur agenda et des <a href="https://africacenter.org/wp-content/uploads/2022/08/ASB-41-FR_updated.pdf">solutions “prêtes à l’emploi” et peu pertinentes</a> par rapport aux réalités locales et nationales.</p>
<p>Dans le cadre du G5 Sahel, la prévalence écrasante de l’approche sécuritaire a été voulue et imposée par la France, l’Union européenne (UE) et leurs partenaires internationaux. La posture du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-etat-islamique-designe-ennemi-numero-1-au-sahel-20200115">président français, Emmanuel Macron, lors du sommet de Pau de janvier 2020</a> disant à ses homologues sahéliens qu’il fallait accentuer les opérations militaires, en désignant l’État islamique du Grand Sahara (EIGS) comme l’ennemi prioritaire au Sahel en est une illustration nette.</p>
<h2>Dépendance financière</h2>
<p>Une forte dépendance à l’aide financière extérieure a également l’inconvénient de créer beaucoup d’incertitudes du fait des retards dans l’exécution des promesses de financement. Celles-ci dépendent de l’agenda des acteurs dont les intérêts changent en fonction des circonstances géopolitiques. La Force conjointe avait reçu beaucoup de promesses de financements, mais peu d’entre elles ont été tenues. </p>
<p>Par ailleurs, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01436597.2020.1763171">les recherches</a> ont montré que lorsque les organisations régionales reçoivent beaucoup de financements directs de la part d’acteurs non africains, l’influence de l’UA a tendance à diminuer. L’essentiel des financements de la Force conjointe provenait de l’UE et ne passaient pas par l’UA. Cette réalité et la forte influence française sur la task force, ont joué un rôle important dans la posture de l’UA de ne pas soutenir la Force conjointe, comme elle l’a fait pour la Force multinationale mixte du Bassin du lac Tchad. <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-modern-african-studies/article/abs/au-task-forces-an-african-response-to-transnational-armed-groups/078D127A0CD09915059938CEBCC06B7A">Le soutien de l’UA est important</a>, notamment pour renforcer la légitimité des initiatives militaires et générer des ressources, même si c’est de manière limitée.</p>
<h2>L’importance de la stabilité politique</h2>
<p>L’expérience de la Force conjointe montre aussi qu’en matière de coalition militaire contre le terrorisme, la stabilité politique des pays engagés est importante. Les crises politiques fragilisent les institutions et les politiques de sécurité des États ainsi que la coopération régionale et internationale, du fait notamment des changements ou des ruptures dans les politiques des États. Les changements consécutifs aux coups d’État au Mali, au Niger et au Burkina Faso empêchent l’émergence d’une stratégie cohérente contre l’insécurité. Les coups d’État ont aussi tendance à fragiliser les forces de défense et de sécurité censées combattre l’insécurité. </p>
<p>Beaucoup d’espoirs ont été attachés à la Force conjointe au moment de son lancement en 2017. Les pays membres ne vont pas regretter sa dissolution, en raison de son <a href="https://press.un.org/fr/2022/cs15108.doc.htm">apport limité sur le terrain</a>. Son échec peut néanmoins servir d’enseignements pour des structures de coopération militaire encore embryonnaires comme l’<a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221122-l-initiative-d-accra-un-forum-s%C3%A9curitaire-%C3%A0-la-crois%C3%A9e-des-chemins">Initiative d’Accra</a>et l’<a href="https://theconversation.com/burkina-faso-mali-et-niger-signent-un-pacte-de-defense-lalliance-des-etats-du-sahel-en-quete-dautonomie-strategique-215361">Alliance des États du Sahel</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220895/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moda Dieng est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. </span></em></p>Les changements consécutifs aux coups d’État au Mali, au Niger et au Burkina Faso empêchent l’émergence d’une stratégie cohérente contre l’insécurité.Moda Dieng, Professor of Conflict Studies, School of Conflict Studies, Université Saint-Paul / Saint Paul UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211492024-01-15T16:43:35Z2024-01-15T16:43:35ZQui sont les Houthis, cette milice yéménite visée par les frappes américaines et britanniques ?<p>Les Houthis, également connus sous le nom d’Ansar Allah (ou « partisans de Dieu »), sont un groupe militaire qui exerce actuellement un contrôle de facto sur la majeure partie du nord du Yémen. Formée dans les années 1990, la milice porte le nom de son fondateur, Hussein Badreddin al-Houthi, et suit la branche zaïdite de l’islam chiite, qui représente <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">20 à 30 % de la population du Yémen</a>.</p>
<p>Les dirigeants du groupe sont issus de la tribu Houthi, qui fait partie de la confédération Bakil, la <a href="https://www.france24.com/fr/20110607-yemen-pays-tiraille-entre-tribalisme-democratie-ali-abdallah-saleh-manifestation-revolte-tribus-hached-bakil">plus grande des trois grandes confédérations tribales</a> du Yémen avec les Hashid et les Madhaj. Alors que les États-Unis et le Royaume-Uni ont effectué une série de <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20240112-les-%C3%A9tats-unis-et-le-royaume-uni-ont-men%C3%A9-avec-succ%C3%A8s-des-frappes-contre-les-houthis-au-y%C3%A9men">frappes militaires</a> contre le groupe yéménite, après une série d’attaques menées par la milice contre des navires de la mer Rouge, voici quatre choses qu’il faut savoir au sujet des Houthis.</p>
<h2>1. Pourquoi les Houthis se sont-ils formés ?</h2>
<p>Pour comprendre la montée en puissance des Houthis, il convient tout d’abord de retracer l’histoire mouvementée du Yémen. Depuis sa création en 1990, le Yémen a peiné à édifier un État unifié et efficace, et a été en proie à la faiblesse de ses institutions et de son nationalisme, à l’insurrection et au sécessionnisme.</p>
<p>La région qui comprend aujourd’hui le Yémen a été divisée en <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1990_num_36_1_2960">deux territoires, le nord et le sud</a> du XIX<sup>e</sup> siècle à 1990. Après l’effondrement de l’empire ottoman, le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Republique-Arabe-du-Yemen-Yemen-du-Nord-1970-1990.html">Yémen du Nord est devenu indépendant en 1918</a> tandis que le sud du Yémen est resté sous contrôle britannique jusqu’en 1967 avant de gagner son indépendance cette année-là sous le nom de République démocratique populaire du Yémen <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/pays/yemendusud">(Yémen du Sud)</a>, au régime marxiste et soutenu par l’URSS. Les deux Yémens ont ensuite été unifiés en 1990.</p>
<p>Les identités tribales restent fortes, en particulier dans le nord, et de nombreux groupes différents ont détenu le pouvoir dans l’histoire de la région. Les chiites zaydites se sont battus pendant des milliers d’années pour le contrôle du territoire que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Yémen, avec un <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">certain succès</a>. Aujourd’hui, sous l’égide des Houthis, ils contrôlent certaines parties du nord du Yémen.</p>
<p>Si nous avançons rapidement jusqu’à l’ère moderne, le Yémen a été confronté à des conflits constants et à la faillite de l’État. Le nord du pays était dirigé depuis 1978 par le dictateur Ali Abdullah Saleh, qui a ensuite pris la tête du <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMBiographie?codeAnalyse=140">Yémen nouvellement unifié</a> en 1990. Les proches de Saleh contrôlaient alors des pans entiers de l’armée et de l’économie – et la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201502/25/01-4847373-yemen-lex-president-saleh-aurait-amasse-plus-de-30-milliards-par-la-corruption.php">corruption était un fléau extrêmement répandu</a>.</p>
<p>Des tensions sont apparues parce que la grande majorité des ressources du Yémen alimentaient Sanaa, la capitale du Yémen du Nord, et en particulier le clan Sanhan de Saleh, membre de la fédération Hashid. Bien que le gouvernement central ait réussi à maintenir l’unité du pays (Saleh a notamment déclaré que gouverner le Yémen revenait à « <a href="https://www.letemps.ch/monde/moyenorient/ali-abdallah-saleh-devore-serpents">danser sur la tête de serpents</a> ») après la tentative de sécession du sud en 1994, de nombreux groupes ont exprimé des griefs à l’encontre du gouvernement dirigé par Saleh.</p>
<p>Les Houthis ont été parmi les principaux contestataires du gouvernement central du Yémen. En plus de subir des décennies de marginalisation politique, de négligence, d’exclusion économique et parfois de terreur de la part du gouvernement central, les Houthis étaient préoccupés par l’influence saoudienne croissante dans le pays – et en particulier par le pouvoir grandissant du <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Rebellion-chiite-au-Yemen.html">salafisme et du wahhabisme</a> (considérés comme des doctrines religieuses saoudiennes importées).</p>
<p>Mais le point de basculement pour le mouvement houthi a probablement été l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Influencés par le succès des combattants du Hezbollah basés au Liban qui ont affronté avec succès les forces occidentales en Irak, les Houthis se sont inspirés et ont obtenu le soutien du groupe basé au Liban, ainsi que de l’Iran – bien que leurs responsables <a href="https://fr.timesofisrael.com/yemen-le-chef-des-rebelles-houthis-vante-liran-et-le-hezbollah/">nient ces liens</a>.</p>
<h2>2. Comment les Houthis ont-ils pris le pouvoir ?</h2>
<p>Pour faire face à la montée en puissance des Houthis, Saleh a lancé une campagne militaire en 2003, avec l’aide de l’Arabie saoudite. Bien que les forces de Saleh aient réussi à tuer le chef des Houthis, Hussein al-Houthi, en 2004, les Houthis ont souvent infligé des revers à Saleh et à l’armée saoudienne, malgré les milliards de dollars <a href="https://www.brookings.edu/articles/who-are-the-houthis-and-why-are-we-at-war-with-them/">dépensés par cette dernière</a>.</p>
<p>En effet, les Houthis se sont révélés être un adversaire redoutable pour les Saoudiens, osant pénétrer en Arabie saoudite en 2009 et forçant le royaume à déployer son armée pour faire face à la <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/yemen/qui-sont-les-houthis-qui-attaquent-les-navires-israeliens-1187027c-9284-11ee-8602-1e868188f4e2">menace croissante</a>.</p>
<p>Depuis que la révolution yéménite a éclaté en 2011, les Houthis se sont battus pour chasser Saleh du pouvoir, avant de <a href="https://www.lemonde.fr/yemen/article/2017/08/25/au-yemen-l-alliance-entre-saleh-et-les-rebelles-houthistes-se-fissure_5176463_1667193.html">s’allier avec lui en 2015</a>. Lorsque cette alliance s’est effondrée, ce sont les Houthis qui ont pris le dessus, le groupe rebelle <a href="https://www.lemonde.fr/yemen/article/2017/12/04/yemen-l-ex-president-saleh-est-mort-tue-par-des-rebelles-houthistes_5224391_1667193.html">finissant par assassiner Saleh</a> en décembre 2017.</p>
<p>Les Houthis ont également été une force majeure dans la guerre civile yéménite en cours (qui a commencé en 2014), qui a causé environ <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/en-sept-ans-la-guerre-du-yemen-aura-cause-la-mort-de-377-000-personnes-d-ici-la-fin-de-l-annee-2021_6103373_3210.html">377 000 morts</a>, dont de nombreux civils. Bien que le gouvernement du sud soit reconnu par la communauté internationale, les Houthis se sont emparés d’une grande partie du nord du Yémen depuis qu’ils ont pris d’assaut Sanaa en 2014. Ils contrôlent aussi le port clé de Hudeidah, qui génère jusqu’à 1 milliard de dollars de revenus pour le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1281828/la-prise-de-hodeida-par-les-houthis-redefinit-les-lignes-de-front.html">gouvernement houthi</a>.</p>
<h2>3. Quelle est leur influence régionale ?</h2>
<p>Aujourd’hui, les Houthis comptent <a href="https://www.theguardian.com/world/2024/jan/12/yemen-houthi-rebels-who-are-they-what-attacking-us-uk-airstrikes-red-sea-crisis">environ 20 000 combattants</a>. Depuis la mort d’al-Houthi, le mouvement est principalement dirigé par son frère, Abdul-Malik al-Houthi, qui a déclaré qu’il n’hésiterait pas à attaquer les <a href="https://fr.timesofisrael.com/le-chef-des-houthis-pro-iran-du-yemen-menace-de-riposter-en-cas-de-frappe-americaine/">États-Unis et leurs alliés</a>.</p>
<p>Depuis le début de la guerre à Gaza en octobre, les Houthis ont tenté de tirer parti du conflit à travers une démonstration de puissance visant à rehausser leur statut international.</p>
<p>Se proclamant solidaires du peuple palestinien, les Houthis ont lancé une série d’attaques contre des navires commerciaux en mer Rouge, dont le Yémen est riverain. L’attaque la plus effrontée a eu lieu le 19 novembre 2023, lorsque des combattants ont utilisé un hélicoptère pour enlever l’équipage d’un transporteur de voitures lié à un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-le-hamas-et-israel-pourquoi-les-rebelles-houthis-du-yemen-attaquent-des-navires-israeliens-en-mer-rouge_6222711.html">homme d’affaires israélien</a>.</p>
<h2>4. Contrôlent-ils l’accès à la mer Rouge ?</h2>
<p>Bien que la plupart des attaques des Houthis sur la mer Rouge n’aient pas été couronnées de succès, elles ont forcé des milliers de navires à contourner cette route et à se diriger vers l’Afrique du Sud, ce qui a entraîné des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/attaques-en-mer-rouge-les-geants-du-transport-maritime-evitent-la-traversee-jusqu-a-nouvel-ordre-16-12-2023-2547347_24.php">coûts et des délais considérables</a> pour le transport maritime.</p>
<p>En représailles aux dizaines d’attaques menées en mer Rouge, les États-Unis et le Royaume-Uni ont répondu par leur plus grande attaque contre les <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/10/13/yemen-les-etats-unis-ont-bombarde-trois-sites-sous-controle-des-houthis_5012747_3218.html">Houthis depuis 2016</a>, quand les États-Unis avaient frappé trois sites de missiles des Houthis après que les Houthis aient tiré sur des navires de guerre américains et des navires commerciaux. Cela avait mis un terme temporaire aux attaques des Houthis. Mais aujourd’hui, alors que les Houthis sont convaincus d’avoir remporté la victoire contre les Saoudiens et l’Occident au Yémen, les rebelles semblent plus désireux que jamais de <a href="https://fr.timesofisrael.com/le-chef-des-houthis-pro-iran-du-yemen-menace-de-riposter-en-cas-de-frappe-americaine/">s’attaquer de front aux États-Unis</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Natasha Lindstaedt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En réponse à de nombreuses attaques commises en mer Rouge ces dernières semaines, les États-Unis et le Royaume-Uni ont décidé de bombarder des sites stratégiques houthis le 11 janvier 2024.Natasha Lindstaedt, Professor, Department of Government, University of EssexLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200542024-01-02T16:25:57Z2024-01-02T16:25:57ZAttentats, agressions : comment l’injonction de soins peut-elle être utilisée par la justice ?<p>Après <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/06/attentat-de-paris-le-terroriste-avait-initialement-prevu-d-attaquer-une-cible-juive_6204271_3224.html">l’attentat perpétré à Paris le 2 décembre dernier</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/debat/Faut-permettre-lEtat-delivrer-injonctions-soins-2023-12-04-1201293312">presse</a> et les <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/attaque-a-paris-gerald-darmanin-veut-que-les-autorites-puissent-demander-une-injonction-de-soins-66708d68-9201-11ee-8602-1e868188f4e2">politiques</a> se sont penchés sur une mesure pouvant être appliquée par les praticiens de la justice et de la santé : l’injonction de soins. En effet, le mis en cause venait d’arriver au terme de cette mesure après la fin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181747/">son sursis probatoire</a>.</p>
<p>La mesure d’injonction de soins, ordonnée par la justice, permet d’enjoindre une personne condamnée à suivre des soins de nature psychiatrique et/ou psychologique en dehors du milieu carcéral. Si la personne décide de ne pas suivre les soins, elle s’expose à sa réincarcération pour non-respect de ses obligations.</p>
<p>Cette mesure a été créée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006094059">loi n°98-468 du 17 juin 1998</a> relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Alors qu’elle concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions et cadres procéduraux.</p>
<h2>Lutter contre la récidive</h2>
<p>La mesure d’injonction de soin a été créée par le législateur après la médiatisation de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reclusion-a-perpetuite-pour-les-freres-jourdain-28-10-2000-2001724762.php">crimes sexuels</a> commis par des <a href="https://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/08/23/guy-georges-le-tueur-de-l-est-parisien_805633_781732.html">individus déjà connus de la justice</a>. Elle répondait à la volonté de prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles, en leur imposant un suivi post-pénal de nature judiciaire et médico-social.</p>
<p>L’injonction de soins a été instaurée dans le cadre de la peine de suivi sociojudiciaire qui oblige le condamné à se soumettre à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/">mesures de surveillance</a> et d’assistance une fois la peine de réclusion ou d’emprisonnement effectuée. Elle s’applique pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans dans le cadre d’une condamnation pour un délit et jusqu’à vingt ans pour une condamnation criminelle.</p>
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<p>L’objectif initial de cette loi était de mener des individus vers des opportunités de soins, alors qu’ils n’y auraient pas nécessairement recours eux-mêmes, de façon à limiter leur risque de récidive. Néanmoins, progressivement, les mesures prévues dans le cadre de la loi de 1998 ont été perçues comme insuffisantes.</p>
<p>Au début des années 2000, la médiatisation de faits divers dramatiques (le meurtre de <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/06/17/460209-assassinat-nelly-cremel-perpetuite-gateau-30-ans-mathey.html">Nelly Cremel</a> en 2005, l’enlèvement et le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/viol-d-enis-evrard-condamne-a-30-ans-de-reclusion_245897.html">viol d’Enis</a> en 2007 et <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/en-2009-l-effroi-apres-le-viol-et-le-meurtre-d-une-joggeuse-02-09-2016-6087131.php">l’assassinat de Marie-Christine Hodeau</a> en 2009), cristallise les débats publics autour de la prévention de la récidive et des soins ordonnés aux délinquants. En 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice exprimait vouloir, en réponse à la délinquance sexuelle, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/02/nicolas-sarkozy-exige-de-nouvelles-mesures-contre-la-recidive-des-delinquants-sexuels_1248342_3224.html">« la castration chimique ou la prison »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CXr5puqLZLA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Nelly Cremel en 2005.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte social et politique, pas moins de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000249995">six lois</a> ont été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">adoptées</a> afin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">prévenir</a> la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000017758194/#:%7E:text=Projets%20de%20lois-,Loi%20n%C2%B0%202007%2D1198%20du%2010%20ao%C3%BBt%202007%20renfor%C3%A7ant,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs&text=Communiqu%C3%A9%20de%20presse%20du%20Conseil,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs">délinquance</a> entre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018162705">2004</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021954436#:%7E:text=LOI%20n%C2%B0%202010%2D242,proc%C3%A9dure%20p%C3%A9nale%20(1) %20 %2D %20L %C3 %A9gifrance">2010</a>. Le soin apparaît alors comme l’instrument par excellence de lutte contre la récidive.</p>
<h2>Une disposition progressivement élargie</h2>
<p>Bien que la <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-358.html">Commission des lois</a> rapportait l’opacité entourant la mesure d’injonction de soins et son application, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164">plusieurs</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">lois</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">ont</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/#:%7E:text=au%20sein%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202010%2D769%20du%209%20juillet%202010%20relative,derni%C3%A8res%20sur%20les%20enfants%20(1)">élargi</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043403203#:%7E:text=%E2%80%98inceste%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202021%2D478%20du%2021%20avril%202021%20visant,de%20l%E2%80%99inceste%20(1)&text=Recherche %20simple %20dans %20le %20code %20Rechercher %20dans %20le %20texte%E2%80%A6">renforcé son cadre d’application</a>. Les dispositions légales du suivi sociojudiciaire se sont progressivement élargies à plusieurs faits de nature violente.</p>
<p>Désormais, l’injonction de soins peut concerner des personnes placées sous main de justice aux profils pluriels condamnées pour des faits d’atteintes à la vie, de violences conjugales, pour des actes de terrorismes et de destructions et dégradations par moyens dangereux. Ainsi, le domaine d’application de l’injonction de soins dépasse aujourd’hui le seul cadre de la peine de suivi sociojudiciaire puisque les personnes peuvent être soumises à cette mesure dans divers cadres légaux (mesures de sûreté, aménagements de peines, peines probatoires).</p>
<p>Pour être soumis à une injonction de soins, il faut qu’un expert psychiatre détermine qu’il est opportun que la personne entre dans un processus de soins.</p>
<p>Récemment, une <a href="https://repeso.hypotheses.org/">équipe de chercheurs</a> a procédé à l’analyse de rapports d’expertises et constate que les indications de soins « viennent en réponse à une question implicite qui serait : le prévenu ou l’accusé pourrait-il bénéficier de soins sous contrainte et ceux-ci contribueraient-ils à éviter, sinon limiter, une réitération d’actes similaires de sa part ? » Selon les auteurs, l’opportunité de soins ne serait pas toujours appréciée en fonction des pathologies ou des troubles de la personne, mais plutôt selon l’intérêt de la mesure de soins pénalement ordonnée pour limiter la récidive et accompagner l’auteur de l’infraction.</p>
<h2>Comment mesurer le véritable effet de cette mesure ?</h2>
<p>La mise en place de l’injonction de soins correspond à un enchevêtrement de différentes modalités d’application et à une articulation entre les acteurs de la chaîne pénale et du soin. En effet, la personne placée sous main de justice doit, en plus de ses soins, respecter diverses obligations et se soumettre à des mesures de contrôle. Tout manquement à ces obligations pourra conduire à son retour en détention. Afin de justifier l’exécution et le respect de ses obligations, elle doit rencontrer un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce dernier assure également le suivi de la personne dans les différents aspects de sa situation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731392072815436191"}"></div></p>
<p>Dans le cadre de la mise en œuvre de son injonction de soins, la personne doit rencontrer plusieurs fois par an un médecin coordonnateur. Il est désigné par le juge de l’application des peines pour faire le lien entre les professionnels de la santé et les professionnels de la justice. Le médecin coordonnateur a un double rôle de conseil. Il conseille la personne placée sous main de justice dans le choix du professionnel assurant sa prise en soins (nommé médecin ou psychologue traitant). Il conseille également le médecin psychiatre ou le psychologue traitant dans l’orientation et la mise en place des soins. Ce dernier professionnel n’a aucun contact avec les acteurs de la chaîne pénale. Toutes les informations relatives aux soins sont transmises au médecin coordonnateur, qui en assure la diffusion aux acteurs compétents.</p>
<p>L’application de cette mesure nécessite une articulation et un maillage important entre les professionnels du champ sanitaire et les professionnels du champ judiciaire, ce qui peut parfois engendrer des difficultés. Les acteurs en présence ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs dans la mise en œuvre de l’obligation judiciaire, qui s’applique pendant une durée relativement longue. En effet, les professionnels ont un rôle distinct dans l’accompagnement des personnes et l’application de cette mesure qui s’inscrit dans une double dimension de soins et de contrôle. De plus, le manque de moyens humains dans les différentes institutions peut avoir un impact sur le temps dédié aux échanges pluridisciplinaires.</p>
<p>À ce jour, aucune statistique publique ne permet d’analyser le nombre de recours à l’injonction de soins. Cette absence de statistiques et d’évaluation conduit à s’interroger sur l’impact des réformes successives sur le recours à l’injonction de soins et sur la diversification – ou non – du profil des personnes qui y sont soumises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’injonction de soins concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Depuis, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions.Lisa Colombier, Doctorante en sociologie et en droit, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197322023-12-13T20:44:10Z2023-12-13T20:44:10ZCryptomonnaies, comptes en ligne, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565167/original/file-20231212-21-8bg5ap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C35%2C1185%2C763&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le régime de contrôle financier actuel ne parvient pas à empêcher une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tardigital/3199182147">Flickr/Tarciso</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Par un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048389932">arrêté</a> en date du 13 novembre 2023, le ministère de l’Économie et des Finances a bloqué, pour une durée de six mois :</p>
<blockquote>
<p>« les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par Mohammed Deif (commandant la milice armée du Hamas), ainsi que les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par M. Mohammed Deif ou agissant sciemment pour son compte ou sur instructions de celui-ci. »</p>
</blockquote>
<p>Un arrêté en date du 30 novembre 2023 a adopté des dispositions similaires à l’encontre de <a href="https://www.20minutes.fr/monde/israel/4065778-20231207-guerre-israel-hamas-yahya-sinouar-chef-organisation-terroriste-dont-maison-encerclee">Yahya Sinouar</a>, le chef politique du Hamas à Gaza. La lecture de ces arrêtés ne manque pas de surprendre : comment les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2017/03/29/01003-20170329ARTFIG00281-yahya-sinwar-un-faucon-a-la-tete-du-hamas-a-gaza.php">dirigeants du mouvement à la tête de la bande Gaza</a> ont-ils pu ouvrir des comptes en France en dépit du fait que le Hamas est inscrit sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:151:0045:0050:EN:PDF">liste des organisations terroristes de l’Union européenne</a> (UE) ?</p>
<p>En effet, un <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32001R2580:FR:HTML">règlement du Conseil</a> européen prévoit le gel de tous les fonds et autres avoirs financiers appartenant aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32022R0147">règlement d’exécution n° 2022/147</a>. Aucun fonds, aucun avoir financier, ni aucune ressource économique ne peut être mis directement ou indirectement à la disposition de ces personnes, groupes et entités.</p>
<h2>La voie des néo-banques</h2>
<p>Formellement, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hamas-82120">Hamas</a> ainsi que d’autres organisations palestiniennes sont expressément nommés dans les textes communautaires. Il n’en est pourtant pas de même de leurs dirigeants. Les arrêtés précités ne viendraient donc que spécifier l’arsenal des dispositions européennes en désignant nommément deux des dirigeants du Hamas. Qui peut le plus peut le moins…</p>
<p>Quant à la réglementation bancaire française, les textes tendraient à rendre pratiquement impossible l’ouverture d’un compte bancaire par un membre d’une organisation terroriste. Pratiquement, un non-résident de l’UE qui souhaite ouvrir un compte en France doit se présenter physiquement dans une agence et présenter un justificatif d’identité et un justificatif de domicile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue du ministère de l’Économie dans le quartier de Bercy à Paris" src="https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565165/original/file-20231212-27-z46jx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Ces dernières semaines, Bercy a adopté des arrêtés visant à geler les avoirs qui seraient détenus en France par deux dirigeants du Hamas.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/129231073@N06/27734592992">Fred Romero/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La démarche est évidemment loin d’être évidente pour une personne qui vit en clandestinité. Ou alors elle doit passer par une banque en ligne (et accessible localement). En l’état actuel, ni Gaza ni l’Autorité palestinienne ne semblent bénéficier de l’accès à de tels services bancaires en ligne, à la différence de la Jordanie <a href="https://www.revolut.com/money-transfer/send-money-to-qatar/">et du Qatar</a>. Il est alors parfaitement possible d’effectuer des transferts en utilisant ces néo-banques. L’autorité bancaire britannique de régulation a d’ailleurs expressément dénoncé, dès avril 2022, les <a href="https://www.fca.org.uk/news/press-releases/review-weaknesses-challenger-banks-financial-crime-controls">possibilités de blanchiment</a> qu’offraient ces nouvelles enseignes.</p>
<h2>« Know your client »</h2>
<p>L’Autorité palestinienne ne disposant pas d’une monnaie nationale, il est parfaitement possible d’y transférer des euros ou des dollars. Et comme c’est l’un des rares endroits au monde où des <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/comment-banque-palestine-a-deplace-900000-billets-pour-attenuer-crise-sud-de-gaza-shekels-50-millions-dollars-217871">transferts conséquents d’argent ont lieu en cash</a>, les règles anti-blanchiment qui structurent le système bancaire international trouvent difficilement à s’appliquer.</p>
<p>À s’en tenir toujours à la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041577826">réglementation bancaire française</a>, un autre obstacle surgit :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’une personne […] n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle n’exécute aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et n’établit ni ne poursuit aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie […], elle y met un terme. »</p>
</blockquote>
<p>C’est le principe, exigeant désormais, du KYC_, « k_now your client » (« connais ton client »). Autrement dit, à supposer que le compte ait été ouvert, il est difficile pour la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-22013">banque</a> d’effectuer des transferts à l’étranger à partir du moment où la nature de l’opération a un lien avec le financement d’une activité terroriste. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à des poursuites pour complicité de blanchiment. Même si le titulaire du compte n’est pas expressément visé par une interdiction, il ne peut donc pas forcément l’utiliser. Les arrêtés adoptés tiennent compte de cette situation et cherchent donc à empêcher, indistinctement, la « mise à disposition directe ou indirecte » des fonds.</p>
<h2>Cagnottes en ligne et cryptomonnaies</h2>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.amazon.fr/Ab%C3%A9c%C3%A9daire-du-financement-terrorisme/dp/2749174201"><em>L’abécédaire du financement du terrorisme</em></a>, la sénatrice Nathalie Goulet a recensé les différentes techniques utilisées pour collecter de l’argent afin de financer des opérations ou une organisation terroriste, tout en échappant aux foudres des instances de régulation du secteur bancaire.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’éventail est large et le conflit en cours confirme que toutes les techniques recensées sont mobilisées par les organisations terroristes. Il en va ainsi des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cryptomonnaie-44057">cryptomonnaies</a> en raison de la <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hamas-cash-to-crypto-global-finance-maze-israels-sights-2023-10-16/">difficulté pour les autorités de contrôler leur conversion</a> dans une monnaie ayant cours légal. Ou alors de l’ouverture d’une cagnotte en ligne par une association : l’objectif affiché est louable – le financement d’un hôpital à Gaza, par exemple ; il n’est cependant pas possible de vérifier l’affectation de l’intégralité des fonds.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Illustration de cryptomonnaies" src="https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565164/original/file-20231212-23-faf9b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les autorités rencontrent des difficultés à contrôler la conversion des cryptomonnaies dans des monnaies au cours légal.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1523885">Pxhere.com</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Autre situation de plus en plus fréquente, le recours à des organisations non gouvernementales (ONG). Dès 2013, le <a href="https://rm.coe.int/the-risks-to-non-profit-organisations-of-abuse-of-mlterrorist-financin/16807828e5">Conseil de l’Europe</a> signalait que les ONG pouvaient servir à blanchir de l’argent et financer le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/terrorisme-21074">terrorisme</a>. Depuis, de nombreuses structures ont adopté ce format institutionnel <a href="https://www.reuters.com/world/europe/germany-bans-islamic-group-ansaar-suspected-financing-terrorism-2021-05-05/">pour collecter de l’argent à des fins terroristes</a>. Vouloir empêcher que des fonds soient mis à la disposition d’une organisation terroriste ou d’une personne précise implique donc un renforcement des contrôles aussi bien de certaines opérations aussi banales que les cagnottes que des structures de collecte de fonds.</p>
<h2>Ambiguïté</h2>
<p>Finalement, mais il n’est pas certain que ce soit l’effet recherché par le ministère de l’Économie et des Finances, la publication des arrêtés affiche au grand jour les failles du système bancaire français ; où l’on découvre, à cette occasion, que le régime de contrôle financier mis en œuvre n’empêche nullement un terroriste ou une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.</p>
<p>Nous ne savons pas si arrêtés de Bercy auront un réel impact sur les finances des personnes concernées. Le ministère de l’Économie et des Finances n’a d’ailleurs <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/la-france-annonce-le-gel-des-avoirs-du-chef-du-hamas-a-gaza_AD-202312050301.html">ni confirmé ni infirmé</a> que les personnes visées disposaient ou non d’avoirs en France et cette ambiguïté fait courir un risque aux banques françaises.</p>
<p>Sur le fondement du Patriot Act, les Américains peuvent parfaitement s’arroger le <a href="https://www.moneylaundering.com/news/societe-generale-aml-chief-discusses-fintechs-lafayette-program-and-sanctions/">droit de diligenter des poursuites</a> à leur encontre en raison de leurs contributions au financement du terrorisme. Bref, en ce domaine, il est particulièrement difficile et critiquable de se contenter d’effets d’annonces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La réglementation française rend quasiment impossible l’ouverture d’un compte bancaire par les membres d’organisations terroristes, qui passent aujourd’hui par des chemins détournés.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2190832023-12-05T16:25:04Z2023-12-05T16:25:04ZLe conflit israélo-palestinien met à l’épreuve le multiculturalisme canadien<p>Dans l’imaginaire collectif et la représentation sociale que l’on se fait du Canada, le pays est généralement perçu comme ouvert et accueillant envers la diversité ethnoculturelle et religieuse. </p>
<p>L’immigration est considérée comme une <a href="https://journals.library.ualberta.ca/af/index.php/af/article/view/29376">richesse au Canada</a> et le multiculturalisme s’est érigé au fil des décennies en une valeur à protéger et à chérir, comme en fait foi <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221026/dq221026b-fra.htm">l’Enquête sociale générale de 2020</a>, où 92 % de la population l’endossait. <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-18.7/page-1.html">La <em>Loi sur le multiculturalisme canadien</em></a> stipule que celui-ci « est une caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens et constitue une ressource inestimable pour l’avenir du pays ». </p>
<p>Cependant, depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, les nombreuses manifestions qui s’en sont suivies, tant en faveur que contre Israël ou en soutien à la Palestine, ont révélé des tensions liées à l’immigration. Les crimes haineux sont aussi en hausse : à Toronto seulement, on rapporte une <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/hate-crime-rise-israel-gaza-1.7001288">augmentation de 132 % depuis le début du conflit</a>.</p>
<p>Il devient ainsi impératif de s’interroger sur les risques éventuels de conflits au sein des différentes communautés canadiennes. Cela est particulièrement préoccupant pour celles qui font face simultanément au racisme et aux répercussions des conflits en cours dans leurs pays d’origine. Par exemple, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2012985/tensions-inquietude-sikhs-hindous-khalistan">conflit historique entre hindous et sikhs</a> suscite des inquiétudes parmi les sikhs du Canada, notamment lorsqu’un de leurs leaders a été assassiné en Colombie-Britannique.</p>
<p>En tant que sociologue, spécialisé dans l’éducation inclusive, j’ai rapidement constaté que le racisme et les discriminations représentent des problématiques significatives dans notre société. Récemment, j’ai rédigé un article intitulé : <a href="https://journals.openedition.org/trema/6042#:%7E:text=L%E2%80%99%C3%A9ducation%20inclusive%20englobe%20et,n%C3%A9gliger%20pour%20autant%20le%20tout">« Penser l’éducation inclusive dans un contexte de discriminations et de diversité au Canada »</a> afin d’expliquer, entre autres, les limites du multiculturalisme canadien dans la lutte contre les discriminations. Conformément à la perspective <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Serge_Paugam">du sociologue français Serge Paugam</a>, qui voit le rôle du sociologue inclure une prise de parole <a href="https://www.puf.com/content/La_pratique_de_la_sociologie">« pour lutter contre toutes les formes de domination »</a>, j’analyserai comment ce multiculturalisme est mis à mal par le conflit entre Israël et la Palestine.</p>
<h2>Augmentation des crimes haineux</h2>
<p>Les statistiques sur les crimes haineux démontrent que des tensions existent bel et bien, malgré les résultats de l’Enquête de 2020. Ainsi, de <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230322/cg-a004-fra.htm">2019 à 2021</a>, la communauté juive a été le groupe le plus fréquemment visé par des crimes haineux, et les signalements à la police ont connu une augmentation significative. En 2019, 306 crimes antisémites ont été signalés à l’échelle nationale. Un an plus tard, ce chiffre a atteint 331 et en 2021, il a augmenté de manière significative pour atteindre 492. <a href="https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr16-rd16/p1.html">Une nouvelle hausse a été enregistrée en 2022, avec 502 incidents déclarés</a>. </p>
<p>Les communautés musulmanes ont également été fortement touchées par des crimes haineux : en 2019, 182 incidents ont été signalés. En 2020, ce nombre a diminué à 84, pour augmenter cependant en 2021, atteignant 144. Enfin, les catholiques ont également été la cible d’actes haineux, avec une augmentation importante des signalements : en 2019, 51 cas ont été recensés, contre 43 en 2020, et 155 en 2021.</p>
<p>Il semble que l’Ontario, la province qui accueille le plus grand nombre d’immigrantes et d’immigrants au Canada, soit celle aux prises avec les pourcentages de crimes haineux les plus élevés par habitant. Selon les données de Statistique Canada de 2021, Ottawa est la ville affichant le taux le plus élevé de ces crimes. <a href="https://twitter.com/DavidVermette/status/1584537161743106048">Parmi les 10 premières villes canadiennes les plus touchées par le phénomène, on recense plus de huit villes ontariennes</a>.</p>
<h2>Un basculement de l’opinion publique</h2>
<p>Pour le dire sans ambages, le multiculturalisme n’est pas perçu par toutes et tous comme une richesse et cette perception est exacerbée par le conflit en cours entre deux des communautés les plus discriminées au pays. Tout cela se déroule dans un contexte où les capacités d’accueil des populations immigrantes sont remises en question.</p>
<p>Selon un <a href="https://www.thestar.com/news/canada/there-s-going-to-be-friction-two-thirds-of-canadians-say-immigration-target-is-too/article_7740ecbd-0aed-5d36-b5da-b67bda4a13c5.html">sondage d’Abacus publié le 29 novembre</a>, plus de 67 % de la population estime qu’il y aura des tensions entre les communautés, principalement en raison du seuil d'immigration jugé excessif du gouvernement fédéral. Celui-ci vise toujours à accueillir <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2023209/immigration-immigrants-seuil-ottawa-federal">plus de 500 000 immigrants par an au cours des prochaines années</a>. Cela dit, Ottawa a rejeté l’<em>Initiative du siècle</em>, dirigée par un ancien dirigeant de la firme McKinsey, qui suggérait que la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1978949/demographie-immigration-cibles-canada">population du Canada devrait atteindre 100 millions d’ici à 2100</a>. </p>
<p>Selon un <a href="https://nationalpost.com/opinion/canada-diversity-poll">autre sondage</a>, plus de 78 % des Canadiennes et Canadiens expriment leur préoccupation quant à l’impact du conflit entre Israël et la Palestine au pays. En ce qui concerne les manifestations pro-Palestine, plus des trois quarts des gens sondés sont d’avis que le gouvernement devrait expulser du pays les personnes non citoyennes coupables de discours haineux ou de soutien au Hamas. </p>
<p>Ces chiffres témoignent d’un basculement important dans l’opinion publique concernant la valeur du multiculturalisme. Il ne s’agit plus seulement de sensibiliser les citoyennes et citoyens à la richesse de la diversité ethnoculturelle et religieuse du pays, mais aussi d’accompagner les différentes communautés qui vivent ou qui veulent immigrer au Canada. <a href="https://nationalpost.com/opinion/canada-diversity-poll">Selon le même sondage</a>, plus de la moitié affirment que le gouvernement canadien devrait en faire davantage pour s’assurer que les nouveaux arrivants acceptent les valeurs canadiennes, et plus de 55 % pensent que la politique d’immigration du Canada devrait les encourager à adopter ces valeurs, notamment en abandonnant toute croyance incompatible avec le Canada.</p>
<h2>Un monde de plus en plus complexe</h2>
<p>Le conflit israélo-palestinien semble avoir ébranlé les fondements du multiculturalisme. </p>
<p>Il est frappant de constater à quel point, en si peu de temps, une valeur jugée fondamentale, soutenue par plus de 92 % de la population en 2020, peut être autant remise en question trois années plus tard. En revanche, il est important de rappeler que les crimes haineux existaient avant ce conflit, et ils indiquaient déjà que le multiculturalisme n’était pas tant respecté comme « valeur canadienne ». </p>
<p>Le sociologue Edgar Morin affirme que <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/introduction-a-la-pensee-complexe-edgar-morin-9782020668378.html">« la diversité crée la complexité et la complexité crée la richesse »</a>. Certes, le multiculturalisme canadien mise à juste titre sur la richesse de la diversité, mais il est appelé à se renouveler dans une société et un monde de plus en plus complexes. </p>
<p>Parfois, le multiculturalisme canadien donne l’impression que les communautés vivent <em>côte à côte</em>, dans la tolérance de l’Autre, sans pour autant coconstruire une société d’appartenance pour toutes et tous. Il ne faudrait pas laisser la situation sociale se détériorer, car on ne souhaite pas vivre <em>face à face</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219083/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les crimes haineux existent depuis plusieurs années au Canada, mais le récent conflit entre Israël et le Hamas les a exacerbés, remettant en cause le multiculturalisme canadien.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181892023-11-23T17:55:24Z2023-11-23T17:55:24ZLe Hamas à Gaza : de l’enfermement à la sauvagerie<p>L’attaque sauvage du Hamas contre le 7 octobre dernier illustre une détermination et une montée en puissance des capacités militaires du mouvement islamiste, qui se sont traduites, pour la première fois, par une prise d’otages massive et des massacres de civils commis selon un mode opératoire inédit.</p>
<p>Au-delà de la douleur et de la sidération, que cherchait à accomplir le Hamas par cette offensive sans précédent ?</p>
<h2>Anéantir le statu quo</h2>
<p>Le premier objectif du Mouvement de la résistance islamique – dont Hamas est l’acronyme en arabe – est d’incarner la représentation des Palestiniens et d’assurer une relève politique.</p>
<p>Face à une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/cisjordanie-lautorite-palestinienne-la-derive">Autorité palestinienne discréditée</a>, réduite à gérer les affaires courantes et impuissante à assurer la sécurité de ses administrés, le Hamas cherche à reprendre le leadership d’une communauté politique qu’il a <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/hamas-du-quietisme-au-terrorisme-5270282">lui-même contribué à fracturer</a>. Sa revendication portant sur la libération de tous les prisonniers palestiniens, dont la majorité appartient au Fatah, renvoie à cette volonté <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/08/guerre-israel-hamas-porter-la-cause-des-prisonniers-contribue-a-faire-de-l-organisation-islamiste-le-representant-de-la-resistance-palestinienne_6199003_3232.html">d’assumer la lutte</a> en faveur des droits du peuple palestinien. La perspective d’élargissement de cent cinquante femmes et mineurs palestiniens détenus en Israël en échange de cinquante femmes et enfants israéliens otages du Hamas que prévoit <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-le-hamas-et-israel-l-accord-pour-la-liberation-de-50-otages-a-ete-approuve-par-les-deux-camps_6200151.html">l’accord conclu le 21 novembre entre Israël et le Hamas</a> grâce à la médiation du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis constitue un premier résultat en ce sens pour l’organisation islamiste.</p>
<p>Le deuxième objectif consiste à ranimer la question palestinienne qui, malgré la grave détérioration des conditions de vie des Palestiniens liée à la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-287.htm">colonisation et à l’enfermement</a>, s’était en quelque sorte éteinte. Le conflit israélo-palestinien n’était certes pas résolu, mais sa faible intensité conduisait Israël et la communauté internationale à le considérer comme gérable, et nulle perspective politique ne se dessinait donc à l’horizon, si ce n’est une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/20/le-gouvernement-israelien-fait-un-pas-important-vers-une-annexion-de-la-cisjordanie_6178434_3210.html">annexion de la Cisjordanie</a> et une remise en cause des règles de l’accès à l’Esplanade des mosquées, à Jérusalem, les Juifs religieux venant y prier de plus en plus fréquemment. Le 7 octobre, le Hamas a brutalement ravivé le conflit.</p>
<p>Enfin, le Hamas ne pouvait qu’anticiper la colère d’Israël et sa riposte contre Gaza. L’ampleur des frappes de Tsahal et son incapacité à éviter la mort de milliers de civils permettent de miser sur une indignation planétaire et une extension du conflit à l’espace régional, voire à l’espace mondial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dal-qaida-au-hamas-la-strategie-de-la-guerre-mediatique-217929">D’Al-Qaida au Hamas : la stratégie de la guerre médiatique</a>
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<p>L’attaque du 7 octobre et les représailles israéliennes qu’elle a suscitées vont-elles bouleverser la donne au Moyen-Orient ? L’enchaînement des violences risque d’entraîner plusieurs acteurs régionaux dans la guerre et d’approfondir les fractures au sein des sociétés occidentales déjà ébranlées par le terrorisme islamiste sur leur sol. La brutale offensive du Hamas se révèle un piège tendu à Israël et au monde entier. Que s’est-il passé pour en arriver là ?</p>
<h2>Gaza verrouillée, le Hamas en quarantaine</h2>
<p>Le Hamas ayant <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/01/26/victoire-des-islamistes-du-hamas-aux-elections-palestiniennes_734705_3208.html">remporté les élections législatives en janvier 2006</a>, la formation d’un gouvernement <em>hamsaoui</em> remit en cause l’édifice de sous-traitance sécuritaire sponsorisé par les Américains et les Européens, qui exigèrent que le Hamas renonçât à la violence, avalisât les accords de paix signés par l’OLP, et qu’il reconnût l’État d’Israël. L’ultimatum fut rejeté́, car les islamistes n’avaient rien à gagner d’une série de concessions unilatérales.</p>
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<p>Dans le sillage du succès électoral du Hamas, du refus du Fatah de participer à un gouvernement d’union nationale et de sa tentative de saper la victoire islamiste, les heurts entre les deux mouvements se multiplient dans la bande de Gaza, malgré la médiation saoudienne, et aboutissent en 2007 à un coup de force du Hamas qui mobilise ses effectifs pour écraser ceux du Fatah. La rupture est <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/palestine-de-l-etat-introuvable-la-nation-en-deroute-quoi-servent-les-dirigeants-palestinien">à la fois géographique et politique</a> puisque le Hamas gouverne la bande de Gaza tandis que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas contrôle une série d’îlots urbains en Cisjordanie.</p>
<p>La communauté́ internationale interrompit dès 2006 tout transfert de fonds direct vers la bande de Gaza. Par leur ultimatum, les Occidentaux renoncèrent à tout levier diplomatique auprès du mouvement islamiste. Ainsi, malgré les déclarations de plusieurs de ses dirigeants <a href="https://www.lorientlejour.com/article/549365/L%2527existence_d%2527Israel_est_%253C%253C_une_realite_%253E%253E%252C_declare_Mechaal.html">admettant l’existence d’Israël</a>, malgré la <a href="https://iremam.hypotheses.org/7122">publication en 2017 d’un « document politique »</a> qui semblait reléguer dans le passé la <a href="https://www.senat.fr/rap/r08-630/r08-630-annexe2.pdf">charte antisémite de 1988</a> et envisageait un État palestinien dans les frontières de 1967, le Hamas est resté au ban de la communauté internationale, ses alliés se limitant finalement au Qatar et à l’Iran. </p>
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<p>La politique d’ouverture du Hamas témoignait-elle d’une mutation en cours ou n’était-elle qu’un leurre destiné à tromper ses adversaires ? Notons que les processus de transition ou de transformation politique sont par nature fragiles et incertains ; ils ne dépendent pas seulement de l’intention de leurs promoteurs mais aussi de la structure d’opportunité dans laquelle ils s’inscrivent.</p>
<p>La communauté internationale ne réagit pas à l’inflexion du Hamas. L’Union européenne <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-40727791">ne consentit pas à radier le mouvement de sa liste des organisations terroristes</a>, et la bande de Gaza demeura soumise <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/du-blocus-au-siege-complet-de-la-bande-de-gaza-par-israel-les-craintes-d-une-catastrophe-humanitaire_6193599_3210.html">à un double blocus</a>, israélien et égyptien.</p>
<h2>1994, des frontières sans souveraineté</h2>
<p>Pour autant, il ne faudrait pas croire que les habitants de la bande de Gaza exerçaient un quelconque droit à en sortir et à y rentrer avant 2007. Le processus d’Oslo et <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ps1994.htm">l’installation de l’Autorité palestinienne dans la bande côtière en 1994</a> coïncidèrent avec le bouclage du territoire. La gauche alors au pouvoir à Tel-Aviv choisit de réduire le nombre de travailleurs palestiniens autorisés à travailler sur le sol israélien et procéda à l’installation d’une clôture hermétique séparant la bande de Gaza d’Israël.</p>
<p>Durant la seconde moitié des années 1990, les <a href="https://embassies.gov.il/MFA/FOREIGNPOLICY/Terrorism/Palestinian/Pages/Suicide%20and%20Other%20Bombing%20Attacks%20in%20Israel%20Since.aspx">attentats-suicides commis en Israël</a> par le Hamas et le <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-4-page-299.htm">Djihad islamique</a> (organisation qui émerge dans les années 1980 et prône la lutte armée contre Israël) renforcèrent le choix de séparation fait par les dirigeants de l’État hébreu. Ainsi, en 1997, <a href="https://online.ucpress.edu/currenthistory/article-abstract/97/615/19/166454/The-Palestinian-Economy-after-Oslo?redirectedFrom=fulltext">seulement 4 % des Gazaouis</a> – essentiellement des membres haut placés de l’Autorité palestinienne – étaient autorisés à se rendre en Israël, à Jérusalem ou en Cisjordanie.</p>
<p>Les Gazaouis <a href="https://www.letemps.ch/monde/bande-gaza-evacuee-camp-concentration-sera-un-plus-grand">évoquaient déjà à l’époque la « prison à ciel ouvert »</a> dans laquelle ils vivaient ; l’écrasante majorité de la classe d’âge née dans les années 1970, trop jeune pour avoir été travailler de l’autre côté de la <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271072-israel-palestine-multiples-limites-mais-quelle-frontiere">ligne verte</a> n’a connu d’Israël que ses soldats, qui occupaient le territoire jusqu’à leur retrait partiel en mai 1994, et ses prisons.</p>
<p>Les générations suivantes n’ont pas eu l’occasion de rencontrer des Israéliens et la plupart des Gazaouis d’aujourd’hui ne sont tout simplement jamais sortis de l’étroite bande de terre. De son côté, le pouvoir égyptien a également maintenu un strict contrôle de l’accès à son territoire, <a href="https://carnegie-mec.org/2012/10/01/hamas-and-morsi-not-so-easy-between-brothers-pub-49525">y compris lors de la présidence de Mohamed al-Morsi</a>, pourtant membre des Frères musulmans, dont est issu le Hamas.</p>
<p>Le blocus imposé au territoire gouverné par le Hamas à partir de 2007 a encore davantage isolé les Palestiniens qui y vivent, car les étrangers autorisés à s’y rendre ne l’ont été que de manière exceptionnelle. Le personnel des organisations non gouvernementales s’est réduit, ainsi que le passage des journalistes et aussi celui des chercheurs, ces derniers étant interdits d’entrée dans la bande par les autorités militaires israéliennes. En outre, celles-ci ont asphyxié l’économie locale en limitant drastiquement la liste de produits autorisés à entrer dans la bande côtière sous prétexte d’empêcher tout détournement militaire.</p>
<h2>La fermentation</h2>
<p>Malgré cette main de fer israélienne, le Hamas a pu continuer à s’armer et à lancer des roquettes contre Israël, entraînant les adversaires dans une <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hamas-israel-history-confrontation-2021-05-14/">série de guerres entre 2008 et 2021</a>. Ces dernières années, il a également développé un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/invit%C3%A9-du-jour/20231107-le-r%C3%A9seau-des-tunnels-du-hamas-est-l-un-des-plus-sophistiqu%C3%A9s-de-l-histoire-de-la-guerre">réseau sophistiqué de tunnels</a> lui permettant d’enterrer son dispositif militaire et de mettre à l’abri les membres de sa branche armée. </p>
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<p>Il a collecté minutieusement du renseignement sur les installations militaires et civiles israéliennes à proximité, notamment en consultant des sources ouvertes. En revanche, le renseignement israélien reposait de plus en plus sur un arsenal technologique auquel les combattants des brigades Izzedine al-Qassam (la branche armée du Hamas) ont appris à échapper au fil du temps.</p>
<p>Étanche au monde, Gaza devenait de plus en plus opaque. Si la terrible offensive du 7 octobre a pu se préparer et se produire, c’est notamment parce que les gouvernants israéliens, confiants dans leur arsenal technologique et obnubilés par leur emprise sur la Cisjordanie, <a href="https://theconversation.com/comment-les-services-de-renseignement-israeliens-ont-ils-pu-rater-les-preparatifs-du-hamas-un-specialiste-de-la-lutte-anti-terroriste-explique-215527">ont ignoré des signaux d’alerte</a> mais c’est aussi parce que les hommes de <a href="https://www.europe1.fr/international/attaque-du-hamas-en-israel-qui-est-mohammed-deif-le-leader-des-brigades-islamistes-ezzedine-al-qassam-4208340">Mohamed Deif</a> ont accumulé un matériel militaire et logistique et ont basculé vers de nouveaux répertoires d’action.</p>
<p>L’ampleur de l’attaque terroriste a conduit les Israéliens à dénoncer l’Iran et le Hezbollah comme responsables, mais les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/24/attaque-du-hamas-contre-israel-ce-que-les-services-de-renseignement-americains-ont-dit-a-leurs-homologues-europeens_6196215_3210.html">renseignements américains ont établi</a> qu’il s’est agi d’une attaque « made in Gaza », dont les chefs politiques du Hamas de Gaza et a fortiori <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/qatar-hamas-israel-1.6999416">ceux résidant au Qatar</a> n’auraient pas été informés.</p>
<h2>Trois hypothèses pour expliquer la sauvagerie du 7 octobre</h2>
<p>Le choc du 7 octobre tient à l’efficacité de l’entreprise de mort <em>hamsaoui</em> mais également aux actes de cruauté, de torture et de profanation des corps perpétrés par ses hommes.</p>
<p>L’organisation islamiste assume depuis sa création le meurtre de civils israéliens, prétextant que tous les Israéliens rejoignant l’armée, il n’y aurait pas à proprement parler de « civils » dans le pays.</p>
<p>Entre 1994 et 1999, durant le processus de paix, puis pendant <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Intifada-al-Aqsa-de-son-declenchement-en-2000-a-l-annee-2002.html">l’Intifada al-Aqsa</a>, les brigades Izzedine al-Qassam ont commis des dizaines d’attentats-suicides dans des villes israéliennes. C’est à leurs yeux le moyen de mettre à profit le courage et l’abnégation des Palestiniens, prêts à offrir leur vie, et d’infliger à l’ennemi, attaché aux plaisirs de la vie terrestre, les pertes les plus douloureuses possible.</p>
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<p>Néanmoins, pendant la décennie durant laquelle l’attentat-suicide est pratiqué, le <em>modus operandi</em> est demeuré le même : un homme généralement jeune sélectionné pour la rigueur de sa foi et sa détermination revêt une ceinture d’explosifs et se fait exploser au milieu d’une foule. Une forte discipline et un strict respect des consignes caractérisent les rangs du mouvement. </p>
<p>Comment expliquer le basculement d’une hyperviolence normée dont relevait l’attentat-suicide à la sauvagerie multiforme du 7 octobre ? Trois hypothèses méritent d’être examinées.</p>
<p>La première hypothèse est celle d’une organisation débordée par ses membres exaltés par leur soudaine puissance, dépassée peut-être aussi par d’autres groupes ou par des civils palestiniens qui ont profité de l’ouverture en vingt-neuf points de la clôture de sécurité pour aller piller et tuer. Un épisode relaté par Samuel Forey dans <a href="https://www.grasset.fr/livre/les-aurores-incertaines-9782246815433/"><em>Les Aurores incertaines</em></a> (Grasset, 2023) lors de sa visite dans la bande de Gaza en novembre 2012 donne à voir la possibilité du déchaînement et de l’acharnement collectifs, voire d’une répartition des tâches. Le journaliste évoque l’exécution sommaire de personnes accusées de collaboration avec Israël par la brigade Qassam. Les hommes gisant au sol sont achevés par une foule anonyme qui accomplit le lynchage, sans que cela provoque d’intervention de la police <em>hamsaoui</em>.</p>
<p>De manière comparable, en 2000 à Ramallah, des Palestiniens <a href="http://edition.cnn.com/2000/WORLD/meast/10/12/israel.tm/index.html">avaient mis à mort deux Israéliens égarés en zone A</a> et l’un des tueurs s’était servi du téléphone portable d’une des victimes pour annoncer le meurtre à la femme du supplicié. L’occasion soudaine de s’échapper de l’enclos gazaoui aurait libéré les instincts de meurtre et de vengeance de quelques centaines d’hommes. La thèse de la perte de contrôle est celle qui est <a href="https://www.middleeasteye.net/news/israel-palestine-war-hamas-and-israel-were-inches-deal-hostages">mise en avant par les responsables du Hamas</a>, qui peinent à justifier l’ampleur et les modalités du massacre.</p>
<p>La deuxième hypothèse est celle d’une mutation du Hamas. Sa branche armée, dont les membres ont <a href="https://www.france24.com/fr/20121114-chef-militaire-hamas-tue-gaza-raid-israel-jaabari-brigades-qassam">fréquemment été visés par des assassinats ciblés israéliens</a>, s’est renouvelée et a continué de recruter parmi la jeunesse de Gaza. L’univers clos et étriqué d’une organisation secrète, celui d’une sociabilité exclusive refermée sur le groupe, a façonné l’esprit de ces hommes privés d’une quelconque expérience avec le monde extérieur ou tout autrui significatif. Dans une vie où tout ailleurs est inaccessible, la formation islamique et militaire qu’assure l’organisation n’aurait été troublée que par le visionnage des vidéos des exactions commises par les combattants de Daech. En outre, l’échec politique du Hamas à s’imposer comme un interlocuteur d’Israël et de la communauté internationale a pu renforcer le poids de la branche militaire. Dès lors, une sorte de « daechisation des esprits » et le sentiment de toute-puissance des brigades Izzedine al-Qassam expliqueraient les actes de barbarie commis le 7 octobre.</p>
<p>La troisième hypothèse rejoint une lecture dominante en Israël aujourd’hui : l’attaque terroriste aurait révélé la nature véritable du Hamas. Plusieurs responsables politiques de l’État hébreu ont d’ailleurs affirmé <a href="https://www.jns.org/idf-spokesperson-hamas-was-more-barbaric-and-more-brutal-than-isis/">l’équivalence de ces deux mouvements</a> ou rebaptisé l’organisation islamiste palestinienne « Hamas – Daech ». Le fait que les chefs de l’organisation <a href="https://www.liberation.fr/checknews/israel-na-pas-sa-place-sur-notre-terre-qui-est-ghazi-hamad-la-voix-du-hamas-depuis-le-massacre-du-7-octobre-20231103_Z6ZD7UK24JBYVAHSCDKYYS5K7Y/">affirment que la religion musulmane interdit de tuer des civils</a> et que Mohamed Deif, commandant des brigades Qassam, <a href="https://www.israelnationalnews.com/news/379862">aurait donné comme consigne à ses troupes d’épargner femmes, enfants et personnes âgées</a> ne serait qu’un leurre destiné à masquer les intentions et les pratiques des islamistes.</p>
<p>Le temps de la recherche n’étant pas celui des médias, il est encore trop tôt pour trancher définitivement entre ces hypothèses.</p>
<h2>Un suicide politique ?</h2>
<p>Si l’objectif du Hamas était d’obtenir un levier de négociation sans précédent en monnayant plusieurs dizaines d’otages, l’ampleur des représailles israéliennes à Gaza montre que ce premier pari, dont l’issue est encore incertaine, est très chèrement payé. La perspective de déclencher un conflit régional, voire mondial ne peut être totalement écartée mais elle ne semble pas probable, <a href="https://www.memri.org/reports/hamas-calls-entire-islamic-nation-join-jihad-against-israel-declares-friday-october-13-2023">l’appel à <em>l’oumma</em> des chefs du Hamas</a> n’ayant pas entraîné de franches mobilisations.</p>
<p>Choqué et humilié, Israël est déterminé à restaurer sa force de dissuasion, au prix de milliers de morts parmi les civils palestiniens. <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/palestine/hausse-des-violences-colonies-a-l-ombre-de-gaza-une-situation-explosive-en-cisjordanie-occupee_AV-202311170746.html">L’intensification des attaques de colons en Cisjordanie</a>, les mauvais traitements infligés aux prisonniers palestiniens, la méfiance à l’égard des citoyens arabes augurent d’une brutalisation sans précédent.</p>
<p>Au sein de la classe politique israélienne, le départ massif et forcé de la population palestinienne vers l’Égypte ou vers des pays occidentaux sommés de prendre leur part du fardeau <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">est un scénario à l’étude</a>. La seule autre option acceptable par nombre d’Israéliens est de soumettre encore davantage les Palestiniens à l’intérieur d’enclaves étanches : l’enfermement, la surveillance et la répression armée, modes de contrôle déjà largement éprouvés, se déploieraient à l’aide d’une débauche de moyens supplémentaires. La normalisation de la déshumanisation succéderait à la démonstration de force du Hamas et à la destruction de la bande de Gaza. À nouveau, elle sèmerait les germes de la révolte et de la fureur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218189/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laetitia Bucaille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Né en 1987, le Hamas s’est emparé du pouvoir à Gaza en 2007 et n’a cessé de s’y renforcer. Le blocus en place depuis seize ans l’a aidé à asseoir son emprise au sein de la population gazaouie.Laetitia Bucaille, Professeur de sociologie politique. Chercheur au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA), chercheur associée au Centre d'Etudes et de Recherche Moyen-Orient, Méditerranée (CERMOM) , Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179292023-11-22T17:23:52Z2023-11-22T17:23:52ZD’Al-Qaida au Hamas : la stratégie de la guerre médiatique<blockquote>
<p>« Je te dis que nous livrons une bataille, et que plus de la moitié de cette bataille se déroule sur la scène médiatique. Nous sommes donc engagés dans une bataille médiatique pour gagner les cœurs et les esprits des membres de notre communauté. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.cairn.info/al-qaida-dans-le-texte--9782130561514.htm">Cette citation</a> nous montre à quel point Ayman al-Zawahiri – longtemps numéro deux d’Al-Qaida, puis leader de l’organisation de l’élimination d’Oussama Ben Laden en 2011 jusqu’à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/02/les-etats-unis-ont-tue-ayman-al-zawahiri-le-chef-d-al-qaida-selon-des-medias-americains_6136882_3210.html">son propre assassinat en 2022 par un drone américain</a> – considérait la sphère médiatique comme un champ de bataille à part entière. Et de ce point de vue, la supériorité militaire des États-Unis pourrait être un avantage pour les djihadistes. Une situation que l’on retrouve, <em>mutatis mutandis</em>, aujourd’hui dans le conflit qui oppose Israël au Hamas.</p>
<h2>De l’importance de déplacer l’affrontement vers les villes</h2>
<p>Les propos cités ci-dessus proviennent d’un message envoyé par Al-Zawahiri en 2004, depuis le Pakistan, à <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/06/09/al-zarkaoui-mort-d-un-tueur_781487_3208.html">Abou Moussab Al-Zarqaoui</a>, le fondateur d’Al-Qaida en Irak (la branche irakienne de l’organisation terroriste), pour l’inciter à mobiliser l’<em>oumma</em>, c’est-à-dire l’ensemble des musulmans, dans un djihad global à l’encontre de ce qu’il considérait être une nouvelle « croisade », menée par la « mécréante » puissance américaine, contre l’islam et ses pratiquants.</p>
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<p>Pour ce faire, Al-Zawahiri insistait sur la nécessité de déplacer les nouveaux sanctuaires du groupe terroriste des confins ruraux – qui se trouvaient dans les zones tribales et montagneuses de l’Afghanistan et du Pakistan – vers les centres urbains de l’Irak central sunnite. Ce basculement géographique reposait sur un constat stratégique : la ville, dans les conflits contemporains asymétriques, est devenue un <a href="https://eprints.lse.ac.uk/2961/1/cities_terrorism_and_urban_wars_of_the_21st_century.pdf">véritable catalyseur</a> capable d’alimenter la « guerre médiatique ». Les destructions qui y sont commises par l’ennemi sont plus spectaculaires qu’en zone rurale, la présence de milliers de civils peut faire hésiter l’assaillant au moment de lancer ses attaques, le nombre de victimes collatérales plus élevé, la quantité de photos et de vidéos qui y sont prises est plus importante – autant d’éléments qui permettent de mieux mobiliser les publics lointains contre l’armée qui mène l’offensive.</p>
<p>Ce constat n’a rien perdu de son actualité. Les méthodes de combat adoptées par les actuels leaders militaires du Hamas semblent, à bien des égards, s’inscrire dans la continuité d’une pensée stratégique réfléchie, initialement élaborée au cours des affrontements de ces dernières décennies entre les puissances occidentales (principalement les États-Unis) et les groupes terroristes comme Al-Qaida.</p>
<p>En quoi la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/20/le-hamas-nouveau-poids-lourd-du-djihad-global/">filiation idéologique et stratégique entre Al-Qaida et le Hamas</a> peut-elle éclairer le conflit en cours à Gaza ?</p>
<h2>Un usage médiatique des civils</h2>
<p>Il est difficile de ne pas voir dans les modes opératoires du Hamas mis en œuvre actuellement à Gaza une logique similaire à celle utilisée par Al-Qaida en Irak à Falloujah (une ville située à 70 km à l’ouest de Bagdad, peuplée de quelque 300 000 habitants avant le début des hostilités) en 2004. La deuxième bataille de Falloujah, en novembre 2004, constitue, à cet égard, un <a href="https://theconversation.com/falloujah-2004-un-modele-de-bataille-urbaine-pour-israel-comme-pour-le-hamas-217030">cas d’école</a> pour comprendre l’utilisation de l’arme médiatique par des groupes terroristes dans un conflit asymétrique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724190629729636524"}"></div></p>
<p>Lors de l’opération <em>Al-Fajr</em> lancée en novembre 2004, Al-Qaida a construit son système défensif à Falloujah de façon à alimenter la guerre informationnelle menée contre les États-Unis. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la concentration des caches d’armes autour des principales mosquées de la ville, comme le montre l’image satellite légendée ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560448/original/file-20231120-21-5l0jfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Sur ce document produit par l’armée américaine, peuvent être mis en évidence cinq bastions défensifs, chacun organisé soit autour d’une mosquée stratégique soit autour de l’hôpital universitaire de Falloujah. Un tel dispositif permet aux insurgés de bénéficier de la relative protection de boucliers humains : même si l’essentiel de la population de Falloujah a quitté la ville au moment de l’offensive américaine, les mosquées et l’hôpital universitaire sont des lieux de refuge pour les civils, qui les perçoivent comme des sanctuaires.</p>
<p>En plus de dissuader les Américains de frapper ces positions, les insurgés entendent maximiser, en cas de frappe, les pertes civiles afin d’inonder les médias arabophones d’images de civils irakiens tués. D’autant que la mosquée revêt un caractère sacré ce qui transforme l’opération américaine en une véritable profanation aux yeux des populations musulmanes, en Irak et ailleurs au Proche-Orient. Il s’agit alors pour Al-Qaida en Irak de réveiller chez l’<em>Oumma</em> le « réflexe » du djihad dit « défensif ».</p>
<h2>L’application de la théorie des deux djihads</h2>
<p>En effet, les stratégies employées par Al-Qaida doivent s’interpréter à l’aune de la <a href="https://www.cairn.info/al-qaida-dans-le-texte--9782130561514.htm">théorie des deux djihads</a> développée par Ben Laden, <a href="https://www.jeuneafrique.com/118984/archives-thematique/abdallah-azzam-le-mentor/">Abdallah Azzam</a> et Al-Zawahiri (les trois principaux stratèges de l’organisation terroriste) :</p>
<blockquote>
<p>« Le djihad contre les infidèles est de deux sortes : le djihad offensif, à savoir attaquer les infidèles dans leur pays. […] et le djihad défensif, à savoir expulser les infidèles de nos pays, [qui] est une obligation individuelle, et même le plus important devoir individuel, dans les cas suivants : lorsque les infidèles pénètrent dans l’un des territoires musulmans et y persécutent des frères. »</p>
</blockquote>
<p>La lutte contre la profanation des mosquées et pour la protection de populations civiles menacées par des « mécréants » relève pour les théoriciens d’Al-Qaida du djihad dit « défensif ». Or, les stratèges d’Al-Qaida ont parfaitement conscience que ce djihad défensif est beaucoup plus consensuel au sein de l’<em>oumma</em> que le djihad dit offensif, qui ne concerne qu’une infime minorité de musulmans.</p>
<p>L’objectif d’Al-Qaida est donc clair : obliger l’armée américaine à toucher les civils, à profaner des lieux saints, symboles de l’<em>oumma</em>, afin de la rassembler autour du drapeau djihadiste.</p>
<p>Cette stratégie trouve alors un écho évident dans les doctrines actuellement utilisées à Gaza, comme le montre le <a href="https://www.idf.il/fr/minisites/hamas/decouverte-de-tsahal-un-manuel-du-hamas-incite-a-cacher-des-armes-dans-les-maisons/">manuel de guérilla urbaine du Hamas</a> retrouvé par Tsahal lors de l’opération « Bordure protectrice » en 2014. Comme Al-Qaida en Irak, le Hamas a théorisé l’utilisation des boucliers humains pour fédérer les populations musulmanes autour du djihad anti-Israël. L’un des passages de ce manuel, très partiellement mis à disposition des chercheurs par Tsahal, affirme :</p>
<blockquote>
<p>« La destruction d’habitations civiles : cette pratique attise la haine des citoyens envers les assaillants [l’armée israélienne] et augmente leur soutien aux forces de résistance de la ville [Hamas]. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1202&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1202&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560835/original/file-20231121-15-l0d3ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1202&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est dans cette optique que l’on pourrait comprendre la localisation des forces du Hamas dans le quartier de <em>Shuja’iya</em>, frappé par Tsahal en 2014 lors de l’opération « Bordure protectrice ».</p>
<p>On voit bien à travers ce document fourni par l’armée israélienne que les points de départ de tirs de roquettes sont concentrés dans les espaces les plus densément habités du tissu urbain.</p>
<p>La géographie des planques témoigne d’une même logique de boucliers humains. Ces planques sont concentrées autour de deux zones résidentielles d’habitat collectif où les combattants du Hamas se cachent sous les étages occupés par des populations civiles.</p>
<figure>
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</figure>
<h2>Radicaliser l’<em>oumma</em></h2>
<p>À la différence d’Al-Qaida, le Hamas ne cherche pas a priori à susciter des vocations djihadistes, mais plutôt à soulever la rue arabe, à la radicaliser afin de fragiliser les régimes arabes partenaires d’Israël et d’isoler un État hébreu soucieux de normaliser ses relations avec ses voisins.</p>
<p>Les stratèges d’Al-Qaida ont d’ailleurs théorisé la vocation du djihad palestinien à saper la légitimité des régimes arabes en paix avec Israël (à commencer par l’Égypte, depuis les <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/124">accords de Camp David de 1978</a>). Comme l’écrit Al-Zawahiri en décembre 2001 :</p>
<blockquote>
<p>« L’occasion qui s’offre au mouvement djihadiste de conduire l’<em>oumma</em> vers le djihad pour la Palestine est plus grande que jamais, car tous les courants laïcs qui faisaient de la surenchère sur la cause palestinienne et rivalisaient avec le mouvement islamique pour la direction de l’<em>oumma</em> dans cette cause se sont découverts, aux yeux de l’<em>oumma</em>, en reconnaissant le droit à l’existence d’Israël, en engageant des pourparlers et en se conformant aux décisions internationales. »</p>
</blockquote>
<p>Le djihad défensif pour la Palestine doit donc participer, selon Azzam et Al-Zawahiri, à la lutte contre les « ennemis proches » (les « régimes arabes impies » comme l’Égypte) et déboucher sur une insurrection de la rue arabe contre ces régimes dont ce même djihad révélera, pour Azzam, la « soumission » aux « croisés judéo-chrétiens ».</p>
<p>Ainsi, le recours aux boucliers humains et l’implantation des groupes terroristes dans des espaces densément peuplés s’inscrivent dans un projet stratégique clairement assumé dès la création d’Al-Qaida : rassembler l’<em>oumma</em> autour d’un djihad pensé comme la défense d’un <em>Dar-Al-Islam</em> (terre des musulmans) « persécuté », « occupé » et « humilié » par une puissance dite « mécréante ».</p>
<p>Dans cette optique, l’essentiel du combat djihadiste se mène sur le « champ de bataille médiatique » où l’asymétrie militaire entre fort et faible profite aux faibles et aboutit à ce que Jean Paul Chagnollaud appelle la « <a href="https://www.actes-sud.fr/node/59333">défaite du vainqueur</a> ». Cette expression résume parfaitement l’échec des Américains, sur le temps long, dans leur opposition à Al-Qaida en Irak de 2004 à 2011, et pourrait synthétiser l’issue du conflit actuel à Gaza entre Israël et le Hamas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217929/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plusieurs années, le Hamas est accusé de prendre en otage sa population. Cette stratégie est à analyser en parallèle avec les précédents d’Al-Qaida.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171992023-11-14T18:56:07Z2023-11-14T18:56:07ZComment appréhender les images des violences terroristes contre les otages ?<p><em>Attention, les descriptions de faits violents rapportés dans cet article peuvent heurter un public sensible.</em></p>
<hr>
<p>Visuellement, Shani Louk est apparue aux yeux de tous le 7 octobre dernier. Cette jeune Israélo-Allemande, tatoueuse de profession, a été kidnappée alors qu’elle participait au festival Tribe of Nova. On l’a vue dénudée et sur le ventre, à l’arrière d’un pickup, dans une courte vidéo de propagande prise par le Hamas.</p>
<p>Sur cette vidéo, sa tête est ensanglantée et elle apparaît inconsciente. Plusieurs miliciens du Hamas la présentent en trophée, tandis qu’un autre, placé à côté du véhicule, lui crache dessus. Le film montre ensuite le véhicule démarrer et disparaître au loin. Shani Louk a été rapidement identifiée par sa mère grâce à ses tatouages et à ses dreadlocks. Trois semaines après son enlèvement, <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67260093">elle a été déclarée morte</a>.</p>
<p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk doit nous inciter à réfléchir à la visibilité de la violence terroriste, à l’usage qui en est fait et à l’impact que ces images ont sur nous. En prenant évidemment toutes les précautions possibles.</p>
<p>Le raid meurtrier du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023 a apporté son lot d’images atroces, même si, apparemment, les plus insoutenables n’ont pas toujours été diffusées, et qu’Israël dispose d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/videos-de-l-attaque-du-hamas-une-nouvelle-dimension-de-la-cruaute-4379606">montage vidéo de 43 minutes</a> d’images très difficiles à regarder, qui ont été montrées à des chercheurs, des journalistes et des parlementaires.</p>
<p>L’embarras des médias et leur autocensure sont importants dès qu’il s’agit de montrer la violence, dès que la dignité des victimes est en jeu, dès que les images relèvent de la propagande, dès qu’elles sont trop perturbantes, mais aussi dès qu’elles provoqueraient des émotions trop fortes.</p>
<p>La déontologie journalistique (voir par exemple la <a href="https://www.afp.com/sites/default/files/charte_deontologique_afp-mars2023.pdf">page 19 de cette charte de l’AFP</a>) comme les spécialistes des images fixent des règles à ce sujet, partant du postulat que la violence peut être l’ennemie de l’information, et qu’on comprend mieux un phénomène lorsque sa représentation est « apaisée ».</p>
<p>Le philosophe <a href="https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/321">Yves Michaud</a> pense ainsi que les images des blessés de l’attentat du RER Saint-Michel en 1995 ne dénoncent ni la violence ni le terrorisme, mais on pourrait poser tout au contraire que, le temps passant, elles acquièrent désormais une valeur d’archives historiques, annonçant l’ère du terrorisme djihadiste en France.</p>
<p>Nombre d’images tombent dans l’oubli et demeurent invisibles. Mais la <a href="https://laviedesidees.fr/Faut-il-montrer-les-images-de-violence">visibilité de la violence</a> est une question qui ne fait que se répéter et s’amplifier à l’ère de la profusion d’images et de leurs canaux de diffusion.</p>
<p>On peut dès lors s’interroger, comme le suggérait l’essayiste, romancière et militante américaine <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/devant-la-douleur-des-autres/">Susan Sontag</a> dans son essai « Devant la douleur des autres », sur le fait d’accepter de se laisser hanter par les images de violence et d’apprendre à les regarder.</p>
<h2>Nudité et violence</h2>
<p>L’effroi provoqué par les images de la capture de Shani Louk tient notamment à la vulnérabilité de la jeune fille exposée. Elle se retrouve au milieu des visages ivres de haine des membres du Hamas qui inspirent la terreur et occupent tout l’espace d’une image qui proclame leur gloire.</p>
<p>L’empathie qu’une image peut provoquer peut ainsi passer par la présence dérangeante de la nudité comme préalable récurrent à la violence ou à la mort.</p>
<p>On pense aux femmes dénudées lors des pogroms de Lviv en Ukraine en 1941, où furent tués des milliers de Juifs. On dispose de plusieurs photos de ces femmes, qui ne sont bizarrement pas devenues iconiques, peut-être parce que, comme le note l’historienne anglaise <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/P/bo12346074.html">Griselda Pollock</a> à propos des massacres de Juifs dans les pays baltes à la même époque, pour un regard masculin, la nudité détourne de la perspective de la mort.</p>
<p>Pour autant, comme l’a montré <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Images_malgr%C3%A9_tout-2050-1-1-0-1.html">Georges Didi-Huberman</a>, ce sont bien trois photos de corps nus, vivants puis morts, de femmes déshabillées avant l’entrée dans les chambres à gaz d’Auschwitz, prises par les membres d’un Sonderkommando – des unités de travail dans les centres d’extermination nazis, composées de prisonniers, juifs dans leur très grande majorité, forcés à participer au processus de la « solution finale » – qui donne un « imaginable » à la pensée du « dehors » et à ce dont personne n’entrevoyait la possibilité.</p>
<p>Plus près de nous, en 1972, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/kim-phuc-la-petite-fille-au-napalm-photographiee-au-vietnam-il-y-a-47-ans-se-raconte-dans-sauvee-de-l-enfer_3647071.html">« napalm girl »</a> de Nick Ut, petite fille au dos brûlé et hurlant de douleur, fuyant son village bombardé, a failli ne jamais paraître dans les journaux du monde entier, parce qu’Associated Press était gêné par sa nudité. Encore aujourd’hui, les algorithmes des réseaux sociaux traquent et éliminent cette image, alors même qu’elle est célèbre et que sa puissance iconographique provient du contraste entre la fragilité de Kim Phuc – c’est son nom – et le champ de bataille où elle est piégée, son statut d’enfant innocent et la violence des adultes dont elle est victime.</p>
<p>Le destin visuel de Shani Louk fait immanquablement penser à l’image méconnue mais saisissante de la jeune patriote russe Zoïa Kosmodemianskaïa, tuée par les nazis en 1941 dans le village de Petrishchevo, pendue puis dépoitraillée, le sein coupé, mais le visage intact. Analysant la photographie de son corps, <a href="https://www.rougeprofond.com/produit/representer-lhorreur/">Frédéric Astruc</a> montre qu’elle est un point d’équilibre improbable entre beauté et horreur, et qu’elle redonne toute son humanité à Zoïa face à ses meurtriers barbares.</p>
<p>Faire disparaître le corps de Shani Louk, dont le visage est d’ailleurs dérobé, c’est aussi prendre le risque d’interdire toute identification et reconduire l’effacement de sa présence au monde voulu par ses bourreaux.</p>
<h2>Une image saturée d’oppositions</h2>
<p>La mise en scène par le Hamas de cet enlèvement est un précipité de ce qui caractérise le terrorisme contemporain. En effet, les actions terroristes sont marquées par une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2002-4-page-525.htm">déconnexion</a> entre les victimes réellement touchées et les cibles politiques ultimement visées.</p>
<p>Dans la « logique » de cette violence aveugle, tuer des gens au Bataclan ferait avancer la cause de l’établissement d’un califat dans la zone syro-irakienne, et mitrailler des danseurs dans le désert permettrait de lutter contre Israël.</p>
<p>Mais la réception de ces actions par les populations relève de la pure terreur, sans idée qu’une transaction politique entre les terroristes et l’État soit possible, car l’atteinte à des civils qui ne sont pas directement concernés est insupportable. Pour le Hamas, Shani Louk est une prise de guerre, mais son dénuement dit justement le contraire : elle est dès l’origine étrangère au conflit, ni son métier ni l’activité festive qu’elle menait avant d’être prise en otage ne l’en rapproche, et sa capture n’est pas un objectif militaire.</p>
<p>Comme souvent, les images de propagande sont réversibles : là où le Hamas entend mettre en scène un coup de force, les publics occidentaux voient une action armée qui vise essentiellement des civils désarmés, et rappelle plutôt la brutalité des gangs et des cartels mexicains. Voire une activité criminelle dépolitisée, où les assassinats de bébés et d’enfants, les viols de femmes, les kidnappings de vieilles dames, les tirs systématiques sur toute personne rencontrée, jusque dans l’espace domestique, ne peuvent être rapportés à une quelconque logique militaire.</p>
<p>C’est au contraire la dissymétrie entre tueurs et victimes que dévoile la vidéo de Shani Louk, dans des couples d’oppositions difficiles à appréhender émotionnellement.</p>
<p>Comme au Bataclan encore, opposition entre une rave party insouciante et l’irruption d’une violence qui l’achève dans le sang. Opposition entre l’espace de la fête et celui de la guerre, symbolisé ici par les mitraillettes et les jeeps. Opposition entre les photographies de Shani Louk avant son enlèvement, qui ont circulé sur Internet, la montrant en tenue bohème, clubbeuse, jeune fille « de son époque » posant sur Instagram pour ses <a href="https://www.businessinsider.com/shani-louk-friends-family-describe-german-israel-who-was-killed-2023-11">13 000 followers</a>, et ses derniers instants insupportables.</p>
<p>Opposition de posture et de sons entre des miliciens gesticulant et hurlant, levant leurs armes, et une jeune femme inconsciente. Opposition des religions entre combattants fanatisés et victimes, le Hamas traquant des « Juifs », avant de traquer des « Israéliens », ce qui a conduit à l’utilisation du mot « pogrom » pour qualifier l’attaque du 7 octobre. Toutes ces oppositions reconduisent en fait le découplage initial entre des univers qui « n’auraient pas dû » se rencontrer et que le terrorisme fait se rencontrer, celui de la violence et celui des civils.</p>
<p>Accepter d’être hanté par les images de souffrance et de violence, c’est se laisser envahir par des émotions dites négatives, par la sidération et le choc, alors même que les journalistes hésitent à les montrer, que la loi française interdit pénalement de publier des images portant atteinte à la dignité des victimes, et que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/23/guerres-massacres-attentats-les-conseils-d-un-psychiatre-pour-se-proteger-face-aux-images-violentes_6196124_3210.html">psychologues déconseillent de les regarder</a> au risque sinon de la sidération permanente, de <a href="https://www.slate.fr/tech-internet/operation-net-propre/travailleurs-horreur-quotidien-philipines-moderateurs-contenu-choquant-images-videos-reseaux-sociaux">l’anxiété</a>, du dégoût, voire de l’insensibilisation.</p>
<p>On sait que les images de propagande, d’exécutions (par Daech, par exemple), ici d’enlèvements, sont utilisées à des fins d’enrôlement de nouvelles recrues, de galvanisation, de construction de toute une imagerie de la violence et du martyre, afin de renforcer la radicalisation des terroristes.</p>
<p>Mais a contrario, les images choquantes peuvent aussi jouer un rôle de dénonciation et fédérer celles et ceux qui combattent ces violences. Pour ne citer qu’un exemple, les photos nazies ont été utilisées par la résistance polonaise, par les Soviétiques, par les journaux alliés, pour dénoncer le nazisme.</p>
<p>Cet iconoclasme contemporain tient à la confusion que pointait déjà <a href="https://lafabrique.fr/le-spectateur-emancipe/">Jacques Rancière</a> entre « l’intolérable dans l’image », celui de la réalité, et « l’intolérable de l’image ». Se confronter aux images c’est aussi accéder à d’autres émotions, la compassion notamment, provoquer des comportements, une révolte voire un engagement, face à la violence contre les civils, accéder à des informations, déconstruire une propagande, documenter une situation, ou encore identifier des assassins pour une éventuelle action en justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Taïeb ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le destin tragique et révoltant de Shani Louk, tuée par le Hamas, fait réfléchir à la visibilité de la violence et à la façon d’être traversé par les images.Emmanuel Taïeb, Professeur de Science politique - Rédacteur en chef de Quaderni, Sciences Po LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2170302023-11-08T20:45:39Z2023-11-08T20:45:39ZFalloujah 2004 : un modèle de bataille urbaine pour Israël comme pour le Hamas<p>Lorsqu’on envisage la guerre urbaine, plusieurs images viennent spontanément à l’esprit : soldats américains prisonniers du tissu urbain à <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">Mogadiscio</a> (1993), tireurs tchétchènes tirant au lance-roquette sur des colonnes de chars russes en plein <a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Grozny</a> (1994-1996), IED (engins explosifs improvisés) explosant dans les rues de <a href="https://abcnews.go.com/WNT/story?id=280897">Falloujah</a> (2004)…</p>
<p>Au cours des années 1990 et 2000, les guerres asymétriques se sont de plus en plus déroulées dans les villes. Durant ces deux décennies, les tactiques des groupes non étatiques, voire terroristes, ont considérablement évolué. Ces groupes ont su de mieux en mieux employer le pouvoir égalisateur de la ville dans leurs affrontements avec des armées conventionnelles.</p>
<p>Dans le contexte actuel de l’offensive lancée par Tsahal à Gaza, en quoi les affrontements urbains des années 2000 nous permettent-ils d’anticiper les doctrines et tactiques que le Hamas pourrait mettre en œuvre à Gaza City ? Pour répondre à cette interrogation, il semble pertinent d’analyser ce laboratoire de guerre asymétrique qu’a été la <a href="https://www.letemps.ch/monde/images-combats-falloujah-revelent-face-cachee-victoire-americaine">deuxième bataille de Falloujah</a> pour Al-Qaida en Irak en novembre 2004, et d’examiner sous ce prisme le visage que pourrait prendre la bataille naissante à Gaza City. </p>
<p>Le parallèle entre Gaza et Falloujah s’impose comme une évidence puisque les deux affrontements mettent en scène une armée conventionnelle moderne confrontée au défi d’occuper et de sécuriser un environnement urbain contrôlé par une organisation terroriste (Al-Qaida en Irak pour Falloujah, le Hamas à Gaza).</p>
<h2>Falloujah 2004 : une bataille maison par maison</h2>
<p>Les sources relatives à la seconde bataille de Falloujah (la <a href="https://www.britannica.com/event/First-Battle-of-Fallujah">première</a>, de moindre ampleur, avait eu lieu quelques mois plus tôt), recueillis dans <a href="https://www.armyupress.army.mil/Portals/7/Primer-on-Urban-Operation/Documents/EyewitnessToWar_VolumeI.pdf">« Eyewitness to war »</a>, une compilation de témoignages de vétérans de Falloujah, font clairement ressortir une concentration systématique des affrontements urbains vers de micro-espaces confinés.</p>
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<p>Le lieutenant-colonel James Rainey, alors commandant de l’une des unités en tête de l’attaque de Falloujah (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) (ici et plus bas, toutes les citations sont de militaires américains ayant pris part à la bataille, et issues de « Eyewitness to war »), insiste particulièrement sur cet aspect de la bataille de Falloujah :</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie fondamentale de l’ennemi consistait à installer des poches de trois ou quatre hommes dans les bâtiments et à attendre que nous y entrions afin de nous priver de tous les avantages que nous avions sur eux. »</p>
</blockquote>
<p>L’abandon à l’armée américaine des voies de circulation et des espaces ouverts de la ville s’explique par la volonté de l’insurrection irakienne organisée par Al-Qaida de réduire l’asymétrie entre sa puissance de feu limitée et celle, très supérieure, de son adversaire. En maintenant le combat en zone confinée, les troupes insurgées espèrent échapper au soutien blindé dont disposent les troupes américaines engagées dans l’attaque de Falloujah.</p>
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<p>Ce confinement du champ de bataille permet aussi de se prémunir contre l’arme aérienne et la capacité américaine à observer l’ennemi via ses satellites et ses drones – ce qu’on peut appeler son « omniscience zénithale ». En effet, l’offensive sur Falloujah de novembre 2004 fait suite à un véritable siège aérien entamé depuis le retrait des troupes américaines de la ville en avril.</p>
<p>Au cours de ce siège, l’aviation américaine a pu systématiquement frapper les positions insurgées visibles depuis le ciel, ainsi que les djihadistes empruntant les principaux axes de la ville. Cette campagne de bombardements s’est accompagnée d’un exode massif des populations civiles, privant ainsi Al-Qaida de boucliers humains potentiels.</p>
<p>L’omniscience zénithale de l’armée américaine, la régularité des frappes aériennes et la puissance des appuis blindés ont certainement persuadé les insurgés d’Al-Qaida d’abandonner leurs positions fortifiées mais exposées situées au nord-est de la ville, dans le quartier d’Askari notamment, pour se replier à l’intérieur des habitations. Privés de mobilité, empêchés de combattre sur les grandes artères de la ville, les insurgés se sont donc vus contraints de se cantonner à un combat confiné, dans de micro-espaces.</p>
<p>De même, à Gaza, l’absence de résistance significative à la progression rapide des blindés de Tsahal le long des grandes artères, et notamment le <a href="https://www.dimsumdaily.hk/israeli-tanks-enter-gaza-city-cutting-key-road-and-dividing-territory/">long de la route Salaheddine et de la N10</a>, semble confirmer que le Hamas entend reproduire la doctrine d’Al-Qaida en Irak : <a href="https://www.afpc.org/publications/articles/the-gaza-ground-war-what-to-expect">délaisser les points d’embuscade en zone ouverte pour se concentrer sur les <em>kill zones</em></a>, ces micro-espaces conçus et aménagés pour tuer les militaires ennemis et non pour conserver un territoire.</p>
<p>Tout comme à Falloujah en 2004, le combat urbain à Gaza pourrait donc se confiner dans des espaces densément bâtis. À Falloujah, l’essentiel des <em>kill zones</em> aménagées par les défenseurs se situait dans le quartier du Jolan. Comme cela sera plus tard le cas de la vieille ville de Gaza pour le Hamas, ce quartier de Falloujah présentait plusieurs avantages pour les insurgés : particulièrement dense, le Jolan possédait une voirie extrêmement étroite qui l’enclavait, comme le souligne un vétéran américain :</p>
<blockquote>
<p>« Le 3-1 (le 3<sup>e</sup> bataillon du 1<sup>er</sup> régiment de cavalerie) se situe à la jonction de la ligne Kathy, prêt à longer la rivière pour frapper le cœur du Jolan. Le 2-7 (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) ne peut se diriger vers l’ouest de la ville parce que les rues sont trop étroites et denses, c’est donc un pur combat d’infanterie. »</p>
</blockquote>
<p>La nature du tissu urbain, dense et étroit, privait les forces américaines de soutien blindé et réduisait les distances d’engagement, rendant ainsi difficiles les tirs indirects (aviation et artillerie). Ces atouts en faisaient un espace privilégié pour les <em>kill zones</em>, comme pourrait le devenir aujourd’hui Gaza City pour le Hamas.</p>
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<p>Le Hamas pourrait aussi s’inspirer des micro-aménagements qu’Al-Qaida en Irak avait mis en place à Falloujah en 2004. Les <em>kill zones</em> conçues à Falloujah exploitaient au maximum les opportunités qu’offre l’habitat arabe, celui-ci étant utilisé comme un piège destiné à enfermer les soldats américains dans un micro-champ de bataille particulièrement favorable aux insurgés :</p>
<blockquote>
<p>« Dans chacun de ces bâtiments, il y avait des “trous de souris” (Mouse Holes). Si vous entriez par la porte, vous étiez confronté à des trous percés dans les murs partout dans la pièce – au-dessus, à l’arrière, sur les côtés – tous concentrés dans la pièce centrale dans laquelle vous entriez. C’était une “kill zone” et il était impossible d’en sortir vivant. »</p>
</blockquote>
<p>Les <em>kill zones</em> irakiennes reposaient ainsi sur un ensemble d’aménagements destinés à transformer les maisons d’habitation en véritables pièges. Tout d’abord, les insurgés condamnaient les portes secondaires et les fenêtres afin d’obliger les forces américaines à pénétrer dans la maison par la porte principale. Puis ils perçaient des « trous de souris », un ensemble d’ouvertures permettant de créer des angles de tir ad hoc à l’intérieur de la maison, souvent concentrées sur la pièce principale et l’entrée du bâtiment.</p>
<p>Ces trous de souris avaient trois fonctions : exposer les soldats américains sans couverture à des tirs directs, les empêcher de s’échapper de la <em>kill zone</em> et, enfin, rendre impossible l’acheminement de renforts. Ainsi refermé, le piège isolait complètement les soldats américains du reste du champ de bataille tout en les plaçant dans une situation désastreuse.</p>
<p>Après l’embuscade, les insurgés pouvaient enfin compter sur les « rat holes », ou trous de rats, un réseau de tunnels leur permettant de circuler de maison en maison :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi a également creusé des “trous de rats” reliant entre eux des bâtiments différents. N’oubliez pas que tous ces bâtiments sont entourés de murs ; les trous de rats permettaient à l’ennemi de se déplacer d’un bâtiment à l’autre […]. Quand nous entrions dans un bâtiment, ils passaient par ces “trous de rats” pour se réfugier dans le bâtiment voisin ; et ils revenaient une fois que nous avions nettoyé le bâtiment et l’avions quitté. »</p>
</blockquote>
<p>En plus d’exposer les soldats américains, ces <em>kill zones</em> garantissaient donc des axes de repli aux insurgés qui pouvaient alors les utiliser pour se projeter sur les arrières de l’ennemi ou pour abandonner le combat et rejoindre la population civile.</p>
<h2>La ville comme piège</h2>
<p>Ces aménagements conçus pour transformer la ville en piège destinée à tuer pourraient être mis en œuvre à grand échelle par le Hamas dans Gaza City où le tissu urbain est propice à de telles <em>kill zones</em>. Ainsi n’est-il pas impossible que les « trous de rats » d’Al-Qaida puissent servir de modèle aux tunnels du <a href="https://videos.lesechos.fr/lesechos/sujet-actus/le-metro-de-gaza-le-labyrinthe-souterrain-du-hamas/qzkrruu">« métro de Gaza »</a> du Hamas.</p>
<p>Dès lors, la bataille de Falloujah en novembre 2004 constitue bien un précieux retour d’expérience (<em>retex</em>) pour les armées conventionnelles en proie à la guérilla urbaine, comme le montre la réalisation du <a href="https://www.rtbf.be/article/baladia-la-mini-gaza-ou-les-soldats-israeliens-de-tsahal-sentrainent-pour-la-guerre-urbaine-contre-le-hamas-11281111">camp israélien d’entraînement au combat urbain de Badalia</a>, réplique parfaite d’une ville arabe conçue en 2005 en plein désert du Néguev avec l’aide de l’armée américaine et de ses enseignements tirés de Falloujah. D’ailleurs, fin octobre, le major général américain James Glynn, qui a combattu à Falloujah en 2004, <a href="https://www.thenationalnews.com/world/us-news/2023/10/30/general-glynn-israel-advice/">s’est rendu en Israël pour apporter son expertise à Tsahal</a>.</p>
<p>Mais Falloujah reste avant tout un laboratoire qui a permis de renouveler les stratégies des groupes terroristes en milieu urbain, ce qui ne sera pas sans influence sur les tactiques qu’utilisera le Hamas face à Tsahal. Le <a href="https://www.gov.il/en/Departments/General/hamas-manual-on-urban-warfare">manuel de guérilla urbaine du Hamas</a> saisi par Tsahal en 2014 à Gaza lors de l’opération <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2014_num_60_1_4747">« Bordure protectrice »</a> comporte sans doute des enseignements tirés par le Hamas des doctrines et tactiques utilisées par Al-Qaida en Irak. Malheureusement, ce document n’est pas, à l’heure actuelle, entièrement mis à la disposition des chercheurs. Mais une chose est certaine : pour le Hamas à Gaza comme pour Al-Qaida à Falloujah en 2004, la ville n’est plus pensée comme un territoire, une forteresse à défendre, mais plutôt comme une arme destinée à tuer des soldats ennemis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À Falloujah, en 2004, les soldats américains s’étaient heurtés à une résistance acharnée des insurgés. Cette guerre urbaine est porteuse de nombreuses leçons pour l’engagement de Tsahal à Gaza.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160502023-10-22T15:15:57Z2023-10-22T15:15:57ZQuelle stratégie israélienne pour Gaza ?<p>« Destruction du Hamas », « réoccupation militaire », « ruines », « massacres et expulsions de civils »… Dans <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-le-sujet-meme-de-la-paix-a-disparu-215287">l’affrontement actuel entre l’armée israélienne et le Hamas</a>, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les avenirs possibles de la bande de Gaza.</p>
<p>Au-delà des objectifs militaires à court terme, la question est bel et bien politique. Alors que les responsables israéliens avancent des propositions différentes et parfois mutuellement exclusives sur le sort futur de l’enclave, les leçons des 56 dernières années (c’est en 1967, à l’issue de la guerre des Six Jours, qu’Israël a pris le contrôle de la bande de Gaza, auparavant occupée par l’Égypte) seront-elles tirées, de sorte qu’une véritable solution viable à long terme s’impose ?</p>
<p>Au vu des propos tenus actuellement à Tel-Aviv, et de l’incapacité de la communauté internationale à peser réellement sur ce dossier, cela semble peu probable. Répondre à la question du devenir de Gaza implique de regarder en face l’échec de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, qui a largement consisté à les séparer d’Israël et à les contraindre à vivre dans des enclaves, et d’envisager les différents scénarios de sortie de guerre.</p>
<h2>Les options militaires immédiates</h2>
<p>Suite à l’attaque terroriste et aux prises d’otages du Hamas du 7 octobre, l’armée israélienne a repris le contrôle des localités attaquées. Elle a organisé la mobilisation de 300 000 réservistes et rassemblé des chars au nord de Gaza, tout en lançant une campagne de bombardements intensive.</p>
<p>Les intentions israéliennes restent, pour le moment, générales : « éliminer » le Hamas <a href="https://fr.timesofisrael.com/yoav-gallant-la-bande-de-gaza-ne-sera-plus-jamais-ce-quelle-etait/">selon le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant</a>, ou encore transformer ses zones d’opération « en ruines » pour reprendre les <a href="https://www.leparisien.fr/international/attaques-contre-israel-chaque-zone-dans-laquelle-le-hamas-opere-sera-une-ruine-menace-netanyahou-09-10-2023-NI2X4FBYN5DULH7TE4QPQW4C4U.php">termes de Benyamin Nétanyahou</a>.</p>
<p>Israël prépare également une incursion terrestre dans des zones urbaines très denses où le Hamas bénéficie d’un réseau structuré de tunnels contenant des caches d’armes, dont l’entrée peut se situer <a href="https://china.elgaronline.com/display/edcoll/9781839108891/9781839108891.00023.xml">dans des habitations, des bâtiments agricoles ou des mosquées</a>.</p>
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<p>Les Israéliens bénéficient d’une expérience de combat en contexte urbain après leurs actions <a href="https://www.c-dec.terre.defense.gouv.fr/images/documents/retex/29_naplouse_sud_liban_zurb.pdf">à Naplouse en 2002 ou encore au Liban en 2006</a>. Ils ont appris à <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/08/gaza-passer-a-travers-les-murs-x/">se déplacer à travers les murs</a>, grâce notamment à des technologies de détection et au recours à des balles pénétrantes. Ils connaissent les limites et les dangers de ces opérations terrestres, longues et à grande échelle, par rapport à des interventions limitées à l’intérieur des enclaves palestiniennes comme celles qu’ils ont conduites récemment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/04/apres-le-raid-de-l-armee-israelienne-a-jenine-les-habitants-denoncent-une-punition-collective_6180441_3210.html">à Jénine et à Naplouse</a>.</p>
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<p>En guise de représailles, l’armée israélienne a aussi mis fin à l’approvisionnement en eau (avant de le rétablir dans le sud), en fuel et en électricité dont dépend en grande partie la bande de Gaza. Ces mesures ne sont pas neuves. Elles s’inscrivent dans le <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/06/19/quinze-ans-de-blocus-sur-la-bande-de-gaza_6131001_6116995.html">blocus maritime et terrestre de la bande de Gaza à l’œuvre depuis 2007</a>. Les importations de certains produits dans la bande sont limitées, ce qui affecte l’économie agricole et celle du bâtiment (souligner cela n’exonère en rien de critiquer la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2018-3-page-23.htm?contenu=resume">gestion économique du territoire par le Hamas</a>), tout en ayant de graves répercussions sur les civils (comme l’a rappelé la <a href="https://press.un.org/fr/2009/cs9567.doc.htm">résolution 1860 du Conseil de sécurité</a>, respectée ni par Israël ni par le Hamas).</p>
<p>Les Égyptiens participent également de ce blocus : <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/face-au-siege-de-gaza-legypte-dans-lembarras-20231014_H6KRQOKAIBHEXANY7NJLPKIYOQ/">méfiants à l’égard du Hamas</a>, ils ont tenté à de nombreuses reprises de <a href="https://fr.timesofisrael.com/legypte-detruit-12-tunnels-de-contrebande-a-gaza/">détruire les tunnels</a> creusés sous la frontière entre leur territoire et la bande de Gaza.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-poste-frontiere-de-rafah-pour-les-gazaouis-une-issue-de-secours-qui-reste-close-215849">Le poste-frontière de Rafah : pour les Gazaouis, une issue de secours qui reste close</a>
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<p>Tout se passe comme si cette enclave était une entité complètement déconnectée d’Israël et de la Cisjordanie. Pourtant, si les colons et militaires israéliens ont effectivement été évacués de Gaza en 2005 sur décision d’Ariel Sharon, Gaza n’en demeure pas moins, depuis lors, un territoire contrôlé par Israël de l’extérieur, notamment par des points de passage et une « barrière ». Le Hamas en a pris violemment le contrôle au détriment du Fatah en 2007. Les Israéliens ont aussi joué la carte de la division palestinienne, ce qui est aujourd’hui <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/11/israel-netanyahou-a-explicitement-renforce-le-hamas-une-conversation-avec-nitzan-horowitz/">reproché à Benyamin Nétanyahou</a>, de nombreux observateurs estimant que sa stratégie a renforcé l’implantation du Hamas à Gaza.</p>
<p>Les considérations tactiques et humanitaires, urgentes, masquent en tout état de cause la question du statut politique de la bande de Gaza et de la stratégie politico-militaire israélienne, appuyée par ses alliés internationaux.</p>
<h2>Quelle stratégie israélienne à long terme ?</h2>
<p>L’administration américaine, traditionnellement très peu critique envers les décisions prises par les autorités israéliennes, se montre aujourd’hui inquiète. Elle a demandé à Israël de préciser sa stratégie pour Gaza. Il est vrai que les positions avancées par les dirigeants de Tel-Aviv sont diverses. <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/israel-en-guerre/1697433150-israel-n-a-aucun-interet-a-occuper-gaza-selon-l-ambassadeur-d-israel-a-l-onu-gilad-erdan">« Nous n’avons aucun intérêt à occuper Gaza ou à rester à Gaza »</a>, a déclaré l’ambassadeur israélien auprès des Nations unies, Gilad Erdan, le 12 octobre. Benny Gantz et Gadi Eisenkot, deux leaders de l’opposition, ont <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/les-etats-unis-pressent-israel-delaborer-une-strategie-en-cas-de-renversement-du-hamas/">rejoint le gouvernement d’unité nationale</a> à la condition qu’un plan opérationnel de sortie de Gaza après une incursion soit formulé.</p>
<p>En politique israélienne, voilà longtemps que l’on entend des voix qui appellent au nettoyage ethnique. Ces derniers jours, des députés du Likoud souhaitaient publiquement une <a href="https://www.haaretz.com/opinion/editorial/2023-10-17/ty-article-opinion/palestinian-expulsion-amid-the-fog-of-war/0000018b-39f9-d5b8-a78b-f9f92b720000">« Nakba 2 »</a> en référence à l’exil forcé de 600 à 800 000 Palestiniens en 1948. Le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a annoncé une <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/eli-cohen-a-la-fin-de-la-guerre-le-hamas-disparaitra-et-la-bande-de-gaza-diminuera/">« diminution du territoire de Gaza » après la guerre</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713594002090365127"}"></div></p>
<p>De manière générale, le gouvernement de droite et d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou revendique sans s’en cacher une poursuite accrue de la colonisation, voire tout simplement l’annexion de pans des territoires palestiniens. En mars, la ministre des Implantations et des Missions nationales Orit Strock appelait à une <a href="https://www.timesofisrael.com/then-we-retake-gaza-hardline-minister-hails-repealing-of-west-bank-disengagement/">recolonisation de Gaza</a>.</p>
<p>Est-il possible de détruire le Hamas sans pour autant expulser de la bande de Gaza de très nombreux civils palestiniens et, au-delà, sans avoir au préalable élaboré une stratégie politique pour l’avenir de ce territoire ? C’est difficile à croire tant l’histoire de l’occupation nous a prouvé le contraire.</p>
<h2>Les enseignements de l’histoire</h2>
<p>Depuis 1967, les <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/israelpalestine-lillusion-separation-4">formes de l’occupation israélienne</a> de Gaza et de la Cisjordanie ont évolué, tant dans les processus bureaucratiques qui régissent la vie des Palestiniens (permis de déplacement, construction d’habitations, regroupement familial, travail en Israël) que dans les outils de contrôle (checkpoints, surveillance, renseignement, mur, emprisonnement). Les formes de l’opposition palestinienne ont également évolué (des plus pacifiques, comme le <a href="https://theconversation.com/lavenir-incertain-de-la-palestine-a-la-cour-penale-internationale-202162">recours au droit international</a>, aux plus violentes comme celles prônées par le Hamas et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/conflit-israel-hamas-qu-est-ce-que-le-djihad-islamique-palestinien-suspecte-d-avoir-frappe-un-hopital-a-gaza-20231018">d’autres groupes djihadistes</a>).</p>
<p>Dans un premier temps, jusqu’aux années 1990, les Israéliens ont administré la vie des Palestiniens, intégrant leur force de travail à leur économie tout en exploitant et colonisant la terre. Leur souci a toujours été de dissocier la gestion de la vie des habitants palestiniens (qu’ils <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2005-2-page-66.htm">ne voulaient pas incorporer en trop grand nombre à un État majoritairement juif</a>) du contrôle de la terre de Cisjordanie ou de Gaza.</p>
<p>Les années 1990 ont été ensuite marquées par la séparation tant politique que spatiale d’avec les Palestiniens, et ce d’autant plus que s’étiolait le processus de paix et s’aggravaient les attentats contre les Israéliens. Le politiste <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520255319/israels-occupation">Neve Gordon</a> analyse l’occupation dans cette phase comme une délégation de la gestion des Palestiniens à l’Autorité palestinienne, ainsi qu’aux ONG et aux organisations internationales, tout en poursuivant la colonisation et en accentuant le contrôle des mobilités au nom de la sécurité des Israéliens.</p>
<p>Un système de ségrégation spatiale s’est donc mis en œuvre pour que les mobilités des Palestiniens contournent les zones israéliennes. Ce système a offert aux Israéliens, traumatisés par la Seconde Intifada (2000-2005), une illusion de séparation, comme si le danger avait été repoussé de l’autre côté du mur, dans les enclaves palestiniennes.</p>
<p>Gaza est le modèle type de cette stratégie de l’enclave conjuguant contrôle extérieur, incursions militaires limitées mais régulières pour détruire les tunnels et les capacités des groupes armés palestiniens, délégitimation de l’Autorité palestinienne, <a href="https://www.inss.org.il/wp-content/uploads/2018/01/GazaCrisis_ENG-115-128.pdf">dissociation de ses habitants d’avec les Palestiniens de Cisjordanie</a> et appauvrissement de la population. Ce cocktail a permis la montée du Hamas, qui revendique, depuis sa fondation, la lutte armée contre Israël. Cette stratégie sécuritaire où se retrouvent face à face armée israélienne et Hamas permettait aussi de ne pas prendre de décisions politiques majeures sur le sort des Palestiniens, ni de s’engager dans une négociation politique.</p>
<h2>Regards internationaux</h2>
<p>Le 7 octobre 2023 est une tragédie incommensurable dans le conflit israélo-palestinien. Cet événement consacre l’échec de la politique israélienne à l’égard de Gaza et de la question palestinienne en général. L’option strictement sécuritaire n’est plus à même de contenir la violence. Dès lors, on peine à envisager les <a href="https://www.972mag.com/gaza-nakba-sinai-egypt-israel/">scénarios possibles</a> de sortie de guerre. Transférer la gestion des Palestiniens de Gaza à l’Égypte ou à des organisations internationales ? Réinstaurer à Gaza le pouvoir de l’Autorité palestinienne (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/19/israel-hamas-en-cisjordanie-le-jour-de-toutes-les-coleres-se-retourne-contre-l-autorite-palestinienne_6195389_3210.html">très décriée en Cisjordanie</a>) ? Déplacer la population vers certaines zones de Gaza, vers le Sinaï ou la Jordanie (<a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-israel-gaza-l-egypte-s-oppose-a-un-deplacement-des-palestiniens-au-sinai-et-en-jordanie-11273791">ce que refusent en chœur l’Égypte et la Jordanie</a>) ? Annexer et contrôler militairement des pans de la bande ?</p>
<p>Tous ceux qui s’intéressent au vivre ensemble des deux peuples doivent réactiver une voie de résolution politique et multilatérale de l’occupation et aborder de manière critique la difficile question de la stratégie israélienne à Gaza et de l’autodétermination des Palestiniens. Il peut paraître naïf d’exprimer cela au milieu d’une guerre d’une telle violence. Pourtant, les relations israélo-palestiniennes sont affaire de positionnements internationaux depuis la déclaration Balfour de 1917. Après la Syrie, l’Ukraine et le Karabakh, elles sont aussi un nouveau test de la possibilité de gouverner les relations internationales et interethniques par le droit international et le multilatéralisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Simonneau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le contexte actuel, marqué par le terrible bilan humain des attaques commises le 7 octobre par le Hamas, les responsables israéliens envisagent essentiellement des issues.Damien Simonneau, Maître de conférences en science politique à l'INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159502023-10-19T20:38:07Z2023-10-19T20:38:07ZL’école de la République : un pilier dans la tourmente ?<p>Trois ans après <a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">l’assassinat de Samuel Paty</a>, le terrorisme vient à nouveau de frapper l’école, qui devient ainsi clairement une cible spécifique du djihadisme. Mais si les <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/10/16/face-a-la-salafisation-des-esprits-l-ecole-est-la-ligne-de-front_6194776_3260.html">enseignants sont devenus une cible</a>, c’est qu’ils sont aussi un rempart. Un rempart contre l’obscurantisme qui caractérise et anime leurs agresseurs, et menace toute la société. Ils se trouvent ainsi de facto, sans l’avoir vraiment voulu, chargés d’une mission qui dépasse la simple (mais déjà assez difficile !) mission d’enseigner : celle d’être un pilier dans la tourmente, pour toute la nation française.</p>
<p>Il y a désormais un décalage entre ce que l’on attend de l’école, et ce que les enseignants sont habitués à y faire, en ayant été formés spécifiquement pour cela. Car ils doivent être plus que de simples enseignants, et cela n’est sans doute, pour eux, ni évident, ni facile.</p>
<p>Pour apprécier la charge que représente cette nouvelle tâche, et l’étendue du changement touchant le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/enseignants-24310">métier de professeur</a> (des écoles comme de collège ou de lycée), on peut l’appréhender à partir de trois attentes essentielles touchant désormais l’école.</p>
<h2>L’école, ce lieu où l’on est soumis au « choc du savoir »</h2>
<p>Ce décalage est déjà visible au niveau de la mission la plus traditionnelle de l’école, et qui perdure, en étant plus que jamais d’actualité : transmettre des savoirs. Mais, plus que d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/05/gabriel-attal-nous-devons-engager-une-bataille-pour-le-niveau-de-notre-ecole_6192600_3224.html">« choc des savoirs »</a>, selon l’expression de Gabriel Attal, il lui faut être le lieu d’un choc du savoir ! Non pas accumuler des savoirs, mais d’abord comprendre ce qu’est le savoir, et le distingue d’une opinion. Car l’essentiel est de dépasser les opinions (s’en délivrer), pour accéder au savoir.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/education-aux-medias-et-a-linformation-la-generalisation-et-apres-177372">Éducation aux médias et à l’information : la généralisation, et après ?</a>
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<p>C’est ce mouvement de <a href="https://editions.flammarion.com/traite-de-la-reforme-de-lentendement/9782080711717">« purification de l’entendement »</a>, pour parler comme Spinoza, qui compte, beaucoup plus que l’accès à tel ou tel savoir particulier. Telle est la « révolution copernicienne » qui est exigée de l’école pour devenir vraiment un rempart contre l’ignorance et l’obscurantisme : se centrer non sur les savoirs, mais sur la dynamique qui permet d’y accéder.</p>
<p>Le glissement est double. Il s’agit de porter un autre regard sur les disciplines scolaires. Et de vraiment ne laisser personne à l’écart. Du premier point de vue, les disciplines d’enseignement ne doivent plus être considérées comme des fins en soi, mais essentiellement comme des occasions de développer certaines capacités ou compétences fondamentales. Le professeur ne doit plus être au service d’une discipline, mais au service des élèves que cette discipline peut aider à grandir et à progresser en tant qu’êtres humains.</p>
<p>Il ne s’agit pas, par exemple, de former un mathématicien, ou un homme de lettres. Mais d’utiliser les mathématiques et les lettres pour armer l’élève d’outils cognitifs, qui le rendront capable d’innover, pour faire face à la variété de problèmes qu’il rencontrera dans le temps de crise, et d’incertitude, qui est désormais le nôtre.</p>
<p>Et quand se développent des <a href="https://theconversation.com/chatgpt-face-aux-artifices-de-lia-comment-leducation-aux-medias-peut-aider-les-eleves-207166">outils numériques par lesquels on pourrait craindre d’être dépassé</a>, il faut d’abord permettre à l’élève de se construire lui-même comme « outil pensant intelligent (smart) », capable de débusquer les contre-vérités, et d’imaginer des solutions aux problèmes rencontrés. La grande tâche de l’école est aujourd’hui de participer à cette construction.</p>
<p>C’est ce qui conduit à repenser les curricula (les programmes d’étude et de développement), en visant moins une pluralité de savoirs spécifiques (correspondant à des disciplines d’enseignement enseignées pour elles-mêmes), que ce que chaque discipline peut offrir comme méthodes de recherche, attitudes de travail, en matière de formation et de structuration de l’esprit.</p>
<p>Non pas la discipline pour elle-même, mais pour sa contribution à la sauvegarde et au développement des capacités cognitives. Il s’agit en somme de sauvegarder et de développer ce que Rousseau appelait la <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/file/index/docid/297311/filename/Adli_La_perfectibilite_chez_Rousseau.pdf">« perfectibilité »</a>, c’est-à-dire le pouvoir fondamental d’acquérir et de développer des pouvoirs (d’agir et de penser).</p>
<p>La seconde préoccupation (ne laisser personne à l’écart) devrait conduire à privilégier une <a href="https://theconversation.com/penser-lapres-pour-une-ecole-de-lessentiel-137005">« école du socle »</a>. C’est-à-dire une école centrée sur les fondamentaux, dans le sens évoqué ci-dessus, et accompagnant les élèves sur un temps suffisamment long : pas de différenciation, ou d’orientation importante, avant la fin du collège actuel. Tous les enfants et adolescents doivent être touchés par le mouvement de « réforme de l’entendement ».</p>
<h2>L’école comme lieu d’expérimentation concrète de la laïcité</h2>
<p>Bien plus que l’instauration d’un nouveau rapport au savoir, le deuxième changement risque d’être déstabilisant pour les enseignants. Il s’agit pour eux d’être les acteurs d’une véritable expérimentation concrète de la laïcité. Cela peut encore être saisi à deux niveaux.</p>
<p>Le premier est celui d’un enseignement de la laïcité. Ce travail incombe en grande partie aux professeurs d’histoire-géographie, à qui il appartient, depuis 2015, d’assurer un enseignement moral et civique (EMC) poursuivant trois finalités, précisées par le <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=38047">Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018 de l’Éducation nationale</a> : respecter autrui ; acquérir et partager les valeurs de la République ; construire une culture civique.</p>
<p>Le nouvel <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-lenseignement-moral-et-civique-148493">« enseignement moral et civique »</a> (EMC) inscrit dans la loi de refondation de l’école de 2013 a suscité d’importants débats, sur son opportunité, son sens, sa légitimité, et même sa possibilité. Les événements récents montrent qu’un tel enseignement est absolument nécessaire.</p>
<p>Tous les élèves doivent comprendre ce que signifie la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/la-cite-22058">laïcité</a>, et quel est le sens du principe qui la fonde : la distinction entre les lois, libre expression du peuple souverain, qui s’imposent à tous les citoyens, égaux en tant que tels ; et les convictions, religieuses ou autres, que chacun est libre d’adopter et de défendre, à la seule condition qu’elles n’entraînent pas d’actes contradictoires avec les lois de la République.</p>
<p>Mais les professeurs d’histoire-géographie ne doivent pas être laissés seuls sur les créneaux du rempart ! Il appartient à l’ensemble de la communauté éducative (au sein de l’établissement), de faire en quelque sorte expérimenter concrètement la laïcité. En rappelant, chaque fois que l’occasion en est donnée, en cours, comme dans la « vie scolaire », la nécessité du respect des opinions individuelles, et des personnes qui les expriment, mais toujours dans le cadre du respect premier et fondamental des lois de la République. Et en n’hésitant pas à assurer le rôle de garant et de gardien de la laïcité, en intervenant quand un acte mérite sanction.</p>
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<figcaption><span class="caption">France : atteintes à la laïcité, les professeurs en première ligne •(France 24, octobre 2023).</span></figcaption>
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<p>De ce point de vue, tous les acteurs de la communauté que constitue l’établissement, dont les professeurs, doivent accepter de jouer le rôle de représentants, et s’il le faut de gendarmes, de l’exigence laïque.</p>
<p>Il y a bien un combat à mener, mais finalement contre la haine, qui fait oublier que l’autre (le Palestinien, le juif, le chrétien, le Français…), est mon semblable, et mon égal. Quelqu’un envers qui j’ai des devoirs, qui ne sont que l’autre, et première, face de mes droits.</p>
<h2>L’école comme espace où l’on vit de façon protégée les temps de l’enfance et de l’adolescence</h2>
<p>L’école est aussi le lieu où l’on passe une partie essentielle des longues, et souvent heureuses, années de son enfance et de son adolescence. Années qu’on les passe au sein de groupes sociaux rassemblant des personnes d’à peu près le même âge, mais de convictions et de milieux relativement divers, et avec certaines desquelles on nouera des amitiés durables.</p>
<p>Ce lieu où se tissent des amitiés, où se construisent, et s’interpénètrent, des parcours de vie, se doit d’être un lieu protecteur. Or la menace djihadiste en fait un lieu où les enseignants, comme les élèves, deviennent des cibles particulièrement exposées au risque d’agression terroriste, et peuvent se sentir condamnés à vivre dans la peur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-aux-attaques-terroristes-comment-proteger-les-enseignants-215724">Face aux attaques terroristes, comment protéger les enseignants ?</a>
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<p>L’école se doit d’être un espace hautement sécurisé, qui met à l’abri de la peur. Mais sans devenir une forteresse coupée du reste de la société. En dehors de ce qui relève de l’action des forces de police, voire de l’armée, le souci de la sécurité peut d’ailleurs commencer à se manifester dans des actes tels que l’instauration de « places aux enfants », espaces libérés de la circulation automobile devant l’entrée des établissements. Ou dans une ferme politique de lutte contre le harcèlement, à laquelle tous les enseignants peuvent, et doivent, participer.</p>
<p>Car s’il faut craindre les agressions mortelles en provenance de l’extérieur, l’histoire récente montre que des agressions proprement scolaires, relevant du <a href="https://theconversation.com/ecole-exclure-les-eleves-harceleurs-est-ce-vraiment-la-solution-211950">harcèlement</a>, peuvent s’avérer, in fine, tout aussi mortelles. Tout doit être fait pour que les élèves puissent vivre en paix, à l’abri de toutes les agressions, d’où qu’elles viennent.</p>
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<p>Le combat pour la sécurité et la paix est ainsi un combat multiforme, et de tous les instants. Les enseignants sont, plus que jamais, invités à y participer. Et cela peut commencer par l’instauration d’une atmosphère de travail paisible, fondée sur le respect réciproque, au sein d’une classe où l’erreur n’est pas une faute, et où l’on peut apprendre sans avoir peur : ni la peur de se tromper ; ni la peur d’être moqué ou agressé par les autres ; ni la peur d’être victime d’un attentat.</p>
<p>Il est clair, toutefois, que les enseignants ne pourront vraiment s’investir dans ce triple nouveau rôle d’accompagnateur de la réforme de l’entendement, de représentant actif de la laïcité, et d’agent de la paix, qu’à une double condition. La première est qu’ils bénéficient d’une triple formation adéquate. La seconde, que la société leur manifeste (enfin) une reconnaissance à la hauteur de l’importance de leur rôle, et de leur engagement dans ce triple combat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les enseignants sont devenus une cible, c’est qu’ils sont aussi un rempart. Un rempart contre l’obscurantisme qui caractérise et anime leurs agresseurs, et menace toute la société.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160222023-10-19T20:37:10Z2023-10-19T20:37:10ZLe Hamas et le Hezbollah pourraient-ils s’allier face à Israël ?<p>Alors qu’Israël se prépare à mener une <a href="https://theconversation.com/gaza-has-been-blockaded-for-16-years-heres-what-a-complete-siege-and-invasion-could-mean-for-vital-supplies-215359">opération militaire massive</a> contre le Hamas à Gaza, le risque de voir ce conflit s’étendre à l’ensemble du Proche-Orient se profile à l’horizon. La menace immédiate la plus grave pour Israël provient du Hezbollah, groupe armé et parti politique basé au Liban, frontalier d’Israël au nord.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/hamas-what-you-need-to-know-about-the-group-that-attacked-israel-215288">Hamas</a> et le <a href="https://theconversation.com/why-hezbollah-matters-so-much-in-a-turbulent-middle-east-88111">Hezbollah</a> sont tous deux soutenus par l’Iran et considèrent l’affaiblissement d’Israël comme leur principale raison d’être. Toutefois, ces deux groupes ne sont pas identiques. Leurs différences auront probablement un impact direct sur leurs actions – et sur celles d’Israël – dans les jours et les semaines à venir.</p>
<p>Contrairement au Hamas, le Hezbollah n’est jusqu’ici jamais entré en guerre uniquement au nom de la seule cause palestinienne. Cela <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/16/it-will-be-worse-than-hamas-order-to-evacuate-strikes-fear-into-north-israel">pourrait changer</a>. Le groupe libanais n’est pas encore totalement entré dans le conflit actuel, mais il a déjà <a href="https://video.lefigaro.fr/figaro/video/des-explosions-retentissent-apres-un-echange-de-tirs-entre-israel-et-le-hezbollah-libanais/">échangé des tirs</a> avec les forces israéliennes. Entre-temps, l’Iran a déclaré qu’une extension de la guerre apparaissait <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-10-16/iran-says-expansion-israel-hamas-war-becoming-inevitable">« inévitable »</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hezbollah ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.pbs.org/frontlineworld/stories/lebanon/thestory.html">« parti de Dieu »</a> se présente comme un mouvement de résistance chiite. Son <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">idéologie</a> est axée sur l’expulsion des puissances occidentales du Moyen-Orient et sur le <a href="https://www.reuters.com/article/us-lebanon-hezbollah-idUSTRE5AT3VK20091130">rejet</a> du droit d’Israël à l’existence.</p>
<p>Le groupe a été créé en 1982, en pleine guerre civile libanaise (1975-1990), après qu’Israël a envahi le Liban en représailles à des attaques perpétrées par des factions palestiniennes basées dans ce pays. Il a rapidement été soutenu par l’Iran et son Corps des Gardiens de la révolution, qui lui ont fourni des fonds et des armes, ainsi que des formations militaires pour ses membres, dans le but d’étendre l’influence iranienne au sein des États arabes.</p>
<p>La force militaire du Hezbollah a continué à se développer après la fin de la guerre civile libanaise en 1990, malgré le désarmement de la plupart des autres factions. Le groupe s’est focalisé sur la <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20220527-its-worth-remembering-that-it-was-hezbollah-that-liberated-south-lebanon-from-israels-occupation-through-armed-struggle/">« libération »</a> du Liban d’Israël, et s’est engagé dans des années de guérilla contre les forces israéliennes occupant le Sud-Liban, jusqu’au retrait d’Israël en 2000. Le Hezbollah a alors largement concentré ses opérations sur la récupération par le Liban de la zone frontalière contestée des <a href="https://kroc.nd.edu/assets/227136/israel_hezbollah.pdf">fermes de Chebaa</a>.</p>
<p>En 2006, le Hezbollah a livré une guerre de cinq semaines à Israël – une guerre visant à <a href="https://www.aljazeera.com/news/2006/7/12/hezbollah-captures-israeli-soldiers">régler des comptes avec l’État hébreu</a> plus qu’à libérer la Palestine. Ce conflit a causé la mort <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-hezbollah-lebanese-group-backing-hamas-its-war-with-israel-2023-10-16/">d’au moins 158 Israéliens et plus de 1 200 Libanais</a>, pour la plupart des civils.</p>
<p>À partir de 2011, pendant la guerre civile syrienne, le pouvoir du Hezbollah s’est encore accru, ses forces venant à l’aide du président syrien Bachar Al-Assad, allié à l’Iran, dans sa confrontation avec des rebelles majoritairement sunnites. En 2021, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que le groupe comptait <a href="https://apnews.com/article/middle-east-lebanon-beirut-civil-wars-hassan-nasrallah-a3c10d99cca2ef1c3d58dae135297025">100 000 combattants</a> (bien que <a href="https://www.timesofisrael.com/for-a-change-hezbollahs-boast-of-100000-fighters-is-not-aimed-at-israel/">d’autres estimations</a> évaluent ses effectifs dans une fourchette allant de 25 000 à 50 000 hommes). Il dispose d’un arsenal militaire sophistiqué ; il est notamment équipé de roquettes de précision et de drones.</p>
<p>Le groupe existe également en tant que parti politique au Liban et y exerce une <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/06/how-hezbollah-holds-sway-over-lebanese-state">influence significative</a>, si bien qu’on le qualifie souvent d’<a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1057/9780230623293_6.pdf">« État dans l’État »</a>. Huit de ses membres ont été élus pour la première fois au Parlement libanais en 1992 ; son poids a constamment progressé, et en 2018, une coalition dirigée par le Hezbollah a formé un gouvernement.</p>
<p>Le Hezbollah a conservé ses 13 sièges (sur 128 au total) au Parlement lors des élections de 2022, mais la coalition qu’il dirigeait a perdu sa majorité et le pays n’a actuellement pas de <a href="https://www.politico.eu/article/lebanese-hold-their-breath-as-fears-grow-hezbollah-will-pull-them-into-war/">gouvernement pleinement opérationnel</a>. D’autres partis libanais accusent le Hezbollah de <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-lebanons-hezbollah-2023-10-08/">paralyser et saper l’État</a>, et de contribuer à l’instabilité persistante du Liban.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hamas ?</h2>
<p>« Hamas », qui se traduit littéralement par « zèle », est un <a href="https://www.jstor.org/stable/4017719">acronyme arabe</a> signifiant « mouvement de résistance islamique ». Le mouvement a été fondé en 1987, à Gaza, en tant qu’émanation des Frères musulmans, un important groupe sunnite historiquement basé en Égypte.</p>
<p>Apparu au cours de ce que l’on appelle la première intifada ou soulèvement des Palestiniens contre l’occupation israélienne, le <a href="https://www.wiley.com/en-ae/Hamas:+The+Islamic+Resistance+Movement-p-9780745642963">Hamas</a> a rapidement adopté le principe de la résistance armée et a appelé à l’anéantissement d’Israël.</p>
<p>La situation politique palestinienne a évolué de manière significative après les <a href="https://justvision.org/glossary/oslo-accords">accords d’Oslo de 1993</a>, négociés entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le but d’établir un accord de paix global.</p>
<p>Opposée au processus de paix, la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, s’est imposée comme la principale force de résistance armée) contre Israël. Elle a lancé une série d’attentats suicides à la bombe qui se sont poursuivis pendant les premières années de la deuxième Intifada (2000-2005), avant de passer aux <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/how-hamas-secretly-built-mini-army-fight-israel-2023-10-13/">roquettes</a>, dont l’emploi récurrent est devenu sa tactique principale.</p>
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<p>De même que le Hezbollah, le Hamas est un parti politique. Il a remporté les élections législatives en 2006 et, en 2007, il a pris le contrôle de la bande de Gaza <a href="https://www.aljazeera.com/news/2011/5/4/timeline-hamas-fatah-conflict">à l’issue d’affrontements sanglants</a> avec le parti rival, le Fatah, qui a fait plus de 100 morts. Depuis lors, le Hamas contrôle la bande de Gaza et ne tolère aucune opposition politique. Il n’a jamais organisé d’élections, et ses adversaires politiques et détracteurs sont fréquemment arrêtés, des <a href="https://www.hrw.org/report/2018/10/23/two-authorities-one-way-zero-dissent/arbitrary-arrest-and-torture-under">rapports d’ONG de défense des droits humains</a> faisant état de tortures.</p>
<p>Au cours de cette période, la branche armée du Hamas est devenue de plus en plus sophistiquée. Son arsenal comprend désormais des milliers de roquettes, y compris des <a href="https://theconversation.com/the-unprecedented-attack-against-israel-by-hamas-included-precise-armed-drones-and-thousands-of-rockets-215241">missiles à longue portée et des drones</a>.</p>
<h2>En quoi le Hamas et le Hezbollah se distinguent-ils ?</h2>
<p>Le Hamas reçoit de plus en plus de fonds, d’armes et d’entraînement en provenance de Téhéran ; pour autant, <a href="https://www.ft.com/content/a06e7ea0-a7f8-4058-85b7-30549dd71443">il ne se trouve pas dans la même situation de dépendance vis-à-vis de l’Iran</a> que le Hezbollah qui, pour sa part, est <a href="https://www.brookings.edu/articles/hezbollah-revolutionary-irans-most-successful-export/">presque exclusivement soutenu par ce pays</a> et qui reçoit ses directives de la République islamique.</p>
<p>De plus, en tant qu’organisation sunnite, le Hamas ne partage pas le lien religieux chiite avec l’Iran qui caractérise le Hezbollah et la plupart des autres mandataires de Téhéran. Si le Hamas bénéficie sans aucun doute du patronage de l’Iran, il tend à opérer de manière plus indépendante que le Hezbollah.</p>
<p>En effet, le Hamas <a href="https://www.france24.com/en/middle-east/20231014-qatar-iran-turkey-and-beyond-the-galaxy-of-hamas-supporters">a été soutenu</a> dans le passé par la Turquie et par le Qatar, entre autres, et opère avec une relative autonomie. Le groupe a également longtemps été en désaccord avec l’Iran, les deux parties <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-16/ty-article/.premium/hezbollah-isnt-hamas-so-israel-fights-them-differently/0000018b-34e4-d450-a3af-7dfcca110000">défendant des positions opposées en Syrie</a>.</p>
<p>À l’heure actuelle, le conflit est essentiellement une guerre entre Israël et le Hamas. Le Hezbollah reste toutefois une menace pour Israël. S’il est activé par l’Iran, son implication totale changerait rapidement le cours du conflit et ouvrirait probablement la voie au déclenchement d’une guerre régionale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie M Norman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une implication totale du Hezbollah dans le conflit en cours entre Israël et le Hamas ouvrirait probablement la voie à une guerre régionale.Julie M Norman, Associate Professor in Politics & International Relations & Co-Director of the Centre on US Politics, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158182023-10-18T17:04:23Z2023-10-18T17:04:23ZTerrorisme : ces individus instables qui se dopent aveuglement à la foi idéologique<p>Paris ce samedi 2 décembre, Bruxelles le lundi 16 octobre dernier, Arras le vendredi 13 octobre… En quelques semaines, des innocents ont été à plusieurs fois pris pour cibles par des individus se revendiquant du fondamentalisme islamiste sans que nous sachions, pour l’instant, à quel point ils <a href="https://www.midilibre.fr/2023/10/17/attentat-darras-lassaillant-mohammed-mogouchkov-mis-en-examen-par-un-juge-dinstruction-antiterroriste-11525836.php">étaient préparés</a>.</p>
<p>À la différence de l’assassin de Samuel Paty et de celui de Dominique Bernard, l’auteur des faits, arrêté à Paris et désigné comme Armand R.-M., souffre de pathologies psychiatriques connues. Placé en garde à vue, visé par une « fiche S », il avait déjà été condamné et a déclaré aux policiers qu’il « en avait marre de voir des musulmans mourir », notamment à Gaza, et que la France était « complice » d’Israël.</p>
<p>Le conflit israélo-palestinien déclenché depuis le 7 octobre par le Hamas peut-il contribuer à fragiliser des individus au rapport déjà altéré à la réalité, et à accentuer un sentiment d’impuissance qu’ils pensent résoudre en devenant justiciers ?</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2019-2-page-23.htm?ref=doi">La recherche montre</a> qu’un terroriste noue ses problématiques subjectives à une cause collective, notamment lorsqu’il s’engage dans une action meurtrière.</p>
<p>Des extrémistes peuvent-ils être déterminés à agir par la nouvelle guerre déclenchée en Israël, 50 ans après Kippour ?</p>
<h2>« Frères » d’idéal</h2>
<p>Venger le tort fait au prophète est l’un des arguments mis en avant par les terroristes, comme l’ont montré les assauts de Chérif et Saïd Kouachi à la rédaction de <em>Charlie Hebdo</em>, le 7 janvier 2015, ou ceux d’Adoullakh Anzorov au lycée de Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre 2020.</p>
<p>Ils ont « puni » les façonneurs d’image, complices de l’idolâtrie du peuple souverain, tels que d’éminents <a href="https://www.editions-msh.fr/livre/la-radicalisation-2/">idéologues du djihadisme</a> (Maqdidi, Tartusi, Abu Mus’ab al-Suri, Abou Quatada, etc.) les perçoivent.</p>
<p>Les assaillants du Bataclan, eux, voulaient attaquer la « capitale des abominations et de la perversion ». D’autres terroristes semblent avoir des motivations idéologiques moins solides, comme l’a montré <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaque-au-camion-a-nice/proces-de-l-attentat-de-nice-du-14-juillet-2016/paranoiaque-obsede-sexuel-fascine-par-la-violence-l-ombre-de-mohamed-lahouaiej-bouhlel-plane-sur-le-proces-de-l-attentat-de-nice_5343256.html">Mohamed Lahouiaej Bouhlel à Nice le 14 juillet 2016</a>, ou encore <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/06/attaque-de-villejuif-le-profil-du-tueur-se-precise_6024912_3224.html">Nathan Chiasson à Villejuif le 3 janvier 2020</a>.</p>
<p>Mais les djihadistes n’ont pas que le prophète à « défendre ». Il y a aussi ce qu’ils considèrent être les souffrances causées à l’Oumma, la communauté musulmane homogène et mythique. Le conflit israélo-palestinien a longtemps été identifié comme le point de fixation des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-orientalisme-l-orient-cree-par-l-occident-edward-w-said/9782020792936">humiliations arabes</a>.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/l-echec-de-l-islam-politique-olivier-roy/9782757853832">globalisation de l’islam</a>, les nouvelles générations de terroristes lui ont substitué les conflits en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, en Irak ou en Syrie. L’affaiblissement militaire de l’EI sur les territoires syriens et irakiens n’a pas éteint les velléités d’engagement.</p>
<p>La guerre en Israël peut-elle accélérer le projet de fanatiques de se battre pour une identité commune, prise comme sorte d’unique référentiel politico-religieux ?</p>
<h2>Interroger le passage à l’acte</h2>
<p>Armand R.-M. pourrait sembler l’un de ces <a href="https://theconversation.com/sous-la-carapace-ideologique-comment-comprendre-le-chemin-de-radicalisation-des-terroristes-solitaires-128423">« loups solitaires »</a> avec des moyens rudimentaires. Mais il ferait surtout partie de ceux qui souffrent d’affections psychiatriques. S’agit-il d’un <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/belgique/attentat-a-bruxelles-il-y-a-des-milliers-de-personnes-radicalisees-dans-nos-societes-avec-a-chaque-fois-une-possibilite-de-passage-a-l-acte-pour-l-ancien-premier-ministre-manuel-valls_VN-202310160983.html">« passage à l’acte »</a> résolutif d’une angoisse ou délirant que l’auteur aurait inscrit dans une logique idéologique ?</p>
<p>Un passage à l’acte semble surgir <a href="https://www.cairn.info/revue-la-clinique-lacanienne-2013-1-page-109.htm">ex nihilo</a> mais il désigne en psychopathologie que son auteur est traversé par une angoisse qu’il cherche à dissiper. S’il est traversé par des angoisses d’anéantissement par exemple, il peut les résoudre en privilégiant l’identification d’une menace externe. C’est ce qu’apporte le sentiment de persécution, qui peut s’accroitre et inciter à se faire justice.</p>
<p>Le sens du passage à l’acte échappe à son auteur, mais pas le sens qu’il donne à son action meurtrière : il exerce cette dernière consciemment au nom d’une logique idéologique. Bien sûr, les enjeux inconscients et conscients peuvent très bien se conjuguer.</p>
<p>Aussi un individu peut-il par exemple se sentir « frère », sur la base d’un obscur sentiment d’injustice qu’il partage avec d’autres et choisir délibérément de renoncer à l’idée de société, ou de contrat social, pour lui préférer l’adhésion à une idéologie communautaire.</p>
<h2>Un rapport fragile à la loi</h2>
<p>Parmi le nombre important de personnes radicalisées, il en existe une proportion – pas nécessairement plus importante que dans la population générale – qui souffre d’affections psychiatriques. L’expérience du <a href="https://www.cipdr.gouv.fr/premier-centre-de-prevention-dinsertion-et-de-citoyennete/">Centre de Prévention, Insertion, Citoyenneté</a>, en 2016, l’a confirmé : un seul des bénéficiaires de cette structure pour la prévention de la radicalisation souffrait de troubles relevant de la psychiatrie.</p>
<p>Néanmoins, l’articulation d’une souffrance psychique aiguë avec une idéologie offre à l’individu une perspective d’acte à prendre au sérieux. Il n’est pas rare qu’un individu <a href="https://www.cairn.info/revue-europeenne-des-sciences-sociales-2020-1-page-293.htm">se canalise avec la religion</a>, au gré de son suivi à la lettre de certains hadiths, ces recueils des actes et paroles de Mahomet. D’autres individus fragiles donnent un sens à leur vision apocalyptique du monde avec des éléments de la réalité leur permettant d’alimenter un délire de persécution, de rédemption, mégalomaniaque ou mystique. Ils peuvent parvenir à une forme d’équilibre instable, jusqu’à ce qu’ils se sentent psychiquement contraints à agir.</p>
<p>L’observation du parcours d’assaillants montre des biographies, des impasses psychiques et des tentatives de résolution proches.</p>
<p>C’est le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui s’est fait connaître pour son attentat particulièrement meurtrier sur la Promenade des Anglais à Nice, un soir de 14 juillet. Les investigations firent apparaître un homme perçu par son entourage comme colérique, étrange, violent. Il s’était séparé un an plus tôt de sa femme dont il avait eu trois enfants. Cette dernière déplorait chez lui ce qu’elle vivait comme du « harcèlement psychologique », tandis qu’une amie ne voyait en lui « aucune humanité » et des agissements par « pur sadisme ».</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/portrait-de-mohamed-lahouaeij-bouhlel-le-terroriste-du-14-juillet-a-nice-fascine-par-la-violence-7769710">Mohamed Lahouaiej Bouhlel</a> avait donné à son rapport altéré à l’altérité, notamment le sens de la misogynie. Son médecin reliait ses épisodes dépressifs sévères à des « troubles psychotiques, avec somatisations ». Affecté dans son rapport au corps et au langage, Mohamed Lahouaiej Bouhlel se réfugiait parfois dans la violence. Le terroriste trouvait de l’inspiration en regardant sur la toile des photos de combattants de Daech, de ben Laden, ou encore des scènes de décapitation.</p>
<p>Non inféodé aux principes islamiques, il a radicalisé ses excès au profit de l’idéologie djihadiste.</p>
<p>Chez certains, la foi en Allah prend le relais d’assuétudes, par exemple des addictions ou des passages à l’acte itératifs, comme de voler ou de brûler des voitures. Ils s’acharnent plutôt contre le <em>taghout</em>, l’autorité non fondée sur la foi que l’état incarne dans ses institutions. L’armée et la police sont les plus représentatives.</p>
<h2>Se venger d’injustices perçues</h2>
<p>Pour nombre de terroristes islamistes, venger des caricatures n’est qu’une de leurs actions destinées à faire triompher leur cause.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/troubles-psy-et-radicalisation-quelques-enseignements-du-centre-de-deradicalisation-de-pontourny-158841">L’expérience clinique du CPIC de Pontourny</a>, même s’il a été fermé, nous a appris que l’islam radical peut être entendu comme une solution à un sentiment d’injustice. Des individus aux problématiques subjectives toujours singulières trouvent dans l’idéologie politico-religieuse djihadiste de quoi superposer au tort qu’ils pensent leur avoir été fait, celui causé à la communauté musulmane.</p>
<p><a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/la-delinquance-carcerale-au-prisme-des-peines-internes">Des recherches récentes</a> sur les peines internes en milieu carcéral montrent que des détenus transforment leur frustration en sentiment d’humiliation sous l’effet d’une incarcération ou de conditions d’incarcération qu’ils jugent abusives.</p>
<p>Ils s’enlisent parfois d’autant plus dans des altercations avec le personnel ou d’autres détenus, dans une surenchère qui peine à être endiguée par la coordination des services pénitentiaires et judiciaires. Même des non radicalisés peuvent se réveiller du « mensonge » avec la foi et accentuer leur sentiment d’injustice avec les moyens d’y remédier : par l’islam radical, dont l’enseignement est parfois dispensé par des prédicateurs autoproclamés.</p>
<p>Par ailleurs, il est important de souligner l’occurrence des troubles psychiatriques non détectés en prison, l’accentuation de certains troubles psychiques par le choc carcéral, et le manque de suivi psychiatrique dont certains anciens détenus continuent de manquer, par défaut d’assiduité en service de psychiatrie ambulatoire et/ou par défaut de moyen du personnel soignant.</p>
<h2>Une fureur divine</h2>
<p>D’autres adoptent l’islam radical pour assouvir des <a href="https://www.peterlang.com/document/1172245">pulsions meurtrières</a> au nom d’une idéologie qui les sacralisent.</p>
<p>Ils s’identifient au prophète et s’émancipent des lois en prétendant servir sa cause. Tous galvanisés, ils trouvent en Allah un <a href="https://www.inpress.fr/livre/passionnement-a-la-folie">exaltant produit dopant</a>, conjurant les carences et les échecs, et permettant de retrouver leur intégrité. Du latin <em>fanaticus</em>, signifiant « inspiré », « prophétique », « en délire », « fanatique » désigne celui qui se croit transporté d’une fureur divine ou qui s’emporte sous l’effet d’une passion pour un idéal politique ou religieux.</p>
<p>En épousant leur destin d’élus d’Allah, ils veulent inspirer la crainte dont ils obtiendront le sentiment d’être respectés. Ils attendent de la valeur performative de leur acte de soumettre une société tout entière à leur affirmation de soi. Le Hamas offre-t-il à certains la perspective d’être reconnus comme préjudiciés, et de prendre une part héroïque à la guerre ?</p>
<h2>Un nombre encore important d’individus radicalisés</h2>
<p>Depuis la <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/commune/beaumont-en-veron/le-centre-de-deradicalisation-un-echec-relatif">fermeture du CPIC en 2017</a>, l’accompagnement des personnes radicalisées a été privilégié au niveau local. Un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b2082_rapport-information">rapport d’information</a>, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 juin 2019 stipule que, selon l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), au mois d’avril 2019, la prise en charge a été relayée dans 269 communes. Ces mesures semblent insuffisantes, si l’on en croit que chaque année depuis 2015 des attentats sont commis sur notre sol, bien que bon nombre soient <a href="https://www.puf.com/content/La_lutte_antiterroriste">déjoués</a>. Parallèlement, on compte en France, en mars 2022, 570 détenus de droit commun radicalisés et 430 détenus pour terrorisme islamiste. Une centaine de détenus radicalisés seraient libérables en 2023.</p>
<p>La DGSI avait rapporté cet été que la menace terroriste était toujours la <a href="https://www.dgsi.interieur.gouv.fr/decouvrir-la-dgsi/au-micro/djihadisme-ultradroite-et-ultragauche-lappel-a-la-vigilance-de-la-dgsi">première en France</a>.</p>
<p>L’attentat de ce samedi montre que derrière des « passages à l’acte », il y a des individus en échec d’intégration et inscrits dans des logiques idéologiques meurtrières.</p>
<p>Armand R.-M. démontre, comme Mohamed Mogouchkov, qu’il convient de rester vigilants et de se doter de moyens de suivre certains individus fragiles. D’autres pourraient s’inspirer du nouveau climat de tension internationale pour agir, galvanisés par la mise en avant de leur cause et l’exacerbation médiatique de leur sentiment d’injustice.</p>
<p>Cette thanato-politique naissant du désespoir d’une jeunesse qui ne parvient pas à imaginer d’autre avenir que le combat pour la foi, engage nos sociétés hypersécularisées à réfléchir à de nouvelles modalités de vivre-ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215818/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure Westphal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’assaillant arrêté à Paris le 2 décembre était pathologiquement instable et a fait référence au conflit israélo-palestinien. Il avait déjà été condamné pour terrorisme.Laure Westphal, Psychologue clinicienne, Docteure en psychopathologie et psychanalyse, Enseignante, Chercheuse associée, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157192023-10-17T19:33:41Z2023-10-17T19:33:41ZAttaques terroristes, conflits… Comment exister face aux tragédies du monde ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/17/a-bruxelles-arrestation-de-l-homme-qui-a-tue-deux-suedois_6194961_3210.html">L’attentat de Bruxelles lundi 16 octobre</a>, l’assassinat de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/14/attentat-d-arras-la-mort-de-dominique-bernard-un-professeur-de-lettres-respecte-qui-prenait-a-c-ur-son-travail_6194384_3224.html">Dominique Bernard à Arras</a> vendredi 13 octobre, les conflits armés en Europe et au Moyen-Orient, la <a href="https://www.lemonde.fr/israel-palestine/article/2023/10/12/guerre-israel-hamas-plus-d-une-centaine-d-actes-antisemites-signales-en-france-selon-gerald-darmanin_6193936_1667123.html">flambée d’actes antisémites</a>, le <a href="https://www.education.gouv.fr/plan-interministeriel-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-379551">harcèlement scolaire</a>… Ces faits nous rappellent que la tragédie, l’oppression et la violence sont des réalités qui peuvent nous toucher à tout moment.</p>
<p>Comment alors faire face à l’ambiguïté, aux incertitudes et aux injustices de la vie ?</p>
<p>Cette question est au cœur de la philosophie existentielle, qui nous invite à penser la vie concrète et située, à l’affronter avec <a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/crainte-et-tremblement-9782743605872">« crainte et tremblement »</a> selon la célèbre formule de Søren Kierkegaard.</p>
<p>L’existentialisme paraît parfois mettre l’accent sur la négativité : l’angoisse, la mort, le néant, le désespoir, l’absurde et la misère humaine. Cependant, elle pose aussi et surtout la question de savoir comment mieux exister, dans un monde où la détresse, les conflits, l’exploitation de l’homme par l’homme, la précarité et la discrimination sont des faits réels.</p>
<p>Cette question clef, comment « mieux exister » est l’un des autres versants de l’existentialisme ; Kierkegaard disait d’ailleurs que sa tâche était d’aider ses lecteurs à « exister avec plus de compétence ». Mais comment faire, concrètement ? Est-ce possible de trouver l’équilibre dans un monde incertain ? C’est ce que nous étudierons avec Simone de Beauvoir et Søren Kierkegaard.</p>
<h2>Philosopher l’équilibre</h2>
<p>Avant de devenir la célèbre militante féministe et figure majeure du mouvement existentialiste que nous connaissons, la jeune étudiante en philosophie âgée de 18 ans qu’était alors <a href="https://editions.flammarion.com/devenir-beauvoir/9782081513334">Beauvoir</a> développait déjà en 1926 des réflexions philosophiques originales dans ses <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070120420-cahiers-de-jeunesse-simone-de-beauvoir/"><em>Cahiers de jeunesse</em></a>.</p>
<p>S’interrogeant sur elle-même et sa place dans le monde, elle pose dès le départ au centre de sa pensée la notion d’équilibre. Le monde qu’elle observe est rempli d’inégalités, de détresse physique et morale ; face à cela, elle se demande, comment vivre « le mieux possible » ?</p>
<p>En tant qu’individus singuliers, nous éprouvons souvent un sentiment d’impuissance face au monde avec ses multiples sources d’oppression et problèmes à résoudre. Faut-il alors se résigner à cette impuissance ? Faut-il privilégier la vie intérieure (la seule que nous puissions contrôler) et se retirer du monde, ou alors s’engager par ses actes pour créer des nouvelles valeurs et possibilités existentielles ? Un équilibre entre les deux est-il possible ?</p>
<h2>Comment agir dans un monde qui nous résiste</h2>
<p>La question centrale pour Beauvoir est de savoir comment agir et exister dans le monde d’une manière qui crée de la valeur et du sens, en dépit du fait que nous nous trouvons toujours dans un monde qui nous résiste, et projette sur nous des manières d’être et de nous construire que nous ne déterminons pas et qui nous aliènent de nous-mêmes.</p>
<p>Une vie accomplie, authentique, exige à la fois une présence à nous-mêmes et une présence à autrui. Plutôt qu’un état, cependant, la recherche d’équilibre demeure toujours une tâche, une quête, le travail d’une vie. <a href="https://www.decitre.fr/livres/cahiers-de-jeunesse-9782070120420.html">Elle écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« [L]’équilibre possible [c’est l’]équilibre d’une passion qui n’ignore jamais sa propre grandeur mais qui sait la porter. Équilibre d’une pensée qui gardant dans cette passion un point d’appui solide la dépasse pourtant. Équilibre de la vie qui précise, monotone peut-être, ne laisse point, parce que sa forme extérieure est fixée, dormir ni la passion ni la pensée. »</p>
</blockquote>
<p>La recherché d’équilibre, c’est surtout, selon la jeune Beauvoir, la possibilité « d’être un être indépendant… quelles que soient les contingences » et de parvenir à la pleine conscience et pleine possession de soi. D’où une affirmation de l’irréductible singularité de chaque individu, mais une affirmation indissociable d’un engagement éthique dans le monde et « pour autrui ». On ne peut, Beauvoir conclut, être pour autrui sans être pour soi, mais de la même manière on ne peut être pour soi sans être pour autrui.</p>
<p>Pour le formuler en d’autres termes, nous pourrions dire que les possibilités pour chaque individu d’être authentiquement soi-même dépendent des structures de soutien et des liens qui nous relient et rendent notre existence possible.</p>
<h2>Un écho avec Søren Kierkegaard</h2>
<p>Les réflexions de jeunesse de la philosophe font écho, avant qu’elle ne l’ait lu, aux <a href="https://www.fayard.fr/livre/journaux-et-cahiers-de-notes-9782213631387/">passages des journaux</a> rédigés par Kierkegaard en 1835, lorsque âgé de 22 ans <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/introduction-a-la-philosophie-de-kierkegaard-6232574">il cherchait sa propre voie</a>, expliquant que ce qui lui manquait était « d’être au clair sur ce que je dois faire… de trouver l’idée pour laquelle je veux vivre et mourir. »</p>
<p>S’interrogeant sur les « malentendus » et les « petitesses » qui nous empêchent de nous comprendre mutuellement dans la société et qui causent tant de souffrance et de discrimination dans le monde, nous empêchant de voir les véritables liens qui nous unissent, le jeune danois évoque tout comme Beauvoir la nécessaire recherche d’équilibre et de subjectivité.</p>
<p>Se découvrir dans l’intériorité – ou « devenir subjectif », ainsi que Kierkegaard le formulerait plus tard dans le fameux <a href="https://www.les-philosophes.fr/post-scriptum-miettes-philosophiques.html"><em>Post-scriptum définitif et non scientifique</em></a> (1846) – exige d’apprendre à se regarder véritablement. Cependant, même chez le jeune Kierkegaard, il ne s’agit pas de se détourner ou de s’exempter du monde.</p>
<p>Découvrir « l’équilibre véritable (<em>den sande Ligevægt</em>) » implique un apprentissage de l’humilité, un difficile travail pour se découvrir avec sincérité. Il implique que nous puissions trouver assez de stabilité en nous-mêmes pour résister aux épreuves du monde, sans pour autant oublier que notre tâche est de vivre dans le monde parmi d’autres.</p>
<h2>Réconcilier l’interne avec l’externe</h2>
<p>La notion d’équilibre joue également un rôle important dans le développement chez Kierkegaard du stade éthique, dans la seconde partie de <a href="https://www.philomag.com/articles/lalternative-kierkegaard-et-limpossible-reconciliation"><em>L’alternative</em></a> (1843). Il parle ici du nécessaire « équilibre… dans la formation de la personnalité », et de la difficulté pour l’individu de réconcilier l’interne avec l’externe, la quête d’unité avec la pluralité et variabilité de la vie, et le fait que nous sommes à la fois des individus singuliers et des êtres civiques et sociaux.</p>
<p>Une vie pleine et dotée de sens, Kierkegaard suggère ici, ne peut chercher ses raisons d’être entièrement dans l’intériorité ni entièrement dans l’extériorité (c’est-à-dire les actions, engagements ou rôles que nous jouons dans la société).</p>
<p>Sans avoir connaissance du travail de son prédécesseur danois, Beauvoir parvient dès ses réflexions de jeunesse au développement d’une approche existentielle de la philosophie qui en fait écho.</p>
<p>Ces deux philosophes plaçaient au centre de leur démarche philosophique le rôle du choix de soi-même, mais insistaient également sur un nécessaire équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, entre la quête de soi et les engagements et les actions dans le monde.</p>
<p>Beauvoir écrit dans ses <em>Cahiers</em> en 1927 que « c’est par la décision libre seulement, et grâce au jeu de circonstances que le moi vrai se découvre ».</p>
<p>Kierkegaard, pour sa part, avait écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’on a pris possession de soi-même dans le choix, lorsqu’on a revêtu sa personne, lorsqu’on s’est pénétré soi-même entièrement, tout mouvement étant accompagné de la conscience d’une responsabilité personnelle, alors, et alors seulement on s’est choisi soi-même selon l’éthique… on est devenu concret, et l’on se trouve en son isolement total en absolue continuité avec la réalité à laquelle on appartient. »</p>
</blockquote>
<h2>Regarder les réalités avec lucidité</h2>
<p>Constats trop optimistes, trop individualistes ? Une telle conclusion serait trop hâtive. Si Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, c’est parce qu’ils n’oublient jamais que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.</p>
<p>Que le monde dans lequel nous vivons est marqué par les inégalités et les injustices ; que certains naissent dans la précarité alors que d’autres dans le privilège, que quel que soit notre statut ou place dans la société, celle-ci nous enjoint à nous adapter à ses systèmes et fonctionnements qui peuvent nous aliéner de nous-mêmes. Que l’angoisse, l’absurdité, les menaces et le désespoir marquent nos vies ; que l’oppression et la mort sont des réalités quotidiennes.</p>
<p>Rechercher l’équilibre n’est pas un oubli de ces réalités concrètes, mais l’appel à trouver l’attitude appropriée par laquelle nous pourrions regarder ces réalités avec lucidité, et nous préparer pour agir activement dans le monde. Et l’équilibre n’est pas un état à atteindre ; c’est un mouvement constant de devenir, un effort actif d’appropriation.</p>
<p>En 1947, avec l’essor de l’<a href="https://www.livredepoche.com/livre/au-cafe-existentialiste-9782253257837">existentialisme</a>, Beauvoir dira dans <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070426935-pour-une-morale-de-l-ambiguite-pyrrhus-et-cineas-simone-de-beauvoir/"><em>Pour une morale de l’ambiguïté</em></a> que si les concepts tels que liberté et responsabilité ont tellement d’importance, c’est précisément parce que nous vivons dans un monde où beaucoup d’individus ne sont pas libres, ne bénéficient pas des mêmes avantages et privilèges.</p>
<p>Revendiquer le respect des droits de l’homme, pour tous, demeure toujours une lutte. Elle affirme cependant qu’une telle quête n’exige aucune capacité spécifique de la part de l’individu, à part une « présence attentive au monde et à soi-même ». Présence attentive difficile, certes, mais non impossible à atteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélissa Fox-Muraton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faire face aux tragédies, Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, pour ne jamais oublier que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.Mélissa Fox-Muraton, Enseignante-chercheur en Philosophie, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157242023-10-16T17:03:10Z2023-10-16T17:03:10ZFace aux attaques terroristes, comment protéger les enseignants ?<p>Trois ans après la mort de <a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">Samuel Paty</a>, professeur d’histoire-géographie tué à la sortie de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), l’assassinat ce vendredi 13 octobre 2023 de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/14/attaque-a-arras-la-france-en-urgence-attentat-apres-un-nouvel-assassinat-d-enseignant_6194319_3224.html">Dominique Bernard, professeur de français de la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras</a> ouvre à nouveau la question des protections à assurer dans les établissements scolaires, en particulier pour les professeurs qui peuvent subir des agressions venant de l’extérieur mais doivent aussi faire face à des mises en cause inadmissibles en interne, en particulier pour ce qui concerne les enseignements en EPS, SVT ou histoire.</p>
<p>Peut-on vraiment « sanctuariser » les établissements et les enseignements ? Un certain nombre d’annonces qui ont été faites dans le passé apparaissent difficilement applicables ou laissent dans l’ombre certains aspects du problème pourtant bien réels.</p>
<h2>L’expérimentation des portiques à l’entrée des établissements</h2>
<p>Pour sécuriser l’entrée des établissements scolaires, on songe immédiatement aux annonces concernant la mise en place de portiques, évoquée depuis une quinzaine d’années. En mai 2009, en visite au collège de Fenouillet en Haute-Garonne où une enseignante avait été poignardée par un élève de cinquième après son refus de lui retirer une punition, le ministre de l’Éducation Xavier Darcos avait ainsi déclaré <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/05/15/des-portiques-de-detection-de-metaux-pourraient-etre-mis-en-place-a-l-entree-des-ecoles_1193777_3224.html">envisager l’installation de dispositifs de détection de métaux</a> devant certains établissements.</p>
<p>Un mois plus tôt, à la suite de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/une-bande-armee-seme-la-panique-au-sein-d-un-lycee-11-03-2009-438054.php">l’intrusion d’une bande armée dans un lycée professionnel de Gagny en Seine-Saint-Denis</a> se soldant par une dizaine de blessés, Xavier Darcos s’était déjà prononcé pour l’implantation de caméras de surveillance dans les collèges et lycées. Cependant, ces nouveaux dispositifs sont à la charge des départements et des régions, et peu d’entre eux s’engagent alors dans cette voie.</p>
<p>À la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, lors de la campagne des élections régionales, Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, futurs présidents des régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/portiques-de-securite-dans-les-lycees-une-heure-pour-faire-rentrer-1-000-eleves-2350348">avaient demandé l’installation de portiques de sécurité à l’entrée de tous les lycées</a>. Le plus engagé dans cette voie était Laurent Wauquiez qui avait annoncé que sa région doterait ses 320 lycées de portiques tels qu’on peut en trouver dans les aéroports, afin de contrer le « terrorisme, l’intrusion d’armes à feu et le trafic de drogues ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WtUTXd1L9DI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Expérimentation des portiques à l’entrée des établissements, retour au lycée Albert Londres de Cusset (journal <em>La Montagne</em>, 2016).</span></figcaption>
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<p>Le nouveau président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes avait décidé d’expérimenter cette mesure dans quinze établissements pilotes. Mais six mois après l’annonce, la région a dû faire marche arrière et a opté pour de simples tourniquets avec badge. Les conseils d’administration des établissements concernés ne se sont en effet pas prononcés pour les portiques mais plutôt pour des remises aux normes des clôtures, des réparations des grillages ou des caméras de surveillance. En mars 2017, alors que la fusillade dans un lycée de Grasse relance le débat, sur France Inter, Philippe Tournier, le secrétaire général du SNPDEN, syndicat majoritaire des chefs d’établissement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WidnQLHCJuQ">rappelle les écueils logistiques à ce type de dispositifs</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le calcul a été fait par nos collègues, notamment dans la région Auvergne-Rhône-Alpes où le projet a existé. Pour un lycée d’un millier d’élèves, il fallait qu’ils arrivent une heure en avance pour passer les contrôles de sécurité alors qu’on lutte déjà pour que les élèves arrivent à l’heure normale. Ce n’est techniquement pas sérieux. »</p>
</blockquote>
<p>Mais Philippe Tournier revendique non moins nettement que les établissements scolaires soient dotés d’agents de sécurité : « cela existe dans les hôpitaux, dans les centres commerciaux, dans les mairies et même au ministère de l’Éducation nationale mais toujours pas dans les établissements scolaires. Nous ne demandons pas des gardes armés devant les établissements. Ce n’est absolument pas notre demande. Mais on dit que la sécurité est un métier ». Des équipes mobiles de sécurité sont alors chargées de lutter contre la violence scolaire mais elles ne représentent que 500 personnes pour 60 000 établissements. Le ministre de l’Éducation nationale. En octobre 2023, Gabiel Attal vient d’annoncer <a href="https://www.bfmtv.com/politique/attaque-au-couteau-a-arras-gabriel-attal-annonce-le-deploiement-de-pres-de-1000-personnels-de-prevention-et-de-securite-du-ministere-dans-les-ecoles-et-etablissements-scolaires_VN-202310130948.html">« le déploiement de 1 000 personnels de sécurité »</a> dans les établissements scolaires.</p>
<h2>Les signaux d’alerte au sein des collèges et lycées</h2>
<p>Les menaces qui pèsent sur les enseignants ne sont pas seulement extérieures, les mises en cause peuvent tout à fait venir de l’intérieur des établissements scolaires. Et, de ce point de vue, on doit prendre en compte le constat déjà alarmant dressé il y a une vingtaine d’années par l’inspecteur général Jean-Pierre Obin.</p>
<p>En juin 2004, ce rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, rédigé donc par Jean-Pierre Obin à l’issue d’inspections menées dans une soixantaine d’établissements scolaires dits « sensibles », est remis au ministre de l’Éducation nationale François Fillon. Son intitulé : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Obin"><em>Les signes et manifestations d’appartenances religieuses dans les établissements scolaires</em></a>. La question du port du voile y est présentée dans ce rapport comme « l’arbre qui cache la forêt » des détériorations de la vie scolaire et des contestations de certains enseignements, notamment en éducation physique et sportive, en sciences de la vie et de la Terre et en histoire. À l’évidence, ce qui est le plus alarmant était laissé dans l’ombre alors qu’on se focalise généralement sur des « signes extérieurs » tels que le port du voile.</p>
<p>Le rapport n’est pas rendu public par le ministère. Et pour cause : le ministre de l’Éducation nationale François Fillon ne rompt pas avec la tentation de mettre en avant ce qui est le plus visible. Il revendique ostensiblement d’avoir été moteur dans l’interdiction du port du voile par les élèves dans les établissements scolaires tout en se prononçant pour l’extension de cette interdiction à l’université. Près d’un an plus tard, en mars 2005, peu après sa publication sur le site de la Ligue de l’enseignement, le rapport est discrètement placé sur le site du ministère, sans qu’aucune autre initiative ne soit prise par le ministre François Fillon.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/signes-religieux-a-lecole-une-longue-histoire-deja-212646">Signes religieux à l’école : une longue histoire déjà</a>
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<p>Les contestations des enseignements pointées par le rapport « Obin » n’ont pas cessé depuis, tant s’en faut. C’est ce qui explique sans doute qu’une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/DLR5L15N40765">proposition de loi</a>« visant à instaurer un délit d’entrave à la liberté d’enseigner dans le cadre des programmes édictés par l’Éducation nationale et à protéger les enseignants et personnels éducatifs » a été déposée fin octobre 2020. Elle tient en un article unique : insérer après le deuxième alinéa de <a href="https://www.doctrine.fr/l/texts/codes/LEGITEXT000006070719/articles/LEGIARTI000006417223">l’article 131-1 du code pénal</a>, un nouvel alinéa disant que</p>
<blockquote>
<p>« Le fait de tenter d’entraver ou d’entraver par des pressions, menaces, insultes ou intimidations, l’exercice de la liberté d’enseigner selon les objectifs pédagogiques de l’Éducation nationale, déterminés par le Conseil supérieur des programmes, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »</p>
</blockquote>
<p>Cette proposition a été faite par le <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/01/03/une-loi-de-defense-laique-face-aux-mises-en-cause-de-reconquete/">sénateur de l’Oise, Olivier Paccaud</a>, professeur agrégé d’histoire-géographie, en compagnie d’une cinquantaine de sénateurs appartenant pour la plupart au groupe Les Républicains. Elle n’a pas abouti.</p>
<p>Elle avait pourtant eu un précédent il y a déjà plus d’un siècle. Fin janvier 1914, la Chambre des députés avait en effet voté u <a href="https://theconversation.com/debat-la-defense-des-enseignements-la-ques-oubliee-du-projet-de-loi-sur-les-principes-republicains-150574">ne série de dispositions afin d’« assurer la défense de l’école laïque »</a>. Il était acté que quiconque exerçant sur les parents une pression matérielle ou morale, les aurait déterminés à retirer leur enfant de l’école ou à empêcher celui-ci de participer aux exercices réglementaires de l’école, sera puni d’un emprisonnement de six jours à un mois et d’une amende de seize francs à deux cents francs or. Enfin, quiconque aurait entravé ou tenté d’entraver le fonctionnement régulier d’une école publique sera frappé des mêmes peines, lesquelles seront sensiblement aggravées s’il y a eu violence, injures ou menaces.</p>
<p>Il avait fallu cinq ans pour que la loi de 1914 soit votée. De 1910 à 1913, de nombreux projets de « défense laïque » s’étaient succédé mais n’étaient pas allés jusqu’au bout. La III<sup>e</sup> République avait elle aussi connu des tergiversations avant le passage à l’acte…</p>
<p>Il ne saurait pourtant être question d’occulter que certaines mises en cause effectives de certains enseignements ne sauraient être tolérées, même si cela arrive moins souvent que certains le pensent. Mais cela existe, et ce qui est intolérable ne doit pas être toléré. Cela appelle la possibilité de mesures coercitives effectives, afin notamment que ceux qui font front se sentent effectivement soutenus lorsque la limite est dépassée. Cela appelle une « défense laïque » renouvelée des enseignements et des enseignants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215724/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Trois ans après la mort de Samuel Paty, l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français à Arras, relance le débat sur les portiques de sécurité et protections des établissements scolaires.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155412023-10-15T13:36:53Z2023-10-15T13:36:53ZTerrorisme ou crimes de guerre ?<p>Depuis l’annonce des crimes de masse perpétrés par la branche armée du Hamas depuis le 7 octobre dernier, le débat se concentre notamment sur la qualification qu’il convient de leur apporter. Si nombre de commentateurs s’en saisissent pour brocarder sans nuances <a href="https://www.liberation.fr/checknews/peut-on-qualifier-les-actes-commis-par-le-hamas-de-crimes-de-guerre-20231010_LGDNUVZW4BGG3DJJ7P7MYYWWL4/">celles et ceux qui privilégient la notion de crimes de guerre</a> à celle de terrorisme, cette question mérite pourtant mieux que la polémique politicienne à laquelle elle est réduite dans la plupart des médias.</p>
<p>On pourrait certes s’en tenir au fait que le Hamas est considéré comme une organisation terroriste par un grand nombre d’États pour étendre mécaniquement cette qualification à chacun de ses actes.</p>
<p>L’analyse juridique rigoureuse des actes des belligérants, qui constitue l’une des conditions de la résolution du conflit (fut-elle aujourd’hui particulièrement improbable à court ou moyen terme), nous invite toutefois à d’autres conclusions. La qualification de crimes de guerre s’avère en effet sensiblement plus adéquate que celle de <a href="https://theconversation.com/terrorisme-nommer-la-violence-precisement-pour-affronter-les-menaces-efficacement-96837">terrorisme</a>, et ce pour au moins deux raisons.</p>
<h2>Saisir la réalité du conflit</h2>
<p>En premier lieu, elle est celle qui permet de saisir de la façon la plus précise la réalité du conflit sous-jacent à la commission de ce massacre. La qualification terroriste se caractérise en effet par <a href="https://theconversation.com/pourquoi-lattaque-a-annecy-na-t-elle-pas-ete-qualifiee-de-terroriste-208040">sa dimension inéluctablement subjective</a>. Si on s’en tient à la définition donnée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034323002">directive européenne du 15 mars 2017</a>, elle sera notamment retenue dès lors que l’acte est perçu comment tendant à « gravement intimider une population » ou « gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ».</p>
<p>Bien sûr, l’extrême gravité des actes commis par le Hamas et sa volonté de déstabiliser voire détruire les structures politiques de l’État israélien ne souffrent en l’espèce d’aucune discussion.</p>
<p>Mais appliquer mécaniquement cette qualification conduit à escamoter le fait qu’il ne constitue pas un simple groupe armé mais, que l’on veuille ou non, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_l%C3%A9gislatives_palestiniennes_de_2006">gouvernement élu d’une partie du peuple palestinien</a> et qu’il s’inscrit à ce titre dans le cadre du conflit territorial et militaire qui oppose l’État israélien aux palestiniens.</p>
<p>Pour le dire autrement, les crimes commis par le Hamas s’inscrivent, plus largement, dans le cadre de la guerre discontinue qui oppose les deux nations depuis plus de soixante-dix ans. Retenir la qualification terroriste à son égard revient à nier cet état de guerre tout comme la dimension politique du conflit et, ainsi, à se priver de prendre la juste mesure de la situation.</p>
<h2>C’est la nature des actes qui doit être jugée</h2>
<p>Par ailleurs, on ne peut s’en tenir au terrorisme sans constater que sa définition juridique pourrait s’appliquer à d’autres acteurs. Ainsi cela peut-être le cas pour certains actes commis par les autorités israéliennes à l’encontre de civils palestiniens, en particulier depuis la constitution, en janvier 2023, d’un gouvernement d’extrême droite. Ce dernier a toléré, voire encouragé de graves exactions et notamment les homicides commis par des colons à <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15368.doc.htm">l’encontre d’habitants de Cisjordanie</a> et dont le but explicite est d’intimider le peuple palestinien. Il ne s’agit nullement de soutenir que les autorités israéliennes devraient être qualifiées de terroristes mais de souligner que le choix d’une telle appellation recèle <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/SIZAIRE/56077">nécessairement une part d’arbitraire</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/terrorisme-guerre-les-dangers-de-lamalgame-62979">Terrorisme, guerre, les dangers de l’amalgame</a>
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<p>Dans un tel contexte, réserver aux seuls crimes commis par des Palestiniens la qualification terroriste ne revient pas seulement à considérer qu’à la différence des Israéliens, leur action n’aurait aucun ressort politique. Cela revient aussi à considérer, au moins implicitement, que les moyens de lutte mis en œuvre par les belligérants peuvent être jugés différemment, et éventuellement approuvés, suivant le statut que l’on donne aux acteurs. Or, qu’une organisation ou un gouvernement soit ou non considéré comme terroriste, avec tout l’arbitraire qu’une telle qualification implique, c’est sur la nature des actes qu’elle met en œuvre ou qu’elle approuve qu’elle doit être jugée.</p>
<p>Pour le dire autrement, même si le Hamas cessait d’être majoritairement regardé comme un mouvement terroriste, ses actions criminelles doivent pouvoir être condamnées à la mesure de leur gravité.</p>
<h2>Certains actes ne pourront jamais être justifiés</h2>
<p>La notion de crimes de guerre a précisément pour objet de rappeler que, quel que soit la finalité revendiquée par les autorités civiles ou militaires, il est certains actes qui ne pourront jamais être justifiés. L’article 8 du <a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/586/fr#a8">statut de la Cour pénale internationale</a>, dit Statut de Rome, du 17 juillet 1998 prohibe en particulier :</p>
<blockquote>
<p>« le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités », « les prises d’otages » ou encore « le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut ».</p>
</blockquote>
<p>Soit directement les crimes perpétrés par le Hamas du 7 au 9 octobre derniers.</p>
<p>En second lieu, la qualification de crimes de guerre apparaît préférable à celle de terrorisme en ce qu’elle permet de restituer aux faits toute leur gravité. Faut-il le rappeler, les crimes de guerre, notion consacrée au procès de Nuremberg au lendemain des atrocités perpétrées par le régime nazi, comptent au nombre des infractions les plus graves qui puissent être <a href="https://www.cairn.info/le-moment-nuremberg--9782724624205-page-37.htm">commises</a> et, à ce titre, justiciables de la Cour pénale internationale et déclarés imprescriptibles par l’article 29 de <a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/586/fr#a8">son statut</a>. À l’inverse, les crimes terroristes relèvent de la compétence des seuls États et sont soumis à la prescription (certes longue) de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043409351?etatTexte=VIGUEUR&etatTexte=VIGUEUR_DIFF">l’action publique</a>.</p>
<h2>Une banalisation du terme <em>terroriste</em></h2>
<p>Surtout, l’extension continue de la notion de terrorisme à laquelle nous assistons depuis le début du siècle a conduit, paradoxalement, <a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">à banaliser et ainsi édulcorer les actes recevant aujourd’hui cette qualification</a>.</p>
<p>Lorsqu’elle s’applique indifféremment à la dégradation d’un bâtiment public ou l’agression d’un représentant de l’ordre – ainsi que le permet <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032751714">l’article 421-1 du code pénal</a> – et au meurtre planifié de centaines de personnes, son application dans la seconde hypothèse peut avoir pour effet d’amoindrir symboliquement la gravité de l’acte.</p>
<p>Sans même évoquer l’utilisation massive de la qualification terroriste par les régimes autoritaires <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2016-1-page-213.htm">à l’encontre des leurs opposants</a>…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecologisme-est-il-un-terrorisme-52266">L’écologisme est-il un terrorisme ?</a>
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<h2>Une requalification des faits ?</h2>
<p>Considérer comme criminels de guerre ceux qui s’adonnent aux massacres tels que ceux perpétrés par le Hamas depuis samedi dernier permet au contraire de garantir que l’extrême gravité et le caractère intolérable de ces actes demeurent incontestés, quelle que soit la finalité qu’on leur prête.</p>
<p>Cela permet également d’envisager la poursuite devant la cour pénale internationale non seulement des auteurs directs de ces crimes mais encore et surtout des dirigeants ayant planifié et ordonné l’attaque, directement responsables en application de <a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/586/fr#a8">l’article 28 du statut de Rome</a>.</p>
<p>Soit sans doute la meilleure façon d’écarter les actuels gouvernants palestiniens sans, pour autant, exclure la possibilité d’un accord politique au bénéfice des peuples. Enfin, la qualification de crimes de guerre est celle qui permet le plus facilement d’envisager la requalification des faits en crime contre l’humanité, qualification qui ne peut être exclue aujourd’hui tant l’attaque perpétrée par le Hamas peut aussi être vue comme dirigée spécifiquement contre « un groupe national, ethnique, racial ou religieux » – soit l’un des éléments constitutifs du génocide en vertu de l’article 6 du statut de Rome.</p>
<p>Or l’exemple de la Syrie montre que l’utilisation systématique par les autorités européennes de la qualification terroriste à l’encontre des personnes accusées d’avoir participé aux exactions commises par l’organisation de l’État islamique a notamment eu pour effet d’empêcher en pratique toute réelle investigation et donc toute perspective de jugement des <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/irak/crimes-sexuels-contre-les-yezidies-des-djihadistes-etrangers-doivent">crimes contre l’humanité commis à l’encontre du peuple yézidi</a>. Prendre la mesure de la gravité des crimes perpétrés par le Hamas encourage à ne pas suivre cette voie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215541/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La qualification de crimes de guerre apparaît préférable à celle de terrorisme en ce qu’elle permet de restituer aux faits toute leur gravité.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155272023-10-12T17:30:49Z2023-10-12T17:30:49ZComment les services de renseignement israéliens ont-ils pu rater les préparatifs du Hamas ? Un spécialiste de la lutte anti-terroriste explique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553398/original/file-20231011-21-3o0xk2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des soldats israéliens passent devant un véhicule médical militaire le 10 octobre 2023 à Kfar Aza, un kibboutz où des militants du Hamas ont massacré de nombreux civils.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/soldiers-move-past-a-medical-idf-vehicle-at-kibbutz-kfar-news-photo/1728299509?adppopup=true">(Alexi J. Rosenfeld/Getty Images) </a></span></figcaption></figure><p>De l’avis général, Israël dispose de moyens très perfectionnés en matière de renseignement, qu’il s’agisse de collecter des informations sur les menaces à l’intérieur du pays ou à l’extérieur de celui-ci. Ainsi, à mesure que l’on découvre <a href="https://www.lorientlejour.com/minisite/926-guerre-hamas-israel-notre-dossier-special">l’ampleur de l’attaque surprise</a> <a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">sans précédent du Hamas</a> contre 20 villes israéliennes et plusieurs bases militaires le 7 octobre 2023, une question persiste : <a href="https://www.foreignaffairs.com/middle-east/israels-intelligence-disaster">comment se fait-il qu’Israël</a> n’ait pas recueilli à l’avance des informations sur ce qui se préparait ?</p>
<p>Le 10 octobre 2023 le <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/10/world/middleeast/israel-gaza-security-failure.html"><em>New York Times</em> a rapporté</a> que les services de renseignement israéliens <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2023-10-11/l-egypte-aurait-alerte-israel-trois-jours-avant-l-assaut-du-hamas.php">ont détecté des activités suspectes</a> sur les réseaux de militants du Hamas avant l’attaque. Mais l’avertissement n’a pas eu d’effet ou n’a pas été compris dans son intégralité, comme cela s’est produit aux États-Unis <a href="https://oig.justice.gov/sites/default/files/archive/special/s0606/chapter6.htm">avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001</a>.</p>
<p>L’analyse du renseignement équivaut à assembler chaque jour un casse-tête de mille pièces à partir de données isolées afin d’essayer de formuler des jugements qui permettront aux décideurs politiques de faire quelque chose avec ces informations » dit <a href="https://fordschool.umich.edu/faculty/javed-ali">Javed Ali</a>, spécialiste du renseignement et de la lutte contre le terrorisme qui a travaillé des années au sein des services de renseignement américains.</p>
<p>Nous nous sommes entretenus avec lui pour tenter de mieux comprendre le fonctionnement des services de renseignement israéliens et les éventuelles failles du système qui ont permis l’incursion du Hamas.</p>
<h2>1. Quelles questions vous sont venues à l’esprit après les attentats ?</h2>
<p>Cela a nécessité une planification délibérée et minutieuse, et le Hamas a dû déployer beaucoup d’efforts pour dissimuler le complot aux services de renseignement israéliens. On a <a href="https://www.reuters.com/article/us-israel-palestiniens-securite-idFRKBN31804U">réussi à garder les préparatifs secrets</a>.</p>
<p>En raison des éléments complexes de l’attaque, j’ai pensé que l’Iran avait fort probablement <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/11/us/politics/iran-israel-gaza-hamas-us-intelligence.html">contribué à soutenir l’opération</a> — bien que certains responsables américains aient déclaré que <a href="https://www.cbsnews.com/news/iran-israel-iranian-officials-surprised-by-hamas-attack-israel/#textThe20US20has20intelligence20indicatingthe20deadly20Oct20720assault">leurs services de renseignements ne disposaient pas de preuves</a> de ce fait jusqu’ici.</p>
<p>Le Hamas est <a href="https://www.reuters.com/graphics/ISRAEL-PALESTINIANS/MAPS/movajdladpa/">aux portes d’Israël</a>. On pourrait croire qu’Israël comprend mieux ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie qu’à près de 2 000 km de là, en Iran. Comment Israël a-t-il pu passer à côté d’un complot aussi élaboré si près de ses frontières ? Des responsables israéliens ont déclaré qu’ils pensaient que les récentes opérations antiterroristes israéliennes <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/10/world/middleeast/israel-gaza-security-failure.html">avaient découragé le Hamas</a> et que celui-ci n’avait pas la capacité de lancer une attaque de la portée et de l’ampleur de celle qui s’est produite.</p>
<h2>2. Comment fonctionnent les services de renseignement israéliens ?</h2>
<p>Israël possède un des services de renseignement les plus performants et sophistiqués de la planète. Sa structure et son fonctionnement sont largement similaires à ceux des États-Unis, en ce qui concerne les rôles et les responsabilités.</p>
<p>En Israël, le Shin Bet constitue le service de sécurité intérieure, l’équivalent du FBI, qui surveille les menaces à l’intérieur du pays. Pour ce qui est de la sécurité extérieure, <a href="https://spyscape.com/article/inside-mossad">Israël compte sur le Mossad</a>, l’équivalent de la CIA. Le pays possède également une agence de renseignement militaire semblable à l’Agence du renseignement de la défense américaine (DIA), et d’autres petites organisations au sein du renseignement militaire qui se concentrent sur différents aspects de la sécurité.</p>
<p>Comme la plupart des pays occidentaux, Israël a recours à une combinaison de différentes sources de renseignements. Cela inclut des personnes chargées de fournir aux agences les informations sensibles auxquelles elles ont directement accès, ou renseignement d’origine humaine, communément appelé espionnage. Il y a aussi le renseignement d’origine électromagnétique, qui consiste en différentes formes de communications électroniques telles qu’appels téléphoniques, courriels ou messages textes, ainsi que les renseignements par imagerie avec, par exemple, des photos satellites de camps d’entraînement ou d’équipements.</p>
<p>Un quatrième type de renseignement est constitué des informations de source ouverte, c’est-à-dire celles à qui tout le monde peut avoir accès, comme les forums de discussion sur Internet. Il y a quelques années, vers la fin de mes activités dans le domaine du renseignement, j’ai constaté que les informations accessibles au public étaient beaucoup plus nombreuses que les autres types de renseignements.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme en costume se tient devant un podium et à côté d’un grand écran sur lequel sont affichées des photos de personnes" src="https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553315/original/file-20231011-17-kjoqg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans le cadre d’un sommet sur la lutte contre le terrorisme tenu en septembre 2023, David Barnea, directeur du Mossad israélien, présente une vidéo montrant des agents des services de renseignement iraniens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/israels-mossad-director-david-barnea-speaks-on-the-backdrop-news-photo/1656972994?adppopup=true">(Gil Cohen-Magen/AFP)</a></span>
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<h2>3. En quoi le système de renseignement israélien diffère-t-il du système américain ?</h2>
<p>Contrairement aux États-Unis, Israël ne dispose pas d’un coordinateur national du renseignement, c’est-à-dire d’une personne qui connaît et supervise toutes les composantes du renseignement.</p>
<p>Le système américain comprend un poste de directeur du renseignement national qui dirige le <a href="https://www.dni.gov/index.php/who-we-are/history">Bureau du directeur du renseignement national</a> (ODNI), créé en 2004. Les deux découlent des recommandations de la <a href="https://www.dhs.gov/implementing-911-commission-recommendations">Commission sur les attaques du 11 septembre</a>, qui a constaté que le système américain du renseignement était trop fragmenté entre différentes agences et bureaux.</p>
<p>Ainsi, quand on se trouve devant des problèmes complexes qu’aucune agence ne peut résoudre seule, ou en cas de différences sur le plan de l’analyse, on a recours à ce bureau indépendant formé d’experts pour résoudre ces questions.</p>
<p>J’ai travaillé plusieurs années au sein du Bureau du directeur du renseignement national. Dans un de mes postes, je relevais directement du directeur du renseignement national.</p>
<p>En Israël, il n’existe pas d’équivalent de ce bureau central et de cette fonction. Israël pourrait se demander si la création d’un poste de coordinateur du renseignement ne contribuerait pas à éviter des attaques du type de celles qui viennent de se produire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Plusieurs corps recouverts d’un drap blanc sont visibles sur le sol" src="https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553320/original/file-20231011-15-o1rjo6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des Israéliens gisent sur le sol après une attaque du Hamas à Sdérot, en Israël, le 7 octobre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/october-2023-israel-sderot-bodies-of-dead-israelis-lie-on-news-photo/1711934608?adppopup=true">(Ilia Yefimovich/picture alliance via Getty Images)</a></span>
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</figure>
<h2>4. Quel est le rôle des États-Unis dans la surveillance des menaces qui pèsent sur Israël, si tant est qu’ils en aient un ?</h2>
<p>Les États-Unis et Israël entretiennent des relations très étroites en matière de renseignement. Leur partenariat est bilatéral, c’est-à-dire qu’il ne concerne qu’eux et ne fait pas partie d’un <a href="https://www.dni.gov/index.php/ncsc-how-we-work/217-about/organization/icig-pages/2660-icig-fiorc">groupe comprenant d’autres pays</a>.</p>
<p>Les États-Unis ont également un partenariat plus large en matière de renseignement, connu sous le nom de <a href="https://theconversation.com/nato-isnt-the-only-alliance-that-countries-are-eager-to-join-a-brief-history-of-the-five-eyes-209763">« Groupe des cinq »</a>, ou Five Eyes, avec la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cependant, la règle dans ces relations bilatérales solides est que lorsqu’une partie possède des renseignements sur des menaces concernant l’autre, elle doit automatiquement transmettre ses informations.</p>
<p>Les États-Unis sont peut-être en train de réorienter leurs priorités en matière de renseignement vers d’autres régions du monde, comme l’Ukraine, la Russie et la Chine. En conséquence, ils n’ont peut-être pas obtenu de renseignements pertinents sur ce complot du Hamas et n’ont rien pu transmettre à Israël pour l’avertir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215527/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Javed Ali ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les capacités de renseignement d’Israël sont considérées parmi les meilleures au monde, mais contrairement aux États-Unis, il n’existe pas d’organisation centrale coordonnant tous les renseignements.Javed Ali, Associate Professor of Practice in Counterterrorism, Domestic Terrorrism, Cybersecurity and National Security Law and Policy, University of MichiganLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.