tag:theconversation.com,2011:/nz/topics/violences-policieres-80649/articlesviolences policières – The Conversation2023-07-26T18:17:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2095832023-07-26T18:17:39Z2023-07-26T18:17:39ZEn France ou ailleurs, couper l’accès aux réseaux sociaux pour couper court aux émeutes ?<p>La mort de Nahel, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/28/nanterre-un-policier-en-garde-a-vue-apres-la-mort-d-un-mineur-de-17-ans-incidents-entre-habitants-et-forces-de-l-ordre_6179501_3224.html">tué par un policier</a> à Nanterre lors d’un contrôle routier le 27 juin 2023, a déclenché en France une série de manifestations violentes qui se sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/07/la-cartographie-d-une-semaine-d-emeutes-en-france_6180894_3224.html">rapidement étendues</a> à tout le pays et ont même <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/haute-savoie/mort-de-nahel-des-violences-urbaines-et-des-arrestations-en-suisse-inspirees-par-les-emeutes-en-france-2806877.html">franchi les frontières nationales</a>.</p>
<p>Les réseaux sociaux ont joué un rôle déterminant dans cette affaire. Il n’est donc pas surprenant que ces plates-formes soient devenues l’une des cibles des autorités françaises, Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/07/05/emmanuel-macron-suggere-de-bloquer-les-reseaux-sociaux-pendant-les-emeutes_6180622_4408996.html">ayant évoqué la possibilité</a> de couper l’accès aux réseaux sociaux durant des périodes de violences urbaines.</p>
<p>Les réactions à ces propos ont vite provoqué un rétropédalage du gouvernement, par l’intermédiaire de son porte-parole Olivier Véran, <a href="https://twitter.com/Elysee/status/1676531039127355392?s=20">qui a déclaré</a> que les restrictions pourraient se limiter à des suspensions de certaines fonctionnalités comme la géolocalisation. </p>
<p>Un débat qui agite aussi les instances internationales, comme l'ONU, qui s'interrogent sur le rôle des réseaux sociaux et sur la modération de contenus.</p>
<h2>Le rôle des réseaux sociaux</h2>
<p>Que les réseaux sociaux constituent, comme le soulignait déjà le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et expression de l’ONU en <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/449/79/PDF/N1144979.pdf">2011</a>, « un instrument de communication essentiel au moyen duquel les individus peuvent exercer leur droit à la liberté d’expression, ou […] de recevoir et de répandre des informations » est un fait indéniable. C’est d’ailleurs une vidéo largement diffusée en ligne qui a permis de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/28/nanterre-un-policier-en-garde-a-vue-apres-la-mort-d-un-mineur-de-17-ans-incidents-entre-habitants-et-forces-de-l-ordre_6179501_3224.html">remettre en cause</a> la version des faits sur la mort de Nahel initialement avancée par les policiers impliqués.</p>
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<p>Mais les réseaux sociaux ont ensuite beaucoup servi à partager des vidéos, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-apres-la-mort-de-nahel-trois-questions-sur-l-usage-des-reseaux-sociaux-durant-les-emeutes_5924039.html">y compris d’épisodes violents</a>, ainsi qu’à organiser et à géolocaliser les mobilisations et les endroits visés par les dégradations ou affrontements. D’où la réaction du gouvernement français, qui a tenu une <a href="https://www.20minutes.fr/by-the-web/4043796-20230701-emeutes-apres-mort-nahel-gouvernement-met-pression-reseaux-sociaux">réunion avec les représentants de Meta, Snapchat, Twitter et TikTok</a> afin de les appeler à la responsabilité concernant la diffusion de tels contenus.</p>
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<p>Les plates-formes étant devenues les <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2937985">« nouveaux gouverneurs »</a> de la liberté d’expression, leurs politiques de modération ainsi que l’application de celles-ci se retrouvent scrutées de près. Or les règles en vigueur sont vagues et ne permettent pas une identification claire des contenus interdits ; en outre, l’usage de l’IA <a href="https://theconversation.com/ia-et-moderation-des-reseaux-sociaux-un-cas-decole-de-discrimination-algorithmique-166614">peut favoriser la discrimination</a>, alimenter des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-law-open/article/rethinking-rights-in-social-media-governance-human-rights-ideology-and-inequality/7DF50DD0BD3466FF3BD86909A2A6437A">inégalités sociales</a> et conduire soit à une suppression excessive de contenus soit, à l’inverse, à la <a href="https://www.ivir.nl/publicaties/download/AI-Llanso-Van-Hoboken-Feb-2020.pdf">non-suppression</a> de contenus qui vont à l’encontre du droit international des droits humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/traquer-la-haine-sur-les-reseaux-sociaux-exige-bien-plus-quun-algorithme-123626">Traquer la haine sur les réseaux sociaux exige bien plus qu’un algorithme</a>
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<p>Parmi les exemples récents de l’incidence d’une modération de contenus opaque, citons le rôle de Facebook au Myanmar dans la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/13/l-onu-accuse-facebook-d-avoir-laisse-se-propager-des-discours-de-haine-contre-les-rohingya_5270181_4408996.html">propagation de discours haineux contre les Rohingya</a>, mais aussi aux États-Unis lors de <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2021/10/22/jan-6-capitol-riot-facebook/">l’assaut du Capitole</a> par les supporters de Donald Trump le 6 janvier 2021, suite à l’élection de Joe Biden.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fermeture-des-comptes-de-donald-trump-facebook-et-sa-cour-supreme-en-quete-de-legitimite-155064">Fermeture des comptes de Donald Trump : Facebook et sa « Cour suprême » en quête de légitimité</a>
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<p>Les réseaux sociaux ont, en vertu des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_fr.pdf">Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits de l’homme de l’ONU</a>, la responsabilité de veiller au respect des droits humains dans le cadre de leurs activités. L’appel à la responsabilité de la part du gouvernement français en matière de modération des contenus n’est donc pas, en soi, problématique.</p>
<h2>Le rôle des États</h2>
<p>Les États ont la possibilité, dans certaines circonstances, de mettre en place des mesures susceptibles de restreindre l’exercice des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, par exemple en imposant des règles strictes aux réseaux sociaux ; mais ces restrictions doivent être conformes à leurs obligations internationales.</p>
<p>La France ayant ratifié le <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights">Pacte international sur les droits civils et politiques</a>, toute restriction aux droits y énumérés doit correspondre aux dispositions établies dans ce traité.</p>
<p>Le Pacte précise que pour qu’une restriction à la liberté d’expression soit légitime, elle doit satisfaire trois conditions cumulatives : la restriction doit être « fixée par la loi » ; elle doit protéger exclusivement les intérêts énumérés à l’article 19 du Pacte (les droits ou la réputation d’autrui, la sécurité nationale ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques) ; et elle doit être nécessaire pour protéger effectivement l’intérêt légitime identifié, et proportionnée à l’objectif visé, ce qui signifie qu’elle doit compromettre le moins possible l’exercice du droit. Les mêmes conditions s’appliquent aussi aux restrictions aux droits à la liberté de réunion pacifique et libre association.</p>
<p>Or la proposition d’Emmanuel Macron peut précisément s’inscrire dans le cadre d’une restriction de la liberté d’expression, de la libre association et du droit à la réunion pacifique. Bien que cette idée soit présentée comme visant à protéger l’intérêt légitime du maintien de l’ordre public ou même de la sécurité nationale, de telles mesures ont été à plusieurs reprises jugées par les organisations internationales comme étant non conformes avec le droit international.</p>
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<p>Le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression de l’ONU a largement traité ce sujet. En <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G17/077/49/PDF/G1707749.pdf">2017</a>, il a souligné que les coupures d’Internet – qui peuvent être complètes ou partielles, c’est-à-dire n’affectant que l’accès à certains services de communication comme les réseaux sociaux ou les services de messagerie – « peuvent être expressément destinées à empêcher ou à perturber la consultation ou la diffusion de l’information en ligne, en violation […] des droits de l’homme » et que, « dans bien des cas, elles sont contre-productives ».</p>
<p>Le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a pour sa part <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/141/03/PDF/G1914103.pdf">précisé en 2019</a> que « les coupures de réseau constituent une violation flagrante du droit international et ne peuvent en aucun cas être justifiées » et que « bien que ces mesures soient généralement justifiées par des raisons d’ordre public et de sécurité nationale, ce sont des moyens disproportionnés, et la plupart du temps inefficaces, d’atteindre ces objectifs légitimes ».</p>
<p>En 2021, une <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/G21/173/57/PDF/G2117357.pdf">résolution</a> du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dont le projet a notamment été porté par la France, condamne « fermement le recours aux coupures de l’accès à Internet pour empêcher ou perturber délibérément et arbitrairement l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion ». La résolution demandait aussi au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) de présenter une étude sur la tendance, observée dans plusieurs pays du monde, consistant à couper l’accès à Internet.</p>
<p>Le <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G22/341/56/PDF/G2234156.pdf">rapport</a> de l’OHCHR, présenté au Conseil l’année suivante, souligne que « la grande majorité des coupures sont justifiées officiellement par le souci de préserver la sûreté publique et la sécurité nationale ou par la nécessité de restreindre la circulation d’informations jugées illégales ou susceptibles de causer des préjudices ». Cela a pu être constaté, entre autres exemples, au <a href="https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2023/05/2022-KIO-Report-final.pdf">Burkina Faso</a> lors des manifestations de l’opposition en novembre 2021, qui ont mené à une coupure d’Internet d’abord, puis à une restriction d’accès à Facebook, au nom de la sécurité nationale, ou au <a href="https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2023/05/2022-KIO-Report-final.pdf">Sri Lanka</a> en avril 2022, quand le gouvernement à coupé l’accès à toutes les plates-formes suite à des protestations contre la mise en place d’un état d’urgence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sri-lanka-de-la-crise-economique-a-la-crise-politique-183157">Sri Lanka : de la crise économique à la crise politique</a>
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<p>Si ces restrictions ont généralement lieu dans des <a href="https://fr.statista.com/infographie/23813/carte-pays-qui-bloquent-reseaux-sociaux-et-applications-messagerie/">pays non démocratiques</a>, les justifications avancées par leurs gouvernements correspondent à celles avancées par le gouvernement français à présent.</p>
<p>Le rapport note aussi qu’un nombre important de coupures d’Internet ont été suivies par des pics de violences, « ce qui semble démontrer que ces interventions ne permettent bien souvent pas d’atteindre les objectifs officiellement invoqués de sûreté et de sécurité » mais aussi qu’« on ne saurait invoquer la sécurité nationale pour justifier une action lorsque ce sont précisément des atteintes aux droits de l’homme qui sont à l’origine de la détérioration de la sécurité nationale ».</p>
<p>Par ailleurs, les manifestations <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/07/statement-france-un-committee-elimination-racial-discrimination">trouvant leur origine dans les violences policières et le profilage racial</a>, des mesures visant à restreindre l’accès aux réseaux sociaux en les accusant d’être responsables des violences constituent « une manière de dépolitiser et délégitimer la révolte [et] de dénier aux émeutiers le droit de se révolter contre les violences policières », comme le souligne le chercheur en sciences de l’information <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/06/accuser-les-reseaux-sociaux-d-etre-responsables-des-violences-est-une-maniere-de-depolitiser-la-revolte_6180761_3232.html">Romain Badouard</a>.</p>
<h2>Une question d’équilibre ?</h2>
<p>Les États et les réseaux sociaux ont, les uns comme les autres, un devoir de protection et de respect des droits humains, mais comme nous l’avons vu, ils peuvent également porter atteinte à ces droits. Le cas présent montre que les deux centres de pouvoir, les États et les réseaux sociaux, peuvent, et idéalement devraient, <a href="https://scholarship.law.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=9654&context=penn_law_review">se contrebalancer</a>, afin d’assurer une meilleure protection des droits des individus.</p>
<p>C’est dans ce cadre qu’une approche de la modération des contenus en ligne fondée sur les droits humains se révèle nécessaire. Le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et expression de l’ONU avait déjà remarqué en <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/096/73/PDF/G1809673.pdf">2018</a> que « certains États […] recourent à la censure et à l’incrimination pour façonner le cadre réglementaire en ligne », mettant en place « des lois restrictives formulées en termes généraux sur l’"extrémisme", le blasphème, la diffamation, les discours “offensants”, les fausses informations et la “propagande” [qui] servent souvent de prétexte pour exiger des entreprises qu’elles suppriment des discours légitimes ». D’autre part, si les réseaux sociaux se présentent comme <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1369118X.2017.1289233?journalCode=rics20">promoteurs de droits</a> tels que la liberté d’expression, le Rapporteur spécial avait également relevé que la plupart d’entre eux ne se fondent pas sur les principes des droits humains dans leurs activités et politiques de modération de contenus.</p>
<p>Le cadre du droit international des droits humains offre non seulement aux individus la possibilité de contester les mesures prises par leurs gouvernements, mais il offre également aux réseaux sociaux un <a href="https://globalreports.columbia.edu/books/speech-police/">langage</a> permettant de contester les demandes illicites émanant des États et d’« articuler leurs positions dans le monde entier de manière à respecter les normes démocratiques ». Reste aux États comme aux plates-formes à se saisir pleinement de ces instruments. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209583/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefania Di Stefano est Project Officer pour la Geneva Human Rights Platform, un projet de l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève.</span></em></p>Les appels à la violence publiés en ligne pendant les émeutes consécutives à la mort de Nahel M. ont incité Emmanuel Macron à évoquer la possibilité d’un blocage des réseaux sociaux.Stefania Di Stefano, Doctorante en droit international, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088962023-07-06T17:20:15Z2023-07-06T17:20:15ZÉmeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535048/original/file-20230630-42965-kgb8rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1920%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image tirée du film _La classe_.</span> </figcaption></figure><p>La France a été secouée par plusieurs journées d'émeutes, après qu'un adolescent a été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/mort-de-nahel-m-un-besoin-de-vraies-reponses-face-a-la-colere-et-a-la-peur_6180123_3232.html">abattu mardi 27 juin</a> par un policier à Nanterre, suite à un refus d’obtempérer. </p>
<p>Certains artistes, intellectuels et citoyens se sont indignés et ont réagi face un phénomène de violences policières. Le Haut Commissaire des Nations unies a exhorté la France à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/apres-la-mort-de-nahel-la-france-doit-s-attaquer-aux-profonds-problemes-de-racisme-dans-la-police-pour-cette-instance-de-l-onu_219986.html">s’attaquer au racisme au sein de la police et des forces de l’ordre</a>. Il y a quelques semaines, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a également <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/onu/la-france-epinglee-a-l-onu-pour-les-discriminations-raciales-et-les-violences-policieres_5801627.html">accusé la France de discrimination raciale et de violences policières</a>.</p>
<p>En fait, le cinéma français raconte cette histoire depuis plusieurs années. Par exemple, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I4Fr6xokozw"><em>Athena</em></a> (2022) raconte comment, après le meurtre d’une adolescente, le conflit dégénère en quasi-guerre civile.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Athena</em> (2022).</span></figcaption>
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<h2>Ce n’est pas la première fois</h2>
<p>Ce film peut sembler prémonitoire, mais il y a eu des précédents en termes d'émeutes et de révoltes dans les quartiers populaires dans l’actualité française, notamment en 2005.</p>
<p>Dans la nuit du 27 octobre de cette année-là, à Clichy-sous-Bois, à l’est de Paris, trois jeunes hommes se sont cachés dans un transformateur électrique pour ne pas avoir à répondre aux interrogatoires de la police. Deux d’entre eux sont morts électrocutés et le troisième a survécu à de graves brûlures après avoir été hospitalisé dans un état très sérieux.</p>
<p>La réaction fut une <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2005_French_riots">immense et violente révolte populaire</a> qui dura trois semaines. Les émeutes se sont étendues à toute la France et ont touché les banlieues de 200 villes. Les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui a qualifié les jeunes des banlieues de « racailles » lors d’une visite dans le quartier du Val d’argent à Argenteuil, n’ont pas arrangé les choses. Devant l’impossibilité de maîtriser la situation, le Premier ministre Dominique de Villepin a déclaré l’état d’urgence. Neuf mille véhicules ont été détruits et des bâtiments institutionnels attaqués, sans compter les blessés et les interpellations. Au total, les <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20061027.OBS7196/le-bilan-des-violences-de-2005.html">dégâts ont été estimés à plus de 150 millions d’euros</a>.</p>
<p>Ce qui se passe aujourd’hui est similaire et n’est ni isolé ni nouveau en France. Ces incidents ne sont pas toujours couverts par les médias européens, même s'ils se produisent régulièrement. Les films sortis en France ces dernières décennies en témoignent, dénonçant une fracture sociale quotidienne, des rapports difficiles avec la police, la frustration de ne pouvoir sortir du cercle du quartier, et une école qui se veut rédemptrice face à un problème qui semble perdurer.</p>
<h2>Les origines du conflit</h2>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gsRxwuj1AxU"><em>Retour à Reims</em></a> (2021), réalisé à partir de fragments documentaires issus du fonds de l’<a href="https://www.ina.fr/">Institut national de l’audiovisuel</a> (INA), retrace avec précision le phénomène de l’arrivée massive de l’immigration grâce aux lois qui l’ont favorisée après la Seconde Guerre mondiale. Le paysage social des villes s’en trouve transformé, entraînant une cohabitation qui n’est pas toujours facile.</p>
<p>Dans les années 1940 et 1950, des bateaux en provenance d’Algérie et du Maroc arrivent chaque jour sur les côtes françaises avec des milliers de personnes. Ils sont reçus et accueillis par les institutions et les entreprises avec des mesures <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L0lrA1jiQxk">déjà discriminatoires en termes de salaires et de droits</a>.</p>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ykg0DfSkwmc"><em>Les Femmes du 6e étage</em></a> (2010) raconte également le quotidien d’un groupe de femmes espagnoles qui ont émigré pour devenir employées de maison. Dans la tendresse de la nostalgie et de l’humour, il raconte aussi le harcèlement, les abus et les difficultés auxquels de nombreuses femmes étrangères <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z_OaJMUvDuU">ont dû faire face</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Femmes du 6e étage</em> (2010).</span></figcaption>
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<h2>Les problèmes de la <em>banlieue</em>, un thème récurrent du cinéma français</h2>
<p>Quel rapport avec le meurtre récent de Nahel et les émeutes ? Eh bien, les années ont passé et les enfants et petits-enfants de ces premières générations d’immigrés sont nés en France, ont été élevés sous la devise « liberté, égalité, fraternité », mais ont vite découvert qu’elle ne s’appliquait pas à eux.</p>
<p>C’est pourquoi, dans les années 1980, ont eu lieu les <a href="https://fresques.ina.fr/sudorama/fiche-media/00000000269/l-arrivee-de-la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme-a-paris.html">premières manifestations contre le racisme</a> et les discriminations liées à l’origine.</p>
<p>Les quartiers des grandes villes ont été configurés pour accueillir l’ensemble de la population active, étrangère ou non, en construisant massivement des HLM (<em>habitation à loyer modéré</em>) dans les ZUP (<em>zone d’urbanisation prioritaire</em>). Ils ont été construits en très peu de temps, avec des matériaux de mauvaise qualité, pour loger les milliers de personnes que des villes comme Paris, Toulouse ou Marseille accueillaient. Aujourd’hui, ce sont de véritables ghettos, appelés <em>quartiers sensibles</em> en référence aux problèmes constants qui les habitent.</p>
<p>Le film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=12551.html"><em>La Haine</em></a> (1995) montre la vie de jeunes vivant dans une banlieue, sans aller à l’école, fuyant les contrôles de police, essayant sans succès d’éviter la drogue et la délinquance. Cela ne se termine pas bien. Sans en dévoiler l’issue, on peut s’en faire une idée rien qu’en regardant les informations de ces derniers jours.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>La Haine</em> (1995).</span></figcaption>
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<p>Trois décennies plus tard, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=273579.html"><em>Les Misérables</em></a> (2019), qui a remporté de nombreux prix, est devenu un reflet actualisé du même thème : l’abandon des quartiers, la <em>banlieue</em> devenue ghetto, la relation compliquée entre des cultures différentes et le travail de la police, montré comme une forme d’ingérence continue et ennuyeuse dans la vie quotidienne des banlieues françaises, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006151880/">avec des contrôles plus intenses depuis les attaques terroristes à Paris</a>, notamment sur les personnes d’apparence maghrébine et noire africaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_RBAqv0VQH8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Misérables</em> (2019).</span></figcaption>
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<h2>L’école comme base de la solution</h2>
<p>La réalité s’entête, mais le cinéma crée d’autres espaces, confrontant les clichés et posant un autre regard sur le réel. Dans un esprit profondément français, l’école est très souvent présentée comme la solution universelle à ces problèmes sociétaux. En effet, de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/03/le-cinema-s-engage-sur-les-chemins-de-l-ecole_6144133_3232.html">nombreux films traitent du thème de l’éducation et de l’école</a>.</p>
<p>C’est le cas de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QPXyGosb3_g"><em>Entre les murs</em></a> (2008), également primé, fait directement référence à l’oasis apparente de la salle de classe, qui reproduit pourtant ce qu’il y a à l’extérieur. Une mosaïque diverse qui expose la délicate complexité d’une société, remettant en question les généralisations, les stéréotypes et les préjugés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0BufXB1AUfM"><em>Le brio</em></a> (2017), il est question de l’université. Dans ce film, un professeur de littérature montre à travers Schopenhauer – et son livre <a href="https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf"><em>L’art d’avoir toujours raison</em></a> – comment les mots peuvent créer un nouvel univers. L’étudiante, elle, sauve le professeur de l’expulsion et atteint ses objectifs académiques. La compréhension émerge dans le processus de découverte de leurs différences apparemment irréconciliables.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>Le brio</em> (2017).</span></figcaption>
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<p>La littérature française est fréquemment utilisée comme une planche de salut : les personnages, les histoires et les auteurs sont les références des protagonistes. Dans le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=o7g0hQDNAFs"><em>Les grands esprits</em></a> (2017), le livre rédempteur est <em>Les Misérables</em>, de Victor Hugo, analysé par chacun des personnages comme s’il était l’un des symboles de la marginalisation et des problèmes actuels. D’autre part, le professeur blanc, aux yeux bleus, bourgeois, accablé de préjugés, se découvre lui-même à travers l’autre qu’il méprisait.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cartel des <em>Intocables</em>.</span>
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<p>Le savoir et l’école sont des instruments qui viennent sans cesse à la rescousse des problèmes sociaux dans le cinéma français. Ils finissent, malgré les obstacles, à créer de nouvelles relations d’empathie qui, dans l’espace filmique, résoudront le conflit. Mais dans la vie réelle, il reste encore beaucoup à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana María Iglesias Botrán ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cinéma français dénonce les violences policières depuis des années.Ana María Iglesias Botrán, Profesora del Departamento de Filología Francesa en la Facultad de Filosofía y Letras. Doctora especialista en estudios culturales franceses y Análisis del Discurso, Universidad de ValladolidLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091602023-07-06T17:19:22Z2023-07-06T17:19:22ZÉmeutes : 2005 en héritage à Clichy-sous-Bois<p>Depuis la mort de Nahel et les violences qui s’en suivent dans de nombreuses villes, la <a href="https://www.lefigaro.fr/faits-divers/mort-de-nahel-derriere-les-chiffres-des-violences-urbaines-plus-intenses-que-les-emeutes-de-2005-20230705">référence à 2005</a> semble s’imposer dans les médias. Par son extension, ses images médiatiques, le chiffrage des dégâts… la mobilisation de jeunes de quartiers populaires incite à la comparaison. Mais est-elle pertinente ? S’il est prématuré de dresser une comparaison fondée, il est possible d’apporter dès maintenant des éléments pour en discuter le bien-fondé.</p>
<p>Pour cela, je m’appuie sur la recherche participative que je mène depuis trois ans sur l’histoire du collectif ACLEFEU, avec des jeunes de 17 à 24 ans de Clichy-sous-Bois et d’autres villes de Seine Saint-Denis. Cette enquête poursuit celle menée dans dix villes ou quartiers d’Île-de-France par le <a href="https://jeunesdequartier.fr/">collectif POP PART</a> entre 2017 et 2021. Publiée sous le titre <a href="https://cfeditions.com/jdq/">Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots</a>, elle est la source des podcasts <a href="https://theconversation.com/fr/topics/jeunes-de-quartier-119771">« Jeunes de quartier : leur quotidien raconté par eux-mêmes »</a>.</p>
<p>Centrer la nouvelle recherche sur Clichy-sous-Bois et ACLEFEU, c’est revenir aux origines. Ce collectif a en effet été créé d’abord de manière informelle à la fin d’octobre 2005, puis en tant qu’association. L’acronyme, dont le premier sens, Assez le feu ! est clair, signifie aussi : Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble Unis. Très médiatisé dans les années qui ont suivi, il est aujourd’hui reconnu pour les actions qu’il mène auprès des jeunes et des familles pour contribuer à la solidarité, éveiller à la citoyenneté, développer la prise de responsabilité. Comment donc des jeunes d’aujourd’hui et des jeunes de l’époque, devenus adultes, parlent-ils de 2005 ? Quelles mémoires en sont présentes, transmises ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-repetition-et-la-rage-au-coeur-des-emeutes-francaises-208899">La répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises</a>
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<h2>2005 : émeutes ou révoltes ?</h2>
<p>Lorsqu’on demande aux jeunes adultes ou grands adolescents participant à la recherche ce que 2005 évoque, pour eux et elles, silence et hésitations dominent. La date ne fait guère sens. D’abord par sa distance temporelle : la plupart étaient soit juste nés, soit encore tout petits. Au plus, restent des souvenirs de peur, d’hélicoptères menaçants, d’avoir été interdit de sortir pour jouer au foot, d’une panne d’électricité ou une image : celle de gendarmes s’abritant sous leurs boucliers comme des soldats romains dans Astérix.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fogjf7PnHuY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur les émeutes des banlieues en 2005. France 24.</span></figcaption>
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<p>Mais plus profondément, les dates, comme on a pu le constater aussi à propos de 2015 et des attentats, sont des repères utilisés dans un contexte scolaire d’apprentissage de faits historiques. Parler date, c’est renvoyer à la « grande histoire » enseignée, à une réalité qui reste abstraite.</p>
<p>Ce qui ressort parfois, c’est : « les émeutes », désignation concurrencée par « les révoltes ». Dire « c’était vraiment pour défendre une cause » (R. (garçon, 7 ans en 2005), dire « on s’est pas battu pour rien, on s’est battu parce qu’il y a quelque chose derrière »), c’est exprimer une distinction claire, dans la lignée de celle opérée par les sociologues <a href="http://journals.openedition.org/sociologies/254">Michel Kokoreff, Odile Steinauer et Pierre Barron</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Reprendre le terme d’émeute, c’est insister sur le caractère spontané et non structuré des violences collectives. […] L’émeute urbaine questionne la police dans ses pratiques ; c’est la fonctionnalité policière qui est mise en cause. Parler de “révolte” […], c’est mettre l’accent sur la dimension protestataire des violences collectives […], sans contribuer au processus de stigmatisation des banlieues et des jeunes de milieux populaires. »</p>
</blockquote>
<h2>Zyed et Bouna : des noms qui font sens</h2>
<p>À rebours de la date, ce sont les prénoms <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799;https://jeunesdequartier.fr/notices/zyed-bouna/52">Zyed et Bouna</a> qui font écho pour les jeunes, par un effet d’identification multiple. La proximité de l’âge, l’atrocité de leur mort, brûlés vifs dans l’enceinte d’un transformateur électrique, la connaissance des familles pour certains sont démultipliées par le vécu partagé du contrôle policier fréquent et injustifié, de la course poursuite pour l’éviter qui fait d’un thriller un drame. L’identification repose aussi sur le sentiment d’appartenance à un territoire similaire par sa relégation et les <a href="https://journals.openedition.org/metropoles/4568">conditions de vie de sa population</a>.</p>
<p>Pour K. (4 ans en 2005), « Si Zyed et Bouna étaient dans un autre endroit, les policiers ne vont pas se comporter avec eux comme ça, ne vont pas leur parler vulgairement, faire la course avec eux. Ça évoque des inégalités sociales ». Un « nous, jeunes de quartiers » s’esquisse ainsi, même si cette assignation fait débat.</p>
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<p>Si les jeunes d’aujourd’hui voient des similitudes avec le vécu des jeunes de 2005, l’écart est cependant sensible. En témoigne d’abord leur réaction après la projection en atelier, du film tourné par Ladj Ly en 2005-2006 « 365 jours à Clichy-Montfermeil » : « Ce ne serait plus possible maintenant, car on filme tous avec nos portables et on partage sur nos réseaux ! »</p>
<p>Et surtout, ce film et une vidéo d’ACLEFEU sur son histoire décentrent l’intérêt vers l’après 2005 et les actions menées pour faire entendre et prendre en compte la voix des citoyens oubliés. C’est le présent de cette histoire de près de vingt ans, ses liens avec d’autres luttes, comme celles pour les droits civiques ou <a href="https://theconversation.com/mort-de-george-floyd-une-condamnation-historique-dans-une-societe-divisee-157164">Black Lives Matter</a> aux États-Unis, qui peu à peu donnent sens à la participation des jeunes à la recherche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2tO3aU5fGOA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire « 365 Jours à Clichy Montfermeil », Ladj Ly, Kourtrajmé, 2005.</span></figcaption>
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<h2>Des médiateurs en action</h2>
<p>Pour les participants à la recherche plus âgés, (qui avaient entre 20 et 30 ans en 2005), alors souvent éducateurs ou animateurs, qui ont vécu ces événements, le lieu et le moment où ils apprennent le drame, leur action pour contribuer à calmer les jeunes, la création d’ACLEFEU dans l’urgence sont les trois temps forts d’une mémoire vive commune. C’est donc en tant qu’acteurs à divers titres qu’ils interprètent à la fois leur rôle, leur prise de conscience et leur évolution.</p>
<p>Cette continuité temporelle, avec ses ruptures ou ses éloignements pour certains, apporte un double éclairage. Le recul réflexif permis par l’entretien laisse par exemple s’exprimer le souvenir d’un dilemme vécu. M. (30 ans en 2005) l’explique ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« Nous autres, à cette époque-là, animateurs, travailleurs sociaux, tous ceux qui étaient sur le terrain, grands frères, on était dans une position très compliquée. […] Je comprends la colère des jeunes parce que je me dis : si je n’avais pas été moi du côté… je vais dire de l’institution, à cette époque-là, à 17 ans j’aurais été dans la rue. »</p>
</blockquote>
<p>La création d’ACLEFEU est alors présentée comme la résolution collective de cette contradiction. Elle est étayée par l’évocation du nombre des personnes qui s’engagent dans la construction de ce collectif, portées par la conscience que la colère des jeunes est l’expression exacerbée d’un malaise social plus large.</p>
<p>Le deuxième éclairage apporté par quelques jeunes adultes de l’époque met en perspective 2005 et des mobilisations antérieures. En particulier, la <a href="https://presses-universitaires.parisnanterre.fr/index.php/produit/la-marche-de-1983-des-memoires-a-lhistoire-dune-mobilisation-collective/">marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983</a> est une référence fondatrice pour Mohamed Mechmache, cofondateur et président du collectif.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wnu-8FXyREA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 (INA).</span></figcaption>
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<p>Adolescent, il a côtoyé un ancien marcheur de sa cité : </p>
<blockquote>
<p>« Ce qui s’est passé en 2005 n’est que la conséquence de ce qui s’est passé à l’époque avec les gens qui se sont mobilisés pour la marche pour l’égalité et contre le racisme. Parce que la première jeunesse issue de l’immigration était très politisée. Elle savait les combats de nos parents, les luttes qu’il y a eu. Une fois qu’ils ont compris qu’ils avaient comme arme le savoir, ça leur a permis de mieux comprendre les choses et de se dire : nous aussi à partir d’aujourd’hui on pourra se faire entendre. »</p>
</blockquote>
<p>C’est cette conscience de la continuité d’un combat à mener qui a incité plusieurs membres d’ACLEFEU à se faire élire au conseil municipal dès 2008. Une jeune fille qui a participé à la recherche, élue en 2020, est ainsi devenue la benjamine du conseil municipal.</p>
<h2>Une transmission mémorielle fragmentée et une histoire absente</h2>
<p>À Clichy-sous-Bois, la transmission de la mémoire de 2005 est ainsi portée par deux pôles. Le souvenir de Zyed et Bouna est surtout transmis par le travail mené par des enseignants de collège ou de lycée et les commémorations publiques annuelles du 27 octobre 2005.</p>
<p>L’allée piétonnière au nom de Zyed Benna et Bouna Traoré (sans autre précision), proche de la mairie, la petite stèle qui leur est consacrée devant le collège fréquenté par ceux-ci, leurs visages rendus familiers par des affiches largement diffusées lors de mobilisations comme celle suscitée par la mort d’Adama, sont aussi connues de certains jeunes.</p>
<p>Les militants d’ACLEFEU constituent le second pôle de transmission : il est centré sur la réponse collective apportée alors à la « crise des banlieues » et aux limites de sa reconnaissance politique. Mais ces transmissions fragmentées rendent d’autant plus problématique l’absence d’une histoire qui fasse référence et puisse être partagée.</p>
<p>Au-delà de 2005, c’est précisément la force et l’inventivité d’une mobilisation politique et sociale, diverse par ses actions et sa portée médiatique, que la recherche menée avec les jeunes de Clichy-sous-Bois et le collectif ACLEFEU a entrepris de construire et de faire reconnaître.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Hatzfeld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les jeunes d’aujourd’hui voient des similitudes avec le vécu des jeunes de 2005, l’écart est cependant sensible.Hélène Hatzfeld, Politologue spécialisée dans l'urbanisme, laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement (UMR CNRS 7218), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088942023-07-02T16:13:16Z2023-07-02T16:13:16ZComment la mort de Nahel M. enflamme une République déjà sur des braises<p>Les événements qui agitent la France depuis mardi, suite à la mort du jeune Nahel M. abattu par un tir policier, interviennent dans les « cent jours » d’apaisement annoncés par le président de la République.</p>
<p>Au vu de la période, l’apaisement prononcé ne semble être ici qu’un mot, une incantation. Tant que cet « apaisement » ne s’incarne pas concrètement, la parole politique demeure déceptive et alimente la défiance à l’égard des responsables politiques. Ainsi, le mot de François Hollande sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZE8pE2t__pc">« mon ennemi est la finance »</a> est resté dans l’électorat de gauche comme une déclamation marquante de son… échec.</p>
<p>Ces mots sont supposés être <a href="https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/illocutoire">illocutoires</a> – « quand dire c’est faire ». Or, la parole n’est pas toujours suivie de faits, et comme le montre le dernier baromètre du Cevipof, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">méfiance grandit</a> envers les politiques.</p>
<p>Il est en outre délicat d’être dans une injonction autour de « l’apaisement » et de mener, en même temps, et depuis des mois, une politique considérée par un certain nombre de Français comme plutôt conflictuelle, comme l’a montré la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/reforme-des-retraites-emmanuel-macron-au-defi-d-une-crise-qui-se-durcit-20230323">séquence des retraites</a> qui a laissé une impression de brutalité.</p>
<p>Alors même que les manifestations de mai n’avaient pas encore eu lieu, fin avril, 65 % des Français considéraient <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-65-des-francais-jugent-emmanuel-macron-brutal-selon-notre-barometre-odoxa">Emmanuel Macron comme « brutal »</a>.</p>
<p>Ce contexte a été par ailleurs entaché d’un autre événement : l’affaire du fonds Marianne. Cette dernière, du nom d’une association destinée à honorer la mémoire de Samuel Paty (enseignant assassiné le 16 octobre 2020) contient à elle seule plusieurs éléments explosifs nourrissant le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/06/16/fonds-marianne-les-enjeux-et-les-rebondissements-de-l-affaire-qui-met-en-cause-marlene-schiappa_6173534_4355771.html">discrédit envers le gouvernement Macron</a> et pour cause. Le détournement du fonds Marianne mêle laïcité, subventions publiques détournées et le nom d’une ministre, <a href="https://www.humanite.fr/politique/fonds-marianne/fonds-marianne-oui-madame-schiappa-vous-etes-responsable-799143">Marlène Schiappa</a>, toujours en poste malgré le scandale.</p>
<p>Ces enchaînements difficiles pour l’exécutif conduisent même à des chiffres inédits dans les sondages où le président, pourtant perçu par certains comme un technocrate habile, perd désormais des points sur la question de sa compétence. Selon le sondage Odoxa cité précédemment, seuls 36 % des Français le trouvent compétent – moins 13 % par rapport à mai 2022.</p>
<h2>Les « petites phrases » qui mettent le feu aux poudres</h2>
<p>Tandis qu’une partie de la France s’embrase, la présidence Macron semble poursuivre sur une ligne relativement indifférente face aux perceptions, aux émotions de l’opinion. Ainsi, malgré <a href="https://www.tf1info.fr/politique/emmanuel-macron-sur-tf1-et-lci-dit-regretter-certaines-de-ses-petites-phrases-terriblement-blessantes-pendant-sa-presidence-2204700.html">quelques excuses</a> entre ses deux mandats, le président continue d’émailler sa parole présidentielle de nombreuses <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2011-2-page-17.htm">« petites phrases »</a>.</p>
<p>Ces dernières désignent un ensemble hétérogène de phénomènes concourant à aviver le désarroi ou la défiance parmi ses électeurs. Entre « les gens qui ne sont rien » « un pognon de dingue » ; « traverser la rue » ; « les factieux » ; « la foule » ; « les Gaulois réfractaires » ; <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/19/parler-de-decivilisation-comme-le-fait-emmanuel-macron-releve-du-contresens_6178328_3232.html">« décivilisation »</a> et « trouver dix jobs sur le Vieux-Port » au printemps 2023.</p>
<p>Ces petites phrases contribuent à nourrir son personnage, marquent les esprits, et surtout portent en elles une tension, voire une mise en dramatisation du politique. Elles deviennent alors des marqueurs et déclencheurs et abîment la question du « vivre ensemble », du « commun » du « faire société » puisqu’il est reproché dès lors au président de la République de faire preuve de mépris de classe.</p>
<p>Partant, au-delà de la politique menée, ces phrases-marqueurs collent à son image et participent d’une façon de faire tout en paradoxe entre émotion ressentie et volonté régulière d’apaisement. Lors de son déplacement à Marseille, à la mort de Nahel, le président déclare : </p>
<blockquote>
<p>« Je veux dire l’émotion de la nation tout entière et dire à sa famille toute l’affection de la nation […] nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable. »</p>
</blockquote>
<p>Un jour après des émeutes éclatent, et Emmanuel Macron adopte immédiatement un discours mettant en cause les jeux vidéos, les réseaux sociaux et les parents ; il se place directement derrière les forces de l’ordre, donne sa confiance à Gérald Darmanin et n’aura plus un mot pour les quartiers populaires – notamment ceux qui souffrent des émeutes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La réaction d’Emmanuel Macron à la mort de Nahel.</span></figcaption>
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<p>C’est dans ce contexte déjà chargé que le décès de Nahel M. s’inscrit comme dernier marqueur décisif d’une politique générale déjà très décriée, et encore plus dans le cadre de la politique de la ville.</p>
<h2>La politique de la ville</h2>
<p>Dès 2017, Emmanuel Macron promettait la <a href="https://en-marche.fr/articles/actualites/emplois-francs-lutter-contre-l-assignation-a-residence">fin d’assignation à résidence »</a> pour les quartiers difficiles.</p>
<p>Pourtant, dès 2018, il torpille lui-même le <a href="https://www.lemonde.fr/banlieues/article/2018/04/26/ce-qu-il-faut-retenir-du-rapport-borloo-sur-les-quartiers-prioritaires_5291093_1653530.html">plan Borloo</a>. Dans ce plan, l’ancien ministre de la ville présente au président Macron des mesures comme le lancement des cités éducatives, la reconquête républicaine, la réactivation de l’Agence nationale pour le rénovation urbaine(ANRU), l’accompagnement vers l’emploi des jeunes habitants dans les quartiers relevant de la Politique de la ville (QPV)…</p>
<p>Ce rapport ambitieux de 5 milliards d’euros a pourtant été <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/rapport-borloo-macron-l-a-enterre-de-la-maniere-la-plus-brutale-qui-soit-fustige">rapidement enterré</a> par l’exécutif durant son premier mandat. Mais, ce qui a peut être le plus choqué c’est l’attitude d’Emmanuel Macron lors de la présentation du plan. Il tiendra face aux porteurs du projet des propos sans appel.</p>
<blockquote>
<p>« Que deux mâles blancs [Julien Denormandie, ministre de la ville, et de Jean-Louis Borloo] ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent l’un un rapport, l’autre disant “on m’a remis un plan”, je l’ai découvert… Ce n’est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça. »</p>
<p>« Les gens qui vivent dans ces quartiers, ce sont des acteurs de ces sujets. Ils ont envie de faire, ils ont une bonne partie des solutions […] Ces personnes ont besoin qu’on leur donne un statut […] qu’on les aide à réussir. »</p>
</blockquote>
<p>La dureté des propos envers Jean-Louis Borloo notamment est manifeste, et la président tente bien maladroitement de dire – peut-être – que c’est aux concernés de prendre leur avenir en main, de dire leurs besoins…</p>
<p>Depuis, s’il est vrai qu’une large partie du programme de Borloo a été mise en place, le lien entre quartiers et exécutif ne semble pas avoir été construit pour autant et la banlieue-start-up n’est pas. Et déjà, en novembre 2020, dans un contexte délicat de confinement, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/13/quartiers-populaires-110-maires-interpellent-emmanuel-macron-sur-la-crise-sanitaire-et-economique_6059695_3234.html">110 maires interpellent le président</a> sur la situation très difficile des quartiers populaires.</p>
<p>Le plan de 2022 nommé <a href="https://www.ville-et-banlieue.org/quartiers-2030-nouveau-fil-directeur-politique-ville-33179.html">« Quartiers 2030 »</a> donne des signes d’une volonté de (re) prendre en considération ces zones et leurs habitants. La campagne présidentielle n’ayant pas vraiment eu lieu, ces questions n’ont pas été abordées. Emmanuel Macron tente alors de rattraper cette lacune et affirme, lors de cette séquence, « que les quartiers populaires sont une chance pour notre république ».</p>
<p>Le 24 mai 2023, il est pourtant – de nouveau – vivement alerté par une trentaine d’élus qui veulent un <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/plan-d-urgence-pour-les-banlieues-une-trentaine-de-maires-interpellent-l-executif_AD-202305240497.html">plan d’urgence pour les banlieues</a>.</p>
<p>Son voyage à Marseille dans des cités difficiles <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/27/a-marseille-emmanuel-macron-face-a-la-colere-des-quartiers-nord_6179337_823448.html">n’aura rien changé ni rien apaisé durablement</a>. Il disait pourtant vouloir « transformer la colère en projet » mais les mots sont tombés un peu à plat face à l’étendue des trafics de drogue, face à une maman pleurant son fils et face au déclin des services publics sur le terrain. </p>
<p>La mort de Nahel aura transformé la colère en émeutes.</p>
<h2>Le clivage gauche droite</h2>
<p>Autre facteur de l’embrasement ou de la radicalisation : le clivage gauche droite. En voulant enjamber ce gauche droite et <a href="https://theconversation.com/trianguler-ou-lart-de-sapproprier-les-idees-des-autres-en-politique-161326">trianguler</a> en prenant les idées du camp adversaire <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie-de-anthony-giddens--9782707151902.htm">tout en minimisant la dimension idéologique</a>, Emmanuel Macron a introduit une confusion dans les politiques et objectifs à atteindre.</p>
<p>Quelle fut la ligne de l’exécutif sur les quartiers populaires en réalité ? Une ligne plutôt service public dans la tradition française d’un état-providence ? une ligne plutôt start-up-uber qui semblerait être celle de E. Macron vue dans son ouvrage <em>Revolution</em> ou une ligne plutôt autoritaire incarnée par son Ministre de l’intérieur ?</p>
<p>Souvenons nous en effet de Gerald Darmanin considérant que Marine Le Pen est <a href="https://www.leparisien.fr/politique/debat-a-front-renverse-entre-marine-le-pen-et-gerald-darmanin-11-02-2021-8424502.php">trop molle</a> sur les questions d’immigration. Souvenons-nous aussi – sur les question sociétales – Jean Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-la-sorbonne-jean-michel-blanquer-participe-a-un-colloque-contre-l-ideologie-woke_8928e404-6ee5-11ec-bcfb-2ff4eb85ac20/">tenant un colloque à la Sorbonne contre le « wokisme »</a> ? Est-ce que ces coups de menton, ces symboles politiques ne créent pas trop de confusion ? </p>
<p>Ce « en même temps » brouille les cartes. Un brouillage qui a participé de la fragilisation du clivage, fragilisation qui asphyxie la démocratie et radicalise mécaniquement les oppositions. Car, pour s’opposer à Emmanuel Macron – qui a enjambé le clivage – il est en effet mécaniquement nécessaire d’aller plus loin à droite et plus loin à gauche.</p>
<p>En siphonnant la gauche et la droite dite de gouvernement, l’espoir d’une alternance à portée de main est détruit. Le citoyen se sent comme menotté dans une situation intenable. Son camp n’arrivera jamais au pouvoir ; ou ce sera très difficile.</p>
<p>Il est à noter que l’on pouvait déjà percevoir tous ces éléments lors de la présidentielle 2017. On voyait très clairement deux France. Aujourd’hui, elles subsistent toujours. Comme une ligne de fracture, et avec un défi de réconcilier et de faire « commun » qui semble bien loin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208894/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur le dossier des quartiers populaires comme sur d’autres, Emmanuel Macron n’a pas su trouver la voie d’un projet commun.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088992023-07-02T09:40:51Z2023-07-02T09:40:51ZLa répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises<p>Bien qu’elles nous surprennent chaque fois, depuis les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-ete-des-minguettes-1981-les-rodeos-de-la-colere-7720633">révoltes des Minguettes</a> dans les années 1980, les émeutes se répètent en suivant le même scénario : un jeune est tué ou gravement blessé par le police et les violences explosent dans le quartier concerné, dans les quartiers voisins, parfois, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-urbaines-comment-se-sont-deroulees-les-emeutes-de-2005_5919854.html">comme en 2005</a> et aujourd’hui, dans tous les quartiers « difficiles » qui se reconnaissent dans la victime de la police.</p>
<p>Depuis quarante ans, les révoltes urbaines sont dominées par la rage des jeunes qui s’attaquent aux symboles de l’ordre et de l’État, aux mairies, aux centres sociaux, aux écoles, puis aux commerces…</p>
<h2>Une rage et un vide institutionnel</h2>
<p>La rage conduit <a href="https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient-56100/nuit-de-violences-a-lorient-a-quoi-bon-detruire-leur-propre-quartier-6383853.php">à détruire son propre quartier</a> devant les habitants qui condamnent mais « comprennent » et se sentent impuissants.</p>
<p>Dans tous les cas aussi se révèle un vide institutionnel et politique dans la mesure où les acteurs locaux, les élus, les associations, les églises et les mosquées, les travailleurs sociaux et les enseignants avouent leur impuissance et ne sont pas audibles.</p>
<p>Seule la révolte des Minguettes en 1981 avait débouché sur la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/marche_egalite.pdf">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a>. Mais depuis, aucun mouvement ne semble naître des colères.</p>
<p>Enfin, dans tous les cas aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/mort-de-nahel-la-choregraphie-tres-classique-des-reactions-politiques_5888596.html">chacun joue son rôle</a> : la droite dénonce la violence et stigmatise les quartiers et les victimes de la police ; la gauche dénonce les injustices et promet des politiques sociales dans les quartiers. Nicolas Sarkozy avait choisi la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/emeutes-urbaines-quatre-questions-sur-le-precedent-de-2005-qui-est-dans-toutes-les-tetes-8489821">police en 2005</a>, Macron a manifesté <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/06/28/jeune-tue-a-nanterre-rien-ne-justifie-la-mort-dun-jeune-declare-emmanuel-macron-11306938.php">sa compassion</a> pour le jeune tué par la police à Nanterre, mais il faut bien dire que les hommes politiques et les présidents ne sont guère entendus dans les quartiers concernés.</p>
<p>Puis le silence s’installe jusqu’à la prochaine fois où on redécouvrira à nouveau les problèmes des quartiers et ceux de la police. </p>
<h2>Des leçons à tirer</h2>
<p>La récurrence des émeutes urbaines et de leurs scénarios devrait nous conduire à tirer quelques leçons relativement simples.</p>
<p>Les politiques urbaines ratent leurs cibles. Depuis 40 ans, de <a href="https://www.capital.fr/immobilier/emeute-les-vraies-raisons-de-lechec-de-politique-de-la-ville-1473031">considérables efforts ont été consacrés à l’amélioration des logements et des équipements</a>. Les appartements sont de meilleure qualité, il y a des centres sociaux, des écoles, des collèges, des lignes de bus… Il est faux de dire que ces quartiers ont été abandonnés.</p>
<p>En revanche, la mixité sociale et culturelle des quartiers s’est plutôt dégradée. Le plus souvent, les habitants sont pauvres, précaires, et sont immigrés ou issus des immigrations successives.</p>
<p>Mais surtout, ceux qui « s’en sortent » quittent le quartier et sont remplacés par des habitants encore plus pauvres et venant d’encore plus loin. Le bâti s’améliore et le social se dégrade.</p>
<p>On répugne à parler de ghettos, mais le processus social à l’œuvre est bien celui <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-415.htm">d’une ghettoïsation</a>, d’un clivage croissant entre les quartiers et leur environnement, d’un entre soi imposé et qui se renforce de l’intérieur. On fréquente la même école, le même centre social, on a les mêmes relations, on participe à la même économie plus ou moins légale…</p>
<p>Malgré les moyens mobilisés et la bonne volonté des élus locaux, on se sent hors de la société en raison de ses origines, de sa culture, de sa religion… Malgré les politiques sociales et le travail des élus, les quartiers n’ont pas de ressources institutionnelles et politiques propres.</p>
<p>Alors que les <a href="http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uoh/paris-banlieues/u4/co/-module_1.html">banlieues rouges</a> étaient fortement encadrées par les partis, les syndicats et les mouvements d’éducation populaires, les quartiers n’ont guère de porte-voix. En tous cas, pas de porte-voix dans lesquels ils se reconnaissent : les travailleurs sociaux et les enseignants sont pleins de bonne volonté, mais ils ne vivent plus depuis longtemps dans les quartiers où ils travaillent.</p>
<p>Cette coupure fonctionne dans les deux sens et l’émeute révèle que les élus et les associations n’ont pas de véritables relais dans les quartiers dont les habitants se sentent ignorés et abandonnés. Les appels au calme sont sans échos. Le clivage n’est seulement social, il est aussi politique. </p>
<h2>Un constant face-à-face</h2>
<p>Dans ce contexte, se construit un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/nanterre-on-assiste-depuis-une-trentaine-d-annees-a-ce-face-a-face-entre-la-police-et-une-ultra-minorite-de-jeunes-qui-abiment-nos-quartiers-deplore-mokrane-kessi-france-des-banlieues_VN-202306290630.html">face à face entre les jeunes et les policiers</a>. Les uns et les autres fonctionnent comme des « bandes » avec leurs haines et leurs territoires.</p>
<p>L’État est réduit à la violence légale et les jeunes à leur délinquance réelle ou potentielle. La police est jugée « mécaniquement » raciste puisque tout jeune est a priori suspect. Les jeunes haïssent la police, ce qui « justifie » le racisme des policiers et la violence des jeunes. Les habitants voudraient plus de policiers afin d’assurer un peu d’ordre, tout en étant solidaires de leurs enfants.</p>
<p>Cette « guerre » se joue habituellement à niveau bas, mais quand un jeune est tué, tout explose et c’est reparti pour un tour, jusqu’à la prochaine révolte qui nous surprendra autant que les précédentes.</p>
<p>Il y a cependant quelque chose de nouveau dans cette répétition tragique. C’est d’abord la montée de l’extrême droite, pas seulement à l’extrême droite, avec un récit parfaitement raciste des révoltes de banlieue qui s’installe, qui parle d’ensauvagement et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/jordan-bardella-si-monsieur-darmanin-veut-lutter-contre-l-islamisme-alors-il-faut-maitriser-l-immigration_VN-202306280290.html">d’immigration</a>, et dont on peut craindre qu’il finisse par triompher dans les urnes.</p>
<p>La seconde nouveauté est la paralysie politique et intellectuelle de la gauche qui dénonce les injustices, qui, parfois, soutient les émeutes, mais qui ne semble pas avoir de solution politique à l’exception d’une réforme nécessaire de la police.</p>
<p>Tant que le processus de ghettoïsation se poursuivra, tant que le face-à-face des jeunes et de la police sera la règle, on voit mal comment la prochaine bavure et la prochaine émeute ne seraient pas déjà là.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des efforts pour améliorer les logements ont été réalisés dans les quartiers populaires, la mixité sociale et culturelle s'est dégradée. Reste un face à face entre les jeunes et la police.François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045902023-05-10T18:10:39Z2023-05-10T18:10:39ZIGPN : à quoi servent les enquêtes de la police des polices ?<p>L'« affaire Théo », concernant des violences volontaires de la part de trois policiers, impliqués dans l'interpellation violente <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/arrestation-violente-a-aulnay-sous-bois/proces-des-policiers-dans-l-affaire-theo-entre-coup-proportionnel-au-danger-et-geste-pas-reglementaire-la-defense-sur-le-fil-des-accuses_6309741.html">de Théo Luhaka en 2017, blessé à vie</a>, ainsi que d'autres affaires impliquant l'institution policière, interrogent <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/12/proces-de-l-affaire-theo-sur-la-legitimite-du-coup-de-matraque-l-igpn-contredit-l-igpn_6210409_3224.html">la façon dont les enquêtes sont menées par la police des polices, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)</a>. </p>
<p>Le 20 avril 2023, Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de cet organisme, annonçait sur France Info que son service conduisait 59 enquêtes judiciaires à propos d’agissements policiers en rapport avec le mouvement de contestation de la réforme des retraites, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/retraites-l-igpn-a-engage-59-enquetes-judiciaires-depuis-le-debut-des-manifestations_5781737.html">très grande majorité à Paris</a>.</p>
<p>Pour qui s’intéresse à l’institution policière, à ses dispositifs de contrôle et au maintien de l’ordre, l’information est intrigante : il y a 20 ans, un nombre bien plus réduit d’enquêtes était mené par l’Inspection générale des services (IGS, l’ancêtre parisienne de l’IGPN) à propos des mêmes types de comportements comme l’ont montré les données traitées dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/096687525">ma thèse</a>.</p>
<p>Pour l’heure, cette déclaration vise à assurer que l’action policière de maintien de l’ordre est sous contrôle, le chiffre inédit de 59 enquêtes étant la preuve concrète que l’institution s’occupe de ses « brebis galeuses » ; la cheffe de l’IGPN a ainsi assuré que l’inspection allait proposer des sanctions à l’encontre des fonctionnaires de la Brav-M enregistrés alors qu’ils tenaient des propos malveillants, menaçants et qu’ils se rendaient manifestement coupables de violences illégitimes, en raison de leur « comportement indigne […] contraire à l’exemplarité attendue ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Propos jugés choquants émanant de membres de la BRAV-M (<em>Complément d’enquête</em>, France Info TV, avril 2023).</span></figcaption>
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<p>Or, en premier lieu, un défi se pose aux enquêteurs : celui d’identifier les policiers mis en cause. Or malgré l’existence de traces écrites et/ou orales de l’organisation et de l’évolution des dispositifs de maintien de l’ordre, il peut être difficile d’établir avec certitude qui intervenait précisément sur telle ou telle charge. Et s’il existe maintenant de nombreuses captations vidéo permettant, en théorie, de faciliter l’identification – le port à géométrie variable du RIO – ou celui désormais récurrent de cagoules ignifuges en diminue l’efficacité. Puis, une fois une correspondance tracée entre des comportements dénoncés et des personnes, le travail d’enquête portant sur des allégations de violence se poursuit : il suppose de <a href="https://www.decitre.fr/livres/force-publique-9782717867701.html">distinguer</a> ce qui relève de l’intervention justifiée et proportionnée des usages illégitimes de la force physique.</p>
<h2>Un objet de suspicion dans le débat public</h2>
<p>Par ailleurs, les recherches de spécialistes de cette institution montrent que les enquêtes ouvertes pour des faits allégués de violence illégitime aboutissent rarement à des sanctions. Rappelons que l’IGPN n’est pas une instance disciplinaire mais un service d’investigation. C’est d’ailleurs à ce titre que l’institution – <a href="https://www.armitiere.com/livre/455226-la-police-combien-de-divisions--francis-zamponi-dagorno">très majoritairement composée de policiers</a> – est régulièrement soupçonnée de faire preuve de clémence envers les mis en cause, voire d’entretenir avec eux une connivence de mauvais aloi, l’amenant à couvrir nombre d’agissements illégitimes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tract de la Fédération anarchiste mettant en cause l’IGPN, Paris XXᵉ arrondissement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.de Bellaing</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Affiche sarcastique dans le XXᵉ arrondissement de Paris, mettant en cause l’IGPN" src="https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche sarcastique dans le XXᵉ arrondissement de Paris, mettant en cause l’IGPN.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.du Bellaing</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, c’est sous cet aspect que l’IGPN est devenue un objet récurrent du débat public, en particulier à la suite de ses rapports sur deux affaires particulièrement médiatisées.</p>
<p>D’une part, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescents-interpelles-a-mantes-la-jolie/">celle des 151 adolescents</a> de Mantes-la-Jolie interpellés en 2018 en marge d’une mobilisation lycéenne qui, dans l’attente de leur transfert vers des postes de police, avaient été contraints de se tenir à genoux, mains sur la tête ou menottés dans le dos.</p>
<p>D’autre part, celle sur la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/01/mort-de-steve-maia-canico-le-parquet-ouvre-la-voie-a-un-proces-en-correctionnelle_6152445_3224.html">mort de Steve Maia Caniço</a>, retrouvé noyé dans la Loire à Nantes après qu’une charge policière à 4 h du matin le soir de la fête de la musique 2019 et qui a conduit plusieurs personnes à tomber à l’eau.</p>
<p>Certes, il y a des précédents : l’IGS avait en son temps été <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/01/11/la-police-des-polices-au-c-ur-d-un-scandale-judiciaire_1628115_3224.html">au cœur de la tourmente</a> lorsqu’il avait été établi qu’elle avait échafaudé en 2007, sur commande politique, un stratagème pour évincer un fonctionnaire de police proche de <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/01/11/daniel-vaillant-soupconne-une-affaire-grave_1628338_1471069.html">l’homme politique Daniel Vaillant</a>. D’autres affaires émaillent depuis longtemps la vie des instances de contrôle interne de la police nationale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Affiche sur un mur du XXᵉ arrondissement de Paris mettant en cause l’IGPN" src="https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche sur un mur du XXᵉ arrondissement de Paris mettant en cause l’IGPN.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. du Bellaing</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Pour autant, jamais l’acronyme du service interne de contrôle, à la visibilité pourtant réduite (l’inspection ne dispose pas de site Internet, <a href="https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation/Inspection-generale-de-la-Police-nationale">seulement d’une page de liaison</a> permettant de soumettre une plainte), n’a été à ce point connu, et son action à ce point contestée. En outre, la <a href="https://www.lgdj.fr/polices-comparees-9782275046709.html">comparaison internationale</a> achève souvent d’enfoncer le clou des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/05/maintien-de-l-ordre-dans-les-autres-pays-d-europe-qui-controle-les-agissements-de-la-police_6168388_4355770.html">insuffisances du contrôle interne français</a>, en mettant en avant le rôle des instances externes de contrôle, plus indépendantes et dès lors réputées plus à même de conduire des enquêtes impartiales.</p>
<h2>Ce qu’en pensent les policiers eux-mêmes</h2>
<p>Il faut enfin ajouter à cette équation l’avis de nombre de policiers sur l’IGPN. La réputation de l’Inspection au sein de la plupart des services actifs n’est pas celle d’un service à la grande magnanimité ou témoignant d’accointances avec les mis en cause mais, à l’inverse, comme nous l’avons constaté au cours de nos enquêtes, celle d’une instance d’enquêteurs tâtillons qui font preuve, par leur travail acharné de débusquement, d’une scandaleuse rupture de solidarité avec le reste de l’institution.</p>
<p>Telles sont les composantes de la construction actuelle du contrôle interne de l’activité policière comme problème public. Une part importante de ce débat est consacrée à l’efficacité du contrôle, opposant celles et ceux qui se réjouissent que le contrôle fonctionne bien (certains estimant tout de même qu’il peut encore être amélioré <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2002-3-page-43.htm">par petites touches</a>), à d’autres qui font valoir que l’organisation, la composition et les méthodes de travail de l’IGPN empêchent, si ce n’est absolument en tout cas tendanciellement, un <a href="https://connexion.liberation.fr/autorefresh">véritable contrôle de s’exercer</a>.</p>
<p>Lorsque les enquêtes sont jugées insuffisantes, c’est souvent en raison de l’individualisation des responsabilités à laquelle elles aboutissent, laissant de facto de côté les interrogations sur les déterminations structurelles qui rendent possibles les comportements illégitimes. Seule une nouvelle répartition du travail d’enquêtes entre instances de contrôle semble alors à même d’accroître l’efficacité du contrôle de l’action policière.</p>
<h2>Vers une autre piste ?</h2>
<p>On voudrait suggérer ici une piste complémentaire sur la base d’une hypothèse : la sanction, ou sa menace, ne suffit pas à réguler un comportement illégal. Ce que l’on sait depuis longtemps concernant les phénomènes de délinquance comme en témoignent les longs débats aux États-Unis autour de la notion de <a href="https://ideas.dickinsonlaw.psu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2982&context=dlra">« deterrence »</a> (dissuasion).</p>
<p>Il faut dès lors trouver le moyen de changer les pratiques policières et les normes professionnelles qui les enserrent si on veut aboutir à une réduction drastique des comportements visés par les instances de contrôle.</p>
<p>Pour ce faire, il est impératif d’accroître les connaissances quant au fonctionnement de l’activité policière, de la part à la fois du public et de l’institution elle-même. Certes, nous ne manquons plus de travaux de sciences sociales sur le sujet mais nous savons qu’ils peinent parfois à franchir les portes de l’institution.</p>
<p>La suggestion est alors la suivante : les enquêtes de l’IGPN devraient servir non seulement à établir la culpabilité ou l’innocence de policiers mis en cause, mais pourraient aussi être utilisées comme des plongées investigatrices dans l’activité policière ordinaire.</p>
<p>Elles documenteraient ainsi utilement dans quelles circonstances des coups sont portés sans justification immédiate par les conditions de l’intervention, et porter l’interrogation en amont, à propos de l’organisation du travail et de son encadrement ; elles ouvriraient la discussion autour des réactions (ou de l’absence de réactions) du collectif policier dans lequel se trouve le fonctionnaire fautif ; elles illustreraient les mécanismes qui facilitent, ou à l’inverse, entravent l’exercice d’une violence illégitime ; elles renseigneraient sur les modalités concrètes de montées en tension entre forces de l’ordre et population. Elles pourraient, en somme, être mobilisées comme des vecteurs d’une meilleure autocompréhension du travail policier, de ses difficultés, de ses défaillances.</p>
<p>Évidemment, une telle perspective supposerait que ces enquêtes en soient effectivement, c’est-à-dire qu’elles ne s’arrêtent pas à la détermination d’une culpabilité ou d’une innocence individuelle, et que leur contenu soit intégralement recueilli par un organe interne à l’institution dont la tâche explicite serait de comprendre ce qui défaille lorsque des comportements illégitimes sont établis, et ce qui motive les plaintes lorsqu’elles sont déposées au sens où elles constituent les indices tangibles d’attentes sociales vis-à-vis de l’institution policière.</p>
<p>L’enjeu n’est pas mince : à un moment historique où l’action policière soulève des inquiétudes massives au sein de la société française, l’institution pourrait trouver dans ce cheminement réflexif une possibilité de prendre la mesure des défis de son temps en s’appuyant sur une matière riche : les enquêtes qu’elle conduit à propos d’elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Moreau de Bellaing a reçu des financements de Sciences Po Paris (2000) et de l'INHES (2004) en rapport avec les sujets abordés dans l'article. </span></em></p>L’IGPN, institution de contrôle des polices, est régulièrement soupçonnée de faire preuve de clémence envers les mis en cause, notamment parce que ses enquêtes demeurent peu accessibles.Cédric Moreau de Bellaing, Maître de conférences en sociologie du droit et en science politique , École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1978252023-02-19T17:01:02Z2023-02-19T17:01:02ZÉlection présidentielle au Nigéria : les questions sécuritaires au cœur du scrutin<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509227/original/file-20230209-14-1fcwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C0%2C5568%2C3692&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants du mouvement #EndSars dénonçant les violences policières font face à des militaires à Auchi, au Nigéria.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/auchi-edonigeria-10-20-2020-scene-1843304338">i_am_zews/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 9 janvier 2023, le directeur de la commission indépendante en charge des élections au Nigéria, Mahmood Yakubu, exprimait des doutes quant au maintien de l’élection présidentielle prévue le 25 février, en raison de la situation sécuritaire du pays. Il faut dire qu’au cours des dernières semaines, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/nigeria-trois-assaillants-tues-par-la-police-dans-l-attaque-d-un-bureau-de-la-commission-electorale-20221212">plusieurs attaques ont touché les bureaux</a> de cette commission.</p>
<p>Début novembre, les États-Unis <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/10/28/nigeria-washington-ordonne-le-depart-de-son-personnel-non-essentiel-de-la-capitale-abuja_6147632_3212.html">rapatriaient</a> leur personnel diplomatique « non essentiel » de la capitale fédérale, Abuja, à la suite d’analyses sécuritaires qu’ils se gardaient de dévoiler, entraînant le départ de cohortes de diplomates et businessmen occidentaux et africains. La presse nigériane publiait alors plusieurs tribunes <a href="https://leadership.ng/security-alerts-by-the-us-embassy-who-gains/">plus ou moins critiques à l’égard de Washington</a> ou, à l’inverse, alarmistes sur la <a href="https://dailytrust.com/the-lingering-insecurity-in-nigeria/">situation sécuritaire du pays</a>.</p>
<p>Cette année encore, la sécurité s’impose à la fois comme sujet central des débats politiques dans le pays le plus peuplé d’Afrique (219 millions d’habitants).</p>
<h2>Les trois principaux candidats</h2>
<p>Le président sortant Muhammadu Buhari, général en retraite aujourd’hui âgé de 80 ans, s’est fait élire en <a href="https://www.bbc.com/afrique/region/2015/05/150528_buhari_profile_inauguration">2015</a> et réélire en <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Nigeria-Muhammadu-Buhari-reelu-second-mandat-2019-02-27-1301005302">2019</a> sur la double promesse de mettre fin à la corruption et à <a href="https://www.voanews.com/a/nigeria-opposition-leader-vows-to-improve-security/2557090.html">l’insécurité dans le pays</a>.</p>
<p>Le bilan de ses mandats est défendu par le candidat de son parti, l’All Progressive Congress (APC), Bola Ahmed Tinubu, 70 ans officiellement, ancien gouverneur de Lagos (1999-2007), dont les <a href="https://saharareporters.com/2022/06/08/corruption-allegations-against-tinubu-linger-70-year-old-ex-lagos-governor-becomes-ruling">affaires de corruption</a> ont fait la une des journaux du pays dans les années 1990. Son principal adversaire (il y a 18 candidats au total) est Abubakar Atiku, 76 ans, candidat du People Democratic Party (PDP), au pouvoir entre 1999 et 2015. Au cours des huit premières années de cette période, Atiku occupa la fonction de vice-président oui. En embuscade, Peter Obi du <em>Labour Party</em>, 61 ans, bénéficie d’une dynamique de campagne positive et de soutiens parmi les plus jeunes générations, surnommés les <a href="https://dailypost.ng/2022/09/03/peter-obi-explains-meaning-of-obidient/">« Obidient »</a>. En l’état, aucun sondage ne semble fiable.</p>
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<p>Au Nigéria, une règle tacite veut qu’à un président nordiste (majoritairement musulman) succède un président sudiste (majoritairement chrétien). Cette alternance, en place depuis 24 ans voudrait que le président élu en 2023 soit du Sud et chrétien.</p>
<p>Or, le candidat sudiste Tinubu est musulman, tout comme son principal opposant du Nord, Atiku, et l’actuel président Buhari. Il se présente aux côtés d’un colistier musulman, formant un « muslim-muslim ticket ». Atiku, à l’inverse, est associé à un chrétien du Sud. La candidature du chrétien sudiste Peter Obi, dont le colistier est un musulman, paraîtrait idéale sur le papier s’il n’était pas également Igbo, une ethnie du Sud-Est (15 à 18 % de la population totale du pays), parfois associée aux ex-sécessionnistes du <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/nigeria-dans-un-climat-tendu-le-sud-est-du-pays-commemore-le-biafra-410789">Biafra</a>. Comment, alors, les Nigérians réagiront-ils à cette rupture des schémas traditionnels ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1100732329797001218"}"></div></p>
<h2>Quelles leçons tirer des élections passées ?</h2>
<p>Depuis <a href="https://www.france24.com/fr/20201001-ind%C3%A9pendance-du-nigeria-60-ans-apr%C3%A8s-retour-sur-l-histoire-de-l-ex-colonie-britannique">son indépendance en 1960</a>, l’histoire politique du Nigéria est marquée par une alternance entre des périodes « républicaines » et des autocraties militaires souvent installées par coups d’État. Le système politique actuel – la quatrième république – connaîtra en février sa septième élection présidentielle consécutive.</p>
<p>Les périodes électorales sont historiquement des moments d’instabilité où les violences sont fréquentes. Si la première élection de 1999 se déroule sans violence particulière, la réélection du président Obasanjo en 2003 est <a href="https://www.hrw.org/report/2004/06/01/nigerias-2003-elections/unacknowledged-violence">plus mouvementée</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/04/22/le-president-nigerian-obasanjo-reelu-sur-fond-de-fraude-electorale_317757_1819218.html">qualifiée de frauduleuse</a> par la plupart des observateurs.</p>
<p>Entre 2007 et 2022, on compte plus de 3 000 morts violentes liées aux périodes électorales selon <a href="https://www.nigeriawatch.org/index.php?html=15">Nigeria Watch</a>, base de données qui agrège depuis 2007 les morts violentes dans le pays, aucun « pattern », <a href="https://www.nigeriawatch.org/media/html/WP11Cohen.pdf">aucun motif (« pattern ») spécifique ne semble se vérifier d’une élection l’autre</a>.</p>
<p>Ainsi, lors de l’élection de 2007, considérée comme <a href="https://www.eods.eu/library/FR%20NIGERIA%202007_en.pdf">« peu fiable »</a> par les observateurs de l’UE, les actes de violence résultaient principalement de disputes intrapartis, notamment au sein du PDP. Il s’agit alors principalement de conflits entre « parrains » et « affiliés », c’est-à-dire de compétitions pour des ressources et des positions en interne au parti.</p>
<p>En 2011, à l’inverse, on comptabilise <a href="https://www.hrw.org/news/2011/05/16/nigeria-post-election-violence-killed-800">davantage d’événements violents postélectoraux</a>, notamment à la suite des bons résultats obtenus par le président sortant Goodluck Jonathan (PDP) dans le Nord du pays, considéré pourtant comme étant acquis à son opposant et futur président, Muhammadu Buhari.</p>
<p>En 2015, la victoire du candidat Buhari, à la tête de l’APC – dont le logo, un balai, incarne bien alors l’ambition de faire le ménage dans le pays après 16 ans de PDP – est également suivie de violences, toujours dans le Nord du pays, à la suite de mouvements de célébrations.</p>
<p>En 2019, le niveau de violence moyen était plus faible qu’aux élections précédentes bien que les résultats aient provoqué localement des <a href="https://www.hrw.org/news/2019/06/10/nigeria-widespread-violence-ushers-presidents-new-term">affrontements</a>. L’élection avait été alors <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Au-Nigeria-report-elections-aura-consequences-economiques-2019-02-17-1201003134">repoussée</a> du fait de retards dans l’acheminement du matériel électoral. Cette année, le vote devrait être en partie électronisé, ce qui soulève de nouveaux défis. Le pays étant connu pour <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220317-les-nig%C3%A9rians-face-%C3%A0-l-effondrement-de-leur-r%C3%A9seau-%C3%A9lectrique">son électicité publique défaillante</a>, les bureaux de vote devront se tourner vers des générateurs fonctionnant à l’essence. Alors que le pays manque de carburants raffinés, <a href="https://republic.com.ng/december-22-january-23/can-elections-be-postponed/">il est possible qu’en conséquence l’élection de 2023 soit à son tour décalée</a>.</p>
<h2>L’insécurité, premier thème de la campagne présidentielle</h2>
<p>Aux côtés de <a href="https://www.agenceecofin.com/marches/1311-102892-nigeria-linflation-se-situe-a-un-niveau-record-et-devrait-le-rester-sur-le-moyen-terme">l’inflation</a> et du coût de la vie, l’insécurité fait certainement partie des sujets les plus traités par les candidats des différents partis.</p>
<p>Il faut dire que les enlèvements, braquages et autres actes criminels sont fréquents dans le pays, tandis que les <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/05/1119402">violences terroristes dans le Nord</a>, les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/conflit-communautaire-dans-le-centre-du-nigeria-le-bilan-monte-a-45-morts-20211221">conflits pour des ressources territoriales dans le Centre</a>, et <a href="https://journals.openedition.org/africanistes/10800">pétrolières dans le Sud</a>, sont également responsables de plusieurs centaines de morts par an.</p>
<p>Pour autant, les trois candidats principaux proposent peu ou prou la même chose : augmenter les effectifs policiers et militaires, recourir davantage aux solutions technologiques.</p>
<p>Ces propositions se heurtent à deux problèmes. Tout d’abord, l’idée d’augmenter les effectifs comme les budgets n’est pas récente. Sous les mandats Buhari, le <a href="https://www.macrotrends.net/countries/NGA/nigeria/military-spending-defense-budget">budget de l’armée a considérablement augmenté</a>, passant de 4 à 16 trillions de naïras, soit environ 30 milliards d’euros, de la dernière année du quinquennat de Goodluck Jonathan à celle de Buhari, sans que cela se remarque proportionnellement sur le terrain, un certain nombre d’intermédiaires ayant <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/04/nigeria-15-milliards-de-dollars-detournes-de-la-lutte-contre-boko-haram_4913613_3212.html">détourné une partie des fonds</a>.</p>
<p>Ensuite, il n’est même pas certain qu’en augmentant le nombre de policiers ou de militaires, l’insécurité baisse. D’une part, l’augmentation du nombre de policiers entraîne automatiquement une augmentation des infractions relevées et par conséquent une inflation des statistiques de la criminalité. D’autre part, les policiers comme les militaires figurent parmi les <a href="https://fr.africanews.com/2022/09/15/nigeria-compensation-pour-les-victimes-de-violences-policieres/">premiers auteurs de violences</a>.</p>
<p>Si les violences policières sont décriées depuis longtemps dans le pays, chaque Nigérian pouvant y aller de son anecdote personnelle, elles ont attiré une attention particulière en 2020. Face aux exactions répétées et impunies d’une unité de police, les jeunes Nigérians étaient sortis dans la rue donnant naissance au mouvement <a href="https://www.jeuneafrique.com/1065643/societe/tribune-au-nigeria-les-violences-policieres-ne-doivent-pas-occulter-les-abus-de-la-lutte-antiterroriste/">#EndSars</a>, du nom de la brigade en question, finalement dissoute. Lors de ces manifestations, plus de <a href="https://www.odogwublog.com/200-endsars-protesters-killed-30-400-died-in-police-custodies-in-anambra/">200 manifestants avaient trouvé la mort</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4tjKLZ9Dj04?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Quant aux militaires, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/22/boko-haram-au-nigeria-qui-tue-qui-le-decompte-macabre-d-une-guerre-sale_6037441_3212.html">ils ont provoqué davantage de morts que les terroristes dans leur opposition à Boko Haram</a>. Cela s’explique par un manque de discernement dans leurs actions, qui s’apparentent parfois davantage à des représailles qu’à des actions ciblées, ainsi qu’à des <a href="https://www.france24.com/fr/20170117-nigeria-raid-aerien-accidentel-armee-nigeriane-morts-camp-deplaces-rann-msf">bombardements aériens</a> sur des zones trop approximatives.</p>
<p>Le manque de formation des forces de l’ordre, la corruption ou encore le défaut de coopération entre policiers et militaires expliquent en partie les dysfonctionnements sécuritaires du pays. Il n’est pas certain qu’en augmentant les budgets ou en mettant à disposition de ce personnel de nouveaux matériels, la situation s’améliore.</p>
<h2>Qu’attendre des élections de 2023 ?</h2>
<p>Le manque de popularité des deux principaux candidats, vétérans politiques septuagénaires auprès d’une population qui semble résignée d’avance semble devoir faire de l’abstention et de l’apathie les grands vainqueurs de cette élection. <a href="https://www.stears.co/premium/article/stears-poll-predicts-nigerias-next-president/">Un récent sondage donnant Peter Obi vainqueur</a> en cas de forte participation pourrait rendre le résultat incertain jusque dans les derniers jours.</p>
<p>Pourtant, comme le rappelait le chercheur Corentin Cohen, les <a href="https://www.nigeriawatch.org/media/html/WP11Cohen.pdf">violences électorales ne se limitent pas à la période de l’élection en elle-même</a>. Elles peuvent apparaître dès les primaires des partis, et s’étendre jusqu’à la proclamation des résultats. Ainsi, même s’il n’y a pas de « pattern » en matière de violence électorale au Nigéria, la situation sécuritaire du pays sera à observer de près au moins jusqu’à la transition prévue fin mai 2023…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le géant africain s’apprête à élire un nouveau président, dans un climat délétère. Chaque cycle électoral donne en effet souvent lieu à des violences qui se soldent parfois par un lourd bilan humain.Victor C. Eze, PhD, Research Fellow at IFRA-Nigéria, University of IbadanEnzo Fasquelle, Research associate NigeriaWatch & IFRA-Nigeria, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1989552023-02-07T19:30:54Z2023-02-07T19:30:54ZLes policiers noirs ont les mêmes préjugés anti-Noirs que la police et la société américaines<p>Violemment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/etats-unis-a-memphis-cinq-policiers-inculpes-apres-la-mort-de-tyre-nichols-un-afro-americain-de-29-ans_6159476_3210.html">interpellé à Memphis le 7 janvier pour conduite dangereuse</a> par cinq policiers noirs de l’unité « SCORPION », depuis dissoute, Tyre Nichols, un Afro-Américain de 29 ans, est mort trois jours plus tard des suites de ses blessures.</p>
<p>Aux États-Unis, la <a href="https://www.tf1info.fr/international/etats-unis-au-moins-1176-personnes-tuees-par-la-police-en-2022-un-record-2244167.html">police tue près de mille personnes par an</a>. Les Noirs sont sur-représentés parmi les tués, et spécialement parmi les victimes d’interpellations à la brutalité injustifiée. Le nom de Tyre Nichols vient ainsi s’ajouter à ceux de <a href="https://www.history.com/this-day-in-history/michael-brown-killed-by-police-ferguson-mo">Michael Brown</a>, de <a href="https://www.rollingstone.com/culture/culture-features/death-of-freddie-gray-5-things-you-didnt-know-129327/">Freddie Gray</a>, de <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220804-mort-de-l-afro-am%C3%A9ricaine-breonna-taylor-quatre-policiers-inculp%C3%A9s-par-la-justice-f%C3%A9d%C3%A9rale">Breonna Taylor</a>, de <a href="https://theconversation.com/la-mort-de-george-floyd-et-celle-du-reve-americain-139750">George Floyd</a> ou de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/29/affaire-jacob-blake-ce-que-l-on-sait-des-circonstances-qui-ont-conduit-aux-tirs-de-la-police_6050341_3210.html">Jacob Blake</a>, liste non exhaustive.</p>
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<a href="https://theconversation.com/mort-de-george-floyd-des-images-traumatisantes-de-sinistre-memoire-139887">Mort de George Floyd : des images traumatisantes de sinistre mémoire</a>
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<p>Dans chacune de ces affaires, la question des préjugés des policiers impliqués (majoritairement blancs) à l’égard des citoyens noirs a été mise en avant, suscitant le grand mouvement de protestation ayant pris pour slogan <a href="https://blacklivesmatter.com/">« Black Lives Matter »</a>. Mais le cas de Nichols est particulier en cela que les cinq policiers qui l’ont passé à tabac étaient tous eux-mêmes noirs. The Conversation a demandé à <a href="https://newsroom.asu.edu/expert/rashad-shabazz">Rashad Shabazz</a>, géographe et spécialiste en études afro-américaines, d’apporter son éclairage sur cette spécificité. </p>
<h2>Comment expliquer l’acharnement des policiers dans l’affaire Nichols ?</h2>
<p>Aux États-Unis, les structures chargées du maintien de l’ordre ont de tout temps considéré les Noirs américains comme des ennemis intérieurs.</p>
<p>Depuis les <a href="https://www.npr.org/transcripts/869046127">patrouilles dédiées à la surveillance des esclaves</a>, que certains historiens considèrent comme l’une des <a href="https://time.com/4779112/police-history-origins/">premières formes de maintien de l’ordre</a>, jusqu’à la <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/31/us/george-floyd-investigation.html">mort de George Floyd</a>, et maintenant celle de Tyre Nichols, les Noirs ont largement été perçus, selon la formule pudique du sociologue et militant des droits civiques W. E. B. Du Bois dans <a href="https://worldcat.org/en/title/1021060181"><em>The Souls of Black Folk</em></a>, comme un « problème ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1619590667000479746"}"></div></p>
<p>La société américaine part du principe que les Noirs sont <a href="https://doi.org/10.1177/1043986207306870">plus susceptibles de tomber dans la criminalité que les autres groupes ethniques</a>, ce qui nécessiterait, de la part de l’État et de ses représentants, mais aussi des simples citoyens, une vigilance accrue. Une perception qui s’est manifestée notamment dans le cas du <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3335323-20220808-meurtre-ahmaud-arbery-tireur-pere-condamnes-seconde-fois-perpetuite">meurtre d’Ahmaud Arbery, Afro-Américain tué par balles en 2020 par un policier à la retraite et son fils</a>.</p>
<p>Cette vision des choses, profondément ancrée dans les esprits aux États-Unis, et qui se manifeste par le fait que les hommes noirs sont <a href="https://news.wttw.com/2021/05/06/chicago-police-disproportionately-target-black-men-search-warrants-watchdog">pris pour cible de façon disproportionnée par la police</a>, n’épargne pas les <a href="https://spsp.org/news-center/character-context-blog/stereotypical-biases-black-people-toward-black-people">consciences des populations noires</a>. Si bien que même des policiers noirs peuvent avoir tendance à traiter les citoyens afro-américains avec une brutalité excessive.</p>
<h2>La violence des policiers à l’égard de Tyre Nichols a-t-elle été motivée par des préjugés anti-Noirs ?</h2>
<p>Il est difficile de comprendre ce qui a motivé les actes des policiers impliqués dans la mort de Nichols. Mais de <a href="https://www.npr.org/sections/live-updates-protests-for-racial-justice/2020/06/22/881643215/police-researcher-officers-have-similar-biases-regardless-of-race">nombreuses recherches</a> suggèrent que les <a href="https://www.bu.edu/antiracism-center/files/2022/06/Anti-Black.pdf">préjugés à l’égard des Noirs</a> sont prégnants au sein de la police aux États-Unis.</p>
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<p>Les officiers noirs, en tant que membres d’un <a href="https://theconversation.com/the-racist-roots-of-american-policing-from-slave-patrols-to-traffic-stops-112816">système institutionnellement raciste</a>, en sont <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2014/12/black-on-black-racism-the-hazards-of-implicit-bias/384028/">eux-mêmes affectés</a>. Cela pourrait expliquer pourquoi les <a href="https://www.openaccessgovernment.org/anti-black-bias/97383/">policiers noirs font preuve de plus de préjugés anti-Noirs</a> que le reste de la population noire.</p>
<p>Pour comprendre ce phénomène, le sociologue et théoricien de la culture Stuart Hall, avait qualifié la couleur de peau de « message ». En fonction de la couleur de peau d’une personne, <a href="https://www.alanalentin.net/2021/08/06/race-the-floating-signifier/">celle-ci est associée</a> à une série de représentations et des stéréotypes. Les Noirs, aux États-Unis comme <a href="https://www.opendemocracy.net/en/pandemic-border/how-Covid-19-exposed-chinas-anti-black-racism/">dans d’autres régions du monde</a>, représentent, pour beaucoup, le <a href="https://www.vox.com/explainers/2018/8/1/17616528/racial-profiling-police-911-living-while-black">danger, la menace et la criminalité</a>. En conséquence, des institutions comme le système de maintien de l’ordre répondent à la menace qu’ils perçoivent en présence de populations noires par la <a href="https://abcnews.go.com/US/driving-black-abc-news-analysis-traffic-stops-reveals/story?id=72891419">hausse de la fréquence des contrôles, le harcèlement et la violence</a>. </p>
<p>La surprise suscitée par la brutalisation d’un homme noir par cinq officiers de police eux-mêmes noirs souligne la compréhension limitée du racisme aux États-Unis.</p>
<h2>Quelles peuvent être les conséquences de la mort de Tyre Nichols sur les appels à accroître la diversité ethnique au sein de la police ?</h2>
<p>Depuis des années, des élus, des militants et des citoyens appellent à une réforme des services de police.</p>
<p>Nombreux sont ceux qui affirment que l’intégration d’une plus grande diversité ethnique dans les équipes de police contribuerait grandement à corriger le racisme institutionnel dans le système de justice pénale.</p>
<p>Ainsi, le rapport du <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/final-report-presidents-task-force-21st-century-policing">Groupe de travail sur la police au XXIᵉ siècle</a>, commandé par le président Barack Obama et publié en mai 2015, demandait aux institutions chargées de l’application de la loi de s’efforcer de recruter des effectifs diversifiés au niveau ethnique, mais aussi en fonction du sexe, de la langue, de l’expérience de vie ou encore de l’origine culturelle, afin d’améliorer la compréhension et l’efficacité. </p>
<p>Une étude récente a conclu que les <a href="http://doi.org/10.1126/science.abd8694">policiers noirs et hispaniques procèdent à moins de contrôles routiers</a> et font moins souvent usage de la force que leurs homologues blancs. Mais, dans le même temps, les policiers noirs vivent avec les mêmes stéréotypes considérant les Noirs comme des criminels en puissance et des menaces potentielles. Par conséquent, le simple fait d’avoir plus de policiers de couleur <a href="https://www.usnews.com/news/cities/articles/2020-02-05/is-hiring-more-black-officers-the-key-to-reducing-police-violence">ne suffira pas à résoudre le problème des violences et du racisme dans la police</a>.</p>
<h2>L’impact de la vidéo sur la communauté afro-américaine</h2>
<p>Au cours de la dernière décennie, les vidéos de personnes noires tuées par des policiers ont envahi les médias sociaux et les sites d’information. Pour certains, <a href="https://theconversation.com/pain-of-police-killings-ripples-outward-to-traumatize-black-people-and-communities-across-us-159624">celles-ci ne font qu’amplifier les craintes des Noirs</a> concernant leur sécurité et celle de leurs proches.</p>
<p>En effet, les meurtres perpétrés par la police sur des personnes noires non armées <a href="https://www.bu.edu/bulawreview/files/2020/05/09-HERD.pdf">sont des événements psychologiquement traumatisants</a> pour les Afro-Américains. Ces images devraient être un traumatisme pour l’ensemble des États-Unis. Mais si la couleur de peau de la victime est associée au danger et à la criminalité, qui aura de l’empathie pour les Tyre Nichols de ce monde ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198955/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rashad Shabazz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’affaire Tyre Nichols incite à s’interroger sur la façon dont les jeunes Américains noirs sont perçus par les policiers noirs.Rashad Shabazz, Associate Professor at the School of Social Transformation, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943052022-11-24T14:11:38Z2022-11-24T14:11:38ZCombattre le racisme systémique en se mettant dans la peau de l’autre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496862/original/file-20221122-22-ts9kpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2995%2C2149&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des gens manifestent à la suite de l'arrestation, puis de la libération de Mamadi III Fara Camara, à Montréal. Il est considéré par certains comme un cas de profilage racial de la police de Montréal, même si une enquête n'est pas arrivée à cette conclusion.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Deux récents événements ont remis à l’avant-scène la question du profilage racial au Québec.</p>
<p>D’abord, la décision de la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1927763/policiers-automobilistes-jugement-cour-discrimination">Cour supérieure du Québec</a>, en octobre dernier, d’interdire les interceptions aléatoires sans motif réel des automobilistes par le corps policier. Le juge Michel Yergeau a conclu que ces interceptions mènent au profilage racial à l’encontre de la communauté noire.</p>
<p>Quelques jours plus tard, l’affaire <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1930966/brice-dossa-menotte-arrestation-profilage-racial-enquete">Brice Dossa</a> a fait les manchettes. Cette personne noire a été menottée dans le stationnement d’un centre commercial par deux policiers du SPVM qui le soupçonnaient d’avoir volé… sa propre voiture.</p>
<p>L’existence, ou pas, du profilage racial et de son pendant, le racisme systémique, ne font pas l’unanimité au Québec. Le premier ministre <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-10-05/mort-de-joyce-echaquan/on-ne-peut-pas-pretendre-que-le-systeme-dans-son-ensemble-est-raciste.php">François Legault en nie toujours l’existence</a>, au contraire du chef de Québec solidaire, <a href="https://www.assnat.qc.ca/en/video-audio/archives-parlementaires/activites-presse/AudioVideo-91441.html">Gabriel Nadeau-Dubois</a>, qui estime que le racisme systémique discrimine des personnes en raison de leur origine ou de leur apparence physique.</p>
<p>Comme disait l’écrivain et ethnologue malien <a href="https://journaldunebookaddict.com/2019/09/20/oui-mon-commandant-les-memoires-ii-de-amadou-hampate-ba/">Amadou Hampâté Bâ</a>, il y a trois vérités : « ma vérité, ta vérité, et la vérité ». Or, les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2020-v31-n2-nps05980/1076643ar/">données sur le racisme systémique</a>, de même que les témoignages des personnes et des groupes qui le subissent, démontrent son existence au Québec.</p>
<p>Enseignant et doctorant à l’Université du Québec à Montréal, je m’intéresse notamment aux enjeux de l’inclusion des personnes racisées, du racisme et de la discrimination.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Leslie Blot, un citoyen de Mascouche, a remporté une plainte pour profilage racial contre la ville de Repentigny, en juillet 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<h2>Le racisme comme dévalorisation de l’Autre</h2>
<p>Le mot « racisme » est peu défini, ce qui ne simplifie pas sa reconnaissance. En s’inspirant de la célèbre <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/ignorance-mene-peur-peur-mene-haine-haine-conduit-violence-equa-76183.php">équation du penseur andalou du XIIᵉ siècle Averroèse</a>, le racisme s’articule autour de la crainte du différent, car l’ignorance de l’Autre suscite la peur et conduit à l’hostilité et à l’agressivité.</p>
<p>Mais, pour reprendre la comparaison de l’écrivain et essayiste franco-tunisien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Memmi">Albert Memmi</a> dans son ouvrage <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/le-racisme-memmi-albert-9782070328543"><em>Le racisme</em></a>, c’est aussi un jeu de pouvoir semblable à l’oscillation d’une balançoire qui, pour élever l’un, il faut abaisser l’autre.</p>
<p>Albert Memmi a proposé une définition du racisme qui est devenue d’usage courant : le racisme est la (dé)valorisation d’une différence en faveur de l’accusateur et au préjudice de sa victime pour légitimer une oppression (privilège ou domination). Cette différence peut être réelle ou supposée, biologique ou culturelle, mais elle est généralisée et définitive, c’est-à-dire que la différence d’un individu est définitivement étendue au groupe auquel il appartient.</p>
<p>Cette définition dévoile le mécanisme général sous-tendant le racisme : la catégorisation des personnes à partir de leurs différences, leur hiérarchisation et la discrimination.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La statue de Sir John A. MacDonald est démontée à la suite d’une manifestation à Montréal, le 29 août 2020. Il est désormais perçu comme un politicien raciste, notamment envers les francophones et les autochtones.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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<p>Selon l’<a href="https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26558195">Office québécois de la langue française</a>, le racisme systémique est une discrimination fondée sur la race découlant d’objectifs ou de pratiques organisationnelles, institutionnelles, étatiques ou des acteurs sociaux. La <a href="https://www.cdpdj.qc.ca/fr/formation/accommodement/Pages/html/formes-discrimination.html">Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse</a> précise que la discrimination est systémique parce qu’elle est le résultat de plusieurs effets excluant les membres d’un groupe de façon disproportionnée en raison de leurs différences. Ces effets préjudiciables découlent de la conjugaison d’attitudes marquées de stéréotypes et de préjugés, conscients ou inconscients, de pratiques et de politiques ne prenant pas en considération les caractéristiques des membres du groupe ciblé.</p>
<h2>Interroger le privilège blanc</h2>
<p>La race humaine comme réalité objective ou biologique n’existe pas, mais elle a été théorisée comme une « science » au XIX<sup>e</sup> siècle. Le mot « race » dans son acception biologique a été longtemps utilisé pour justifier une soi-disant supériorité ou infériorité de personnes ou de groupes. Jusque dans les années 1950, on apprenait à l’école québécoise qu’il existait plusieurs races humaines et que la <a href="https://nosancetresii.wordpress.com/2019/01/09/negre-et-arriere/">« race » noire était la plus arriérée</a>.</p>
<p>Cette catégorisation sociale qui fige les membres d’un groupe dans une différence stigmatisante est un processus appelé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Racisation">« racisation »</a>. Comme l’a montré la sociologue française <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/l-ideologie-raciste-guillaumin-colette-9782070422302">Colette Guillaumin</a>, elle s’appuie sur l’idée de race, au sens sociologique, et mobilise des marqueurs de différence réels ou supposés permettant de catégoriser et hiérarchiser socialement les personnes selon des rapports de pouvoir inégaux.</p>
<p>Pour quelqu’un qui ne subit pas de racisation, le racisme systémique pourrait être une simple question de perception. Mais, comme dit le philosophe français <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nom%C3%A9nologie_de_la_perception">Maurice Merleau-Ponty</a>, l’acte perceptif est une voie d’accès fiable à la réalité. Nommer le racisme systémique, c’est aussi interroger les privilèges qu’une histoire de colonialisme et d’esclavage a conférés au groupe dominant. Ses membres sont souvent dans une zone d’inconfort, jusqu’à passer sous silence l’expérience du racisme. C’est ce que la sociologue américaine Robin DiAngelo appelle la <a href="https://cjf.qc.ca/vivre-ensemble/webzine/article/livre-fragilite-blanche-de-robin-diangelo-recension/#_ftn1">« fragilité blanche »</a>.</p>
<h2>Un racisme tacite, insidieux et sournois</h2>
<p>Selon de nombreuses recherches, <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2021-v31-n2-nps05980/">dont celles publiées en avril 2021 dans la revue Nouvelles pratiques sociales</a>, le racisme systémique existe bel et bien au Québec et se manifeste par la discrimination que les personnes racisées subissent.</p>
<p><a href="https://eriqa.org/_teams/eid-paul/">Le sociologue Paul Eid</a>, professeur à l’UQAM et membre du <a href="https://ieim.uqam.ca/auteur/criec/">Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté</a> (CRIEC) <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rs/2012-v53-n2-rs0287/1012407ar/">a démontré dans une étude publiée en 2012</a> que les personnes aux noms à consonance franco-québécoise ont au moins 60 % plus de chances d’obtenir un entretien d’embauche que les personnes aux noms à consonance arabe, africaine et latino-américaine.</p>
<p><a href="https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">Un rapport remis en 2019 au SPVM</a> fait l’analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal en matière de profilage racial. On y conclut que les personnes noires, arabes et autochtones sont sur interpellées par la police.</p>
<p>Ces données factuelles indiquent que le racisme a une portée systémique et non systématique. Ainsi, le racisme systémique ne signifie pas que le système dans son ensemble est raciste, mais que le racisme est présent dans le système vu l’<a href="https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/46829">histoire raciste</a> dont il a héritée. Sauf qu’il passe souvent sous le radar des institutions parce qu’il est tacite, insidieux et sournois.</p>
<p>Ainsi, les inégalités de traitement ne s’opèrent pas en dehors du système, mais bien en son sein. L’affaire <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/dossier/1007399/joyce-echaquan-atikamekw-sante-racisme">Joyce Echaquan</a>, <a href="https://www.coroner.gouv.qc.ca/fileadmin/Enquetes_publiques/2020-EP00275-9.pdf">victime de racisme systémique</a>, l’a bien démontré.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-principe-de-joyce-pour-une-approche-de-soins-securitaire-et-libre-de-discrimination-147826">Le principe de Joyce : pour une approche de soins sécuritaire et libre de discrimination</a>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme assiste à une vigile devant l’hôpital où Joyce Echaquan est morte à Joliette, au Québec, le mardi 29 septembre 2020, après avoir fait l’objet de remarques dégradantes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Paul Chiasson</span></span>
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<h2>Prendre des mesures concrètes pour combattre le racisme</h2>
<p>Lorsqu’un système semble reproduire et maintenir des inégalités qui excluent, marginalisent ou défavorisent de manière disproportionnelle les membres d’un groupe, c’est que son fonctionnement global doit être remis en question.</p>
<p>Il faut alors prendre des mesures de redressement de nature systémique en s’assurant de la représentativité des personnes et groupes ciblés au sein des systèmes et en mettant en place des outils organisationnels pour l’équité, la diversité et l’inclusion.</p>
<p>À ce sujet, dans la foulée des travaux de l’Office de consultation publique de Montréal, une fonction de <a href="https://montreal.ca/unites/bureau-de-la-commissaire-la-lutte-au-racisme-et-aux-discriminations-systemiques">commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques</a> a récemment été créée. Pour lutter contre le racisme systémique et promouvoir l’équité, l’Ontario dispose d’une stratégie antiraciste dont la <a href="https://www.ontario.ca/laws/statute/17a15">« Loi de 2017 contre le racisme »</a> et la <a href="https://www.ontario.ca/page/ontario-public-service-anti-racism-policy">Politique de la fonction publique pour lutter contre le racisme</a>.</p>
<p>Mais il faudra avant tout que nous cessions d’écouter que nous-mêmes et que nous fassions l’effort de se mettre dans la peau de l’autre, car, comme <a href="https://journaldunebookaddict.com/2019/09/20/oui-mon-commandant-les-memoires-ii-de-amadou-hampate-ba/#:%7E:text=Ce%20sont%20des%20croissants%20de,autrement%20dit%20de%20la%20V%C3%A9rit%C3%A9.">Amadou Hampâté Bâ</a> disait :</p>
<blockquote>
<p>Ma vérité, comme ta vérité, ne sont que des fractions de la vérité. Ce sont des croissants de lune situés de part et d’autre du cercle parfait de la pleine lune.</p>
</blockquote>
<p>C’est là, très exactement, la prise de conscience qui s’impose pour un système plus juste, équitable, inclusif et antiraciste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194305/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdel Hakim Touhmou a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p>La race humaine comme réalité biologique n’existe pas, mais la catégorisation sociale qui fige les membres d’un groupe dans une différence stigmatisante, appelé « racisation », existe bel et bien.Abdel Hakim Touhmou, Chargé de cours et doctorant en éducation (Ph.D.), Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1850972022-06-21T19:21:24Z2022-06-21T19:21:24ZViolence et police : un problème d’encadrement juridique<p>La mort de Nahel M., 17 ans, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/live/2023/06/28/adolescent-tue-par-la-police-a-nanterre-les-dernieres-informations-et-reactions-en-direct_6179556_3224.html">abattu à Nanterre</a> le mardi 27 juin 2023 par un policier lors d'un contrôle de son véhicule (enquête en cours) a suscité une vive émotion publique et plusieurs incidents dans de nombreuses communes des Hauts-de-Seine.</p>
<p>Depuis une petite dizaine d’années, la question des « violences policières » s’est imposée sur le devant de la scène, portée par des collectifs constitués après le décès de certaines personnes à la suite d’une intervention policière – à l’image de l’emblématique <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/comment-le-comite-adama-traore-a-pris-la-tete-des-mobilisations-contre-les-violences-policieres-et-le-racisme-7083988">« comité Adama »</a> – mais aussi par les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ayant émaillé le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/KEMPF/59541">mouvement des « gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Pourtant, cette présence renouvelée dans le débat public ne se traduit guère par une élévation de son niveau. Singulier paradoxe de notre temps, il semblerait au contraire que plus la discussion est nécessaire, plus elle est ensevelie sous la polémique médiatique. D’un côté, appuyés par les médias de masse et nombre de politiciennes et politiciens, les principaux syndicats de policiers <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/12/07/la-grosse-colere-des-syndicats-policiers-contre-macron_1807896/">réfutent l’idée même de violences policières</a>, réduisant toute critique de la façon dont est exercée la force publique à l’expression d’une supposée « haine des flics ».</p>
<p>De l’autre, certains discours militants tendent à présenter les brutalités policières comme inhérentes à la fonction, développant une acception essentialiste que résume assez bien le slogan suivant lequel « la police tue » et qui est, lui aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/melenchon/la-police-tue-comment-la-polemique-sur-le-refus-d-obtemperer-s-est-deplacee-sur-le-terrain-politique_5184763.html">repris par certains membres de la classe politicienne</a>.</p>
<h2>Des prises de position dogmatiques ?</h2>
<p>Symétriques et stéréotypées, de telles prises de position relèvent, au-delà de leur antagonisme de façade, d’un même dogmatisme. L’une comme l’autre témoigne en effet d’une réticence ou, à tout le moins, d’une indifférence à la compréhension du phénomène qui se donne à voir jusque dans l’usage des mots employés. Présenter le seul fait que « la police tue » comme une marque d’infamie est tout aussi ridicule que de feindre de s’émouvoir qu’on puisse le penser. Dans un État de droit, la fonction des forces de police et de gendarmerie est précisément d’exercer, concrètement, ce fameux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-violence-legitime-de-l-etat-de-max-weber-8101512">monopole de la violence légitime théorisé en son temps par Max Weber</a>. Une violence qui peut prendre la forme d’une contrainte essentiellement morale – le fait d’obéir aux injonctions du gendarme – mais peut aussi se traduire par l’infliction de blessures ou, dans les cas les plus extrêmes, de la mort.</p>
<p>D’un point de vue démocratique, la question n’est donc pas de savoir si les forces de l’ordre commettent ou non des violences, mais si le cadre légal dans lequel ces violences sont exercées garantit suffisamment que, sous le contrôle du juge, elles demeurent strictement nécessaires et proportionnées à la mission des autorités de police. Une mission, qui, comme le rappelle l’article 12 de la <a href="https://www.lexbase.fr/texte-de-loi/ddhc-26-08-1789-art-12/L1359A99.html">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>, n’a – ou ne devrait – avoir d’autres fins que l’application des lois et, à travers elle, la garantie des droits et libertés des citoyens.</p>
<p>C’est en effet à cette condition – et à cette condition seulement – que la violence d’État pourra être regardée comme légitime.</p>
<p>C’est dans cette perspective qu’il faut soumettre notre système répressif à un examen critique pour apprécier sa capacité à prévenir et sanctionner efficacement ce qu’il faut désigner non comme des « violences policières » mais, bien plus précisément, comme des abus dans l’exercice de la force publique.</p>
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<h2>Vérifier les cadres d’usage des armes à feu</h2>
<p>Répondre à cette question suppose en premier lieu de vérifier si les cas dans lesquels les services de police et de gendarmerie peuvent faire usage de leurs armes à feu sont définis de façon suffisamment stricte. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000034107970/">L’article L.435-1</a> du code de la sécurité intérieure énonce de façon exhaustive et relativement précise ces hypothèses. À côté de la situation de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417218">légitime défense</a> – caractérisée par une riposte immédiate et proportionnée à une menace réelle et imminente pour la vie ou l’intégrité physique d’une personne – les policiers peuvent ouvrir le feu s’il s’agit de l’unique moyen d’assurer la protection des individus ou des bâtiments dont ils ont la garde ou d’arrêter une personne prenant la fuite.</p>
<p>La loi précise en outre que le tir doit, dans tous les cas, être proportionné (par exemple, les policiers ne peuvent viser le conducteur si tirer sur les roues suffit pour immobiliser le véhicule du fuyard).</p>
<p>Reprenant largement les <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-104099">exigences</a> de la Cour européenne des droits de l’homme, ces différentes hypothèses garantissent, a priori, la légitimité de l’exercice de la force.</p>
<h2>Quand l’exception devient la règle</h2>
<p>Tel n’est pas le cas, en revanche, de la dernière hypothèse visée par le code de sécurité intérieure et qui permet aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes pour :</p>
<blockquote>
<p>« empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable ».</p>
</blockquote>
<p>Promue en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl3473.asp">2016</a> comme permettant de donner une base légale au tirs effectués à l’encontre des auteurs de crimes terroristes comme le massacre du Bataclan de novembre 2015 – alors même que la légitime défense en l’espèce n’est ni contestée, ni contestable – cette hypothèse est désormais d’application générale alors que le seul cas de figure où elle pourrait légitimement s’appliquer est celle d’un crime de masse comme celui du Bataclan.</p>
<p>Or, dans le temps de l’action, il est strictement impossible pour l’auteur d’un tir de savoir s’il est face à une tentative d’homicide ou de « simples » violences. Il s’ensuit un risque d’usage disproportionné de la force ou, inversement, de mise en cause imprévisible de la responsabilité pénale de policiers ou de gendarmes qui, de bonne foi, auront cru agir dans le cadre de la loi.</p>
<h2>Des failles dans la mise en application</h2>
<p>Mais c’est avant tout au niveau de la mise en application du cadre légal que notre système présente les failles les plus importantes. Lorsqu’un policier ou gendarme recourt à la force en dehors des hypothèses prévues par la loi ou de façon disproportionnée, il commet alors une infraction pénale, qu’il s’agisse du délit de violences volontaires, passible d’une peine pouvant aller <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045071409">jusqu’à dix ans</a> ou, dans le pire des cas, du crime de meurtre, passible d’une peine de trente ans de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417561">réclusion criminelle</a>.</p>
<p>Or la façon dont les enquêtes concernant les crimes et délits commis par les forces de l’ordre sont aujourd’hui menées en France ne garantit pas suffisamment leur impartialité. D’une part, ce sont toujours des policiers ou des gendarmes qui enquêtent sur d’autres policiers ou gendarmes – en principe, les inspections générales de police nationale ou de la gendarmerie nationale. D’autre part, les investigations sont la plupart du temps placées sous la supervision d’une autorité, le procureur de la République, qui ne bénéficie elle-même <a href="https://journals.openedition.org/revdh/8612">d’aucune garantie d’indépendance à l’égard du gouvernement</a> et, partant, du ministère de l’Intérieur. Les magistrats du parquet sont en effet placés sous l’autorité directe d’un autre membre du pouvoir exécutif, le ministre de la Justice, seul compétent pour décider de leur nomination ou d’éventuelles sanctions disciplinaires.</p>
<h2>Modifier les instances de contrôle</h2>
<p>En définitive, seules les procédures confiées à un juge d’instruction – magistrat statutairement indépendant – offrent aujourd’hui des garanties suffisantes d’impartialité. C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnes demandent que les investigations relatives aux abus dans l’exercice de la force soient confiées <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/285317-police-l-igpn-et-son-devenir">à un service d’enquête complètement indépendant</a>, comme ce qui a été mis en place chez certains de nos voisins européens, à l’image de l’<em>Independant Office for Police Conduct</em> britannique.</p>
<p>Inversement, celles et ceux qui militent aujourd’hui pour l’assouplissement du cadre légal existant revendiquent en réalité une pratique policière incompatible avec les exigences de l’État de droit démocratique. En particulier, la « présomption de légitime défense » proposée par le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/09/la-legitime-defense-des-policiers-revient-dans-le-debat_6125273_3224.html">Rassemblement national et la plupart des syndicats policiers</a> reviendrait à empêcher toute poursuite à l’encontre des auteurs de tirs quel que soit leur justification ou leur proportion, leur garantissant ainsi une impunité qui ne s’observe que dans les régimes autoritaires.</p>
<p>Mais pour s’opposer à une telle évolution, il est nécessaire de dépasser la simple condamnation morale des « violences policières » et, plus encore, de se garder de toute assimilation de telles dérives à une entière profession.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185097/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question n’est pas de savoir si les forces de l’ordre commettent ou non des violences, mais si le cadre légal dans lequel ces violences sont exercées garantit leur légitimité dans une démocratie.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1571642021-03-16T19:14:16Z2021-03-16T19:14:16ZMort de George Floyd : une condamnation historique dans une société divisée<p>Si le décès de George Floyd, le 25 mai 2020, a eu un tel retentissement aux États-Unis et <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200606-manifestations-le-monde-entier-rend-hommage-%C3%A0-george-floyd">dans le monde</a>, c’est en raison du caractère insupportable de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vksEJR9EPQ8">vidéo</a> d’un policier blanc, Derek Chauvin, qui, tranquillement, les mains dans les poches, maintient son genou sur le cou d’un homme noir, menotté et plaqué au sol pendant <a href="https://www.usatoday.com/story/news/2021/04/19/derek-chauvin-trial-closing-arguments-kenosha-and-austin-shooting-suspects-arrested-nasa-monday-news/7281337002/">9 minutes et 29 secondes</a>. Et ce, malgré les supplications de ce dernier qui, avant de perdre connaissance, a réussi à prononcer ces mots qui, par la suite, seront repris par des manifestants un peu partout sur la planète : « Je ne peux pas respirer. »</p>
<p>Près de dix mois plus tard, Derek Chauvin – qui a été limogé de la police au lendemain du drame, incarcéré cinq mois puis remis en liberté sous caution dans l’attente de son jugement – vient d'être jugé pour meurtre devant un tribunal de Minneapolis. Après plusieurs semaines de procès, il a finalement été déclaré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/20/mort-de-george-floyd-le-policier-derek-chauvin-reconnu-coupable-de-meurtre-par-le-jury_6077467_3210.html">coupable</a> des trois chefs d’accusation pour lesquels il comparaissait. </p>
<h2>Une affaire exceptionnelle</h2>
<p>Les conséquences immédiates de la mort de George Floyd et de la diffusion de l’enregistrement vidéo des faits effectué par des passants ont été un nombre historique de manifestations dans tout le pays (<a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/07/03/us/george-floyd-protests-crowd-size.html">entre 15 et 25 millions</a> de personnes) rassemblant des Américains de <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/06/24/recent-protest-attendees-are-more-racially-and-ethnically-diverse-younger-than-americans-overall/">toutes origines ethniques et souvent jeunes</a>. Ces défilés ont parfois été accompagnés de violences et de destructions, notamment à <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/03/us/minneapolis-government-george-floyd.html">Minneapolis</a> ou à <a href="https://edition.cnn.com/2020/07/25/us/portland-stabbing-protest-tear-gas/index.html">Portland</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bEDuXnXPcqY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Autre record historique : les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/12/la-famille-de-george-floyd-obtient-27-millions-de-dollars-de-dommages-et-interets_6072955_3210.html">27 millions de dollars</a> de dommages et intérêts versés par la ville de Minneapolis à la famille de George Floyd qui met fin aux poursuites au civil que celle-ci avait engagées contre la municipalité.</p>
<p>Le caractère exceptionnel de l'affaire est également souligné par la décision du juge d’autoriser les caméras lors d'un procès au pénal, faisant ainsi exception aux règles normalement en vigueur dans le Minnesota. Décision prise au regard de l’intérêt manifeste du public et des limitations liées au coronavirus : une situation que le juge qualifie de <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2021/03/07/courttv-trial-chauvin-floyd/">« pas seulement anormale, mais tout à fait unique »</a>. Ce procès a également vu <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?next_url=https%3a%2f%2fwww.washingtonpost.com%2fnation%2f2021%2f04%2f11%2fderek-chauvin-trial-thin-blue-line%2f">se fissurer le « mur bleu »</a>, ce mur du silence corporatiste construit par le refus traditionnel des policiers de condamner l’un de leurs collègues. </p>
<p>Enfin, la condamnation d’un policier est une chose extrêmement rare. La plupart du temps, les policiers sont poursuivis pour meurtre à la suite de fusillades où ils peuvent invoquer la menace d’un danger pour leur vie ou celle d'autres personnes - que cette menace soit avérée ou non.</p>
<p>Comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4sWGSJsLo8A">l’a dit Joe Biden</a> à la suite du verdict :</p>
<blockquote>
<p>« Un tel verdict est également beaucoup trop rare pour un très grand nombre de personnes. Il semble qu'il ait fallu une convergence unique et extraordinaire de facteurs. »</p>
</blockquote>
<h2>Des chefs d’inculpation défavorables à la défense</h2>
<p>Derek Chauvin a été reconnu coupable des trois chefs d’inculpation :</p>
<p>Le plus sérieux est le <a href="https://www.revisor.mn.gov/statutes/cite/609.19">meurtre (<em>murder</em>) au second degré</a>, à savoir l’accusation d’avoir « causé la mort d’un être humain sans intention de la donner, tout en infligeant ou en tentant d’infliger intentionnellement des lésions corporelles à la victime ».</p>
<p>Le moins grave est <a href="https://www.revisor.mn.gov/statutes/cite/609.205">l’homicide (<em>manslaughter</em>) involontaire au second degré</a>, qui consiste à causer la mort par négligence.</p>
<p>Le troisième chef d’accusation, tardivement accepté par le juge, est le <a href="https://www.revisor.mn.gov/statutes/cite/609.195">meurtre au troisième degré</a>, à savoir « un acte éminemment dangereux pour autrui et dénotant un esprit dépravé, sans égard pour la vie humaine, causant la mort d’une autre personne sans intention de la donner » – une catégorie qui n’existe que dans trois États dont le Minnesota. Ce dernier chef d’accusation se situe entre les deux premiers en termes de gravité et il offre une nouvelle possibilité aux jurés de trouver un compromis dans leur verdict en cas de désaccord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1266441911793049603"}"></div></p>
<p>Le juge ne devrait pas annoncer la sentence avant plusieurs semaines. Chauvin risque jusqu'à 40 ans de prison pour meurtre au second degré, jusqu'à 25 ans pour meurtre au troisième degré et jusqu'à 10 ans pour homicide involontaire.</p>
<h2>Une sélection des jurés délicate</h2>
<p>La sélection des 12 jurés et des 4 remplaçants, également télévisée, a commencé le 8 mars. C’était un processus particulièrement délicat : il fallait en effet s’assurer de l’impartialité du jury dans une affaire qui était au cœur de l’actualité depuis plusieurs mois.</p>
<p>Il ne s’agissait donc pas de trouver des jurés qui n’en ont pas entendu parler, ce qui serait impossible, mais qui pouvaient démontrer une certaine forme d’impartialité.</p>
<p>Les jurés potentiels ont dû remplir un <a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/george-floyd-derek-chauvin-jury-questions/4c54ccb3edf65018/full.pdf">questionnaire de 14 pages</a> et être interrogés par les deux parties, qui peuvent demander au juge de les récuser. Plusieurs <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/mar/09/george-floyd-derek-chauvin-trial-jury">l’ont été</a>, principalement en raison d’opinions trop négatives sur l’accusé. Le juge a dû veiller à ce que le jury soit représentatif, notamment dans une affaire où la question raciale est essentielle, dans un comté qui compte à peu près <a href="https://www.census.gov/quickfacts/hennepincountyminnesota">14 % de Noirs</a>. Sur les <a href="https://www.npr.org/sections/trial-over-killing-of-george-floyd/2021/04/20/989149400/what-we-know-about-the-jurors-in-the-chauvin-trial">douze jurés</a>, six étaient blancs, quatre étaient noirs et deux s'identifiaient comme multiraciaux. Cinq sont des hommes et sept des femmes. </p>
<h2>Au cœur du procès : la cause de la mort de George Floyd</h2>
<p>La défense a concentré son argumentation sur l’idée que Chauvin a agi comme <a href="https://apnews.com/article/us-news-trials-death-of-george-floyd-racial-injustice-us-supreme-court-8ee9b9b218e92faa434d241ef55f5488">« un officier de police raisonnable »</a>, une expression utilisée pour une justification légale de l’usage de la force depuis l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1988/87-6571">Graham v. Connor (1989)</a> de la Cour suprême qui en définit les normes. </p>
<p>Les deux autopsies, l’une effectuée à la demande de la famille Floyd et <a href="https://fr.scribd.com/document/464472105/Autopsy-2020-3700-Floyd">l’autre par le comté de Hennepin</a> (le chef-lieu de Minneapolis), concluent à un homicide mais <a href="https://fivethirtyeight.com/features/the-two-autopsies-of-george-floyd-arent-as-different-as-they-seem/">diffèrent sur des détails et sur les mots choisis</a>.</p>
<p>La première conclut à une mort par une asphyxie, tandis que la seconde indique des facteurs multiples. La défense cherchera à convaincre les jurés que George Floyd est en fait décédé à cause des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/mort-de-george-floyd/etats-unis-george-floyd-avait-il-pris-plus-de-deux-fois-la-dose-mortelle-de-fentanyl_4073407.html">méthamphétamines et des opioïdes</a> qui ont été trouvés dans son organisme, ainsi que des problèmes de santé sous-jacents.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1267732944782872577"}"></div></p>
<p>Contrairement à ce que l’on voit dans les fictions, il est souvent difficile d’établir la cause d’une mort, comme le soulignent les experts <a href="https://fivethirtyeight.com/features/the-two-autopsies-of-george-floyd-arent-as-different-as-they-seem/">consultés par le <em>Washington Post</em></a>. Et cela, d’autant qu’une asphyxie ne résulte pas nécessairement d’un traumatisme physique. Toutefois, il aurait été difficile de convaincre le jury qu’il n’y avait pas matière pour une condamnation de meurtre au troisième degré. Chauvin a en effet refusé de tenter de ranimer George Floyd <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/31/us/george-floyd-investigation.html">comme le proposait l’un de ses collègues</a>, rejeté <a href="https://www.firerescue1.com/off-duty/articles/video-off-duty-ff-pleads-with-minneapolis-police-to-assess-george-floyd-qpHAGleuOb2wnlB4/">l’aide d’une pompière</a> qui se trouvait sur les lieux, en dehors de son service, avant l’arrivée d’une ambulance, et a maintenu son genou sur la victime alors qu’elle était inconsciente. Tout cela est visible sur les enregistrements vidéo des faits. D’où <a href="https://nymag.com/intelligencer/article/derek-chauvin-trial-everything-you-need-to-know.html">l'argument final</a> de la plaidoirie de l’accusation aux jurés :</p>
<blockquote>
<p>« Vous pouvez en croire vos yeux, mesdames et messieurs. C'était ce que vous pensiez que c'était. C'était ce que vous avez vu. C'était un homicide. »</p>
</blockquote>
<h2>Une opinion publique divisée</h2>
<p>Selon un <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2021/03/05/americans-trust-black-lives-matter-declines-usa-today-ipsos-poll/6903470002/">sondage Ipsos/USA Today</a>, en juin dernier, 60 % des Américains qualifiaient la mort de Floyd de « meurtre ». Ils n'étaient plus que 36 % à le faire encore à la veille du procès (64 % des Noirs mais seulement 28 % des Blancs), même si une majorité de Blancs (54 %) et de Noirs (76 %) pensaient qu’il devait y avoir une condamnation. Un <a href="https://today.yougov.com/topics/politics/articles-reports/2021/04/07/derek-chauvin-most-americans-believe-guilty">sondage plus récent</a> montre que si une majorité d’Américains estimaient que Derek Chauvin devait être reconnu coupable du meurtre de George Floyd, la question divisait les sympathisants républicains, dont seuls 31 % pensaient qu’il devait être condamné. </p>
<p>La différence d’opinion entre les Blancs et les Noirs quant aux solutions semble par ailleurs se creuser : aujourd’hui, 75 % des Noirs, contre seulement 42 % des Blancs, font confiance à Black Lives Matter pour promouvoir la justice raciale. Dans le même temps, 77 % des Blancs, contre seulement 42 % des Noirs, font confiance à la police locale à ce sujet.</p>
<p>L’une des raisons de la perte de confiance envers « BLM » chez les Blancs (-8 points par rapport à juin, là aussi) mais aussi chez les Noirs (-12 points) tient en bonne partie au discrédit apporté par le slogan mal formulé et très <a href="https://news.gallup.com/poll/316571/black-americans-police-retain-local-presence.aspx">impopulaire chez les Blancs comme chez les Noirs</a> « Cessez de financer la police » (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Defund_the_police"><em>Defund the Police</em></a>), utilisé par les plus radicaux des manifestants.</p>
<p>Une autre raison, plus évidente encore, est liée aux émeutes et aux destructions qui ont émaillé certaines manifestations consécutives à la mort de Floyd. Bien que très minoritaires, puisque selon une analyse de données, les violences ont concerné moins de <a href="https://acleddata.com/2020/09/03/demonstrations-political-violence-in-america-new-data-for-summer-2020/">5 % des manifestations</a>, elles ont nettement marqué l’opinion.</p>
<h2>La guerre des récits entre la droite et la gauche</h2>
<p>Alors que les médias de gauche ont eu tendance <a href="https://www.npr.org/2021/03/10/975769781/how-media-coverage-of-the-george-floyd-story-plays-into-his-accused-killers-tria">à minimiser les dommages matériels</a> causés lors de ces rassemblements, d’autres ont couvert les violences de façon disproportionnée.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.signal-ai.com/blog/media-bias-in-the-coverage-of-george-floyd">étude</a> récente, Fox News a ainsi fait le lien avec les émeutes dans 60 % de ses reportages traitant de George Floyd. C’est tout un <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-mort-de-george-floyd-et-ses-consequences-disent-de-lamerique-139776">récit alternatif de la situation</a> qui est mis en place par une certaine droite américaine. Il s’agit par exemple d’inverser les rôles et de <a href="http://www2.hawaii.edu/%7Ekent/BlamingtheVictimGlobally.pdf">blâmer la victime</a> en mettant en cause son utilisation de drogue, comme le fait le populaire animateur conservateur de Fox News <a href="https://www.foxnews.com/opinion/tucker-carlson-george-floyd-death-what-media-didnt-tell-you">Tucker Carlson</a>, ou bien de tracer de fausses équivalences entre Black Lives Matter et le Ku Klux Klan, comme le fait son collègue de la même chaîne <a href="https://www.huffingtonpost.ca/entry/sean-hannity-black-lives-matter-kkk_n_5628ff2ee4b0ec0a38936571 ?ri18n=true">Sean Hannity</a>, ou encore de minimiser le problème des violences policières à quelques cas isolés, comme <a href="https://edition.cnn.com/us/live-news/george-floyd-protests-05-31-20/index.html">l’avait fait Robert O’Brien</a>, le conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump.</p>
<p>L’affaire Floyd et les manifestations qu’elle a déclenchées a bien sûr été l’un des grands sujets de la campagne présidentielle américaine, les deux candidats n’hésitant pas à <a href="https://www.leparisien.fr/international/trump-evoque-george-floyd-lors-d-une-intervention-sur-l-emploi-et-s-attire-une-polemique-06-06-2020-8330844.php">invoquer le nom de la victime</a> chacun à sa façon et l’un des aspects importants du vote <a href="https://www.nytimes.com/2020/11/07/us/black-lives-matter-protests.html">pour un cinquième des électeurs</a>.</p>
<p>Suite à ce procès, le président a promis de se battre pour le projet de loi sur la réforme de la police, baptisé précisément <a href="https://judiciary.house.gov/uploadedfiles/george_floyd_jpa_2021_fact_sheet_.pdf">« George Floyd Justice in Policing Act »</a>. Les Démocrates à la Chambre des Représentants l’ont approuvé en 2020 et à nouveau en 2021, mais il a peu de chances d’obtenir les 60 voix nécessaires à son adoption au Sénat (où les Républicains disposent de 50 sièges sur 100) dans sa version actuelle. Ce texte <a href="https://www.vox.com/2021/3/3/22295856/george-floyd-justice-in-policing-act-2021-passed-house">vise notamment</a> à réduire l’immunité dont bénéficient les policiers en cas d’abus, à les obliger à porter des caméras filmant leurs interventions ou encore à interdire les prises d’étranglement comme celle qui a coûté la vie à George Floyd.</p>
<p>La situation est d’autant plus compliquée qu’il existe plus de 18 000 forces de police aux États-Unis au niveau fédéral, des États, des comtés et des municipalités. Les solutions devront donc venir du terrain, en termes de formation policière et de prise de conscience des préjugés inconscients des hommes et femmes en uniforme. Un travail de longue haleine auquel <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=ImlHzwNgJVM">se sont déjà attelés</a> certains anciens policiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’affaire George Floyd a été à la fois tragiquement banale et exceptionnelle par ses conséquences.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1527312021-01-18T19:56:06Z2021-01-18T19:56:06ZCaméras corporelles sur les policiers français : ce que nous apprend l’expérience des États-Unis et du Canada<p>L’introduction en France des caméras portables au sein des forces de sécurité (police, pompiers) est <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/14/police-les-cameras-pietons-vont-etre-generalisees-au-1er-juillet-2021_6052086_3224.html">d’actualité</a>. Sa mise en place, prévue à l’été prochain, vise a améliorer les relations citoyens-police et à accroître la transparence lors des interventions.</p>
<p>Toutefois, les avis issus du « terrain » divergent. Certains y sont <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/generalisation-des-cameras-pietons-pour-les-policiers-ce-nest-pas-un-probleme-on-est-transparent-assure-l-unsa-police_4202323.html">favorables</a>, au nom de la protection des droits des citoyens ; d’autres estiment au contraire qu’une telle mesure aurait des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/07/15/les-cameras-pietons-une-fausse-bonne-idee_1794325">effets négatifs</a> sur les interventions car elle instaurerait un climat de voyeurisme et de surveillance excessive de l’action des forces de l’ordre.</p>
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<p>En tout état de cause, il est opportun de s’interroger sur les recherches scientifiques effectuées à propos de cette thématique à l’international, aucun résultat d’étude scientifique menée en France n’étant disponible à ce jour. Rappelons que en France plus de 300 communes ont participé à une expérimentation menée de juin 2016 à juin 2018, qui a concerné uniquement les policiers municipaux. Cette expérimentation a fait l’objet d’un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-actualites/2018-Actualites/Experimentation-de-l-emploi-des-cameras-mobiles-par-les-agents-de-police-municipale">rapport</a> destiné au ministère de l’Intérieur. Suspendu suite à l’absence d’encadrement juridique, le port des caméras-piétons a repris officiellement pour la police municipale dès la publication du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038175494/">décret d’application du 27 mars 2019</a> qui complète la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037284329">loi du 3 août 2018</a> autorisant à nouveau l’usage des caméras-piétons par la police municipale.</p>
<p>En Europe, la pratique consistant à équiper les policiers de caméras est déjà appliquée dans plusieurs pays, notamment en <a href="https://www.dw.com/en/german-police-on-patrol-with-bodycams/av-50337218">Allemagne</a>, au <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-22-000-policiers-anglais-equipes-de-cameras-en-2017-66250.html">Royaume-Uni</a> et au <a href="https://www.nbcnews.com/id/wbna19750278#.We-NKEyiE_U">Danemark</a>. Mais pour l’instant, c’est aux États-Unis et au Canada que des études scientifiques ont été réalisées sur cette question.</p>
<h2>Quelles sont les études effectuées à ce sujet ?</h2>
<p>Rappelons d’abord qu’il est présumé que les caméras corporelles peuvent avoir un impact dissuasif tant sur les personnes faisant l’objet d’interventions que sur les policiers eux-mêmes : sachant que leur comportement est filmé, les policiers comme les citoyens agiraient d’une façon plus conforme aux attentes sociales liées à ce type de situation.</p>
<p>Une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10940-014-9236-3">étude</a> fait référence sur cette question : l’analyse des résultats de l’expérience <a href="https://www.theguardian.com/world/2013/nov/04/california-police-body-cameras-cuts-violence-complaints-rialto">conduite en 2013 à Rialto, en Californie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"792441104692019201"}"></div></p>
<p>Ceux-ci ont révélé que l’emploi de la force par les policiers était deux fois moins fréquent parmi le groupe expérimental (les policiers qui portaient des caméras corporelles) et qu’il y avait eu une baisse de 87 % des plaintes pendant la période d’essai. C’est d’ailleurs cette expérimentation qui a fourni à l’administration Obama la légitimité́ nécessaire pour subventionner les services de police désirant acheter des caméras corporelles en signe de transparence envers la population.</p>
<p>Une étude de suivi qui a duré quatre années a indiqué que la baisse du recours à la force par la police s’est <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047235217303653?via%3Dihub">maintenue dans le temps</a>. Il est à préciser que la ville de Rialto a enregistré́ une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047235217303653?via%3Dihub">baisse spectaculaire des plaintes visant les policiers</a>. On observera le même effet dans d’autres villes américaines, <a href="https://doi.org/10.1007/s11292-015-9237-8">dont Mesa</a> (Arizona), à <a href="https://www.strategiesforpolicinginnovation.com/sites/default/files/spotlights/Phoenix%20SPI%20Spotlight%20FINAL.pdf">Phoenix</a> (également en Arizona), <a href="https://doi.org/10.1016/j.jcrimjus.2015.10.003">Orlando</a> (Floride), <a href="https://scholarlycommons.law.northwestern.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=7632&context=jclc">Las Vegas</a> (Nevada), <a href="https://www.urban.org/sites/default/files/publication/98461/the_milwaukee_police_departments_body_worn_camera_program_1.pdf">Milwaukee</a> (Wisconsin) et <a href="https://academic.oup.com/policing/article/12/1/66/2928179">Spokane</a> (État de Washington) ainsi que dans <a href="https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/264739">sept autres villes non précisées</a>.</p>
<p>Une autre étude, publiée en 2014 par l’Université d’État de l’Arizona, présente les témoignages de 249 personnes ayant été en interaction avec des policiers portant des caméras corporelles.</p>
<p>Il en ressortait que les personnes qui étaient au courant de l’existence des caméras ont perçu les actions des policiers comme étant plus « justes » que celles des policiers qui n’en portaient pas.</p>
<p>Depuis les <a href="https://cebcp.org/wp-content/technology/BodyWornCameraResearch.pdf">premières revues de littérature publiées aux États-Unis</a>, une <a href="https://doi.org/10.1177/0004865816638909">deuxième série de recensions a été publiée afin de mettre à jour les informations</a>. Elles ont été suivies de dizaines d’articles scientifiques et de rapports d’évaluation. Tous ces travaux permettent de dresser <a href="https://doi.org/10.7202/1070513ar">plusieurs constats</a>.</p>
<p>La majorité des analyses empiriques a porté sur l’impact des caméras corporelles ou sur le comportement des personnes impliquées directement dans une intervention policière filmée ; très peu ont porté sur les enregistrements issus des caméras, à quelques exceptions près. En général, ces études portent d’ailleurs sur les biais potentiels liés à la présence des caméras corporelles.</p>
<p>Presque toutes les évaluations de l’impact des caméras corporelles mesurent généralement cet impact sur trois dimensions, qualifiées de « Big Three » : la résistance citoyenne, l’emploi de la force par la police et les plaintes envers des policiers.</p>
<p>Ainsi, trois études ont été conduites au Canada, à <a href="http://www.bwvsg.com/wp-content/uploads/2015/06/Edmonton-Police-BWV-Final-Report.pdf">Edmonton en 2015</a>, à <a href="http://torontopolice.on.ca/media/text/20160915-body_worn_cameras_report.pdf">Toronto en 2016</a> et <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2020-v53-n1-crimino05397/1070513ar/">à Montréal en 2019</a>. Des effets positifs ont été observés : une plus grande facilité à évaluer la pertinence des plaintes envers les policiers, une diminution de l’agressivité et de l’impolitesse des citoyens (Edmonton) ainsi que la perception qu’il était adéquat que l’intervention soit filmée (Toronto).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"776623626191765504"}"></div></p>
<p>Il est précisé que l’impact des caméras corporelles dépendait toutefois de la situation et n’était pas généralisé à̀ toutes les interventions policières. Malgré cela, dans les trois cas, la présence des caméras ne s’est pas accompagnée d’une réduction significative en termes d’emploi de la force par la police.</p>
<h2>Des résultats contrastés</h2>
<p>Aux États-Unis, la baisse spectaculaire de l’emploi de la force observée à Rialto et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1477370816686120">ailleurs</a> a accéléré le déploiement des caméras corporelles, qui sont utilisées depuis sept ans par 95 % des polices des États-Unis. Les policiers portant des caméras corporelles auraient aussi davantage tendance à procéder à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1098611116652850">l’arrestation du conjoint agresseur dans les cas de violence conjugale</a> et à effectuer globalement moins d’interpellations. Ce qui, dans le contexte de remise en question de la légitimité de la police, peut être interprété comme un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11292-015-9237-8">effet positif</a>.</p>
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<p>On a donc, d’un côté, des études neutres au Canada, et de l’autre des études positives aux États-Unis. Mais aucune étude négative à ce jour.</p>
<ul>
<li><p>Des études « neutres » au Canada : les services de police d’Edmonton (2015), de Toronto (2016) et plus récemment de Montréal (2019) n’ont pas observé́ de changement radical lors de leurs projets pilotes.</p></li>
<li><p>Des études positives : aux États-Unis, les caméras corporelles ont été associées à des baisses statistiquement significatives de l’emploi de la force, des plaintes envers les policiers, des agressions envers les policiers, des comportements entravant le travail policier et de la contestation judiciaire. Il est également <a href="https://www.researchgate.net/publication/321127770_The_effects_of_body-worn_cameras_BWCs_on_police_and_citizen_outcomes_A_state-of-the-art_review">noté</a> une amélioration de la productivité policière, de la satisfaction des citoyens des services offerts et du niveau de politesse des citoyens et des policiers lors des interventions.</p></li>
</ul>
<h2>Quelques conclusions provisoires</h2>
<ul>
<li><p>L’aspect culturel du pays est à considérer dans l’usage de l’outil : au Canada, les résultats sont à nuancer dans la mesure où les relations citoyens-police sont <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-457.htm">très bonnes</a>. Celles-ci pourraient être un facteur déterminant dans la réussite de l’implémentation des caméras corporelles.</p></li>
<li><p>Les caméras corporelles ne pourraient avoir un impact significatif qu’aux endroits où la police agit de façon problématique.</p></li>
<li><p>La perception des caméras corporelles par les publics reste un élément déterminant pour une adoption de l’outil.</p></li>
</ul>
<p>Une <a href="https://dx.doi.org/10.1111/1745-9125.12179">étude récente</a> explore cette question. Wallace, White, Gaub et Todak (2018) rappellent que les caméras corporelles sont souvent présentées et comprises comme un outil de surveillance permettant aux organisations policières de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0967010615584256">démontrer la transparence de leur travail, et à la société d’examiner le travail des policiers</a> (Tanner et Meyer, 2015). Une autre <a href="http://europia.org/RIHM/V20N2/2-RIHM20(2)-Lollia.pdf">étude</a> (Lollia,2020) montre qu’il est utile avant tout d’agir sur la vision de ce type d’outils par les publics afin de transformer la perception d’un outil de surveillance en un outil de protection pour <a href="https://books.google.fr/books ?hl=fr&lr=&id=JSjgDwAAQBAJ">en assurer une meilleure acceptation</a>.</p>
<p>En tout état de cause, les futurs résultats scientifiques tirés des expérimentations des caméras-piétons sur la police française devraient pouvoir améliorer l’approche terrain en mettant en lumière, de façon encore bien plus explicite, les opportunités et faiblesses liées à cette technologie de terrain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Parallèlement à son activité de chercheur, Fabrice LOLLIA est fonctionnaire de police dans un service spécialisé de protection des personnes.</span></em></p>Les policiers français seront bientôt équipés de façon générale de caméras-piétons pour filmer leurs interventions. Une pratique déjà mise en œuvre outre-Atlantique depuis plusieurs années.Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l'information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1511292020-12-06T23:03:54Z2020-12-06T23:03:54ZAu Brésil et ailleurs : risques noirs, sécurité blanche<p>Le 19 novembre 2020, dans la ville de Porto Alegre au Brésil, deux employés d’une entreprise de sécurité privée travaillant pour un supermarché de la marque Carrefour battaient à mort un client du magasin pour un motif encore obscur, mais qui aurait pour origine une rixe entre la victime et une caissière de l’hypermarché. João Alberto Silveira Freitas mourut <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/21/indignation-au-bresil-apres-la-mort-d-un-noir-tue-par-des-agents-de-securite_6060601_3210.html">asphyxié</a> sous le genou de l’un des agents de Carrefour. </p>
<p>Cette tragédie n’est pas sans rappeler les cas de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/22/je-m-etouffe-les-derniers-mots-de-cedric-chouviat-a-la-suite-d-un-controle-policier_6043772_3224.html">Cédric Chouviat</a> en France et de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/etats-unis-georges-floyd-est-mort-par-homicide-confirme-lautopsie-officielle-1207400">George Floyd</a> aux États-Unis, quand des agents des forces de l’ordre ont tué des citoyens alors que le rapport de forces était largement en leur faveur.</p>
<h2>Discriminations envers la population afro-brésilienne</h2>
<p>Dans ces trois cas, une violence gratuite et sans limite a été exercée à l’égard d’individus qui, par leur simple origine socio-économique et/ou ethnique, étaient perçus comme une menace au « vivre ensemble » et à la paix sociale. Dans le cas de João Alberto Silveira Freitas, cet épisode tragique peut être compris en revenant sur deux aspects fondamentaux qui façonnent la société brésilienne : le <a href="https://www.un.org/fr/chronicle/article/la-discrimination-raciale-et-le-metissage-lexperience-du-bresil">racisme</a> et les <a href="https://journals.openedition.org/socio/1377">inégalités</a> sociales. Ces deux éléments structurent les rapports sociaux et économiques du Brésil, montrant que la « démocratie raciale » brésilienne n’est qu’un <a href="http://www.revues.msh-paris.fr/vernumpub/02-guimaraes.pdf">mythe</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1330451371628371971"}"></div></p>
<p>D’abord des chiffres. Selon <a href="https://forumseguranca.org.br/wp-content/uploads/2020/08/atlas-da-violencia-2020.pdf">l’<em>Atlas 2020 de la Violence</em></a>, les Afro-Brésiliens représentent les trois quarts des 58 000 homicides enregistrés au Brésil en 2018 (75,7 %). Les personnes noires et métisses ont 2,7 fois plus de risques d’être assassinées que les autres Brésiliens. Elles sont aussi celles qui composent majoritairement les presque 80 000 individus qui <a href="https://forumseguranca.org.br/anuario-brasileiro-seguranca-publica/#:%7E:text=O%20Anu%C3%A1rio%20Brasileiro%20de%20Seguran%C3%A7a%20P%C3%BAblica%20se%20baseia,federal%2C%20entre%20outras%20fontes%20oficiais%20da%20Seguran%C3%A7a%20P%C3%BAblica">disparaissent</a> chaque année dans le pays. Parmi les 750 000 détenus au Brésil, près des <a href="https://g1.globo.com/sp/sao-paulo/noticia/2020/10/19/em-15-anos-proporcao-de-negros-nas-prisoes-aumenta-14percent-ja-a-de-brancos-diminui-19percent-mostra-anuario-de-seguranca-publica.ghtml">deux tiers</a> sont noirs. Aussi, selon une <a href="https://www1.folha.uol.com.br/mercado/2020/01/racismo-gera-diferenca-salarial-de-31-entre-negros-e-brancos-diz-pesquisa.shtml">étude récente</a>, la brèche salariale entre citoyens brésiliens blancs et noirs est de 45 %.</p>
<h2>Trois formes de racisme</h2>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=PD4Ew5DIGrU">L’analyse</a> de Silvio de Almeida montre que le racisme (au Brésil et ailleurs) peut se construire sur trois niveaux : individuel, institutionnel et systémique.</p>
<p>La première forme considère que le racisme se limiterait à des conduites individuelles, en raison d’un manque de civisme, d’éducation, d’idéologie politique, et/ou de manque de compréhension des valeurs démocratiques. Cette approche a le mérite de responsabiliser les personnes impliquées dans de tels agissements, mais elle présente l’inconvénient de ne pas saisir certains aspects plus structurels.</p>
<p>Ainsi, le racisme dit « institutionnel » montre comment certaines <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-1-page-33.htm">institutions</a> aussi bien publiques (éducation, santé, justice, etc.) que privées (entreprises, médias) définissent des pratiques et mécanismes qui favorisent sciemment les intérêts socio-économiques de certaines populations (blanches) au détriment de groupes dits « marginaux » (populations noires, métisses).</p>
<p>Au Brésil comme aux États-Unis, cette approche a permis de mettre en place des politiques dites d’« affirmative action », fondées sur la fixation de quotas, afin d’améliorer la représentativité des populations non blanches et des populations pauvres dans <a href="https://www.courrierinternational.com/article/lutte-contre-les-inegalites-au-bresil-pour-la-premiere-fois-les-etudiants-noirs-et-metis">l’enseignement supérieur public</a>. Malgré ce progrès, l’approche institutionnelle n’accorde que peu de place aux raisons sociales et profondes du racisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Après la mort d’un homme noir battu à mort au Brésil, des manifestations quotidiennes au Brésil.</span></figcaption>
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<p>Au lendemain de la mort de João Alberto Silveira Freitas, le vice-président brésilien, le général Hamilton Mourão, <a href="https://www.terra.com.br/noticias/brasil/cidades/nao-existe-racismo-no-brasil-afirma-mourao,1727c25725dca52777abd8fbe7fab1171hdsjajh.html%20https:/bit.ly/2J4pFIf">déclarait</a> à la presse que « le racisme n’existe pas au Brésil ». Quant au président Bolsonaro, il a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=H3qKaII4dtU">associé</a> à plusieurs reprises des hommes noirs à un nombre d’arrobes (l’équivalent d’un quart de quintal de viande pour les grossistes).</p>
<p>Le racisme au Brésil est ainsi un « racisme systémique » ; il est la marque contemporaine d’un processus politique et historique. Politique, le racisme se diffuse dans la société brésilienne par le biais d’institutions qui produisent et légitiment les discriminations et les violences faites aux populations afro-brésiliennes. Dans la santé publique, face à la douleur, les femmes noires et les femmes blanches reçoivent ainsi un traitement différencié (<a href="https://apublica.org/2020/03/nas-maternidades-a-dor-tambem-tem-cor/">deux fois moins</a> d’analgésiques lors de l’accouchement), à partir de l’hypothèse que la femme noire serait moins sensible à la douleur que la femme blanche (sic).</p>
<p>Historique, ce racisme tire sa source d’une nation brésilienne qui s’est constituée autour de <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2007-3-page-457.htm">l’esclavage</a>, des injustices sociales et de l’exploitation des classes populaires. C’est au Brésil que les Portugais, entre les XVI<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles, ont construit et répandu le modèle économique de <a href="https://www.persee.fr/doc/carav_1147-6753_2005_num_85_1_2904"><em>la _plantation</em></a>, qui marque également la structure économique et sociale des États-Unis d’Amérique. </p>
<p>Ce modèle prévoyait l’enrichissement de la puissance coloniale (Portugal, Royaume-Uni) par l’exportation de monocultures établies dans de vastes exploitations agricoles (café et canne à sucre au Brésil, coton et tabac aux <a href="https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1929_num_38_214_9789">États-Unis</a>), et fonctionnait presque exclusivement grâce à l’exploitation de la main-d’œuvre esclave importée d’Afrique subsaharienne. Ce système a marqué pour longtemps la structure sociale et économique du Brésil, d’autant plus que, contrairement aux États-Unis, le pays n’a jamais réussi à s’émanciper économiquement de sa dépendance à l’exportation de ses matières premières.</p>
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<figcaption><span class="caption">Racisme, le visage sombre du Brésil.</span></figcaption>
</figure>
<p>Rappelons également que le Brésil a été le pays occidental qui a aboli en dernier la pratique de l’esclavage, en 1888. Les rapports économiques, sociaux et politiques au Brésil portent encore la lourde marque de ce passé colonial et esclavagiste, laquelle se manifeste par un ensemble de pratiques racistes qui discriminent et tuent les membres des populations afro-brésiliennes, métisses et indigènes. Ces pratiques sont tout aussi bien individuelles que collectives, conscientes qu’inconscientes, institutionnelles que systémiques. </p>
<p>Pour emprunter le mot d’Achille Mbembe, elles constituent une société brésilienne de <a href="https://editionsladecouverte.fr/politiques_de_l_inimitie-9782707188182">l’inimitié</a>. Cette inimitié se cristallise aujourd’hui autour de la problématique de la violence délinquante qui, au Brésil, est systématiquement associée à la pauvreté et à la couleur de peau. Un homme jeune, noir de peau, issu des classes défavorisées, fait a priori figure de danger pour la paix civile. Il devient ainsi une proie facile à abattre comme <a href="https://editionsladecouverte.fr/se_defendre-9782355221101">Elsa Dorlin</a> et <a href="https://lafabrique.fr/les-chasses-a-lhomme/">Grégoire Chamayou</a> l’ont décrit dans leurs ouvrages respectifs.</p>
<h2>Une problématique globale</h2>
<p>Mais nous n’avons pas besoin de voyager au Brésil pour trouver des expressions de ce racisme issu du colonialisme et de l’esclavagisme. Depuis les années 1980-1990, au Brésil comme en Europe, les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_nouvelle_raison_du_monde-9782707165022">gouvernements néolibéraux</a> ont choisi de gérer les marginalités sociales par la répression pénale, comme le souligne dans ses <a href="https://agone.org/contrefeux/punirlespauvres/">travaux</a> le sociologue Loïc Wacquant. Évidemment, ce traitement pénal de la pauvreté est beaucoup plus radical au Brésil, qui incarcère plus de 750 000 personnes et qui peut déplorer la mort violente d’environ 50 000 personnes noires chaque année.</p>
<p>Toutefois, cette stigmatisation des pauvres et des personnes non blanches s’exprime aussi en France, comme on l’a vu tout récemment dans le cas de <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/11/29/agression-de-michel-zeclerc-les-quatre-policiers-mis-en-cause-deferes-devant-la-justice_6061552_1653578.html">Michel Zecler</a>, violemment tabassé par des policiers le 25 novembre dernier – un épisode qui montre combien le fait colonial et le racisme n’ont pas marqué uniquement la société brésilienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1332410040628752386"}"></div></p>
<p>Ce passé a également ensauvagé l’Europe tout entière, comme le remarquait déjà <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/discours-colonialisme-aime-cesaire-demeure-valide-70-ans-plus-tard-846848.html">Aimé Césaire</a> en 1950 dans son « Discours sur le colonialisme » et, plus récemment, Alex Vitale, dans son travail sur les <a href="https://www.versobooks.com/books/2426-the-end-of-policing">origines racistes</a> de l’institution policière.</p>
<p>Pour affronter ces phénomènes, en France comme au Brésil, il sera nécessaire de reconnaître qu’il existe un problème post-colonial et racial, avant d’imaginer des solutions adaptées, susceptibles de protéger les personnes noires et pauvres de l’insécurité sociale et civique auxquelles elles sont quotidiennement exposées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151129/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antonio Pele a reçu des financements de l'Agence Brésilienne CAPES (Coordination pour le perfectionnement du personnel de l'enseignement supérieur). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-François Yves Deluchey a reçu des financements de LE STUDIUM Loire Valley Institute for Advanced Studies, de la Gerda Henkel Stiftung (Allemagne), et du Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq -Brésil).</span></em></p>Le racisme est profondément enraciné au Brésil, du fait d’un passé esclavagiste et colonial encore très prégnant dans les structures sociales.Antonio Pele, Associate professor, Law School of the Pontifical Catholic University of Rio de Janeiro, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresJean-François Yves Deluchey, Professeur de Sciences Politiques à l'Université Fédérale du Para (Brésil) et chercheur invité à l'Université de Tours (ICD / Le Studium)., Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1511552020-12-06T23:03:30Z2020-12-06T23:03:30ZDéviances, leadership, sanctions : trois impensés de la culture policière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/372805/original/file-20201203-19-1rblu3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C6%2C2031%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation contre la "Loi Sécurité globale" à Paris le 28 novembre 2020
de 133 000 à 550 000 manifestants selon les sources. Une énorme manifestation à Paris.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/50657185078/">Jeanne Menjoulet/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La récente vidéo du passage à tabac d’un homme noir à Paris par des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/27/passage-a-tabac-d-un-producteur-a-paris-les-quatre-policiers-mis-en-cause-places-en-garde-a-vue_6061390_3224.html">policiers</a> a relancé les débats sur les violences policières. Les réactions sont multiples et intenses, à la hauteur de la brutalité des actes révélés dans la vidéo.</p>
<p>Certains modèrent en affirmant que ces dérives sont le fait d’une minorité qui ne serait pas représentative de la profession dans son ensemble – « des gens qui déconnent » par rapport à « une immense majorité de policiers et de gendarmes qui font, comme chacun le sait, un travail admirable », a déclaré récemment <a href="https://www.leparisien.fr/politique/violences-policieres-ceux-qui-deconnent-seront-revoques-promet-gerald-darmanin-26-11-2020-8410756.php">Gérald Darmanin sur France 2</a>.</p>
<p>D’autres, à la recherche de responsables, attaquent les supérieurs hiérarchiques, allant du Préfet au Président en passant par le ministre de l’Intérieur. Enfin, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), en charge d’enquêter sur les affaires de violences policières est également sous le feu des critiques pour ce qui est perçu comme un déficit chronique de sanctions.</p>
<p>Au-delà des enjeux moraux, judiciaires et éthiques, cette situation de crise met en jeu la culture organisationnelle de la Police nationale.</p>
<p>Or, les questions de la déviance, de la personnalité des dirigeants et du rôle de la sanction sont trois points clefs soulevés par les médias. Elles sont aussi au cœur de la théorie des organisations qui montre comment ces leviers peuvent changer drastiquement un système.</p>
<h2>Les déviances seraient isolées et minoritaires</h2>
<p>Depuis des années, de nombreux responsables politiques ont réfuté l’idée qu’il y aurait un problème systémique dans la police française, arguant que les violences seraient le fait d’une minorité d’agents – voire même que <a href="https://www.leparisien.fr/politique/violences-policieres-en-france-c-est-un-mensonge-ca-n-existe-pas-estime-christian-jacob-07-06-2020-8331264.php">« ça n’existe pas »</a>.</p>
<p>Si l’on suit cette hypothèse, il faut cependant se questionner sur l’impact que peuvent avoir ces comportements déviants sur les autres policiers, qui eux respectent les valeurs de l’institution.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Police encadrant une manifestation" src="https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C5%2C954%2C629&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/372804/original/file-20201203-23-iraz1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Police encadrant une manifestation. L’institution est en crise organisationnelle.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1111/j.1467-9280.2009.02306.x">Dans un article publié en 2009</a>, Francesca Gino, Shahar Ayad et Dan Ariely ont étudié les effets de contagion des comportements non éthiques par des expériences en laboratoire.</p>
<p>Dans la situation de contrôle, les participants répondaient à une série de questions difficiles, avec un résultat moyen de 7 bonnes réponses sur 20 – moyenne qui montait à 12 si les expérimentateurs rendaient la triche plus facile pour les participants en leur permettant de mentir sur leurs résultats.</p>
<p>Lorsque les participants étaient témoins d’une triche conduite par une personne qu’ils percevaient comme faisant partie de leur groupe, la performance moyenne atteignait 15/20. Cette moyenne, largement au-dessus du 7/20 du groupe de contrôle, tend à prouver que cela les encourageait à tricher encore plus. Le comportement non éthique d’un membre, même minoritaire, a donc un effet dévastateur sur les actions des autres.</p>
<p>Un résultat complémentaire intéressant est que si les participants constataient qu’une personne non membre du groupe trichait, leurs performances redescendaient autour de 8/20 – ce qui veut dire qu’ils ne trichaient alors quasiment plus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/372411/original/file-20201202-15-13fkmxk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Résultats de l’expérience (Gino et coll., 2009, p. 396), le graphique présente les résultats pour le groupe de contrôle, la triche facilitée (‘shredder’), la triche d’un membre du groupe et celle d’un membre en dehors du groupe.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier résultat pourrait en partie expliquer les réactions de certains gendarmes face aux violences policières, car on est alors dans le cas du comportement déviant d’un non-membre qui tend à renforcer la défense des valeurs du groupe d’origine.</p>
<p>Des résultats similaires ont été constatés dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0167487018306901">grand nombre d’études ici</a> ou <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/puar.12714">ici</a> confirmant l’hypothèse que les déviances, même isolées et minoritaires sont fortement problématiques car elles ont tendance à se propager.</p>
<h2>L’impact de la personnalité des dirigeants</h2>
<p>De nombreuses études ont montré à quel point la personnalité des dirigeants d’une organisation peut influencer, voire déterminer, sa stratégie, sa structure et ses valeurs.</p>
<p>En 1986, Manfred Kets de Vries de l’INSEAD et Danny Miller d’HEC <a href="https://www.jstor.org/stable/258459">ont proposé un cadre conceptuel</a> articulant le style de névrose des leaders et la culture d’une organisation.</p>
<p>Selon eux, ce cadre :</p>
<blockquote>
<p>« s’applique particulièrement aux organisations dans lesquelles le pouvoir de décision est centralisé entre les mains de quelques directeurs ou d’une petite coalition dominante et homogène ».</p>
</blockquote>
<p>Un modèle qui s’applique donc plutôt bien au cas de la Police nationale dont la structure hiérarchique est verticale et la <a href="https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation">chaîne de commandement centralisée</a> : directions centrales, entités rattachées, etc. (avec le cas particulier des préfectures de police).</p>
<p>Kets de Vries et Miller identifient cinq principaux styles névrotiques :</p>
<ul>
<li><p>Le leader suspicieux, incapable de faire confiance aux autres et hypersensible, entretiendra des relations tendues avec ses subordonnés qui rependront à leur tour une atmosphère de méfiance et de peur. Le pouvoir y est concentré et les décisions prudentes, donnant à la culture et l’organisation des tendances paranoïdes.</p></li>
<li><p>Le leader dépressif manque de confiance en lui/elle et d’initiative, ce qui poussera les acteurs à se réfugier dans des routines, ce qui génèrera une culture de l’évitement et une atmosphère d’inactivité et de conservatisme.</p></li>
<li><p>Le leader narcissique cherche l’attention et veut impressionner les autres, déployant pour ce faire un panel d’émotions et une tendance à l’exhibition. Les auteurs disent de ces leaders qu’« Ils manquent souvent de sincérité et ne se préoccupent pas des autres […] Leurs relations tendent donc à être instables ».</p></li>
</ul>
<p>Les subordonnés auront tendance à idéaliser ces dirigeants, en ignorant leurs défauts et accentuant leurs qualités, co-créant ainsi des cultures où tout tourne autour du leader.</p>
<ul>
<li><p>Le leader compulsif se débat avec une peur d’être à la merci des évènements et des autres, ce qui l’amène à voir ses relations en termes de domination/soumission. Il tend donc à exercer un pouvoir de manière autoritaire en imposant un certain ordre d’où résulte une culture souvent très bureaucratique.</p></li>
<li><p>Le leader détaché tend à ignorer le monde extérieur, il s’y engage donc peu directement et fait de même dans ses relations. Cela donne aux managers un grand pouvoir et génère des cultures fortement politisées.</p></li>
</ul>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DDWdmB0gp7A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Didier Lallement, préfet de police de Paris, sur Public Sénat, 2019 : quel genre de leader est-il ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Au-delà de ces grandes névroses, la personnalité et le style de leadership des dirigeants d’une organisation centralisée et verticale comme la Police nationale sont essentiels pour en comprendre la culture et les valeurs.</p>
<p>Les couplages forts entre les directions hiérarchiques sont autant de courroies de transmission des névroses de ceux qui les dirigent.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://books.google.co.uk/books?id=l2jpCgAAQBAJ">pour le célèbre spécialiste de la culture organisationnelle, Edgar Schein</a>, les leaders ont à leur disposition de multiples leviers « pour apprendre à leurs organisations comment percevoir, penser, ressentir et se comporter sur la base de leurs propres convictions conscientes et inconscientes ».</p>
<p>Selon cette hypothèse, l’actuelle culture organisationnelle de la Police nationale, et ses dérives, ne peuvent pas être pensées sans prendre en compte les personnalités de leurs dirigeants (préfet, ministre de tutelle, président). Au-delà des ordres donnés ou non, ces derniers auront, par leurs névroses, leur style et leur image, une influence majeure sur les valeurs et les comportements des policiers.</p>
<h2>Le rôle de la sanction et de la justice</h2>
<p>Depuis maintenant quelque temps, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/10/l-igpn-une-institution-a-reformer_6045830_3224.html">l’IGPN est au centre des critiques citoyennes, politiques et médiatiques</a>.</p>
<p>Face aux violences policières, on attend légitimement beaucoup de l’organe en charge des enquêtes à partir desquelles les sanctions sont prises. On fait alors l’hypothèse que la sanction, ou son absence, joue un rôle déterminant en matière de justice organisationnelle.</p>
<p>La célèbre spécialiste de l’éthique <a href="https://scholar.google.com/citations?user=EhgmWbIAAAAJ&hl=en">Linda Trevino a publié de nombreuses études</a> liant justement punition et justice. <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.1992.4279054">Dans un article très cité de 1992</a>, elle propose de considérer la sanction, non pas juste comme un évènement limité au supérieur et au subordonné, mais d’y intégrer la perspective des autres acteurs, observateurs directs ou non.</p>
<p>La sanction éventuelle des violences policières n’est alors pas juste une punition des fautifs, c’est un signal envoyé à l’ensemble des policiers qui modifie la perception et la compréhension qu’ils ont de leur activité, de leur institution, de ses valeurs et de ses règles.</p>
<p>La sanction est donc un élément central de la construction plus globale d’une justice organisationnelle, et son absence aura un rôle tout aussi structurant.</p>
<h2>Changer la culture de l’organisation ?</h2>
<p>Pour la Police nationale comme pour toute organisation, ces trois hypothèses sont à aborder avec prudence et rigueur.</p>
<p>Les cas de comportements déviants, même s’ils sont isolés et minoritaires, doivent être pris très au sérieux eu égard à leur tendance à contaminer les autres. Dès lors, la sanction ne doit pas être limitée à un arrangement local entre fautif et responsable hiérarchique, mais bien plutôt articulée à une certaine conception de la justice organisationnelle.</p>
<p>Enfin, et surtout, le rôle de la personnalité des leaders ne doit pas être minimisé et il faut pleinement l’intégrer au diagnostic – ce qui peut amener à exiger un renouvellement des profils des dirigeants si l’on souhaite réellement changer la culture de l’organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151155/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Bazin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment trois hypothèses issues des théories de l’organisation permettent de mieux comprendre les ratés de l’institution policière.Yoann Bazin, Professeur en Ethique des affaires, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1510472020-12-06T23:03:28Z2020-12-06T23:03:28ZLa santé mentale des policiers : un tabou français ?<p>Le déchaînement de coups sur le <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/producteur-passe-a-tabac-par-des-policiers/producteur-passe-a-tabac-michel-zecler-tres-soulage-des-quatre-mises-en-examen-et-de-la-detention-provisoire-de-deux-des-policiers-selon-son-avocate_4201269.html">producteur parisien Michel Zecler</a> de la part de policiers s’inscrit dans une actualité lourde de déviances policières, qualifiées dans ce cas précis, <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2918911-20201127-producteur-tabasse-paris-macron-denonce-images-font-honte-demande-police-exemplaire">« d’images qui nous font honte »</a> par Emmanuel Macron. Ces violences semblent briser un peu plus, à chaque événement, le lien avec la population.</p>
<p>Lors de leur audition, les quatre policiers <a href="https://www.france24.com/fr/france/20201130-agression-de-michel-zecler-quatre-policiers-mis-en-examen-dont-deux-%C3%A9crou%C3%A9s">mis en cause</a> dans l’affaire Michel Zeckler auraient justifié leurs actes par la « panique » et « la peur ».</p>
<p>Au-delà de l’enquête en cours sur ces faits et d’autres du même ordre, il convient de s’interroger sur la santé mentale des policiers, voire leur capacité psychique à résister au stress au lieu d’user de la violence comme seul recours dans un métier exposé constamment à des situations émotionnelles ou embarrassantes.</p>
<h2>Des policiers traumatisés</h2>
<p>De début 2016 à début 2018, j’ai mené une recherche doctorale en agglomération parisienne, <a href="https://blog.cnam.fr/travail/le-futur-du-travail/podcast-metiers-anonymes-episode-2-blues-des-flics-et-gilets-jaunes-le-metier-de-policier-e-en-debat-1079572.kjsp">à l’écoute de policiers</a> de terrain dans huit commissariats ou services spécialisés, allant de brigades d’investigation en brigades de voie publique.</p>
<p>La question centrale était de savoir comment ces hommes et ces femmes arrivaient ou non à préserver leur santé mentale.</p>
<p>J’ai animé des groupes de paroles avec les policiers. Beaucoup évoquaient des collègues exécutés avec sang-froid lors d’attentats (<a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentats-de-janvier-2015-la-video-de-l-assassinat-du-policier-ahmed-merabet-choque-toujours-14-09-2020-8384427.php">Ahmed Merabet</a> janvier 2015), les <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/07/12/01016-20160712ARTFIG00292-attentats-du-13-novembre-les-confessions-du-premier-policier-a-etre-entre-dans-le-bataclan.php">traumatismes</a>, les meurtres ciblés (<a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-magnanville-un-suspect-en-garde-a-vue-trois-ans-apres-l-assassinat-du-couple-de-policiers-02-12-2019-8208309.php">Magnanville</a> le 13 juin 2016) et les attaques groupées comme à <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/attaque-de-policiers-a-viry-chatillon-le-verdict-attendu-pour-les-13-accuses-20191204">Viry-Châtillon</a> (Essonne) où plusieurs policiers ont été grièvement brûlés.</p>
<p>Les discours reflétaient un malaise collectif rarement exprimé publiquement car couvert par une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_3_4341">forte culture corporatiste</a>, invitant <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-omerta-dans-la-police-de-sihem-souid.html">au secret</a> et régulée par un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Deontologie">devoir de réserve</a>. Un malaise que certains ont appelé le « blues » des policiers et qui résulterait d’un <a href="https://theconversation.com/police-sous-tension-lurgence-de-reformer-en-profondeur-101477">besoin de refonte profonde de la police</a>.</p>
<h2>Indécision hiérarchique et politique</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/profiles/christian-fassier-429398/articles">Les paroles des policiers, profondément marquées</a> par ces évènements violents ou traumatisants exprimaient qu’ils devaient y faire face, dans un contexte de crise institutionnelle.</p>
<p>Un état de crise se caractérise par des <a href="https://www.editionsddb.fr/livre/fiche/crises-9782220065847">constituants communs</a> :</p>
<p>Evénements déclencheurs bouleversants, sidération des autorités, rupture d’équilibre des relations de pouvoir, propagation des conflits. Or ces éléments se retrouvent tous aujourd’hui dans l’institution policière, secouée, à l’extérieure, par un véritablement ébranlement de la société, et en interne par une indécision hiérarchique et politique.</p>
<p>Or, sans aucune transformation de l’organisation du travail et sans une régulation du métier assumée par le management, la rupture d’équilibre dans les relations de pouvoir se généralise (entre police-population-monde politique). Il s’y ajoute pour les opérationnels de terrain des conflits de valeur dans l’exercice quotidien du métier, ainsi qu’une amplification des conflits d’objectifs.</p>
<p>L’analyse psychologique montre que cette crise et ces traumas répétés affectent la santé mentale des policiers dont de nombreux membres ont eu recours au suicide, souffrant à la fois d’une trop forte tension entre règles formelles et réelles de l’activité et d’un manque d’intégration dans le groupe d’appartenance, deux fondamentaux du lien social que soulignait <a href="https://journals.openedition.org/lectures/473">Émile Durkheim</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les policiers en « burn-out » sont traités au Chateau de Courbat, AFP.</span></figcaption>
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<p>En 2019, selon un décompte de la police nationale, <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/suicide-des-forces-de-l-ordre-ces-policiers-qui-viennent-en-aide-a-leurs-pairs-20200128">59 policiers se sont suicidés</a>, soit une hausse de 60 % par rapport à l’année précédente. La hausse est telle que l’Observatoire national sur le suicide parle dans une fiche récente de <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ons_2020.pdf">surmortalité par suicide</a>.</p>
<p>Une spécificité que l’Institution policière <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-ditalie-le-chateau-du-courbat-la-ou-sont-soignes-les-policiers-bout-de-souffle">fait traiter</a> par plus de 80 psychologues cliniciens.</p>
<h2>Une résistance à penser malaise policier et organisation du travail</h2>
<p>Pourtant mes terrains ont révélé une organisation managériale relativement indifférente à la souffrance exprimée. L’institution, très hiérarchisée, bureaucratisée, frileuse à toute intrusion – y compris celle de la recherche – cultive une forme d’ambivalence qui déteint sur les individus.</p>
<p>Le policier est pris entre désir de reconnaissance de son malaise mais aussi de son travail, et une posture défensive face à la suspicion généralisée.</p>
<p>Il est sous surveillance de sa hiérarchie (attentes de résultats), mais aussi des médias et de la population.</p>
<p>Paradoxalement, et nonobstant une organisation très verticale du travail, la hiérarchie préfère laisser le policier être autonome sur le terrain de l’action, sans officiers, s’en remettant au <a href="https://theconversation.com/les-policiers-pris-dans-les-paradoxes-des-politiques-publiques-135498">« discernement »</a> de l’agent.</p>
<p>L’agent est donc fort d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’agir dans les <a href="https://www.france24.com/fr/20200910-valentin-gendrot-les-violences-polici%C3%A8res-ont-lieu-dans-des-zones-grises">« zones grises »</a>, à la limite de la légalité, versant lui-même parfois dans la violence illégitime ou le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/03/premieres-mises-en-examen-de-policiers-dans-l-affaire-de-la-csi-de-seine-saint-denis_6045022_3224.html">délit</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1jcjaXHmgto?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Enquête sur une brigade du XVIIIᵉ arrondissement à Paris en 2019, suspectée de corruption.</span></figcaption>
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<p>Les manquements à la déontologie de quelques-uns des policiers jettent la suspicion sur l’ensemble de la profession. Or la hiérarchie se contente de sanctionner et de laisser communiquer les syndicats, sans analyser a posteriori la cause de ces comportements.</p>
<p>La profession pâtit d’une absence de rôle moteur de la hiérarchie dans la définition des limites assignées aux policiers. Par exemple le cas de l’usage de l’arme dans le cadre de la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/24/les-tirs-de-legitime-defense-par-les-policiers-une-zone-grise-pour-les-enqueteurs_6016702_3224.html">« légitime défense »</a>, un sujet qui continue de faire débat.</p>
<h2>« quand ils n’ont pas de solution, ils pensent police »</h2>
<p>À cette situation managériale complexe s’ajoute une image indifférenciée du policier au sein de la population.</p>
<p>Une confusion existe entre l’interprétation du métier par les usagers, tentés d’instrumentaliser la police pour leurs conflits de voisinage ou intrafamiliaux, et les missions codifiées de police.</p>
<p>Par exemple, lors de mes entretiens, un gardien de la paix reporte la question sur le public, qui ne sait pas clairement ce qu’il attend de la Police :</p>
<blockquote>
<p>« Notre rôle [c’est] Assister-Servir-Protéger [ce qui est écrit sur l’uniforme]… Mais la population à la fois a une vision répression de la Police, allant jusqu’à l’agressivité voire la haine, et a de fortes exigences envers un Service public qui doit montrer l’exemple » […] »</p>
</blockquote>
<p>Un brigadier évoquait :</p>
<blockquote>
<p>« une relation avec le public qui ne s’arrange pas » ; « la population utilise la Police pour régler des conflits interpersonnels qui n’ont rien à voir avec du pénal ou une quelconque infraction à la loi » ;</p>
<p>« il y a un fossé entre ce que pense les gens du travail de la police [et le métier de policier] » ; « quand ils n’ont pas de solution, ils pensent police » ; « [on est] souvent l’objet de l’arrogance des personnes auditionnées, et souvent confrontés à des réflexions comme : vous êtes payés pour ça, lorsqu’on montre son exacerbation ou sa saturation ».</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fvh4YB1EyVw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les Français abusent du 17, AFP.</span></figcaption>
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<p>Un autre brigadier ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Des appels injustifiés sont fréquents ; ils sollicitent des effectifs contingentés et insuffisants » ; « on appelle la police pour tout et n’importe quoi […] On est plus centré sur nos missions de base » ; « tout cela explique que nous soyons en permanence sur la réserve ».</p>
<p>« Mais ce renfermement c’est surtout parce qu’on n’a pas le droit de dire aux gens la réalité des manques de moyens » ; « on doit faire du politiquement correct ».</p>
</blockquote>
<p>Les policiers se voient alors confrontés à contenir des contradictions sociales exacerbées. Cela requiert davantage de régulation autonome pour s’adapter aux transformations sociétales, au moment où le nouveau management public (NMP) est introduit dans l’action publique.</p>
<p>Un management qui, s’il n’est pas pensé en termes d’innovation et de co-construction, impose une <a href="https://www.acteurspublics.fr/articles/madina-rival-innover-dans-la-quete-du-sens-et-en-coconstruction-avec-tous-les-acteurs">régulation de contrôle bureaucratique resserrée</a> avec des évaluations individualisées sans valorisation du collectif de travail.</p>
<h2>Un manque de relations</h2>
<p>Ce mode de management se répercute sur la communication dans le métier, jusque dans l’intervention terrain. Les policiers me confiaient manquer de contacts au sein des services de police, entre brigades, mais aussi au sein même de leurs brigades.</p>
<p>Sans espaces et temps dédiés pour le dialogue, pour échanger sur le métier, recourir au collectif ou à l’expérience des « anciens », les policiers doivent affronter un « vide relationnel ».</p>
<p>Or, ces échanges verbaux pourraient pourtant leur permettre de décharger leurs peurs et leur appréhension du « sale boulot » ou obtenir un arbitrage et une cohérence entre interprétations policières et judiciaires. Et surtout de faire des retours de l’expérience de terrain au management.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Tu53Oci0OOQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le documentaire <em>Dans la tête d’un flic</em> de François Chilowicz (Arte, 2018).</span></figcaption>
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<p>J’ai ainsi constaté que, dans les services où se pratique l’écoute consciente des chefs, où le récit collectif du vécu professionnel se fait quotidiennement et où l’organisation du travail facilite la solidarité en interne, les équipes évoquent plus de bien-être au travail. Ils constatent aussi une meilleure compréhension et coopération avec la Justice et une confiance réciproque.</p>
<h2>Un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité</h2>
<p>Une autre source de malaise provient de conflits de valeurs qui surgissent dans le quotidien, souvent aggravés par des interprétations différenciées des infractions entre police et justice, comme dans le cas du contrôle d’identité.</p>
<p>D’une part il est demandé aux services une certaine proactivité/réactivité des agents dans le contrôle d’identité. Ces derniers sont pourtant sensibilisés déontologiquement aux questions de discrimination.</p>
<p>Une policière s’explique, faisant référence au contexte dans lesquels elle doit intervenir, des quartiers denses où évoluent des populations, souvent d’origines nord-africaines ou subsahariennes, qu’on demande de contrôler :</p>
<blockquote>
<p>« L’article [du Code de déontologie] dit : un contrôle d’identité… ne se fonde sur aucune caractéristique physique ; on ne fait pas de contrôle au faciès, mais proportionnellement [à la population], dans les quartiers où nous avons à intervenir [pour les infractions à la législation sur les étrangers (ILE) et le délit de trafic de stupéfiants]. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce discours peut-il être pris pour une vérité ?</p>
<p>Les processus enclenchés par ces conflits de valeurs aboutissent chez les policiers à une impression d’impuissance à les régler. Cette impuissance à « faire du bon boulot » et à répondre aux attentes de la population nourrit le sentiment de désaffiliation des policiers vis-à-vis des citoyens.</p>
<p>De même les conflits d’objectifs mettent les policiers face à l’impossibilité de juguler les tensions et les risques auxquels ils sont confrontés. Des tensions et des risques s’appuyant sur des peurs mutuelles, tant du côté policier que des personnes délinquantes ou soupçonnées de l’être.</p>
<p>Par exemple, les contraintes procédurales croissantes dans un temps incompatible, le manque de communication entre services de voie publique et service d’investigation judiciaire ou encore les violences urbaines qu’on demande de dompter sans pour autant recevoir un soutien des politiques concourent à nourrir un fort sentiment de vulnérabilité au travers des erreurs et des sanctions encourues.</p>
<h2>Vulnérabilité, agressivité, résignation</h2>
<p>Ce sentiment de vulnérabilité et d’impuissance, ces tensions et ces risques nourrissent la peur des policiers que provoquent les agressions, les outrages et les atteintes à la vie privée, y compris jusque dans leur cellule familiale.</p>
<p>Il peut en résulter une moindre adhérence au groupe, une rupture et une forte solitude psychologique. Si, dans d’autres professions, l’individu peut pallier en s’intégrant à d’autres sphères d’appartenance sociale (amis, activités, famille), ce n’est souvent pas le cas chez le policier, dont la vie est fortement confinée au milieu professionnel.</p>
<p>Cette forte désocialisation peut provoquer une importante détresse psychique. Celle-ci peut alors se traduire par des attitudes agressives, allant de la transgression des règles ou d’une déviance opérationnelle à un usage disproportionné de la force.</p>
<p>La plupart supportent mal ces agissements. Car lorsque ces dérives existent, elles résistent assez peu à la pression médiatique. Aussi, une majorité des policiers de terrain rencontrés souhaitent généraliser les <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/police-gerald-darmanin-demande-plus-de-cameras-pietons_4202621.html">caméras portables</a> afin de faciliter la prise en compte de leur parole et éviter les rumeurs et les informations tronquées qui leur pèsent.</p>
<p>Le plus grand nombre construit des mécanismes de dégagement, d’évitement des troubles psychiques qui vont du retrait des rôles opérationnels à l’accommodation-résignation : l’attente d’une mutation ou de la retraite.</p>
<h2>Recommandations pour reconstruire la santé mentale</h2>
<p>Reconstruire une santé mentale dépend ainsi de l’importance du collectif, des échanges, mais aussi d’un encadrement porteur de sens et de moyens pour les objectifs fixés.</p>
<p>Les officiers de police pourraient ainsi être le principal moteur des échanges en mettant en place des pratiques réflexives et discursives autour de la régulation du travail et des normes de métier communes qui seraient reconnues par le management.</p>
<p>Pour être à l’écoute des signaux faibles chez les individus en phase de rupture de socialisation, il semble impératif de développer les qualités pédagogiques de ces officiers, de rétablir leur proximité avec le terrain de l’action, et une implication dans le métier.</p>
<p>L’articulation avec l’extérieur parait également cruciale. Notamment avec d’une part la population et d’autre part, le parquet, dans la mesure où les policiers affirment travailler pour la protection du public et le bien des victimes de délits ou de crimes.</p>
<p>Enfin, afin de remédier aujourd’hui aux impasses du métier de policier, et pour lui redonner du sens, il convient que le monde politique sorte les missions de Police du « en même temps » et adopte une vision globale de la Sécurité. Pour y arriver, une définition des objectifs et une refonte de la formation (initiale comme continue) de chaque entité policière en termes de protection du public ou de répression des délinquants semblent prioritaires.</p>
<p>Or il semblerait que très récemment publié <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/277190-publication-du-livre-blanc-de-la-securite-interieure-200-propositions">Livre blanc sur les forces de sécurité intérieure</a> et la loi « Sécurité globale » fassent pour le moment l’impasse sur la santé mentale de leurs agents.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151047/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Fassier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un métier pourtant surexposé aux pressions, la santé mentale globale des policiers n'est que très rarement prise en compte.Christian Fassier, Docteur en Psychologie - Psychologue du travail,, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1452772020-10-28T15:10:10Z2020-10-28T15:10:10ZLe « meme », une arme de résistance pour les Afro-Américains<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365073/original/file-20201022-16-19uj4u0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C52%2C4970%2C3211&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation contre le racisme en souvenir de George Floyd le 7 juin 2020, à Rome, en Italie. Un homme brandit une pancarte disant « I can't breathe » (Je ne peux pas respirer). Cette phrase est devenu emblématique de la lutte des Noirs contre la violence policière.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.huffpost.com/entry/johnniqua-charles-you-about-to-lose-your-job_n_5eeb68dbc5b645146c2363bd?">Johnniqua Charles</a>, une sans-abri de la ville de Dillon, en Caroline du Sud, ne se doutait pas qu’un rap improvisé lors de son arrestation allait devenir l’hymne de plusieurs manifestations antiviolence policière aux États-Unis et ailleurs dans le monde.</p>
<p>Rappelons les faits. Le 5 févier dernier, cette femme de 27 ans se fait interpeller par Julius Locklear, un gardien de sécurité voulant l’arrêter pour intrusion dans un restaurant où la femme prétendait venir sur les lieux pour chercher des effets personnels. Charles se met à chanter et danser une chanson impromptue « You about to lose you job » à répétition en mise en garde.</p>
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<figcaption><span class="caption">iMarkkeyz x DJ Suede The Remix God – Lose Yo Job.</span></figcaption>
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<p>Depuis, cette arrestation est devenue un <em>meme</em>, soit un court sketch, une chanson ou une image abondamment partagés sur Facebook, Instagram, Reddit, Twitter, ou YouTube. Le meme est viral, car il emballe, divertit et sert de commentaire social et politique.</p>
<p>Le phénomène touche à plusieurs des thèmes importants que l’on retrouve dans les pratiques émergentes des communautés culturelles et minoritaires dans les médias sociaux en 2020. Le meilleur exemple : la recrudescence des revendications de la communauté noire à la suite de la mort de Georges Floyd et qui a donné lieu à l’expression « I can’t breathe » du mouvement Black Lives Matter.</p>
<p>Il y a plusieurs moyens de résistance utilisés par la population noire et ses alliés, dont les manifestations contre la brutalité policière aux États-Unis. L’été 2020 en a été un moment catalyseur. Mais l’exemple de cette femme se défendant d’une arrestation a été un des meilleurs moyens de résistance et de communication de la situation des Afro-Américains.</p>
<p>Mes recherches sur la culture dans les médias sociaux tels que la <a href="https://georgetown.app.box.com/s/mofzim17n50m16kdhu0y00ejv0f4i65p">Révolution verte iranienne sur Twitter de 2009</a>, Black Twitter, et la <em>cancel culture</em>, m’ont amené à explorer le phénomène du meme comme outil de résistance.</p>
<h2>La réponse des plus démunis</h2>
<p>L’arrestation de Johnniqua Charles est un exemple de la manifestation du pouvoir envers une personne défavorisée <a href="https://www.latimes.com/sports/story/2020-05-31/lebron-james-reacts-george-floyd-sports-racism-lakers">dérangeant l’ordre social</a>. Elle est perçue par la majorité blanche de la société américaine comme « l’autre ».</p>
<p>La réponse des plus démunis aux injustices se transforme ainsi bien souvent en <em>memes</em>. Ceux-ci traversent les frontières culturelles et les classes sociales. Le <em>meme</em> déshumanise souvent son sujet en puisant à fond dans la misère de ce dernier, encourageant la moquerie. Mais cette moquerie devient aussi une arme pour l’individu désarçonné, comme ça été le cas pour cette jeune itinérante.</p>
<h2>Le chant de résistance</h2>
<p>Trouvant son arrestation injuste, la jeune femme s’y oppose en chantant. Il devient une forme d’opposition, de contestation et de résistance qui reflète les mêmes stratégies utilisées par les anciens esclaves américains. Ce sont ces chants de résistance qui ont donné naissance à la musique <a href="https://blackexcellence.com/black-gospel-songs/">gospel</a>, au <a href="https://folklife.si.edu/talkstory/2016/tell-it-like-it-is-a-history-of-rhythm-and-blues">rythm & blues</a>, au <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/03/arts/music/jazz-protest-academia.html">jazz</a>, et récemment, au <a href="https://inthesetimes.com/article/hip-hop-black-lives-matter-kendrick-lamar-janelle-monae">rap et au hip-hop</a>.</p>
<p>Cette musique de résistance vient de l’Amérique noire, perçue par l’Amérique blanche comme « l’autre », mais il serait bien difficile aujourd’hui de la séparer de la culture dominante nord-américaine.</p>
<p>Dans le cas de l’arrestation de Johnniqua Charles, le gardien de sécurité, Julius Locklear, n’a pu s’empêcher de trouver la prestation drôle et d’en perdre son sérieux. L’acte de la jeune femme a fonctionné puisqu’elle a été relâchée et le gardien de sécurité a reçu un avertissement. Il a lui-même ensuite publié le <a href="https://www.facebook.com/julius.locklear.7927/posts/197076461488191">vidéo sur Facebook</a>.</p>
<h2>La culture de la remédiation</h2>
<p>Le rap de Johnniqua Charles a lancé un mouvement basé sur le mot-clic <a href="https://twitter.com/search?q=%23YouAboutToLoseYoJob&src=typeahead_click">#YouAbouttoLoseYoJob</a> (« Tu es sur le point de perdre ta job », phrase qu’elle répète dans sa chanson). Le gardien, représentant du pouvoir, a choisi de partager la vidéo contestant son autorité au reste de la planète.</p>
<p>Le message a aussi été rediffusé sur <em>Twitter</em> par des membres de <em>Black Twitter</em>, un groupe informel d’utilisateurs noirs de la plate-forme.</p>
<p>Ce dévoilement initial a été récupéré au début du mois de juin par des DJ. Ces derniers ont repris le clip original, ont refait un montage avec des <em>beats</em> et un peu de musique, créant de façon instantanée un message viral audiovisuel réactualisant ainsi une vidéo policière vieille de quatre mois.</p>
<p>Marshall McLuhan parlait de culture de la <a href="https://www.futurelearn.com/courses/reading-digital/0/steps/16851">remédiation</a> (une théorie ensuite élaborée par Jay David Bolter and Richard Grusin) pour parler de cette pratique consistant à récupérer d’anciens contenus et les intégrer dans des nouveaux montages pour créer des contenus originaux où d’anciens contenus sont récupérés et intégrés.</p>
<p>D’autres, comme <a href="https://hls.harvard.edu/faculty/directory/10071/Benkler/">Yochai Benkler</a>, professeur à <a href="https://www.harvard.edu/">Harvard</a> spécialisé dans les théories du bien commun et du partage sur Internet, parle de la culture de convergence, où le public se rapproprie les contenus, faisant fi des contraintes de propriété intellectuelle dans son élan de création. Les divers morceaux de vidéos utilisés dans le montage des <a href="https://www.instagram.com/remixgodsuede/">DJ Suede the Remix God</a> et <a href="https://www.imarkkeyz.com/">iMarkkeyz</a> et le chant original de Charles sont utilisés sans compensation des droits d’auteurs.</p>
<p>Ainsi, la culture de masse n’est plus générée que par des créateurs d’Hollywood, Detroit, et Nashville, mais aussi par des amateurs. C’est l’émergence de la culture participative telle que définie par Henry <a href="http://henryjenkins.org/aboutmehtml">Jenkins</a>, professeur à la University of Southern California <a href="https://www.usc.edu/">USC</a> spécialisé dans l’étude de la création culturelle des fans.</p>
<p>Le résultat le plus inusité de ce nouveau montage où Johnnika Charles résiste à son arrestation, chantant au gardien de sécurité qu’il va perdre son emploi, est l’utilisation dorénavant du chant comme un hymne de résistance par plusieurs manifestants critiquant le pouvoir de la police envers des cibles prédéterminées.</p>
<p>Plusieurs, comme le candidat au Congrès américain Hakeem Jeffries, utilisent maintenant le meme pour avertir le <a href="https://twitter.com/hakeem_jeffries/status/1274331633605382148">président Trump qu’il perdra bientôt son poste !</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145277/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Saint-Louis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a plusieurs moyens de résistance utilisés par la population noire et ses alliés, dont les manifestations, mais le « meme » semble en voie de devenir l’arme la plus efficace.Hervé Saint-Louis, Professeur adjoint en médias emergents, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1463152020-09-27T16:13:42Z2020-09-27T16:13:42ZNouveaux mouvements antiracistes : importation américaine ou modèle européen ?<p>Ces derniers mois, suite à la nouvelle explosion du mouvement <em>Black Lives Matter</em> aux États-Unis, nous avons assisté à une série de mobilisations et de manifestations antiracistes <a href="https://www.politico.eu/article/us-style-civil-rights-protests-come-to-europe-george-floyd-black-lives-matter/">dans plusieurs villes européennes</a>. Si les luttes contre le racisme structurel et systémique sont nécessaires, il faut également se demander à quel point (et comment) ces revendications s’articulent en Europe.</p>
<p>Cela interroge aussi les effets potentiels d’un éventuel copié-collé en Europe de modèles, cadres d’analyses et d’action issus des débats américains sur la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674008243">fracture raciale constitutive de cette société</a>.</p>
<p>Assistons-nous réellement à la <a href="https://www.kcl.ac.uk/news/abolishing-racism-the-global-black-lives-matter-revolt">mondialisation d’un nouveau mouvement antiraciste</a> ?</p>
<p>Tous les pays du monde n’ont pas été touchés par le mouvement. En Europe, la mobilisation a été variable d’un pays à l’autre.</p>
<p>En même temps, il serait insensé, voire tendancieux, d’affirmer que les mobilisations en Europe ne sont rien d’autre qu’une importation d’une question raciale spécifique au contexte américain. Cela revendrait à nier l’existence du racisme structurel dans nos sociétés et partant, à tenter d’affaiblir, voire de délégitimiser le combat antiraciste.</p>
<h2>Une nécessaire contextualisation</h2>
<p>Les revendications d’un mouvement complexe et hétérogène tel que <em>Black Lives Matter</em> (BLM) doivent être contextualisées dans des sociétés profondément différentes de la société américaine, et pas seulement du point de vue de la relation entre la composition ethnoraciale de la population et l’appareil de sécurité de l’état.</p>
<p>Soyons clairs, nous parlons, aux USA comme en Europe, de sociétés qui présentent depuis très longtemps des <a href="https://www.euractiv.com/section/non-discrimination/news/beyond-the-us-police-brutality-structural-racism-are-a-problem-in-europe-too/">sérieux problèmes d’inégalité et de discrimination</a> déterminés par les caractéristiques personnelles des individus. Mais la couleur de peau est l’une de ces caractéristiques, à côté d’autres éléments tels que la nationalité, le genre, le statut socio-économique, etc., avec lesquels elle interagit.</p>
<h2>La police tue beaucoup plus fréquemment aux États-Unis qu’en Europe</h2>
<p>Prenons la violence policière, le facteur qui a déclenché des mobilisations et des manifestations dans différentes régions du monde au cours des derniers mois. C’est un phénomène interpellant, qui existe indéniablement aussi dans le contexte européen. Cependant, les chiffres montrent que la police tue beaucoup plus fréquemment aux États-Unis qu’en Europe, et cela même si on neutralisait la variable ethnoraciale.</p>
<p>Par exemple, les <a href="https://theconversation.com/why-do-american-cops-kill-so-many-compared-to-european-cops-49696">données disponibles</a> s les plus récentes montrent qu’il y a 3,42 tirs de police mortels par million d’habitants aux États-Unis, contre 0,187 au Danemark, 0,17 en France et 0,133 en Suède, pour citer les trois premiers pays européens dans ce classement.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/why-do-american-cops-kill-so-many-compared-to-european-cops-49696">Why do American cops kill so many compared to European cops?</a>
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</p>
<hr>
<p>Si on la prend en compte, on peut dire que les Noirs des États-Unis ont plus de probabilité que les Noirs d’Europe de subir des violences policières.</p>
<p>Bien sûr, le problème de profilage racial et de harcèlement de communautés spécifiques existe <a href="https://fra.europa.eu/en/news/2020/stop-racist-harassment-and-ethnic-profiling-europe">aussi en Europe</a>. Mais en Europe, en général, la violence policière est perçue dans le débat public comme étant moins lié à la « race » qu’au sens américain.</p>
<p>Les cas de brutalités policières envers les minorités racisées restent une horrible récurrence dans nos sociétés, et elles ne touchent pas que les afrodescendants ou les descendants des immigrés maghrébins.</p>
<h2>Des brutalités policières très diverses</h2>
<p>De nombreuses tragédies le prouvent, comme <a href="https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/affaire-mawda-le-proces-debute-jeudi-a-mons-5f2819629978e2322ff8caf8">l’affaire Mawda</a>, fillette kurde de 2 ans tuée par un policier en mai 2018 en Belgique, ou encore le décès de Jozef Chovanec suite à une intervention de la police de l’aéroport de Charleroi, toujours en Belgique.</p>
<p>À cette occasion une policière impliquée fut filmée <a href="https://www.lesoir.be/319915/article/2020-08-19/deces-de-jozef-chovanec-laeroport-de-charleroi-la-policiere-qui-effectue-le">faisant fièrement le salut nazi</a> à côté de la victime qui agonisait sous le genou d’un autre policier.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mawda, deux ans, tuée par la police lors d’une course poursuite sur une autoroute belge en 2018.</span></figcaption>
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<p>En France, si les jeunes d’origine africaine (Maghrébins ou Noirs) sont particulièrement ciblés par la police comme le rapportait le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/03/le-defenseur-des-droits-denonce-la-discrimination-systemique_6041628_3224.html">défenseur des droits</a> en juin 2020, la brutalité policière s’est aussi exercée <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/11/18/gilets-jaunes-violences-policieres-la-preuve-par-l-image_1764177">contre les « gilets jaunes »</a>, et même <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/violences-policieres-nouvelle-polemique-apres-l-interpellation-musclee-d-une-soignante-7800610171">contre le personnel hospitalier</a> lors de leurs grandes manifestations de 2019.</p>
<p>La police est donc violente et tue aussi en Europe, mais le phénomène est vécu de manière plus transversale qu’aux USA. Cela vaut non seulement pour l’opinion publique, mais aussi pour les milieux militants et la société civile.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le débat sur la violence policière en Europe porte notamment sur les questions de répression du droit de manifester.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luca Manunza/Instagram</span></span>
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<p>L’accent est plus souvent mis sur la question de la répression du droit de manifester ou, en tout cas, sur l’usage illégitime de la force <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ref/2016-v22-n1-ref02603/1037170ar.pdf">envers des classes sociales spécifiques</a>, plutôt qu’exclusivement envers des populations définies par l’origine ethnique ou raciale. Dans ce sens, le débat européen est historiquement plus articulé sur le plan idéologique, car il concerne d’une manière générale le <a href="https://paris-luttes.info/la-police-une-ethnographie-11911?lang=fr">rôle de la police dans la société capitaliste</a>.</p>
<h2>Il manque encore un leadership noir structuré en Europe</h2>
<p>Il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a une nette différence dans la composition ethnoraciale des élites aux USA et en Europe. L’une des grandes contradictions des États-Unis est précisément d’être un pays où la ségrégation raciale de fait reste très importante en dépit de son abolition légale, tout en affichant des élites noires dans différents secteurs de la société, ce qui est moins courant ailleurs en Europe.</p>
<p>Pour donner un exemple, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/aug/29/eu-is-too-white-brexit-likely-to-make-it-worse">institutions de l’UE sont en grande majorité blanches</a>. Il n’y a pas de membres noirs à la Commission, et il n’y a que trois députés noirs sur 751 au Parlement.</p>
<p>En ce qui concerne plus particulièrement le leadership politique, il existe depuis longtemps aux USA, héritage du <a href="https://www.biography.com/people/groups/civil-rights-activists">civil rights movement</a> et de ses dérivés, comme l’illustrent parmi tant d’autres les figures de Al Sharpton ou de John Lewis disparu en août dernier.</p>
<p>Mais il n’est pas encore très présent les sociétés européennes où la représentation politique au sens large des minorités racisées n’en est qu’à ses débuts.</p>
<p>Les communautés d’origine subsaharienne, en particulier, restent tristement invisibles et <a href="https://kisa.org.cy/wp-content/uploads/2015/08/book_-_people_of_african_descent_-_final-21.pdf">rencontrent d’énormes résistances</a>, parfois même des réactions violentes, lorsqu’elles tentent de s’organiser politiquement, comme l’a démontré, il y a quelques années, le cas tragique des <a href="https://www.nazioneindiana.com/2010/02/01/i-mandarini-e-le-olive-non-cadono-dal-cielo/">travailleurs agricoles de Rosarno</a> en Italie du Sud.</p>
<h2>De nouvelles forces politiques en formation</h2>
<p>Cependant, bien qu’il ne soit pas encore structuré, un nouveau leadership est en formation. Des femmes noires jouant actuellement un rôle moteur en n’hésitant pas à manier un langage radical et parfois provocant pour tenter de gagner une visibilité et d’exercer une influence sur l’agenda politique. On pense ainsi à <a href="https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-vie-des-noirs-compte-moins-en-belgique?id=10517466">Mireille Tsheusi-Robert</a> en Belgique.</p>
<p>Mais ce leadership n’occupe pas encore des positions de pouvoir dans les institutions politiques, et les élites traditionnelles rechignent à leur faire de la place.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rosarno, Italie. Les tentatives d’instaurer un leadership noir se heurtent souvent à une opposition violente dans de nombreux pays européens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luca Manunza/Instagram</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Par ailleurs, un ensemble de forces politiques insensibles à certaines questions, voire explicitement racistes, est présent et vivant presque partout en Europe. Du <em>Rassemblement national</em> français à la <em>Lega</em> italienne, les partis de la droite populiste et xénophobe sont désormais bien établis dans tous les états européens, ou même majoritaires comme dans le cas de Viktor Orban en Hongrie.</p>
<p>Leur influence a un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/07256868.2016.1235099">impact important sur le débat public</a>, ce qui conduit parfois à minimiser la question des discriminations raciales.</p>
<p>En Italie, par exemple, les masses sont peu sensibilisées à ces questions, et les leaders de la droite qui critiquent les mouvements ont la partie facile en proposant le contre-slogan « all lives matter ». Ce sont les mêmes qui, paradoxalement, étaient prêts il y a quelques mois à abandonner des milliers de migrants en haute mer, et de les priver de leurs droits fondamentaux sur la vague du nationalisme la plus exclusiviste.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ceux qui aujourd’hui crient le contre-slogan « all lives matter », sont les mêmes qui étaient prêts à abandonner les migrants en mer il y a quelques mois.</span></figcaption>
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<p>Dans d’autres contextes nationaux ou régionaux, la sensibilité aux questions de discrimination raciale est plus grande et le leadership noir en formation a enfin plus d’écho.</p>
<h2>Une réouverture des débats</h2>
<p>En Belgique, la <a href="https://www.politico.eu/article/thousands-protest-racism-in-brussels-as-us-black-lives-matter-movement-sweeps-europe/">mobilisation</a> qui a résulté du mouvement <em>BLM</em> a conduit à la réouverture du débat sur l’histoire coloniale du pays, une question toujours latente, mais jamais résolue dans la sphère publique et politique. Le débat sur la période coloniale et sur la situation post-coloniale <a href="https://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41631">a longtemps été impossible</a>.</p>
<p>Il est devenu aujourd’hui inévitable à un point tel que suite aux manifestations dans la foulée de <em>BLM</em> et aux mobilisations des militants décoloniaux, une <a href="https://plus.lesoir.be/307851/article/2020-06-17/une-commission-parlementaire-sur-le-passe-colonial-belge-des-la-rentree">commission parlementaire sur le passé colonial</a> a vu le jour. Elle rassemble tant des experts académiques que des militants.</p>
<p>On remarque un scénario similaire en France et au Royaume-Uni, où le mouvement a eu pour effet de remettre en cause les perspectives ethnocentriques, avec des manifestations <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2020/jun/14/the-day-bristol-dumped-its-hated-slave-trader-in-the-docks-and-a-nation-began-to-search-its-soul">fortement iconoclastes</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mireille Tsheusi-Robert, militante belge d’origine congolaise en entretien avec le site ArtFusion.</span></figcaption>
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<p>Certains mouvements antiracistes et décoloniaux, portés par des leaders plus ou moins influents dans le débat public européen ont été certes rendus plus visibles par les différentes manifestations qui ont agité l’espace nord-américain depuis quelques années.</p>
<p>Cependant, y voir un simple copié-collé du mouvement américain pose des problèmes fondamentaux.</p>
<h2>Aller au-delà de la rhétorique de l’intersectionnalité</h2>
<p>Tout d’abord, le phénomène risque d’occulter la <a href="https://books.google.be/books?id=pWXWlFiRnH4C&pg=PA30&dq=Racism+and+Anti-Racism+in+Europe&hl=it&sa=X&ved=2ahUKEwjs_K_6uPrrAhWHsKQKHYC3AvQQ6AEwBnoECAgQAg#v=onepage&q=Racism%20and%20Anti-Racism%20in%20Europe&f=false">pensée antiraciste</a> qui s’est développée dans le contexte européen au cours des trois dernières décennies. Or il est nécessaire de repenser les principes du mouvement <em>BLM</em> en revoyant les concepts de domination et de discrimination non pas individuellement, mais dans leur intersection.</p>
<p>Il nous parait indispensable de pouvoir représenter réellement les différents facteurs de discrimination d’ordre individuel, physique, culturel ou socio-économique et en même temps éviter toute hiérarchie entre eux. Soit, aller <a href="https://journals.openedition.org/cedref/827">au-delà de l’intersectionnalité</a> comme simple rhétorique pour englober réellement toutes les variables (race, classe, genre) tant dans les analyses que dans les modes d’action et de revendication.</p>
<p>Si cet effort ne persiste pas, la portée politique globale d’un mouvement tel que <em>BLM</em> risque d’être fortement affaiblie et il deviendra difficile de mobiliser une masse critique qui puisse avoir un impact structurel et durable sur les inégalités qui affectent nos sociétés et sur le racisme structurel en Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Affirmer que les mobilisations antiracistes en Europe ne sont qu’un copié-collé de mouvements américains revient à nier leur combat et leur marque de fabrique.Marco Martiniello, Research Director FNRS Director, Centre d’Etude et des Migrations (CEDEM) Directeur de l'IRSS,Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège, Université de LiègeAlessandro Mazzola, Post-doc Research Fellow, Sociologist, Guildhall School, City of London Corporation, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1457822020-09-09T18:01:11Z2020-09-09T18:01:11ZLe livre « Flic » ou comment certains policiers se sentent investis d’« une mission divine »<p>Dans <a href="https://www.placedeslibraires.fr/livre/9791096906208-flic-valentin-gendrot/"><em>Flic, un journaliste a infiltré la police</em></a> (paru le 3 septembre septembre 2020 aux éditions Goutte d’Or) Valentin Gendrot décrit ses deux années passées dans la police en tant qu’adjoint de sécurité.</p>
<p>Il y relate sa formation « low-cost » de trois mois, son affectation dans une brigade de roulement du XIX<sup>e</sup> arrondissement de Paris où il va assister et même participer à plusieurs actes répréhensibles perpétrés par ses collègues.</p>
<p>Au-delà de la polémique suscitée par le fait qu’il ne soit pas intervenu sur le moment et qu’il ait décidé de couvrir les auteurs en faisant de faux témoignages, sans jamais signaler les faits à sa hiérarchie, il n’en reste pas moins que les agissements rapportés décrivent une réalité et attestent d’une attitude « jusqu’au boutiste » de plus en plus symptomatique de certains policiers que j’appellerais les « policiers-templiers ».</p>
<p>De quoi s’agit-il ? Qui sont-ils ? Pourquoi ces comportements sont-ils préjudiciables à l’institution police et comment y remédier ?</p>
<h2>Chasseurs-cueilleurs</h2>
<p>Dans la police, les chasseurs sont les policiers qui recherchent à tout prix le flagrant délit, tandis que les « pêcheurs » sont ceux qui attendent qu’une infraction routière se commette devant eux pour la « cueillir ».</p>
<p>Certains de ces chasseurs sembleraient croire qu’ils sont investis d’une « mission divine ». Des reportages évoquent ainsi les insignes militaires ou religieux, détournés et épinglés sur les uniformes, valorisant ceux qui les <a href="https://www.francetvinfo.fr/choix/les-policiers-peuvent-ils-porter-un-chat-noir-ou-un-velociraptor-en-ecusson_2085041.html">portent</a> et associant leur profession à une charge très forte symboliquement.</p>
<p>Certains pensent ainsi être le dernier rempart de la société et veulent partir en croisade contre la délinquance et la criminalité comme jadis les Templiers partaient sur les chemins de l’hexagone pour protéger les pèlerins et défendre la Terre sainte. Ces policiers sont moins préoccupés par leur mission de service public que par l’éradication de tous les délinquants, quitte à verser dans l’illégalité pour y parvenir.</p>
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<img alt="Le journaliste Valentin Gendrot" src="https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/357153/original/file-20200909-22-1jkxuf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le journaliste Valentin Gendrot est devenu adjoint de sécurité quelques mois dans le cadre de son enquête au sein des services de police qui a donné lieu au livre « Flic », paru en septembre aux éditions de la Goutte d’Or.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Joel Saget/AFP</span>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>Ils veulent surtout défendre leur territoire (qui est le ressort de la circonscription de police) et leurs prérogatives (qui sont de maintenir l’ordre et la tranquillité publique), pour s’imposer par la force, au besoin, en faisant régner la terreur par l’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/22/le-rapport-avec-la-police-se-construit-des-le-plus-jeune-age-selon-une-etude_6043713_3224.html">accomplissement de rites</a> (contrôles d’identité systématiques avec palpations très poussées et propos dégradants ou humiliants…) et des attitudes guerrières, car la virilité et la violence sont valorisées, comme le rapporte à plusieurs reprises Valentin Gendrot dans son ouvrage, quand ses collègues qui s’ennuient se plaisent à lui raconter les interpellations dangereuses et les coups distribués au cours de leur carrière.</p>
<p>Ils ne reculent jamais : ce serait pris pour de la lâcheté. Ils ne se dénoncent pas : ce serait trahir un « code de l’honneur » qui leur est propre et qui n’a rien à voir avec le Code de déontologie…</p>
<h2>Le sentiment d’être les seuls à détenir la vérité</h2>
<p>Pourquoi agissent-ils ainsi ? Parce qu’ils ont le sentiment d’être les seuls à détenir la vérité et qu’ils pensent que ce qu’ils endurent au quotidien finit par être la réalité de la vie : la violence de la rue, la misère sociale, la drogue et la mort qui rode à chaque patrouille.</p>
<p>Ils s’abreuvent aussi via des médias dédiés à leur profession, alimentés d’informations souvent anxiogènes. Le site <a href="http://www.actu17.com/">actu17.com</a> est très consulté, disposant également d’une application et de relais sur les réseaux sociaux (279 000 abonnés sur Facebook). Actu17 est cependant un média géré par un particulier et les informations présentes n’y sont pas toujours <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/10/04/attaque-a-la-prefecture-l-agresseur-refusait-il-de-saluer-les-femmes-et-avait-il-ete-convoque-pour-c_1755434">vérifiées</a>. Ces sites jouent aussi un rôle de soupape pour les professionnels des forces de l’ordre qui ont le <a href="https://theconversation.com/stress-et-suicide-dans-la-police-lorganisation-policiere-en-question-91783">sentiment de n’être ni suffisamment écoutés</a> ni correctement représentés.</p>
<p>Ces réseaux les incitent cependant à rester dans un certain entre soi qui n’admet que rarement les éléments extérieurs. Valentin Gendrot le décrit assez bien quand un certain Stan, le chasseur de la brigade, soupire parce qu’il va devoir patrouiller avec lui, l’ADS inexpérimenté, « le boulet ».</p>
<p>Ils se connaissent et se reconnaissent souvent aux outils professionnels qu’ils arborent et qui tendent vers une militarisation de l’uniforme policier (gilet tactique, gants d’intervention, armes modifiées, etc.) mais aussi dans leur attitude au travail.</p>
<p>Ils multiplient les contrôles systématiques au cours desquels ils défient les « bâtards » (les jeunes qu’ils croisent et à qui ils assignent automatiquement un rôle de délinquant, comme le rapporte l’auteur), ils distribuent des gifles, profèrent des menaces, des insultes mêmes, surtout quand ils sont de garde dans les geôles, mais aussi sur la voie publique. Et cela va jusqu’au tabassage en règle si la cible ose protester après avoir été insultée, bousculée ou frappée.</p>
<h2>Faire bloc</h2>
<p>C’est ce qui est arrivé à ce journaliste infiltré, sur un banal contrôle d’identité de 3 ou 4 adolescents qui traînaient au pied d’un immeuble. L’un d’entre eux va se faire gifler devant ses camarades, puis se faire embarquer dans le véhicule de police où il sera roué de coups de poing par un policier, avant d’être placé en garde à vue pour outrage et menaces.</p>
<p>Le jeune déposera plainte et les policiers intervenants seront entendus. Mais tous feront bloc autour de leur collègue pris en faute, y compris ceux qui n’étaient visiblement pas d’accord (ce qui semblait être le cas de la chef de patrouille qui avait fait une remarque au policier fautif sur sa façon de faire mais qui ne l’en a pas empêché…).</p>
<p>Et Valentin Gendrot l’explique très bien : il raconte comment les policiers se comportent entre eux, comment il se replient sur eux-mêmes, ou encore comment ils communiquent entre eux. En effet, ils se renferment sur leur groupe professionnel avec un ennemi identifié et commun, le jeune issu de l’immigration ou tout simplement le « cassos » qui gangrène la société. Ils utilisent les messageries privées qui leur permettent de se retrouver et de se « lâcher » facilement, sans être contredits.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un journaliste de Street Press a infiltré des groupes Facebook de policiers.</span></figcaption>
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<p>De plus, à cause des horaires décalés qui les empêchent d’avoir une vie sociale en dehors du travail, ils se coupent de la société à cause d’une perception biaisée de la réalité alimentée par des sites d’actualité qui font la part belle aux faits divers tragiques, aux mesures de justice laxistes et aux policiers blessés ou tués, sans parler des <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200717202.html">suicides</a> de policiers : on en compte <a href="https://actupenit.com/2020/09/06/bourges-un-policier-age-de-42-ans-sest-suicide/">28 pour 2020</a> dont trois la seule semaine passée.</p>
<h2>« Le ressentiment est la chose la mieux partagée au monde »</h2>
<p>Tous ces facteurs favorisent un repli identitaire professionnel dans laquelle ils puisent la force de continuer à travailler en s’érigeant en véritable guerrier (pour ne pas dire, héros !) en lutte contre la délinquance et la criminalité, dernier rempart d’une société en déliquescence.</p>
<p>En 2006, dans un essai, le philosophe allemand Peter Sloterdijk <a href="http://www.buchetchastel.fr/colere-et-temps-peter-sloterdijk-9782355800016">constatait</a> que « le ressentiment est la chose la mieux partagée au monde ».</p>
<p>Et il ajoutait plus loin : « La fureur du ressentiment s’éveille à partir de l’instant où le vexé décide de se laisser sombrer dans la vexation comme s’il s’agissait d’une élection… ». Ce que décrit Valentin Gendrot est malheureusement tristement banal. Dans un ouvrage intitulé <em>La peur a changé de camp</em>, le journaliste Frédéric Ploquin <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-peur-a-change-de-camp-9782226398024">reproduit</a> les propos d’un brigadier :</p>
<blockquote>
<p>« C’est vrai qu’on mettait parfois des lattes, mais les mecs baissaient la tête. »</p>
</blockquote>
<p>Ce sont des termes du même registre qui sont employés par les collègues du journaliste infiltré : ils « mettent des lattes, des beignes, des bouffes ».</p>
<p>Ils estiment que ça calme les esprits, mais souvent ça dégénère. Mais, est-ce vraiment honorable de faire baisser la tête à un adolescent en lui mettant une claque ? Qui n’a jamais ressenti un sentiment d’humiliation et la volonté d’une vengeance décuplée en recevant un coup, une insulte devant ses camarades ou sa famille ? Ce genre de comportement condamnable génère de la rancœur, du ressentiment et même souvent de la haine. Dès lors, comment peut-on s’étonner que les policiers se fassent caillasser quand ils passent dans certains quartiers ? Les jeunes finissent par baisser la tête quand ils sont seuls ou en infériorité numérique mais dès qu’ils se retrouvent en bande, ils prennent leur revanche comme n’importe quel être humain humilié…</p>
<h2>L’urgence de l’instant</h2>
<p>Le problème est que les policiers agissent dans l’urgence de l’instant, avec les codes de comportement traditionnels <a href="https://theconversation.com/la-police-peut-elle-changer-dethique-129710">qui leur ont été inculqués par les anciens</a>, plutôt que de penser aux éventuelles conséquences de leurs actes pour l’avenir. Ce que Max Weber <a href="https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1991_num_7_1_1007">expliquait ainsi</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les activités qui relèvent du comportement traditionnel fait d’attitudes acquises autrefois cèdent parfois le pas à d’autres activités en réaction sans fin à une excitation insolite, où les directions de l’action sont élaborées de manière consciente selon une rationalité axiologique ou selon une rationalité téléologique. »</p>
</blockquote>
<p>La première réalité étant que les agents se conforment à des impératifs ou des devoirs qui s’imposent à eux (devoir, dignité, piété…) sans se soucier des conséquences prévisibles de leurs actes. La seconde étant que les agents confrontent systématiquement les fins, les moyens et les conséquences principales ou subsidiaires de leurs activités et s’orientent en conséquence. C’est donc vers une rationalité téléologique que devraient tendre les membres des forces de l’ordre.</p>
<p>Si les policiers prenaient conscience que toujours plus de violences finiront par nuire à la cause qu’ils défendent, celle de l’État de droit, alors les choses pourraient évoluer favorablement. Le malaise est prégnant dans la police depuis des années et il est urgent de la <a href="https://theconversation.com/police-sous-tension-lurgence-de-reformer-en-profondeur-101477">réformer</a>.</p>
<p>Cela nécessiterait une meilleure formation initiale, un meilleur taux d’encadrement des jeunes recrues et une refonte de l’<a href="https://theconversation.com/police-de-proximite-mode-demploi-82923">éthique du policier</a>. Celle-ci valoriserait le dialogue plutôt que la violence et se baserait sur un discernement empathique et non autoritariste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Lemercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les agissements rapportés dans l’enquête de Valentin Gendrot décrivent une réalité et attestent d’une attitude « jusqu’au boutiste » de plus en plus symptomatique de certains policiers.Stéphane Lemercier, Chargé de cours - Membre de l'Equipe de Droit Pénal de Montpellier (EDPM), Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1449602020-08-30T16:02:53Z2020-08-30T16:02:53ZLes discriminations ethniques, failles du modèle universaliste français ?<p>La question des discriminations envers les minorités ethniques a défrayé la chronique au début de l’été 2020 notamment au moment de l’affaire <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-mort-de-george-floyd-et-ses-consequences-disent-de-lamerique-139776">George Floyd</a> aux États-Unis et de ses répercussions qu’elle a pu avoir dans des pays comme la France où <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/07/17/affaire-adama-traore-de-nouvelles-investigations-visent-le-passe-du-jeune-homme-et-celui-des-gendarmes_6046463_1653578.html">l’affaire Traoré</a> a nourri des manifestations et des revendications portées par des organisations antiracistes.</p>
<p>On ne peut plus se contenter, en France, de traiter cette question comme un simple épiphénomène ou la réduire à l’expression d’une radicalité d’extrême-gauche cherchant à se renouveler sur le registre de la défense des personnes « racisées » pour se démarquer d’une gauche « gestionnaire » de gouvernement qui aurait trop négligé les questions de société au profit des seules considérations économiques.</p>
<p>Elle entre en effet en résonance avec un sujet que la crise du Covid-19 elle-même a pu mettre en évidence, celui de la <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/coronavirus-emmanuel-macron-bascule-de-la-crise-sanitaire-a-la-crise-sociale-1210115">cohésion du tissu social français</a> et des raisons d’être du <a href="https://www.lejdd.fr/Economie/boris-cyrulnik-nous-pouvons-profiter-de-cette-crise-pour-apprendre-a-mieux-vivre-ensemble-3971748">vivre ensemble</a>.</p>
<h2>Un débat de principes</h2>
<p>Le débat sur les discriminations ethniques a pris un tour passionné en France pour plusieurs raisons.</p>
<p>Tout d’abord parce qu’un pays affichant haut et fort son attachement à l’égalité républicaine comme la France est devenu suspect, à tort ou à raison, de <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/04/27/a-quand-une-vraie-lutte-contre-le-racisme-au-sein-des-forces-de-l-ordre_1786583">pratiques racistes</a> notamment au sein des forces de l’ordre, ce qui laisse entendre qu’il y a loin entre l’énoncé de grands principes et la réalité du terrain.</p>
<p>La thématique du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/07/20/racisme-ordinaire-on-me-rappelle-tout-le-temps-ma-couleur-de-peau_6046686_3224.html">racisme ordinaire</a>, voire <a href="https://theconversation.com/la-loi-condamne-t-elle-le-racisme-systemique-en-france-141237">« systémique »</a>, vient alimenter un discours critique qui se déploie sur bien d’autres terrains.</p>
<p>Par exemple, les violences faites aux femmes, les inégalités scolaires, la misère des services publics ou bien l’appauvrissement des classes moyennes, ont conduit à dénoncer un décalage permanent entre les pratiques sociales observables sur le terrain et le discours officiel sur la « bienveillance » et la solidarité porté par les gouvernements successifs depuis des décennies.</p>
<p>C’est au cœur de ce décalage que l’on pourrait trouver les racines profondes de la défiance à l’égard de la politique et de la démocratie représentative qui caractérise la France plus que <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100080350">tout autre pays en Europe</a>.</p>
<h2>Une opposition entre deux interprétations du progrès</h2>
<p>Ensuite, pour des raisons plus purement politiques, parce que la thématique du racisme vient faire éclater la gauche, opposant la gauche républicaine et laïque à une gauche revendiquant le droit à la <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/Et_apr%C3%A8s_N21_Le_p%C3%A9ril_identitaire">diversité des communautés et des cultures</a>. Il ne s’agit pas seulement d’une querelle de clocher.</p>
<p>Derrière ce conflit, ce sont deux interprétations du progrès qui s’opposent, même si ces deux gauches dénoncent fortement le racisme : d’un côté, la promotion des plus pauvres par la justice sociale et l’éducation, sans tenir compte des origines, de l’autre, la prise en considération des cultures et des religions dans des politiques d’intégration ouvertes.</p>
<p>C’est l’opposition entre le projet républicain d’un espace public unifié et neutralisé et le projet démocratique d’une mosaïque communautaire assemblée par le respect d’une loi morale commune tenant au respect des différences. Mais c’est aussi l’opposition entre, d’un côté, un projet pro-actif d’émancipation, toujours en construction, et, de l’autre, l’idée de faire le bilan critique d’une histoire qui aurait trop négligé les discriminations.</p>
<p>Enfin, reste que la question n’est pas simple à traiter du point de vue de la recherche en sciences sociales.</p>
<h2>L’objectif et le subjectif se superposent</h2>
<p>On est ici sur un terrain où les données objectives sont difficiles à utiliser. Les discriminations raciales ne relèvent pas d’une posture économétrique naïve où tout serait expliqué par le taux de chômage ou le niveau de vie. Elles mettent en jeu des représentations subjectives, un mal-être de la part des personnes souffrant des relations entretenues ou subies avec les autres. On est ici dans un domaine où l’objectif et le subjectif se superposent.</p>
<p><a href="https://www.liberation.fr/checknews/2018/01/16/est-ce-que-les-statistiques-ethniques-sont-interdites-en-france_1652990">L’interdiction</a> des statistiques ethniques dans les enquêtes fournit d’ailleurs une <a href="https://www.cairn.info/migrations-et-mutations-de-la-societe-francaise--9782707177117-page-297.htm">belle illustration</a> du problème : d’un côté, on peut très justement soutenir qu’elles ne servent à rien car on dispose de données sur les origines géographiques ou nationales des personnes enquêtées ou sur celles de leur famille.</p>
<p>Par ailleurs, il est très difficile de catégoriser les personnes par une couleur ou une origine sauf à tomber dans l’essentialisation qui caractérise précisément le racisme : qu’est-ce qu’un « Noir », un « Blanc », un « Asiatique » ?</p>
<p>Que fait-on des métis, doit-on faire des nuanciers, que faire des grands-parents ? Par ailleurs, un Noir ou un Blanc riche est-il assimilable à un Noir ou un Blanc pauvre ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/A8hiyKiLTL4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Green Book</em>, de Peter Farelly, sorti à l’été 2018.</span></figcaption>
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<p>Ce débat est bien mis en scène dans le film de Peter Farrelly <em>Green Book : sur les routes du sud</em> où Tony Lip, un videur italo-américain du Bronx, est engagé pour accompagner en tournée le Dr Don Shirley, un pianiste noir de réputation internationale. Le premier dit au second « mais je suis bien plus noir que vous ! J’ai vécu dans le Bronx et je connais, moi, la pauvreté ! ». Et le second lui répond :« oui, mais moi je me sens toujours différent dans le regard des autres ! »</p>
<p>En effet, l’argument des défenseurs des statistiques ethniques <a href="https://www.cairn.info/migrations-et-mutations-de-la-societe-francaise--9782707177117-page-297.htm">est également très juste</a> : on n’est pas d’une couleur ou d’une ethnie objective mais on se sent d’une couleur ou d’une ethnie différente dans le regard que l’on porte sur vous.</p>
<p>Il s’agit d’un processus d’identification intime mais aussi social au travers duquel se construit la distance avec les autres. Le « ressenti » subjectif, lorsqu’il devient collectif, crée des phénomènes sociaux objectifs comme la multiplication de mouvements contestataires et l’inscription à l’agenda politique d’un « problème » resté implicite jusque là.</p>
<h2>Un sentiment de discrimination plus fréquent en France</h2>
<p>Pour tenter de dépasser cette difficulté, on peut utiliser des enquêtes qui demandent aux personnes interrogées si elles se sentent appartenir à une minorité ethnique. Cela permet de partir du subjectif pour voir si cela crée de « l’objectif ». C’est notamment le cas de l’enquête <a href="https://www.europeansocialsurvey.org">European Social Survey</a>, qui est une référence en matière de qualité méthodologique (comité scientifique de suivi, entretien en face à face, etc.) et dont on utilisera ici les résultats de la vague 9 réalisée en 2018, la dernière disponible.</p>
<p>On a pris comme point de comparaison des pays européens qui représentent des situations assez contrastées tant sur le plan géographique ou de leurs politiques migratoires que sur le plan religieux (pays très catholiques comme l’Italie, largement protestants comme le Royaume-Uni). La proportion de l’échantillon considérant appartenir à un groupe ethnique minoritaire est de 4 % en Italie, 5 % en Belgique comme en France, 7 % en Suisse, 8 % en Allemagne et aux Pays-Bas, 9 % au Royaume-Uni, ce qui donne des sous-échantillons réduits allant d’une centaine d’enquêtés (France) à deux cents (Royaume-Uni) mais suffisants pour mener quelques analyses comparatives.</p>
<p>Une autre question porte sur le point de savoir si l’enquêté estime faire partie d’un groupe discriminé. Le croisement entre les deux dimensions montre que c’est bien en France que les enquêtés estimant appartenir à un groupe ethnique minoritaire se sentent le plus souvent appartenir à un groupe discriminé. La question des discriminations ethniques semble donc bien plus sensible en France sans que l’on puisse évidemment déduire de ces résultats que ces représentations naissent d’une situation réellement plus discriminante que dans les autres pays.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique 1 -- La proportion d’enquêtés appartenant à un groupe ethnique minoritaire se disant discriminés (%)." src="https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354420/original/file-20200824-16-15uizqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 1 – La proportion d’enquêtés appartenant à un groupe ethnique minoritaire se disant discriminés (%).</span>
<span class="attribution"><span class="source">European Social Survey, vague 9, 2018</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Quel est le principal facteur de cette discrimination ? Une batterie de questions permet d’évoquer un certain nombre de sujets. L’origine nationale est surtout mise en avant en Italie, puis en Allemagne et aux Pays-Bas, rarement en France. La religion est surtout évoquée en Belgique, en Italie, mais aussi, bien qu’à un niveau plus bas, en France et aux Pays-Bas.</p>
<p>La langue est surtout un facteur de discrimination en Allemagne mais reste en moyenne un item peu évoqué. L’appartenance à un groupe ethnique est surtout soulignée en Belgique et en France, puis en Italie, plus rarement ailleurs.</p>
<p>En revanche, les discriminations liées au genre (toujours au sein des groupes ethniques minoritaires) sont surtout évoquées en France (7 %) et au Royaume-Uni (6 %).</p>
<p>On peut donc supposer qu’il existe bien un lien en France entre discriminations ethniques et discriminations en termes de genre, voire une amplification des secondes par les premières.</p>
<h2>Une confiance plus basse dans la police mais pas dans la justice</h2>
<p>Comme la question s’est posée de savoir si les relations avec les forces de l’ordre et le système judiciaire n’étaient pas dégradées par des actes ou un sentiment de discrimination, on peut chercher à savoir si le niveau de confiance dans la police et dans la justice est le même dans les groupes ethniques minoritaires des pays étudiés et au sein de la population majoritaire.</p>
<p>L’enquête montre que la confiance dans la police (on indique ici le niveau de confiance forte repéré par les notes entre 7 et 10 d’une échelle allant de 0 à 10) est toujours plus basse chez les enquêtés disant appartenir à un groupe ethnique minoritaire.</p>
<p>Même si le niveau moyen de confiance dans la police n’est pas le même d’un pays à l’autre, l’écart entre les réponses données par ceux qui se reconnaissent dans des groupes ethniques minoritaires et celles données par les enquêtés du groupe majoritaire est, là encore, le plus important en France.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354432/original/file-20200824-20-bhido4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2 – La proportion d’enquêtés ayant fortement confiance dans la police dans les groupes ethniques minoritaires et dans le groupe majoritaire (%).</span>
<span class="attribution"><span class="source">European Social Survey, vague 9, 2018</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En revanche, les résultats concernant la confiance dans la justice (calculés de la même façon) ne donne pas du tout les mêmes résultats.</p>
<p>C’est bien au sein des groupes ethniques minoritaires que cette confiance est la plus forte. À ce titre, il n’existe pas de différence en France entre les réponses données par les membres des groupes minoritaires et celles du groupe majoritaire. On remarque seulement que le niveau moyen de confiance dans la justice est le plus bas de tous les pays examinés, ce qui confirme les résultats d’autres enquêtes, notamment celle du Baromètre de la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">confiance politique du Cevipof</a>.</p>
<p>Cette confiance relativement plus forte dans la justice au sein des groupes ethniques minoritaires pourrait s’expliquer par le fait qu’une partie des enquêtés qui en sont membres proviennent de pays où la justice est particulièrement délabrée ou corrompue. Du reste, 50 % des membres de groupes minoritaires en France n’y sont pas nés comme 70 % de ceux que l’on trouve au Royaume-Uni ou 80 % de ceux que l’on trouve en Italie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354433/original/file-20200824-22-1x4nou8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 3 – La proportion d’enquêtés ayant fortement confiance dans la justice dans les groupes ethniques minoritaires et dans le groupe majoritaire (%).</span>
<span class="attribution"><span class="source">European Social Survey, vague 9, 2018</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des groupes ethniques minoritaires attachés à leur pays de résidence</h2>
<p>Cela étant, la présence de discriminations réelles ou ressenties n’empêche pas les membres des groupes ethniques minoritaires d’être fortement attachés affectivement au pays où ils vivent.</p>
<p>C’est particulièrement et paradoxalement le cas de la France où cette proportion (calculée de la même façon que précédemment) est de 74 %, le second meilleur résultat après la Suisse (80 %), alors que l’attachement affectif au pays de résidence n’est que de 54 % en Italie où le contraste avec le groupe majoritaire sur ce terrain est le plus fort. En Belgique et au Royaume-Uni, les membres des groupes ethniques minoritaires semblent même plus attachés à leur pays d’adoption que les membres du groupe majoritaire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354434/original/file-20200824-14-flmzkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 4 – La proportion d’enquêtés disant être fortement attachés affectivement à leur pays de résidence (%).</span>
<span class="attribution"><span class="source">European Social Survey, vague 9, 2018</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le débat en France sur les discriminations ethniques doit donc tenir compte de ces différents résultats. Le sentiment d’être discriminé est plus fort en France parmi ceux qui se reconnaissent dans une minorité ethnique et nourrit une défiance plus forte envers la police mais pas envers la justice. Néanmoins, cela ne signifie pas un rejet du pays d’adoption.</p>
<p>On peut émettre l’hypothèse que les réponses données par les enquêtés en France peuvent venir d’une déception à l’égard d’un pays affichant très haut sa vocation universaliste et auquel ils sont attachés.</p>
<p>On rejoint ici clairement la question qui taraude la démocratie française, celle du décalage entre ses idéaux et les pratiques du terrain ou, du moins, les sentiments que ces pratiques font naître.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144960/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question des discriminations ethniques menace la cohésion du tissu social français : regard européen sur un enjeu hautement politique.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1445882020-08-17T16:59:07Z2020-08-17T16:59:07ZBélarus : le début de la fin pour Loukachenko<p>Au <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/belarus-ou-bielorussie-une-question-tres-symbolique-un-enjeu-democratique">Bélarus</a>, la réélection du président sortant Alexandre Loukachenko pour son sixième mandat, prévue le 9 août 2020, devait se dérouler sans beaucoup de surprises. Après 26 ans au pouvoir, l’homme semblait parfaitement maîtriser le déroulement du processus électoral et paraissait assuré de s’imposer à nouveau avec un score triomphal. Mais un grain de sable a fait dérailler le mécanisme bien huilé de son régime autoritaire : une candidate de dernière minute, <a href="https://www.lci.fr/international/bielorussie-qui-est-svetlana-tikhanovskaia-candidate-de-l-opposition-face-au-president-alexandre-loukachenko-2161448.html">Svetlana Tikhanovskaïa</a>.</p>
<p>L’autorisation à concourir donnée à cette femme au foyer trentenaire, jugée totalement inoffensive et incapable de faire de l’ombre à l’homme fort de Minsk, s’est révélée une erreur fatale d’un président profondément misogyne. En l’espace de quelques semaines, la candidate quasi inconnue a su incarner le rejet massif de Loukachenko et est devenue le symbole du désir de changement d’une grande partie de la population bélarusse.</p>
<p>Pourquoi le scénario habituel de la réélection paisible de Loukachenko a-t-il échoué ? Que nous révèlent le succès inattendu de Tikhanovskaïa et <a href="https://www.voanews.com/europe/biggest-crowd-yet-protests-belarus">l’ampleur inédite des contestations</a> des profondes évolutions de la société bélarusse ? Et quelle implication ces événements auront-ils au niveau régional ?</p>
<h2>Les vieilles recettes de Loukachenko</h2>
<p>La tenue régulière d’élections fait partie de ces rituels que l’on tient à observer même dans des pays autoritaires comme le Bélarus, où <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13510347.2014.899585">l’opposition est marginalisée</a>, la compétition politique impossible dans le cadre des institutions officielles et <a href="https://muse.jhu.edu/article/675780/summary">l’alternance inenvisageable</a>. Les dirigeants en place se plient généralement de bonne grâce à la mise en scène d’élections non concurrentielles dont les résultats sont connus d’avance. Néanmoins, ils savent que cet exercice peut se révéler périlleux.</p>
<p><a href="https://www.nytimes.com/1994/07/11/world/populist-in-belarus-sweeps-to-a-presidential-victory.html">Élu en 1994</a> face à son imprudent rival, le chef du gouvernement de l’époque Viatcheslav Kebitch, lors de la première (et dernière à ce jour) élection présidentielle réellement démocratique et transparente, Loukachenko s’est assuré de ne pas commettre la même erreur. Il n’a jamais laissé échapper le contrôle du processus électoral, secondé par la fidèle Lidia Ermochina, inamovible présidente de la Commission électorale centrale depuis 1996. Le duo a déjà testé plusieurs moyens de minimiser les risques inhérents à chaque réélection (en 2001, 2006, 2010, 2015).</p>
<p>L’essentiel de ces moyens peut être classé en quatre grandes catégories : l’éviction des concurrents les plus sérieux ; le contrôle de la couverture médiatique ; le recours à la « ressource administrative » et à la falsification des résultats ; l’usage de l’intimidation et de la force si nécessaire. Toutes ces méthodes ont été mises à contribution en 2020.</p>
<p>Dans les premiers mois de 2020, les trois concurrents jugés potentiellement dangereux (Viktor Babariko, Sergueï Tikhanovskiï, Valeriï Tsepkalo) ont été <a href="https://theconversation.com/halte-au-cafard-en-bielorussie-un-president-bouscule-mais-en-route-vers-la-reelection-142804">écartés</a>, les deux premiers étant emprisonnés et le troisième contraint à fuir le pays. Les quatre candidats officiellement enregistrés (Andreï Dmitriev, Anna Kanopatskaïa, Sergueï Tcheretchen » et Svetlana Tikhanovskaïa) n’ont eu droit qu’à <a href="https://news.tut.by/society/693477.html">deux heures d’antenne dans les médias nationaux chacun</a>. Pendant ce temps, les activités du président en exercice ont bénéficié d’une ample couverture médiatique – à la tonalité extrêmement positive, cela va de soi. Son allocution traditionnelle aux membres du Parlement et à la nation, initialement prévue mi-avril, a été <a href="http://www.president.gov.by/ru/news_ru/view/poslanie-belorusskomu-narodu-i-natsionalnomu-sobraniju-24168/">reprogrammée au 4 août</a>, soit cinq jours avant le scrutin. Ce dispositif a été complété par une <a href="https://rsf.org/fr/actualites/violente-repression-contre-la-presse-au-belarus-rsf-demande-lue-de-prendre-des-sanctions?">répression violente visant les journalistes</a> et par une <a href="https://netblocks.org/reports/internet-disruption-hits-belarus-on-election-day-YAE2jKB3">coupure totale d’Internet le jour de l’élection</a>. Le nombre des lieux officiellement autorisés pour les rencontres des candidats avec les électeurs a été drastiquement réduit. Parallèlement, certains candidats ont fait part d’intimidations à l’encontre de leurs collaborateurs, et de nombreuses <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2020/06/belarus-bloggers-and-activists-arrested-in-purge-ahead-of-the-presidential-election-must-be-released/">arrestations arbitraires ont été signalées tout au long de la campagne</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1292171987050061825"}"></div></p>
<p>Les possibilités de supervision du processus électoral ont été largement diminuées : la seule mission étrangère d’observation était celle <a href="https://iacis.ru/News/IIMDD_IPA_CIS/ipa_cis_observers_monitor_voting_at_parliamentary_elections_in_belarus">déléguée par l’Assemblée interparlementaire de la CEI</a> (le contre-modèle des missions de l’OSCE), et l’accès des observateurs indépendants aux bureaux de vote a été délibérément rendu très difficile. En outre, la procédure de vote anticipé, régulièrement dénoncée comme un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/08/06/en-bielorussie-premiers-votes-et-premieres-fraudes_1796112">outil majeur des falsifications</a>, a été lancée cinq jours avant la date officielle du 9 août.</p>
<p>Le soir de l’élection, en prévision des manifestations de contestation, un imposant dispositif répressif a été mobilisé dans la capitale. Le <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/bielorussie-violence-contre-les-manifestants">déchaînement de violence de la part des forces de l’ordre</a> à l’égard des manifestants a dépassé de loin <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2011/01/06/apres-l-election-la-repression">celui de 2010</a>.</p>
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<p>Cependant, en dépit de tous ces moyens utilisés pour éviter la médiatisation et étouffer dans l’œuf toute tentative de contestation des résultats, l’élection a révélé au grand jour l’impopularité grandissante du président et la lassitude d’une importante partie de la population prête à se mobiliser pour soutenir une parfaite inconnue dès lors qu’elle incarne l’idée du changement.</p>
<h2>Ce que révèle le succès de Tikhanovskaïa</h2>
<p>Qui est donc cette Svetlana Tikhanovskaïa qui a défié le « dernier dictateur d’Europe » et <a href="https://www.challenges.fr/femmes/belarus-l-opposante-tikhanovskaia-se-dit-prete-a-devenir-le-leader-national_723316">se proclame aujourd’hui victorieuse</a>, depuis la Lituanie où elle s’est réfugiée ? Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une femme politique qui représente un parti d’opposition. Son engagement dans la campagne a été improvisé car c’est à la suite du <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/rejet-de-la-candidature-la-presidentielle-dun-opposant-emprisonne-au-belarus.afp.com.20200714.doc.1v62jx.xml">refus par les autorités d’enregistrer la candidature de son mari</a>, un blogueur populaire et détracteur pugnace de Loukachenko, emprisonné depuis le mois de juin, qu’elle s’est portée candidate.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1289945566755950592"}"></div></p>
<p>Sa brillante et originale campagne sur les réseaux sociaux et dans les médias alternatifs (comme le portail d’information tut.by ou la chaîne en bélarusse Belsat, financée par l’UE et hébergée en Pologne) a été menée grâce aux efforts réunis des équipes des trois candidats exclus de la course à la présidence. Leur appel aux trois autres candidats enregistrés et apparentés aux <a href="https://www.ldh-france.org/belarus%E2%80%89-lopposition-au-parlement-apres/">partis d’opposition</a> de se désister au profit d’une candidature unique face à Loukachenko n’a pas été suivi d’effet. D’ailleurs, la tentative de désigner un candidat unique représentant l’ensemble des partis et mouvements d’opposition lors des primaires organisées en février 2020 s’était déjà soldée par un échec. Finalement, ce ne sont pas les liens avec l’opposition historique, mais l’inventivité et l’usage des nouvelles technologies dans un pays <a href="https://datareportal.com/digital-in-belarus">plus connecté qu’on le croit</a> qui a fait la différence avec les campagnes précédentes.</p>
<p>L’originalité de la démarche de Tikhanovskaïa consistait à briguer le poste présidentiel non pas pour garder le pouvoir, mais pour organiser ultérieurement une nouvelle élection présidentielle, pleinement transparente cette fois. Sa campagne s’est articulée non pas autour des sujets socio-économiques mais autour des revendications de liberté politique et d’État de droit.</p>
<p>Ce positionnement a fortement résonné avec la volonté d’une partie grandissante de la société bélarusse de voir le pays s’engager sur la voie d’une modernisation politique, sociale et économique, et surtout d’en finir avec un régime autoritaire de plus en plus dépassé et déconnecté de la société.</p>
<p>La popularité de Loukachenko a été longtemps liée à sa capacité à garantir une stabilité socio-économique particulièrement prisée par des générations qui avaient mal vécu la disparition de l’URSS et étaient nostalgiques du modèle soviétique. La part de cet électorat âgé et essentiellement rural a progressivement diminué, au profit de nouvelles générations plus jeunes et urbaines. Tikhanovskaïa et ses alliées Veronika Tsepkalo (la femme du deuxième candidat écarté, Valériï Tsepkalo), et Maria Kolesnikova (la chef de campagne du troisième candidat évincé, Viktor Babariko), qualifiées par Loukachenko de « trois pauvres filles qui ne comprennent rien », ont parfaitement saisi et incarné les profonds changements qu’a connu la société bélarusse en un quart de siècle. Leur exigence de rendre sa dignité au peuple bélarusse a trouvé un écho bien plus large que les vaines promesses d’augmentation de salaire évoquées par le président, y compris auprès de son électorat traditionnel. Sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/31/coronavirus-la-bielorussie-le-pays-ou-l-epidemie-n-aura-pas-lieu_6035079_3210.html">gestion maladroite de la crise du coronavirus</a> n’a fait que souligner le caractère archaïque de son pouvoir.</p>
<p>Au-delà de ces évolutions de fond, Loukachenko paie également aujourd’hui deux erreurs majeures : l’annonce des résultats officiels lui attribuant un score <a href="https://belarusfeed.com/golos-platform-lukashenko-votes-scam/">hautement improbable</a> de 80 % des voix, et l’usage démesuré de la violence pour réprimer la contestation dans les jours qui ont suivi l’élection. En l’espace d’une semaine, l’ensemble de la population bélarusse, réputée jusque-là apolitique, s’est mobilisée à travers des manifestations très suivies malgré la répression, une <a href="https://www.lejdd.fr/International/Europe/en-bielorussie-loukachenko-face-a-la-greve-generale-3985915">grève générale</a> et de multiples actions de rue (chaînes de solidarité de femmes vêtues de blanc et portant des fleurs, klaxons des automobilistes, etc.) qui ont pris le régime de court. La société civile, dont l’opposition bélarusse avait si longtemps déploré l’absence, s’est révélée à elle-même et au monde entier.</p>
<h2>Un défi géopolitique inattendu</h2>
<p>Cette échéance électorale devait avoir lieu dans un contexte international plutôt favorable à Loukachenko. Si les libertés prises avec la Constitution de 1994 lors des multiples parodies de consultations électorales qu’il a organisées lui ont longtemps valu de fortes critiques de la part des pays occidentaux, accompagnées d’une série de sanctions, la situation s’était apaisée ces dernières années. Son retour en grâce auprès de la communauté internationale était lié à son habile positionnement de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2014/10/01/01003-20141001ARTFIG00382-le-retour-en-grace-de-loukachenko-l-autocrate-de-minsk.php">médiation lors de la crise ukrainienne</a>, et à quelques gestes d’ouverture à l’égard de l’opposition politique qui ont permis la <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/15/l-ue-leve-ses-sanctions-contre-la-bielorussie_4865782_3214.html">levée des sanctions européennes</a> et l’engagement de quelques projets de <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/22039-lunion-europeenne-la-bielorussie-et-le-defi-de-la-cooperation">coopération avec l’UE</a>. Sa réélection en 2015 n’a d’ailleurs suscité aucune réaction négative de la part de l’UE en dépit du score soviétique de 83 %. La visite du secrétaire d’État américain Mike Pompeo à Minsk, début 2020, laissait également entrevoir un réchauffement des relations avec les États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1223579048212779014"}"></div></p>
<p>D’un autre côté, les tensions récurrentes autour des questions commerciales et énergétiques avec Moscou, les <a href="https://theconversation.com/une-annexion-de-la-bielorussie-un-projet-de-poutine-pour-assurer-lapres-2024-118270">réticences de Minsk sur l’avancée du projet d’État unifié</a> et une certaine méfiance à l’égard des tentatives bélarusses de rapprochement avec les Occidentaux ne remettaient pas fondamentalement en question la priorité donnée à la coopération avec la Russie. Les Russes sont restés de marbre face aux provocations verbales du président bélarusse lors de sa campagne électorale et à <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bielorussie-32-combattants-russes-arretes-ont-ete-remis-a-moscou-20200814">l’affaire Wagner</a>, montée de toutes pièces, qui a fait planer le soupçon d’une éventuelle intervention russe pour déstabiliser le régime de Loukachenko.</p>
<p>Ainsi, les principaux acteurs régionaux apparaissaient relativement neutres en amont de l’élection. Cette prudence était tout à fait compréhensible au regard des conséquences dramatiques de la crise ukrainienne. L’UE cherchait surtout à éviter de provoquer la Russie afin de ne pas lui donner le prétexte pour intervenir militairement, mais également pour ne pas compromettre le cheminement vers la normalisation qui se profile dans les relations russo-européennes. Personne n’avait intérêt à l’apparition d’un nouveau foyer d’instabilité en Europe.</p>
<p>Cette nouvelle « révolution de la dignité » a lancé un défi inattendu autant à l’UE, absorbée par la gestion de la crise du coronavirus et le Brexit, qu’à la Russie, plongée dans la <a href="https://www.bilan.ch/economie/leconomie-russe-sapprete-a-plonger-face-a-lepidemie-et-a-la-crise-petroliere">crise économique</a> suite à la chute des prix du pétrole.</p>
<p>La neutralité européenne est devenue difficilement tenable au lendemain de l’élection à cause de la violence excessive du régime ainsi que de l’ampleur et de la durée des manifestations. Les autorités de l’UE ont d’abord réagi par un <a href="https://reneweuropegroup.eu/fr/news/1588-bielorussie-renew-europe-condamne-la-repression-politique-a-l-issue-d-elections-truquees-et-demande-que-l-ue-prenne-des-sanctions-envers-les-responsables-bielorusses/">appel à stopper la violence</a> et à <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_presidentielle-en-bielorussie-l-ue-demande-un-decompte-exact-des-votes-et-condamne-la-repression?id=10558901">recompter les voix</a>, puis par des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/elections-en-bielorussie/bielorussie-l-union-europeenne-denonce-une-election-ni-libre-ni-equitable-et-menace-de-sanctions_4072705.html">menaces de sanctions à l’égard du régime</a> et une proposition de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/15/les-manifestations-se-poursuivent-en-bielorussie-loukachenko-s-est-entretenu-avec-poutine_6049023_3210.html">médiation</a>.</p>
<p>La demande des dirigeants de nombreux pays occidentaux, en premier lieu de la Pologne et des pays baltes, d’organiser de nouvelles élections, a poussé Loukachenko à faire volte-face et à revenir au scénario classique du <a href="https://www.msn.com/fr-ca/actualites/monde/des-forces-ext %C3 %A9rieures-d %C3 %A9stabilisent-la-bi %C3 %A9lorussie-selon-moscou/ar-BB17V5Ug">complot de l’Occident</a>. Ainsi, il a subitement oublié ses propres insinuations portant sur une menace de déstabilisation provenant de Russie, lancées en pleine campagne électorale avec l’affaire Wagner, et <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20200815-manifestations-en-bi %C3 %A9lorussie-loukachenko-s-est-entretenu-vladimir-poutine">appelé au secours Vladimir Poutine</a>. Celui-ci a promis le 16 août que Moscou « respectera ses engagements » dans le cadre du traité de l’État unifié Russie-Bélarus, et si nécessaire dans le cadre de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-153.htm">OTSC</a>, ce qui sous-entend la possibilité de l’envoi de forces armées.</p>
<p>La situation au Bélarus représente un véritable dilemme pour le Kremlin : d’un côté, les dirigeants russes sont las des revirements de Loukachenko et l’arrivée d’une nouvelle personne à la tête de l’État bélarusse ne comporte pas beaucoup de risque d’un changement brutal dans les relations russo-bélarusses : le pays s’éloigne politiquement de l’orbite russe depuis 2014 mais demeure économiquement dépendant vis-à-vis de la Russie. De l’autre côté, un changement de régime sous la pression de la rue au Bélarus pourrait donner une impulsion sans précédent à la montée des contestations politiques en Russie à la veille d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/ %C3 %89lections_infranationales_russes_de_2020">scrutin régional</a> qui s’annonce très tendu ; et, symboliquement, la chute de Loukachenko présagerait l’inexorable fin de Poutine. En revanche, ni la population bélarusse ni la population russe n’est favorable au scénario d’une intervention militaire. Poutine serait-il prêt à assumer une telle décision, aux conséquences géopolitiques et intérieures très lourdes, dans un contexte de récession économique ?</p>
<p>Enfin, que ferait l’UE dans l’hypothèse d’une intervention militaire russe ? Ses moyens d’action sont limités comme l’ont déjà montré les crises de 2008 en Géorgie et de 2014 en Ukraine. Serait-elle prête à franchir la ligne rouge et à intervenir de manière plus active cette fois ? La nouvelle « révolution de dignité » lance de nouveau un défi à la stabilité géopolitique au cœur de l’Europe ; elle représente probablement aussi une occasion d’envisager une nouvelle configuration où ce pays ne sera plus déchiré par le choix impossible entre les deux grands pôles de puissance que sont l’UE et la Russie…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olga Gille-Belova ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’explosion de mécontentement de la population du Bélarus après la récente présidentielle a pris de court l’inamovible dirigeant autoritaire Alexandre Loukachenko.Olga Gille-Belova, Maître de conférences au Département d'Études slaves, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1424282020-07-15T17:41:17Z2020-07-15T17:41:17ZRefonder la police : et si on osait la convention citoyenne sur la sécurité ?<p>Service public de première ligne, la police peut-elle rester sourde au <a href="http://retro.erudit.org/projspec/lsp/n84_complet.pdf">renforcement des exigences démocratiques</a> à son égard ? Dans un contexte de crise de la démocratie représentative et de foisonnement des voix mettant en cause <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/07/01/justice-et-verite-sur-le-racisme-et-les-violences-policieres_1792903">l’usage de la force</a>, la participation des citoyens peut-elle aider à refonder démocratiquement les politiques de sécurité ?</p>
<p>Une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/23/pourquoi-pas-une-convention-citoyenne-sur-les-violences-policieres-a-l-exemple-de-la-convention-citoyenne-sur-le-climat_6043877_3232.html">convention citoyenne sur la sécurité</a> au niveau national, inspirée de la récente Convention citoyenne sur le climat, et des expérimentations pratiques au niveau local pourraient aller de pair pour sortir de l’impasse.</p>
<h2>La sécurité, chasse gardée des professionnels</h2>
<p>S’il reste, en France, un domaine perçu comme <a href="https://theconversation.com/police-de-proximite-sortir-du-roman-policier-national-83309">l’apanage des professionnels et de l’État</a>, c’est bien celui de la sécurité.</p>
<p>Comme les politiques de maintien de l’ordre, la sécurité se caractérise par un <a href="https://laviedesidees.fr/Un-splendide-isolement.html">« splendide isolement »</a> qui concourt à une véritable sclérose des recettes d’action publique et à une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-francais-ont-de-moins-en-moins-confiance-en-leur-police_fr_5e60c1d9c5b69d641c0b0e96">défiance croissante</a> de la population.</p>
<p>Cet isolement se déploie sur plusieurs fronts.</p>
<p>Tout d’abord, alors que de nouveaux modèles d’action comme le <a href="https://www.cambridge.org/core/books/police-innovation/advocate-the-promise-of-community-policing/364C7BC491D809F5738F479C3A087511"><em>community policing</em></a> une politique qui vise à rapprocher la police de la population pour mieux <a href="https://www.liberation.fr/societe/2014/03/30/a-montreal-une-police-bien-polie_991471">répondre à ses attentes</a> se sont diffusés dans le monde entier pour refonder l’usage démocratique de la force, la <a href="https://www-cairn-info.acces.entpe.fr/la-police-contre-les-citoyens--9782353711055.htm">France a raté le tournant</a>.</p>
<p>L’insularité policière est ensuite entretenue par les relations distendues qui existent en France avec le monde académique, alors que ce dernier joue dans d’autres pays comme le Canada ou les États-Unis un rôle essentiel de « passeur » de nouvelles approches, comme le montre l’exemple de la police dite communautaire, imaginée à l’origine <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01199289/document">par des chercheurs</a>.</p>
<p>L’insularité renvoie enfin aux relations avec les citoyens : les enjeux de sécurité restent, en France, perçus comme « <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/1088">trop sensibles, importants ou sérieux</a> pour être discutés, et plus encore décidés, avec la population ».</p>
<h2>Une fracture profonde</h2>
<p>Ce n’est sans doute pas un hasard si les mobilisations contre les violences policières ont rencontré un tel succès en France, témoignant d’une fracture profonde entre l’institution policière et des franges croissantes de la population.</p>
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<span class="caption">Graffiti sur les murs d’Easton, Angleterre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fragiletender/5665502789">Kirsty Hall/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Le sentiment d’injustice et le rejet de l’opacité policière se sont cristallisés suite à la mort de Georges Floyd aux États-Unis en mai 2020 et aux mobilisations planétaires qui en ont découlé. En France, l’affaire fait écho à la mort d’Adama Traoré en 2016 et aux <a href="https://www.acatfrance.fr/public/rapport_violences_policieres_acat.pdf">violences policières visant les minorités visibles</a>.</p>
<h2>La participation citoyenne, pour quoi faire et comment ?</h2>
<p>A l’heure où l’expérimentation démocratique a le vent en poupe, la récente Convention citoyenne sur le climat pourrait servir de source d’inspiration pour faire avancer la délibération collective sur ces questions sensibles.</p>
<p>Les travaux sur la démocratie participative ont montré la plus-value de l’expertise profane et de l’intelligence collective pour <a href="https://journals.openedition.org/developpementdurable/1316">« agir dans un monde incertain »</a>.</p>
<p>Plusieurs expérimentations de conférences citoyennes « hybrides » sur les rapports police/population en région <a href="https://theconversation.com/gendarmes-et-citoyens-a-l-ecole-de-la-democratie-130338">Auvergne-Rhône-Alpes et dans l’Yonne</a> confirment que les habitants, du fait non seulement de leur expertise en tant qu’utilisateurs du service public, mais aussi de leur qualité de citoyen, ont des choses pertinentes à dire sur la sécurité.</p>
<h2>Le risque d’instrumentalisation</h2>
<p>Une critique récurrente à l’égard des dispositifs délibératifs est cependant qu’ils se limitent souvent à un rôle purement consultatif, au risque d’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">instrumentaliser la parole des citoyens</a>.</p>
<p>C’est dans ce cadre limité qu’a par exemple eu lieu une <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Christophe-Castaner/Dossiers-de-presse/Conference-des-citoyens-pour-le-livre-blanc-de-la-securite-interieure-les-11-et-12-janvier-2020">« conférence des citoyens »</a> organisée par le Ministère de l’Intérieur pour contribuer à l’écriture du Livre blanc de la sécurité intérieure en janvier 2020.</p>
<p>Cet exercice diversement apprécié par les <a href="https://www.lepoint.fr/politique/conference-citoyenne-de-castaner-de-l-enthousiasme-au-rejet-26-01-2020-2359689_20.php">participants</a> n’a débouché sur rien de concret, le Livre blanc n’ayant fait à ce jour l’objet d’aucune présentation officielle.</p>
<h2>Apprendre et débattre</h2>
<p>Une expérimentation plus ambitieuse se donnerait les moyens d’être suivie par une commission parlementaire, et plus encore par des décisions réglementaires et législatives voire un référendum permettant la mise en œuvre des propositions.</p>
<p>Des citoyens « profanes » choisis par tirage au sort débattraient, pendant plusieurs mois, des arguments d’intervenants aux profils, idées et approches diversifiés : experts, représentants de la police et de la gendarmerie, associations et organismes de défense des droits, chercheurs, etc.</p>
<p>Un tel processus, transparent et délibératif, permettrait de proposer une série de mesures visant à renouveler la « boîte à outils » de l’action publique.</p>
<p>Quelques <a href="https://theconversation.com/de-minneapolis-a-la-porte-de-clichy-la-question-des-violences-policieres-140139">pistes de thématiques en prise avec les mobilisations actuelles</a> et avec les propositions issues de la <a href="https://www.rue89lyon.fr/2019/01/20/police-contre-habitants-une-premiere-conference-citoyenne-a-vaulx-en-velin/">conférence citoyenne de consensus de Vaulx-en-Velin</a> peuvent être envisagées à ce stade.</p>
<h2>Des pistes concrètes</h2>
<p>De nombreuses enquêtes ont montré qu’une réflexion sur les « styles de police » et les modes d’action était nécessaire.</p>
<p>La France se singularise de certains de ses <a href="https://www.cairn.info/journal-societes-contemporaines-2015-1-page-101.htm">voisins européens</a> par le recours fréquent aux contrôles d’identité, qui sont au cœur de nombreuses controverses.</p>
<p>Que produisent réellement les contrôles d’identité ? Quelle efficacité pénale – <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/22/le-rapport-avec-la-police-se-construit-des-le-plus-jeune-age-selon-une-etude_6043713_3224.html">97 % des contrôles ne se concluent par aucune suite judiciaire</a> – et quelles <a href="https://www.justiceinitiative.org/uploads/a18ddc78-180e-4f0b-a695-ccfc91906210/french_20090630_0_0.pdf">discriminations</a> ces contrôles génèrent-ils, en sus de nourrir la peur et la défiance à <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/10318">l’égard de la police</a> ? Une question que pourrait soulever une telle convention citoyenne serait ainsi celle du maintien ou non des contrôles d’identité, au-delà de la systématisation de l’enregistrement des contrôles par les caméras piétons annoncée le 14 juillet 2020 par le président de la République.</p>
<h2>Des techniques à discuter</h2>
<p>La question des techniques d’intervention et de leurs effets (clé d’étranglement, placage ventral, etc.) mérite aussi d’être explorée collectivement en faisant appel à des expertises pluralistes (policiers, chercheurs, associations, etc.) et en explorant les pratiques d’autres pays comme la Grande-Bretagne.</p>
<p>Alors que dans le domaine du maintien de l’ordre le ministère de l’Intérieur travaille à l’élaboration d’une doctrine qui viendrait préciser les principes de la <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Seminaire-de-travail-sur-le-schema-national-du-maintien-de-l-ordre">gestion des foules</a>, les relations police-population ne font pas, à ce jour, l’objet d’une telle réflexion.</p>
<p>La confiance des citoyens envers la police est pourtant une condition d’efficacité de celle-ci : en effet, le fait de percevoir ou non les manières de faire des policiers comme justes joue sur la propension à obéir à la loi et <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2016-2-page-139.htm">à coopérer avec la police</a></p>
<h2>Plus de transparence</h2>
<p>La transparence de l’action publique et la reddition de comptes méritent également d’être travaillées.</p>
<p>Certains <a href="https://rapportspvm2018.ca/rapport/01342%20SPVM%20Stats%202018%20FR_V7.pdf">services de police étrangers</a> comme la police de Montréal ou de Toronto diffusent régulièrement le nombre de blessés et de tués au cours d’interventions policières, des données relatives à l’usage des armes, le nombre de plaintes visant des policiers ou encore le taux de poursuites, ce qui permet aux citoyens, aux chercheurs ou aux médias d’exercer une vigilance quant à l’usage de la force et à sa conformité aux règles déontologiques et professionnelles.</p>
<p>Or, en France, l’accès à des données exhaustives demeure au bon vouloir des institutions, ce qui contribue à entretenir la défiance.</p>
<h2>Et si on commençait par expérimenter au niveau local ?</h2>
<p>Pour nourrir la réflexion collective, la convention citoyenne pourrait aller de pair avec des expérimentations au niveau local impliquant tous les acteurs de la sécurité : forces de police, maires, associations, citoyens, etc.</p>
<p>Le droit à l’expérimentation, constitutionnalisé depuis 2003, vise à favoriser l’innovation à partir des collectivités territoriales en s’appuyant sur des évaluations scientifiques rigoureuses.</p>
<p>Les élus locaux ne s’en sont guère saisis jusqu’à présent relevait la <em>Gazette des communes</em> en <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/424826/le-droit-a-lexperimentation-nest-pas-tres-experimente-par-les-collectivites/">2016</a>.</p>
<p>L’expérimentation constitue pourtant un gage d’efficacité et « un vecteur d’adhésion : en effet, elle permet de dissiper les craintes et de lever les réticences que suscite toute perspective de changement ».</p>
<p>C’est ce que suggère par exemple l’expérimentation en cours du <a href="https://www.tzcld.fr">dispositif</a> « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Cette expérimentation propose de partir des compétences des chômeurs de longue durée sur un territoire pour développer une offre d’activités socialement utiles mais non couvertes par l’économie locale.</p>
<h2>Penser à des modes d’action alternatifs</h2>
<p>S’agissant de la sécurité, l’expérimentation de modes d’action alternatifs comme la médiation, la prévention, le dialogue police-population, le partenariat interinstitutionnel ou encore la <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2015-1-page-101.htm">désescalade</a> pourrait être menée dans des communes volontaires et suivie sur chaque territoire par des groupes de citoyens tirés au sort, ainsi que par des chercheurs.</p>
<p>Ces expérimentations doivent pouvoir être évaluées localement et nationalement en concertation entre forces de sécurité, élus, citoyens et associations.</p>
<p>Ce circuit démocratique à front renversé misant sur l’intelligence collective et les capacités d’innovation de nouveaux exécutifs <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/686521/avec-les-ecologistes-on-peut-sattendre-a-un-tournant-dans-les-politiques-de-securite/">municipaux volontaristes</a> permettrait de territorialiser davantage les politiques de sécurité, voire de préfigurer l’avènement d’une <a href="http://www.fondation-nature-homme.org/magazine/osons-le-big-bang-democratique">VIᵉ République incluant une chambre tirée au sort</a>, dotée d’un réel pouvoir législatif.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Les travaux sur la recherche participative entre policiers et citoyens ont fait l’objet d’un prix de la Fondation de France. Premier réseau de philanthropie en France, la <a href="https://www.fondationdefrance.org/fr">Fondation de France</a> réunit depuis 50 ans et sur tous les territoires, des donateurs, des fondateurs, des bénévoles et des acteurs de terrain.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le travail de recherche participative Policité porté par Anaïk Purenne a reçu le soutien de la Fondation de France.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hélène Balazard, Julien Talpin, Marie-Hélène Bacqué et Marion Carrel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une convention citoyenne nationale inspirée de la récente Convention citoyenne sur le climat et d’expérimentations locales pourrait permettre de refonder les pratiques de sécurité en France.Anaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon, ENTPEHélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEJulien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleMarie-Hélène Bacqué, Sociologue, urbaniste, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMarion Carrel, Maîtresse de conférence en sociologie, Habilitée à diriger des recherches, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1420982020-07-08T21:46:43Z2020-07-08T21:46:43ZPourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/345813/original/file-20200706-21-1yragcy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C36%2C1007%2C643&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Contrôle de la population à Saint-Ouen, près de Paris le 2 avril durant le confinement.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Ludovic MARIN / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Dans son allocution publique du 8 juin 2020, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, citait les résultats d’une <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Enquete-nationale-sur-la-qualite-du-lien-entre-la-population-et-les-forces-de-securite-interieure-EQP-19">enquête</a> parue le 3 juin et affirmant que « 85 % des Français ont une bonne image de la police », lui permettant ainsi de tenter de réfuter l’existence d’une crise de confiance envers les forces de l’ordre.</p>
<p>Cette « Enquête nationale sur la qualité du lien entre la population et les forces de sécurité intérieure » aussi <a href="https://www.interieur.gouv.fr/fr/content/download/122607/983701/file/enquete-nationale-sur-la-qualite-du-lien-entre-la-population-et-les-forces-de-securite-interieure-eqp-19.pdf">intitulée EQP19</a> a été réalisée à la demande du ministère de l’Intérieur et plus précisément de l’École Nationale Supérieure de Police (ENSP), dont le « Centre de recherche » a signé un partenariat avec l’Université Savoie-Mont-Blanc (USMB).</p>
<h2>Un calendrier opportun</h2>
<p>La date de publication de cette enquête n’est en rien un hasard de calendrier : alors que le rapport avait été transmis le 31 mars 2020 comme l’indique sa page de garde, celui-ci était rendu public par le ministère dans le contexte de multiplication des mises en cause de la police dans des faits de racisme et de brutalités ainsi qu’à la suite d’une mobilisation organisée quelques jours plus tôt à Paris, d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/violences-policieres-une-nouvelle-manifestation-a-paris-et-des-incidents-20200613">ampleur sans précédent en France</a>, ayant rassemblé plus de 20 000 personnes devant le Tribunal de grande instance de Paris.</p>
<p>Pressé par les circonstances, le gouvernement a donc dégainé l’argument scientifique : les « Français » sont satisfaits, les sceptiques sont contredits et la qualité du service public policier n’est pas réfutée. Pourtant, cette enquête déroge aux standards méthodologiques admis par la communauté scientifique, et sa mise en exergue ne doit pas cacher la grande faiblesse des résultats qui en découle.</p>
<h2>Questions de méthode</h2>
<p>Le rapport, un document de 46 pages, ne semble pas avoir fait l’objet d’une relecture attentive. La construction hasardeuse de nombreuses phrases, la nébulosité du vocabulaire utilisé et les répétitions donnent à l’ensemble une facture insolite. Par exemple, l’expression « quartier complexe » (p. 7) n’est pas définie. Il n’est pas non plus précisé ce qu’est un « test de cohérence » (p. 18).</p>
<p>Mais les bévues stylistiques restent vénielles face aux fautes de méthode que nous avons repérées lors de l’analyse de la méthodologie, comme nous allons l’expliquer ci-après plus en détail.</p>
<p>Après une première enquête conduite en 2018, dite « Temps 0 », jugée insatisfaisante par les universitaires associés à sa réalisation en raison d’un taux de réponse « quantitativement insignifiant »(p.7), le Directeur central de la Sécurité publique, qui pilote de facto de l’enquête, décide pourtant, début 2019, sa « généralisation à l’ensemble des circonscriptions de sécurité publique » (p. 7), c’est-à-dire à l’ensemble des zones de police en France.</p>
<p>Lors de la cette deuxième phase, qui se tient durant l’année 2019, la méthode présente de très sérieux problèmes qui commencent par celui de la constitution de l’échantillon.</p>
<p>L’enquête fait état de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Enquete-nationale-sur-la-Qualite-du-lien-entre-la-Population-et-les-forces-de-securite-interieure">12 822 questionnaires</a> renseignés et analysés par l’équipe de recherche. Il ne s’agit donc pas de 48 134 questionnaires comme l’avait <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/neuf-francais-sur-dix-ont-une-opinion-favorable-de-la-police-et-de-la-gendarmerie-pourquoi-faut-il-regarder-les-chiffres-de-christophe-castaner-avec-prudence_3997027.html">annoncé Christophe Castaner</a> lors de son allocution, qui avait confondu ce chiffre avec celui du nombre de personnes contactées.</p>
<p>L’on découvre un rapport qui se limite à présenter les fréquences de chaque variable sans chercher à les croiser entre elles, ce qui constituerait pourtant l’intérêt de ce type de démarche.</p>
<p>Par exemple, à la lecture du texte, on connaît le pourcentage de personnes déclarant « avoir confiance dans la police », mais on ne connaît pas la manière dont cette donnée varie en fonction de l’âge, de la catégorie socio-professionelle, ou du type de contact avec la police.</p>
<h2>Un biais d’échantillonnage frappant</h2>
<p>Mais surtout, et c’est ici la principale faiblesse de ce travail, ce rapport commet une erreur méthodologique grossière, entachant la qualité et la fiabilité d’une enquête de sciences sociales : le biais d’échantillonnage.</p>
<p>De quoi s’agit-il ? Le principe de toute enquête ayant vocation à représenter les opinions de la population générale est de garantir, au moyen d’un <a href="https://www2.mat.ulaval.ca/fileadmin/Cours/STT-2902/Notes_de_cours/A12_ERN/Methodes_d_echantillonnage-Stat-Can.pdf">tirage probabiliste</a> ou d’une <a href="https://www.eleves.ens.fr/pollens/seminaire/seances/sondages/Technique-sondage.htm">reconstitution par quotas</a>, que les réponses d’une fraction de la population peuvent être extrapolées à son ensemble.</p>
<p>Il faut savoir que la qualité d’un échantillon ne repose pas sur l’effectif interrogé mais sur la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/18697">rigueur de sa composition</a> ainsi que sur les modalités de passation du questionnaire.</p>
<p>Tous·te·s les étudiant·es en démographie ou sociologie connaissent l’épisode spectaculaire qui a conduit, en 1936, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2005/05/27/l-histoire-debute-avec-l-institut-gallup-et-l-election-du-president-roosevelt_654835_3234.html">l’institut Gallup</a> à prédire la victoire de Roosevelt sur la base d’un échantillon représentatif de 5 000 personnes tandis que le sondage réalisé par le <em>Literary Digest</em> auprès d’un échantillon gigantesque de deux millions d’abonné·es au journal, que l’élection intéressait suffisamment pour répondre au sondage, donnait son opposant, Landon, gagnant.</p>
<h2>La sélection des répondant·es pose question</h2>
<p>Concernant la constitution de l’échantillon, le document indique que les répondant·es ont été recruté·es par les « Délégués à la cohésion police-population (DCPP) » (p. 7) qui sont des <a href="https://www.cesdip.fr/delegues-cohesion-police-population/">policier·es retraité·es</a>, intervenant dans les commissariats quelques heures par semaine et chargé·es d’entretenir des liens avec les habitant·es de la circonscription.</p>
<p>La manière dont ces agents ont convaincu des milliers de personnes de participer à l’enquête n’est pas expliquée. D’abord, on ignore comment le « recrutement » des répondant·es a été réalisé : comment les personnes ont-elles été choisies ? Quelles ont été les consignes données aux recruteurs ?</p>
<p>Cela pose question, ce d’autant plus qu’à cette première manière d’obtenir des questionnaires s’en est ajoutée une seconde, le recrutement spontané de personnes qui se sont portées d’elles-mêmes volontaires pour répondre à l’enquête.</p>
<p>On apprend en effet que « 8 000 affiches » ont été placardées dans les « lieux publics et les services de police […] au moment du lancement de l’enquête » afin d’« élargir les publics interrogés, y compris ceux qui ne sont pas directement démarchés par les policiers ».</p>
<p>Autrement dit, les personnes qui appartiennent aux réseaux des DCPP et/ou qui apprécient la police peuvent se porter volontaires et répondre à l’enquête, laquelle se transforme en plébiscite sous couvert de sociologie.</p>
<h2>Conflit d’intérêt ?</h2>
<p>Pour une telle enquête, il eut été sensé que l’institution policière n’intervienne pas au moment crucial de la <a href="https://www.cairn.info/l-enquete-sociologique--9782130608738-page-69.htm">constitution de l’échantillon</a>, écueil désastreusement redoublé par la présence du logo de la Police de sécurité du quotidien, sous lequel on peut lire « Protéger, garantir et servir » dans le questionnaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=585&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=585&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=585&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346331/original/file-20200708-39-bd58dt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du rapport.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête police-population, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On peut ainsi légitimement supposer qu’une partie des réponses a été recueillie alors que les répondant·es pouvaient se sentir sous le regard de l’institution sur laquelle il fallait formuler des jugements.</p>
<p>Dans de telles conditions, on s’attend évidemment à ce que les personnes manifestant de la distance, de l’insatisfaction, voire de l’hostilité, vis-à-vis des forces de l’ordre s’abstiennent de participer à l’enquête.</p>
<p>Ajoutons pour finir qu’en dépit d’une absence d’information quant au principe de codage des variables que la part des « ouvrier·es » n’est que de 3 %, soit près de sept fois moins que dans la population active en France, dans un échantillon prétendant pourtant sur-représenter les quartiers défavorisés. Ces derniers sont désignés dans l’enquête par les acronymes utilisés dans les politiques publiques de sécurité soit Quartiers de reconquête républicaine (QRP) ou Police de sécurité quotidienne (PSQ).</p>
<h2>Validation policière</h2>
<p>Pour finir, les questionnaires ont été soit envoyés par Internet par les universitaires de l’USMB, soit passés par téléphone via un prestataire.</p>
<p>Les questionnaires imprimés étaient retournés directement à la police et la gendarmerie. La part de chaque voie de réponse n’est pas indiquée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/345828/original/file-20200706-3975-eitrn9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran du rapport, Enquête police-population 2020.</span>
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</figure>
<p>On comprend en creux dans le graphique p. 14 que l’enquête par téléphone concerne 698 personnes sur l’ensemble des répondant·es.</p>
<p>On comprend également que l’inscription dans l’échantillon est « validée en commissariat » et par la DGPN et que les questionnaires sont ensuite « retournés dans les commissariats et gendarmeries » (p. 10-11).</p>
<p>Les répondantes et répondants ont donc été l’objet d’une validation par la police et les questionnaires semblent avoir transité par les services de police.</p>
<p>Tant de violations de la neutralité de l’enquête interrogent, d’autant que l’on connaît l’importance au sein des exigences méthodologiques classiques d’éviter un <a href="https://journals.openedition.org/bms/810">« effet enquêteur »</a>, c’est-à-dire une influence subtile des <a href="https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1997_num_29_1_1482">caractéristiques</a> de l’<a href="https://www.cairn.info/l-enquete-sociologique--9782130608738-page-93.htm">enquêteur·rice</a> sur les réponses des enquêté·es.</p>
<h2>Les lacunes du questionnaire</h2>
<p>Le choix d’ignorer les recherches nationales ou internationales sur les relations entre la police et la population constitue une autre entorse de la présente enquête aux exigences en vigueur dans la communauté scientifique.</p>
<p>Le respect de ce principe de cumulativité de la recherche aurait permis de s’appuyer sur les acquis des travaux pré-existants pour éventuellement en dépasser les éventuelles limites. Un exemple, bien connu, tient à l’effet de la formulation des questions de sondage sur les réponses positives.</p>
<p>Ainsi, comme l’un de nous l’a montré <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2020-2-page-10.htm">dans un article récent</a> sur les apports des enquêtes sociologiques dans le contexte des relations police-société, le pourcentage de personnes déclarant avoir confiance dans la police est fortement dépendant de la manière dont la question a été posée. Lorsque Ipsos pose la question « Avez-vous confiance dans la police ? », 65 % des répondant·es disent « oui » (« plutôt » ou « tout à fait »). Si l’ONDRP et l’Insee demandent « La police est-elle efficace contre la délinquance ? », on remarque une baisse de vingt points des réponses positives (46 % de « plutôt » ou « tout à fait »), et si la SOFRES interroge « A qui faites-vous le plus confiance pour limiter le risque de cambriolage ? », le pourcentage de personnes qui répondent « la police » est de 19 %.</p>
<h2>Prendre en compte les expériences concrètes</h2>
<p>Ensuite, les recherches disponibles soulignent également la nécessité de prendre en compte les expériences concrètes que les répondant·es ont eues avec la police (la fréquence des contrôles d’identité par exemple) pour comprendre les <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2017/01/enquete-sur-lacces-aux-droits-volume-1-relations-police-population-le">perceptions de cette dernière</a>.</p>
<p>Or, dans la présente enquête, aucune question précise n’est prévue sur ces interactions concrètes.</p>
<p>La seule question disponible est formulée en des termes insuffisamment précis : « Avez-vous été en contact avec la police ? » (p. 38).</p>
<p>Mais le questionnaire ne renseigne ni le contexte, ni la période de référence.</p>
<p>Il est dès lors difficile de produire une quelconque analyse sur la base de cette seule question, qui agrège des expériences de « contact » très hétérogènes : contrôles, dépôts de plainte, convocations, demandes de renseignements, etc.</p>
<p>La présélection par un policier et le remplissage du questionnaire lui-même donnant lieu pour les répondant·es à un contact avec la police, il est même envisageable que certain·es se fondent sur cette interaction pour le moins singulière pour répondre à cette question.</p>
<p>Il en va de même de la prise en compte du statut minoritaire des répondant·es : elle est absente, alors que l’appartenance à des groupes minoritaires (qu’ils soient religieux ou ethnoraciaux) est une variable essentielle pour comprendre tant les perceptions des forces de l’ordre que les rapports concrets avec ces dernières.</p>
<h2>La recherche en doute</h2>
<p>En conclusion, les résultats de l’enquête police-population du ministère de l’Intérieur, pour laquelle l’université a été <a href="https://www.univ-smb.fr/2020/03/11/lusmb-missionnee-pour-enqueter-sur-la-qualite-des-relations-police-population/">« missionnée »</a>, concourent à l’imprécision du diagnostic pourtant indispensable sur les relations police-population.</p>
<p>La manière dont l’échantillon a été construit, les questions posées ainsi que les conditions de passation et de remise des questionnaires jettent un sérieux doute sur les résultats présentés par le ministre de l’Intérieur en personne.</p>
<p>La déficience d’expertise du ministère de l’Intérieur, et de son « centre de recherche » de l’ENSP, sur les données qu’il contribue à produire est un obstacle majeur à l’amélioration des connaissances sur l’état des relations police – population, et donc des relations elles-mêmes.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/10/22/la-suppression-de-l-institut-national-des-hautes-etudes-de-la-securite-et-de-la-justice-est-inacceptable_6016407_3232.html">La possible suppression</a> par le gouvernement de l’enquête de référence <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/L-enquete-Cadre-de-vie-et-securite-CVS/Rapport-d-enquete-Cadre-de-vie-et-securite-2019">« Cadre de vie et sécurité »</a> (Insee/ONDRP/SSMSI) en même temps que l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice qui l’abrite, est de ce point de vue préoccupante, et le serait plus encore si elle devait être remplacée par la diffusion ad hoc de résultats mal assurés.</p>
<p>Le sociologue canadien Jean‑Paul Brodeur <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/brodeur_jean_paul/police_mythes_et_realites/police_mythes_et_realites.html">écrivait</a> que la police se caractérise notamment par sa « résistance au projet de connaître ».</p>
<p>La production et la mise en avant de cette enquête en dépit de son manque de fiabilité, qui traduit une utilisation sélective et déformante de la recherche par le ministère de l’Intérieur, en fournit ici une nouvelle et dommageable illustration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142098/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sebastian Roché a reçu des financements de l'AGENCE NATIONALE DE RECHERCHE pour la réalisation de ses travaux au CNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Camille Herlin-Giret, Jérémie Gauthier et Laurent Bègue-Shankland ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’enquête présentée par le ministère de l’Intérieur sur la bonne image qu’ont les Français de la police déroge aux standards méthodologiques admis par la communauté scientifique.Jérémie Gauthier, Maître de conférences en sociologie, Université de StrasbourgCamille Herlin-Giret, Chargée de recherche au CNRS, Université de LilleLaurent Bègue-Shankland, Professeur de psychologie sociale, Membre de l'Institut universitaire de France (IUF), Directeur de la MSH Alpes (CNRS/UGA), Université Grenoble Alpes (UGA)Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1415882020-07-01T17:44:45Z2020-07-01T17:44:45ZMémoire, histoire et reconnaissance : un débat profond qui mérite les nuances<p>Racisme et antiracisme, violences policières, déboulonnage des statues, mémoire historique, statistiques ethniques : le débat contemporain s’inscrit à bien des égards dans la continuité de questions posées au fil du demi-siècle qui vient de s’écouler. Pourtant, il est assez largement oublieux des échanges, des passions mais aussi des recherches qui ont ponctué cette période.</p>
<p>Il fait les frais du présentisme, qui consiste à vivre dans l’actualité, sans capacité de se projeter vers l’avenir, ni de réellement considérer le passé. Le débat s’installe dès lors dans une actualité qui rend difficile de penser l’unité profonde de phénomènes que tout, effectivement, distingue empiriquement.</p>
<p>La France est engagée dans une mutation qui passe par la mise en cause de sa capacité à intégrer au sein d’un même cadre sa vie proprement sociale, son État-nation et son modèle républicain. Dès la fin des Trente Glorieuses, chacune des composantes de ce cadre a commencé à se transformer, et leur articulation fonctionnelle se décompose.</p>
<p><a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/le-mouvement-ouvrier-9782213013619">En cessant d’être industrielle</a>, la société proprement dite a vu s’étioler le conflit central opposant le mouvement ouvrier et les maîtres du travail. Or, ce clivage donnait son sens à bien des mobilisations autres qu’ouvrières : l’espace s’est ouvert à d’autres contestations, souvent à forte charge culturelle, sans adversaire social identifiable aisément, lourdes de subjectivités individuelles souvent rétives à toute négociation ou recherche de compromis.</p>
<h2>Contestations disparates</h2>
<p>Les enfants des « travailleurs immigrés », de plus en plus confrontés au chômage et à l’exclusion sociale, ont eu tendance à être identifiés, et <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/documents-temoignages-et-essais-d-actualite/l-islam-des-jeunes">à s’identifier eux-mêmes en termes religieux</a> – l’islam – voire ethniques.</p>
<p>De façon générale, le mouvement social de l’ère industrielle a laissé place à des contestations disparates, sans sens ni repères communs, à une société fragmentée dans ses luttes – la notion d’archipel <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-archipel-francais-jerome-fourquet/9782021406023">popularisée par Jérôme Fourquet</a> s’applique aussi aux mobilisations collectives.</p>
<p>La nation, au sortir d’une décolonisation douloureuse, a été de plus en plus interpelée par la construction européenne, et inquiète du fait de la globalisation économique.</p>
<p>En même temps, le racisme était de plus en plus <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/La-Force-du-prejuge">« différentialiste »</a>, c’est-à-dire défini par le rejet de l’altérité, perçue alors comme une menace pour l’intégrité culturelle de la nation, alors qu’auparavant, il se caractérisait plutôt par des logiques d’infériorisation facilitant l’exploitation de ses victimes.</p>
<p>Dès lors, les objets de ce rejet tendaient eux-mêmes, avec le soutien éventuel d’acteurs politiques et d’intellectuels, à se définir dans cette perspective, et à réclamer qu’on en tienne compte. Ce qui a favorisé les demandes de statistiques ethniques (et en fait aussi religieuses et raciales), dont il était alors attendu qu’elles permettent de mieux cerner les discriminations.</p>
<p>Mais cette perspective est à manier avec précaution, car elle peut également faciliter des discours moins respectables : ainsi, en mai 2015, Robert Ménard, le maire de Béziers, a trouvé bon de compter les élèves musulmans scolarisés dans les écoles de sa ville – et a annoncé un chiffre de 64,6 %.</p>
<h2>Carences de l’école publique</h2>
<p>La République, pour sa part, a peiné chaque jour davantage à incarner les valeurs universelles de sa fière devise – liberté, égalité, fraternité : le discours est devenu ici incantatoire. Là où ce qui était bon pour les entreprises publiques l’était aussi pour leur personnel et pour le pays, on a vu prospérer les forces du marché et s’affirmer les égoïsmes corporatistes d’acteurs ne pouvant plus s’identifier à un combat universel et ne se mobilisant que pour promouvoir leurs intérêts particuliers.</p>
<p>La fin de la conscription a été aussi celle d’un brassage social facteur d’unité. L’école publique <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-hypocrisie-scolaire-pour-un-college-enfin-democratique-francois-dubet/9782020403931">a cessé d’alimenter le mythe de l’égalité républicaine</a>, et il a bien fallu, de surcroît, en admettre les carences, révélées, à l’échelle internationale, par ses <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/classement-pisa/education-la-france-une-nouvelle-fois-dans-le-groupe-des-quatre-ou-cinq-pays-occidentaux-les-plus-inegalitaires-de-l-enquete-pisa_3727845.html">classements bien modestes dans les enquêtes PISA</a>.</p>
<p>La laïcité, valeur républicaine par excellence, est devenue l’objet de polémiques <a href="https://www.cairn.info/le-foulard-et-la-republique--9782707124289.htm">exacerbées par les affaires dites de « foulard »</a>.</p>
<p>Le tout relativement intégré que constituaient la société industrielle, la République et la nation a commencé à se fragmenter, les fissures puis les failles se sont multipliées. Les débats actuels traduisent une amplification de ces phénomènes, qui ont fait l’objet de nombreuses recherches en sciences sociales et politiques, dès les années 80.</p>
<h2>Des outrances qui interdisent le débat</h2>
<p>Mais il y a aussi du nouveau. Il y a d’abord l’image fallacieuse, mais prégnante, portée par d’importants acteurs politiques, tel Manuel Valls (<a href="https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/la-lutte-des-classes-disparait-au-profit-de-la-guerre-entre-races-linterview-explosive-de-manuel-valls-120645">dans un entretien paru dans Valeurs actuelles</a>, le 18 juin 2020) par des intellectuels respectables, comme Élisabeth Badinter (<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/elisabeth-badinter-privilege-blanc-racises-c-est-la-naissance-d-un-nouveau-racisme_2128325.html">dans un entretien paru dans l’Express</a>, 16 juin 2020), mais aussi par l’extrême droite, d’un clivage qui serait central alors qu’il n’est que secondaire et qui déboucherait sur une lutte à mort entre trois camps, tous radicalisés, raidis dans leur idéologie.</p>
<p>Le premier camp rassemble les tenants d’une conception pure et dure de la République, tels les animateurs du mouvement « Printemps républicain », le deuxième regroupe les partisans d’une version fermée et homogène de la Nation, voire de la race blanche, qu’inquiète ce que Renaud Camus a appelé « le grand remplacement ». Viennent enfin les « Indigènes de la République » et autres « décoloniaux » extrêmes, promoteurs d’un combat semblant tendre à la guerre des races. Les « républicanistes » et les « nationalistes » peuvent éventuellement se rejoindre.</p>
<p>Cette présentation radicale des enjeux contemporains enflamme l’atmosphère. Alors qu’à la fin des années 80, Régis Debray <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20150428.OBS8077/etes-vous-democrate-ou-republicain-par-regis-debray.html">nous invitait élégamment à choisir entre être « républicain » et être « démocrate »</a> », ce qui laissait de la place à de véritables échanges, l’outrance actuelle des positionnements radicaux interdit le débat en rejetant dans le non-sens ceux qui demandent, au contraire, que s’ouvrent des échanges informés, démocratiques, ouverts. Ceux, également, dont les demandes de vérité et de justice, si centrales dans les manifestations récentes à propos de la mort d’Adama Traoré, sont assimilées injustement à un combat communautariste ou racial.</p>
<p>Jusque dans les années 70, le ciment qui reliait la société, l’idée républicaine et la nation était fait aussi d’une conception de l’Histoire comme récit national porté par la République. L’ouvrage monumental <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Les-Lieux-de-memoire">« Les lieux de mémoire »</a>, paru sous la direction de Pierre Nora, est certainement la dernière forte expression de cette époque – la critique a noté à juste titre l’absence de « lieu colonial » dans cet ensemble de contributions.</p>
<h2>Le récit national mis en cause</h2>
<p>Des « mémoires » venues d’en bas ont contesté les conceptions républicaines et nationales éprouvées, à propos de la colonisation, mais aussi de la question juive, ou même, très tôt, de la question régionale. Cela ne pouvait que mettre en cause l’État républicain, qui ne laisse guère de visibilité aux minorités dans l’espace public, comme la nation, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_concurrence_des_victimes-9782707165206.html">oublieuse de ses pages les plus sombres</a>.</p>
<figure class="align- centre ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/345093/original/file-20200701-61-1olarp6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette peinture sur céramique rue des Petits-Carreaux, à Paris, l’un des derniers vestiges parisiens de l’époque coloniale, est régulièrement vandalisée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anne-Christine Poujoulat/AFP</span></span>
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</figure>
<p>Les demandes actuelles que l’on déboulonne des statues ou que l’on débaptise des rues, des places ou des établissements scolaires poussent cette logique beaucoup plus loin. Elles aussi mettent en cause le récit national et républicain, et, au-delà, le récit qui s’intéresse à la longue phase monarchique de la construction de notre État.</p>
<p>Mais tout désormais ne se réduit pas à de nouveaux affrontements entre l’Histoire et les mémoires. Car viser à déboulonner des statues, débaptiser des rues, des places et autres lieux publics, ce n’est pas chercher à imposer une mémoire contre l’Histoire.</p>
<p>Une statue, un nom propre affecté à un lieu, une école, une place, en effet, ne sont pas en eux-mêmes le fruit de la recherche historique. Presque toujours, cela résulte du choix d’une collectivité, nationale, locale, ou d’une institution. Ce choix n’est pas non plus purement ou nécessairement mémoriel, au sens où il résulterait d’une demande portée par un groupe identifiable.</p>
<p>En fait, il s’est plutôt généralement agi, dans un passé plus ou moins éloigné, de rendre hommage à une personnalité, de mettre en valeur son apport, de rappeler son existence. Peut-être le mieux est-il de parler ici de reconnaissance.</p>
<p>Celle-ci, pour les personnages d’une certaine importance historique, engage l’État-nation républicain actuel. Demander qu’on déboulonne une statue ou qu’on débaptise un lieu, c’est dès lors contribuer à la prise de conscience, plus large, d’un phénomène capital : la décomposition du cadre en fonction sous la Troisième République et les Trente Glorieuses. Un cadre qui intégrait dans un même modèle la société, la Nation et la République, avec pour ciment l’Histoire.</p>
<p>C’est aussi accélérer cette décomposition, voire la brusquer, ce qui ne peut que susciter, en contrepartie, des raidissements en tous genres, républicanistes, nationalistes, racialisés et racialisants. Ce n’est pas l’Histoire, en tous cas pas directement, qui est en cause, c’est un récit politique porté dans l’espace public par d’autres que des historiens, même s’il les a aussi mis à contribution.</p>
<h2>La mémoire comme enjeu politique</h2>
<p>Dans ce contexte, le rôle de la mémoire change. La mémoire était surtout une force venue d’en bas, portée par les descendants de groupes minoritaires dont les souffrances historiques étaient passées sous silence, niées, oubliées ou minimisées.</p>
<p>Elle interpellait le pouvoir, en même temps que l’Histoire, elle les pressait d’être à l’écoute. Désormais, la mémoire est elle aussi un enjeu politique, un élément dont tout un chacun use dans le jeu des pouvoirs et des oppositions.</p>
<p>Elle inspire des politiques que l’on peut dire mémorielles. Elle est instrumentalisée de toutes parts, de manière politicienne, servant la stratégie d’acteurs qui veulent flatter tel ou tel secteur de l’opinion, ou se positionner sur le passé, sans compétence ou légitimité particulière s’il s’agit de dire la vérité historique.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/assr/20611">Nous ne sommes plus, ou plus seulement, dans l’ère de la mémoire</a>, des témoins et des victimes, mais dans celle des politiques et des contre-politiques mémorielles. Cela contribue un peu plus encore à déstructurer le modèle national et républicain dont nous avons hérité, et à affaiblir la portée de l’Histoire, à la fois comme récit national et d’État, ce qu’elle ne peut plus être, mais aussi comme recherche raisonnée, scientifique, de la vérité, dès lors que des historiens entrent eux-mêmes dans des jeux, des calculs et des opérations à la fois mémoriels et politiques.</p>
<p>Ce qui peut permettre à des groupes minoritaires de faire entendre leur voix fait des responsables politiques qui les écoutent les agents d’un récit historique sur lequel ils arbitrent et qu’ils instrumentalisent. Le rôle et la place de l’Histoire se reconfigurent.</p>
<h2>Renouer avec une police de proximité</h2>
<p>Le débat actuel sur les violences policières contribue lui aussi à l’accentuation de la déstructuration du modèle classique. Celui-ci en effet repose sur l’idée d’une police républicaine, au service du pouvoir légitime, incarné par un chef d’État et ses ministres, à commencer par celui de l’Intérieur.</p>
<p>Critiquer la police, comme c’est le cas à propos de son <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/police-co/article/140620/racisme-la-volonte-de-savoir-de-m-le-commissaire-le-bars">racisme et de son usage de la force</a>, c’est mettre en cause le lien direct, théoriquement sans faille, qu’elle entretient avec le pouvoir au plus haut niveau, alors qu’aux États-Unis, les forces de l’ordre sont bien davantage sous contrôle local.</p>
<p>Envisager politiquement des changements significatifs, dans les méthodes policières par exemple, c’est engendrer nécessairement des tensions entre le pouvoir central et les policiers et gendarmes.</p>
<p>C’est donc aussi, une fois de plus, mettre en cause un mode d’intégration républicaine, dire qu’il fonctionne mal. Et c’est encourager certains policiers à rejoindre le camp de la radicalité républicaniste, celui du nationalisme extrême – ou les deux –, plutôt qu’à demander à l’institution policière d’affronter <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/12/l-institution-policiere-est-extremement-permeable-au-racisme_6042659_3224.html">ces problèmes de racisme décrits par Fabien Jobard</a>.</p>
<p>Or mieux vaudrait renouer avec l’esprit de la fin des années 80, quand l’idée d’une police de proximité était à l’ordre du jour, et que le ministère de l’Intérieur avait accepté que la recherche s’intéresse à la police, avec notamment la création de l’IHESI (Institut des hautes études de la Sécurité intérieure), qui, après avoir changé deux fois de nom, a été supprimé en octobre 2019.</p>
<p>Ne nous y trompons pas : ceux qui, quel que soit le lieu d’où ils parlent, adoptent des positions sans nuances, confondent histoire, mémoire et reconnaissance, et ne veulent voir chez les autres que guerre des races, violences communautaires, et conduites de rupture fonctionnent sur le mode de la prophétie autoréalisatrice. À force de dénaturer le débat et de nous dire qu’il faut choisir entre le chaos et l’autoritarisme, ils préparent le terrain de l’un, ou de l’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les débats actuels autour du racisme, de la mémoire, du passé colonial font rage. Ils traduisent une amplification de failles à l’œuvre depuis un demi-siècle au sein de la société française.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1416282020-07-01T17:44:42Z2020-07-01T17:44:42Z« Privilège blanc » : quels mots pour quelles luttes ?<p>Fin mai 2020, le meurtre de George Floyd lors d’une interpellation par des policiers de Minneapolis suscite de vastes manifestations, aux États-Unis et ailleurs. En France, cet homicide dénoncé comme raciste trouve un écho particulier, alors que le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/10/violences-policieres-le-comite-adama-maintient-la-pression-sur-le-gouvernement_6042363_3224.html">Comité pour Adama</a> appelle à différents rassemblements au cours du mois de juin. Ces protestations, qui revendiquent un égal traitement pour toutes les vies humaines, croisent un mouvement de dénonciation des <a href="https://selp.eu/non-classe/violences-policieres/">violences policières</a>, notamment depuis la répression des manifestations de « gilets jaunes ».</p>
<p>Une expression se fait alors remarquer dans différentes tribunes signées par des intellectuels, mais également dans des messages postés sur les réseaux sociaux, ou au cours d’interviews de personnalités politiques : « privilège blanc ».</p>
<p>Dans le présent article, il ne s’agit pas de retracer <a href="https://www.franceculture.fr/societe/privilege-blanc-origines-et-controverses-dun-concept-brulant">l’histoire de l’expression</a>. Il s’agit encore moins de trancher sur le bien-fondé du terme « privilège blanc » : le linguiste cherche avant tout à analyser des enjeux, et à soulever des questions posées par la langue et ses usages, dans des contextes historiques déterminés.</p>
<h2>« Privilège blanc » : une expression conflictuelle</h2>
<p>Dès son surgissement, ce terme fait l’objet de débats. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020">L’écrivaine Virginie Despentes</a> prend la défense de ce mot lors d’une lettre ouverte où elle interpelle ses « amis blancs qui ne voient pas où est le problème ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans cette lettre, rédigée après la manifestation en soutien à Adama Traoré, Virginie Despentes s’adresse à « ses amis blancs qui ne voient pas où est le problème », elle dénonce le déni du racisme et explique en quoi « être blanc » constitue un privilège.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/16/l-expression-de-privilege-blanc-n-est-pas-denuee-de-pertinence-pour-penser-le-contexte-francais_6042984_3232.html">sociologue Claire Cosquer</a> estime que, malgré ses limites, l’expression « privilège blanc » n’est pas totalement dénuée de pertinence pour penser le contexte français. À l’opposé, des féministes telles que <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-d-ali-baddou/l-invite-d-ali-baddou-12-juin-2020">Caroline Fourest</a> ou <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/elisabeth-badinter-privilege-blanc-racises-c-est-la-naissance-d-un-nouveau-racisme_2128325.html">Elisabeth Badinter</a> se rejoignent pour rejeter fermement le terme « privilège banc », dont elles estiment qu’il conduit à abandonner un idéal universaliste au profit de revendications catégorielles et identitaires.</p>
<h2>Le langage, une arme pour combattre les inégalités ?</h2>
<p>Avant d’être un objet de polémiques dans les médias français, l’expression « privilège blanc » est un terme qui accompagne des combats pour l’égalité et la justice, contre des discriminations systémiques et un racisme institutionnalisé. Elle est un <a href="http://www.slate.fr/story/95643/antiracisme-privilege-blanc">terme revendiqué</a>, en lien avec des prises de position. En ce sens, l’expression « privilège blanc » témoigne d’un phénomène très caractéristique des usages du langage : tout engagement est inextricablement lié à des mots, dont les acteurs politiques et sociaux s’emparent pour promouvoir leur cause et défendre un point de vue.</p>
<p>Les <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/slogan/">slogans</a> (« Justice pour Adama », « Police partout, justice nulle part », etc.), dont on connaît bien la fonction de ralliement et d’interpellation dans l’espace public, participent bien entendu de cet usage mobilisateur du langage. À côté des formes traditionnelles du slogan, sont apparus certains usages du hashtag qui en reprennent le double objectif de mise en visibilité et de mobilisation. Ainsi en est-il de <a href="https://www.contretemps.eu/black-lives-matter-keeanga-yamahtta-taylor/"><em>#BlackLivesMatter</em></a>, dans ce même domaine de la lutte des afro-américains pour la justice et l’égalité, ou de <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/metoo/"><em>#MeToo</em></a> dans le domaine des luttes féministes.</p>
<p>Mais, plus largement, au-delà des slogans et des hashtags, c’est le vocabulaire dans son ensemble qui fait l’objet d’un travail permanent dans l’action collective et les mobilisations sociales.</p>
<p>Certains collectifs féministes promeuvent des termes qui visent à mettre en relief les différentes formes de domination qui pèsent sur les femmes, et à faire prendre conscience de la <a href="https://www.agirparlaculture.be/luttes-feministes-et-batailles-semantiques-anne-cha">dimension construite</a> des relations entre les femmes et les hommes. Sont alors mis en avant, par exemple, des mots tels que « féminicide », « charge mentale », « mansplaining » (mecsplication), « manspreading » (étalement masculin) et « womancrossing ».</p>
<p>Tous ces termes, dont certains sont des emprunts à l’anglais, et qui ont dans tous les cas une dimension néologique (nouvelle forme, nouveau sens, etc.), visent à penser les objets de la lutte, et à faciliter la prise de conscience. L’ensemble de ce travail sur le vocabulaire et les concepts est considéré comme indissociable de l’action elle-même. Et, en effet, s’engager sur une cause passe nécessairement par le <a href="https://www.agirparlaculture.be/alice-krieg-planque-lutter-au-sujet-du-langage-fait-partie-du-combat-ideologique/">fait de travailler les mots</a> qui sont en rapport avec cette cause.</p>
<p>Mais le sens des mots échappe souvent à ses utilisateurs : les expressions, les mots d’ordre, les formules, les slogans circulent, prenant au passage des inflexions nouvelles dont il est difficile d’évaluer la portée et les effets.</p>
<p>C’est en partie la trajectoire du terme « privilège blanc », dont il n’est pas certain qu’il conserve dans l’espace discursif français des années 2020 les vertus de conscientisation et d’émancipation que projetaient à travers lui les <a href="https://laviedesidees.fr/Racisme-structurel-et-privilege-blanc.html">militants antiracistes américains des années 1970-80</a>.</p>
<h2>Le poids des mots dans la lutte contre les discriminations</h2>
<p>La langue, comme système de signes pris dans des usages, n’est pas neutre, qu’il s’agisse de l’expression « privilège blanc » ou d’autres. Le sens des mots n’est jamais stable, ni fixé une bonne fois pour toutes : les mots changent de sens en fonction de ceux qui les utilisent, en fonction des époques, en fonction de leur succès dans l’espace public, en fonction des événements qu’ils désignent à un moment donné, etc.</p>
<p>Ici, cette circulation du sens est doublée d’une traduction d’une langue à l’autre, ce qui rend les significations encore plus touffues, confuses et problématiques. Le terme « privilège blanc » résonne étrangement en France, et, dans tous les cas, il résonne très différemment de la manière dont « white privilege » (ou « white skin privilege ») peut faire sens aux États-Unis. Il en est de même dans le domaine des luttes féministes, où « male privilege » fait sens dans les discours militants anglophones, alors que « domination masculine » est plus aisément compréhensible en France – même si, bien sûr, par définition, il ne signifie pas exactement la même chose.</p>
<p>Un mot prend place dans un contexte historique donné. Aux États-Unis, l’organisation et les jugements sociaux s’inscrivent aujourd’hui encore dans le prolongement d’un <a href="https://theconversation.com/la-mort-de-george-floyd-et-celle-du-reve-americain-139750">système esclavagiste puis ségrégationniste</a> qui formalisait les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-interminables-combats-pour-legalite-aux-etats-unis-24-le-supremacisme-blanc-le-mal-persistant-de">droits supérieurs accordés aux blancs</a>. La situation française, marquée par l’héritage colonial, ne saurait être réellement éclairée par le passé ségrégationniste américain.</p>
<p>Par ailleurs, un mot arrive dans les discours avec une certaine signification. En langue française, un <a href="http://atilf.atilf.fr/tlf.htm">« privilège »</a> est notamment un avantage exorbitant, un droit exceptionnel, une prérogative injustifiée : un « privilège » est alors quelque chose qu’il faut abolir. Or, sur le thème qui nous occupe ici, le « privilège » serait plutôt ce qui devrait être généralisé à tous. La sémantique de la langue française semble ainsi peu propice à l’accueil du terme « privilège blanc ».</p>
<p>De surcroît, un mot est souvent marqué par l’histoire de ses usages. Dans le lexique politique français, le mot « privilège » renvoie notamment à « l’abolition des privilèges » votée <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-revolution-il-passe-nuit-4-aout-1789-5603/">dans la nuit du 4 août 1789</a>, par laquelle l’Assemblée constituante met fin au système féodal. Là encore, le parallèle a tout l’air d’une mauvaise rencontre : l’expression « abolition des privilèges » vient télescoper l’expression « privilège blanc », occasionnant une difficulté supplémentaire d’acclimatation de ce mot au cadre français.</p>
<h2>Quand le choix des expressions fait débat</h2>
<p>Le terme « privilège blanc », parce qu’il met en avant le seul critère racial, élude la multitude d’autres critères (âge, sexe, accent, orientation sexuelle, état de santé, etc.), qui dans certaines situations peuvent être plus déterminants.</p>
<p>La notion <a href="https://avril21.eu/2018/12/04/les-mobilisations-feministes-sur-internet-entre-luttes-anti-hegemoniques-et-reproduction-des-rapports-sociaux-de-domination/"><em>d’intersectionnalité</em></a>, qui malgré ses limites rappelle au moins que différents types de discriminations peuvent s’entrecroiser et se superposer, est ainsi contrariée par la notion de « privilège blanc », qui semble poser la couleur de peau (« blanchité », « whiteness ») comme facteur ultime d’explication des rapports sociaux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Existe-t-il un privilège blanc en France ? La question, qui fait encore débat, est étudiée par Ary Gordien, chercheur au CNRS.</span></figcaption>
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<p>L’expression « privilège blanc », comme d’autres formulations avant et après elle, pourrait au moins avoir le mérite de susciter le débat.</p>
<p>Récemment encore, plusieurs rapports et résultats d’enquête, comme le rapport annuel de la <a href="https://www.cncdh.fr/fr/publications/rapport-2019-sur-la-lutte-contre-le-racisme-lantisemitisme-et-la-xenophobie">CNCDH</a>, le rapport de <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2020/06/18/ils-nous-parlent-comme-des-chiens/controles-de-police-abusifs-en-france">Human Rights Watch</a> et l’étude du <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2020/06/discriminations-et-origines-lurgence-dagir">Défenseur des Droits</a>, ont rappelé à quel point des discriminations systémiques marquent insidieusement les rapports sociaux. Dans une multitude de contextes (emploi, logement, relations avec la police, etc.), « l’égalité » que proclame la devise républicaine est de toute évidence un horizon vers lequel des efforts considérables doivent encore être menés.</p>
<p>Il reste à savoir si l’expression « privilège blanc », avec ses effets de sens clivants et sa rhétorique identitaire, est la plus à même de porter les combats pour l’égalité dans la solidarité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141628/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Krieg-Planque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’où vient l’expression « privilège blanc » ? Est-elle la plus à même de porter les combats pour l’égalité et la solidarité ? Réponses de linguiste.Alice Krieg-Planque, Maîtresse de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412182020-06-29T19:12:57Z2020-06-29T19:12:57ZDéboulonner des statues n’a pas le même sens pour les ex-colonies que pour les anciens empires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/343182/original/file-20200622-54985-ll0q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5184%2C3437&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Monument au capitaine Cook à Hyde Park (Sydney, Australie).</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les débats en cours dans le monde entier autour des statues, des monuments commémoratifs et des noms de lieux issus d’un passé raciste et impérial ont une signification particulière pour l’<a href="https://www.stuff.co.nz/national/121861371/should-new-zealand-be-officially-renamed-aotearoa">Aotearoa-Nouvelle-Zélande</a>.</p>
<p>Cet ancien avant-poste colonial est confronté à un double fardeau : la commémoration de personnages historiques peu recommandables, et le fait qu’ils ont été importés d’ailleurs. En examinant tout cela, l’on s’exerce à examiner les fondements mêmes de l’histoire coloniale. L’ironie de ce débat contemporain est d’autant plus grande qu’il vient d’outre-mer.</p>
<p>Les manifestations du mouvement « Black Lives Matter » aux États-Unis ont replacé la question au centre de l’attention générale. Leur écho, en Aotearoa-Nouvelle-Zélande, a jusqu’à présent touché un restaurant nommé d’après le célèbre marchand d’esclaves du Pacifique <a href="https://www.stuff.co.nz/national/121772817/akaroa-restaurant-named-after-notorious-slave-trader-seeks-new-name">Bully Hayes</a>, un pub nommé en l’honneur du capitaine Cook et une statue d’un protagoniste des <a href="https://www.frogs-in-nz.com/Infos-voyageurs/Histoire-de-Nouvelle-Zelande/Les-guerres-maories-du-19eme-siecle">guerres maories</a>, Andrew Hamilton, dans la ville qui a pris son nom.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271291132970860545"}"></div></p>
<p>Comme en Australie, l’héritage autrefois incontesté de James Cook a été remis en question : après avoir jeté les bases de la colonisation, il avait commencé à renommer des lieux – dont beaucoup restent à ce jour nommés ainsi – et à effacer les savoirs et les noms locaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-faut-il-deboulonner-les-statues-140760">Débat : Faut-il déboulonner les statues ?</a>
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<p>Au Royaume-Uni, le mouvement qui a commencé par jeter dans le port de Bristol une statue du marchand d’esclaves Edward Colston a donné lieu à la naissance d’une organisation visant à « déboulonner les racistes » et ayant créé sa propre <a href="https://www.toppletheracists.org/">carte interactive</a>. Après que la statue de l’esclavagiste Robert Milligan a été déboulonnée, le maire de Londres, Sadiq Khan, a ordonné un recensement des monuments de la capitale britannique. Le parti Māori a fait la même <a href="https://www.scoop.co.nz/stories/PO2006/S00097/maori-party-calls-for-inquiry-into-colonial-monuments-statues-and-names.htm">demande</a> en Aotearoa-Nouvelle-Zélande.</p>
<h2>Le passé impérial est partout</h2>
<p>Vandaliser ou déboulonner des statues n’est pas chose nouvelle. Érigées en tant que marqueurs du pouvoir et de la domination dans un territoire, elles représentent les idées et les actions des personnes commémorées. Il n’est donc pas surprenant qu’au fur et à mesure que les régimes changent, les noms de lieux sont modifiés et les statues renversées. Les monuments déboulonnés, qui représentaient les figures de Staline, de Lénine et de Saddam Hussein attestent de ruptures historiques, au XX<sup>e</sup> siècle, de ces sociétés avec le passé.</p>
<p>En Aotearoa-Nouvelle-Zélande, les monuments commémoratifs des personnages coloniaux les plus brutaux ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il s’agit d’un territoire truffé de marqueurs coloniaux – une nation où la culture impériale britannique est imprimée dans le paysage comme un élément fondamental de la colonisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nettoyage de graffitis sur une statue du capitaine Cook à Randwick, Sydney, 15 juin 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Joel Carrett/AAP</span></span>
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<p>Certains noms de lieux Māori ont pu subsister, mais la plupart d’entre eux ont été remplacés par des noms faisant référence à des personnes et des lieux du vieux continent. Les héros britanniques étaient célébrés pour le rôle qu’ils avaient joué dans la conquête et la domination impériales, et souvent dans la soumission des Māoris, comme <a href="https://www.noted.co.nz/currently/currently-history/marmaduke-nixons-statue-isnt-the-problem-its-how-we-overlook-maori-history">Marmaduke Nixon</a> dont la statue se trouve à Ōtāhuhu, Auckland. Les noms de personnalités de l’Empire britannique comme Thomas Picton (dont certains rappellent aujourd’hui la <a href="https://www.stuff.co.nz/national/121799217/calls-to-rethink-name-picton-as-history-emerges-of-cruel-slaveowner">face sombre</a>) et Edward Eyre ont été donnés à des lieux, et c’était la règle plutôt que l’exception. De même, les colons qui ont reproduit les valeurs impériales ont été particulièrement commémorés.</p>
<p>Mais l’agitation actuelle n’est pas seulement un feu de paille d’une génération qui se réveille, comme l’a laissé entendre le vice-premier ministre <a href="https://www.stuff.co.nz/national/politics/300033874/winston-peters-unimpressed-with-outcry-over-colonial-statues">Winston Peters</a>. La tempête se prépare depuis une dizaine d’années, visant des personnages historiques dont l’héritage est perpétué jusqu’à présent, la campagne <a href="https://rmfoxford.wordpress.com/">« Rhodes Must Fall »</a> en Afrique et en Grande-Bretagne et la destruction de statues confédérées aux États-Unis comptant parmi les manifestations antiracistes les plus largement médiatisées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271286866407383040"}"></div></p>
<h2>Effacer l’histoire ou la réécrire ?</h2>
<p>Les arguments pour et contre le démontage des statues et le changement des noms des lieux sont forts. D’un côté, il y a ceux qui affirment que ces traces du passé sont blessantes, non pertinentes et qu’elles ne représentent pas la diversité contemporaine. De l’autre, il y a ceux qui craignent que l’effacement de ces preuves historiques ne comporte un risque de voir se répéter l’histoire. Selon ces derniers, en séparant le passé du présent, nous pouvons admettre que le comportement des personnalités statufiées a été répréhensible tout en estimant que ce comportement doit être considéré dans le contexte de son époque, et non pas effacé parce qu’il heurte les sensibilités modernes.</p>
<p>D’autres encore considèrent la profanation des monuments commémoratifs comme du vandalisme commis par des individus désireux de remplacer le passé par de la propagande. Dans le même temps, un « lobby du patrimoine » veut préserver les statues en tant que formes d’art et s’abstient de toute considération critique sur la manière dont elles représentent la structure des sociétés passées ou présentes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vandalisme-et-deboulonnage-de-statues-memorielles-lhistoire-a-lepreuve-de-la-rue-140761">Vandalisme et déboulonnage de statues mémorielles : l’histoire à l’épreuve de la rue</a>
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<p>Enfin, prenant la menace personnellement, une droite militante et réactionnaire cherche à protéger et à défendre les statues et les noms de lieux.</p>
<p>À moins que la nature n’intervienne, comme ce fut le cas lors du tremblement de terre de Canterbury qui a <a href="http://www.stuff.co.nz/the-press/opinion/4863323/A-natural-break-from-our-colonial-past">détruit</a> un certain nombre de vestiges de l’époque coloniale, quelle est la voie à suivre ?</p>
<h2>Le contexte fait tout</h2>
<p>Une solution consiste à reconnaître ces monuments comme un élément inconfortable de l’histoire et à les déplacer dans des musées et des parcs à statues. Là encore, la solution n’est pas nouvelle. Des statues de la défunte reine Victoria ont fini dans un musée du Québec, un centre commercial de Sydney et dans un entrepôt indien. À Gisborne, une statue de James Cook a été déplacée.</p>
<p>Cela permet de discuter de cet héritage tout en le faisant entrer dans l’histoire. Ainsi des parcs à statues, avec des panneaux d’interprétation et des graffitis favoriseraient la poursuite des discussions. C’est également une pratique courante – on le voit au <a href="https://blogs.lse.ac.uk/lseih/2019/06/20/coronation-park-and-the-forgotten-statues-of-the-british-raj/">Coronation Park</a> à New Delhi, par exemple.</p>
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<p>La révision des noms de rues et de lieux est plus délicate car les noms coloniaux sont partout, bien que la promotion des noms de lieux māoris gagne rapidement du terrain.</p>
<p>Mais en se contentant de reproduire le déboulonnage de certains responsables bien connus de la violence coloniale, Aotearoa-Nouvelle-Zélande risque de prendre du retard par rapport à ce qui se fait déjà ailleurs. Le soleil se couche peut-être une fois de plus sur l’Empire britannique, mais c’est encore l’ancien empire qui mène la charge. Dans cette partie du monde, la remise en cause des monuments et des noms de lieux questionne les fondements mêmes des sociétés colonisatrices et l’évolution des relations entre les races. Or ce passé impérial là n’est pas le nôtre, et nous devrons faire les choses différemment ici.</p>
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<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katie Pickles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Australie et en Nouvelle-Zélande comme ailleurs, jeter à bas des monuments et changer les noms de lieux rendant hommage au passé colonial ne suffira pas à régler le problème du racisme.Katie Pickles, Professor of History at the University of Canterbury, University of CanterburyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.