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Obscénité : à quand le Moyen Âge aux États-Unis ?

Hunter Osborn, le n° 42 par qui le scandale arrive, découvre son sexe sur une photo de groupe. Obscène ?

Hunter Osborn, un jeune footballeur de l’Arizona été épinglé par la justice américaine pour avoir exhibé son pénis dans une photo de groupe. Fait divers ?

Relayé par le Huffington Post, The Independant et l’opinion publique américaine, la mésaventure potache de Hunter Osborn (19 ans) pourrait prêter à sourire… s’il n’avait été sous le coup de 70 chefs d’accusation (dont 69 pour attentat à la pudeur). Chiffre symbolique s’il en est, qui contribue à accentuer ce qui, malheureusement, n’est pas un canular.

Dans une société américaine où l’obscénité est un chef d’accusation, il ne faut pas badiner avec l’exhibition.

« Je la reconnais quand je la vois »

Si l’Angleterre (The Obscene Publication Act, 1857) et le Canada (Code criminel de 1892, modifié en 1959) étaient déjà pionniers dans les jugements sur les « bonnes mœurs », les États-Unis (Cour Suprême des États, juge Potter Stewart, procès Jacobellis vs. Ohio, 1964) ont ajouté un nouveau critère législatif pour statuer sur l’obscène : « I know it when I see it » (je la reconnais quand je la vois).

À propos de Hunter Osborn, chacun y va donc de son avis : « la petite taille de la photographie […] rend les détails difficiles à distinguer » (Helen Hollands, Mesa Public Schools). Outre le caractère subjectif de la « reconnaissance », le critère juridique pose problème…

En effet, la photo de groupe de début d’année des footballeurs du Red Mountain High School a circulé pendant des semaines de façon très officielle sur divers supports sans que personne ne se rende compte du détail incongru. Sans parler des 69 chefs d’accusation pour attentat à la pudeur qui correspondent aux 69 personnes présentes sur la photo de groupe n’ayant certainement pas vu l’objet du délit…

« On se croirait au Moyen Âge ! »

Étreinte d’un couple. Modillon aujourd’hui situé à l’intérieur de la partie basse romane de la chapelle attenante (XVIᵉ siècle) à la nef. Eglise Saint-Quentin, XII-XIIIᵉ siècles, Chermignac, Charente-Maritime. Author provided

C’est bien l’impression que donne ce fait divers… Sans compter les nombreuses autres condamnations, interdictions et censures liées ces dernières années aux questions d’obscénité (voir la photo de Kylie Minogue tenant un ours en peluche et un micro malencontreusement mal placé, supprimée de Facebook en 2010).

Oui, « on se croirait au Moyen Âge » : parce que la notion d’obscénité naît à cette période pour dire la norme et de sa transgression. Mais le Moyen Âge, lui, ne l’utilise pas pour censurer et condamner au titre des « bonnes mœurs » et de la religion.

Les images sexuelles et scatologiques qui ornent les églises médiévales en sont l’illustration, tout comme les sexes porte-bonheur exhibés par les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Enseigne érotique : trois phallus, un sexe féminin. Musée de Cluny/Jean-Gilles Berizzi, Author provided

Et que penser de ce Christ dévoilant un énorme phallus retrouvé dans un bréviaire du XIe siècle ?

Liber evangeliorum et capitulare, Porrentruy, Bibl. cantonale jurassienne, ms. 34, p. 31. Christoph Flüeler, Ramona Fritschi, Fabio Montefiori, Author provided

Même le droit médiéval s’empare de l’obscène pour renforcer son pouvoir : exhibé, le corps nu participe pleinement à la procédure judiciaire (dans le cas des peines infamantes, les condamnés sont déshabillés et exhibés, ou placés tête-bêche sur un animal ; dans les jugements d’adultère, les amants doivent courir nus dans les rues, la femme tenant par une corde le sexe de son amant).

L’obscénité, au Moyen Âge, est donc un dispositif pour exercer le jugement : au sens propre, il est un moyen de définir le droit commun et le droit particulier ; au sens figuré, il est une force intellectuelle pour penser la liberté.

Obscène Moyen Âge ? – Obscène monde contemporain ?

Dans le face à face des cultures où le barbare, depuis Montaigne, est toujours l’autre, un ouvrage collectif Obscène Moyen Âge ? a tenté de saisir ce qu’est l’obscénité à son origine. Si l’obscénité renvoie, selon sa première étymologie, à « la boue, la fange » (du latin caenum), il est aussi, selon une autre étymologie, « ce qui est hors-scène » (ob-scanea).

Ainsi, l’obscénité, loin d’interdire et de juger, se prête à interroger ce que les sociétés « mettent derrière » (en montrant des « derrières », justement). Faisant appel à la liberté de penser, à l’exercice de la lucidité et à l’esprit critique, l’obscène médiéval aide à questionner l’obscène contemporain pour le débarrasser des catégories toutes faites et des a priori. À quand le Moyen Âge aux États-Unis ?

Et s’il ne fallait qu’un indice pour arbitrer le match culturel entre la France et les États-Unis, on pourrait citer L’Équipe, qui a relayé l’information du geste obscène de Hunter Osborn parlant de « petite blague qui a trop bien marché […] pour faire marrer ses potes ». Le ton est donné.

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