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Oui, l’Ehpad peut être un lieu de vie et d’humanité insoupçonné

Le management d’un Ehpad passe par une attention particulière portée aux résidents mais aussi aux familles et au personnel. Valéry Hache / AFP

Déjà fragilisés depuis des années, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire. Mais il n’y a pas de fatalité, comme le montrent les pratiques mises en place par Ségolène Lebreton, jeune directrice d’un établissement des Hauts-de-Seine. Rencontre.

De nombreux seniors en perte d’autonomie restent angoissés à l’idée d’être placés malgré eux dans un Ehpad, qu’ils perçoivent trop souvent comme l’ultime antichambre.

L’entrée en Ehpad représente en effet toujours une décision difficile, pour la personne concernée comme pour ses proches.

Favoriser l’entrée en douceur

Jeune directrice (jusque fin 2017) d’un Ehpad de 108 places à Saint-Cloud et d’un autre de 84 places dans la ville voisine de Sèvres, réunis au sein du Centre hospitalier des Quatre-Villes dans les Hauts-de-Seine, Ségolène Lebreton témoigne d’une autre possibilité : travailler à une entrée progressive en incluant tous les acteurs, le personnel, les aidants familiaux, les soignants et les résidents. En effet, elle a toujours refusé, avec ses équipes, de prendre en charge une personne qui ne souhaitait pas entrer en établissement en dépit de la volonté de sa famille. Toutefois, entre le refus et le consentement, il existe des nuances, rappelle-t-elle :

Ségolène Lebreton.

« Il arrive qu’une personne âgée comprenne progressivement que l’entrée en Ehpad reste la moins mauvaise des solutions, car elle rompt son isolement. Notre travail consiste aussi à accompagner leurs enfants, car la décision de confier un proche à une institution est émotionnellement très difficile à prendre et souvent vécue comme un échec. »

Des accueils pour la journée permettent aux personnes, notamment atteintes de pathologies neurodégénératives, de préserver leurs capacités et de ne pas s’isoler. Ils assurent également du répit à leurs aidants. En y venant régulièrement, les personnes et leurs aidants se familiarisent avec l’institution et le personnel, ce qui permet une entrée en douceur dans l’Ehpad.

Les rencontres entre les professionnels de l’établissement et les proches aident ceux-ci à en comprendre le fonctionnement et leur permettent de trouver progressivement leur place.

« Si nous voulons que la relation soit bonne avec le résident, elle doit aussi l’être avec ses proches, car il très difficile d’accompagner une personne âgée si sa famille est angoissée. Or les aidants se sont beaucoup impliqués avant l’entrée de leur proche en Ehpad. Certains prenaient en charge la toilette, l’habillage, les repas et les activités, puis se sont trouvés dans l’obligation de passer le relais. Or nous ne procédons pas comme eux car nous ne pouvons pas faire du “un pour un”, mais du “deux pour vingt”. D’autre part, la vie des aidants est entièrement changée après l’entrée de leur proche en Ehpad, il leur faut donc se la réapproprier. En tout cas, même s’ils perdent la place “d’aidant primaire”, ils conservent celle de proche, les professionnels ne se substituant pas affectivement à l’entourage de la personne âgée. »

Respecter la dignité de chacun

Le directeur d’Ehpad est responsable de la sécurité de ses résidents. Face à la judiciarisation de la société, ils peuvent se protéger en faisant le choix d’enfermer ces derniers. Ségolène Lebreton a refusé ce tout sécuritaire pour laisser le plus de liberté possible à ses résidents. Les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, qui posent des problèmes de sécurité plus délicats, peuvent circuler dans tout leur étage, sans pouvoir utiliser l’ascenseur, sauf bien sûr s’ils sont accompagnés.

Ségolène Lebreton reste aussi attachée au respect de la dignité de chacun et de son intimité :

« Le personnel doit frapper avant d’entrer, même si la tentation est grande de gagner du temps. Il doit prendre le temps de chercher à capter le regard de la personne, de s’approcher si elle entend mal, de lui parler de manière audible, de tenir d’abord sa main plutôt que de commencer les soins car c’est un acte très invasif. Respecter l’intimité, c’est respecter ce qui se passe dans une famille. Nous n’avons pas à juger des relations dont nous sommes témoins, entre parents, dans la fratrie, entre conjoints, même si ce n’est pas toujours facile. »

Tout directeur est porté à mettre en avant ces principes, la difficulté étant de les mettre en œuvre, surtout en cas de pénurie de moyens. Lors de la séance de l’École de Paris du management organisée autour du témoignage de Ségolène Lebreton, un participant a fait part de son expérience :

« Cet Ehpad accueille mon épouse depuis trois ans, et je peux témoigner que le respect des personnes y est total. Son intégration a été extraordinaire, sans doute parce qu’elle avait d’abord été reçue en accueil de jour. Par ailleurs, les résidents ont la possibilité de sortir, pour aller se promener dans le parc de Saint-Cloud, déjeuner en famille et même passer tout un week-end à l’extérieur. J’ai pris la décision de la faire emménager en Ehpad à reculons, mais je ne le regrette aucunement, ne serait-ce qu’au regard de sa formidable adaptation. Je l’ai laissée le premier soir avec “la boule au ventre”, mais lorsque je suis revenu le lendemain, c’est comme si elle avait toujours vécu là. »

Créer une vie collective

La citoyenneté, c’est aussi créer du lien et être utile : le rôle des personnes âgées est de créer du lien ne serait-ce que par leur présence. À défaut d’organiser souvent des sorties, par manque de personnel, des initiatives sont prises pour faire entrer la ville dans les établissements. À Sèvres et Saint-Cloud, les salons des Ehpad sont, par exemple, mis à disposition d’associations de danse country et de qi gong en contrepartie de spectacles et d’initiations gratuites pour les résidents. Un Ehpad de Rennes a créé un potager partagé dans son jardin et organise des conférences sur le développement durable.

Des activités thérapeutiques créent des occasions d’échange, comme le dessin, le modelage de l’argile, le théâtre, la danse, etc. L’exercice physique adapté de l’association Siel Bleu est mobilisé.

La médiation avec les animaux connaît un réel succès, en particulier lorsque les capacités verbales sont altérées : elles permettent ainsi d’aider les malades d’Alzheimer à s’ouvrir parfois de façon spectaculaire. Des ateliers pour cuisiner ensemble créent une dynamique appréciée et permettent même de ralentir les maladies dégénératives. L’Ehpad est ouvert aux formes d’activités adaptées qui créent de la vie.

Soutenir le personnel

La situation des Ehpad reste difficile et avait donné lieu en 2018 à des grèves nationales. Le personnel vit sous la pression du temps, est confronté à des procédures rigides et que les directeurs d’établissement prennent rarement le temps d’observer et de connaître les pratiques professionnelles afin de repenser l’organisation du travail.

Les rémunérations sont faibles et le métier mal valorisé socialement – on manque, d’ailleurs, de candidats. Régler le problème de sous-financement des Ehpad mais ne suffira pas : le soutien que l’encadrement apportera ou non aux équipes est essentiel.

Ce qui frappe dans le management de Ségolène Lebreton, c’est qu’elle est attentionnée non seulement envers les résidents, mais aussi envers les membres du personnel, pour les aider, les écouter, manifester à leur endroit l’empathie qu’elle souhaite qu’ils témoignent auprès des résidents. Le management de proximité ne sélectionne pas ses attentions. On s’aperçoit alors que ce genre de passion est contagieuse et qu’elle contribue à faire des Ehpad des lieux de vie et d’humanité.


Pour en savoir plus, voir le compte rendu de la séance de l’École de Paris du management : Faire l’un Ehpad un lieu de vie et d’humanité, la passion d’une jeune directrice

Retrouvez toutes les initiatives de la série « Le Jardin des entreprenants » ici.

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