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Ouverture du rail à la concurrence, pas vraiment efficace contre les émissions de CO₂

Un chef de gare siffle le départ du premier train de la compagnie ferroviaire privée Hamburg-Koeln-Express en Allemagne, le 23 juillet 2012. CHRISTIAN CHARISIUS / DPA / AFP

La Fédération européenne pour le transport et l’environnement, qui regroupe une cinquantaine d’ONG actives dans le domaine du transport et de l’environnement en Europe, a récemment désigné les transports comme le « bad boy » climatique de l’économie européenne : c’est en effet le seul secteur à avoir augmenté ses émissions depuis 1990.

Dans ce contexte, les chemins de fer commencent à occuper une place importante dans les agendas politiques de nos gouvernements, le rail étant plus « vert » que la voiture et l’avion en matière d’impact relatif sur les émissions de CO2. Des mesures concrètes de soutien au développement du rail sont peu à peu mises en place, aux échelles nationales et à l’échelle européenne.

Parmi les dernières avancées en date, la Société nationale belge des chemins de fer belges (SNCB) a décidé en décembre 2019 de réaliser de nouveaux investissements – environ 35 milliards d’euros – afin augmenter l’offre de trains de 5 %. La compagnie ferroviaire autrichienne – Österreichische Bundesbahnen (OBB) – a de son côté mis en service un train de nuit entre Bruxelles et Vienne à partir de janvier 2020, qui fonctionne deux fois par semaine.

Au cours des dernières décennies, le ferroviaire s’est également imposé comme un secteur stratégique au niveau européen. La Commission européenne a engagé un effort réglementaire très intense pour « revitaliser » le secteur ferroviaire européen et déplacer la demande de transport des routes et des voies aériennes vers les chemins de fer.

Trente ans de libéralisation ferroviaire

Depuis les années 1990, cette stratégie européenne de revitalisation a été centrée sur des politiques de libéralisation visant à établir un marché unique, efficace et compétitif des services ferroviaires dans tous les États membres de l’Union européenne (UE). L’objectif déclaré était de créer de la concurrence transfrontalière entre les fournisseurs nationaux des services de transport ferroviaire, dans l’idée de réduire les prix pour les utilisateurs finaux, à savoir les passagers et les transporteurs de marchandises.

Alors que le transport ferroviaire de marchandises a été complètement libéralisé depuis la fin 2007, la mise en œuvre des libéralisations dans le secteur passager s’est terminée en juin 2019. Grâce à ces mesures, les chemins de fer seraient devenus plus compétitifs – et donc relativement moins chers – en attirant une nouvelle demande de transport des voies aériennes et des routes. En d’autres mots, les libéralisations auraient dû, selon le régulateur européen, contribuer au « transfert modal » vers le train.

Près de 30 ans après le début des libéralisations ferroviaires, une question se pose : les politiques de libéralisation ont-elles réellement contribué à ce report au sein de l’Union ?

Pas d’explosion de la demande pour le train

Une étude récente indique que ces mises en concurrence ont eu un impact positif sur le transfert de la demande de transport des routes et des voies aériennes vers les chemins de fer.

Ce transfert s’avère toutefois très modeste puisqu’il ne s’élève qu’à 1 %. Après 30 ans de réformes, c’est un impact faible qui interroge l’efficacité des libéralisations face à la « course contre la montre » engagée par l’humanité face au changement climatique. Si elles ne suffisent pas à modifier l’équilibre entre les chemins de fer et d’autres modes de transport plus polluants, il apparaît indispensable de les soutenir par des mesures environnementales conçues dans le but de contrôler la croissance du trafic des voitures et des avions.

En matière de transfert modal, l’Union européenne pourrait alors envisager un « mix de politiques » où les mesures de libéralisation seraient accompagnées par des mesures environnementales au sens classique. Conformément au principe du « pollueur-payeur », le régulateur pourrait par exemple mettre au point une tarification visant à internaliser les coûts environnementaux externes liés au transport routier et aérien, établissant ainsi des conditions de concurrence équitables entre les modes.

Une nouvelle impulsion avec le « Green New Deal » ?

Une mesure qui irait dans ce sens-là est la directive « Eurovignette » de l’UE, qui fournit un cadre juridique pour la taxation des poids lourds. Elle consiste notamment en une redevance kilométrique – proportionnelle à la distance parcourue – à faire payer aux camions de plus de 3,5 tonnes pour l’usage du réseau routier non soumis à des péages. La directive fait actuellement l’objet de discussions au Conseil européen.

Dans le texte de son nouveau « Green New Deal », la Commission européenne est pleinement consciente de la route qui reste à parcourir en matière de transports. Le texte énonce clairement qu’ils représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre de l’UE et qu’une réduction de 90 % des émissions des transports d’ici à 2050 est nécessaire pour atteindre la neutralité climatique.

Le texte invite à donner une forte impulsion au transport multimodal. L’objectif déclaré est de déplacer une partie substantielle des 75 % du fret intérieur transporté aujourd’hui par la route vers le rail et les voies navigables. Le « Green New Deal » promet également d’ajuster au maximum le prix du transport à son impact sur l’environnement. Il invite notamment à faire cesser les exonérations fiscales et les subventions aux combustibles fossiles.

Le moment est venu pour de tels choix politiques. Société civile, mouvements sociaux et ONG dans toute l’Europe l’appellent de leurs vœux. Avec le récent lancement du Green Deal, l’Union apparaît volontaire à s’engager dans cette voie, bien que certains critiquent un « exercice colossal de greenwashing ». Ils considèrent que le nouvel accord est largement composé de fonds remaniés provenant des fonds européens déjà existants et de promesses réchauffées pour mobiliser des capitaux du secteur privé.

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