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Tous masqués! La ministre de la Santé du Québec, Danielle McCann, à gauche, le premier ministre du Québec, François Legault, à droite, et Horacio Arruda, directeur de la Santé publique nationale du Québec, se rendent à une conférence de presse sur la pandémie de Covid-19, en mai, à l'Assemblée législative de Québec. Le port du masque venait de s'ajouter aux mesures sanitaires. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Pandémie : comment la peur est utilisée comme stratégie politique

La peur est indissociable de qui nous sommes. Comme émotion primaire, elle a son utilité, car elle nous permet parfois de survivre ou d’échapper au danger. Cette émotion est également utile en communication en plus de jouer un rôle politique indéniable. La pandémie, qui dure maintenant depuis un an, fait ressortir ces deux côtés de la même médaille.

Car la peur a été un instrument privilégié dans la gestion politique de la pandémie. Le langage des autorités, faisant appel à des images fortes de confinement, de couvre-feu, de barrages routiers, de patrouilles policières, de centres-villes déserts, de masques et de morts quotidiennes, a pu mener à cette obéissance qui était recherchée. À cela s’ajoute, ces jours-ci, la menace des « variants ». Cette hypothèse mériterait d’être vérifiée, tout comme le rôle des médias, joueurs de premier plan et amplificateurs importants de la nouvelle.

Comme professeur de marketing et de communication-marketing, à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières, les dessous de nos comportements m’interpellent particulièrement. Quelles sont les motivations nous poussant à adopter tel ou tel comportement ? Quels mécanismes ont mené la population à obéir aux règles sanitaires décrétées par les autorités ?

La peur : un outil politique qui remonte à loin

En remontant dans le temps, on saisit bien l’importance de la peur. L’historien grec Thucydide a décrit la réalité des guerres qui menaçaient les cités grecques il y a plus de 2000 ans. La peur a d’abord un rôle politique dans les rapports entre gouvernants et gouvernés.

Elle est la cause qui pousse à l’action. Des siècles plus tard, Thomas Hobbes, philosophe anglais, soutient que c’est l’État qui identifie parfois un objet, une menace, dont il faut se méfier, dont il faut avoir peur. Surtout lorsque, de prime abord, la population y prête plus ou moins attention.

Pour Hobbes, la peur joue également un rôle positif car elle permet à l’autorité, le souverain, de gouverner et de maintenir l’ordre en alimentant la crainte de sanctions. Nicolas Machiavel, de son côté, soutiendra qu’il est plus sûr d’être craint que d’être aimé. Gouverner, c’est mettre vos sujets hors d’état de vous nuire et même d’y penser.

Au 19e siècle, Alexis de Tocqueville entreprend un périple aux États-Unis, qui le mènera aussi au Canada, à Québec et à Montréal, notamment. Il observe la démocratie naissante et en tire certaines conclusions qui font encore écho aujourd’hui. Sans traiter directement de peur, il mentionne que dorénavant le peuple ne sera plus mené par un tyran, mais plutôt par un tuteur — un despotisme plus doux, en somme.

Alors que nous semblons vivre avec une certaine insouciance, le pouvoir veille sur nous. Dans son fameux essai, De la démocratie en Amérique, Tocqueville écrit que le pouvoir « pourrait ressembler à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ».

Aujourd’hui, la peur interpelle encore. Le politologue américain Corey Robin y a d’ailleurs consacré un ouvrage en 2004. Il résume le processus, rappelant Hobbes : les autorités identifient un objet dont le public doit avoir peur pour ensuite expliquer sa dangerosité.

À la lumière de ces quelques aspects, peut-on soutenir que la peur a été un atout pour les gouvernements dans la gestion de la crise actuelle ? A-t-elle permis de faire obéir ? Le paternalisme dont parle Tocqueville a-t-il facilité la tâche des autorités ?

La peur… à dose modérée

La communication, la publicité en particulier, vise souvent un objectif ambitieux : modifier un comportement. Au fil du temps, nous avons vu passer des campagnes qui tentaient de nous sensibiliser à des enjeux de santé publique reliés au port de la ceinture de sécurité, aux dangers du tabac, au sida ou à l’abus d’alcool et de drogues.

Bien souvent ces messages misaient sur la peur, si bien que le recours à cette émotion a été souvent étudié. Comme c’est toujours le cas en publicité, la zone est grise. Il est difficile, voire impossible, d’établir une recette menant directement à l’efficacité et à l’impact recherché.

Une méta-analyse (étude d’études) menée en 2015 apporte un éclairage révélateur sur l’efficacité de la peur. Il semble tout d’abord qu’une représentation modérée de la peur soit efficace et qu’il n’est pas nécessaire d’en ajouter. Un message modéré peut être suffisant et livrer l’impact attendu.

La forme du message est également importante. S’il mentionne un niveau élevé de sévérité ou de probabilité que le pire arrive, il a plus de chance de faire son effet : « Une femme sur quatorze est destinée à développer un cancer du sein au cours de sa vie. Ainsi, chaque femme peut avoir un cancer du sein. Vous courez également ce risque ! »

Alors que nous sommes en pleine période de vaccination contre la Covid, un message favorisant un acte unique (se faire vacciner) sera plus efficace qu’un appel à poser un geste répété (faire de l’exercice plusieurs fois par semaine). Poser un seul geste est moins exigeant que de devoir en poser plusieurs. Mais il faut noter que ces deux façons de faire présentent une efficacité, la première étant plus grande.

Le genre peut aussi jouer un rôle. Plus l’auditoire est composé de femmes, plus le message de peur sera efficace car elles sont plus sensibles à la prévention que les hommes. Les auteurs de cette méta-analyse concluent cet important exercice en mentionnant que la peur montre son efficacité et son utilité lorsque certains paramètres sont respectés.

Le recours à la neuroscience apporte de nouvelles connaissances permettant de « lire » l’effet de la peur sur le cerveau. Une récente étude, publiée en 2018, tend à démontrer qu’une publicité faisant appel à la peur provoquerait une plus grande activité du cerveau si l’on compare à d’autres types de publicité. Est-ce à dire qu’on se rappelle davantage une publicité de ce genre ? Peut-être.

Lorsque le virus Ebola est apparu au Texas en 2014, et que la nouvelle s’est répandue, certains ont parlé d’une « pandémie de la peur ». Virus inconnu, fatal, les autorités sauraient-elles comment y faire face ? La Covid nous a placés dans une situation semblable. La peur a joué un rôle, l’émotion étant souvent palpable.

Pour envisager l’avenir avec optimisme, il faut se rappeler que la peur peut être positive. Une motivation pour continuer à avancer ? Pourquoi pas.

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