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Parler de laïcité à l’école en 2021 : la piste du théâtre-forum

Comment faire entendre la parole des élèves comme celle des professeurs autour d'une question complexe ? Shutterstock

Consacrée par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, la laïcité est une valeur fondatrice et un principe essentiel de la République française. Elle est néanmoins aujourd’hui confrontée au développement de demandes de pluralité culturelles et religieuses, mais aussi des demandes d’égalité notamment adressées à l’école.

De nombreux événements ont fait intrusion ces dernières années dans l’espace de neutralité dessiné par ce modèle : débats autour du port des signes religieux, question de l’enseignement du fait religieux à l’école, débats sur la nourriture halal dans les cantines, constat des discriminations ethniques à l’école … Puis est venu le choc des attentats terroristes successifs, des attaques contre Charlie hebdo à l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020.

Par-delà les réponses institutionnelles et la multiplication des textes, lois et pratiques dans l’école, force est de constater que beaucoup d’enseignants sont démunis, face une formation initiale et continue insuffisante et inadaptée.

Comment parler de laïcité à l’école, comment former les enseignants autour de cette question vive ?

Laïcité et altérité

Arrêtons-nous d’abord sur la récente campagne de communication ministérielle sur la laïcité. Permet-elle vraiment de clarifier les termes du débat actuel ou brouille-t-elle les pistes ? On y repère des élèves en classe, à la piscine, en cours de sport, à la bibliothèque, en récréation et on lit : « Permettre à Milhan et Aliyah de rire des mêmes histoires. C’est ça la laïcité », « Tout faire pour que Imrane, Axelle et Ismail pensent par eux-mêmes. C’est ça la laïcité », ou encore « Permettre à Sacha et Neissa d’être dans le même bain. C’est ça la laïcité ».

On ne voit pas de professionnels de l’éducation sur ces affiches. La laïcité serait-elle donc une question qui concerne seulement les élèves – de manière centrale les enfants issus de l’immigration, les personnages choisis y faisant en majorité référence ? Le message réassigne alors ces élèves à leurs identités… Élèves dont on sait par ailleurs qu’ils sont moins bien traités par l’école.

On sait depuis des années que, sous les effets de la spécialisation sociale et culturelle du territoire, discriminations, inégalités et injustices marquent encore plus les expériences scolaires d’enfants d’immigrés, comme le montrent des chercheurs.

Enfin, cette campagne d’affichage sur la laïcité de la rentrée 2021 oblitère les concepts centraux de la laïcité que sont la liberté de conscience et la neutralité de la puissance publique. Elle relaie aussi le déni des appartenances plurielles qui ont ponctué la nation française, laissant à penser par l’utilisation des images et des prénoms que l’École doit uniformiser… Et que la diversité ne doit exister que dans la sphère privée.

Rappelons quand même que la liberté de pensée, de conscience et de religion est un droit fondamental, consacré par de nombreux textes nationaux et internationaux. Au plan européen, le texte majeur en la matière est, assurément, l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

« 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Confronter les représentations

Si les enseignants ne figurent pas sur les affiches de la campagne de communication du ministère, la formation à la laïcité qui leur est apportée est essentielle d’autant qu’il s’agit d’une « question socialement vive ». Le cadre réduit de cet article ne permet pas d’en faire l’analyse qu’elle mérite. Mais nous mettrons en avant un outil, l’Université des artistes, mis en place à CY PARIS Université, qui en renouvelle l’approche.

Colloque organisé par le laboratoire Bonheurs les 17 et 18 avril 2019.

Ce dispositif expérimental mobilise le vécu des sujets grâce à la forme artistique pour construire et réinventer les modalités d’un « vivre-ensemble » dans l’établissement scolaire, en s’appropriant la laïcité. C’est un mode expérimental de formation des professeurs (stagiaires et statutaires) qui avait pour objet de penser autrement le rapport à l’altérité que produit la musique dans un « espace apprenant » inédit.

Tous les acteurs ont été conviés à discuter de travaux et/ou de pratiques en éducation autour de la laïcité, à partir de formes originales d’échanges : communications scientifiques, extraits de spectacles, rencontre avec des artistes, dialogue avec les chanteurs, documentaire, théâtre-forum, présentation de dispositifs mis en œuvre dans les établissements scolaires mais aussi les centres sociaux et une protection judiciaire de la jeunesse. Ce projet hybride de recherche-formation questionne les situations de « déséquilibre » que peuvent générer certaines situations scolaires.

Dans un mode républicain ancré sur l’abstraction d’un citoyen sans appartenance, et dans une forme scolaire qui en est l’incarnation, quand le dialogue peine à s’ouvrir, les injonctions moralisatrices sont souvent sans effet. Il s’agissait donc de proposer un dispositif où la parole des élèves comme celles de professeurs soit entendue au moyen d’une médiation par la forme artistique.


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La thématique en était « la musique pour penser la laïcité : les musiques de la diversité peuvent-elles constituer des leviers d’apprentissage ? » Par musiques de la diversité, on entendait toutes les formes musicales qui se confrontent d’une manière ou d’une autre aux questions d’altérité : rap, reggae, chansons populaires, etc.

Le pari pédagogique était d’utiliser les objets de la culture adolescente » pour penser, pour apprendre le vivre-ensemble tout en permettant aux professeurs de se décaler de l’injonction pour relativiser leur propre mode d’appréhension de la « culture de l’autre » par un rôle de « spect-acteurs ».

Les principes du théâtre-forum, à travers l’expérience d’une troupe à Montpellier (France 3 Occitanie, 2017).

En amont des deux journées, trente dispositifs ont été travaillés de concert par chercheurs et professionnels pendant un an. Il pouvait s’agir de la réalisation d’un film par des élèves, de la mise en œuvre de dispositifs de narration de soi grâce au rap ou à la chanson grâce à des ateliers biographiques, pensés pour donner du sens à la laïcité. Certains élèves ont pu ainsi écrire et enregistrer un CD avec un rappeur.

Pendant les deux journées, au-delà d’une rencontre-débat avec les artistes et d’un colloque scientifique classique, le théâtre-forum a été utilisé comme mode d’expression de soi des professeurs stagiaires et des élèves. Mise au point dans les années 1960 par Augusto Boal, dans les favelas de São Paulo, cette technique permet aux sujets d’improviser à partir de situations problématiques de la réalité. Les scènes sont jouées devant un public qui va mettre en débat les situations. De quoi ouvrir des perspectives nouvelles dans un cadre sécurisant, permettant la circulation de la parole.

Des lycéens et jeunes d’une maison de quartiers, issus pour une grande partie des migrations postcoloniales, et un groupe de professeurs de l’INSPE (débutants ou en poste) ont ainsi joué des scènes inspirées de leur vécu quotidien de la laïcité.

En proposant deux modèles interprétatifs, la socialisation de récits d’expériences par le théâtre est propice à la compréhension et l’interprétation de ses propres expériences et de celles des autres. Chaque groupe est alors à l’écoute de la narration produite par l’autre groupe mais aussi par la salle (élèves,étudiants, éducateurs, parents, CPE, proviseurs, inspecteurs, chercheurs, artistes…).

Engager des élèves dans une confrontation de leurs représentations avec celles de leurs pairs et celles de professeurs est favorable à l’élaboration de leur point de vue, car ils sont d’emblée considérés comme des interlocuteurs à part entière, participant de façon active au processus d’appropriation et de construction de connaissances.

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