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Parlons d’autre chose que de leurs notes avec nos ados

Les jeunes Français trouvent qu'il n'est pas facile pour eux de parler des choses qui les préoccupent vraiment avec leurs parents, selon une enquête internationale. Shutterstock

Les adolescents français trouvent qu’il n’est pas facile de parler des sujets importants avec leurs parents. C’est un des résultats méconnus – et pourtant récurrent – de l’enquête internationale menée sur les comportements des jeunes vis-à-vis de la santé régulièrement renouvelée depuis près de trente ans, sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Dans la continuité du rapport que nous avons remis récemment à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), « Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin » (publié à la documentation française), nous analysons ici plus en détail la communication entre les parents et leurs adolescents en France.

Dans la dernière vague de l’enquête, réalisée en 2014, la France était le pays le plus mal classé quant au dialogue entre les adolescents et leurs parents, parmi les 42 pays ou régions du monde étudiés. L’explication pourrait bien tenir à un décalage plus grand qu’ailleurs entre les préoccupations des uns et des autres, avec des parents obnubilés par la performance à l’école. Et des ados, peut-être désireux d’aborder d’autres questions. Une réflexion de circonstance, tandis que la pression monte à l'approche du brevet pour les collégiens et du baccalauréat pour les lycéens.

« Est-il facile pour toi de parler des choses qui te préoccupent vraiment ? »

À peu près tous les quatre ans, l’OMS diligente son enquête sur les comportements de santé des jeunes d’âge scolaire (« Health Behaviour in School-aged Children », ou HBSC). Celle-ci porte sur un minimum de 1 500 élèves par groupe d’âge dans chacun des pays étudiés. Elle constitue un instrument précieux non seulement pour observer les évolutions, mais surtout pour comparer la situation dans différents pays. Pour la France, inclus dans le dispositif au début des années 1990, les chercheurs disposent de six vagues d’enquête.

Une des questions posées à l’échantillon de garçons et filles à 11, 13 et 15 ans est formulée ainsi : « Est-il facile pour toi de parler des choses qui te préoccupent vraiment (des choses importantes, graves…) avec les personnes suivantes : père/beau-père ; mère/belle-mère ? » Les réponses s’échelonnent de très facile, facile, difficile à très difficile.

Dans la dernière édition, les jeunes Français sont proportionnellement les moins nombreux à estimer pouvoir parler (facilement ou très facilement) des sujets importants à leurs yeux avec leurs parents. Quels que soient l’âge, ou encore l’interlocuteur (le père ou la mère) de ces adolescent·e·s, la France se trouve invariablement… en dernière position du classement.

Seulement 33 % des garçons estiment pouvoir parler facilement avec leur père des sujets qui les préoccupent

À 15 ans, par exemple, seulement 33 % des garçons estiment pouvoir parler avec leur père de ce qui les préoccupe, quand le pourcentage est de 71 % en Islande ou 64 % en Suède. Les filles estiment communiquer un peu plus facilement avec leurs pères (56 %), même si l’écart est encore une fois important en comparaison avec un pays comme l’Islande (83 %).

Comment expliquer cette position de la France ? Les réponses ne figurent pas dans les publications scientifiques disponibles, aussi plusieurs pistes méritent d’être explorées. Cette moindre communication entre parents et adolescents serait-elle liée à un plus faible investissement des parents auprès de leurs enfants, ou à une moindre disponibilité ? Pourrait-il s’agir d’une volonté de ces jeunes de ne pas inquiéter leurs parents en gardant le silence sur leurs préoccupations ?

Et si, à l’origine de cette moindre communication, on trouvait le sujet épineux, en France, de l’école ? L’enquête HBSC fournit quelques indices dans ce sens, corroborés par d’autres enquêtes.

Davantage d’heures passées au collège en France

La France, déjà, se distingue de nombreux autres pays par le temps important passé par les jeunes au collège. Ainsi, les Français de 12 à 14 ans passent en moyenne 978 heures par an dans le système scolaire, alors que la moyenne est de 872 pour l’Union européenne, selon l’OCDE citée par Santé publique France. À 15 ans, le chiffre grimpe à 1 048 heures, contre 886 heures en moyenne dans l’Union – soit 18 % de plus. Mais que produit ce long temps scolaire ? Un meilleur rapport des jeunes à l’école ? Une meilleure performance globale ? Ce n’est pas vraiment ce que montre l’enquête HBSC.

Les adolescents français passent davantage d’heures au collège que la moyenne des élèves européens. Pourtant quand on leur demande d’estimer leur performance scolaire, ils se jugent plus sévèrement que la moyenne observée dans les pays européens. Wadi Lissa/Unsplash

Les adolescents y sont interrogés sur le fait qu’ils aiment ou non l’école. Parmi les pays où ils disent le plus fréquemment l’aimer, c’est à nouveau l’Islande qu’on retrouve dans le haut du classement. Ce pays se range également parmi ceux où les élèves auto-évaluent très positivement leur performance scolaire.

La France est dans une position plus mitigée. Les jeunes se situent au niveau de la moyenne des pays sur le fait d’aimer l’école. Par contre, ils se trouvent à un niveau nettement inférieur à la moyenne sur l’évaluation de leur propre performance scolaire.

La qualité des relations parents enfants, importante pour la réussite scolaire

La performance scolaire est clairement au cœur des préoccupations des adultes dans notre pays. Ainsi, chaque édition de l’enquête PISA, qui classe les pays par niveau de réussite scolaire de leurs élèves, provoque en France des réactions passionnées. Elle suscite les commentaires des pouvoirs publics, mais aussi des professionnels de l’éducation et des associations de parents d’élèves.

Cette intense pression qui s’exerce à l’échelle de la nation sur les résultats scolaires des jeunes Français n’est visiblement pas sans effet sur les familles. Elle pourrait même influencer, négativement, la qualité du dialogue entre parents et adolescents. On en arriverait à ce paradoxe que plus les parents se focalisent, dans les échanges, sur l’école, moins le dialogue est riche et… plus les performances scolaires des adolescents s’en ressentent.

De nombreuses recherches insistent sur l’importance de la qualité des échanges entre parents et enfants pour la réussite scolaire de ces derniers. Cet effet relationnel semble d’ailleurs plus important que celui du seul dialogue entre les parents et l’école.

Un fort investissement des parents en temps et en argent

Dimitra Hartas, professeur en sciences de l’éducation de l’Université de Warwick (Royaume-Uni) a étudié cette question à partir des données de l’enquête PISA. Ses analyses remettent en question le modèle de parentalité intensive ou intense parenting, au sens d’un investissement important en temps et en argent destiné à augmenter les performances et capacités des enfants, en particulier au plan scolaire.

Certes, depuis les années 1970, des progrès ont été obtenus dans les apprentissages des enfants du fait de l’augmentation du temps parental, et aussi de la réduction de l’écart entre le temps qu’y consacre le père et celui qu’y consacre la mère – sachant que cet investissement parental a lieu dans tous les milieux sociaux.

Mais la chercheuse révèle des éléments qui pourraient éclairer la question du mauvais classement de la France sur le dialogue entre parents et adolescents. Ainsi, lorsque l’intensification de l’investissement parental porte sur la dimension scolaire, il a des effets modestes sur le plan des apprentissages. Autrement dit, les gains en terme de performances scolaires des enfants sont loin d’être proportionnels. Par ailleurs, cet investissement peut, contrairement à ce qui serait attendu, ne pas générer l’estime de soi, la confiance, la capacité d’agir, les compétences sociales et la maturité émotionnelle.

Dimitra Hartas insiste en revanche sur le fait que la conversation entre les parents et leurs adolescents sur d’autres sujets que la scolarité peut renforcer bien davantage leurs apprentissages.

L'aider à un exercice de maths, ou à découvrir le monde ?

Ainsi, l’enjeu, pour les parents, serait moins dans l’aide aux devoirs que dans le fait d’accompagner les jeunes dans leur découverte du monde, de les aider à se forger un point de vue propre sur la société. Donner un coup de main à son enfant pour finir un exercice de maths pourrait se révéler moins crucial que de parler avec lui de l’actualité, de cinéma, de musique, de littérature, de politique, de l’amitié, de l’amour, de la sexualité, etc.

On peut de ce point de vue se demander si les parents, en France, ne seraient pas trop centrés, dans les échanges avec leurs adolescents, sur les apprentissages et la performance à l’école. Ils étendraient et renforceraient en quelque sorte à la maison les tensions et inquiétudes liées à l’école, au lieu d’offrir un recours possible pour s’ouvrir à d’autres horizons.

Cette culture où la performance à l’école est le pivot de l’interaction entre le parent et son enfant pourrait expliquer à la fois un moindre dialogue – du point de vue de l’enfant – et une moindre performance dans ses apprentissages. En prendre conscience, c’est un premier pas, déjà, pour s’en extraire et ouvrir sur d’autres sujets de conversation.

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