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Peut-on parler d'une épidémie d’autisme ?

Un garçon de 8 ans, avec autisme. Dubova/Shutterstock

Les travaux de préparation du 4ème plan autisme se poursuivent, les mesures devant être inscrites cet automne dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Des chercheurs de plusieurs pays ont été auditionnés au ministère des Affaires sociales et de la Santé sur les moyens d'améliorer le diagnostic et l'accompagnement des personnes autistes. Mais que sait-on, aujourd'hui, de la fréquence de l'autisme à travers le monde ? Des informations changeantes, parfois même contradictoires, circulent à ce sujet.

Il est incontestable que le nombre de diagnostics d’autisme, désormais qualifié de trouble du spectre autistique (TSA), n’a cessé de croître au cours des dernières décennies. Ce trouble du développement se caractérise par des difficultés dans les interactions sociales et par des centres d’intérêt restreints.

Dès lors, de nombreux commentateurs n’hésitent pas à parler d’épidémie d’autisme. Et les hypothèses les plus folles circulent sur les causes de cette épidémie, incluant la mise en cause de certains vaccins, et le rôle d’infections microbiennes. D’autres hypothèses plus récentes, nécessitant davantage d’investigations scientifiques, portent sur le rôle éventuel des perturbateurs endocriniens (des molécules supposées interférer avec le système hormonal), ou encore de la pollution atmosphérique.

Cependant, plusieurs facteurs bien connus permettent déjà d’expliquer, au moins en partie, la croissance du nombre de diagnostics. Parmi lesquels un élargissement des critères, et une meilleure reconnaissance des signes de la part des parents, des enseignants, et des médecins.

Une croissance exponentielle du nombre de cas

La courbe ci-dessous (figure 1), représentant la proportion de personnes autistes dans la population américaine, semble être faite pour déclencher la panique, tant la croissance semble exponentielle. Alors que l’autisme était considéré comme un trouble rare dans les années 1970 et 1980, la dernière estimation des agences sanitaires américaines, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), fait état d’une prévalence de 1 cas sur 68. Une étude coréenne a même annoncé une prévalence de 2.6 % dans la population de ce pays, soit environ 1 cas sur 40, sans que l’on sache s’il s’agit d’une augmentation au-delà de ce qui avait été précédemment observé, ou bien d’un résultat isolé non comparable à ceux des autres pays.

Figure 1 : évolution de la prévalence de l’autisme et des troubles du spectre autistique depuis 1970 aux États-Unis. CDC, association Autism Speaks

Il est important de souligner, au préalable, que l’entité « autisme » dont la prévalence est suivie au fil du temps n’est pas une entité stable et objective : elle dépend entièrement de critères diagnostiques préalablement définis. Or il se trouve que ces critères ont évolué avec le temps.

Changement des critères diagnostiques dans les années 1990

Jusqu’aux années 1990, les nomenclatures comme la 8e édition de la Classification internationale des maladies (CIM-8) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la 3e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III) américain définissaient des critères diagnostiques correspondant essentiellement à l’autisme typique tel que décrit pour la première fois par le pédopsychiatre Léo Kanner en 1943.

À partir de la CIM-10 et du DSM-IV, les critères ont été élargis afin d’inclure un ensemble plus vaste d’individus, présentant des profils plus variés et une sévérité pouvant être moindre. Des catégories diagnostiques additionnelles ont été créées pour couvrir des formes atypiques ne rentrant pas dans la définition principale, comme le syndrome d’Asperger ou le trouble désintégratif de l’enfance. Et la notion de « troubles envahissants du développement » a chapeauté l’ensemble.

L’actuel DSM-V prolonge cette évolution en regroupant la plupart de ces catégories diagnostiques sous le terme de « trouble du spectre autistique » (TSA), tout en mettant à part la catégorie « trouble de la communication sociale ». Il est incontestable que le passage à la CIM-10 et au DSM-IV a augmenté considérablement la population répondant aux critères diagnostiques de l’autisme et des troubles envahissants du développement.

On peut bien sûr se poser la question de la légitimité de cet élargissement des critères diagnostiques. De nombreux psychanalystes français, à l’instar de Bernard Golse, considèrent que l’autisme typique, très rare (un enfant sur 10 000), est qualitativement différent du reste des TSA, et que le regroupement des TSA n’a aucun sens clinique. Ces personnes donnent donc des diagnostics alternatifs (psychose infantile, dysharmonie) non reconnus au niveau international à la plupart des personnes avec TSA.

Des caractéristiques similaires au niveau cérébral et génétique

En fait le regroupement des TSA dans les classifications internationales récentes n’a rien d’arbitraire, et n’est pas juste le résultat d’un lobbying de la part des associations de patients. Il reflète d’une part l’observation selon laquelle de nombreux individus présentant des traits voisins de l’autisme typique, mais à une sévérité moindre, ont des difficultés qui nécessitent une prise en charge ; et d’autre part, les nombreux travaux de recherche montrant que l’ensemble des individus avec TSA présente des caractéristiques similaires au niveau cognitif, au niveau cérébral et au niveau génétique. Ainsi, l’autisme typique est plus sévère et plus caractéristique, mais n’est pas qualitativement différent de l’ensemble des TSA.

Une étude danoise récente a permis de vérifier l’effet des critères diagnostiques, établissant qu’environ un tiers de l’augmentation de prévalence du TSA au cours des années 1990 peut être entièrement attribué au changement de classification diagnostique. Le DSM-V, en revanche, s’il a modifié les critères diagnostiques à la marge, ne semble engendrer aucune nouvelle augmentation de prévalence.

Un second facteur est la meilleure reconnaissance dont a bénéficié l’autisme au cours du temps, à la fois auprès des professionnels et du grand public. Chez les médecins et autres professionnels de santé, cette vigilance accrue a conduit à diagnostiquer d’une part des enfants qui n’avaient auparavant aucun diagnostic, d’autre part des enfants qui auparavant recevaient un diagnostic différent, par exemple une déficience intellectuelle, un trouble du langage ou le mutisme.

Ce phénomène de « substitution diagnostique » est bien illustré dans la figure 2. Au fur et à mesure que la prévalence de l’autisme augmentait aux États-Unis, celle de la déficience intellectuelle diminuait, montrant un phénomène de vases communicants entre les deux diagnostics. La somme de la prévalence des deux diagnostics est quasiment stable au cours du temps.

Figure 2 : nombre d’élèves (sur 10 000) bénéficiant d’une reconnaissance de besoins éducatifs particuliers aux États-Unis, en fonction de la catégorie diagnostique : autisme ou déficience intellectuelle. Polyak et coll. (2015), association Autism Speaks.

Dans l’étude dont sont extraites ces données, on peut également constater la décrue des diagnostics de « troubles spécifiques des apprentissages », ainsi que des « troubles émotionnels », deux catégories qui incluaient sans doute aussi un certain nombre d’enfants autistes.

Dans le passé, l’autisme était sous-évalué

Autrement dit, l’augmentation des diagnostics au fil du temps est due en partie au fait que dans le passé, bon nombre des cas qui auraient pu vérifier les critères diagnostiques de l’autisme n’étaient pas diagnostiqués comme tels, et par conséquent la prévalence de l’autisme était sous-évaluée.

Dans le grand public, la meilleure reconnaissance de l’autisme (notamment grâce au film Rain Man, et à l’essor des associations de familles concernées), a conduit les parents, les enseignants et les autres personnes concernées à être plus sensibles aux symptômes de l’autisme, à consulter plus fréquemment et plus tôt à ce sujet. Ainsi, le nombre de cas présentés aux professionnels pour diagnostic a augmenté, et l’âge moyen du premier diagnostic a baissé.

De fait, historiquement, la plupart des diagnostics d’autisme concernaient uniquement des enfants suivis en institution hospitalière. Aujourd’hui, la plupart des cas diagnostiqués concernent des enfants hors institution. L’étude danoise précédemment citée estime que cet élargissement de la population comptabilisée expliquerait environ 40 % de l’augmentation des diagnostics. Ce phénomène est en partie confondu avec l’élargissement des critères diagnostiques, mais les deux facteurs pris ensemble expliqueraient 60 % de l’augmentation des diagnostics.

La question est donc posée : y a-t-il véritablement eu une augmentation du nombre de cas d’autisme, ou est-ce que l’augmentation apparente de la prévalence est uniquement une inflation diagnostique liée aux facteurs mentionnés ci-dessus ?

Le cas de la Suède

Une étude suédoise très récente vise à répondre à cette question en analysant l’évolution sur la période 1993-2002 à la fois du nombre de diagnostics d’autisme et des symptômes d’autisme, tels que mesurés sur des échelles standardisées. En effet, si l’augmentation du nombre de diagnostics reflète une véritable augmentation du nombre de cas d’autisme, on s’attend à ce que les symptômes autistiques quantifiés dans la population augmentent de manière proportionnelle.

Le graphique ci-dessous (figure 3) montre l’évolution des diagnostics d’autisme dans l’ensemble de la population suédoise (ligne bleue). Ils passent d’environ 0.2 % en 1993 à 0.7 % en 2002, soit une évolution comparable à celle constatée aux États-Unis et dans d’autres pays. En revanche la ligne verte montre le nombre moyen de symptômes autistiques, à partir d’une échelle en comportant 17. Comme on peut le voir, le niveau de symptômes autistiques est stable sur la période considérée, malgré l’augmentation concomitante du nombre de diagnostics. Ainsi, cette étude suggère que l’augmentation du nombre de diagnostics n’est pas due à une véritable augmentation des symptômes, et donc des cas d’autisme.

Figure 3 : évolution de la prévalence de l’autisme en Suède (ligne bleue), et évolution des symptômes autistiques quantifiés par l’autisme score (ligne verte). Lundström et coll. (2015).

Cette étude suédoise est unique en son genre, et demanderait bien évidemment à être confirmée dans d’autres pays. Néanmoins, elle est cohérente avec l’étude danoise et avec la compréhension que l’on a des différents facteurs qui contribuent à l’inflation diagnostique.

On est donc amené à conclure, soit qu’il n’y a tout simplement pas d’augmentation du nombre de cas d’autisme, soit qu’il y en a peut-être une. Mais dans ce dernier cas, elle serait bien inférieure à ce que suggèrent les données brutes de prévalence, et ne justifie probablement pas de s’alarmer outre mesure.

Des couples formés sur de semblables traits autistiques

On pourrait mentionner une dernière hypothèse pouvant expliquer une légère augmentation véritable du nombre de cas d’autisme, sans pour autant invoquer de facteur environnemental nouveau. Il s’agit de l’homogamie, c’est-à-dire la tendance des hommes et des femmes qui se ressemblent à former des couples.

Les traits de ressemblance pour lesquels une homogamie est attestée sont typiquement le niveau d’éducation, le niveau socio-économique, ainsi que la taille. Mais il y a également des raisons de penser que les personnes possédant certains traits autistiques (subcliniques, c’est à dire n’ayant pas entraîné de diagnostic) ont tendance aussi à s’apparier sur ces traits.

Dans ce cas, leurs enfants auraient une probabilité accrue de porter des combinaisons de facteurs génétiques augmentant la susceptibilité à l’autisme. On soupçonne que cette homogamie sur la base de traits autistiques pourrait partiellement expliquer l’augmentation de la prévalence de l’autisme dans la Silicon Valley, sur la côte ouest des États-Unis. Dans cette région vivent en effet de nombreux hommes et femmes ingénieurs ou chercheurs en sciences et technologie, une population présentant plus de traits autistiques que la moyenne.

Bien que le nombre de diagnostics de TSA ait considérablement augmenté au cours des dernières décennies, il y a donc toutes les raisons de penser que la majeure partie, sinon la totalité de cette augmentation soit attribuable à l’élargissement des critères diagnostiques et à leur application plus systématique à l’ensemble de la population concernée. Il n’y a pas lieu à l’heure actuelle d’évoquer une épidémie d’autisme, ni de s’inquiéter exagérément à propos de facteurs de risques nouveaux.


Cet article est une version actualisée d’un post du blog de Franck Ramus, Ramus méninges.

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