Dès le début de la pandémie, plusieurs articles ont été publiés pour nous aider à réduire notre anxiété, puis à mieux comprendre le sens et l’impact de cette crise sur nos vies.
Je me suis moi-même sentie happée dans un tourbillon émotionnel qui me paralysait et duquel je devais sortir à tout prix. Et ce n’était pas tant de l’anxiété que je ressentais que de l’« angstiété ». Angst est un mot allemand qui veut dire « peur » et il est souvent utilisé pour référer à une notion d’angoisse existentielle. Le mot Angst est aussi utilisé en anglais pour référer à un sentiment d’anxiété ou de terreur profonde sur la condition humaine ou l’état du monde en général.
Cette « angstiété » venait principalement de mes questionnements existentiels : vais-je mourir ? Vais-je perdre les gens que j’aime ? Sans même les revoir ou les prendre dans mes bras ? Est-ce la fin du monde ? La vie reprendra-t-elle son cours comme avant ? Que peut-on prévoir pour l’avenir ?
L’éternelle quête de sens
Même si cette angoisse existentielle peut être présente en nous en tout temps, elle a été mise à vif par cette situation de crise. Il était impossible d’y échapper dans le bombardement d’informations inquiétantes sur la Covid-19 et la privation de nos moyens de gestion habituels pour l’esquiver. Nous avons été confrontés de façon plus concrète à notre propre finalité et à celle de nos proches. Le confinement rendait toute fuite d’autant plus difficile.
En tant que psychologue, et professeure de psychothérapie, j’ai souvent observé les obstacles de la quête du sens à la vie. De manière générale, les êtres humains ont développé un arsenal d’outils de défenses ou de faux-fuyants pour se protéger de leurs angoisses existentielles et éviter de se confronter à la question du sens de la vie. Dans cet arsenal, il y a la célérité ou la poursuite vers l’avant, l’accumulation de biens, la validation projective ou le besoin de se sentir accepté, et l’évasion.
Mais le confinement a mis à nu le véritable sens de la vie. Il a révélé l’importance de nos connexions avec les autres et nos besoins fondamentaux de se voir, se parler, s’embrasser, se toucher, s’aimer. La privation de contacts tactiles [a un impact réel] sur notre santé physique et mentale.
Un vertige grisant et terrifiant
La crise actuelle peut provoquer un vertige à la fois grisant et terrifiant, comme sur le bord d’un précipice, où la peur côtoie l’envie de flirter avec une nouvelle façon plus créative de fonctionner et d’humaniser nos façons d’interagir.
Cependant, l’intolérance à l’incertitude, dont nous souffrons tous à différents degrés est une force d’inertie puissante. Au bord d’un précipice, le regard vers l’inconnu peut être effrayant et l’envie de se réfugier vers le connu et le familier paraît irrésistible. Le déconfinement graduel nous offre l’occasion de retrouver un semblant de normalité qui apaise.
Nous vivons une période historique et le moment semble opportun pour réfléchir ensemble aux leçons à tirer de ce vécu qui, pour la première fois depuis le début de l’humanité, est quasi universel.
Se servir de sa peur pour avancer
Au lieu de nous empêcher d’avancer, notre « angstiété » pourrait-elle être un catalyseur de changement ? Pourrions-nous y puiser l’énergie et le courage nécessaires pour plonger vers l’inconnu et considérer une nouvelle façon de concevoir la vie et nos relations avec les autres ? Ralentir, prendre le temps d’apprécier la présence des autres, mettre moins d’emphase sur les besoins matériels ; voilà qui serait un bon début. Déconstruire notre besoin de projection et laisser tomber les apparences nous rendraient aussi plus authentiques.
Nous échappons souvent à nos angoisses en fuyant vers l’avant. Nos vies sont ponctuées de rendez-vous et d’activités pour lesquelles il faut constamment se presser. La situation nous a freinés brusquement dans cet élan et cela nous a complètement désorientés. C’est un peu comme remonter trop vite d’une plongée sous-marine sans avoir eu le temps de faire les paliers de décompression.
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Est-ce vraiment la seule façon de fonctionner et à quelles fins ? Certaines régions du monde, dont le Québec, évaluent la possibilité de passer à une semaine de quatre jours. Même si la motivation initiale est économique, une telle mesure serait un pas dans la bonne direction pour ralentir le rythme.
Une autre façon d’échapper à notre besoin de trouver un sens à la vie est l’accumulation de biens matériels. Même si nous avons tous des besoins de base, nous succombons aussi au plaisir éphémère de l’avoir. Une partie de cette quête matérielle est alimentée par le besoin de valider notre réussite aux yeux des autres. La présente situation démontre la futilité de cette quête, qui peut vite devenir un puit sans fond.
Retrouver les valeurs humaines
La pandémie nous a projetés dans une crise économique dont il sera difficile de se relever. Elle a aussi mis en lumière les énormes injustices sociales de notre système économique. Nous avons de plus en plus d’informations sur le fait que certains groupes ont été touchés plus que d’autres par la Covid-19. L’introspection devra commencer par une déconstruction et une remise en question de nos acquis.
Il y a un énorme travail à faire pour apprendre à nos enfants, et infuser le message dans toute la société, que chaque être humain a la même valeur, indépendamment de son ethnicité, son statut social, sa religion, son âge, son orientation sexuelle ou son identité de genre. Et il faut commencer maintenant. Trop de vies ont déjà été perdues, sans parler des énormes souffrances encourues.
Cette pression que nous ressentons de toujours projeter une quelconque image de soi pour être accepté ou reconnu nous empêche d’être authentique. Le besoin d’appartenance est un besoin primordial, qui n’est pas comblé en essayant de se plier aux attentes de la société. Il est comblé lorsque nous sommes honnêtes et vrais avec nous-mêmes et avec les autres.
La question à se poser pour l’après-Covid est : comment créer un monde dans lequel les valeurs d’acceptation de l’authenticité de chacun, d’ouverture sincère aux autres, et de bien-être collectif — sans exclure quiconque — seront la clef de voûte de notre société ?