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Une nouvelle mesure pourrait remettre en question le modèle standard des particules, si elle est confirmée. FLY:D, Unsplash, CC BY

Physique des particules : la nouvelle masse du boson W met-elle en danger le modèle standard, jusqu’ici indétrônable ?

Un nouveau résultat expérimental concernant la masse du « boson W » vient d’être annoncé par le laboratoire Fermilab situé près de Chicago. La nouvelle valeur diffère significativement des mesures précédentes ainsi que des prévisions du modèle standard des particules. Si confirmation il y a, cela pourrait ébranler les bases de ce modèle standard.

La physique des particules cherche à comprendre la structure intime de la matière. Développée dans la seconde moitié du XXe siècle, la théorie actuelle s’appelle le « modèle standard » : elle décrit l’électromagnétisme et les interactions nucléaires faible et forte qui relient toutes les particules subatomiques connues.

Le modèle standard divise les particules élémentaires en familles : bosons de jauge, boson de Higgs, quarks et leptons ; et donne des relations entre leurs masses et la force des interactions entre elles (dites « couplages »). Wikimedia, CC BY

La particule élémentaire qui nous intéresse ici est le « boson W ». Celui-ci fait partie de la famille des « bosons de jauge », les particules qui « transmettent » trois des quatre interactions fondamentales de la nature (forces électromagnétique, forte et faible). De son côté, le célèbre boson de Higgs n’est pas un boson « de jauge » – il fait quelque chose d’assez différent… notamment, donner une masse au boson W.

Malgré ses succès, puisqu’il a été confirmé par l’expérience de multiples fois depuis sa conception, le modèle standard est considéré comme « incomplet » car il n’inclut pas la quatrième interaction connue dans l’Univers, à savoir la gravitation. Cette limite laisse penser qu’une théorie plus complète pourrait être établie, encore faut-il des indices expérimentaux qui s’affranchissent des prédictions du modèle standard.

Un nouveau résultat très dérangeant

Il était une fois une expérience de physique des particules, du nom de CDF, qui prit des données jusqu’en 2011 dans un « collisionneur » de protons et antiprotons construit au Fermilab. En accélérant des particules pour les faire entrer en collision et en détectant les particules qui y sont créées, on peut déduire leurs caractéristiques, en particulier leur masse sous réserve de le faire un très grand nombre de fois, de modéliser les produits de collisions indétectables, etc.

En fait, l’ambition initiale de CDF était la découverte du boson de Higgs. Mais l’énergie de l’installation s’avéra trop limitée : il fallut attendre le LHC du CERN pour révéler l’existence du Higgs et les données acquises par CDF restèrent longtemps dans les tiroirs.

Récemment, ces anciennes données ont été réévaluées – c’est ce qui a donné le nouveau résultat sur la masse du « boson W ». En effet, certains progrès ont été accomplis depuis les années 2000 : d’une part, les techniques d’analyse de données se sont affinées, et d’autre part on comprend aujourd’hui mieux ce qui se passe au niveau des collisions qui permettent de produire les W.

La nouvelle mesure publiée donne pour masse du boson W 80,433 ± 0,009 GeV/c2 (le « giga-électronvolt », ou GeV, est équivalent à une unité de masse, de l’ordre de 10-27 kilogrammes).

Le collider detector du Fermilab a collecté les données de trilliards de collisions, qui ont produit des millions de bosons W. Bodhitha/Wikipedia, CC BY-SA

Une valeur différente avec une incertitude plus petite

Deux choses sont centrales ici. D’une part, l’incertitude de cette mesure, à savoir le « ± 0,009 GeV/c2 », est deux fois moindre que celle de la mesure précédente obtenue au LHC par le détecteur Atlas, qui était 80,370 ± 0,019 GeV/c2, en parfait accord avec la prédiction théorique calculée égale à 80,357 ± 0,009 GeV/c2.

La nouvelle mesure représente donc un progrès certain en termes de précision ! Mais, et c’est là où le bât blesse, cette valeur s’écarte très sensiblement de l’ancienne, qui était en accord avec la prédiction théorique.

Une brèche dans le modèle standard ?

Depuis la découverte annoncée en 2012 du boson de Higgs au grand collisionneur du CERN, on jugeait le modèle standard des particules arrivé au statut de théorie, c’est-à-dire d’une description fiable de la physique de l’Univers.

Le modèle standard repose sur une vingtaine de paramètres libres, en particulier les masses des constituants (dont celle du boson W) ainsi que les « couplages » entre ces constituants, c’est-à-dire leurs propensions à interagir entre eux.

Le modèle standard est une construction théorique. Il ne donne pas les valeurs de ces paramètres (c’est le travail des expérimentateurs de les mesurer), mais il impose des relations entre elles. De multiples tests ont validé les prédictions.

Alors, que conclure de la surprenante nouvelle concernant la nouvelle mesure de masse du W ?

Une nouvelle physique ?

En fait, une théorie physique n’est jamais définitive : l’exemple le plus fameux est celui de la loi de Newton, qui au XIXe siècle butait sur l’interprétation de la trajectoire de Mercure observée expérimentalement mais inexplicable avec la théorie de l’époque. Ce problème ne fut résolu qu’avec l’introduction d’une nouvelle théorie, plus générale : la relativité d’Einstein.


Read more: Mercure, Einstein, et la relativité générale (2)


De même, après la découverte du Higgs, chacun au CERN espérait qu’on découvrirait les premiers signes d’une physique se libérant du carcan du modèle standard, pour éclairer le chemin vers une théorie plus complète, qui permettrait en particulier d’unifier la théorie de la relativité générale d’Einstein et la mécanique quantique au cœur du modèle standard.

La gravité quantique est toujours en chantier, mais dans les années 2000, un autre modèle d’unification était plébiscité par les théoriciens : la « théorie supersymétrique ». L’attrait de cette théorie provenait en grande part du fait qu’elle proposait un candidat pour expliquer la mystérieuse masse sombre de l’Univers : le « neutralino ».

Las ! Après 10 ans de recherche, le LHC n’a pas détecté un seul indice de « nouvelle physique ». Les particules prédites par la supersymétrie, sans être détectées directement, entrent dans les calculs théoriques et il est possible de rechercher un éventuel effet de leur existence par des anomalies. Ainsi on peut invoquer l’existence de nouvelles particules prédites par cette nouvelle théorie pour réconcilier la nouvelle masse du W avec la prédiction. La masse du W jouerait-elle un rôle similaire à celui du périhélie de Mercure : une observation expérimentale pointant du doigt la route à suivre pour une nouvelle physique ?

D’où viennent les incertitudes ?

Dans toutes ces considérations, le problème des incertitudes est crucial. Or chaque mesure physique tire derrière elle des incertitudes. On en répertorie de deux sortes : « erreurs statistiques » et « erreurs systématiques » ; c’est l’enseignement de toute pratique expérimentale.

Pour donner une image, quand un institut de sondage interroge 1 000 personnes, les lois de la statistique indiquent que le résultat sera incertain à 3 % près, c’est-à-dire qu’il peut fluctuer de 30 personnes. De plus, il s’ajoute une erreur appelée systématique provenant de la sélection des personnes interrogées : il est impossible de donner une image exacte d’une entière population avec un échantillon limité, et le résultat sera « biaisé ».

De même, dans une expérience de physique, une mesure repose sur un détecteur qui amène ses limitations.

Ici, le mythe de la caverne de Platon s’invite. Une observation perçoit les ombres des phénomènes, non sur le fond d’une caverne comme pour le penseur grec, mais dans des instruments souvent très compliqués, dont les signaux doivent être interprétés par des calculateurs. À chaque phase de l’extraction d’un résultat, on bute sur des incertitudes : chaque pièce d’équipement doit être calibrée pour pouvoir traduire le signal recueilli en l’énergie correspondante, des erreurs spatiales affectent les mesures de position, les champs magnétiques sont imparfaitement connus…

De plus, pour mesurer la masse du boson W, on ne recueille qu’une partie des produits de ses désintégrations puisqu’il émet un neutrino, échappant à toute détection qui accompagne un électron (ou un muon) seul visible. Il faut donc s’appuyer sur des simulations compliquées tenant compte du maximum d’informations connues par ailleurs, et les incertitudes se multiplient.

Ainsi, avant de tirer une conclusion définitive, il faudra se convaincre que le résultat juste publié est correct. Pour cela, toutes les expériences en opération au LHC, en premier lieu Atlas mais aussi CMS et LHCb sont déjà reparties en campagne pour comprendre ce qu’il en est exactement.

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